Mercredi 10 juillet 2013

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Organisation du système de soins de premier recours et prévention du suicide au Québec - Compte rendu de la mission d'information de la commission

Mme Annie David, présidente de la commission. - Le mois dernier, une délégation de la commission, que j'avais l'honneur de conduire et qui comprenait Catherine Deroche, Jean Desessard, Colette Giudicelli et Dominique Watrin, s'est rendue à Québec puis à Montréal. Nous voulions étudier, sur place, l'organisation du système de soins de premier recours, réputée efficace, et la politique de prévention du suicide, que l'on disait novatrice.

De nos nombreux entretiens et visites, nous avons conclu que l'exemple québécois pourrait utilement nourrir nos réflexions sur l'avenir de nos politiques de santé publique.

Nous débuterons notre présentation par le thème de l'organisation du système de soins de premier recours.

Selon le partage des compétences prévu par la Constitution canadienne, les secteurs de la santé et des services sociaux relèvent du pouvoir provincial, le pouvoir fédéral n'intervenant qu'à la marge.

On entend par « services sociaux » tant les services psychosociaux destinés à l'ensemble de la population que les services particuliers bénéficiant aux personnes plus vulnérables (jeunes en difficulté, personnes âgées en perte d'autonomie, personnes atteintes d'une déficience, d'un problème de santé mentale ou souffrant d'une addiction, etc.).

Institué par une loi de 1971, le système québécois se caractérise par une approche intégrée : la santé et les services sociaux sont appréhendés de manière globale et relèvent d'une même administration. Ils représentent actuellement le premier poste budgétaire de la province, soit 42,5 % de ses dépenses.

Le modèle d'organisation choisi par le Québec repose sur trois niveaux de compétences et sur la complémentarité de structures regroupées en réseaux :

- à l'échelon central, le ministère de la santé et des services sociaux définit les grandes orientations en matière de politiques sanitaires et sociales et évalue les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés ;

- à l'échelon régional, les agences de la santé et des services sociaux sont responsables de la mise en place et de la coordination des services sur leur territoire respectif. Elles doivent notamment définir les priorités régionales, faciliter le déploiement et la gestion des réseaux locaux de services, et assurer l'allocation des budgets aux établissements et des subventions aux organismes communautaires ;

- à l'échelon local, les réseaux locaux de services de santé et de services sociaux regroupent l'ensemble des acteurs (médecins de famille, établissements de santé et médico-sociaux, pharmacies, organismes communautaires, entreprises d'économie sociale, etc.) qui partagent collectivement une responsabilité envers la population d'un territoire.

Au coeur du réseau local de services se trouve le centre de santé et de services sociaux (CSSS), né de la fusion en 2005 de plusieurs structures à vocation médicale et sociale. Il existe actuellement quatre-vingt-quinze CSSS au Québec.

Pierre angulaire de l'offre de services intégrée, le CSSS a pour mission :

- d'assurer à la population du territoire sur lequel il est implanté la prestation de services de prévention, de diagnostic, de traitement, de réadaptation, de soutien et d'hébergement ;

- de fournir des services hospitaliers généraux et spécialisés ;

- de coordonner les services offerts par l'ensemble des intervenants médicaux et sociaux exerçant sur ce territoire.

Cette organisation en réseaux poursuit un double objectif :

- assurer, au plus près du milieu de vie des personnes, une large gamme de services généraux et de soins courants ; il s'agit des services dits de première ligne (l'équivalent du premier recours en France) ;

- garantir, grâce à des mécanismes d'orientation et de suivi des patients, l'accès aux services dits de deuxième et troisième lignes, c'est-à-dire aux services spécialisés et ultra spécialisés.

Au cours de notre séjour, nous avons rencontré les équipes de quatre CSSS, deux situés à Québec et deux autres à Montréal. Ces visites sur le terrain nous ont permis d'identifier les forces du système québécois :

- premièrement, la personne est appréhendée dans sa globalité : sa dimension biologique est indissociable de sa dimension psychologique ou sociale. L'objectif est donc bien de répondre à l'ensemble de ses besoins de santé et de bien-être ;

- deuxièmement, il existe une véritable interaction et complémentarité entre les différents intervenants (administration, professionnels de santé, professionnels du secteur social). Ce travail partenarial ne s'est évidemment pas mis en place du jour au lendemain, mais force est de constater qu'il n'existe pas comme en France de cloisonnement entre les différentes sphères - sanitaire et médico-sociale en particulier ;

- troisièmement, un grand pragmatisme prévaut dans la mise en oeuvre concrète du dispositif. Les CSSS bénéficient d'une réelle autonomie tant pour adapter l'offre de services aux caractéristiques de leur territoire que pour nouer des partenariats avec différents acteurs (organismes communautaires, instituts universitaires, centres jeunesse...) ;

- quatrièmement, l'effort constant d'intégration de ces réseaux locaux favorise une meilleure prise en charge des personnes, en particulier des plus vulnérables, et permet de fluidifier les parcours de soins.

M. Jean Desessard. - Depuis une dizaine d'années, le ministère de la santé et des services sociaux québécois a fait de l'accessibilité aux services de première ligne une priorité.

La réalisation de cet objectif s'est notamment traduite par la mise en place de groupes de médecine de famille (GMF). Il s'agit de regroupements de médecins omnipraticiens (l'équivalent des médecins généralistes) qui travaillent en étroite collaboration avec d'autres professionnels (infirmières, infirmières praticiennes spécialisées, travailleurs sociaux) pour faciliter l'accès des patients aux soins médicaux.

Un petit aparté : en tant qu'ancien travailleur social, j'ai été particulièrement frappé par la très forte implication de cette profession dans le système de soins québécois.

Chaque médecin participant à un GMF s'occupe de sa propre patientèle, qui est inscrite auprès de lui, mais les dossiers médicaux sont accessibles à l'ensemble de ses collègues. Ainsi, une personne qui se présente à son GMF pour une consultation sans rendez-vous peut être vue par un autre médecin que le sien. Elle peut aussi, au besoin, rencontrer une infirmière ou un autre professionnel du GMF pour différents types de suivi. Un patient peut être reçu dans le cadre d'une consultation sans rendez-vous même s'il n'est pas inscrit auprès d'un des médecins du GMF.

Les médecins de famille, qu'ils exercent en GMF ou non, sont rémunérés par la régie de l'assurance maladie du Québec pour leurs actes en fonction de tarifs négociés. La pratique des dépassements d'honoraires n'existe donc pas. Le patient, lui, ne débourse rien ; il a simplement à présenter sa carte d'assurance maladie.

Le recours aux GMF présente plusieurs avantages : il favorise le travail interdisciplinaire et le partage d'activités entre professionnels ; il permet un meilleur suivi des patients, en particulier ceux atteints de maladies chroniques ; il est un moyen privilégié d'améliorer la qualité et l'accessibilité des soins médicaux.

Dans le cadre de son plan stratégique 2010-2015, le ministère de la santé et des services sociaux s'est fixé trois principaux objectifs en matière d'accès aux soins de première ligne : atteindre 70 % de la population inscrite auprès d'un médecin de famille (en GMF ou hors GMF), implanter 300 GMF sur l'ensemble du territoire et parvenir à ce que 70 % des médecins de famille exercent en GMF.

Permettez-moi à cet instant de mon intervention de faire un rapide focus sur le métier d'infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne (IPS-PL) plus couramment appelé « super-infirmière ». Les informations qui nous ont été délivrées sur ce sujet devraient particulièrement intéresser nos collègues Catherine Génisson et Alain Milon qui travaillent actuellement sur la répartition des compétences entre professionnels de santé.

Les IPS-PL sont des infirmières qui possèdent une expérience clinique dans un domaine spécifique (soins de première ligne, urgence, chirurgie, obstétrique, etc.) et qui ont validé une formation avancée de deuxième cycle en sciences infirmières et médicales leur permettant de prescrire des tests diagnostiques et des traitements, ainsi que d'effectuer certaines interventions invasives. Elles exercent exclusivement en ambulatoire, le plus souvent dans les CSSS et les GMF. Leur activité consiste principalement en la gestion de problèmes de santé courants, le suivi de maladies chroniques et de grossesses, la diffusion d'informations de prévention. Bien qu'autonomes, elles travaillent en étroite collaboration avec les médecins omnipraticiens et s'en remettent à eux lorsqu'une situation clinique dépasse leur compétence.

