Mercredi 10 avril 2013

- Présidence de M. Raymond Vall, président -

Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) - Audition de M. Philippe Duron, président de la commission « Mobilité 21 »

La commission procède à l'audition de M. Philippe Duron, président de la commission « Mobilité 21 », chargée d'évaluer le schéma national des infrastructures de transport (SNIT).

M. Raymond Vall, président. - Vous avez été désigné par le ministre des transports, au mois d'octobre dernier, pour présider une commission de dix membres chargée de revoir le schéma national des infrastructures de transport (SNIT). Ce schéma avait donné lieu, à l'époque, à des débats très animés au Sénat, avec le ministre notamment.

En février dernier, vous avez prononcé une sorte de discours de la méthode, en distinguant :

- les projets déjà engagés - « les coups partis » ;

- les projets à lancer dans les dix prochaines années ;

- les projets à mener ultérieurement.

Sur quels critères allez-vous répartir ces projets ?

Sur quels moyens pensez-vous raisonnable de pouvoir compter dans les dix ans qui viennent ?

Comment s'articule votre travail avec les récentes annonces sur le Grand Paris ? Nous avons entendu, au sein de notre commission, le préfet Guyot à ce sujet.

M. Philippe Duron, président de la commission « Mobilité 21 ». - Merci pour cette invitation, qui intervient à quelques semaines de la fin de la mission qui nous a été confiée. Elle me permet de faire le point sur notre méthode et l'état de nos réflexions. Dans la mesure où nous n'avons pas rendu tous les arbitrages, je n'indiquerai pas les projets retenus, ni leur ordre de classement.

Le SNIT appartient à une génération de documents qui a marqué la dernière décennie, comme la loi d'aménagement et de développement durable du territoire de 1999. Elle abordait la mobilité des passagers et celle des marchandises, avec une approche nouvelle qui consistait à répondre à la demande plutôt que d'opter pour une politique de l'offre. Mais elle était peu diserte sur les infrastructures à réaliser, les chaînons manquants, la modernisation des itinéraires... Le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, avec Gilles de Robien notamment, a alors mené une démarche d'inventaire, qui a abouti au comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) de 2003. Ce dernier a eu la vertu de poser, en même temps, la question des projets et celle des ressources. Les dividendes des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) ont été affectés au transport. Mais ce document manquait de précision. Le SNIT est venu compléter cet exercice, en dressant une liste de projets mieux évalués et plus détaillés. Il comporte toutefois deux défauts : celui de ne pas être financé, alors que le CIADT de 2003 l'était, et celui de ne pas avoir été accompagné d'un exercice de planification et de programmation. Il recense 75 projets, qui représentent un budget de 245 milliards d'euros, sur un horizon de 25 ans, ce qui pose quelques difficultés en termes de soutenabilité financière...

L'objectif de la mission mixte et pluraliste que je préside est de faire des propositions en matière de mobilité en général, mais aussi de classer les projets. Elle est composée de parlementaires, de sachants et de haut-fonctionnaires. Les sénateurs sont représentés par Michel Delebarre, ancien ministre de l'équipement, ainsi que Louis Nègre, membre de votre commission, qui m'a demandé de bien vouloir l'excuser aujourd'hui. Bertrand Pancher, de l'UDI, André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine, ainsi qu'Eve Assas, d'EELV, vice-présidente de la commission des finances, ainsi que votre serviteur représentent les députés. En font également partie Yves Crozet, spécialiste de l'économie des transports, président du Laboratoire d'économie des transports de Lyon, Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances, ancien directeur de l'INSEE, ancien Commissaire au Plan, Marie-Line Meaux, ancienne directrice-adjointe du cabinet de M. Gayssot, présidente de section au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ainsi que Patrice Parisé, également président de section au CGEDD et ancien directeur des routes. Cette mission s'appuie sur trois rapporteurs : outre Dominique Ritz, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national à la direction générale des infrastructures de transport, rapporteur général de la commission, qui m'accompagne aujourd'hui, la commission s'est appuyée sur deux rapporteurs, l'un venant du Trésor, l'autre de la DATAR. L'équipe est donc pluridisciplinaire.

Le périmètre de travail de cette commission est celui des projets inscrits au SNIT, à l'exception de ceux qui ont déjà été engagés. Nous entendons par là les projets dont les travaux ont été lancés, ou pour lesquels des concessions ont été octroyées ou des contrats de partenariat public-privé conclus. Ce dernier cas est celui de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes notamment. La ligne ferroviaire Lyon-Turin, qui fait l'objet d'un traité international, peut être considérée comme déjà engagée : nous ne pouvons qu'émettre un avis à ce sujet. En revanche, les projets qui ont déjà fait l'objet de débats publics ou d'une déclaration d'utilité publique peuvent encore être discutés ou classés. Un autre dossier a été ajouté par rapport au SNIT : celui de l'A51, dans les Alpes-de-Haute-Provence entre le col de Fau et la Saulce.

Quelle approche avons-nous retenue pour classer les projets ? Les outils à notre disposition se sont révélés insuffisants. Il y a certes des évaluations socio-économiques monétarisées, que ce soit le taux de rentabilité interne (TRI) ou la valeur actualisée nette (VAN) par euro investi, que nous avons d'ailleurs privilégiée. Nous y avons ajouté trois critères : l'adéquation aux objectifs de la politique des transports en France, définis par le Gouvernement, tels que la prise en compte des territoires de proximité, la lutte contre la fracture territoriale, l'amélioration de la compétitivité économique des territoires, etc., les critères environnementaux et enfin les critères sociétaux, qui mesurent l'impact des projets sur la vie de nos concitoyens. Celui-ci peut être positif, lorsque les déplacements domicile-travail sont facilités, ou négatif, lorsque les infrastructures créent des nuisances.

Une fois ces critères fixés, il a fallu leur donner une consistance et les rendre opérationnels, ce qui n'était pas faisable avec nos moyens. Nous nous sommes donc appuyés sur le CGEDD. Nous avons également consulté le conseil d'analyse stratégique (CAS), qui travaille sur la révision des valeurs tutélaires. Enfin, pour interroger la pertinence des grands projets, nous avons fait appel aux équipes du Commissariat général à l'investissement.

