Mardi 23 octobre 2012

- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -

Loi de finances pour 2013 - Audition de M. Jean-Baptiste Mattéi, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats (DGM) au ministère des affaires étrangères

La commission auditionne M. Jean-Baptiste Mattéi, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats (DGM) au ministère des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2013 (programme 185 : Diplomatie culturelle et d'influence de la mission « Action extérieure de l'État » et programme 209 : Solidarité de la mission « Aide publique au développement »).

M. Daniel Reiner, président.- Monsieur le Directeur général, mes chers collègues, je suis heureux de vous accueillir devant notre commission pour cette audition consacrée au projet de loi de finances pour 2013.

Nous avons entendu le ministre des Affaires étrangères et européennes sur le cadre général du budget du ministère des affaires étrangères et européennes. Nous souhaiterions vous entendre plus particulièrement, Monsieur le Directeur général, sur les deux programmes dont vous avez la responsabilité :

- le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'Etat » ;

- le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » de la mission « Aide publique au développement » ;

Ces programmes sont l'occasion d'évoquer l'agenda international et la mondialisation.

Les crises qui se succèdent et les tensions qui se développent depuis 1990, financières et monétaires, alimentaires, énergétiques, déséquilibres mondiaux de toutes sortes, sans oublier le combat si difficile contre le changement climatique, conduisent à un même constat : la difficulté de traiter efficacement ces crises et ces tensions et d'y apporter des solutions aussi bien dans un cadre national que dans les cadres de l'ordre international existant. Nous sommes dans cet entre-deux. Votre mission est notamment d'imaginer les évolutions souhaitables pour une gouvernance plus efficace au niveau mondial, une adaptation des organisations existantes et une meilleure coordination entre elles.

De ce point de vue, au-delà des aspects budgétaires, pouvez-vous nous indiquer les progrès que vous avez constatés en matière de gouvernance mondiale dans l'année en cours et les perspectives offertes par l'agenda international de l'année 2013 ?

Votre mission est aussi de défendre l'influence de la France. Avec la mondialisation, tous les pays, quelle que soit leur latitude, sont aujourd'hui confrontés aux mêmes défis : notamment celui de la croissance, mais d'une croissance soutenable, compatible avec des ressources naturelles plus rares et la préservation de la planète. Celui de la lutte contre les épidémies qui ne connaissent pas les frontières et tuent aussi bien au Sud qu'au Nord, comme l'a tristement illustré la pandémie du sida. Celui de la lutte contre le terrorisme qui déstabilise les sociétés du Nord comme du Sud.

Pour autant, dire que nous partageons la même planète, que nous sommes confrontés aux mêmes défis, ne signifie pas que nous partageons nécessairement la même vision du monde, ni les mêmes intérêts. La mondialisation c'est aussi une confrontation, des rapports de force, une mise en concurrence de nos économies, de nos modèles de société. Il y a une compétition internationale, dans laquelle nous souhaitons maintenir haut la place de la France.

Nous avons ici la conviction que la puissance et le rayonnement d'une nation tiennent, au-delà de son poids propre, à la somme des liens qu'elle tisse, au fil de son histoire, avec le reste du monde : liens d'affaires, liens culturels, liens académiques, liens scientifiques et d'innovation, et évidemment liens humains, de partage et de métissage. La capacité de la France à être entendue tient aussi au respect qu'elle inspire, non seulement par sa capacité de mobiliser sa force lorsque c'est nécessaire, mais aussi par sa capacité à défendre son modèle de société, sa culture, mais aussi la solidarité et la justice. C'est tout le sens de l'action extérieure de l'Etat, de notre politique d'influence et de notre coopération au développement.

S'agissant du programme 209, la commission a organisé, il y a quelques semaines, une table ronde sur l'avenir de la coopération au développement française. Il s'agissait de dresser des perspectives sur la base des évaluations dont nous disposons, tant celle de la Cour des comptes, que celles du Cabinet Ernst and Young. Ces dernières dressent un tableau assez sévère de notre outil de coopération. Elles décrivent en creux une politique marquée par des effets d'annonce, un éclatement administratif qui semble nuire à son efficience, une évaluation de son impact assez incertaine. Cette situation aux dires des évaluateurs semble empêcher le déploiement d'une stratégie cohérente de long terme permettant la synergie des ambitions, des moyens et d'une structure de pilotage politique et administratif adaptée. Vous nous direz quelles sont les réponses susceptibles d'améliorer nos performances dans ce domaine.

S'agissant du programme 185, nos différents déplacements nous permettent d'apprécier la diversité des actions qui sont menées par notre réseau culturel et par les établissements d'enseignement français à l'étranger. Celles-ci contribuent incontestablement à établir des liens durables avec une partie influente de la population des pays concernés, au-delà des vicissitudes politiques. Il s'agit donc d'un investissement. Pour autant, cet investissement doit être conduit avec rigueur et avec efficacité. Votre intervention pourrait être l'occasion de nous dire où nous en sommes de la mise en oeuvre de la loi du 27 juillet 2010 qui confie à des opérateurs l'animation de cette politique et rationalise les réseaux et comment vous envisagez leurs activités dans un cadre budgétaire, mais aussi un cadre économique global, plus contraint. Pour ce qui concerne l'enseignement français à l'étranger, qui fait preuve d'un dynamisme certain, et qui est relativement préservé compte tenu de la priorité donné à l'éducation dans le budget 2013, vous nous direz comment vous voyez son développement. En bref, comment définir des priorités en matière de diplomatie culturelle et d'influence ?

A l'issue de votre intervention, je donnerai d'abord la parole aux rapporteurs budgétaires de notre commission, nos collègues Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon pour le programme 209, et pour le programme 185 Jean Besson et René Beaumont, avant de laisser s'exprimer ceux d'entre vous qui le souhaiteront.

M. Jean-Baptiste Mattéï, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats - Je vous remercie de me donner l'occasion de venir vous présenter les deux programmes 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » et 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » dont je suis le responsable.

Je me propose de revenir sur les priorités de nos politiques publiques de diplomatie d'influence et d'aide publique au développement, les réformes qui sont menées et les résultats des discussions budgétaires sur le PLF 2013. Mais avant cela, je souhaiterais revenir sur certaines de vos remarques liminaires. Comme vous l'avez justement indiqué, le monde actuel est à la fois plus interdépendant et plus compétitif. Les pays émergents en particulier prennent une place de plus en plus importante non seulement dans les enceintes de discussions internationales comme en témoigne désormais leur poids au sein du G20, mais aussi dans les pays en développement, à la fois en tant que bailleurs de fonds et comme partenaires commerciaux. C'est pourquoi nous privilégions le dialogue avec eux en considérant qu'ils doivent prendre leur place dans les enceintes internationales mais aussi assumer les responsabilités qui vont de paire. Dans le cadre du Partenariat global pour l'efficacité de l'aide au développement de Busan par exemple, nous promouvons leur association étroite, en dépit de l'opposition de certains de nos partenaires du G8, afin de parvenir à des standards d'action proches. C'est d'ailleurs aussi dans cette optique que la France fait un investissement important dans les institutions multilatérales, qui constituent un forum de dialogue privilégié avec les pays émergents sur l'aide au développement mais aussi sur les grands enjeux économiques et sociétaux.

2012 a ainsi vu le centre de gravité de la gouvernance économique se déplacer un petit peu vers les pays émergents, ce qui correspond à ce que nous promouvons depuis plusieurs années : pour ne citer qu'un exemple, les pays du G20, réunis à Los Cabos en juin dernier, ont renforcé les capacités d'action du FMI en augmentant les ressources avec une contribution importante des pays émergents. Les pays émergents prendront d'ailleurs un poids plus important au Conseil d'administration du FMI après l'entrée en vigueur de la réforme des quotes-parts de 2010 et grâce aux pays européens qui leur ont cédé une partie des leurs.

Par ailleurs, comme vous le notiez, la puissance et le rayonnement d'une nation tiennent entre autres à sa capacité à mobiliser les forces. C'est ce qu'elle a fait pendant sa présidence du G20 sur des sujets d'importance pour tous, comme la sécurité alimentaire, ou la recherche de nouveaux modes de financement de la lutte contre le changement climatique. C'est ce qu'elle fait au quotidien à l'ONU, à la Banque mondiale ou au FMI, lorsqu'elle défend les valeurs propres à son modèle et à sa vision du monde, notamment la défense des plus vulnérables.

C'est tout l'objectif du programme 209 dont j'ai la charge. Vous mentionniez les critiques adressées à notre dispositif d'aide. Elles ne sont pas toutes infondées, mais ne prennent pas non plus la pleine mesure des progrès accomplis en termes de pilotage de l'aide depuis la création de la DGM qui a notamment permis de renforcer la cohérence de l'action de la France en articulant régulation économique internationale et développement.

Permettez-moi de m'attarder un instant sur deux thèmes transversaux prioritaires pour la France dans les années à venir : les OMD et l'efficacité de l'aide.

Nous arrivons à un moment clef pour le bilan des OMD qui arrivent à leur échéance en 2015. La réflexion sur leur bilan est déjà très avancée. La dynamique associée aux OMD est jugée positive. Le rapport des Nations unies sur la réalisation des OMD de 2011 fait état de « progrès substantiels » depuis 2000. Les progrès diffèrent néanmoins en fonction des pays et des thématiques. Plusieurs objectifs, relatifs à la lutte contre la faim, à la réduction de la mortalité infantile et maternelle, à l'assainissement, ne seront pas atteints. Des disparités croissantes entre les pays et au sein des pays sont observées, l'Afrique subsaharienne restant très éloignée de certains objectifs. La France et l'Union européenne ont en conséquence renforcé leur action en faveur des pays les plus en retard depuis 2010.

La réflexion sur l'agenda post-2015 progresse. Le Secrétaire général des Nations unies a mis en place un dispositif structuré autour d'une équipe spéciale et d'un Panel de Haut niveau. La conférence des Nations unies sur le développement durable ou Rio+20 a lancé un processus de définition d'Objectifs du Développement Durable, destinés à faire partie intégrante de l'agenda post-2015. La France dispose d'un membre qui siège à titre personnel au Panel de Haut niveau, en la personne de Jean-Michel Severino, ancien directeur de l'AFD, et a présenté la candidature de M. Canfin pour le groupe de travail sur les ODD. Elle souhaite que les différents processus aboutissent à un agenda unique intégrant les piliers économique, environnemental et social du développement durable.

En parallèle, l'attention doit porter également sur l'efficacité de l'aide qui sera un thème à part entière des Assises du développement. La France a joué un rôle important dans le processus qui a conduit à la déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide puis au 4ème forum sur l'efficacité de l'aide de Busan qui a consacré un changement majeur dans la manière d'aborder la question de l'efficacité non plus centrée sur les modalités de gestion de l'aide, mais sur une conception plus large de l'efficacité du développement, axée sur l'impact pour les pays partenaires et intégrant l'ensemble des politiques de développement. Cette vision du développement est tout à fait en ligne avec la vision française. Ce thème est par ailleurs l'une des priorités du nouveau Ministre délégué chargé du développement.

Les trois années qui viennent sont fondamentales pour l'aide au développement. 2015 marquera en effet à la fois le rendez-vous fixé en 2000 pour le bilan des OMD, et la date butoir pour l'atteinte des 0,7 %. Lors de la conférence Rio+20, le Président de la République a d'ailleurs tenu à ne pas éluder la question en rappelant l'importance des financements innovants pour le développement.

Lors des négociations internationales à venir, la question financière sera donc centrale.

La France est le quatrième contributeur mondial d'APD en 2011, derrière les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni et devant le Japon.

L'APD française a connu une forte augmentation depuis 2007 pour atteindre en 2011, plus de 9 Mds€.

En 2011, l'effort français d'APD rapporté au RNB (0,46 %) se situe dans la moyenne des pays européens. L'objectif international de porter l'APD à 0,7 % du RNB d'ici 2015 semble difficilement atteignable dans le contexte budgétaire actuel, compte tenu de la diminution prévisible des annulations de dettes à compter de 2015 et des flux de remboursement d'emprunt de l'AFD notamment. La trajectoire du ratio d'APD / RNB devrait se stabiliser autour de 0,47 % en 2015. Tout en restant déterminée à tracer un cheminement crédible vers cet objectif quantitatif, la France souhaite que ses engagements d'APD soient aussi jugés en fonction d'objectifs qualitatifs, notamment d'efficacité, conjointement déterminés avec les partenaires publics et privés du monde du développement.

L'APD française devrait continuer à augmenter jusqu'en 2015, dépassant pour la première fois de son histoire les 10 Mds€ en 2014. Cela s'explique par la stabilisation des crédits budgétaires de la mission APD, qui sont maintenus en valeur sur la durée du triennum par rapport à leur niveau de 2012, par l'annulation de dette du Soudan et l'augmentation des prêts de l'AFD, et par la décision d'affectation de 10 % de la TTF au développement.

Comme vous le savez, le PLF 2013 prévoit en effet l'affectation d'une fraction de 10 % du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) au fonds de solidarité pour le développement (FSD), géré par l'Agence française de développement. Ce fonds accueille déjà le produit de la taxe sur les billets d'avion.

Conformément aux engagements du Président de la République qui a annoncé devant l'Assemblée générale des Nations unies que 10 % au moins des recettes de la taxe française sur les transactions financières seront consacrés au développement et à la lutte contre les fléaux sanitaires et les pandémies, le projet de loi de finances pour 2013 met en oeuvre cette affectation à hauteur de 10 %. Ainsi, en 2013, la France sera en mesure de prendre 160 M€ d'engagements en faveur de projets qui seront financés grâce à la TTF. En termes de décaissements, la montée en charge de la TTF sera progressive : 60 M€ en 2013, 100 M€ en 2014, 160 M€ en 2015, soit un total de 320 M€ de ressources sur la période 2013-2015.

Cette taxe viendra également compléter la taxe sur les transactions financières au niveau européen. Onze pays sont prêts à participer à une coopération renforcée pour instaurer cette taxe. Il faudra discuter avec nos partenaires sur l'affectation du produit de cette taxe dont une partie pourrait contribuer à l'aide au développement.

J'en viens au cadrage budgétaire du programme 209 en PLF 2013. La dotation du programme 209 connait une baisse limitée par rapport à la norme gouvernementale.

Les actions du programme 209 suivent les priorités définies par le document cadre :

- la lutte contre la pauvreté et l'atteinte des OMD ;

- l'appui à une croissance économique équitable, durable et créatrice d'emplois, facteur essentiel de progrès social ;

- la bonne gestion des biens publics mondiaux, en particulier la maîtrise du changement climatique et de ses conséquences, de l'érosion de la biodiversité et de la propagation des maladies contagieuses, enjeux collectifs d'importance croissante ;

- la promotion de la stabilité et de l'État de droit comme facteurs de développement.

Le programme 209 met en oeuvre l'aide bilatérale française selon quatre partenariats différenciés :

- l'Afrique subsaharienne (au moins 60 % de l'effort financier de l'État), avec une attention particulière aux 17 pays pauvres prioritaires que la France soutient dans l'atteinte des OMD et l'amélioration de la gouvernance démocratique ;

- les pays de la Méditerranée (20 % de l'effort financier de l'État) ;

- les pays émergents : les instruments du programme 209 visent à accompagner les progrès des systèmes économiques et sociaux locaux, notamment dans une perspective de préservation des biens publics mondiaux ;

- les pays touchés par les crises, soit catastrophes naturelles, soit conflits politico-militaires.

Les effectifs de 2 380 ETP du programme 209 sont diminués de 90 ETP en 2013, soit -3,7 %. Les suppressions sur le triennum sont de -180 ETP, soit -7,7 %, ce qui est conforme à la norme gouvernementale de -2,5 % par an sur trois ans.

Les crédits du programme 209 sont arrêtés à 1 938 M€ en AE et à 1 963 M€ en CP en PLF 2013, soit -7 % en AE et CP par rapport à la LFI 2012. Mais Hors FED et C2D qui s'analysent comme des dépenses non pilotables, le programme 209 diminue de seulement
-2 % en AE et CP en PLF 2013.

Sur la période 2013-2015, la dotation du programme 209 connaît une diminution limitée, soit -4 % en AE et -6 % en CP (y compris masse salariale), contre une norme d'évolution gouvernementale de près de -15 %.

L'engagement du Président de la République de doubler l'aide transitant par les ONG françaises sur cinq ans se traduit par une hausse nette de 9 M€ par an des autorisations d'engagement allouées aux ONG. La dotation en LFI 2012 est de 45 M€ en AE et de 40 M€ en CP.

Après des années d'augmentation continue de l'aide multilatérale, le redressement de l'aide bilatérale a permis d'arriver à un point d'équilibre satisfaisant qui est aujourd'hui confirmé par stabilisation des crédits.

Les moyens sont, en effet, stabilisés sur trois postes majeurs de l'aide française :

- le don-projet dans toutes ses composantes : subventions de l'AFD, assistance technique et FSP. Cela participe à la stabilisation en 2013 de la part consacrée aux moyens bilatéraux par rapport à 2012 et à une diminution faible du ratio en 2014 et 2015. Cette mesure répond à la priorité de conserver une part significative de dons en parallèle aux prêts et d'une aide pilotable selon la préconisation de la Cour des comptes ;

- l'aide directe aux populations les plus fragiles, prioritaires dans l'allocation de nos moyens les plus concessionnels, notamment l'aide alimentaire, 37 M€ en AE et CP, le fonds d'urgence humanitaire, 8,9 M€ en AE et CP, la ligne Haïti 10 M€ en CP, les contributions volontaires aux Nations unies, 51 M€ en AE et CP ;

- la Francophonie 56 M€ en AE et CP.

De fortes évolutions sont constatées sur les enveloppes dites non pilotables qui échappent à la logique de la norme gouvernementale d'évolution des crédits :

- la contribution française au FED qui est calée sur les appels à contributions de la Commission européenne.