Trois précisions d'importance : ces infirmières assument l'entière responsabilité de la prise en charge et du suivi de leurs patients ; elles sont seules responsables des fautes qu'elles pourraient commettre ; le diagnostic clinique demeure la compétence exclusive des médecins mêmes si les IPS-PL y contribuent.

Aussi, il nous a semblé que de cette profession, qui se situe à mi-chemin entre le métier d'infirmière « classique » et celui de médecin généraliste, pouvait, dans un cadre très réglementé comme celui mis en place au Québec, favoriser le travail partenarial entre professionnels de santé et rompre avec la logique de cloisonnement ; permettre aux médecins de se concentrer sur les situations cliniques plus complexes ; améliorer in fine la qualité des soins.

La consolidation des services de première ligne s'est également traduite par la volonté d'offrir à toute la population un accès téléphonique rapide à une consultation en matière de santé et de services sociaux par des professionnels 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Mis en place progressivement, le service Info-Santé et Info Social, qui ne se substitue pas aux autres services existants mais vient en complémentarité de ceux-ci, répond à plusieurs objectifs : prévenir la détérioration de la situation sanitaire ou psychosociale des personnes ; détecter les situations à risque ; conseiller l'usager dans le choix des actions à entreprendre concernant sa situation sanitaire ou sociale ; favoriser le maintien de l'usager dans son milieu de vie ; contribuer à diminuer le recours aux urgences hospitalières ; assurer une plus grande harmonisation dans le type de réponse ou de service offert ; participer aux interventions de sécurité civile en cas de crise sanitaire.

Concrètement, un numéro unique gratuit a été créé à l'échelle de tout le pays : le 8-1-1. Lorsqu'un usager appelle, il choisit soit de composer le 1 pour une question d'ordre sanitaire, soit le 2 pour une question d'ordre social. Il est alors mis en relation avec un professionnel formé à cet effet : une infirmière dans le premier cas, un travailleur social dans le second. L'usager peut choisir de garder l'anonymat.

L'intervention du professionnel comprend différentes étapes : évaluation du besoin, appréciation de l'urgence ou non de la situation, communication d'informations et de conseils, orientation vers le service ou la ressource la plus appropriée, etc.

Actuellement, l'ensemble de la population québécoise est desservi par Info-Santé et plus de la moitié a accès à Info-Social, l'objectif étant de couvrir 100 % de la population d'ici 2015. Il n'existe pratiquement pas de délai d'attente ; lorsqu'une plate-forme téléphonique est saturée, l'appel est automatiquement transféré vers une autre.

Ce dispositif, qui nous a été présenté par l'équipe du CSSS de la région du Saguenay Lac Saint-Jean, a retenu notre attention pour trois raisons : il contribue fortement à la dynamique interprofessionnelle et à l'approche intégrative du système de santé et des services sociaux ; il améliore indéniablement le service rendu aux usagers, en particulier aux plus vulnérables d'entre eux ; il permet de désengorger les urgences hospitalières.

Mme Catherine Deroche. - Nous abordons maintenant le deuxième thème de notre mission : la politique de prévention du suicide.

Après avoir connu une hausse significative au cours des années 1990, le taux de mortalité par suicide au Québec tend à diminuer depuis le début des années 2000 : il est ainsi passé de 22,2 décès par suicide pour 100 000 habitants en 1999 à 13,7 en 2010. Alors que pendant des années le Québec affichait le taux de mortalité par suicide le plus élevé parmi les provinces canadiennes, il figure désormais à la quatrième place. Par comparaison, le taux de mortalité par suicide en France sur la même période n'a pratiquement pas bougé : de 15 décès par suicide pour 100 000 habitants en 1999, il est désormais de 14,7.

Le taux de mortalité par suicide au Québec, tout comme en France, demeure toutefois l'un des plus élevés des pays de l'OCDE. Chaque jour, en moyenne, trois personnes s'enlèvent la vie à travers la province.

L'identification du suicide comme problème de santé publique s'est opérée dans les années 1990 sous l'impulsion notamment des organismes communautaires. Le constat qui est posé est alors le suivant : il est inacceptable que dans une société développée comme le Québec une cause de décès évitable continue de provoquer des drames humains par milliers.

Conscients qu'une réduction significative du nombre de suicides est possible, nécessaire et urgente, les pouvoirs publics ont alors impulsé une véritable dynamique en faveur de la prévention du suicide :

- le programme national de santé publique 2003-2012 définit clairement la diminution du nombre de tentatives de suicide et du nombre de suicides comme un objectif à l'horizon 2012 ;

- le plan d'action en santé mentale 2005-2010 pose la prévention du suicide comme un domaine d'action prioritaire ;

- des guides de bonnes pratiques en prévention du suicide à l'intention des gestionnaires des CSSS et des acteurs de terrain ont été créés à l'initiative du ministère de la santé et des services sociaux.

Cinq principaux champs d'action ont été identifiés.

Le premier est le suivi du phénomène du suicide et l'effort de recherche. Afin de définir les priorités d'action et permettre une affectation optimale des ressources, il est en effet essentiel de disposer de données épidémiologiques, cliniques et sociologiques sur le suicide.

Dans ce but, le ministère de la santé et des services sociaux et le bureau du coroner ont lancé un projet visant au développement d'une banque de données nationale sur le suicide. L'exploitation de ces données permettra de suivre l'évolution dans le temps et dans l'espace des principaux déterminants du suicide et de mieux cibler les actions de prévention.

En France, une même démarche est en cours puisque la ministre de la santé, Marisol Touraine, a récemment annoncé sa volonté de créer un observatoire national du suicide répondant ainsi aux voeux du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Notre commission s'est également saisie de cette question en organisant le 26 juin une table ronde sur ce sujet.

Au Québec, des efforts significatifs ont également été entrepris en direction de la recherche et de l'enseignement universitaire. L'un des plus importants centres de recherche sur le suicide se trouve à l'Université du Québec à Montréal ; il s'agit du centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie (Crise), dont nous avons rencontré plusieurs membres. Les programmes de recherche, qui y sont développés, ont la particularité d'être systématiquement menés en lien avec les acteurs de terrain.

Le deuxième champ d'action est le développement d'une gamme de services adaptés aux besoins des personnes suicidaires.

Dans le cadre de son plan d'action en santé mentale 2005-2010, le Québec a mis en place un ensemble de services destinés aux personnes suicidaires :

- un service d'intervention téléphonique accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : la ligne 1 866 APPELLE, disponible sur l'ensemble du territoire depuis 2001, permet aux personnes suicidaires et à leurs proches de joindre, à tout moment et sous couvert d'anonymat, le centre d'écoute téléphonique le plus proche.

Les intervenants sociaux, qui répondent aux appels, sont soit des professionnels (travailleurs sociaux, psychologues), soit des bénévoles formés. Ils travaillent en étroite collaboration avec l'ensemble des acteurs du réseau local afin de pouvoir orienter la personne vers le service le plus approprié. Les intervenants pratiquent également la « relance téléphonique » auprès des personnes les plus vulnérables afin de suivre l'évolution de leur état de santé.

Ayant rencontré les équipes de deux centres d'intervention téléphonique, l'un basé à Québec (le centre de prévention du suicide de Québec), l'autre à Montréal (Suicide action Montréal), nous avons pu constater que cette ligne d'intervention téléphonique était l'une des grandes forces de la politique de prévention du suicide québécoise. Sur l'année 2011, le nombre d'appels était en moyenne de l'ordre de 3 600 par mois ; ce chiffre augmente d'année en année.

Ce service connaît toutefois certaines difficultés : actuellement, une personne sur cinq ne reçoit pas de réponse après avoir composé le numéro unique et d'importantes disparités territoriales existent dans la capacité de répondre aux appels ;

- des services d'intervention en période de crise suicidaire : entretiens dits « en face à face » lorsque la situation ne peut être résolue par téléphone, mise en place d'équipes mobiles se déplaçant au domicile des personnes, création de places d'hébergement de crise (hospitalisation, hébergement temporaire en résidence thérapeutique) ;

- des actions d'intervention auprès des personnes ayant commis une tentative de suicide : cette démarche, désignée sous le terme de « postvention », se développe beaucoup au Québec. Elle consiste à assurer un suivi étroit de la personne une fois la crise suicidaire passée ; certains réseaux locaux de services ont, par exemple, créé des postes d'agent de liaison pour permettre les retours d'information sur l'évolution de l'état de santé du patient. La « postvention » s'adresse également aux proches endeuillés afin d'éviter tout risque de « contagion » du phénomène suicidaire.