Ce travail a duré plusieurs mois. Il a fallu compléter les évaluations, dans la mesure où tous les projets ne disposaient pas du même niveau de maturité. Certains sont très anciens, d'autres plus récents. L'évaluation n'est pas toujours complète au niveau de l'impact environnemental ou socioéconomique monétarisé. Comme il n'était pas possible, en six mois, de demander à chaque porteur de projet de compléter ces évaluations, nous avons demandé au CGEDD de se prononcer « à dire d'expert », afin d'avoir un échantillon le plus homogène possible. Voici ce que je souhaitais vous dire au sujet de la méthode que nous avons employée.

J'en viens aux principales considérations qui se sont dégagées de nos travaux. La nécessité de renforcer les réseaux de communication existants a été soulignée à de nombreuses reprises. Elle prévaut sur le lancement de grands projets. Ensuite, toute une série de noeuds, menacés de congestion, doit être prise en compte de façon prioritaire. Je prendrai l'exemple de Lyon qui est dans une situation extrêmement tendue : les TGV peuvent être ralentis avant leur entrée dans la métropole, les TER peuvent avoir 10 à 20 minutes de retard aux heures de pointe, les trains de marchandise ne peuvent plus y transiter.

Un autre sujet important réside dans l'amélioration systémique des transports. Je prendrai l'exemple de nos ports, qui sont dans une situation dramatique par rapport aux autres ports européens. Il est essentiel d'améliorer l'interface avec l'hinterland.

S'agissant des projets à grande vitesse, tous les modes de transport sont-ils nécessairement pertinents à tous les endroits ? Entre les TGV et les TER, il manque un chaînon, parce qu'on a laissé dépérir les trains Corail, qui étaient un mode intermédiaire. Rien n'a été imaginé pour les remplacer. Aujourd'hui, des propositions imparfaites sont formulées, qu'il s'agisse de la rénovation des TGV de première génération, ou du gonflement des Régiolis. Elles ne répondent pas à l'enjeu, qui est de trouver un outil robuste relativement rapide mais aussi confortable. Il faut permettre aux territoires de trouver des solutions adaptées, en fonction des distances ou de la population.

Enfin, un travail doit être réalisé au niveau de la soutenabilité financière. On travaille actuellement sur les chroniques financières de l'AFITF. La projection peut aller jusqu'à 2030, mais après, l'exercice est plus hasardeux. Les marges de manoeuvre sont très serrées, et les ressources sont déjà très largement engagées, puisque quatre lignes à grande vitesse sont lancées : la ligne Loire-Bretagne, la ligne Sud-Europe-Atlantique, la deuxième phase du TGV Est et le contournement Nîmes-Montpellier. Elles vont consommer l'essentiel des crédits de l'AFITF pour les six prochaines années, si tant est que ses moyens restent constants, à hauteur de 2,2-2,3 milliards d'euros par an.

Nous aurons ensuite une relative respiration financière, sous réserve que le Lyon-Turin et le canal Seine-Nord ne viennent s'ajouter aux quatre projets de lignes à grande vitesse. Il nous faut donc réfléchir selon trois temporalités :

- premièrement, l'achèvement des projets engagés. Deux lignes se feront en financement classique : la Lyon-Bordeaux et la LGV Est deuxième phase. Les deux autres lignes se feront en PPP : la Loire-Bretagne et le contournement de Montpellier-Nimes, qui seront donc des engagements de plus long terme. Les moyens disponibles vont donc s'élargir avec le temps. Les autres projets éventuellement financés ne pourront pas être majeurs, sauf à trouver des recettes nouvelles ;

- dans une deuxième phase, seront réalisés d'autres projets dont les études auront été engagées dès la première phase ;

- enfin, à l'horizon 2030-2050, resteront les projets qui ne pourront pas être financés de manière prioritaire. Ceux-ci relèvent de deux catégories : les projets qui ne sont pas mûrs aujourd'hui, et les projets de moindre pertinence économique, sociale ou territoriale.

Je conçois que cette typologie des projets que je vous présente puisse inquiéter chacun de nous, dans nos territoires respectifs. Mais je rappelle que l'Union européenne elle-même envisage la réalisation du réseau central européen à l'horizon 2030, et celle du réseau global européen à l'horizon 2050 seulement. Il s'agit de projets budgétivores, qui demandent forcément du temps d'études et de débats.

M. Michel Teston. - Lorsque l'on examine la carte des infrastructures ferroviaires et routières en France, on peut faire deux principaux constats :

- Premièrement, certains territoires métropolitains apparaissent enclavés, parce qu'ils sont situés loin des gares, des autoroutes ou des aéroports. Ce constat n'est pas nouveau, puisqu'une étude de la DATAR de 2003, intitulée « La France en Europe : quelle ambition pour la politique des transports ? » mettait en avant la nécessité du désenclavement, mais rien n'a été fait depuis. Aujourd'hui, nous avons un ministère de l'égalité des territoires, qui a engagé des études pour la conception d'un projet de loi qui donnera une traduction concrète à cette notion d'égalité des territoires. Je considère qu'une partie importante des moyens du futur SNIT doit être consacrée au désenclavement des territoires. Il nous faut donc définir les critères de l'enclavement de la manière la plus objective possible.

- Deuxièmement, en matière de ferroviaire, je constate qu'aucune ligne d'Est en Ouest traversant le centre de la France n'est prévue. Les liaisons se feront essentiellement par les LGV Sud-Est et Atlantique, ce qui implique un transit par le sud de la banlieue parisienne, avec tous les inconvénients que cela présente en termes d'engorgement de cette banlieue, des lignes sollicitées, d'allongement des trajets et d'augmentation des coûts pour les passagers. Je pense que c'est là l'une des plus grandes faiblesses de notre nation en matière d'aménagement du territoire.

Il faudra, sur certains linéaires, privilégier des investissements très lourds pour améliorer la vitesse. Mais aussi faire des choix entre les principaux projets de LGV listés par la loi « Grenelle I ». La ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) me paraît indispensable pour désenclaver le Massif central, et avoir enfin une vraie liaison traversant le pays d'Est et en Ouest par son centre. Si l'on ajoutait un barreau de 100 kilomètre pour faire une jonction avec le Y de la ligne Nord-Atlantique, nous aurions une liaison entre le Sud-Est et le Nord-Ouest de la France. Ce maillage logique serait une rupture avec notre tradition centralisatrice qui fait passer la plupart des lignes par la région capitale.