Il faut noter un ralentissement préoccupant des décaissements ces deux dernières années qui résulte de plusieurs facteurs devenus structurels. La mise en oeuvre des nouvelles lignes directrices dans le domaine de l'aide budgétaire européenne se traduit par une baisse des décaissements par ce canal. Les nouvelles orientations et les secteurs de concentration de l'Agenda pour le changement ne sont pas favorables à l'accélération des décaissements. La seconde orientation activement promue par le Commissaire Piebalgs est la recherche d'effets de levier, compte tenu de l'ampleur des besoins au regard des volumes d'APD, et les mécanismes de mixage prêts-dons qui devraient prendre de plus en plus d'importance dans des domaines comme les énergies renouvelables ou les infrastructures.

La négociation du 11ème FED s'engagera dans les semaines qui viennent sur la base de la proposition de la Commission européenne d'un montant de 34 Mds€ pour sept ans (2014-2020). Cette proposition représenterait un fort ressaut par rapport au 10ème FED qui représentait 22,6 Mds€ sur 6 ans. Les discussions sur le volume devront prendre en compte la contrainte budgétaire des Etats membres.

Sur les priorités du 11ème FED, la France soutient une approche équilibrée dans la définition des enveloppes nationales et régionales. Prendre en compte les critères économiques mais aussi de développement humain, de fragilité et de vulnérabilité sera nécessaire pour s'assurer que l'aide au développement soit dirigée vers ceux qui en ont le plus besoin.

- les contrats de désendettement et de développement (C2D) qui diminuent progressivement à hauteur de 102 M€ en 2013, notamment pour les C2D du Cameroun et de Côte d'Ivoire.

D'une ampleur sans précédent, soit un peu moins de 3 Mds€, le C2D Côte d'Ivoire constitue une occasion historique de refonder notre coopération dans ce pays. Un premier C2D « sortie de crise » de 630 M€ sur trois ans et demi visera en priorité le retour de l'Etat de droit et des services de base sur l'ensemble du territoire. Les secteurs déterminés d'un commun accord en seront la justice, l'éducation, la formation, l'emploi, la santé, l'agriculture, le développement rural et la biodiversité, le développement urbain et l'eau, et les infrastructures de transport. La signature du C2D devrait intervenir d'ici fin 2012.

Enfin, les actions de co-développement jusque là rattachées au ministère de l'intérieur sont transférées au programme 209 pour des activités sans lien avec les accords migratoires.

En quelques mots, le programme 185 comporte l'ensemble des moyens à diplomatie culturelle et d'influence. Il se caractérise ces dernières années par une rationalisation en profondeur de ses modalités d'intervention avec :

- un champ d'intervention qui couvre désormais depuis 2012 l'ensemble du monde alors qu'auparavant prévalait une réparation géographique avec le programme 209 dédiée désormais exclusivement à l'aide au développement ;

- un dispositif qui repose sur des opérateurs : l'AEFE pour l'enseignement français à l'étranger, l'Institut français pour la coopération culturelle et linguistique et France Expertise Internationale pour l'expertise.

- des sources de financements complémentaires aux crédits budgétaires qui sont issues des ressources propres des établissements (cours de langue, par exemple) et de la mobilisation de cofinancements de partenaires tiers qui représentent un montant important, plus de 170 M € en 2011.

Comme vous le savez, le ministre a décidé de mettre l'accent sur le renforcement de la diplomatie économique. Il est prévu de créer une nouvelle direction des entreprises au sein de la DGM qui n'a pas pour but de faire de l'ombre à Bercy mais qui sera le point de convergence entre les entreprises et notre réseau à l'étranger, compte tenu du niveau de notre déficit commercial. Les Ambassadeurs seront particulièrement mobilisés, en tant que responsable de l'ensemble des services de l'État à l'étranger, y compris UbiFrance. Des objectifs leurs seront fixés, ils seront vérifiés tous les six mois, et ils seront évalués sur leurs résultats.

Le programme 185 s'articule autour de trois priorités principales :

Tout d'abord le service public d'enseignement français à l'étranger, qui est important pour notre communauté résidant à l'étranger, mais aussi pour notre diplomatie d'influence puisque nous accueillons dans ces établissements une large proportion d'élèves étrangers.

L'AEFE entre pleinement dans le cadre de la priorité du gouvernement donnée à l'éducation, ce qui a facilité la sanctuarisation de ces crédits. Sa subvention est augmenté de 5,5 M€ pour couvrir les cotisations pour les pensions du personnel. De même, la création d'une centaine d'emplois hors plafond a été autorisée. Elle devrait enfin bénéficier d'avances de l'agence France-Trésor à hauteur de 12,5 M€ à des taux compétitifs et sur des durées intéressantes pour financer l'immobilier.

Deuxième priorité, notre politique d'attractivité. La situation est de plus en plus concurrentielle. La France a accueilli prés de 300 000 étudiants étrangers en 2010-2011 et est le quatrième pays d'accueil des étudiants internationaux. Il importe d'être compétitif sur ce marché, ce qui suppose d'avoir un cadre ouvert, ce qui explique l'abrogation de la circulaire Guéant.

Cela suppose aussi de maintenir nos moyens financiers. Le niveau des bourses sera maintenu en 2013 (71 M€), ce qui permet de servir environ 16 000 bourses à des étudiants étrangers. Ces bourses doivent être mieux encadrées, orientées vers des disciplines qui nous intéressent comme les sciences, le droit et sciences politiques, l'économie et la gestion, en privilégiant les niveaux master et doctorat.

Campus France a été mis en place à la fin de l'année dernière. Campus France qui offre aux étudiants et aux chercheurs étrangers, une gamme complète de services, depuis l'orientation à l'étranger jusqu'à l'accueil en France et à l'hébergement. Campus France gère à la fois des bourses du gouvernement français, mais également des bourses de gouvernements étrangers dans le cadre de conventions. La rentrée s'est semble-t-il bien passée, l'ensemble des conventions ont pu être reprises, à quelques exceptions prés.

J'en termine par notre coopération culturelle à l'étranger et la promotion du français. Il s'agit de promouvoir un continuum entre enseignement du français dans nos Instituts et Alliances françaises. 900 000 élèves sont inscrits en cours de français dans notre réseau culturel, enseignement en français dans nos lycées à l'étranger, cursus francophones dans les systèmes éducatifs locaux. 1,7 million d'élèves sont scolarisés dans ces cursus bilingues. Ainsi depuis dix ans, on a formé 60 000 fonctionnaires de l'UE au français en liaison avec l'OIF, ce qui est important pour maintenir la place du Français dans les instances communautaires.

Notre coopération culturelle repose sur notre réseau à l'étranger formé de 161 SCAC, 98 Instituts français, 445 Alliances françaises conventionnées, et un certain nombre d'instituts de recherche. Notre but est de développer une complémentarité entre le réseau public, les instituts français et le réseau associatif des alliances françaises.

Pour sa part, l'Institut français que préside M. Xavier Darcos a pris un bon départ et il très actif en matière culturelle, de coopération linguistique et de débats d'idées. L'Institut a développé des plateformes numériques accessibles aux instituts et alliances françaises.

L'expérimentation du rattachement à l'agence parisienne de douze instituts français locaux a été mise en oeuvre. Un bilan doit en être tiré en 2013 et une décision définitive sera prise sur l'opportunité et les modalités d'un éventuel rattachement. Des rapports seront présentés au Parlement en mars et octobre 2013. Le secrétaire général du MAE a été chargé d'animer un groupe de travail et de faire des recommandations.

Je souhaiterais à présent détailler plus précisément les enjeux du PLF 2013 pour le programme 185.

Au total, la dotation du programme 185 ne diminue que de 1 % par rapport à la LFI 2012, avec une dotation de 747 M€ en PLF 2013. Le maintien de la subvention de l'AEFE, qui représente à elle seule 56 % du programme, explique cette baisse limitée. S'agissant des effectifs, il est prévu une réduction de 100 ETP (pour l'essentiel de contractuels expatriés) sur 2013-2015 mais ce qui reste supportable.

La priorité reste le maintien de la subvention de l'AEFE (425 M€). La politique d'attractivité est poursuivie avec également la stabilisation des crédits de bourses (71 M€) et d'échanges d'expertise et les échanges scientifiques (16 M€). En contrepartie, les autres secteurs, comme l'Institut Français, devront faire des efforts pour recueillir des cofinancements afin de préserver leurs capacités opérationnelles.

M. Jean-Claude Peyronnet- En matière de santé, la France a pris un engagement auprès du GAVI de 100 millions d'euros additionnels. Il s'agit d'un secteur important de l'aide au développement, comment cela va-t-il s'organiser dans les prochaines années ?

Ensuite concernant la gouvernance, des critiques ont été émises autant par la Cour des comptes que par le Parlement, qui la trouvent peu lisible. Avec la définition d'une nouvelle priorité en matière de diplomatie économique, comment pourra-t-elle être mise en oeuvre avec une telle diversité d'intervenants ? Une réelle coopération va-t-elle s'opérer ?

A propos du climat, quelle sont les perspectives de réduction des émissions de carbone à l'horizon du prochain sommet de Doha ?

Enfin, nous ne constatons pas d'améliorations sur les prêts et les subventions. Une liste de 14 puis 17 prioritaires a été définie, or ces pays sont insolvables ! L'organisation de notre budget fait que les prêts augmentent tandis que les subventions baissent. Quelles solutions peuvent être apportées ? Faut-il faire glisser les crédits en valorisant les aides projets ? Nos sommes ridicules avec nos annonces fières et une réalité peu glorieuse !

M. Christian Cambon. - Concernant la politique d'évaluation des actions, il y a une volonté d'aller vers plus de transparence, quel que soit le Ministre. Cette transparence est également réclamée par nos concitoyens. Or, ces appels semblent vains, aucun effort particulier n'est fait ! Les indicateurs sont des moyens et non une évaluation. Certes, il est difficile méthodologiquement d'évaluer, pourtant d'autres pays y arrivent très bien. Vous devez offrir au Parlement des moyens d'évaluation des politiques menées, comme celle de l'eau, de la scolarisation, des vaccinations.

Ensuite, le fonds européen de développement (FED) et l'Europe. Vous avez évoqué, en la regrettant, l'économie de 200 millions d'euros réalisée sur le FED, sans que nous puissions avoir d'éléments concrets. Cette non-dépense est d'autant plus étonnante que le 11ème FED envisage une augmentation très substantielle, donc une hausse de notre contribution ! Certes, le 10ème FED a jusqu'à 2013 pour décaisser, néanmoins considérant l'importance des sommes en jeu, nous devons mettre en place des systèmes d'évaluation.

Enfin, et ce point a été évoqué devant le Ministre des affaires étrangères et le sera également devant M. Canfin, une initiative forte est à promouvoir en matière de coopération entre les pays européens. Il y a une grande différence entre les propos énoncés à Bruxelles et la mise en place effective dans des pays comme le Mali, le Niger ou encore le Burkina Faso, dans lesquels on dénombre parfois jusqu'à 10 ou 15 politiques de coopération différentes. Il est nécessaire d'avoir une organisation européenne sur le terrain, de désigner des chefs de file dans certains secteurs en fonction des actions identifiées, comme la France dans le domaine de l'eau. Notre pays peut-il porter ce message fort d'une organisation optimisée des budgets européens afin de tendre vers une meilleure lecture, compréhension et donc efficacité ?

M. Jean-Claude Peyronnet- Notre participation au FED est de 19 % aujourd'hui, contre 25 % auparavant. Ces chiffres valent-ils sur le constaté ou l'inscription ?

M. Jean-Baptiste Mattéï, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats - Pour répondre à M. Peyronnet, les appels à contribution sont calculés sur cette assiette.

A propos de la santé, vous avez évoqué GAVI, mais l'effort consenti par la France va au-delà, il s'élève à 1 milliard d'euros par an dans ce domaine considéré comme prioritaire. Plusieurs objectifs du millénaire pour le développement (OMD) relèvent de la santé, et il existe un savoir-faire français en la matière. Notre contribution au fonds SIDA se monte à 360 millions d'euros par an, et nous nous sommes engagés à verser 100 millions supplémentaires à GAVI en 2012. Le financement sera assuré à hauteur de 28 millions d'euros par programme FSP dans le cadre des engagements de Muskoka, de 20 millions d'euros décaissés en 2011 suite à la récupération des reliquats du FED. Il reste 30 millions à trouver en 2012, là encore nous espérons pouvoir utiliser une partie du reliquat du FED. Enfin, le solde de 22 millions d'euros sera réparti en 2014 et 2015 pour financer cet engagement de 100 millions.

Concernant la gouvernance, nous distinguons celle du développement de la diplomatie économique. Pour la première, elle n'est pas satisfaisante. Nous n'avons pas de grand ministère intégré comme dans certains pays, mais 3 grands acteurs qui doivent travailler ensemble : le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances, et l'AFD. Une prochaine réunion du CICID serait la bienvenue, ainsi qu'une définition des stratégies sectorielles lorsqu'elles s'avèrent nécessaires. Pour la seconde, ce n'est pas complètement nouveau, mais un nouvel élan est donné. La nouvelle direction des entreprises et de l'économie internationale du Quai d'Orsay travaille avec Bercy, afin de donner des plans d'action aux ambassadeurs coordonnés avec ceux que Bercy donne à ses conseillers économiques. Aujourd'hui, ceux-ci sont absents d'une soixantaine de pays, le rôle de l'ambassadeur en matière économique en est d'autant plus important.

A propos du climat, une étape positive a été franchie à Durban avec l'idée de trouver dès 2015 un accord afin de mettre en oeuvre les engagements pris dès 2020. Nous avons encore 3 ans pour négocier cet accord, et la France a proposé d'accueillir la conférence des parties en 2015. L'étape de Doha, sans être décisive, implique de bien négocier la séquence qui va nous conduire à 2015 ainsi que l'architecture du futur accord et de la phase transitoire jusqu'en 2020. Cela sous-tend également un certain nombre de questions. Que faire du protocole de Kyoto ? L'Union européenne souhaite rester liée par cet accord, et il est préférable qu'un grand nombre de pays le soit. Quels engagements prendre pour tenter d'enrayer la hausse des températures ? L'objectif des 2 degrés semble irréalisable. Concernant le volet financier, le fonds vert sera accueilli en Corée, il faudra l'alimenter et donc trouver des ressources dédiées.

Sur les subventions et les prêts, vous prêchez des convertis ! Un des éléments du prochain triennum est l'objectif de maintien des dons projets à 320 millions d'euros par an en autorisations d'engagement. Cela permettra d'enrayer la baisse des dons projets au profit des prêts de l'AFD, qui ont beaucoup augmenté. Il ne faut pas oublier que le remboursement des prêts fait de l'aide publique au développement en moins ! Nous avons différents types de partenaires, qui doivent bénéficier d'instruments différenciés. Ainsi en Amérique latine, nos prêts sont très proches des données du marché, tandis que dans les 17 pays prioritaires, il ne s'agit pas de prêts mais de subventions. La prise en compte de l'effort de la France doit regrouper la totalité de nos contributions, bilatérales comme multilatérales, celles au FED ou au fonds SIDA.

A propos de l'évaluation, nous menons un travail continu sur les indicateurs. Vous avez souligné les problèmes de méthodologie, certains indicateurs ont été validés par le dernier CICID, comme le nombre d'enfants achevant un cycle primaire d'éducation, néanmoins c'est insuffisant car ces indicateurs sont ex-ante. La Grande-Bretagne et l'Allemagne sont en avance sur ces questions de mesure, nous allons donc les rencontrer. Ce sera également un des chantiers des Assises du développement, qui seront organisées prochainement, afin d'afficher des indicateurs dès 2013. Néanmoins, nous souhaitons votre indulgence aussi sur ce point, car si nous voulons avancer, nous ne devons pas être liés par des scrupules méthodologiques. Il est intéressant de voir ce que l'action de la France permet, comme le nombre de personnes vaccinées, qui a accès à l'eau ... C'est l'objectif vers lequel nous tendons, mais cela implique de prendre en compte autant l'aide bilatérale que multilatérale.

Concernant le FED, la sous-consommation de 200 millions d'euros n'est pas acceptable. On comprend la suspension dans certains cas extrêmes, comme un coup d'État dans un pays, néanmoins c'est moins compréhensible quand il s'agit de lenteur de déboursement des programmes régionaux car les accords de partenariat n'ont pas été conclus, ou de décaissement de l'aide budgétaire ... Il faudra s'efforcer de corriger ces défauts dans le 11ème FED.

Enfin, la coopération avec les autres pays européens est un aspect auquel nous apportons beaucoup d'attention. La commission européenne a mis en avant la notion de programmation conjointe dans un pays donné, des expériences sont en cours dans des pays pilotes qui sont l'Éthiopie, le Ghana, le Guatemala, le Laos et le Rwanda. L'idée est d'analyser le pays, voir ses priorités, puis se répartir les secteurs. Le 8 novembre, un séminaire sera organisé à Bruxelles sur ce thème de la programmation conjointe.

Mme Josette Durrieu. - Vous avez parlé d'améliorer l'attractivité de l'enseignement du français. Il s'agit effectivement d'un chantier important, car dans certains pays comme l'Albanie ou le Monténégro, les étudiants préfèrent étudier en Suisse !

Ensuite, je suis très favorable aux Assises du développement et à la mise en place d'une diplomatie économique dans les deux ministères concernés. Il était temps ! Il faut coordonner les efforts régionaux autour de projets et non d'initiatives particulières. Dans les collectivités territoriales, nous avons aussi besoin d'organisation, de propositions de votre part, de projets pilotes et de contrats à développer.

Enfin, concernant la diplomatie culturelle et d'influence, je voudrais citer l'exemple des maisons du savoir, projet que j'ai porté il y a quinze ans pour la première fois. J'ai dupliqué ce projet en Slovaquie, et j'ai également essayé au Mali. Ce type d'outils est important, mais c'est à vous de les coordonner.

Mme Leila Aïchi. - Pourquoi ne s'inspirerait-on pas du centre de crise du Quai d'Orsay pour organiser la diplomatie économique, en la faisant fonctionner, s'appuyant sur notre administration, comme un réseau de partenaires (régions, chambres de commerce, ONG, entreprises, Ubifrance), souple, réactif et adaptable à la réalité des marchés. Certains pays comme la Corée du Sud sont très efficaces.

M. André Vallini. - Je partage les observations de Mme Durrieu sur la coopération décentralisée. N'y voyez pas une demande de recentralisation mais de mise en cohérence et de coordination de l'aide au développement car les collectivités territoriales ne sont pas toujours bien outillées et elles attendent des suggestions.