Toutes ces actions sont le fruit d'un travail partenarial entre un grand nombre d'intervenants :

- les CSSS, qui sont chargés de planifier l'offre de services aux personnes suicidaires sur leur territoire ;

- les centres de prévention du suicide, qui jouent un rôle d'écoute, d'orientation et de suivi de la personne suicidaire ;

- les centres de crise qui, outre ces mêmes missions, offrent un service d'hébergement de crise alternatif à l'hospitalisation ;

- les médecins de famille et les centres hospitaliers ;

- les réseaux de sentinelles.

Mme Colette Giudicelli. - Le troisième champ d'action est la constitution de réseaux de sentinelles. L'une des particularités du Québec en matière de prévention du suicide est d'avoir implanté, depuis 1998, ces réseaux, initialement dans les milieux de travail puis progressivement dans différents secteurs de la société (établissements scolaires, administrations...).

Les sentinelles sont des citoyens volontaires formés pour jouer le rôle d'intermédiaire entre la personne suicidaire et les services qui peuvent intervenir auprès d'elle. Sans être des professionnels de la santé et des services sociaux, ces personnes sont aptes à reconnaître les signes avant-coureurs chez une personne vulnérable au suicide, à identifier le degré d'urgence de la situation, à renseigner la personne suicidaire sur les services du réseau susceptibles de l'aider, à l'inviter à les utiliser.

De l'avis de tous les interlocuteurs rencontrés, ce dispositif original s'avère, là où il est implanté, précieux et efficace : il favorise l'accès des personnes suicidaires aux services de santé et de services sociaux et permet d'entrer en contact avec les personnes isolées, difficiles à atteindre autrement.

On dénombre actuellement plus de 2 800 sentinelles sur le territoire québécois, dont 38 % sont implantées dans les milieux liés à la jeunesse. Dans la mesure où « seuls » 68 % du territoire sont couverts par des réseaux de sentinelles, la poursuite de leur déploiement fait partie des priorités ministérielles.

Le quatrième champ d'action est la formation des intervenants. Constatant au début des années 2000 d'importantes lacunes dans la formation des professionnels intervenant dans le domaine du suicide, le ministère de la santé et des services sociaux a mis en oeuvre un vaste programme national visant à favoriser l'implantation de bonnes pratiques :

- une formation de trois jours a été créée pour familiariser les intervenants au nouvel outil commun d'évaluation de l'urgence suicidaire, intitulée « Grille d'estimation de la dangerosité d'un passage à l'acte suicidaire ». Nous avons pu nous même remarquer que cette grille, particulièrement bien faite, était très utilisée par les intervenants des centres d'intervention téléphonique ;

- des journées-ateliers pour les gestionnaires des CSSS, orientées vers l'élaboration de plans d'action en faveur de la prévention du suicide ;

- la diffusion des deux guides de bonnes pratiques respectivement destinés aux intervenants et aux gestionnaires de CSSS.

Enfin, le dernier champ d'action est le lancement de campagnes de sensibilisation et de mobilisation. Prenant exemple sur ce qui s'est fait il y a une vingtaine d'années en matière de prévention des accidents de la route, le Québec a décidé d'agir activement en amont de l'émergence des idées suicidaires par l'éducation, la sensibilisation et la mobilisation sociale en diffusant le message que le suicide n'est pas une fatalité.

Les campagnes de sensibilisation, comme la Semaine nationale de prévention du suicide qui se tient chaque année depuis 1991, poursuivent deux objectifs : faire évoluer la représentation sociale du suicide - « contrer la tolérance sociale à l'égard du suicide » selon l'expression utilisée - et communiquer à une très large échelle sur l'existence des outils d'aide, telles que le numéro de la ligne d'intervention 1 866 APPELLE.

La très active association québécoise de prévention du suicide, dont nous avons rencontré le directeur à Québec, fait ainsi de l'évolution des mentalités à l'égard du suicide son cheval de bataille. Elle est notamment à l'origine de la campagne « Le suicide n'est pas une option ».

Mme Annie David, présidente. - Après ce tour d'horizon de nos deux thématiques, je souhaite vous suggérer, chers collègues, quelques propositions sur lesquelles la mission invite à la réflexion.

S'agissant de l'organisation des soins de premier recours :

- nous pensons que la France gagnerait à s'inspirer du système québécois en matière de travail en réseau et de décloisonnement entre les filières sanitaire, sociale et médico-sociale : ces deux caractéristiques permettent une fluidité des parcours de soins qui, chez nous, est encore très balbutiante ;

- nous avons également été frappés par le souci constant d'offrir des services de santé et des services sociaux qui soient bien adaptés aux réalités des territoires ; les acteurs de terrain disposent d'une vraie souplesse dans la mise en oeuvre des stratégies ministérielles et font preuve d'un grand pragmatisme ; deux qualités qui, reconnaissons-le, nous font souvent défaut ;

- nous nous interrogeons, par ailleurs, sur la possibilité d'introduire en France un service d'intervention téléphonique sur le modèle d'Info-Santé et d'Info-Social ; un tel dispositif présenterait un certain nombre d'avantages (meilleure orientation des patients, désengorgement des urgences, rôle de vigie sanitaire...) mais se heurterait inévitablement à un problème à la fois financier et culturel ;

- sur la question plus spécifique de la répartition des compétences entre professionnels de santé, nous invitons nos collègues du groupe de travail à étudier de plus près le dispositif québécois des super-infirmières.

En ce qui concerne la prévention de suicide :

- nous ne pouvons tout d'abord que soutenir la création d'un observatoire national du suicide. Ce nouvel instrument permettra de centraliser l'ensemble des données actuellement disponibles et ainsi de mieux cibler les actions de prévention ;

- il conviendrait ensuite de renforcer très nettement le volet formation des professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social. A ce titre, la grille d'analyse et les guides de bonnes pratiques développés par le Québec nous paraissent être des pistes particulièrement intéressantes ;

- nous pourrions également réfléchir aux moyens de transposer, en France, les réseaux de sentinelles qui participent d'une approche renouvelée des dispositifs de prévention en santé publique ;

- enfin, il nous semble indispensable de déclencher une véritable prise de conscience collective afin que le suicide devienne l'affaire de tous. La délivrance du label Grande cause nationale 2014 à la prévention du suicide pourrait être une première étape.

Je veux, pour finir, souligner l'accueil très chaleureux qui nous a été réservé par nos hôtes québécois ainsi que la parfaite information qu'ils ont su nous procurer. Je crois ne pas trahir le sentiment des autres membres de la délégation en disant tout le plaisir que nous avons eu à participer à cette mission organisée grâce au concours très actif de nos consulats généraux de Québec et de Montréal.

M. Alain Milon. - Vous nous avez interpellés, Catherine Génisson et moi-même, sur la délégation de tâches entre professionnels de santé. Le dispositif des « super-infirmières » que vous décrivez ne me paraît pas très différent de ce qui existe en France avec les infirmières spécialisées. Nous travaillons actuellement, dans le cadre de la préparation de notre rapport d'information, sur le fait de savoir si la délégation de tâches est seulement liée à la pénurie de médecins dans certains secteurs ou si elle ne répond pas aussi à la nécessité de professionnaliser certains métiers de la santé. Nous nous orientons vraisemblablement vers cette deuxième option.

Sur le suicide, reconnaissons que la politique de prévention menée en France n'est pas si mauvaise. Nous pourrions, en revanche, davantage axer nos efforts sur la « postvention », à l'image de ce que fait le Québec.

S'agissant des dépassements d'honoraires, il faudrait, pour que la comparaison entre le Québec et la France soit pertinente, savoir à combien s'élève le salaire des médecins québécois. On sait très bien qu'en France, la pratique des dépassements d'honoraires est liée à l'insuffisante revalorisation des actes opposables.

Je rappelle, par ailleurs, que des services téléphoniques existent aussi en France, comme le 15 en cas d'urgence médicale.

Depuis la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », la coopération entre les secteurs sanitaire et médico-social se développe, par exemple dans le cadre des communautés hospitalières de territoire (CHT). En outre, nos maisons de santé me semblent assez proches des CSSS québécois.