Enfin, je partage votre analyse sur la régénération du réseau et la mise à vitesse élevée des lignes classiques. Mais il ne faut pas hésiter à faire des routes là où le ferroviaire n'est pas une solution possible. Le désenclavement des derniers territoires qui en ont besoin serait la meilleure façon de contribuer à l'aménagement du territoire, sans engager des sommes aussi considérables que celles qui avaient été évoquées lors du vote de la loi « Grenelle I ».

M. Gérard Cornu. - Vous avez là une mission importante. Les conclusions de la commission « Mobilité 21 » sont très attendues par les élus nationaux et locaux, et chacun souhaite défendre son dossier. Vous avez évoqué plusieurs critères. Je comprends l'importance de celui économique : dans le contexte financier actuel, il est fondamental. La logique des grands corridors et des « noeuds » est aussi facile à comprendre. Les deux autres critères, sociétaux et environnementaux, me semblent plus difficiles à appréhender : chacun peut les interpréter comme il l'entend.

Un dossier important pour moi, et qui ne demande pas d'argent public car il peut être satisfait par une concession autoroutière, est celui du barreau manquant de 50 kilomètres entre Evreux et Orléans, qui permettrait de compléter par un contournement Ouest de Paris le contournement Est qui existe déjà, et assurerait une liaison directe entre Dunkerque et Lyon. Je suis également favorable à une liaison autoroutière entre l'Est et l'Ouest, qui pourrait être achevée avec la réalisation d'un tronçon manquant de 30 kilomètres entre Chartres et Orléans, qui permettrait de relier Brest à Francfort. Il s'agit là de grands corridors qui peuvent être achevés avec de petits budgets, pour lesquels tout le monde peut se mettre d'accord. Dans le classement que vous avez fait, s'agit-il de projets très mûrs, voire presqu'engagés ? Ils sont très importants pour mon département, mais au-delà pour la région et l'ensemble du territoire national.

M. Charles Revet. - Vous avez dit que vous ne dévoilerez pas d'avance votre classement des projets. Je ne vous interrogerai donc pas sur le sort de la LGV Paris-Normandie... J'aimerais avoir des précisions sur le périmètre de votre mission. Parlez-vous des projets déjà engagés ? Il y a quelques années, nous avions auditionné le président de la SNCF, qui était convenu que nos grands ports maritimes ne sont rien sans des moyens de desserte en amont et en aval. Je lui avais demandé s'il était possible d'utiliser les LGV la nuit pour faire du transport de fret. Il m'avait répondu que ce n'était pas possible, même si je n'ai pas trop compris si c'était une question de largeur des voies ou d'indisponibilité en raison des nécessités de l'entretien. Je pense qu'il devrait être possible de faire passer des groupements de trains à certaines heures. C'est une question d'organisation du travail. Mon sentiment est que chacun prêche pour sa chapelle. Comptez-vous explorer cette question ?

Je prends un autre exemple. Nous avons reçu il y a quelques mois au Havre le plus gros porte-conteneurs du monde, le Marco Polo, que seuls Le Havre et Rotterdam peuvent accueillir en Europe. C'est une opportunité extraordinaire, puisque cela nous donne un temps d'avance sur Anvers et Hambourg, qui, bien que très réactifs, vont mettre trois ou quatre ans à faire les travaux nécessaires pour l'accueillir à leur tour. Or, il nous manque encore la liaison via Gisors, dont le coût est de 200 millions, et le port de service dont le coût est de 100 millions, soit un coût total estimé à 300 millions d'euros. Si nous ne sommes pas capables de mettre cette somme sur la table pour assurer la compétitivité de notre principal port maritime, et donc de toute la région, c'est à désespérer. Votre mission va-t-elle explorer ces cas, citer des exemples précis ? Je crois qu'il faudrait secouer un peu le « panier de crabes » de ceux qui prétendent posséder la science infuse.

Enfin, je voudrais faire une observation concernant la dévolution des travaux pour les grands projets. Les administrations n'ont pas le monopole de l'ingénierie. Les grandes entreprises ont aussi des personnels qualifiés pour faire des études. On gagnerait du temps et de l'argent en y recourant davantage.

M. Raymond Vall, président. - Charles Revet a raison : certains projets ont une rentabilité économique assurée et devraient être prioritaires, puisqu'ils améliorent in fine les ressources disponibles.

M. Rémy Pointereau. - Je vous remercie pour le travail difficile que vous faites, dans un contexte financier lui-même difficile. Je veux faire cinq observations.

Premièrement, nous avons entendu, dernièrement, Jean-Louis Bianco nous présenter son rapport sur la réorganisation de la SNCF et de RFF. A cette occasion, j'ai été choqué par la préconisation qu'il a faite, qui va à contre-courant des discours habituels, d'arrêter de construire de nouvelles LGV. Est-ce que cette déclaration préfigure ce que va annoncer la commission « Mobilité 21 » ?

Deuxièmement, vos critères de classement me semblent pertinents. Ils permettent de lutter contre la fracture territoriale et vont dans le sens de la préoccupation nouvelle d'égalité des territoires. Il y a ceux qui ont accès à la grande vitesse et ceux qui n'y ont pas accès. Il me semble que l'on ne peut pas annoncer un investissement de 30 milliards d'euros pour le Grand Paris, et déclarer qu'il ne reste plus de financement pour le reste du territoire.

Troisièmement, la prise en compte du critère environnemental me semble une bonne chose. Le mode ferroviaire peut permettre d'économiser des millions de tonnes de CO2. Mais je souhaite que vous preniez aussi en compte le critère de l'acceptation du projet, de l'existence d'une union des acteurs sur le terrain, de la mobilisation des citoyens. Je rappelle que 14 000 personnes ont participé au débat public sur le projet Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (POCL), c'est-à-dire autant que pour le débat sur le Grand Paris !

Quatrièmement, je suis préoccupé par la perte de l'avance de la France en matière de technologies ferroviaires. Nous sommes en train de nous faire dépasser par la Chine, alors que le TGV était une vitrine de la technologie française.