Les États-Unis contribuent-ils toujours aux organismes de la mouvance des Nations unies ?

M. Jean-Baptiste Mattéï, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats - En matière d'attractivité, nous ne tirons pas trop mal notre épingle du jeu. Il faut aussi constater, s'agissant des étudiants en provenance des Balkans, l'existence dans certains pays, comme la Suisse, de fortes communautés originaires de ces pays, ce qui est aussi un facteur d'attractivité pour les étudiants.

Les étudiants originaires du continent africain restent nettement en tête (avec 40 % des bourses). Le continent asiatique est en nette progression (18 % des bourses), ce qui répond à une stratégie en direction des pays émergents. Il en va de même pour le continent américain (12 %). Les pays d'Europe restent stables (18 %), mais en raison de la montée en puissance en parallèle des boursiers pris en charge sur les crédits communautaires (au premier rang desquels Erasmus), cette proportion n'est guère significative.

Ces bourses sont en priorité accordées dans les domaines où la France dispose d'une réputation d'excellence : les sciences, le droit et sciences politiques, l'économie et la gestion, en privilégiant les niveaux master et doctorat et les mobilités encadrées, gage d'un meilleur parcours académique.

Nous essayons de répondre à des demandes de pays émergents. Par exemple, le Brésil a demandé à la France d'accueillir 10 000 étudiants supplémentaires sur 4 ans (sur financement brésilien), dans le cadre du programme « Science sans Frontière » lancé par la présidente Dilma Roussef et qui va permettre de former 50 000 étudiants brésiliens à l'étranger. Dans ce cas, les programmes sont financés par le Brésil mais nous devons mettre en place les dispositifs nécessaires pour les recevoir.

La coopération décentralisée est un point important. Le Ministre a confié une mission à M. Laignel. La délégation à l'action extérieure des collectivités territoriales est rattachée à ma direction générale. Nous avons des crédits (9 M€) pour réaliser des cofinancements de projets avec les collectivités territoriales, cela permet de développer des synergies. Il s'agit d'un levier. Il est important de conjuguer nos forces dans une période de contrainte budgétaire. Il ne s'agit pas d'assigner des objectifs aux collectivités locales mais il importe surtout d'éviter la concurrence et la redondance. Nos ambassadeurs devraient aussi s'impliquer dans ce sens sachant qu'en certains domaines (services publics locaux), l'action des collectivités est très attendue.

S'agissant du numérique, l'Institut Français s'y engage par le développement de plateformes de services.

En matière de diplomatie économique, l'idée est bien d'avoir une tête de pont à Paris, la direction « entreprise » avec une sous-direction qui sera chargée du soutien général aux entreprises et d'animer le réseau (soutien des plans d'action des ambassadeurs, les liens avec Ubifrance et les Chambres de commerce) et une seconde qui suivra les secteurs plus stratégiques (industries de défense, nucléaire, transports).

S'agissant des États-Unis, ils ne financent plus l'Unesco. Sur les arriérés, je n'ai pas d'information précise. Ils étaient souvent en retard sur les contributions obligatoires mais ils sont en revanche beaucoup plus généreux sur les contributions volontaires.

M. Daniel Reiner, président.- Je me fais l'interprète des rapporteurs du programme 185. Avec la baisse des crédits au réseau et à l'opérateur culturel, peut-on raisonnablement compter sur des cofinancements alors que les entreprises françaises réduisent leurs dépenses de communication et de mécénat pour palier ces réductions de crédits ? Ont-ils un fonds de roulement suffisant ?

Sur l'expérimentation du rattachement du réseau culturel à l'Institut Français : une expérimentation est en cours dans 12 postes. Avez-vous estimé un surcoût qui serait la conséquence du rattachement des personnels fonctionnaires à l'Institut alors que ceux-ci restent actuellement, même dans les postes soumis à expérimentation, dans les cadres du ministère ?

L'AEFE et le réseau disposent-ils de fonds de roulement et de capacité d'avances de l'agence France-Trésor suffisants pour faire face à la fois aux besoins de sécurisation de certains immeubles, je pense à la zone du Sahel ou du Maghreb, aux besoins de rénovation et de mises aux normes des immeubles mis à disposition ? Un assouplissement du système d'avances est-il envisagé ?

Quelle cohérence y a-t-il entre une politique qui limite la contribution publique au développement du réseau et repose sur l'augmentation des frais de scolarité d'une part, et une politique de développement des aides à l'accès au réseau par l'attribution de bourses, d'autre part. Le réseau d'enseignement est-il victime de son succès ? Faut-il limiter son développement, fermer des établissements, hiérarchiser des priorités ?

M. Jean-Baptiste Mattéï, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats - Les dotations aux EAF baissent de 4 %. Pour les cofinancements, 170 M€ ont été levés en 2011, mais nous prévoyons 145 M€ pour 2012, c'est une hypothèse prudente. Il existe aussi des moyens d'autofinancement notamment pour les activités de cours de langue. Ces ressources me paraissent stables. Le fonds de roulement des établissements est de 80 jours en moyenne mondiale, alors que l'obligation est de 60 jours. Donc hormis quelques postes, comme la Grèce en raison de la crise, il n'y a pas d'inquiétude, mais il faut rester vigilant.

Cela implique une plus grande attention dans la gestion des établissements, qui ont davantage d'autonomie financière et deviennent de petites entreprises, mais il n'est pas illégitime de faire financer une partie des activités autrement que par le contribuable.

L'expérimentation du rattachement du réseau à l'Institut français est en cours, nous n'en sommes pas encore à l'heure du bilan qui sera effectué selon toute une série de critères. Le coût financier du transfert des personnels, en raison des charges patronales, est certain et représentera un montant non négligeable selon nos estimations actuelles.

Les établissements d'enseignement ont une politique immobilière à conduire. L'AEFE ne peut plus emprunter directement mais elle peut bénéficier d'avances de l'Agence France-Trésor à des taux intéressants. Il est vrai que se pose ensuite la question du remboursement des emprunts, ce qui peut induire une augmentation des frais de scolarité d'où l'importance de la rénovation du système des bourses.

La contribution publique est à un niveau important, 425 M€, à laquelle il faut rajouter les bourses. C'est un effort très significatif. Cet enseignement a beaucoup de succès. Doit-on répondre à toutes les demandes ou s'interroger sur nos priorités. C'est le sens de la mission confiée à Mme Conway-Mouret, ministre déléguée qui doit rendre un rapport au printemps prochain. On peut aussi encourager des systèmes alternatifs comme la labellisation de certains établissements locaux car on ne pourra pas satisfaire indéfiniment la totalité de la demande en créant des établissements.

Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et politique de sécurité et de défense commune (PSDC) - Conférence interparlementaire de Chypre - Communication

Puis la commission entend une communication de Mme Josette Durrieu sur la conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) qui s'est tenue à Paphos (Chypre) les 9 et 10 septembre 2012.

M. Daniel Reiner, président. - La Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune et la politique de sécurité et de défense commune s'est réunie pour la première fois à Paphos (Chypre) les 9 et 10 septembre dernier. La délégation du Sénat à cette conférence était composée de nos collègues Josette Durrieu, Michèle Demessine et Alain Gournac.

Il me paraît important que nous puissions entendre le compte rendu de cette réunion à un double titre. D'une part, il s'agissait de la première réunion de cette instance et c'est l'occasion de nous rappeler son origine, son objet et son mode de fonctionnement. D'autre part, un débat s'est déroulé sur le thème des « printemps arabes », et il nous importe de connaître l'appréciation des instances européennes et des différentes sensibilités au sein des parlements nationaux sur cette situation nouvelle qui affecte l'immédiat voisinage de l'Europe.

Mme Josette Durrieu- Il faut tirer de cette première conférence des enseignements, car la démarche et le contenu ne nous ont pas convaincus, mais cela peut être une initiative intéressante, qu'il faut poursuivre. Je vous rappelle que la Conférence est née à la suite de la disparition de l'Assemblée parlementaire adossée à l'Union de l'Europe occidentale, qui a été présidée par notre collègue Jean-Pierre Masseret, et supprimée à la suite de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Il y avait là un manque, car cette Assemblée, qui rassemblait des parlementaires de 28 États, avait un rôle important. Le risque était que cette suppression ne se traduise par un amoindrissement du rôle des parlements nationaux dans le suivi des questions de sécurité et de défense à l'échelle européenne. Certains, comme les Français et les Allemands, mais aussi le dernier Président de cette Assemblée, M. Walter, ont milité pour recréer une nouvelle instance.

Cette initiative était d'ailleurs soutenue par les États sur la base du protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux annexé au traité de Lisbonne. Elle avait aussi pour but d'intégrer le Parlement européen qui ne participait par l'Assemblée de l'UEO.

Le principe de la création d'une Conférence interparlementaire a très vite émergé, mais les divergences entre le Parlement européen et les parlements nationaux sur leur poids respectif au sein de cette instance n'ont permis sa mise en oeuvre qu'après qu'un compromis a été trouvé sur sa composition. Ce compromis, adopté lors de la Conférence des présidents des Parlements réunie Varsovie en avril 2012, assure une représentation prépondérante des parlements nationaux (6 sièges par État quelle qu'en soit la taille) alors que le Parlement européen se voit accorder une représentation a minima de 16 sièges.

Pour la France, chaque assemblée est représentée par 3 membres, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays ; ainsi le Bundesrat, qui n'a pas de compétences propres en ces matières, ne participe pas à la délégation allemande. Pour le Sénat, c'est notre commission qui occupe les trois sièges ; à l'Assemblée nationale, la délégation est composée d'un représentant de chaque commission concernée (défense, affaires étrangères, affaires européennes).

Le premier point à l'ordre du jour de la Conférence était l'adoption d'un règlement intérieur qui concrétisait la naissance de cette instance. Mais ce projet de règlement était léger et son contenu était verrouillé puisqu'il ne permettait pas d'aller au-delà du compromis de Varsovie. Il a donné lieu à un débat mais avec des conclusions décevantes puisqu'on ne pouvait rien changer. Cependant ce débat a été intéressant car des amendements ont été déposés par les délégations. J'avais pour ma part souhaité que la Conférence ne soit pas seulement une petite structure qui vole d'État en État au gré des présidences tournantes, mais qu'elle dispose d'une structure minimale, puisse adopter des conclusions et des recommandations à la majorité et non par consensus, et que les chefs de délégations en constituent en quelque sorte le bureau.

Nous nous sommes retrouvés, avec les Allemands et pour partie les Italiens, sur cette approche consistant à doter cette Conférence d'une organisation minimale et de rapprocher le fonctionnement de la Conférence de celui d'une assemblée parlementaire de plein exercice.  A l'inverse, le Royaume-Uni, l'Estonie et le Danemark souhaitaient alléger le dispositif pour le limiter à un forum sans adoption de conclusions même par consensus.

La Présidence chypriote n'a accepté que les amendements en accord avec une stricte interprétation du compromis établi lors de la Conférence de Varsovie et a proposé de renvoyer les autres propositions à la révision des règles de procédure et de fonctionnement qui interviendra dans deux ans.

Cela en dit long sur la dynamique de l'Europe de la défense et sur la détermination de quelques uns : Allemands, Italiens, Français. C'est probablement parmi les pays de Weimar + que l'on pourra trouver les partenaires les plus déterminés.

La Conférence a ensuite entendu une présentation de Mme Catherine Ashton, haute-représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité au cours de laquelle elle a décrit sa mission et ses interventions notamment dans le cadre de la politique de voisinage et son action en Afrique (Sahel, Somalie...). Elle a insisté sur l'aide économique, sur la promotion de la démocratie et des droits de l'homme. Elle a également abordé succinctement sa mission de négociation avec l'Iran sur le nucléaire et l'action de l'Europe face à la situation de la Syrie. Elle a aussi rappelé la nécessaire coordination et complémentarité avec l'OTAN, indiquant que le secrétaire général de l'OTAN souhaite que l'Europe joue un rôle accru sur la scène internationale et en matière de défense. Il importe donc de pousser dans le sens du développement des synergies entre États. Ce développement m'a paru intéressant pour sensibiliser nombre de pays, peu enthousiastes en la matière, à la nécessité pour l'Europe de prendre en charge la défense de l'Europe, à l'heure où les Américains s'éloignent, comme le montre le débat Obama-Romney sur la politique étrangère dont l'Europe a été très absente. Il est bien que Mme Ashton ait pu rappeler cela. Je suis intervenue pour lui demander d'expliciter sa position sur l'initiative de Weimar +. Mme Ashton a salué celle-ci et incité les États-membres à prendre des initiatives de coopération, seule manière, dans un contexte économique difficile, de faire progresser l'Europe de la défense.

Dans la table ronde sur les printemps arabes sont intervenus la ministre des affaires étrangère de Chypre, et présidente en titre du conseil des ministres de l'Union européenne, le Dr Erato Kozakou-Markoullis et M. Bernardino Leon, représentant spécial de l'Union européenne pour la région du sud de la Méditerranée. Des représentants des Parlements du Liban et de la Jordanie y ont également participé.

Tous ont indiqué le besoin de coopération pour soutenir les pays de la Méditerranée du Sud. Une telle coopération doit se baser sur le partenariat, ainsi que sur un accompagnement pour mettre en place de nouvelles institutions, à affermir et stabiliser les changements. Ces pays ont besoin d'encouragements. Aujourd'hui, ils sont en proie à des difficultés économiques graves, parfois dépourvus, pour certains, de structures administratives ou judiciaires solides. M. Léon estime que les pays de la région considèrent l'Union européenne comme un partenaire important. Les premières visites du président Morsi et du Premier ministre tunisien ont été à Bruxelles avant de se rendre à Washington. Il a annoncé qu'une réunion se tiendrait en novembre au Caire, ce qui vient d'être confirmé, pour examiner le soutien à l'Égypte, dans la même veine que celles qui ont déjà eu lieu pour la Jordanie et la Tunisie.

Il a souligné le rôle que les Parlements nationaux peuvent jouer dans la consolidation des réformes à travers le dialogue avec les Parlements de ces pays, notamment pour les aider à rédiger leurs constitutions.

Au cours du débat, M. Alain Gournac a posé une question sur l'évolution de la situation des femmes et Mme Michèle Demessine a interrogé les intervenants sur la question de la Palestine et sur l'accord commercial passé par l'Union européenne avec Israël en juillet dernier, qui met en cause la crédibilité de l'Union dans ses relations avec les pays arabes.

Nous avons évoqué également mais brièvement les problèmes de Chypre avec en perspective le développement d'un contentieux supplémentaire entre les deux parties à propos de l'exploitation des ressources (pétrole) du plateau continental.

Enfin, par consensus, la Conférence a adopté les conclusions présentées par la présidence chypriote sous forme d'un document sans contenu politique véritable, ce qui a été bien rappelé par M. Lamberto Dini, président de la commission des affaires étrangères du Sénat italien. Nous avons formulé l'espoir que, sous la présidence de l'Irlande, cette conférence prenne une dimension un peu plus consistante et plus significative. Il faut persévérer et compter sur la mise en dynamique de cette assemblée et son noyau actif.

Pour pouvoir jouer un rôle actif, compte tenu de la structure très légère de cette conférence, il est important d'assurer une stabilité dans la composition de notre délégation d'une session à l'autre, la capacité d'influence dans ce type d'organisation repose largement sur l'aptitude des parlementaires à tisser des liens entre eux, au besoin en adjoignant des suppléants. Il faut également préparer en amont les discussions et être porteurs de propositions, au besoin en concertation avec la délégation de l'Assemblée nationale, et une concertation préalable pourrait être organisée avec d'autres délégations d'États membres. La discussion avec les Allemands pourrait se poursuivre à l'occasion de la réunion des commissions de la défense qui se déroulera au Sénat le 10 décembre prochain. Cette Conférence sera ce que ses membres en feront.

Mme Michelle Demessine. - Je partage les conclusions de Mme Josette Durrieu. Au sein de cette assemblée qui est née aux forceps et alors que l'idée était plutôt d'en limiter le rôle, la surprise est venue de l'envie exprimée par de nombreux représentants de parlements nationaux que cette conférence soit utile et soit un moyen de contrôler l'action de la haute-représentante. Ce fut aussi un moyen de rencontrer les délégations qui étaient pluralistes, mais qui malgré ce pluralisme s'exprimait souvent avec une certaine unité. Il faut continuer à se battre pour que cette conférence puisse être porteuse de message, alors qu'on avait un peu le sentiment que les possibilités d'évolution sur le rôle de la Conférence semblaient très limitées, voire verrouillées. La présidence chypriote a bien joué le jeu et la tonalité a évolué au cours de la conférence. Il est probable qu'en dialoguant en amont avec la prochaine présidence, il sera possible de faire avancer les choses.

Mme Josette Durrieu. - Il est important de profiter de cette ouverture pour exprimer nos points de vue faire évoluer cette Conférence.

M. Daniel Reiner, président. -- Il me paraît important pour acclimater l'idée de l'Europe de la défense, qui s'imposera à nous de façon inéluctable, d'être présents dans cette instance qui constitue un outil de contrôle et que les Parlements nationaux y soient actifs car il s'agit d'une compétence intergouvernementale.

Mercredi 24 octobre 2012

- Présidence de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président -

Loi de finances pour 2013 - Programme Solidarité de la mission « Aide publique au développement » - Audition de M. Dov Zerah, directeur général de l'Agence française de développement (AFD)

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission auditionne M. Dov Zerah, directeur général de l'Agence française de développement, sur le projet de loi de finances pour 2013 (programme 209 : Solidarité de la mission « Aide publique au développement ».

M. Jean-Claude Peyronnet, Président. - Monsieur le Directeur général, mes chers collègues, je suis heureux de vous accueillir, à nouveau, devant notre commission pour cette audition consacrée au projet de loi de finances pour 2013.

Vous êtes à la tête du principal opérateur français de coopération au développement.

Je rappelle à nos collègues que l'AFD est à la fois un établissement bancaire de par son statut, ses méthodes et son bilan comptable, mais aussi une agence de coopération qui intervient comme bras séculier de la diplomatie française dans les pays du Sud. L'essentiel des ressources de l'AFD provient des marchés, une part résiduelle de l'Etat.