Mme Catherine Procaccia. - Il est toujours intéressant d'étudier ce qui se fait à l'étranger mais il ne faut pas oublier que, dans le cas du Canada, l'échelle géographique n'est pas la même ! Ce qui se pratique là-bas n'est pas forcément transposable à la France.

L'ambassadeur de France au Canada, que j'ai récemment rencontré à l'occasion d'un colloque, m'a expliqué que la problématique des déserts médicaux ne se posait pas dans les mêmes termes que chez nous car les médecins canadiens ne choisissent pas leur lieu d'exercice. Est-ce la même règle au Québec ?

Y avez-vous rencontré des médecins et des infirmières français qui connaissent des problèmes liés à la reconnaissance de leurs diplômes et à leur liberté d'installation ?

M. Yves Daudigny. - Vous insistez sur l'approche intégrée du système de santé québécois. C'est, je crois, une différence majeure avec la France, où il existe une véritable séparation entre la dimension sanitaire et la dimension médico-sociale. Qui plus est, les interlocuteurs ne sont pas les mêmes. Certes, avec la création des ARS, nous gagnons en transversalité, mais beaucoup reste encore à faire.

Par ailleurs, je crois qu'il est important, pour la survie de notre système de soins, d'avancer sur le dossier de la répartition des tâches entre professionnels de santé.

Mme Colette Giudicelli. - Nous avons été particulièrement frappés par la place accordée à la dimension humaine des problématiques de santé. D'ailleurs, le bénévolat y est beaucoup plus développé qu'en France.

Mme Catherine Deroche. - Il faut reconnaître que la démarche mise en oeuvre en matière de prévention du suicide est assez intrusive ; la prise en charge va parfois très loin dans l'intimité des personnes, ce que nous n'accepterions peut-être pas en France.

En matière de recherche, tous les programmes font l'objet d'une évaluation, ce qui n'est pas toujours le cas ici.

La collaboration entre le médico-social et le sanitaire est effectivement très poussée ; il n'existe pas de culture du secret comme chez nous.

Les « super-infirmières » ne correspondent pas vraiment à nos infirmières spécialisées car elles ont une compétence générale. Leur champ d'intervention est toutefois très précisément défini. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une délégation de tâches puisqu'elles sont entièrement responsables de leurs actes.

Dernier point : du fait de l'étendue et de la diversité de leur territoire, les Québécois font preuve d'une grande capacité d'adaptation et de souplesse dans la mise en oeuvre des dispositifs.

Mme Annie David, présidente. - Il est vrai que leur politique de prévention du suicide peut paraître intrusive. Preuve en est la procédure dite « P-38 » qui permet aux forces de police d'interpeller et de placer en établissement toute personne dont l'état de santé mentale présente un danger pour elle-même ou pour autrui. Se pose alors la question des libertés individuelles...

En France, il existe certes des services téléphoniques comme le 15, mais ceux-ci ne s'adressent pas spécifiquement aux personnes suicidaires. L'avantage du système québécois est de permettre à ces personnes de s'adresser directement à un interlocuteur formé.

De manière générale, il y a eu au Québec une véritable prise de conscience collective par rapport au suicide : on parle d'ailleurs de « personnes qui se sont ôté la vie ». Cette expression reflète bien l'état d'esprit qui y règne : le suicide n'est pas une fatalité, on peut l'empêcher.

S'agissant des CSSS, dont la création est assez récente, je crois que la comparaison avec les maisons de santé n'est pas pertinente : la maison de santé est un regroupement de professionnels de santé, alors que le CSSS est une structure de pilotage de l'offre de services de santé et de services sociaux sur un territoire donné.

Nous devrions, me semble-t-il, nous inspirer de cette approche globale qui envisage la personne comme un tout et non pas comme une somme de parties.

Le territoire du Québec est effectivement très vaste et hétérogène mais, même dans les régions isolées, une réponse existe. Il est justement du ressort des CSSS d'adapter l'offre de soins aux spécificités locales. Ainsi, l'un des CSSS que nous avons visités à Montréal n'est pas confronté au même public que celui du Saguenay Lac Saint-Jean.

Mme Claire-Lise Campion. - Je voudrais apporter un témoignage car je me suis rendue au Québec, quelques jours avant la délégation de la commission, dans le cadre des Assises franco-québécoises. Ayant visité un CSSS dans la région rurale des Chaudière-Appalaches, j'ai pu mesurer combien cette coopération entre le sanitaire et le médico-social était développée. J'ai aussi été frappée par l'implication des citoyens sur tous les sujets de société et par l'importance du bénévolat.

Les territoires ruraux ne sont pas exclus de cette dynamique, bien au contraire. Cette approche intégrative irrigue l'ensemble du territoire. Le recours à la télémédecine, sujet d'actualité chez nous, y est également très développé.

M. Jean-Claude Leroy. - Dans mon département du Pas-de-Calais, une maison de santé pluridisciplinaire a été créée. C'est bien la preuve que la démarche partenariale entre professionnels existe aussi ici !

Mme Annie David, présidente. - Je pense que les maisons de santé se rapprochent davantage des GMF québécois que des CSSS.

M. Jean Desessard. - Pour répondre à Alain Milon, nous n'avons pas spécifiquement étudié la question de la rémunération des médecins québécois. Toutefois, l'un de nos interlocuteurs a parlé d'un revenu mensuel équivalent à 6 000 euros pour un médecin généraliste.

Je voudrais revenir sur deux enseignements : premièrement, la dimension « service public » du système de santé et de services sociaux québécois ; il s'agit du premier poste budgétaire de la province, ce qui n'a jamais été remis en cause ; deuxièmement, le social et la santé sont imbriqués l'un dans l'autre, ce qui constitue une grande force.

Comme la présidente, je crois que les maisons de santé se rapprochent plus des GMF que des CSSS.

M. Jean-Claude Leroy. - Je précise que la maison de santé en question a noué un partenariat avec un hôpital public.

M. Jean Desessard. - Au Québec aussi, les coopérations avec les hôpitaux publics sont très développées.

J'insiste en outre sur le fait que priorité a été donnée aux services de première ligne afin de répondre plus rapidement possible aux demandes de la population.

Mme Annie David, présidente. - Et ceci pour éviter l'engorgement des services de deuxième et de troisième lignes.

M. Jean Desessard. - Je suis en revanche d'accord avec mes collègues pour dire que la politique de prévention du suicide présente un risque d'intrusion dans la vie privée des personnes.

M. Alain Milon. - Rien n'est parfait !

Mme Annie David, présidente. - Pour ma part, je n'ai qu'un seul regret ; ne pas avoir eu le temps de rencontrer des usagers de ces services de santé et services sociaux.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Sécurité sociale - Certification des comptes 2012 - Audition du Premier président de la Cour des comptes

Mme Annie David, présidente. - Nous recevons M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, afin qu'il nous présente, comme chaque année, le rapport de certification des comptes du régime général pour 2012 qui a été rendu public le 1er juillet dernier. L'an passé, la Cour avait refusé de certifier les comptes 2011 de la branche famille et de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), ainsi que ceux de la branche accidents du travail et maladies professionnelle (AT-MP).

Pour 2012, les comptes de la branche famille et de la Cnaf sont certifiés avec réserves. Sur les branches maladie et vieillesse, et sur les activités de recouvrement, le nombre de réserves a légèrement diminué. En revanche, on constate toujours des difficultés sur la branche AT-MP, puisque la Cour se déclare dans l'impossibilité de formuler une opinion sur les comptes 2012, après qu'elle eut refusé de certifier les comptes 2010 et 2011.

Le contenu du rapport est particulièrement technique, mais il est bien entendu important pour notre commission de connaître la nature des problèmes soulevés par la Cour, dans la mesure où ils peuvent refléter une mauvaise application des règles régissant la gestion des prestations et du financement de la sécurité sociale, au préjudice des assurés ou de la collectivité.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Le rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale pour l'exercice 2012 vous a été remis en application de la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale.

Il a été préparé par la 6e chambre de la Cour, que préside Antoine Durrleman. Les travaux sur lesquels il s'appuie ont été animés par Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général, auxquels a contribué Mme Marie-Laure Berbach, conseillère référendaire.