Cinquièmement, il me semble que le coût financier, l'endettement, ne sont pas des problèmes lorsqu'il s'agit d'investissements productifs, qui génèrent de la croissance. Mettre de l'argent dans des LGV stimule l'économie de nos territoires ; c'est un bon endettement.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je me joins aux remerciements qui vous ont été déjà adressés. Je voudrais vous inviter à considérer la question du fret des matières dangereuses, même si je ne sais pas si elle est dans le périmètre de votre mission. L'administration gère cette question selon le vieux principe de la « patate chaude » : il y a un conflit autour des gares de triage, entre le besoin de trier des matières dangereuses et la réglementation environnementale. La gare de triage du Bourget-Drancy se trouve en zone urbaine dense. Selon la SNCF, si le tri des matières dangereuses devait se faire ailleurs, il en résulterait un surcoût annuel de un milliard d'euros. Cette question ne me semble pas se poser en province, où le tri des matières dangereuses se fait en zones moins denses. Ainsi, en Île-de-France, ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes qui vivent dans les environs de gares de tri de matières dangereuses. La réglementation en la matière est balbutiante ; lorsqu'on pose le problème, on se heurte à un mur ; et tout le monde se renvoie la balle. Je crois que le critère de l'appréciation des risques environnementaux devrait être ajouté à votre réflexion.

M. Robert Navarro. - Tout en vous félicitant, Monsieur Duron, j'aimerais que mes questions vous aident à avancer. La première priorité, c'est l'activité et l'emploi ; sachant que les moyens publics manquent cruellement, ne pensez-vous pas qu'il nous faut donner la priorité aux investissements rentables, capables d'entrainer de l'activité ? Comme vice-président de la région Languedoc-Roussillon chargé des transports, je vois passer des projets irréalistes et j'entends beaucoup de balivernes : le temps est venu d'affirmer clairement que nous n'avons plus, collectivement, les moyens d'investissements de confort ! Les collectivités locales guère plus que l'État : la situation changera peut-être dans quelques années, mais ce qui prévaut, c'est la situation actuelle.

Je crois, dans ces conditions, qu'il faut cibler les investissements les plus stratégiques, mais aussi, et je ne suis pas d'accord avec Charles Revet sur ce point, je pense que si l'État ne peut tout faire, il devrait se concentrer sur quelques grands projets qui ont une valeur stratégique certaine, je pense en particulier au maillon manquant sur la LGV franco-espagnole : il est effectivement anormal que 500 millions manquent au Grand Port maritime du Havre, mais le défaut de 300 millions à la centaine de kilomètres de LGV entre Perpignan et la frontière espagnole, compromet un projet stratégique d'ordre international ! Votre commission, Monsieur Duron, doit aider notre pays dans ce qui est devenu une véritable guerre économique à l'échelle du monde. Pensez à l'intérêt supérieur de la France, avant l'intérêt partisan de tel ou tel !

M. Charles Revet. - Je n'ai pas dit autre chose !

M. Raymond Vall, président. - Il est rare que j'intervienne, mais il le faut ici : mon cher collègue, l'État ne peut se défausser continûment sur les collectivités locales ! Dans certains territoires, alors que nous n'avons quasiment plus aucune ressource, nous devons faire les aménagements de sécurité sur les routes nationales elles-mêmes, à la place de l'État : dans mon département, nous avons déboursé 47 millions pour 7 kilomètres de deux fois deux voies, parce que l'État ne fait même plus les travaux de sécurité, cette situation n'est plus tenable ! Je suis donc d'accord sur le principe : oui, l'État doit porter certains grands projets, mais ce n'est pas une raison pour qu'il se désengage de ses responsabilités ailleurs, d'autant qu'il n'hésite pas à solliciter les collectivités, toutes les collectivités, pour financer ses grands projets ou participer aux programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI). Si l'État se désengage des territoires qui ne disposent ni de la grande vitesse, ni du haut débit, ni d'autoroutes, ces territoires ne vont pas tarder à sombrer !

M. Robert Navarro. - Nous ne parlons pas des mêmes enveloppes budgétaires...

M. Raymond Vall, président. - Il faut commencer par mettre de l'ordre et que chacun assume, complètement, ses responsabilités et ses missions !

M. Rémy Pointereau. - C'est vrai !

M. Henri Tandonnet. - Les travaux de votre commission, Monsieur Duron, sont indissociables de la politique d'aménagement du territoire, qui en est le vrai moteur - ce qui appelle des critères et des arbitrages politiques. Notre situation n'est pas loin de m'évoquer celle des pays en développement, où les métropoles attirent à elles toutes les richesses, au détriment des autres territoires : c'est bien à cette échelle que le problème se pose.

Une demande de précision, ensuite : à partir de quel moment considérez-vous que des travaux sont « engagés » ? Ceux de la LGV Sud-Est-Atlantique, par exemple, le sont-ils jusqu'à Toulouse ? Nous avons des arguments dans ce sens : depuis des années, cette ligne est annoncée comme devant aller jusqu'à Toulouse, les collectivités s'y préparent, les SCOT sont élaborés dans cette perspective, des réserves foncières sont constituées en conséquence - tout ceci est-il, comme nous l'espérons, suffisant pour faire considérer les travaux comme engagés ? Nous avons besoin que le ministre dise clairement, dès cet été, quel sera le déroulement précis des opérations.

M. Marcel Deneux. - J'apprécie tout particulièrement, Monsieur Duron, votre méthode et la rationalité que vous savez introduire sur ces questions souvent passionnées. De même, je vous sais gré pour vos propos rassurants sur le canal Seine-Nord. Cependant, ce dossier peut-il être considéré comme faisant partie des travaux engagés ? Plus de 200 millions d'euros y ont déjà été investis, une autoroute a été déplacée en prévision, un vaste remembrement rural de près de mille hectares est en cours, avec son cortège d'expropriations : n'est-ce pas autant de signes d'engagement ? Cependant, il manquerait 1,60 mètre de tirant d'air sous les ponts de l'ouvrage, cette erreur de calcul augmenterait le devis de quelques centaines de millions : un député vient d'être missionné pour une nouvelle étude, encore une. Qu'en est-il précisément, et qu'est-ce que je peux en dire aux Picards, dès la fin de cette semaine ?