La tentation est forte de vous juger à l'aune des 400 millions de subventions que gère l'agence, en ignorant les 7 milliards qu'engage la banque. Je comprends que le caractère hybride de l'institution que vous dirigez présente un réel intérêt. En même temps, elle rend plus difficile la compréhension de son action.

Nous attendons donc de vous que vous nous éclairiez sur l'action de l'agence à un moment où votre établissement vient d'adopter son nouveau plan d'orientation stratégique et semble « à la croisée des chemins » entre la poursuite de la croissance et la stabilisation, entre la poursuite de la diversification et la consolidation d'un modèle économique singulier.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez les ressources budgétaires dont vous disposerez pour 2013 et pour le triennum. Cette présentation nous sera d'autant plus précieuse que nous ne disposons toujours pas des documents budgétaires qui nous permettraient d'avoir une vue d'ensemble sur ces ressources.

Nous n'avons ni le document de politique transversale, le « DPT », qui retrace l'ensemble des crédits vous concernant, ni les réponses aux questionnaires budgétaires relatives à l'AFD. Je sais que vos services ne sont pas en cause puisque les réponses nous parviennent de la direction du Trésor, mais je me dois de souligner la situation dans laquelle nous sommes et singulièrement les rapporteurs de devoir examiner un budget sans avoir les documents budgétaires adaptés.

Au-delà des crédits pour 2013, je souhaiterais que vous nous exposiez la stratégie de votre agence sur quatre points :

- l'accompagnement du printemps arabe : c'est un défi majeur : ces révolutions démocratiques ne doivent pas échouer, faute de développement économique et social. Nous devons les accompagner. Nous, l'Europe, la communauté internationale ;

- le Sahel ensuite : nous ne pouvons pas laisser cette région s'enfoncer dans le non-développement et devenir une zone de non-droit. C'est leur intérêt, c'est notre intérêt. A l'heure où une intervention militaire est, il faut être prêt pour l'après-crise ;

- l'Afrique : en attendant un hypothétique automne africain, qu'il faudra lui aussi, le cas échéant, accompagner, l'Afrique devra faire face, vous le savez, d'ici trente ans, au défi du doublement de sa population. La croissance de ce continent devra être à la hauteur d'un défi démographique, économique, alimentaire et environnemental majeur. Le développement de ce continent de 1,8 milliard d'habitants, c'est avant tout l'affaire des Africains, mais cela risque, si la croissance n'est pas au rendez-vous, d'être aussi la nôtre. C'est une priorité de votre agence, mais je comprends que compte tenu des moyens publics qui sont à votre disposition, vous avez plus de facilités à intervenir dans l'Afrique en croissance, que dans les pays les moins avancés dont la capacité d'emprunt est faible voire nulle, c'est-à-dire dans le coeur de cible de la coopération française, l'Afrique subsaharienne francophone ;

- le réchauffement climatique : L'AFD est aujourd'hui le principal opérateur de la lutte contre le réchauffement climatique à l'international. Le ministre a souhaité renforcer la dimension du développement durable dans le plan d'orientation stratégique de l'agence. Quelles sont les conséquences de cette inflexion sur votre action ?

M. Dov Zerah, directeur général de l'Agence française de développement (AFD). -Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci de me recevoir ce matin. C'est toujours un moment privilégié que l'échange avec les représentants du Parlement, dont l'influence sur la vie de l'Agence s'est encore renforcée avec la nomination d'un nouveau sénateur titulaire et de son suppléant au Conseil d'administration.

Après cinq années de très forte croissance, l'Agence est entrée en 2010 dans une phase de consolidation, pour absorber et gérer le doublement de son encours d'ici à fin 2013. La récente mission de l'Autorité de contrôle prudentiel a validé le bien-fondé des mesures prises depuis deux ans. Elle a notamment salué la création d'une direction des risques, rendue nécessaire par l'augmentation des risques et la mise en conformité avec la réglementation bancaire, qui exigeait une plus grande sécurisation des procédures de l'organisation. Elle a validé le nouveau système de délégations de signatures, plus sécurisant, mis en place en mars 2011, et a démontré son efficacité.

Cette consolidation s'inscrit dans un cadre stratégique clarifié avec un contrat d'objectifs et de moyens pour 2011-2013, dans lequel votre commission s'était impliquée. Le COM a fixé le cadre de notre action dès l'an dernier où l'Agence a atteint des résultats très positifs avec près de 7 milliards d'autorisations, des signatures et des décaissements en hausse. L'Agence a représenté en 2011, 31 % de l'APD française et les deux tiers de l'aide bilatérale.

Je tiens à souligner que ces excellents résultats ont été atteints avec une rationalisation des frais de fonctionnement. Entre 2005 et 2009, ils avaient plus que doublé, avec une croissance annuelle moyenne de 20 % sur la période. Les efforts produits dès l'été 2010 ont permis de modérer cette croissance, sans obérer l'activité de l'Agence : en 2011, l'Agence a eu une production financière supérieure de 15 % à celle de 2009, avec des frais de fonctionnement en diminution de 4 %.

Dans le même temps, nous avons  la commission est très au fait de cette situation - reversé un dividende de 55 M€ à l'Etat. Alors même qu'elle n'est pas un opérateur au sens de la LOLF, l'Agence prend sa part dans l'effort national de maîtrise des frais de fonctionnement.

Depuis 15 jours, notre cadrage stratégique est complet, avec l'approbation par notre Conseil d'administration du plan d'orientations stratégiques pour 2012-2016. Notre établissement, comme vous l'avez souligné, est riche d'une large palette d'instruments et sans doute complexe à comprendre, mais nous disposons avec ces documents stratégiques d'un cadre d'intervention clair.

Ce cadre intègre la volonté de nos autorités de tutelle de faire du développement durable le marqueur identitaire de l'Agence. Cela fait plusieurs années que l'Agence inscrit ses projets dans le développement durable ; nos mandats dans les pays asiatiques et latino-américains sont même strictement limités à des projets de croissance verte et solidaire. Cela fait plusieurs années que l'Agence finance des prêts de lutte contre le réchauffement climatique, évalue les effets environnementaux de ses projets, et notamment l'empreinte carbone, ou accorde des lignes de refinancement à des banques locales pour accompagner la transition énergétique et environnementale des entreprises. Nous accentuerons nos efforts en la matière. Nous allons mettre en place un « second avis - développement durable », c'est-à-dire que nous allons, volontairement, faire examiner chacun de nos projets, à chacune de ses étapes, sur chacun de ses impacts environnementaux. Nous serons précurseurs en cette démarche, ce qui ne fera que renforcer notre identité.

Notre action est bâtie autour du concept de « partenariats géographiques différenciés » et d'une priorité réaffirmée à l'Afrique subsaharienne. Dans chacune de nos cinq géographies, Afrique, monde arabo-musulman, continents asiatique et latino-américain, pays en crise, et Outre-mer, nous avons des priorités sectorielles précises, et des outils d'intervention adaptés : subvention, prêt bonifié ou non. Cela rendra notre action plus lisible, plus compréhensible.

La déclinaison des partenariats géographiques différenciés repose sur trois axes principaux :

- la concentration des subventions sur les pays pauvres prioritaires et sur les secteurs sociaux ;

- la concentration des subventions et bonifications d'intérêt sur l'Afrique subsaharienne (au moins 60 %) et la Méditerranée (20 %), et leur limitation sur les pays émergents (moins de 10 %).

- la concentration des interventions sur le secteur agricole et les infrastructures en Afrique subsaharienne, l'emploi, le développement urbain et le secteur financier dans les pays arabes, et enfin la croissance verte et solidaire dans les pays émergents.

L'Agence a d'ores et déjà réorienté son activité et augmenté l'effort financier consacré à l'Afrique subsaharienne :

- la part des subventions consacrées aux pays pauvres prioritaires est passée de 31 % en 2010 à 54 % en 2011, pour un objectif de 50 % en 2013.

- la part des subventions affectées à l'éducation et à la formation professionnelle en Afrique subsaharienne a doublé, passant de 9 % à 19 %, pour un objectif de 30 % à l'horizon 2013.

- en 2011, l'effort financier de l'Etat a été consacré pour 77 % à l'Afrique subsaharienne, contre moins de 60 % sur les trois années précédentes.

L'Agence a accru sa légitimité dans les pays émergents, dans le cadre d'un mandat clarifié, en faisant évoluer ses conditions initiales d'intervention, très critiquées. Nos interventions en Chine se font désormais sans coût pour l'Etat. Un résultat similaire, tout en respectant nos engagements, a été obtenu avec l'Inde. Il en est également de même au Brésil.

En cette période de difficultés économiques pour notre pays, la défense des intérêts nationaux prend une acuité toute particulière. L'Agence continuera de défendre le bien-fondé du déliement mais oeuvrera pour qu'au bout de nos projets, il y ait une entreprise française. Le déliement est une condition de la transparence de nos interventions. Il nous permet également de déclarer nos interventions au titre de l'APD, même à des conditions proches du marché, ce que nous ne pourrions pas faire si notre aide était reliée. Dans cette période difficile, il nous faut maintenir ce déliement, même si avec nos règles et contraintes, nous nous inscrivons dans la diplomatie économique souhaitée par le ministre des Affaires étrangères. C'est l'une des finalités du fonds dédié à la coopération technique, dont la mise en place constitue un élément structurant du POS. Sa création a récemment été annoncée par le ministre de l'Economie et des Finances. Sa dotation n'est cependant pas encore arrêtée.

L'atteinte des objectifs opérationnels passe par une mise en cohérence de nos moyens, au travers de la réaffirmation de deux priorités :

- le renforcement du capital humain, avec le maintien de la capacité de recruter : 258 recrutements ont été effectués depuis 2010. Dans le strict respect du COM, nous continuerons nos recrutements pour renforcer notamment le secteur de la comptabilité qui a fait l'objet de remarques de l'Autorité de contrôle prudentiel, ainsi que le système d'informations. Ces recrutements n'ont aucun coût pour l'Etat, puisque nous ne recevons pas de subvention de fonctionnement.

L'action de l'Agence s'inscrit dans le cadre de son réseau d'agences locales, mais également dans un réseau de plus en plus important de partenariats avec la BEI ou la KFW évidemment, mais également avec des pays comme le Japon ou la Corée du Sud. Si les bailleurs de fonds souhaitent maintenir des partenariats avec l'AFD, c'est que l'Agence a acquis une compétence sur l'ensemble des problématiques de développement et dispose d'une très large palette d'instruments ainsi que d'un vaste réseau de bureaux sur le terrain.

- enfin, le POS met l'accent sur la recherche d'exemplarité. Nous porterons une plus grande attention encore à notre responsabilité sociale et environnementale. En juin 2012, l'Agence a publié son premier rapport annuel dédié à la responsabilité sociale et environnementale qui nous a valu une note externe B+. Une nouvelle charte d'éthique professionnelle a été finalisée cet été. Nous approfondirons notre travail de mesure de nos résultats, pour assurer notre obligation de redevabilité. Enfin, très prochainement, notre Conseil d'administration aura à se prononcer sur un nouveau cadre de sécurisation financière, qui permettra à la maison d'accroître la transparence autour de l'utilisation de nos fonds.

Au total, notre Agence est aujourd'hui une maison :

- consolidée par un fonctionnement économe et efficace,

- renforcée par un cadre stratégique clarifié et rénové,

- exemplaire par sa démarche éthique et responsable.

M. Christian Cambon. - Le plan d'orientation stratégique (POS) souligne les contraintes qui pèsent sur vous, notamment au titre des risques que l'agence ne doit pas prendre, les ratios prudentiels ou ratios grands risques. Cela n'a-t-il pas pour conséquence de vouloir étendre votre champ d'investigation au-delà du réseau traditionnel ? L'application de ces ratios fait que la quantité de vos opérations est saturée dans un certain nombre de pays, comme au Maroc. Comment desserrer ces contraintes pour trouver une marge de progression suffisante ?

Ma deuxième question concerne la péréquation. Vos interventions dans des pays comme l'Inde ou la Chine génèrent-elles des soldes positifs permettant d'intervenir sous forme de don de façon plus efficace dans les 17 pays prioritaires ? La priorité à leur endroit se doit d'être maintenue !

Ensuite le POS prévoit la création d'un fonds dédié à l'expertise technique. Or de nombreux opérateurs existent déjà, comme France expertise internationale. N'y a-t-il pas un risque de déperdition d'énergie et de crédits ?

Enfin, vous avez évoqué la nécessité d'être présent sur le plan humain dans le plus grand nombre de pays, cependant le plafond d'équivalents temps plein vous freine ! Si l'on bascule ces personnes sur de nouvelles destinations, cela ne risque-t-il pas de se faire au détriment de l'Afrique ?

M. Dov Zerah -L'Afrique reste la priorité de notre politique. Si l'on prend l'ensemble de nos interventions réalisées en 2011, soit 7 milliards, dont 40 % en Afrique, mais 77 % des subventions et bonifications que nous délègue l'État sont concentrées sur l'Afrique subsaharienne. Dans cette région, nous sommes agence de développement principalement sur les secteurs sociaux, puisque une large part des subventions va aux secteurs de l'éducation et de la santé, tandis qu'ailleurs nous sommes banque d'influence.

Concernant les ratios prudentiels, nous sommes effectivement sous leur contrainte. Nous sommes près du plafond de nos possibilités d'intervention en Tunisie, au Maroc, en Afrique du Sud, en Turquie et au Vietnam. La question du Maroc se pose aujourd'hui, notamment dans la perspective de la réunion à haut niveau les 12 et 13 décembre entre les Premiers ministres français et marocain. Il existe des solutions tenant compte des contraintes budgétaires. Nous sommes en discussion avec la direction du trésor sur ces sujets, peut-être une solution pourra-t-elle s'inscrire dans le futur contrat d'objectifs et de moyens dès 2014.

Notre champ géographique est très étendu, nous sommes présents quasiment partout sauf dans quelques pays d'Amérique centrale et latine, comme le Pérou, l'Équateur ou la Bolivie. Certains pensent qu'il faut parachever le mouvement initié en 1998 avec la réforme institutionnelle.

Il n'y a pas de vase communiquant entre les pays émergents et les pays pauvres. Etait-ce une bonne idée d'augmenter à 17 le nombre de pays prioritaires ?Pour certains, nous n'avons pas suffisamment de ressources en subventions ; pour ma part je ne m'inscris pas dans ce discours. Nous pouvons faire plus que 0,46% du revenu national brut si nous acceptions de faire plus de prêts. La grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui est l'alternance entre tentatives de concentration et satisfaction des demandes. Ainsi certains projets en Afrique subsaharienne ont été différés pour pouvoir répondre à d'autres demandes en dehors d'Afrique sub-saharienne. Les crédits que nous avons et ceux en provenance de la future taxe sur les transactions financières devraient nous permettre d'accomplir notre mission dans les conditions stratégiques définies par les différents documents.

Le fonds dédié à l'expertise technique est un moyen de répondre aux demandes des entreprises sans remettre en cause le déliement de l'aide. Pourquoi la Chine, qui a 3 000 milliards de réserves, serait intéressée par les 150 millions d'euros de l'Agence Française de Développement ? Ils n'ont pas besoin de notre argent, mais de notre savoir-faire ! Il existe une offre d'entreprises françaises en matière de développement durable, d'efficacité énergétique, d'eau, de transports urbains ... Le fonds de coopération technique servira à amorcer le mouvement. Nous pourrons alors dépêcher des assistants techniques qui pourront nous aider à élaborer des projets, à faire des études de faisabilité. Mais ce n'est pas de la gouvernance économique, puisqu'il s'agit d'un secteur sur lequel nous ne sommes pas habilités à intervenir. On compte 17 000 assistants techniques en Allemagne, 12 000 en Grande-Bretagne, et seulement 600 en France ! Il y a un véritable trou dans notre dispositif, et à l'heure où notre pays met en place les emplois d'avenir, il y a là une piste à creuser. Dans cette période de restriction budgétaire, il convient d'être vigilants sur le capital humain, nous ne devons pas perdre de compétences.

M. Jean-Claude Peyronnet. -Je suis d'accord avec votre analyse sur les pays prioritaires, malgré tout, les chiffres dont nous disposons sont préoccupants : 60 % des subventions leur sont destinées, pourtant l'AFD ne consacre que 25% de l'effort financier de l'État à ces pays. Pour un pays entier, cela représente un budget communal ici !

Ensuite concernant le monde rural, on constate un accaparement des terres africaines, vendues ou louées par les multinationales, au détriment des paysans de la culture vivrière. Cela provoque en conséquence un exode rural avec toutes les difficultés que cela génère en termes de travail, de niveau de vie ... Quelle est votre politique en ce domaine ? Pouvez-vous intervenir pour le maintien d'une agriculture paysanne permettant de ralentir l'exode rural ? En Chine, l'exode est freiné à 1 %, ce qui représente tout de même 12 millions de personnes qui migrent vers les villes.

Enfin vous avez reçu ces dernières années un certain nombre de compétences de la part de l'État. Faut-il prolonger ce mouvement, voire devenir un prestataire de services auprès des ambassades ?

M. Dov Zerah -Nous avons connu depuis 1998 une évolution institutionnelle se traduisant par des extensions géographiques et sectorielles. Faut-il aller au bout ? Certains secteurs, comme la culture, l'enseignement supérieur et la gouvernance, sont hors de notre champ d'intervention. Nous ne sommes pas en mesure de répondre aujourd'hui au domaine culturel. Sur l'enseignement supérieur, nous sommes compétents sur les autres niveaux d'enseignement, et sommes sollicités parfois pour financer des projets d'enseignement supérieur ? Enfin, sur la gouvernance, il s'agit d'un sujet particulier qui pourrait mériter quelques évolutions. Nous sommes à la disposition des Ambassadeurs, participons aux réunions de service, fournissons des expertises ... et cela fonctionne plutôt bien. Nous travaillons actuellement avec la direction du Trésor sur la compétence macroéconomique. Bercy a un réseau de conseillers économiques à double casquette, à la fois de prévision macroéconomique et d'animation et de développement du commerce extérieur de la France. L'accord que nous finalisons avec la direction du Trésor prévoit que la surveillance macroéconomique dans 6 pays pilotes serait assurée par l'AFD.