Ce rapport, le septième que présente la Cour, s'adresse avant tout au Parlement, mais également au Gouvernement, aux conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale et aux organismes de base qu'elles regroupent, ainsi qu'à l'ensemble des citoyens. Il vise à apporter une assurance raisonnable sur la régularité, l'image fidèle et la sincérité de neuf états financiers distincts : les comptes combinés de chacune des quatre branches de prestations (maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille, vieillesse) et ceux de l'activité de recouvrement ; les comptes annuels des quatre organismes nationaux du régime général - la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), la Cnaf, la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) et l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

Les comptes des autres régimes et organismes nationaux de sécurité sociale sont audités par des commissaires aux comptes, avec lesquels la Cour entretient d'étroites relations de travail, dans le cadre prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Les seuls comptes du régime général pour 2012 retracent 483,1 milliards d'euros de produits, incluant les ressources du régime général, mais également des ressources affectées à d'autres attributaires, comme les cotisations d'assurance chômage recouvrées pour le compte de l'Unedic, et 403,3 milliards d'euros de charges, comportant certaines prestations financées par des tiers, comme le revenu de solidarité active versé pour le compte de l'Etat et des collectivités territoriales. Les produits et charges audités par la Cour représentent respectivement 23,8 % et 19,8 % de la richesse nationale.

La certification des comptes du régime général apporte une contribution majeure à la qualité et à la transparence des comptes publics de notre pays, dont ils sont une composante essentielle. Au-delà, elle constitue aussi un puissant levier de modernisation de la gestion des organismes de sécurité sociale. La meilleure fiabilité des procédures, la correcte application des décisions du législateur et de l'autorité règlementaire, le développement du contrôle interne sont des vecteurs d'efficience accrue, comme la Cour le constate année après année. Les progrès qu'elle relève dans la maîtrise des risques d'anomalies et d'erreurs de portée financière et dans la lutte contre les fraudes sont porteurs d'économies considérables dans les dépenses. Ils contribuent à améliorer la qualité du service rendu aux assurés sociaux, qui sont les premiers à supporter les conséquences d'erreurs de liquidation, qu'elles soient à leur détriment ou à leur avantage, le rappel des indus, s'ils sont détectés, étant source de difficultés.

Les comptes du régime général de sécurité sociale pour 2012 font apparaître un déficit de 13,3 milliards d'euros (contre 17,4 milliards d'euros en 2011).

Comme les années précédentes, il n'intègre pas la quote-part du déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) correspondant à ses prises en charge de cotisations et de prestations en faveur de la branche vieillesse. Cela conduit à minorer le déficit de cette branche, à hauteur de 3,9 milliards d'euros en 2012.

Selon les travaux de la Cour, le déficit total cumulé du régime général et du FSV, arrêté à 17,45 milliards d'euros, exactement égal à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, est sous-estimé à hauteur de 300 millions d'euros. Cette minoration résulte de deux désaccords avec les producteurs de comptes : l'un porte sur une sous-évaluation des provisions pour remboursement de soins délivrés à l'étranger ; l'autre sur une surévaluation des produits à recevoir au titre du forfait social.

Le régime général réalise chaque année des centaines de millions d'opérations. Compte tenu de cette énorme masse, la Cour cherche tout particulièrement à apprécier dans quelle mesure les systèmes d'information et les dispositifs de contrôle interne, par leur conception et leur mise en oeuvre, permettent de maîtriser les risques d'anomalies ayant une incidence sur les comptes.

Progressivement, en raison des travaux d'audit conduits dans le cadre de la certification depuis sept ans, les organismes de sécurité sociale ont pris conscience de la nécessité de mieux maîtriser les risques financiers liés à leurs activités et d'améliorer la qualité de leurs comptes. Ce sont de lourds chantiers, qui impliquent des refontes des systèmes informatiques et des réorganisations profondes. La Cour accompagne ces efforts en suivant, chaque année, les résultats des actions entreprises pour améliorer la qualité des comptes.

Dans le cadre de l'audit des comptes 2012, la Cour a observé de réels progrès dans certains domaines. Ils sont d'autant plus à souligner que les organismes de sécurité sociale ont dû faire face à un contexte règlementaire en constante et rapide évolution et que l'activité de recouvrement a poursuivi dans le même temps la restructuration de son réseau. Le nombre de réserves ou d'éléments motivant une impossibilité de certifier est passé de quarante-deux en 2011 à trente-sept en 2012. La tendance au ralentissement de l'amélioration continue de la qualité des comptes du régime général, dont je m'étais inquiété l'année dernière, s'est donc inversée.

Les progrès sont inégaux selon les branches et les secteurs. De nombreux travaux destinés à fiabiliser les comptes, à sécuriser les procédures et à mieux maîtriser les erreurs et anomalies de portée financière tardent encore à être engagés ou à produire leurs effets. La Cour a même constaté que certaines difficultés qu'elle avait déjà relevées se sont aggravées.

Les opinions de la Cour pour l'exercice 2012 sont l'expression de cette situation contrastée. Leurs motivations détaillées mettent en évidence des insuffisances encore marquées des dispositifs de contrôle interne et des désaccords significatifs sur les comptes.

Mais ses travaux lui ont permis cette année de revenir sur les deux refus de certification qu'elle avait prononcés l'an dernier. Ces deux changements de position traduisent une implication accrue des producteurs de comptes et de leur administration de tutelle.

Alors que la Cour avait refusé de certifier les comptes 2011 de la branche famille, elle certifie ceux de 2012 avec des réserves. Alors qu'elle avait refusé de certifier les comptes 2011 de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles, elle constate cette année qu'elle est dans l'impossibilité d'exprimer une opinion, ce qui par rapport à 2011 traduit un progrès, certes insuffisant.

Comme en 2011, la Cour certifie avec réserve les comptes combinés de la branche maladie pour l'exercice 2012. La réduction très sensible des anomalies qui affectaient les enregistrements comptables des prises en charge de cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux a permis de lever une réserve. Leur nombre passe de cinq à quatre.

Toutefois, la tendance générale est celle d'une aggravation des constats de la Cour. Ainsi, les prestations en nature - c'est-à-dire, principalement, les remboursements de soins de ville et en clinique et les séjours dans les établissements médico-sociaux au prix de journée - comme les prestations en espèces - indemnités journalières et pensions d'invalidité - sont affectées par de fréquentes erreurs de liquidation. Leur incidence financière est vraisemblablement sous-estimée. En outre, la branche ne vérifie que de manière très ponctuelle si les règlements qu'elle effectue sont conformes aux ordonnances et aux accords préalables.

La Cour a également constaté un défaut de fiabilité des données prises en compte pour procéder à la répartition entre les différents régimes d'assurance maladie des règlements aux établissements hospitaliers au titre de la tarification à l'activité - la T2A. Le régime général supporte un excès de charges par rapport à d'autres régimes.

Enfin, les modalités d'évaluation de certaines estimations comptables - provisions pour risques et charges et produits à recevoir -, constituent des motifs de désaccord entre la Cour et le producteur des comptes. La sous-évaluation des provisions relatives aux remboursements de soins délivrés à l'étranger et la surévaluation des produits à recevoir au titre du forfait social sont à l'origine d'une amélioration injustifiée de 224 millions d'euros du résultat 2012 de la branche maladie.

J'en viens aux comptes de la branche AT-MP. En 2011, le défaut de provisionnement des conséquences financières très lourdes des contentieux intentés par les employeurs qui ne sont pas réglés à la clôture des comptes avait conduit la Cour à refuser de certifier ses comptes.

En 2012, pour la première fois et au prix de travaux importants, la branche a comptabilisé une provision au titre de ces contentieux, pour un montant de 667 millions d'euros au 31 décembre 2012. C'est, je le répète, un réel progrès. Cependant, malgré des diligences approfondies, la Cour n'a pas été en mesure de recueillir les éléments probants, qui lui auraient permis d'écarter le risque que le montant de cette provision soit affecté par des erreurs majeures, susceptibles d'avoir bouleversé la physionomie des comptes, et tout particulièrement le résultat de la branche.

L'application des normes internationales d'audit a conduit la Cour à constater l'impossibilité d'exprimer une opinion sur les comptes 2012 de la branche AT-MP.

Par ailleurs, la Cour a relevé que les contributions de cette branche à la branche vieillesse qui ont pour objet de financer les départs anticipés en retraite au titre de la pénibilité du travail (145 millions d'euros au total pour 2011 et 2012) excèdent très largement les charges réellement supportées à ce titre par la Cnav, soit 24 millions d'euros pour ces deux années. Cependant, la branche AT-MP et la branche vieillesse ont comptabilisé des charges et des produits à hauteur de 145 millions d'euros, en anticipant des charges et des produits des exercices suivants.