M. André Vairetto. - Les territoires de montagne présentent assurément des spécificités d'accessibilité et d'enclavement, ou encore pour la construction des infrastructures, la traversée des massifs étant toujours très coûteuse. A cette aune, le Lyon-Turin, même s'il n'entre pas dans votre champ d'analyse, représente un enjeu de toute première importance, pour le contournement de l'agglomération lyonnaise, pour la desserte locale, ou encore pour les liens entre la France et l'Italie. Le rapport de la Datar de 2003 reste tout à fait d'actualité, Michel Teston l'a évoqué, s'agissant de définir les critères du désenclavement, pour les territoires ruraux comme pour ceux de montagne. Vous avez entendu les membres de notre groupe « Montagne » au Sénat, je sais que ces questions vous préoccupent : quelle place allez-vous faire au critère du désenclavement des zones de montagne ?

M. Hervé Maurey. - A mon tour de vous féliciter, en soulignant que vous n'avez pas la tâche facile en présidant ce qu'à Bernay, quand nous examinons les projets d'investissements, nous appelons entre nous « le comité de la hache », puisqu'il faut bien tailler dans la diversité irréalisable de tous les projets. Et nous espérons que votre approche ne sera pas que comptable, tant les infrastructures importent au développement de l'activité et à l'emploi. Charles Revet vous a rappelé les attentes des Normands, qui ont bien entendu le président de la République souligner l'importance des LGV pour l'aménagement du territoire : je veux garder espoir que l'horizon qu'on nous annonce pour l'après 2030, ne s'enfuira pas de nouveau quand nous y serons.

Je m'étonne, ensuite, de constater qu'en plus de votre commission, d'autres organismes interviennent sur le sujet, comme le commissariat général au développement durable (CGDD) ou le conseil d'analyse stratégique : n'y a-t-il pas là un risque de dilution des responsabilités ?

Les programmes seront-ils tous tenus ? Cela supposerait que les moyens soient assurés, sinon constants, ce qui est loin d'être garanti si l'on en juge par le budget de l'AFITF. Les critères que vous nous présentez ne permettent-ils pas de justifier finalement tous les projets ? Je ne vous ai pas entendu citer le rapport coût / avantages, ni celui entre l'investissement et le retour sur investissement : quelle place ont-ils ?

Enfin, quelles sont vos propositions pour mobiliser des financements dits innovants, comme les PPP ou les concessions ?

M. Francis Grignon. - Vous nous avez présenté des critères pour hiérarchiser les projets, mais avez-vous hiérarchisé ces critères ?

Vous nous parlez peu, ensuite, des modes de transports liés aux infrastructures. La compagnie aérienne Volotea s'est installée en France, avec des offres très compétitives - de quelques dizaines d'euros - pour relier des grandes villes de province, par exemple Strasbourg et Bordeaux, c'est-à-dire sur des liaisons où il faudrait énormément d'argent pour être concurrentiel avec le train : comment intégrez-vous de telles données ?

Enfin, quel est l'horizon pour que le TGV Rhin-Rhône soit complété : 2030 ? 2050 ? J'ose à peine vous interroger sur le canal Rhin-Rhône, qui paraît devoir être renvoyé... au prochain millénaire !

M. Ronan Dantec. - A mon tour de me joindre aux hommages, Monsieur Duron, tout en me demandant si votre rapport, une fois publié, fera une telle unanimité...

Que cherche-t-on à faire avec le schéma national ? A répondre aux enjeux de mobilité rapide, de compétitivité économique, d'aménagement du territoire - alors même que les investissements paraissent se concentrer là où les infrastructures sont déjà les plus nombreuses -, et aux enjeux du Grenelle, au premier chef le report du fret routier sur le rail.

Or, avec les moyens impartis, on pourra financer seulement ce qui est déjà engagé, guère plus. Dans ces conditions, il faut bien trouver de nouveaux flux financiers, c'est la principale difficulté, on le voit avec l'écotaxe poids lourds : elle est repoussée à cet automne, mais sera-t-elle au moins confirmée ?

Pourtant, des projets peuvent s'autofinancer et parvenir à la rentabilité, si l'État les accompagne par des mesures réglementaires. Je pense en particulier à de grandes autoroutes ferroviaires traversant le territoire national, par exemple entre le Luxembourg et l'Espagne : nous en changerions la viabilité économique si les trafics de transit étaient obligés de les emprunter.

Une fois que les projets déjà engagés auront été confirmés, il ne restera pas beaucoup de moyens. Il nous faudrait alors prioriser les projets qui servent au plus grand nombre, par exemple le barreau de l'Essonne qui, en permettant le contournement sud de l'Ile-de-France, ferait gagner du temps à un très grand nombre de voyageurs.

Je crois utile, ensuite, de donner un signal en direction du fret, par des projets relativement peu onéreux, je pense par exemple à la liaison entre Lorient et Saint-Brieuc, où des pondéreux comme du sable sont transportés : par ces opérations, nous encouragerions la culture du fret, nous fixerions un horizon tangible à la relance du fret, ce qui est un enjeu stratégique national, et les collectivités locales trouveraient naturellement leur place dans de tels projets.

L'occasion n'est pas si fréquente pour que je la taise : je suis en parfait accord avec Rémy Pointerau pour prendre en compte l'adhésion des populations locales au projet, et lorsqu'un équipement déclenche une hostilité constante et massive, il faut bien en tenir compte !

M. Rémy Pointereau. -  Chacun prêche pour sa paroisse...

M. Gérard Cornu. - Le tout est que les chapelles ne soient pas trop nombreuses...

M. Roland Ries. - La synthèse est des plus difficiles sur un tel sujet et je crains, moi aussi, que l'unanimité ne dure pas aussi longtemps qu'on le souhaiterait...

Une priorité doit, me semble-t-il, figurer au tout premier plan : la régénération du réseau existant, où nous devons tenir, pour le ferroviaire, le rythme actuel de mille kilomètres annuels, ou bien nous connaîtrons de nouveau les difficultés dont nous tâchons de sortir depuis quelques années.

Je crois, ensuite, qu'il faut tenir compte des « zones de pertinence des modes de transports », y compris pour le ferroviaire. Le TGV n'est pas pertinent partout...