Enfin, à propos des terres, il s'agit d'une véritable tragédie, au même titre que la question de la gestion des forêts. Des prédations s'effectuent, certains pays laissent faire. Nous essayons de promouvoir dans toutes les opérations de développement rural les organisations de producteurs, les exploitations familiales, nous évitons le microcrédit en milieu urbain. Pour autant ce problème de la gestion des terres reste important.

M. Jacques Berthou. - Vous avez évoqué les procédures d'expertise interne de vos projets que votre agence met en oeuvre. Je remarque qu'il existe de nombreux organismes en France, telle France Expertise Internationale, qui sont actifs dans ce domaine : une mutualisation de leur action ne serait-elle pas profitable ?

Mme Nathalie Goulet. - M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a fait de la promotion de la diplomatie économique une priorité de son action. Ceci suppose, non seulement une coordination entre les différents ministères français compétents, mais également entre les grands partenaires internationaux actifs en la matière : comment s'opère-t-elle ?

Par ailleurs, quelle est votre appréciation de l'aide que l'Emirat du Qatar se propose d'apporter à nos quartiers urbains défavorisés ?

M. Dov Zerah - Même avec des moyens limités, l'Agence réussit à appuyer des projets très innovants, comme le métro_cable fonctionnant depuis 2002 à Medellin en Colombie, sur une initiative du maire de cette ville.

M. Christian Cambon. - Vous avez, lors de vos auditions précédentes, déjà évoqué cette réalisation dont je voudrais être sûr qu'elle est pleinement bénéfique pour la ville.

M. Dov Zerah - Cet équipement a incontestablement contribué à une meilleure gestion urbaine, et d'autres demandes d'assistance technique de ce type nous sont régulièrement adressées.

M. Jacques Berthou. -Ne vous heurtez-vous pas à des offres concurrentes présentées par d'autres pays développés ?

M. Dov Zerah - Nous sélectionnons les projets auxquels nous sommes en mesure de répondre. Pour asseoir les compétences de nos experts, nous bénéficions d'un centre de formation situé à Marseille.

Vous avez évoqué l'action du Qatar. Je la situerais dans les nombreuses stratégies de partenariat qui émergent dans le cadre de la mondialisation des échanges. L'Agence travaille ainsi avec la Banque islamique de développement, et intègre les contraintes spécifiques à la finance islamique, dont nous sommes considérés comme de bons connaisseurs.

Vous avez évoqué l'opportunité de partenariats avec les grandes fondations internationales. Nous en avons conclu, avec plus ou moins de succès. Notre partenariat avec la Fondation Bill Gates, qui agit dans le domaine de la santé ne donne pas de résultats satisfaisants. En revanche, notre partenariat avec la Fondation Aga Khan est très productif. Je remarque qu'il existe un indéniable problème de coordination des bailleurs. Dans ce domaine, nous travaillons étroitement avec la Banque européenne d'investissement, et la coopération allemande, en organisant des réunions trimestrielles pour harmoniser les projets à financer. De même, travaillons-nous de concert avec le Japon, pour des projets en Indonésie, au Vietnam, et aux Philippines.

M. Jean-Marie Bockel. - La coalition présente en Afghanistan élabore des projets pour accompagner la sortie du conflit. Dans ce cas, comme dans d'autres, j'ai le sentiment que l'aide au développement arrive parfois trop tard. C'est pourquoi il me semblerait opportun que votre Agence se penche d'ores et déjà sur le cas du Nord-Mali, dont l'une des causes de fragilité a été le non-respect de l'accord de paix conclu entre les autorités maliennes et les Touaregs, notamment sur le plan économique.

M. Dov Zerah - Nous avons, pour d'évidentes raisons de sécurité, suspendu les projets au Nord-Mali, mais pas au Sud, en dépit du fait que le Mali soit en arriéré vis-à-vis de l'AFD. Nous élaborons des projets post conflit pour le Mali, la Syrie, ou le Yémen. Au Mali, nous reprendrons des projets en matière d'hydraulique pastorale et villageoise à Kidal, et développerons, dans tout le pays, des actions en matière d'agriculture et d'élevage. Il faut cependant rappeler que l'Agence n'intervient que sur la demande des pays partenaires.

Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Bertrand Auban et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 455 (2011-2012) autorisant la ratification de la convention relative à l'Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA)

M. Bertrand Auban, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous rappelle que l'ASECNA a été créée en 1959, dans la perspective de la prochaine indépendance de nos colonies d'Afrique, pour permettre à la France d'assister ces pays dans le contrôle de leur espace aérien.

L'Agence qui avait, à sa création, le statut d'établissement public, devint un établissement de droit international en 1974. Puis plusieurs modifications ont été apportées à ce statut de 1980 à 1991.

La présente convention, conclue à Libreville en 2010, vise à donner une base juridique stable à ces évolutions.

L'Agence réunit 18 Etats membres dont la France (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée équatoriale, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, Comores, Guinée Bissau). Sa mission est de fournir les services de navigation aérienne dans l'espace aérien africain de ses Etats membres. L'ASECNA assure le service d'information de vol et le contrôle en route, ainsi que le contrôle d'approche et d'aérodrome sur les principaux terrains d'aviation. Elle gère donc un certain nombre d'installations au sol dans le domaine de la navigation aérienne et de la météorologie ainsi que des moyens de lutte anti-incendie. A cette mission « communautaire », peuvent s'ajouter des « activités nationales », telles que la gestion de plateformes aéroportuaires dans le cadre de contrats conclus avec les Etats.

L'ASECNA gère un espace aérien d'une superficie de 16 millions de km², soit 1,5 fois l'Europe, divisé en 6 régions d'information en vol telles que définies par l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI).

Elle supervise à ce titre 10 centres de contrôle régionaux, 57 tours de contrôle, 25 aéroports internationaux et 76 aéroports nationaux et régionaux.

Le siège de l'Agence est à Dakar. L'Agence dispose d'une délégation à Paris et d'une autre à Montréal auprès de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI).

Son budget de fonctionnement s'élève à 199,7 milliards de francs CFA (soit 304,4 millions d'euros) en 2012, dont 71,8 milliards de francs CFA (109,4 millions d'euros) pour le budget d'investissement, avec 63,2 milliards de francs CFA pour les dépenses d'équipements.

Le financement de l'Agence repose sur les redevances facturées aux compagnies aériennes utilisant ses services. Si la contribution française était, au départ, essentielle au fonctionnement de l'Agence, le paiement des redevances par les compagnies aériennes lui a progressivement permis d'être autonome financièrement. Outre qu'elle ne fournit plus d'experts techniques, la France, qui était le seul Etat membre de l'ASECNA la subventionnant, a supprimé sa contribution financière en 2011. Celle-ci s'était élevée à 300 000 euros en 2010.

Les redevances de vol sont donc en hausse, car on constate une croissance du trafic aérien dans la zone de l'Agence. Le nombre de vols contrôlés en route s'élevait en 2009 (derniers chiffres disponibles) à 436 000 vols, dont 262 300 au titre du trafic intra-Afrique, 113 100 pour le trafic Europe-Afrique, 34 100 pour le trafic Europe-Amérique, 14 700 pour le trafic Asie/Moyen Orient-Afrique et 9 600 pour le trafic Amérique-Afrique.

Les principaux aéroports sur la base des mouvements commerciaux de 2009 sont Pointe Noire, Dakar, Brazzaville, Libreville et Douala.

La présente convention intègre les révisions effectuées au statut de l'Agence depuis 1974.

Ces révisions ont été introduites dans un contexte international de renforcement de la sécurité en Afrique, notamment à l'initiative de l'OACI qui en a fait une priorité majeure. Il importait donc d'assurer une mise en conformité avec certaines obligations essentielles de l'OACI, en particulier la séparation opérateur/régulateur.

Une nouvelle organisation, les Autorités africaines et malgaches de l'Aviation civile (AAMAC), devra assurer les tâches techniques de certification et de surveillance de l'ASECNA. Le Traité relatif à la création des AAMAC a été signé le 20 janvier 2012 à Ndjamena.

Par ailleurs, la situation juridique qui prévalait depuis 1974 n'est pas satisfaisante : outre les lacunes juridiques concernant la gouvernance de l'Agence, les Etats membres étaient potentiellement soumis à un risque d'appel en garantie en cas d'accident d'aéronef et pouvaient être considérés comme solidaires des dettes de l'Agence.

Pour limiter les risques liés à cette position, il est apparu nécessaire d'engager une révision de la Convention de Dakar avec pour principaux objectifs de mettre en place les conditions d'une meilleure gouvernance et mettre fin à la responsabilité financière des Etats en cas de défaillance de l'Agence, en particulier en introduisant une obligation pour l'Agence de contracter une assurance à un niveau suffisant pour couvrir les accidents d'aéronefs imputable aux services de la navigation aérienne.

Vous trouverez dans mon rapport écrit le détail des révisions opérées par le présent texte au regard du statut de 1974.

En conclusion, je vous rappelle que la France, qui a été l'un des membres fondateurs de l'ASECNA, et a apporté un soutien financier et technique important à l'Agence jusqu'à une période très récente, se doit de ratifier cette convention avant son entrée en vigueur, au début 2013.

Ce texte a déjà, en effet, été ratifié par 11 des 18 Etats membres, soit plus que le tiers requis par son entrée en application.

Je vous engage donc à adopter la présente convention, comme l'a déjà fait l'Assemblé nationale, et à prévoir son examen en séance publique sous forme simplifiée, conformément à la décision prise par la conférence des présidents du 17 octobre 2012.

M. Jean-Marie Bockel. - L'ASECNA fonctionne avec difficulté. La présence de la France au sein de l'Agence apporte certaines garanties de sécurité, mais le ciel africain est marqué par un taux élevé d'accidents.

La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.

Accord sur le transport aérien entre le Canada et la Communauté européenne et ses Etats membres - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 715 (2011-2012) autorisant la ratification de l'accord sur le transport aérien entre le Canada et la Communauté européenne et ses Etats membres.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part, ont signé le 17 décembre 2009 un accord sur les transports aériens.

Cet accord s'inscrit dans le cadre de la « feuille de route » adoptée par le Conseil de l'Union européenne en juin 2005 visant à développer la politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine de l'aviation civile. Un des objectifs de cette politique est de conclure des accords aériens globaux avec les partenaires clés de l'Union européenne se substituant aux accords aériens bilatéraux existants entre les États membres et des États présentant des intérêts particuliers pour l'Union européenne. Le premier accord de ce type a été signé avec les États-Unis d'Amérique en avril 2007.

La Commission européenne a négocié avec le Canada les termes de cet accord pour le compte de l'Union européenne et de ses États membres en vertu d'une décision du Conseil du 2 octobre 2007 l'autorisant à ouvrir ces négociations.

Outre la résolution des problèmes juridiques posés par les accords bilatéraux de certains États membres, le mandat de négociation fixait comme objectif général la création d'un espace aérien commun au sein duquel les transporteurs aériens européens et canadiens pourraient offrir librement leurs services avec des conditions de concurrence justes et équitables assurées notamment par le rapprochement des réglementations.

Ce mandat précisait également les domaines qui pouvaient être couverts par un tel accord d'ensemble, comme l'accès au marché, la libéralisation de l'investissement, les règles de concurrence et d'aides publiques, l'harmonisation des normes de sûreté et de sécurité à un niveau au moins comparable à celui exigé au sein de l'Union européenne ou encore l'environnement.

Le Canada était, pour sa part, disposé à des discussions de ce type, car il avait adopté, en 2006, une nouvelle politique internationale en matière de transports aériens intitulée "Ciel bleu", visant à négocier des accords plus ouverts en matière de transport aérien régulier international sur le modèle des accords de type "ciel ouvert". Ceux-ci prévoient la suppression de toutes restrictions relatives au nombre de transporteurs autorisés, aux fréquences de services ou aux types d'aéronefs utilisés, aux opérations en partages de codes ou à la tarification.

Le Canada a ainsi négocié de nombreux accords sur les transports aériens dans le cadre de cette politique, notamment avec les Etats-Unis d'Amérique, mais l'accord avec l'Union européenne et ses Etats membres est unique par la libéralisation totale de l'accès au marché, et par ses dispositions relatives à l'environnement ou à l'emploi, inédites dans un accord de transport aérien.

Les négociations entre l'Union européenne et le Canada ont commencé en novembre 2007. Le sommet Union européenne/Canada, organisé par la Présidence française de l'Union européenne le 17 octobre 2008, a été l'occasion de confirmer la nécessité d'une conclusion rapide des négociations.

L'accord a finalement été signé à Bruxelles en décembre 2009.

Ce texte prévoit la création d'un espace aérien commun dans lequel les transporteurs canadiens et de l'Union européenne auront in fine une totale liberté pour desservir, dans des conditions de concurrence équilibrées, les liaisons entre le Canada et l'Union européenne, pour fournir des services à l'intérieur du territoire des Etats parties, c'est-à-dire les droits de cabotage et pour proposer des vols au-delà de cet espace commun. Le stade final d'ouverture des marchés doit être atteint progressivement, en fonction des évolutions de la législation canadienne sur l'investissement étranger dans les transporteurs aériens.

Concrètement, le trafic de passagers entre l'Union européenne et le Canada est en croissance régulière, malgré une chute consécutive à la crise de 2008. Le nombre de passagers est ainsi passé de 8 613 000 en 2005 à 9 290 000 en 2010.

Les membres de l'Union européenne ayant le plus fort trafic de passagers avec le Canada sont le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas.

L'accroissement prévisible de l'offre entre l'Union européenne et le Canada, à la suite de l'entrée en vigueur du présent accord, devrait se traduire par une réduction des tarifs et une augmentation des possibilités de voyage entre les villes canadiennes et européennes au bénéfice des consommateurs.

Comme pour toute libéralisation, les résultats éventuellement positifs ne pourront être observés qu'au terme de quelques années d'application. Ce texte a, d'ores et déjà, le mérite de réduire les obstacles administratifs dans ce domaine, et d'étendre au Canada un accord du même type déjà conclu avec les Etats-Unis.

Il convient dont que la France le ratifie, comme l'ont déjà fait le Danemark, l'Espagne, l'Estonie, la Hongrie, l'Italie, la Lettonie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède et la Slovénie.

Je vous engage donc à adopter ce projet, et à prévoir son examen en séance publique en forme simplifiée, conformément à la décision prise par la Conférence des Présidents du 17 octobre dernier.

La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.

Accord relatif aux pêches dans le sud de l'océan Indien - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. André Trillard et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 714 (2011-2012) autorisant la ratification de l'accord relatif aux pêches dans le sud de l'océan Indien.

M. André Trillard, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, vous savez que les ressources de la mer ont cessé d'apparaître inépuisables, du fait de l'augmentation des besoins d'une population en progression, qui a engendré des campagnes de pêche de plus en plus lointaines avec des équipements de plus en plus sophistiqués.

La gestion inadaptée des ressources marines vivantes et les perspectives de surexploitation, voire de disparition des stocks ont été perçues depuis longtemps pour certaines espèces, comme la baleine dans les années 30. Mais c'est surtout après 1945 que les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) se sont développées comme un moyen privilégié pour sauvegarder des ressources menacées par la pression démographique et l'industrialisation du secteur de la pêche.

Ces ORGP sont des organisations internationales qui se consacrent à la gestion durable des ressources halieutiques dans les eaux internationales. Les règles et le mode de fonctionnement de chaque ORGP sont adaptés à sa situation géographique et à ses priorités. Il en existe deux types : certaines sont responsables des grands migrateurs comme le thon ou l'espadon, d'autres, des espèces pélagiques, c'est-à-dire vivant en pleine mer, et démersales, c'est-à-dire vivant au contact du fond dans la zone marine littorale.

Vous savez que les compétences en matière de pêche ont été entièrement transférées à l'Union européenne, avec une exception pour les pays et territoires d'outre-mer non inclus dans le territoire de l'Union. L'Union européenne est déjà partie au présent accord. Dans le sud de l'océan Indien, l'Union européenne a, comme la France, le statut d'« État côtier », au titre de l'île de la Réunion, et celui d'État pêcheur car plusieurs navires battant pavillon de pays de l'Union y pratiquent la pêche. La France a la qualité pour devenir partie à l'accord, en son nom propre, aux côtés de l'Union, car les territoires d'Amsterdam et de Crozet sont des pays et territoires d'outre-mer.

Notre pays participe activement au renforcement de la gouvernance des pêches : elle est ainsi membre actif de la plupart des ORGP mondiales thonières et non thonières.

S'agissant de l'océan Indien, la France a un intérêt particulier à ratifier cet accord puisque l'insularité qui caractérise les territoires français de l'océan Indien lui confère une zone économique exclusive de 2,7 millions de km2, soit environ un quart du domaine maritime français.

L'océan Indien représente un quart des captures de la flotte de pêche française, tous poissons confondus, et de 62 % des prises de thonidés (cette proportion est de 3,5 % pour l'Atlantique, et de 1,9 % pour le Pacifique). La frontière entre sa zone économique exclusive (ZEE) et la haute mer est une des plus longues, dans la zone de compétence de l'accord : elle est donc un État côtier majeur qui doit veiller à ce que la pêche réalisée dans sa ZEE ne soit pas altérée par une surpêche qui aurait lieu en face de sa ZEE. Cet accord lui permettra de défendre ses ressources naturelles, en particulier les stocks pélagiques dits « chevauchants » (c'est-à-dire circulant entre sa ZEE et la haute mer), qui se situent majoritairement dans les eaux internationales jouxtant sa ZEE. Il lui donne également les moyens de combattre la surpêche pratiquée, en face de sa ZEE, par des États cherchant à optimiser leurs droits de pêche tant que l'accord n'est pas entré en vigueur.

Deux organismes existent déjà dans cette zone : la Commission du thon de l'océan Indien, compétente pour le thon et les espèces apparentées et couvrant les ZEE et la haute mer, et la Commission des pêches de l'océan Indien du Sud-Ouest, dont la France est membre. Mais, jusqu'à présent, aucune ORGP ne couvrait les espèces non thonières en haute mer. Le présent accord vise précisément à protéger ces espèces.