Enfin, la Cour constate toujours des insuffisances marquées dans le contrôle interne de la détermination des taux de cotisation par les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) et le recouvrement de ces dernières par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf).

Pour la branche famille, la Cour avait refusé de certifier les comptes de l'exercice 2011, en raison de l'importance des anomalies et erreurs de portée financière qui affectaient les prestations versées et comptabilisées par la branche, qui était estimé à l,54 milliard d'euros en 2011.

Pour 2012, ce montant a été ramené, à méthode d'estimation constante, à 1,15 milliard soit un peu moins qu'en 2010, où la Cour avait certifié les comptes avec des réserves. Cette évolution favorable traduit l'incidence des dispositifs mis en oeuvre par la branche afin de fiabiliser les données relatives à la situation des allocataires.

Après avoir audité très précisément cette estimation, la Cour a décidé de certifier les comptes de la branche famille, sous toutefois quatre réserves, montrant que la Cnaf doit encore amplifier ses efforts.

Elle a constaté que le dispositif de contrôle interne mis en oeuvre demeure affecté par des insuffisances marquées, dans sa conception comme dans son pilotage. Les processus normalisés de gestion définis par la Cnaf ne couvrent encore qu'une partie des prestations liquidées par la branche et les processus diffusés sont pour partie inadaptés à la nature des tâches de gestion et aux risques. A la différence des autres branches, la qualité de la liquidation ne donne au demeurant pas lieu à des objectifs chiffrés et ne fait pas l'objet d'un suivi effectif. Alors que les contrôles des agences comptables ne couvrent qu'une part réduite des opérations, les services ordonnateurs ne mettent pas en oeuvre de supervisions.

D'autres faiblesses concernent la justification des comptes, le contrôle interne des prestations d'action sociale, le système d'information ou encore la gestion des prestations familiales déléguées à des tiers, par le régime agricole, les entreprises publiques ou les collectivités publiques des départements d'outre-mer. Une partie de ces collectivités ne déclarent pas ou ne règlent pas les cotisations familiales assises sur les rémunérations de leurs agents.

S'agissant de la branche vieillesse, la Cour a reconduit en 2012 sa position de 2011, en certifiant les comptes avec six réserves.

L'intensité de ces réserves évolue en 2012, mais elles portent sur des thèmes quasi identiques à ceux des réserves exprimées sur les comptes de l'exercice précédent. Si la branche n'est pas restée inactive, et a poursuivi ou engagé des chantiers importants, le rythme de la mise en oeuvre d'évolutions préconisées de longue date par la Cour est trop lent. C'est le cas des contrôles visant à assurer la cohérence des données notifiées par les organismes sociaux ou déclarées par les employeurs.

Sur la gestion des données de paiement des titulaires de prestations ou les relations financières entre la branche vieillesse et des organismes tiers, de nouveaux risques ou motifs de désaccord ont été identifiés en 2012. Certains constats se sont aggravés et nécessitent une action déterminée de la branche pour remédier à cette situation dès 2013. C'est le cas pour les erreurs qui affectent les pensions nouvellement attribuées : en 2012, 9,1 % de celles-ci sont affectées par une erreur de portée financière, contre 7,5 % en 2011. L'impact de ces erreurs s'élève à 0,84 % du montant total des droits liquidés et comptabilisés, soit nettement plus que le niveau fixé dans la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et la branche vieillesse. La situation est particulièrement préoccupante dans quatre organismes de la branche.

J'en termine maintenant par l'activité de recouvrement. La Cour a également reconduit sa position, en certifiant les comptes de l'exercice 2012 avec six réserves, contre huit en 2011.

Des améliorations notables ont permis la levée de certaines réserves. La justification des comptes progresse. Mais la méthode de dépréciation des créances sur les cotisants est inadaptée ; le traitement comptable des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants et des impôts et taxes recouvrés par l'Etat n'est pas conforme au principe de la tenue des comptes des organismes de sécurité sociale en droits constatés ; le contrôle interne des prélèvements sociaux dont sont redevables les employeurs de salariés et les organismes qui versent des revenus de remplacement est faible ; malgré des progrès, des dysfonctionnements des comptes cotisants des artisans et des commerçants relevant du dispositif dit de « l'interlocuteur social unique » perdurent.

L'ensemble des branches omettent de mentionner dans leurs annexes aux comptes leurs engagements pluriannuels à l'égard des titulaires de prestations ou de leurs ayants droit au 31 décembre de l'exercice 2012. Les montants qui devront être versés dans le futur aux titulaires de pensions de retraite, d'invalidité, de rentes d'accidents du travail et de maladies professionnelles et de certaines prestations versées par la branche famille, telles que les aides au logement, pour celles qu'elle finance en totalité ou en partie, ou l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, ne sont pas évalués, ni retracés dans leurs états financiers. Une information de cette nature figure pourtant dans l'annexe au compte général de l'Etat pour ce qui concerne les pensions civiles et militaires, les aides au logement et l'allocation aux adultes handicapés. Les états financiers du régime général omettent par conséquent des informations essentielles pour l'appréciation des passifs de ce régime, de la situation des finances publiques et de la soutenabilité des politiques publiques.

Même si des progrès concourent à une plus grande fiabilité des comptes du régime général, ce dont je me réjouis, les chantiers en cours ne manquent pas.

Si l'objectif - partagé avec l'ensemble des organismes du régime général et leurs autorités de tutelle - d'une certification sans réserve ne sera pas atteint avant plusieurs années, la responsabilité de la Cour est plus que jamais de susciter les progrès nécessaires, par la voie de constats objectifs et précis, et de les accompagner en en suivant la réalisation et en levant des réserves, dans le cadre de trajectoires de progrès.

Vous connaissez la phrase de Pierre Mendès-France : « les comptes en désordre sont la marque des nations qui s'abandonnent ». En contribuant à « mettre de l'ordre » dans les comptes, la mission de certification que le législateur a confiée à la Cour remplit une fonction, majeure, parce qu'elle contribue directement à la transparence des comptes et à la modernisation de la gestion des administrations publiques, conditions indispensables à la maîtrise des finances publiques.

Mme Isabelle Pasquet, rapporteure pour la branche famille. - Comment la Cour explique-t-elle la diminution des erreurs et anomalies de portée financière dans la branche famille ? Les efforts demandés à la Cnaf les années précédentes ont-ils été suffisants ? Cette année encore, vous avez constaté de nombreuses faiblesses du contrôle interne. Les procédures mises en place par les CAF pour réaliser des contrôles ciblés ont-elles été suivies d'effets ? Quelle est votre analyse ?

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur pour la branche AT-MP. - Pour la troisième année consécutive, vous vous déclarez dans l'incapacité de certifier les comptes de la branche AT-MP. L'an dernier, vous mettiez l'accent sur les contentieux non provisionnés. Cette année, des provisions de 667 millions d'euros ont été constituées, mais vous pointez le manque de données fiables. Quels types de données attendez-vous de la branche AT-MP ?

Je m'étonne comme vous de l'absence d'engagements pluriannuels. Il y a lieu de s'étonner aussi du niveau des reversements de la branche vieillesse : nous savons qu'une partie de ce montant ne sera pas consommée.

Pour la troisième année consécutive, la direction des risques professionnels affirme s'être engagée dans une coopération étroite avec les autres secteurs. Comment les contrôles sur le terrain des comptes de la branche sont-ils définis ?

Dans votre rapport public annuel, vous critiquez la faible efficacité de la politique de prévention : pouvez-vous préciser pourquoi ? Le coût du risque est-il pris en compte dans la réforme en cours depuis 2009 ? Quelles conséquences sur le tableau des maladies professionnelles ?