M. Rémy Pointereau. - On peut le dire, quand on l'a !

M. Roland Ries. - Je le dis d'autant plus aisément que les collectivités locales ont beaucoup contribué au TGV-Est et que la ligne doit être prolongée bien plus loin que Strasbourg, jusqu'à Munich... Je crois que nous devons sortir d'une sorte de théologie du TGV, du mythe de son universalité : la grande vitesse est pertinente sur de longues distances, mais pour deux ou trois cents kilomètres, le surcoût et le gain de temps par rapport à une ligne atteignant 200 ou 220 km/h, sont loin d'être justifiés ! N'oublions pas que le « tout TGV » recouvre un aménagement du territoire porté par les grandes métropoles : entre ces grandes villes, que nous appelions avant les « métropoles d'équilibre », le TGV ne s'arrête pas - et la plupart des TGV Est, par exemple, sont directs entre Paris et Strasbourg. Attention à cet aménagement du territoire qui conforte surtout les grandes métropoles, sans bénéficier toujours aux autres territoires - et gardons-nous de céder au charme de l'inauguration de nouvelles lignes, car il ne dure pas !

Le report de la taxe poids lourds - qui ne signifie pas du tout son abandon puisque la taxe sera effective au 1er octobre - tombe mal pour le fret ferroviaire dont la situation est déjà dramatique : l'AFITF subit un manque à gagner dès cette année, ce qui retarde d'autant le rééquilibrage de la concurrence entre la route et le fer. Le problème est ancien, l'écotaxe poids lourds est un levier indispensable pour rétablir des conditions de concurrence équilibrées, le Gouvernement prend des actes et ne se contente pas de beaux discours : reste à espérer que les portiques déjà installés et à venir, soient pérennes !

M. Jean-François Mayet. - Ma région se situe dans ce que les techniciens de la SNCF appellent « la patate creuse », c'est-à-dire cette grande portion du territoire national qui n'a pas et qui n'a aucune chance d'avoir un jour le TGV. Dans ces conditions, la modernisation du POLT nous a redonné de l'espoir, parce qu'elle mettrait Limoges à deux heures de Paris. Cependant, l'actualité récente semble ressusciter un projet qui paraissait mort-né : celui d'un prolongement de la LGV de Poitiers à Limoges... par une ligne qui serait monovoie, tant l'argent manque ! Comment ne pas qualifier d'absurde une telle LGV monovoie, cas sans précédent, évaluée à 1,5 milliard, et qui coûterait donc le double ? Le projet aurait repris de la vigueur sous l'influence du président de la République, on le dit comme on disait avant que l'épouse du président d'alors y tenait, ou encore comme on peut imaginer je-ne-sais quel tutoiement entre Poitiers et Limoges, quelle fusion entre nos deux régions : dans tous les cas, ce serait une erreur ! Monsieur Duron, peut-on espérer que ce projet ne voie pas le jour ?

M. Jean-Jacques Filleul. - Je me joins à la satisfaction exprimée par tous sur vos choix et votre méthode, Monsieur Duron. Beaucoup de promesses ont été faites par le passé, vous ne pourrez pas échapper à cette difficile tâche de les décevoir ; mais je suis confiant, car les priorités que vous avez retenues me conviennent.

Un sujet important, où nous n'avançons pas assez : la liaison des ports maritimes à leur hinterland. Je pense en particulier à l'axe entre Saint-Nazaire, Nantes, Tours et Lyon, qui devrait être bien plus utilisé pour le fret.

Les canaux, ensuite, permettent un transport bien plus écologique que tous les autres modes, mais nous les avons laissés à leur sort depuis près d'un siècle : il y a beaucoup, beaucoup à faire pour le fret fluvial ! Plus largement, où en sont les « verticales de fret » dont on parlait il y a quelques années ? Je me souviens de M. Gayssot présentant le grand réseau de fret européen : où en sommes-nous ?

Je rejoins ce qui a été dit sur la régénération du réseau ferroviaire : elle est essentielle, y compris sur les LGV. Tours était à 55 minutes de Paris il y a encore quelques années, mais il faut maintenant 1h15, car les trains, faute d'entretien des voies, sont obligés de ralentir !

Les financements innovants, ensuite, entrent-ils dans le champ de votre mission ? L'Union européenne devait mobiliser 120 milliards pour les grands projets de réseaux transeuropéens de transports : est-ce le cas ?

Enfin, où en est le Lyon-Turin ? Cet investissement est essentiel pour l'environnement alpin, pour le désenclavement des territoires de montagne, et pour les liaisons entre la France et l'Italie : les financements en sont-ils acquis ?

M. Philippe Esnol. - En premier lieu, je voudrais souligner l'importance du développement du trafic fluvial. Si le rail est trois fois moins polluant que la route, le fluvial l'est quinze fois moins. C'est donc un enjeu essentiel à l'échelle nationale.

Je voudrais également relever le déficit chronique que subit notre pays en matière d'aménagement du territoire, en particulier en Île-de-France. Cette région connaît un aménagement empirique systématique. On pousse les élus à construire des logements, à faire venir des entreprises, à « redynamiser », à renforcer l'attractivité de l'Île-de-France, qui est déjà saturée. Dans le même temps, les infrastructures de transport en commun souffrent d'un déficit considérable. En particulier entre le Val d'Oise et les Yvelines, il y a un retard de quarante ans sur les infrastructures. Nous attendons toujours le prolongement de la francilienne, en particulier le tronçon entre Pierrelaye et Orgeval. C'est toute la colonne vertébrale du développement de cette région qui est remise en question. Le secteur de Conflans, pourrait faire l'objet d'un contrat de développement territorial, mais il n'a aucune infrastructure ni de transport routier ni de transport en commun prévue d'ici 2020. J'ai une grande inquiétude au sujet de l'aménagement de ce territoire, qui concerne au moins un million d'habitants, et ce nombre ne fait qu'augmenter. Le réseau ferroviaire est complètement saturé, les RER également... Il faut que l'Etat prenne en compte ces difficultés en prenant des décisions qui respectent les populations et l'environnement. Sur Eole, nous sommes à peu près bien partis, mais sur la tangentielle Ouest, il faudrait relier la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines à Cergy-Pontoise, ce dont on parle aussi depuis des décennies.

M. Philippe Duron. - Je voudrais partager ces hommages avec mes collègues et collaborateurs de la commission « Mobilité 21 ». C'est le rassemblement de regards et de compétences différents qui permet de rechercher l'intérêt général.