Conclu en juillet 2006 à Rome, sous l'égide de la FAO, il a pour objectif d'assurer la conservation à long terme et l'utilisation durable des ressources halieutiques dans l'océan Indien du sud-ouest par la coopération entre les Etats, et d'y promouvoir le développement durable des pêches. Cet objectif passe par le suivi de l'état des ressources halieutiques et de leur niveau d'exploitation, l'évaluation de l'impact de la pêche sur ces ressources halieutiques et le milieu marin, la coordination avec les États côtiers pour la conservation et la gestion des stocks chevauchants qui circulent entre les eaux sous juridiction de ces États et la haute mer, et l'élaboration d'un ensemble normatif visant, notamment, à éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite « pêche INN ».

Le budget de la future organisation, en cours de création, sera comparable à celui de l'ORGP du Pacifique Sud, soit 600 000 euros par an, dont 30 000 à la charge le la France.

Sur les onze Etats signataires (Australie, Comores, Union européenne, France, Iles Cook, Kenya, Madagascar, Maurice, Mozambique, Nouvelle-Zélande et Seychelles), quatre ratifications seulement sont intervenues à ce jour : celles des Seychelles, en 2006, de l'Union européenne en 2008, de Maurice, en 2010, et de l'Australie, en mars 2012.

La France doit ratifier cet accord qui tarde à entrer en vigueur. Je vous engage donc à l'adopter, comme l'a déjà fait l'Assemblée nationale, et à prévoir son examen en séance publique sous forme simplifiée, conformément à la décision prise par la conférence des présidents du 17 octobre dernier.

La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.

Convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. André Trillard sur le projet de loi n° 719 (2011-2012) autorisant la ratification de la convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires.

M. André Trillard, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, on constate que la pratique actuelle du recyclage des navires suscite de nombreuses difficultés. En effet, 80 % d'entre eux sont aujourd'hui démantelés au Bangladesh, au Pakistan et en Inde, dans des conditions peu respectueuses de la santé des travailleurs et de la protection de l'environnement. Or, ce sont de 200 à 600 navires de plus de 2 000 tonnes qui sont démantelés chaque année dans le monde. Le contexte actuel, marqué par le vieillissement de la flotte mondiale et la sortie de flotte des pétroliers à simple coque, réclame que ce problème soit rapidement résolu. C'est le but de la présente convention, adoptée à Hong-Kong le 15 mai 2009 dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI). Ce texte, destiné à assurer un recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, aborde l'ensemble du processus d'évolution des navires, de leur construction à leur démantèlement. Son application permettra d'améliorer la sécurité des travailleurs impliqués dans ce processus, la protection de l'environnement et la sécurité de la navigation. Ce texte s'applique aux navires de commerce, et impose notamment aux armateurs de fournir aux chantiers de démantèlement une liste des matériaux dangereux contenus dans les navires avant destruction.

Les principales substances toxiques sont l'amiante, les PCB et les résidus d'hydrocarbures.

L'OMI est une agence spécialisée de l'ONU créée en 1959. Son siège est à Londres. Elle compte 170 Etats membres et 3 membres associés : Hong-Kong, entré en 1967, Macao, en 1990, et les îles Féroé en 2002. Ces territoires appartiennent pour les deux premiers à la Chine et pour le troisième au Danemark.

Aucun de ces Etats, membres ou associés, n'a à ce jour ratifié le présent texte. C'est dire les réticences politiques et économiques que suscite cette nécessaire réglementation d'une activité abandonnée jusqu'ici à des pays pauvres, peu soucieux de la santé des travailleurs et du respect de leur environnement.

La France est donc la première à s'engager dans la voie de la ratification : ce texte a déjà été adopté par l'Assemblée nationale et devrait bientôt l'être, si vous y consentez, par le Sénat. Il ne règle certes pas tous les problèmes, notamment la pratique de l'échouage « sauvage » des navires sur les plages, couramment observée dans les trois pays déjà cités. Cependant, la signature du texte s'est accompagnée de l'adoption de plusieurs résolutions, dont l'une invitait les Etats membres de l'OMI à appliquer à titre volontaire les normes techniques relatives aux navires et à leur démantèlement.

On constate, depuis l'adoption de la convention, que les principaux Etats recycleurs comme l'Inde, le Bangladesh, le Pakistan, la Chine et la Turquie, se sont rapprochés de l'OMI pour organiser, dans un premier temps, des ateliers régionaux d'information. La Chine dispose de plusieurs installations conformes à la Convention. En mai 2012, elle a organisé un séminaire, auquel ont participé la Commission Européenne et des Etats membres de l'Union européenne, dont la France, qui a permis de présenter l'évolution de la réglementation chinoise en matière de démantèlement des navires, et de présenter des chantiers « pilotes ».

En mai 2010, l'administration maritime thaïlandaise et le secrétariat de l'Organisation maritime internationale ont organisé un atelier régional sur l'application des normes techniques de la présente convention. Il réunissait des associations de recyclage des navires des cinq États déjà cités qui recyclent la quasi-totalité de la flotte mondiale, et les principales associations nationales d'armateurs. Des experts des organismes des Nations unies, d'organisations inter-gouvernementales et non gouvernementales y ont également participé. Cette réunion n'a cependant pas débouché sur un accord, entre les industriels des principaux Etats recycleurs, obligeant les navires à disposer à bord de l'inventaire des matières potentiellement dangereuses prévu par la convention.

En juillet 2010, une réunion s'est tenue à Izmir, en Turquie, sur le thème du transfert des technologies et des connaissances dans le domaine du recyclage des navires. Le gouvernement a présenté l'approche réglementaire turque du recyclage des navires, du point de vue maritime, environnemental, et sous l'angle de la sécurité et de la santé des travailleurs.

Les représentants du gouvernement pakistanais et du secteur du recyclage des navires ont, quant à eux, organisé une session de travail visant à l'élaboration de plans d'action destinés à renforcer le cadre réglementaire et institutionnel au Pakistan.

De leur côté, les armateurs, les sociétés de classification et les industriels du démantèlement préparent l'établissement et l'utilisation des inventaires de matières dangereuses qui accompagneront les navires tout au long de leur cycle de vie. La France possède une expertise reconnue dans la réalisation d'inventaires de matières dangereuses de qualité. L'Allemagne, avec le Germanischer Lloyd, et le Royaume Uni, avec le Lloyd's Register, jouent également un rôle majeur dans ce domaine.

Il faut constater que les capacités de démantèlement européennes sont très faibles.

Plusieurs études ont été menées sur la création de filières de déconstruction de navires en Europe, et ont conclu qu'il est difficile aux industriels européens d'être compétitifs sur le marché des grands navires marchands, objet de la Convention de Hong Kong. Des industriels européens pourraient cependant mener des activités au sein des chantiers de démantèlement situés hors de l'OCDE, notamment en Chine. Les Etats européens conservent un marché de niche pour les navires militaires, les navires abandonnés et saisis, ainsi que les navires de moins de 500 000 tonnes.

Par ailleurs, l'Union européenne finance une coopération technique avec les Etats recycleurs par l'intermédiaire du Programme des Nations unies pour l'environnement. Elle finance également des recherches en partenariat avec ces pays avec les projets DIVEST (Dismanting of vessels with enhanced safety and technology) et SHIPDISMANTLING (démantèlement des navires).

En conclusion, je vous engage donc à adopter ce texte, et à prévoir son examen en séance publique sous forme simplifiée, conformément à la décision prise par la conférence des présidents du 17 octobre dernier.

M. Alain Gournac. - Il est regrettable que l'Europe ne parvienne pas à se doter d'une filière adaptée, qui aurait pour principal avantage d'inciter les Etats recycleurs à mieux protéger les populations qui oeuvrent dans ce domaine.

M. Philippe Paul. - La déconstruction d'un navire coûte 7 fois moins cher en Inde qu'en Europe.

La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.

- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -

Loi de finances pour 2013 - Programme préparation et emploi des forces de la mission « Défense » - Audition de l'Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne l'Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2013 (programme 178 : Préparation et emploi des forces de la mission « Défense » et programme 146 : Equipement des forces).

M. Daniel Reiner, président. - Amiral, soyez le bienvenu parmi nous pour cette audition dont l'objet est d'éclairer la représentation nationale sur les choix budgétaires du projet de loi de finances pour 2013.

Nous avons auditionné la semaine dernière le ministre de la défense qui nous a apporté une vision globale du budget de son département. Avec vous, il semble que nous ayons été entendus pour présenter un budget d'attente.

En votre qualité de responsable budgétaire, vous êtes directement en charge du programme 178 « préparation et emploi des forces », et vous êtes co-gestionnaire, avec M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, du programme 146 « équipement des forces ». Ensemble, ces deux programmes représentent 90 % de l'effort de défense de notre pays.

Nous souhaiterions donc que vous donniez votre sentiment sur l'évolution de ces deux programmes, et des choix qu'ils reflètent.

Nous avons beaucoup de sujets de préoccupation. Pour ne citer que les plus importants : la sous-estimation quasi chronique des rémunérations et charges sociales, les coûts de fonctionnement des bases de défense, les coûts de maintenance, la préparation opérationnelle. Je pourrais ajouter les déficits capacitaires en dépit de quelques annonces, en particulier sur les ravitailleurs. Mais nous attendons toujours la décision sur les drones MALE ou de suppression des défenses anti aériennes. Les rapports que nous avons publiés en juillet dernier en font une analyse exhaustive très inquiétante.

Nous souhaiterions également que vous nous fassiez part de vos réflexions sur l'évolution des choix capacitaires effectués et à venir. Vous avez dit, il y a peu de temps, qu'en « termes de capacités, la traduction intégrale de l'ambition politique qui nous a été fixée, n'est plus tenable ». Et par capacités, vous entendez à juste titre la combinaison d'un équipement, d'un savoir-faire et du personnel qui le met en oeuvre.

Cela nous renvoie à la commission du Livre blanc et à la future loi de programmation militaire (LPM). Les choix sont inévitables mais aucun n'est bon puisque nous devrons vraisemblablement réduire un format « juste insuffisant ». La trajectoire de la LPM précédente est devenue théorique mais les programmes, eux, s'inscrivent dans le temps long. Quelles sont les conséquences sur les programmes de la stabilisation des crédits inscrits dans la loi de programmation des finances publiques, un peu supérieurs à trente milliards d'euros ?

Ce sera au politique de décider du niveau d'ambition que nous retenons pour notre pays et aux militaires de le mettre en oeuvre. Comme ne cesse de le rappeler le président de notre commission, de notre sécurité et de notre défense dépend la bonne marche de l'ensemble des autres secteurs d'activité. La mission que vient d'effectuer notre commission à l'ONU permet de mesurer à quel point l'influence et le rayonnement de notre pays reposent, bien sûr sur notre diplomatie, mais aussi sur notre puissance militaire et notre contribution au maintien de la paix. Diminuer nos moyens militaires, c'est diminuer notre place dans le monde, c'est perdre en crédibilité internationale. L'idéal serait bien sûr de fixer un seuil minimal d'investissement pour la période de crise et de l'augmenter quand nous connaîtrons des jours meilleurs.

Nous souhaitons également vous entendre sur l'engagement de nos forces. Sortant un peu du strict cadre budgétaire, nous souhaiterions donc que vous nous fassiez un point de situation sur les différentes opérations en cours et leurs perspectives d'évolution. Comme vous le savez, le Sénat consacrera un débat en séance publique le 20 novembre sur le retrait et la coopération en Afghanistan.

Je terminerai précisément sur la coopération et notamment avec nos amis britanniques. Nous avons tenu la semaine dernière la quatrième réunion du groupe de travail qui réunit les quatre commissions chargées de la défense. Nous avons été frappés par la très forte volonté britannique, au niveau politique comme à celui de votre homologue, le général Richards, pour pousser notre coopération bilatérale, sans exclure, sous certaines conditions, de l'ouvrir à d'autres. Cette volonté repose aussi sur la constatation de retrait américain d'Europe. Nous partageons bien sur cette volonté qui doit s'inscrire dans le long terme et justement je me dois de vous interroger sur les perspectives de l'un des projets forts qu'est « ONE MBDA » et la filière missilière commune avec, en particulier, le missile anti navire léger.

Monsieur le Chef d'état major, je vous passe la parole avant de laisser les autres rapporteurs du programme 178 et du programme 146 vous poser leurs questions.

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Ce rendez-vous sur le thème du projet de loi de finances revêt une importance toute particulière en cette année d'élaboration d'un nouveau Livre blanc puis d'une nouvelle LPM.

La Cour des comptes a publié cet été son analyse de la problématique budgétaire des armées. Depuis, le ministre de la défense et ses grands adjoints se sont également exprimés sur le sujet. Les grands enjeux budgétaires des armées ne sont donc un secret pour personne.

Les problématiques des bases de défense, de l'A400M ou encore des espaces communs - abordés à travers la maritimisation ou le cyber - ne sont plus, non plus, un secret, depuis les rapports que votre commission a réalisés sur ces sujets. Vous me pardonnerez de ne pas revenir en détail sur les huit rapports publiés l'an dernier. Je tenais juste, en préambule, à souligner leur qualité et, outre leur vertu pédagogique, leur intérêt très réel pour les travaux que nous menons.

Au-delà de l'exercice imposé qui nous réunit cet après-midi, je suis très heureux de l'occasion qui m'est faite de vous fournir notre éclairage sur la situation de déséquilibre que connaîtront bientôt nos armées - pour ne pas dire qu'elles la connaissent déjà.

La situation à laquelle nous sommes confrontés est bien celle-ci : le modèle défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) de 2008 n'est plus soutenable, malgré les efforts consentis par l'Etat pour sa défense, malgré les efforts entrepris par les armées pour s'optimiser. Pour fixer les idées, depuis quinze ans et la fin de la conscription, l'outil de défense est dimensionné, en moyenne, à 32 milliards d'euros constants de 2012. Le nouveau projet de loi de programmation des finances publiques prévoit 29 milliards d'euros pour 2015. C'est clairement un changement de portage !

La conclusion est simple et sans appel : nos ambitions doivent être repensées. C'est ce à quoi travaille la commission du Livre blanc. A l'issue, nous devrons concevoir un modèle d'armées adapté à ces ambitions revisitées. Notez bien que je ne dis pas réduites, car on peut s'efforcer d'atteindre les mêmes effets par des moyens différents. C'est bien ce que fera le ministère de la défense, sous la direction de Jean-Yves Le Drian, lorsque le Président de la République, chef des armées, aura fixé le cap.

Nous sommes dans une situation difficile. Certaines difficultés sont structurelles, d'autres relèvent de conjonctures malheureusement persistantes. Le défi sera bien de concevoir puis de mettre en oeuvre la transition entre notre situation d'aujourd'hui et le modèle que nous définirons, au regard des contraintes budgétaires mais également des rigidités de court terme et de moyen terme de certaines de nos dépenses.

J'évoquerai, avant de rentrer dans l'analyse budgétaire, les opérations. Elles sont notre finalité, notre raison d'être. Elles sont le révélateur de la performance de nos capacités, c'est-à-dire tout ensemble de nos soldats, de notre matériel, de nos savoir-faire et de notre organisation. Je commencerai donc par parler de l'Afghanistan.

Vous le savez, 2012 aura été une année charnière pour les forces françaises, avec les décisions de désengagement. Le défi logistique est considérable mais il n'est qu'une partie de l'équation. Ce désengagement est une opération à part entière, en termes de planification et de conduite. En termes de vigilance également car, jusqu'au départ de notre dernier soldat, les risques sont réels. Pour l'heure, les échéances fixées par le Président de la République sont tenues.

Onze ans après nos premières reconnaissances aériennes sur ce territoire, nous pouvons - nous devons - être fiers du travail formidable réalisé là-bas par nos soldats, nos marins et nos aviateurs.

Nous avons joué un rôle majeur dans l' « afghanisation » des provinces placées sous notre responsabilité. Nous avons joué un rôle majeur dans la formation et l'encadrement des forces armées et de sécurité afghanes. Bien sûr, les choses ne se passent pas toujours comme nous le voudrions ici mais les progrès sont incontestables : j'en veux pour preuve la situation actuelle en Surobi, secteur que les Soviétiques n'avaient jamais réussi à pacifier en dix ans.

Je rends hommage à l'action de nos militaires, aux quatre vingt-huit d'entre eux qui ont vécu leur engagement jusqu'au don de leur vie, aux centaines d'autres qui ont été blessés dans leur chair, souvent de manière durable, parfois de manière irrémédiable. L'Afghanistan est trop souvent caricaturé par nos médias. Ne perdons pas de vue nos réussites et, à travers le sacrifice de ses soldats, le prix payé par la Nation. C'est notre responsabilité, c'est notre devoir de le dire !

Le succès de nos armes, ce sont aussi les missions de lutte contre la piraterie conduites au large de la Somalie. Succès de nos armes parce que, depuis le lancement de l'opération Atalanta, le nombre d'attaques réussies a diminué sensiblement : six depuis le 1er janvier 2012 contre vingt trois l'an dernier, sur la même période, et quarante sur les deux années précédentes. Atalanta est ainsi une opération concluante sur le plan militaire. Ce succès est bien sûr celui de l'ensemble des composantes impliquées, mais nos armées en portent une part significative, moyennant un coût raisonnable si l'on considère le volume des moyens engagés - 1,4 bâtiment porte-hélicoptères et quelques aéronefs en moyenne sur l'année. Atalante est enfin une opération fédératrice et motrice, emblématique de ce que peut faire l'Union européenne lorsqu'elle le veut. C'est d'ailleurs cette année que l'Union a autorisé les moyens engagés à mener des actions contre les bases logistiques à terre - elle est, parmi les coalitions internationales impliquées, la seule à l'avoir fait. Cette option n'a été utilisée qu'une seule fois pour l'instant mais elle constitue à mes yeux une avancée très positive : le traitement de la menace est nécessairement global.

L'efficacité de nos armées, c'est encore - pour prendre un exemple récent - la mise en place d'une antenne médico-chirurgicale en Jordanie, avec les militaires et la logistique nécessaires, dans des délais très brefs. Ce déploiement illustre à nouveau l'aptitude de nos armées, directions et services à combiner leurs capacités pour produire le résultat souhaité, dans un cadre toujours particulier. Je précise d'ailleurs que si nous avons pu répondre vite et bien, c'est parce que notre service de santé est pleinement intégré à la manoeuvre des armées.