Mme Annie David, présidente. - Je me substitue à M. Yves Daudigny, rapporteur général, qui a dû quitter notre réunion voici quelques instants. Il souhaitait rappeler que l'an dernier, le cadre national relatif aux contrôles des agences comptables avait été renforcé par la diminution des plafonds d'anomalies tolérées et la révision de la table nationale des motifs de signalement dans un sens plus contraignant. La Cour signale que ces préconisations n'ont pas été mises en oeuvre en 2012 dans toutes les Urssaf. Pour quelles raisons ? Cette hétérogénéité vous paraît-elle justifiée ? Sera-t-elle traitée en 2013 ? Par ailleurs, la Cour met en évidence les lacunes du contrôle interne des Urssaf portant sur les prélèvements sociaux (CSG et le CRDS) précomptés sur les revenus de remplacement. Elle prévoit néanmoins des évolutions importantes en ce domaine en 2013. Le cadre national de la gestion des prélèvements précomptés a-t-il été effectivement mis en place au cours des six premiers mois de l'année ? L'a-t-il été de manière homogène dans l'ensemble des organismes du réseau ?

M. Didier Migaud. - Le montant des erreurs et anomalies de portée financière est apprécié à travers des tests dits de « re-liquidation », consistant à recalculer le montant des prestations servies huit mois après la liquidation, lorsque les contrôles ont produit la plupart de leurs effets. Nous vérifions la permanence des méthodes employées d'un exercice à l'autre et la correcte détermination des résultats des tests en fonction des règles nouvelles définies par la Cnaf. En 2012, comme en 2011 et en 2010, ils confirment l'usage d'une méthodologie nationale. La baisse significative des erreurs et anomalies de portée financière justifie le changement de position de la Cour. Elle s'explique par les efforts importants accomplis pour s'assurer de la fiabilité des données relatives à la situation des allocataires, mieux détecter les anomalies, intentionnelles ou non, maîtriser les risques liés à l'identification des allocataires pour éviter les doublons, échanger des informations avec la direction générale des finances publiques (DGFIP) et Pôle emploi, afin de contrôler les ressources et les allocations chômage. Ces efforts marquent des progrès. Mais ils ne sont pas suffisants. La Cnaf s'est concentrée sur la fiabilité des données transmises par les allocataires, sans prendre en compte suffisamment les erreurs internes liées au traitement de ces données par ses services. Son dispositif de contrôle interne est insuffisant, tant dans sa conception que dans son pilotage. La couverture des prestations est trop partielle. Pour les prestations couvertes, il est inadapté aux tâches de gestion du risque et manque d'objectifs chiffrés. Le nombre de contrôles est en recul par rapport à l'année précédente.

Au total, le montant accumulé des erreurs et anomalies de portée financière demeure très élevé (1,15 milliard d'euros). C'est pourquoi la nouvelle convention d'objectifs et de gestion 2013-2017 renforce les efforts de maîtrise des risques financiers, y compris ceux qui découlent des erreurs d'origine interne aux CAF. De profondes évolutions doivent encore intervenir. Le data mining ou profilage des données à contrôler a été mis en oeuvre en 2011 pour améliorer le contrôle sur pièces et sur place des données présentant les risques les plus élevés. Or les contrôles sur pièces et sur place ne constituent qu'une part limitée, en 2012, des actions de contrôle mis en oeuvre par les CAF. L'effort de data mining doit être relativisé. Il n'a produit en 2012 que 78 millions d'euros de rappels et d'indus sur un total de 234 millions d'euros d'indus et de rappels dus aux contrôles sur place et 22 millions d'euros pour les contrôles sur pièces, qui ont eu pour corollaire une diminution des contrôles des agences comptables sur les actes de liquidation des services ordonnateurs. Le rendement financier a donc baissé en valeur absolue. Fin 2012, la Cnaf a étendu la technique du data mining au contrôle de cohérence des ressources et des allocations chômage déclarées par les allocataires, que nous ne pourrons évaluer que dans notre rapport 2013.

Donc, des progrès ont été enregistrés, mais il reste des éléments à améliorer.

Quant à la branche AT-MP, nous n'avons pu certifier ses comptes pour 2012, mais notre position a évolué. Nous sommes passés d'un refus de certifier en 2010 à une impossibilité de certifier.

M. Antoine Durrleman, président de la 6e chambre de la Cour des comptes. - C'est un progrès. L'an dernier, nous avions un désaccord comptable majeur avec le producteur des comptes, c'est-à-dire le directeur général de la Cnam, responsable de la branche AT-MP, qui considérait qu'il n'y avait pas lieu de provisionner les risques liés à ces contentieux. Cette année, il a accompli un changement copernicien, en acceptant d'entrer dans la logique du provisionnement, ce qui marque un progrès tangible, réel et sérieux. Il n'est pas pour autant complètement satisfaisant, dans la mesure où nous ne sommes pas sûrs que ces provisions importantes soient bien calculées. Le processus de remontée d'informations depuis les caisses primaires d'assurance maladie (Cpam) n'est pas construit. Or, il y a plus de 50 000 contentieux. La Cnam en est bien consciente, qui met en place un système d'information spécifique, devant offrir une vision précise du mode de calcul des provisions en 2014.

M. Didier Migaud. - Nous espérons que l'année prochaine ces progrès nous conduiront à certifier les comptes, même si nous devrons probablement exprimer des réserves.

M. Jean-Pierre Viola, conseiller-maître, rapporteur général de la 6e chambre de la Cour des comptes. - La gestion du contentieux est suivie sur un simple tableur qui retrace les seuls flux de gestion, sans mémorisation des données. Quand la Cnam a voulu rechercher celles du 31 décembre 2011, elles n'étaient pas disponibles. Elle s'est fondée sur les déclarations des Cpam, mais nos travaux ont fait apparaître beaucoup d'anomalies dans le calcul de ces données. De plus, la Cnam n'a pas fait intervenir l'audit interne pour fiabiliser les données et déterminer leur marge d'incertitude. Nous ne savons pas si elles sont sous-évaluées de 10 % ou surévaluées de 50 %. Faute de connaître cette marge d'erreur, nous ne pouvions certifier.

M. Jacky Le Menn. - Vous heurtez-vous à des raisons techniques, liées aux programmes informatiques, ou à de la mauvaise volonté ?

M. Jean-Pierre Viola. - Il n'y a aucune mauvaise volonté. Nous dialoguons beaucoup avec la direction des risques professionnels, pour surmonter ces difficultés de façon pragmatique, dans l'attente du déploiement d'une application nationale de gestion du contentieux. Historiquement, l'ensemble du régime général a pâti d'investissements informatiques insuffisants, voire inexistants. C'est le cas de la fonction contentieuse de la branche AT-MP, alors même que les contentieux sont financièrement significatifs...

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. - Sur la prévention, vous proposez d'établir une liste de « points noirs », des entreprises affichant un taux important d'accidents du travail...

M. Antoine Durrleman. - Nous avons travaillé avec la branche AT-MP sur la politique de prévention, dont l'outil principal est la tarification. La réforme récente tend à tarifer davantage au réel, en fonction des accidents constatés dans certains secteurs d'activité, afin d'encourager les entreprises concernées à fournir des efforts internes de prévention, avec les partenaires sociaux. Nous avons constaté que les autres actions menées par la branche pour développer des réseaux thématiques de prévention étaient très dispersés et que leurs priorités étaient mal objectivées. Il convient de se rapprocher, par la tarification, du coût du risque, en fonction des priorités souhaitées. La Carsat de Midi-Pyrénées a obtenu des résultats, en menant un travail de fond et en ciblant ses priorités. Cela peut s'accompagner d'un remodelage du tableau des maladies professionnelles. Ce n'est pas une condition sine qua non pour améliorer les comptes.

A la suite du rapport public de la Cour, les pouvoirs publics ont décidé de caler la convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP sur celle de la branche maladie, pour une plus grande homogénéité.

M. Didier Migaud. - Yves Daudigny constatait que les préconisations de la Cour avaient été diversement appliquées par les Urssaf et souhaitait savoir ce qu'il en serait en 2013.

M. Antoine Durrleman. - De nouvelles instructions ont été émises en 2012 dans le cadre du dispositif national de contrôle des agences comptables. Nous avons malheureusement constaté que tous les Urssaf, alors en réorganisation, ne les avaient pas mises en oeuvre immédiatement. Lorsqu'elles étaient appliquées, les contrôles de deuxième niveau - ou de supervision - n'étaient pas mis en place. Nous serons attentifs à ces questions lors de la certification de l'exercice 2013.

Les erreurs de liquidation, quant à elles, concernent les contributions des organismes qui versent des revenus de remplacement. Sur ce sujet resté en jachère, l'Acoss n'avait pas de plan de contrôle précis. Un dispositif spécifique devait être lancé en janvier 2013. Nous y reviendrons donc cette année. D'une manière générale, les caisses nationales s'ébrouent lentement, mais finissent par agir.