J'ai peu parlé de l'Europe dans mon propos liminaire. L'Europe a sanctuarisé 13 milliards d'euros pour un certain nombre de grandes infrastructures. Quand nous avons rencontré il y a deux mois Mathias Ruete, directeur général à l'énergie et aux transports à la Commission européenne, il nous a dit tout l'intérêt des projets français visant à mieux intégrer le territoire national dans l'espace européen. Les deux projets lui semblant les plus intéressants à ce titre sont la liaison Lyon-Turin et le canal Seine-Nord Europe. Le président de la République, lors de la rencontre franco-italienne de Lyon, avait conditionné la réalisation du Lyon-Turin à un apport de financement de 40 % de l'Union européenne. Les points de vue recueillis à Bruxelles sont plutôt positifs.

Concernant le canal Seine-Nord, la Commission est prête à soutenir le projet. Le Gouvernement précédent avait lancé un dialogue compétitif pour conclure un partenariat public-privé. Frédéric Cuvillier a demandé à un inspecteur général de l'environnement et du développement durable, Michel Massoni, de lui apporter un éclairage. Son rapport est parvenu à la conclusion que les coûts de réalisation étaient supérieurs au prix d'objectif et que les recettes n'étaient pas au niveau attendu. Le ministre a également constaté que les partenaires privés se situaient au-dessus du prix d'objectif dans le cadre du dialogue compétitif. Il a donc décidé d'arrêter cette procédure et de confier au député Rémi Pauvros le soin de faire des propositions pour remettre le dossier sur les rails, et ainsi ne pas se priver des crédits européens. Sa mission doit s'achever dans le courant de l'année 2013.

Les considérations financières sont un sujet majeur en matière d'infrastructures. Nous sommes face à des projets, à des travaux, d'autant plus consommateurs de crédits qu'on prend de plus en plus en compte la nécessité de préserver les milieux naturels et la biodiversité. Plusieurs ressources existent : des ressources budgétaires, des cofinancements des collectivités territoriales, et des ressources provenant de taxations diverses. Une incertitude pèse sur l'écotaxe poids lourds. Le ministre a souhaité prendre un peu de temps par rapport à sa mise en oeuvre. On sait que la mise au point sera difficile, comme l'exemple Toll Collect l'a montré en Allemagne, et il s'agit également d'étudier avec précaution la question de la répercussion. Une taxe supplémentaire sur les entreprises de transport routier est pénalisante, car ces entreprises ont souvent des équilibres financiers fragiles. C'est là un vrai sujet pour l'AFITF. La taxe sera prélevée à partir d'octobre mais le premier versement pour l'AFITF n'aura lieu que début décembre. Le manque à gagner, significatif, est compensé cette année par notre fonds de roulement.

Il serait souhaitable de sanctuariser ces recettes. Les critiques sur les recettes affectées, qu'elles viennent de la Cour des comptes ou du ministère des finances, sont nombreuses. Cependant, si l'on n'affecte pas de recettes pour les grandes infrastructures, celles-ci deviendront la variable d'ajustement du budget. Le volume des crédits disponibles pour les infrastructures risque de diminuer. Si l'on veut être demain à la hauteur des enjeux, il faudra vraisemblablement augmenter la ressource à destination des infrastructures, et notamment renforcer la régénération des réseaux. Roland Ries a évoqué le milliard d'euros nécessaire pour la régénération du réseau ferroviaire. Une grande partie de cette régénération est assumée par le gestionnaire d'infrastructures, RFF, ce qui aggrave le déficit de ses comptes. Il est indispensable de maîtriser la dépense ferroviaire. Si l'on n'y prend pas garde, les mêmes problèmes risquent de survenir pour les routes nationales et les autoroutes non concédées. Une remise en état serait beaucoup plus coûteuse que la maintenance et la modernisation régulières du réseau. La taxe poids lourds allemande est née de la constatation de la dégradation profonde du réseau routier et de la nécessité de faire participer les usagers routiers à l'entretien et à la réparation du réseau. Ce sont là des sujets stratégiques et de long terme.

S'agissant de la pertinence des modes de transports, on ne peut pas tout faire sur tous les territoires. Souvenez-vous du rapport de la DATAR et de la loi Pasqua d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995. En matière d'équité territoriale, on considérait à l'époque que chaque territoire devait être à moins d'une demi-heure d'un carrefour autoroutier et à moins d'une heure d'une gare TGV. Un tel programme aurait mis plusieurs siècles à être mis en oeuvre... Ce n'est pas pertinent. Il ne faut pas retomber dans ce travers, et tenir compte des différences de densité de population des territoires. Tous les territoires doivent avoir accès à un moyen de transport efficace, moderne, confortable et sûr, mais qui soit adapté aux spécificités locales.

J'ai travaillé sur ces questions d'aménagement du territoire, notamment lorsque j'ai été rapporteur à l'Assemblée nationale de la loi Voynet. Il faudrait redéfinir une politique d'aménagement du territoire. Trois époques se sont succédé en la matière : celle des fondateurs, où il s'agissait de structurer et d'équiper le territoire, celle du début de la crise, où la perspective était de réparer et reconvertir, enfin, la période actuelle, où les mots-clés sont compétitivité et concurrence. Je ne suis pas contre la métropolisation, notamment au regard des réseaux de villes existant en Europe, mais il s'agira de définir un avenir pour les territoires ruraux et les petites villes, sans opposer les uns aux autres.

Hervé Maurey a évoqué le risque de dilution de nos travaux, compte tenu du nombre important de structures consultées. Ce risque n'existe pas. Ces structures nous apportent leur expertise.

Michel Teston soulève la question des territoires enclavés. Il s'agit d'opérer une démarche d'aménagement du territoire. Sur un certain nombre de sujets, les programmes de modernisation des itinéraires routiers peuvent apporter des réponses. Ils devraient être mieux financés et plus ambitieux. Il existe de nombreux bassins d'emploi, de petites villes industrielles, dans des territoires à dominante rurale. Nous n'arriverons pas à les développer sans solutions routières. Faut-il concéder ces routes ? Les concessions ont un coût, pour l'État comme pour l'usager. Des solutions peuvent exister à un coût plus raisonnable. Les réponses doivent être adaptées aux besoins des territoires.