Nos engagements à venir, le Président de la République en a dessiné les contours récemment, à la tribune des Nations unies. Ce pourrait être le soutien, notamment logistique, des forces africaines qui interviendront dans le nord du Mali pour aider cet Etat ami à recouvrer sa pleine souveraineté. La stabilisation de la zone sahélienne est pour nous aussi un enjeu de sécurité nationale.

L'évolution de la situation au Moyen-Orient pourrait nous confronter à des scénarios plus durs que ces dernières années -je pense, en plus des actions terroristes traditionnelles, à la menace sol-air et aux risques d'emploi et de détournement des armes de destruction massive. Nous savons tous que le régime syrien a développé des armes chimiques, mais vraisemblablement aussi des armes biologiques.

Ce parcours rapide de quelques-uns de nos engagements extérieurs en cours ou potentiels illustre la diversité de nos missions, des moyens engagés et des dispositifs projetés, dispositifs constamment optimisés.  Il souligne deux points essentiels, qui vont éclairer la suite de mon propos.

Le premier point, c'est l'intérêt de disposer d'un éventail capacitaire couvrant toute l'ambition c'est-à-dire capable, dans le cadre de cette ambition, de faire face à la diversité des situations et des menaces. Un éventail large, ce sont - même à volume redimensionné - des forces bien préparées, bien équipées et capables de durer. Ces qualités sont encore celles de nos armées, directions et services. Ce sont elles qui, lorsque le recours à la force s'impose, permettent à la France de concrétiser sa volonté.

Le deuxième point, c'est la nécessité de ne pas baisser la garde, pour pouvoir faire face à l'imprévu.

Disposer d'un éventail capacitaire large, ne pas baisser la garde, ce sont à la fois des enjeux du présent et de l'avenir. Enjeux du présent parce que l'action militaire s'impose souvent sans préavis. Enjeux d'avenir parce que la capacité d'intervention ne se décrète pas : elle se construit sur la durée et s'entretient au jour le jour, dans le temps long des ressources humaines et des programmes, que vous avez rappelé tout à l'heure. C'est aussi une affaire de crédibilité, qui se construit également dans la durée. C'est l'objet de la loi de programmation militaire et de sa traduction annuelle, la loi de finances. Là encore, les finances sont une condition de la crédibilité.

J'avais déjà évoqué devant l'Assemblée nationale, en juillet, les grandes lignes de l'exécution de la programmation militaire 2009-2014. Ce qu'il faut en retenir, c'est que cette exécution a été globalement conforme jusqu'en 2011, du moins en ce qui concerne les paiements et donc les livraisons des matériels. Pour ce qui est des commandes, les contraintes de la programmation budgétaire triennale 2011-2013 nous avaient déjà obligés à reporter la plupart des lancements de programmes nouveaux. En tout état de cause, 2012 marque une rupture, dont nous savons aujourd'hui qu'elle est irréversible.

2009-2011, tout d'abord.

Malgré un certain nombre de dépenses non programmées que nous avons dû financer, nous avons bénéficié sur la période de 98 % des ressources attendues. Vous noterez que les 2 % manquants correspondent à 1,9 milliard d'euros, soit près de deux années de production du Rafale ou dix avions ravitailleurs MRTT (Multi Role Transport and Tanker), ou encore l'intégralité du programme MUSIS, qui est le successeur du satellite d'observation Hélios !

Nous avons malgré tout poursuivi notre effort en faveur des équipements, engagé la transformation de nos structures, la revalorisation de la condition du personnel et atteint en avance de phase nos objectifs de réduction du format.

Dans le domaine du renouvellement des équipements, nous avons réceptionné quasiment ce qui était prévu. Nous avons également commandé, sur cette période, une bonne partie des matériels prévus, à l'exception, pour 2011, des programmes nouveaux. La fiche dont vous disposez résume ce bilan.

La transformation de nos structures, c'est la rationalisation et la mutualisation des implantations et des modes de fonctionnement. 85 % des réorganisations prévues auront été réalisées à la fin de cette année.

La difficile manoeuvre des ressources humaines s'est jusqu'ici déroulée conformément au rythme prévu, et même plus rapidement. 30 000 des 54 000 postes prévus sur le périmètre de la mission défense avaient été supprimés fin 2011. Nous étions à cette date en avance de 1300 emplois. Cette avance sera portée à la fin 2012 à environ 3 600 emplois, soit de l'ordre d'une demi-annuité de déflation, en tenant compte de la mesure de gel de 10 % du recrutement 2012, soit 2 000 emplois, inscrite dans la lettre plafond pour 2013 pour réduire nos dépenses de masse salariale.

Pour autant, tout n'a pas été nominal. Nos difficultés ont débuté dès l'été 2010. En effet, la PBT 2011-2013 a exercé une pression substantielle sur la programmation. Cette pression s'est manifestée par le décalage de 1 à 3 ans de la plupart des programmes futurs (MRTT, LRU - lance roquettes unitaire, rénovation des Mirage 2000D, flotte logistique), une contrainte forte sur le fonctionnement (- 7,5 % en 2012 par rapport à 2010) et une baisse progressive de l'activité de préparation opérationnelle, notamment traduite par une diminution des crédits d'entretien programmé des matériels sur la période. Les opérations extérieures restent bien sûr prioritaires et l'on n'est plus très loin d'une armée à 2 vitesses, avec ceux qui font la guerre et les autres. Or, l'armée à deux vitesses n'est jamais une bonne solution !

A partir de 2012, la trajectoire des ressources diverge encore plus nettement de la trajectoire de référence de 2008. La pression budgétaire s'est encore accrue suite à la révision à la baisse des prévisions de croissance et aux objectifs de redressement des comptes publics.

En tenant compte des lois de finances rectificatives et du gel de crédits supplémentaires intervenu en juillet, les crédits de 2012 sont désormais en recul de 1,2 milliard d'euros par rapport à l'annuité de la LPM. Conjugué à l'écart cumulé de 1,9 milliard d'euros fin 2011 et sans préjuger des conditions de la fin de gestion 2012, ce recul dépassera ainsi les 3 milliards d'euros à la fin de cette année.

La fin de gestion 2012 est sous tension. Sont déjà formellement identifiés les surcoûts OPEX et la hausse du carburant opérationnel pour un total de 250 millions d'euros. En outre, la levée des réserves n'a pas encore été obtenue. Enfin, le déficit structurel du titre 2 est en cours de consolidation. La LPM prévoit des clauses de sauvegarde pour les OPEX, le carburant opérationnel et le titre 2. Il est essentiel qu'elles soient appliquées. A défaut, nous devrons ponctionner des ressources sur les crédits d'équipement et aggraver le volume de nos factures en attente de paiement en fin d'année, autrement dit notre report de charges.

Je voudrais faire une dernière remarque, avant de clore ce volet sur la gestion 2012. Je sais que l'on entend dire ici ou là que nous pourrions faire beaucoup mieux si nous étions mieux organisés. Il est vrai que plusieurs organisations sont possibles, mais elles dépendent toutes des hommes. Un exemple : le titre 2 du ministère de la défense, dans lequel s'inscrivent les armées. Il représentait cette année 11,4 milliards d'euros. Nous sommes en fin de gestion 2012 avec un « trou de prévision » de l'ordre de 200 millions d'euros, soit moins de 2 % (1,7 très exactement). Sur ces 200 millions d'euros, 140 sont la conséquence de facteurs exogènes. Nous ne nous sommes donc trompés que sur 60 millions d'euros, soit 0,5%. Cela me paraît tout à fait correct !

Je vois aussi des risques dans le domaine des ressources humaines. Les économies décidées imposent un gel des recrutements d'environ 2 000 personnes sur 2012-2013 et, une nouvelle fois en 2013, une diminution des mesures catégorielles. En termes de taux de retour des économies dégagées par les déflations, celui du ministère s'est établi à 33 % en 2011 et 20 % en 2012. Il atteindra 30 % en 2013, ce qui est nettement inférieur à la norme en vigueur de 50 %. Le moral est déjà fragile, ce ne sont pas ces mesures qui vont l'améliorer !

Après cette introduction sombre, quel est le bilan capacitaire, rapporté aux priorités déterminées par le Livre blanc de 2008 ?

Le plan de modernisation de la dissuasion a été respecté. Le quatrième SNLE de la classe « Triomphant », Le Terrible, a été admis au service actif fin 2010 avec le nouveau missile M-51. L'adaptation des trois premiers SNLE est lancée, elle sera achevée en 2018. La composante aéroportée a atteint le format défini par le Livre blanc, avec deux escadrons de chasse dotés du nouveau missile ASMP-A.

La fonction stratégique « Connaissance et anticipation » était prioritaire. Tous les objectifs ne sont pas atteints, par exemple pour les drones MALE - le ministre de la défense a lancé une remise à plat volontariste du dossier pour une décision à brève échéance. D'autres programmes sont en retard pour des raisons liées à des difficultés techniques ou de coopération.

La fonction « Connaissance et anticipation » a cependant été correctement dotée et soutenue dans les arbitrages, malgré les contraintes financières que j'ai évoquées. On peut citer le lancement de plusieurs programmes majeurs, dont les satellites MUSIS. Pour les matériels en service, « Connaissance et anticipation » a bénéficié régulièrement de la procédure des urgences opérationnelles ou d'acquisitions accélérées : soutien des drones Harfang en Afghanistan, capteurs infrarouge des ATL2, etc.

Les fonctions « Protection » et « Prévention » ont été préservées. Au final, c'est surtout la fonction « Intervention » qui a fait l'objet des arbitrages les plus sévères. Et nous touchons là un paradoxe : cette fonction est emblématique des armées et la densité opérationnelle a été très élevée sur la période !

Le ministre a confirmé que le budget de 2013 serait un budget d'attente et de transition, c'est-à-dire un budget ne préemptant pas les conclusions du LBDSN.

Je constate que les crédits sont globalement identiques à ceux de la LFI 2012, la baisse des crédits budgétaires devant être compensée par une hausse équivalente des prévisions d'emploi des ressources exceptionnelles.

Dans ces conditions, la priorité accordée à l'activité des forces et à l'entretien du matériel a été intégrée :

Les crédits d'activité permettront de financer au plus juste la préparation opérationnelle dans un contexte de diminution des engagements en opérations extérieures. « Au plus juste », c'est-à-dire 10 à 15 % en dessous des normes annuelles d'activité définies par la LPM.

Les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels retrouvent quelques couleurs, avec une augmentation de 8% par rapport à la LFI 2012, ce qui permettra d'accompagner au mieux la mise en service des matériels nouveaux, dont le coût de maintenance est supérieur à celui des matériels qu'ils remplacent.

Malgré tout, ce niveau de ressources nécessite de nombreuses économies sur le fonctionnement courant, c'est-à-dire le fonctionnement hors activité opérationnelle, la masse salariale et - surtout - les équipements.

Le fonctionnement courant baisse de 7 % entre 2012 et 2013, dans le respect des directives gouvernementales. Cette baisse s'ajoute à celle effectuée lors de la précédente programmation budgétaire triennale, qui s'appliquait elle-même à une programmation initiale déjà ambitieuse en termes d'économies. Les bases de défense ont pourtant dû être accompagnées avec un budget abondé à 720 millions d'euros, dont 20 millions d'euros de fonds de concours, financé par redéploiement au sein du fonctionnement des armées.

La masse salariale est en baisse de plus de cent millions d'euros, sous l'effet principalement du gel des recrutements en 2012 et de la diminution des mesures catégorielles.

Pour les équipements, il a été décidé de reporter au-delà de 2013 la plupart des commandes qui pouvaient l'être. Ces reports évitent de générer des situations irréversibles avant le vote de la prochaine LPM, avec des ruptures capacitaires irrémédiables, des ruptures de capacités industrielles de développement et de fabrication, ou des ruptures contractuelles. C'est le Délégué général pour l'armement qui serait le mieux à même de développer ces derniers points.

Parmi d'autres opérations d'armement, ont été maintenus en 2012 et 2013 la commande de 34 hélicoptères NH-90 TTH, le lancement du standard F3-R du Rafale, le lancement du MRTT et la réception de la FREMM « Aquitaine ».

Les mesures d'économie réalisées sur les équipements représentent 850 millions d'euros. Au total, la diminution des engagements atteint 5,5 milliards d'euros sur 2012 et 2013, dont près de 4,5 milliards d'euros sur les seules opérations d'armement. C'est, sur deux ans, plus de la moitié d'une annuité du titre 5 !

Ces décalages préservent les choix futurs. Mais ils impliquent dans l'immédiat des aggravations ou de nouvelles réductions temporaires de capacité, une prolongation d'équipements à bout de souffle, des limitations dans la protection des forces ou dans leurs capacités de déploiement. C'est le cas des hélicoptères et des avions de transport tactique, des véhicules logistiques terrestres et plus globalement des véhicules blindés VAB et VBL de l'armée de terre, sans oublier les navires de soutien hauturier BSAH en métropole ou outre-mer. Dans ces conditions, sur le terrain, les problèmes risquent d'être logistiques avant d'être tactiques !

A plus long terme, cette accumulation de décalages en peu de temps complique notre capacité à préparer l'avenir en termes d'équipements. Toutes les opérations d'armement sont concernées, les équipements principaux comme les équipements secondaires. On y perd en cohérence !

Pour finir, ces mesures de report ou d'annulation de commandes touchent également fortement l'infrastructure, à hauteur de 750 millions d'euros sur 2012 - 2013.

Le projet de loi de finances 2013 est donc un projet de loi de finances de transition. Le décrochage des ressources amorcé dès 2011 avec l'impossibilité de consommer les ressources exceptionnelles des cessions de fréquences, puis les lois de finances de règlement de 2012, se poursuit et surtout s'amplifie. Je rappelle que le modèle sous-tendu par la LPM en cours était bâti, entre autres, sur une prévision d'augmentation en volume des ressources de 1 % par an à partir de 2012. Dans les faits, le budget de la défense diminuera de 4 % en valeur sur la période 2012-2015.

Au résultat, la divergence entre les ressources aujourd'hui prévues et la programmation initiale atteint 10 milliards d'euros sur la période 2013-2015, soit quasiment une année de masse salariale du ministère hors pensions ou la totalité du programme des six Barracuda. Si je prolonge les tendances actuelles, cet écart sera de 40 milliards d'euros en 2020, soit 130 % du budget total de toute une année !

Vous l'aurez compris, l'écart actuel n'est pas de l'ordre de l'ajustement. Il impose de revoir les ambitions. Pour mémoire, l'effort de défense était, aux normes OTAN - c'est-à-dire hors pensions et hors gendarmerie - de 2 % du PIB en 1997 avant de se stabiliser entre 1,6 % et 1,7 % au cours des 10 dernières années. Il est aujourd'hui de 1,55 %. Il dépassera à peine 1,3 % à l'horizon 2015. Vous connaissez la situation des finances publiques. Clairement, le modèle en vigueur n'est plus soutenable. Nous devrons penser autre chose et nous devrons penser autrement.

C'est tout l'enjeu de la préparation du nouveau LBDSN, puis de la prochaine LPM.

Ce que nous attendons tous du Livre blanc, c'est d'abord une ambition pour notre défense. Inutile de dire : nous saurons tout faire, et nous saurons le faire partout ! Nous savons que c'est aujourd'hui hors de notre portée.

A ce stade des travaux, je voudrais vous faire part de trois idées forces :

Première idée force : la situation budgétaire ne doit pas brider la réflexion stratégique, la réflexion sur les ambitions. Ne construisons pas la maison en commençant par le toit ! Il faut commencer par les fondations et les fondations, ce sont nos ambitions : quelles menaces, quels risques devons-nous prendre en compte ? Que voulons-nous faire, où et avec qui ? Bien sûr, la situation économique est une donnée à prendre en compte, mais ce n'est pas la donnée d'entrée.

Deuxième idée force : quel que soit le niveau d'ambition déterminé, la cohérence de notre modèle d'armées est primordiale : nos capacités doivent être adaptées aux réponses que nous souhaitons apporter ! Nos capacités doivent être soutenables financièrement, aussi longtemps que nécessaire - je veux bien sûr parler de tout ce qui constitue une capacité : des hommes et des femmes, de l'activité opérationnelle, des équipements, le soutien. C'est une question d'efficacité militaire. C'est aussi une question de résilience. C'est encore et toujours une question de crédibilité, sur la scène internationale.

Troisième idée force : toute réforme ajoutée à la réforme présente un risque. D'abord, parce qu'elle ne laissera pas le temps de tirer tous les dividendes de la réforme actuelle. Ensuite, parce qu'elle pourrait soulever des défis insoupçonnés alors qu'une réforme est toujours une période de vulnérabilité. Je rappelle que l'échéance de notre transformation était fixée à 2015 ! Pour illustrer cette pensée, 2 réflexions de bon sens. Première réflexion : ne réparons pas quelque chose qui n'est pas cassé ! Deuxième réflexion : ne démontons pas une montre pour savoir pourquoi elle marche !

Pour terminer le volet financier de mon intervention, je voudrais insister sur mes inquiétudes de court terme.

Quelles que soient les orientations stratégiques que le Président de la République, avec le gouvernement, aura définies, orientations qui modèleront les capacités et le format futurs de notre outil de défense, respecter le niveau de ressources fixé par la programmation budgétaire triennale sera très difficile.

Cette transition devra prendre en compte non seulement - et bien entendu - les difficultés budgétaires du pays, mais aussi les rigidités des dépenses du ministère à court terme, celles notamment de masse salariale, d'entretien des matériels, de préparation opérationnelle ou de fonctionnement courant. Le tout en s'efforçant de préserver les programmes nouveaux ainsi que la base industrielle et technologique de défense.

L'exercice sera très difficile parce que nos degrés de liberté sont peu nombreux.

Première contrainte : les déflations d'effectifs de la LPM en cours s'étalent jusqu'en 2015, aller au-delà impliquerait des dissolutions d'unités de combat supplémentaires. Les marges de manoeuvre sur la masse salariale sont donc faibles.

Deuxième contrainte : les marges de manoeuvre sur le fonctionnement courant sont désormais réduites à leur plus simple expression. Vous qui êtes au contact des réalités locales, demandez aux commandants des bases de défense ce qu'ils en pensent ! Et même si de nouvelles restructurations venaient à être décidées, seules à même de générer des effets d'échelle, elles ne produiraient pas d'économie à court terme.

Troisième contrainte : l'activité opérationnelle, je vous l'ai dit, est en-deçà des objectifs de la LPM. Le ministre de la défense a obtenu que les crédits qui y sont consacrés soient plus importants en 2013. Nous ne pouvons que nous en réjouir parce que ces crédits atteignent aujourd'hui un seuil qui remettrait en cause le choix d'une armée polyvalente et homogène, celle qui garantit réactivité, souplesse d'emploi et endurance.

Quatrième contrainte : les crédits d'entretien du matériel, en retrait de  550 M€ par rapport aux prévisions initiales sur 2009-2012 et qui croissent en 2013, devront être soutenus à l'avenir en raison de la montée en puissance de matériels nouveaux, sauf à dégrader davantage une disponibilité technique déjà moyenne.

J'ajoute d'ailleurs que, dans ce domaine du maintien en conditions opérationnelles (MCO) de nos matériels, les réorganisations conduites par la Défense ne laissent pas entrevoir de nouveaux gisements d'économie en interne. Hormis l'augmentation des financements, la seule voie de progrès, ce sont les efforts des industriels...

Cinquième contrainte : les programmes d'armement sont rigides, d'une part, par le niveau d'engagements récent, d'autre part, par le fait que, pour dégager des économies, nous avons fait des commandes globales, enfin parce qu'il y a déjà eu en 2009 une grande vague de négociations pour contenir les financements. La réouverture des contrats, toujours difficile, risque d'être sportive ! Là encore, c'est le DGA qui serait le mieux placé pour vous en parler.

Si je devais résumer ces inquiétudes, ces inerties, ces rigidités, je dirais que la défense est comme un grand navire : lancée à 32 Md€, on ne peut pas réduire sa vitesse aussi rapidement qu'on le voudrait !

Cela ne veut pas dire qu'il n'existe aucune alternative à la situation extrêmement tendue que nous connaissons, surtout si l'on considère chacun des leviers que je viens d'aborder.

Mais attention, ces leviers sont tous liés, de manière indissociable : toute action sur l'un se répercutera sur les autres. Ne me demandez pas de choisir aujourd'hui : c'est la déclinaison de l'ambition nationale définie par le Livre blanc qui déterminera le levier à privilégier !

Les militaires sont bien conscients des difficultés économiques et budgétaires. Nous sommes solidaires, nous ne nous sommes jamais dérobés. Les armées sont totalement mobilisées pour identifier et mettre en oeuvre de nouvelles voies.

Les armées prennent d'ores et déjà toute leur part dans ces travaux, qui nous engagent tous, vous, nous et tous nos concitoyens, au service de la place de la France dans le monde.

Je vous remercie.

M. André Dulait, rapporteur pour avis du programme 178. - Sur l'Afghanistan, la voie aérienne semble être privilégiée par rapport aux deux autres voies. A-t-on une idée de combien cela coûterait ? La répartition des compétences entre les grands commandeurs sur la base du décret de 2009 date maintenant de plusieurs années. Quel bilan en faites-vous ? Que pensez-vous de l'idée de créer une grande direction générale du soutien ?

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Si l'ensemble de nos forces et de nos équipements était évacué par la voie aérienne, cela coûterait une centaine de millions d'euros. Pour l'instant, la voie du sud est toujours fermée. Les Pakistanais la rouvriront quand les sept mille conteneurs entassés à Karachi auront été traités, et cela ne semble pas être pour demain. La voie du nord est compliquée et, du reste, la portion la plus difficile se trouve en Afghanistan. Un convoi américain est parti il y a plusieurs mois pour tester la viabilité de cette route. Il est resté bloqué six mois au nord de l'Afghanistan du fait des douanes afghanes et n'est toujours pas arrivé à Riga. Pour l'instant, nous sommes donc sur un retrait exclusivement aérien, qui s'achèverait au mois de juin prochain, à condition que les conditions météorologiques le permettent.

S'agissant des décrets de 2009, nous avons pour l'instant une organisation qui repose sur trois pôles : le secrétariat général pour l'administration, la délégation générale pour l'armement et l'état-major des armées. On pourrait envisager d'en augmenter le nombre. Pourquoi pas quatre voire cinq ? Mais encore une fois, pourquoi vouloir réparer quelque chose qui marche bien ? Les idées dont nous parlons viennent d'un pays qui fait militairement moins que la France et qui dispose de 35 % de crédits en plus. Donc l'idée d'avoir une direction générale du soutien n'est pas selon moi une bonne idée. Si nous fonctionnons bien, c'est précisément parce que nous ne faisons pas que de l'opérationnel, mais aussi du soutien. Pour bien faire du soutien, il faut avoir selon moi l'expérience de l'opérationnel.

M. Jacques Gautier, rapporteur pour avis associé du programme 146.- Les opérations extérieures -OPEX- ont au moins deux avantages. Elles donnent du sens à la mission des personnels et elles améliorent la solde. Ne pensez-vous pas que la réduction de ces OPEX va réduire l'attractivité des carrières militaires ? Par ailleurs, dans un environnement budgétaire de plus en plus contraint, avez-vous exploré toutes les voies d'économies possibles en termes d'externalisation ? Je sais que DCI, par exemple, propose un programme de surveillance côtière à partir d'avions bimoteurs, beaucoup moins chers à l'heure de vol que les ATL2 ou même les Falcon. Par ailleurs, il serait peut être possible de leur confier la gestion de certaines parties des camps d'entraînement sur lesquels on pourrait par exemple mettre des panneaux solaires. On pourrait aussi envisager la formation des pilotes de chasse. Le ministre de la défense a annoncé le lancement du programme MRTT. Mais peut-être pourrait-il s'agir d'avions commerciaux rénovés et non pas d'avions neufs. Quels sont selon vous les deux programmes essentiels qu'il faudrait à tout prix sauvegarder ?

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Vous me demandez quels doigts je dois me couper, alors que je suis musicien et que j'ai besoin de mes dix doigts pour jouer du piano. S'agissant de l'attractivité de l'armée de terre, nous avions en moyenne onze mille hommes en OPEX sur les dix dernières années après près de treize mille sur la décennie précédente. En 2013, nous n'en aurons plus que cinq à six mille. Pour beaucoup, c'est vrai, c'est un facteur déterminant de l'attractivité des carrières. Mais d'autres, comme les marins par exemple, se considèrent en OPEX chaque fois qu'ils prennent la mer. De toutes les façons, il va y avoir une réduction de format. Cette réduction ne pourra plus cette fois-ci se faire de façon homothétique. Certains souffriront plus que d'autres.

Sur l'externalisation, je dirais ceci : les raisons pour lesquelles nos amis britanniques ont des dépenses de défense plus élevées que les nôtres tiennent à trois séries de considérations :

- l'organisation en tuyaux d'orgues de leur ministère qui limite les synergies et donc les économies possibles ;

- les soldes qui sont les doubles des nôtres, sauf en OPEX, car elles ne changent pas ;

- et enfin, précisément, l'externalisation.

Lorsque nos amis ont eu besoin d'aller chercher leurs ressortissants au fin fond d'une vallée pakistanaise avec des avions de transport externalisés, l'entreprise affréteuse a dit oui, mais les assureurs ont dit non. Donc, personnellement je suis en faveur du « tout patrimonial ». C'est vrai que, pour la formation des pilotes, on peut y réfléchir. Pour ce qui est de l'implantation de panneaux solaires, on a essayé déjà sur une base désaffectée, et je crois que cela n'a pas donné de bons résultats. Enfin, sur la surveillance maritime, je n'y suis pas favorable. Nous sommes quand même au coeur des activités régaliennes de l'Etat. En revanche, pour ce qui est de la protection des thoniers, pourquoi pas ?

M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis du programme 146.- Pourriez-vous nous faire un bilan d'étape de la coopération militaire entre les forces armées britanniques et françaises depuis la fin de l'opération en Libye ? Est-ce que l'excellence de ces relations a perduré depuis ? Comment voyez-vous évoluer cette coopération en matière de porte-avions ? En matière de sous-marins ? Sur le projet d'un missile anti navire léger (ANL), nous revenons de Londres avec quelques collègues où nous étions allés dans le cadre du groupe du travail parlementaire franco-britannique mis en place par nos quatre commissions. Notre sentiment est que nos amis britanniques tiennent beaucoup à ce programme pour des raisons opérationnelles et que ce programme pourrait bien se trouver, malgré sa petite dimension budgétaire, sur le chemin critique de la coopération franco-britannique. Ce serait quand même dommage de mettre en péril cette coopération pour une trentaine de millions d'euros par an...

Quels sont les principaux besoins opérationnels de nos armées en matière satellitaire ? S'agit-il d'alerte avancée, d'écoute électromagnétique, d'observation optique, de satellites de télécommunications ? Si vous deviez hiérarchiser vos besoins, quelle liste établiriez-vous ?

Enfin, comment voyez-vous évoluer dans les quinze prochaines années l'aviation de combat ? A quoi serviront exactement les drones UCAV sur lesquels tout le monde travaille, aux Etats-Unis et ailleurs ? Les nations vont dépenser, ont déjà dépensé des centaines de millions d'euros sur ces concepts - près de 500 millions d'euros pour NEUROn et son démonstrateur DEMON. Est-ce que vous avez une idée des doctrines d'emplois futurs de ces équipements militaires ?

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Sur la coopération franco-britannique, il y a tout d'abord la coopération opérationnelle. Elle se poursuit à grande vitesse. Nous serons après-demain en Corse avec mon homologue britannique pour un exercice naval qui s'appelle Corsican Lion. Tout est fait pour que nous puissions nous déployer de façon conjointe, sous le commandement de l'un ou de l'autre. J'ai des échanges constants avec mon homologue britannique, sur des questions très sensibles.

Concernant la coopération industrielle, c'est plus compliqué. Mais le DGA vous en parlera mieux que moi. En matière de porte-avions, les Britanniques, pour des raisons qui leur sont propres, ont construit leur porte-avions dans des conditions économiques qui font que cela leur coûtera le double de ce que cela leur aurait coûté s'ils l'avaient fabriqué en France. Ils ont fait un choix d'avions - le JSF à décollage vertical -, sont revenus sur ce choix puis, au final, l'ont rétabli à nouveau. Le fait est qu'ils n'auront rien avant 2020, dans le meilleur des cas. Donc l'interopérabilité est inexistante. Sur les sous-marins, nous avons beaucoup essayé. Le DGA en particulier a mis beaucoup d'énergie dans cette affaire. Mais les liens des Britanniques avec les Américains, ou plus exactement la perception qu'ont de ces liens nos amis britanniques, est telle que peu de chose est possible : entre 2 et 5 %. Le jeu n'en vaut pas la chandelle, même si, je vous l'accorde, c'est totalement ridicule que Thales UK fasse un sonar, et Thales France un autre. On ne peut pas bâtir de stratégie ainsi, et donc aucune économie n'est possible.

Sur l'ANL, c'est un des doigts que vous me demandez de me couper. Si vous me demandez si j'en ai besoin, la réponse sans l'ombre d'un doute est oui. Je n'ai aucun armement sur mes frégates entre le canon de 100 mm et le missile Exocet. Les Britanniques en ont autant besoin que nous et se refusent à mettre en l'air des hélicoptères de frégates non armés. Si vous me demandez si je dois me priver d'un autre programme pour le financer, la réponse est non. C'est une question de priorité.

Pour l'UCAV, je dois reconnaître qu'au départ j'étais contre les drones armés, pour des raisons morales. J'ai été convaincu par l'utilisation de ces drones lors des offensives de Benghazi et de Misrata. J'ai changé d'avis. L'UCAV est plus compliqué. C'est un avion de combat. La coopération Dassault-Bae en ce domaine fait du sens. L'UCAV doit être fait par un avionneur. Mais cela ne règle pas le problème des conditions légales d'emploi. Il faut aussi définir les concepts d'emploi.

Pour les satellites, en matière de télécommunications, nous sommes dans une problématique de renouvellement. Les Britanniques ont l'expérience de l'externalisation puisqu'ils ont déjà renouvelé une fois leurs satellites et sont en train de négocier leur troisième contrat. Donc, on sait par expérience que l'externalisation coûte moins cher. C'est en conséquence une voie sur laquelle il convient de s'engager. En matière de satellites d'observation, les Britanniques n'en ont pas du tout. Pour nous, il s'agit de renouveler Hélios 2B. C'est pour partie le projet Musis. Nous avons l'accord des Allemands pour cofinancer deux satellites. Il en faudrait trois. Pour les radars et l'écoute électromagnétique, c'est le projet Cosmos Skymed avec les Italiens et SarLupe avec les Allemands. Notez bien que les Allemands ont créé de toutes pièces un concurrent à ASTRIUM, alors quand on parle de coopération, il y a parfois une grande distance de la coupe aux lèvres. Pour l'écoute, nous avons besoin de Ceres, non seulement pour ses fonctions propres, mais pour d'autres également qui tiennent à la dissuasion nucléaire. On a déjà repoussé ce programme. On cherche des coopérations, mais on n'en trouve pas. Sur l'alerte avancée enfin, avec le successeur de Spirale, nous avons là-encore essayé de convaincre nos partenaires européens et nous n'avons obtenu aucune réponse.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Nous vous avons écouté avec beaucoup d'intérêt et avons apprécié votre franchise. Vous nous incitez à penser autrement pour essayer de conserver nos ambitions par d'autres moyens. Néanmoins, les Etats-Unis se retirent du Moyen-Orient et du champ européen. Cela aura inévitablement des répercussions sur notre protection. Or, nous ne pouvons nous permettre d'accroître nos moyens militaires pour d'évidentes raisons budgétaires. Afin de résoudre cette équation impossible, ne serait-il pas souhaitable de réintroduire le facteur « temps » ? Faire en sorte que nous acceptions des lacunes temporaires, mais pas des abandons de capacités afin de pouvoir remonter en puissance le moment venu ? En même temps, l'on voit que réduire l'effort de défense à 1,3 % du PIB n'est pas raisonnable.

Dans le Nord-Mali, la France a décidé d'apporter son soutien, mais j'ai du mal à comprendre à qui ; s'agit-il des forces maliennes ou bien des forces de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest ? Quoiqu'il en soit, avez-vous l'intention d'y mettre les moyens ?

Enfin, qu'en est-il du programme de LRU ?

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - S'agissant du LRU, il sera livré en 2014. Concernant le rapport au temps, celui-ci intervient de façon importante en matière stratégique et se décline de plusieurs façons, la première étant la prospective. Quelle sera la menace dans vingt ans ? Or, il n'existe pas en France de structure suffisamment développée pour faire de la prospective efficace. Il y a bien les Directions des les affaires stratégiques du ministère de la défense et des affaires étrangères, mais elles n'y suffisent pas. La Commission du Livre blanc avait comme horizon temporel - c'est dans sa lettre de mission - vingt à trente ans. Mais comment tout prévoir ? Les résurgences existent. L'improbable à court terme - par exemple un conflit conventionnel en Europe - peut redevenir probable à moyen-long terme. C'est pour cela qu'il faut éviter les abandons de capacités et prévoir la réversibilité des décisions d'équipement. Malheureusement, comme nous sommes déjà très bas, on va perdre des capacités et les réacquérir sera très difficile. Où va-t-on terminer ? Cela va dépendre de nos ambitions. Il faudra qu'on nous donne des indications précises sur la projection, en fonction du triplet : quantité/qualité, durée, élongation.

J'attends les choix qui seront faits dans le cadre de la Commission du Livre blanc. Mais cela risque de se traduire par des abandons temporaires et non pas par des réductions temporaires. D'où la nécessité de mutualiser. Cela veut dire qu'on se repose entièrement sur un allié, il nous faut donc des garanties en termes d'accès à la capacité, d'instantanéité et de réciprocité. Si j'estime avoir besoin tout de suite de la brigade franco-allemande pour faire face à un péril imminent, je ne peux pas attendre l'autorisation du Bundestag.

En ce qui concerne le Mali, nous avons arrêté notre coopération militaire en janvier dernier et l'avons reprise la semaine dernière. Le problème est que l'armée malienne a perdu la quasi-totalité de son encadrement supérieur et que cela prend du temps à reconstruire. De plus, l'identification de l'ennemi à combattre ne paraît pas toujours la même vu d'Europe et vu du Mali.

M. François Trucy - Le poids des armées américaines étant ce qu'il est, est-ce que nous avons des éléments pour savoir ce qui va se passer, dans les discours des deux candidats en lice ?

M. Yves Pozzo di Borgo - Est-ce que vos services maîtrisent suffisamment les critères de performance ? Est-ce qu'il n'y a plus de marge de progression en termes d'efficacité de la dépense, notamment en matière de soutien ?

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - En ce qui concerne la situation aux Etats-Unis, il faut savoir qu'en fond de tableau, si le budget à la fin de l'année n'est pas équilibré, le Congrès, à majorité républicaine, va procéder à ce qu'ils appellent une « séquestration » qui va se traduire par le gel de cinq cent milliards de dollars de crédits en moins sur dix ans. Si Mitt Romney est élu, et qu'il continue à disposer d'un Congrès républicain, il a déjà dit qu'il n'y aurait pas de séquestration. Obama n'a rien dit. Mais la perspective d'une séquestration décuple d'ores et déjà l'agressivité des entreprises américaines à l'export. Sur l'emploi des forces, les différences entre les deux candidats sont à peine perceptibles. Il n'y aura pas de repli sur soi. Il y aura un pivotement vers le Pacifique qui va consacrer le grand retour de l'amphibie, du reste clairement annoncé dans leur Livre blanc. Les Etats-Unis espèrent que l'Europe va s'occuper d'elle même.

Sur le soutien, cela fait dix ans que l'on cherche des marges partout et aucun autre ministère n'a fait autant d'efforts que celui de la défense nationale.

M. Daniel Reiner, président. - Je vous remercie. La séance est levée.