La traversée Est-Ouest est un autre sujet important. Des difficultés se posent pour la ligne ferroviaire Lyon-Nantes. Se pose également la question de la route Centre-Europe Atlantique, route dangereuse qu'il conviendrait d'achever.

Charles Revet a évoqué le périmètre de la mission. Il s'agit essentiellement des soixante-quinze projets du SNIT. Mais dans ce cadre, il s'agit aussi de faire des recommandations lorsqu'on ne peut pas satisfaire immédiatement un territoire, et proposer des solutions d'attente ou des solutions alternatives.

Concernant l'utilisation des lignes LGV pour le fret, vous savez qu'il est actuellement nécessaire d'interrompre le trafic pour faire des travaux d'entretien sur ces LGV. Quand il y a une LGV, il y a aussi une libération de sillon sur les lignes classiques. Actuellement, la part modale du fret diminue, ce qui est préoccupant. Il est nécessaire d'améliorer les sillons, et de garantir un certain nombre de sillons pour le fret. La question de la concurrence se pose aujourd'hui sur les lignes, entre les voyageurs et le fret, mais aussi entre les lignes TER de proximité et les lignes TET. Un arbitrage doit être effectué pour ne pas marginaliser systématiquement le fret.

Rémy Pointereau a évoqué le rapport de Jean-Louis Bianco sur la réforme ferroviaire. Nous sommes en contact et nous coordonnons nos travaux afin de ne pas nous contredire. Quand il dit qu'il faut arrêter de construire des LGV, il ne dit pas qu'il faut renoncer à moderniser le ferroviaire. Il soulève une question intéressante : est-ce qu'on est aujourd'hui contraints à choisir entre le 350 à l'heure et le 160 à l'heure, dans la mesure où les coûts de maintenance et de gestion croissent de manière exponentielle avec la vitesse ? La réponse n'est pas facile.

Concernant le Grand Paris, l'enveloppe a été sanctuarisée. Il y a une urgence à moderniser les RER, et à opérer un aménagement ferroviaire du territoire sur les tangentielles et les rocades. Le critère d'acceptabilité des populations est important. Il est difficile aujourd'hui de faire construire des infrastructures. Pour la N 104 par exemple, tout le monde s'accorde à reconnaître la nécessité des travaux, mais les populations s'opposent aux projets. Il est impératif de réconcilier, avec pédagogie et imagination, le besoin général avec l'acceptabilité de proximité.

Sur la modernisation des TGV, il ne faut pas oublier que les TGV ne représentent que 6 % du marché mondial des trains. D'autres secteurs peuvent être encouragés également.

L'endettement de RFF s'élevant à 32 milliards d'euros, et étant estimé à 55 milliards quand les quatre lignes LGV seront réalisées, il convient de s'interroger sur la soutenabilité de cet endettement.

Francis Grignon a évoqué la hiérarchie des projets et des critères. Pour notre part, nous avons choisi une méthode d'analyse multicritères non agrégés. L'agrégation ou la pondération des critères induisent généralement un point de vue et peuvent fausser le jugement.

Ronan Dantec a évoqué la création de flux financiers nouveaux. Faut-il garder les PPP ? On sait aujourd'hui qu'ils coûtent cher. On paye au prix fort le risque assumé par le partenaire privé, qui emprunte à des conditions bien moins intéressantes que l'État. Nous discuterons de cette question dans quelques jours à Berlin à la Banque européenne d'investissement. L'autofinancement peut être la solution pour certains projets. Je pense par exemple à la liaison entre la Défense et Roissy.

Robert Navarro a indiqué qu'il fallait veiller à privilégier les projets créateurs de richesse. Il faut en effet être attentif sur notre façon d'investir. Nous avons pour notre part une appréciation coûts-avantages des projets en fonction de la valeur actualisée nette par euro investi.

André Vairetto a rappelé la spécificité des territoires de montagne, en termes de désenclavement, et de traversée des massifs. Ces sujets doivent être pris en compte : n'importe quelle infrastructure ne peut pas être utilisée dans n'importe quel milieu. Dans ces zones, l'écotaxe poids lourds pourrait être augmentée. L'Union européenne l'autorise en effet dans les zones sensibles comme les zones de montagne. Cela peut permettre de mieux financer des projets coûteux du fait du relief.

Jean-François Mayet, la rénovation de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) a du sens. Il est tout à fait légitime de rendre Limoges accessible de Paris en deux heures. Le projet POCL est un sujet complexe, nous y travaillons beaucoup. Il y a eu des fuites malvenues à ce sujet.

Jean-Jacques Filleul, la question des ports est effectivement essentielle. Nous assistons à un rebond de la voie fluviale, qui doit être salué. La réforme de Voies navigables de France va plutôt dans le bon sens. L'État a déployé des moyens pour rénover les écluses, consolider les berges et moderniser le réseau. Il y a effectivement de grands projets, comme le canal Seine-Nord-Europe. Se fera-t-il ? Je ne le sais pas.

S'agissant des verticales de fret, il y a deux corridors. Tout d'abord, le Perpignan-Bettembourg, qui voit jusqu'à cent trains de fret par jour, sur certains segments situés près de Lyon. Nous continuons à travailler à son développement, en faisant avec l'AFITF des travaux près d'Avignon. Le ministre a par ailleurs décidé de lancer un corridor atlantique. Si le trafic est important au travers des Alpes, il en sera de même pour ce corridor.

Philippe Esnol, je vous rejoins sur l'importance du fluvial. M. Tandonnet, je ne répondrai pas sur le Bordeaux-Toulouse, mais je peux vous dire que Toulouse entre dans les stratégies de l'Union européenne, en tant que grande métropole européenne.

M. Raymond Vall, président. - Je vous remercie pour la précision de vos réponses.

Infrastructures et services de transports - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission nomme les membres d'une éventuelle commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transport.

La commission a désigné comme titulaires MM. Raymond Vall, Roland Ries, Jean-Jacques Filleul, Michel Teston, Gérard Cornu, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Vincent Capo-Canellas et, et en tant que suppléants MM. Pierre Camani, Jean-Luc Fichet, Mme Evelyne Didier, MM. Ronan Dantec, Jean Bizet, Rémy Pointereau, Henri Tandonnet.