M. Alain Milon. - Vous écrivez dans votre note de synthèse sur la branche maladie : « En outre, la répartition entre les régimes d'assurance maladie des règlements aux établissements hospitaliers au titre de la tarification à l'activité s'appuie sur des données manquant de fiabilité. » Quelles sont ces données manquant de fiabilité ? D'autant plus que vous concluez : « De ce fait, selon l'analyse de la Cour, le régime général supporte un excès de charges. »

Jean-Pierre Viola. - Les établissements hospitaliers doivent renseigner deux applications : l'une leur permet d'obtenir le financement au titre de la T2A, l'autre de répartir ces montants entre les différents régimes d'assurance maladie. Certains établissements ne renseignent pas toutes les données sur toutes les périodes et les données renseignées dans les deux applications diffèrent. Il en résulte un excès de charges pour le régime général et une insuffisance pour le régime sociale des indépendants (RSI). Le ministère des affaires sociales travaille à l'élaboration d'un dispositif radicalement simplifié qui évitera aux établissements une saisie exclusivement destinée à opérer la répartition entre les régimes. Il s'agit d'ailleurs d'une répartition analytique car le déficit de la plupart des autres régimes est compensé in fine par le régime général ; mais ce n'est pas le cas pour le RSI, dont l'équilibre est assuré par la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).

M. Jean-Noël Cardoux. - Une question marginale mais importante : les dernières lignes de la synthèse du rapport que vous nous présentez signalent une déficience du contrôle interne, en particulier sur « les prélèvements sociaux des travailleurs indépendants, (...) relevant du dispositif de l'interlocuteur social unique partagé entre l'activité de recouvrement et le régime social des indépendants. » J'y vois une contradiction : comment peut-on à la fois avoir un interlocuteur unique et un dispositif partagé ? L'intransigeance des Urssaf désespère en ce domaine les travailleurs indépendants, parfois poussés au dépôt de bilan. Les dysfonctionnements que vous censurez ne viendraient-ils pas du refus de ces dernières d'abandonner au RSI le recouvrement de certaines contributions, en contradiction avec l'esprit de la réforme ?

M. Georges Labazée. - Comment expliquer les fréquentes erreurs de liquidation, à l'heure où tous les organismes disposent de moyens informatiques censés les éviter ? Je m'étonne également que la branche AT-MP doive supporter la charge des retraites anticipées pour pénibilité.

M. René-Paul Savary. - Les dépenses des départements pour financer le revenu de solidarité active (RSA) par le biais des CAF sont insuffisamment compensées, à hauteur de 1,8 milliard d'euros selon l'association des départements de France (ADF). Or la valeur ajoutée des départements en cette matière est faible, en comparaison avec leur savoir-faire certain pour des prestations comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Pourquoi ne pas simplifier ce circuit compliqué, où l'Etat doit rembourser les départements, qui paient les CAF, qui elles-mêmes paient l'usager. Pourquoi l'Etat ne rembourserait-il pas directement les CAF ?

Mme Colette Giudicelli. - Les mesures comme la suppression des réductions d'impôt pour frais de scolarité, la baisse de la prime à la naissance, le plafonnement toujours plus bas du quotient familial - jusqu'à 1 500 euros l'an prochain - ou la baisse programmée de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) sont-elles significatives au regard des finances générales, ou ne font-elles que poser des problèmes aux familles ?

M. Didier Migaud. - Ces questions ne relèvent pas de l'exercice de certification ; nous les avons évoquées dans d'autres rapports en faisant des propositions, mais c'est aux décideurs - Gouvernement comme Parlement - de faire le tri entre celles-ci. Nous souhaitons néanmoins attirer votre attention sur la nécessité de maîtriser davantage la dette sociale ; ce n'est pas aux générations futures de supporter les déficits actuels des régimes sociaux, qui sont une anomalie. Nous en parlerons dans le rapport d'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale que nous publierons en septembre.

M. Antoine Durrleman. - D'une manière générale, le contrôle interne est essentiel pour un organisme de sécurité sociale, qui traite des centaines de milliers d'opérations. Le contrôle interne consiste à être capable d'analyser, de cartographier les risques et de les maîtriser par des dispositifs de contrôles embarqués. Cette notion n'a été installée dans les organisations qu'avec la certification des comptes, il y a sept ans. Les contrôles existaient, mais étaient bureaucratiques, non concomitants, et souvent déportés de l'ordonnateur vers le comptable. En cela, la certification change la logique et constitue une modernisation. La trajectoire n'est pas toujours facile : les organismes de sécurité sociale doivent gérer des données d'origine extérieure telles que les revenus ou certaines situations sociales et sont confrontés à une règlementation changeante. Ces dispositifs de contrôle interne sont pris dans une course-poursuite entre l'amélioration de leurs dispositifs et la modification de l'environnement. Les progrès, les pauses et les régressions dans ce domaine constituent des points d'attention majeurs dans nos travaux d'audit. A ce titre, les pensions de vieillesse posent des difficultés flagrantes dans quatre organismes qui déséquilibrent l'ensemble.

M. Jean-Noël Cardoux. - Ma question concernait très précisément le RSI.

M. Antoine Durrleman. - Nous avons constaté dans le rapport sur la sécurité sociale de septembre dernier, que la mise en place de l'interlocuteur social unique était une catastrophe industrielle. Il n'est unique qu'en faux-semblant ; les Urssaf sont délégataires du RSI ; la mise en place brusquée du dispositif en 2008 a conduit à sa paralysie, avec pour conséquence les admissions en non-valeur de cotisations non recouvrées, invisibles puisque compensées automatiquement par la CSG. Cette année, les difficultés se résolvent lentement. Les pouvoirs publics ont décidé non seulement de mieux articuler l'Acoss et le RSI, mais aussi d'installer un pilotage rapproché. Ont ainsi été mis en place un plan de maîtrise au niveau du directeur de la sécurité sociale et une amélioration des dispositions réglementaires avec un décret paru la semaine dernière. En l'absence d'une prise en main suffisamment opérationnelle, la question d'un retour à l'état antérieur se posera.

M. Didier Migaud. - Nous avons noté l'année dernière une aggravation des erreurs de liquidation dans les pensions versées, qui s'est amplifiée en 2012, loin de remplir les objectifs de la convention d'objectifs et de gestion. La situation de certaines caisses - Carsat de Nord-Picardie, du Sud-Est ou de Languedoc-Roussillon - est particulièrement problématique. Les anomalies proviennent le plus souvent de données de carrière parfois compliquées à reconstituer, sur lesquelles on constate un manque de formation des agents, une définition incomplète des procédures et des contrôles par les agences comptables qui se sont trop allégés au fil du temps. Si ce problème perdure avec trop d'ampleur l'année prochaine, il peut remettre en cause notre position de cette année. Je laisse M. Durrleman répondre sur le financement de la pénibilité par la branche AT-MP.

M. Antoine Durrleman. - Nous avons constaté un décalage important entre la réalité des dépenses consenties par la branche vieillesse et le montant du transfert de la branche AT-MP vers celle-ci. Cela constitue un désaccord sans correction avec le producteur des comptes, qui a une interprétation de la loi infondée en droit. Nous avons donc émis un rappel à nos deux interlocuteurs habituels, le directeur de la caisse concernée et l'administration de tutelle.

Mme Annie David, présidente. - Et concernant la question de M. Savary ?

M. Antoine Durrleman. - Nous n'avons pas examiné de manière actualisée la question du financement du RSA, qui sera traité dans notre rapport sur les finances locales en octobre prochain.

M. René-Paul Savary. - Certains départements ne pourront plus payer à partir d'octobre prochain. Dans un département comme le mien, il y a 2 % de bénéficiaires en plus chaque mois, soit 1 million d'euros de dépenses supplémentaires toutes les six semaines ! Certains départements envisagent de cesser leurs paiements si la compensation n'est plus assurée. Dans ce cas, les difficultés seront transférées sur les CAF.

Mme Annie David. - Ou sur les allocataires !

Mme Colette Giudicelli. - Le conseil général des Alpes maritimes, au temps du RMI, était remboursé à l'euro près. Aujourd'hui, il l'est à 25 % ou 27 % pour 380 millions de RSA ; on n'y arrive plus !

M. Didier Migaud. - Ce sujet a été traité pour partie dans le chapitre du rapport public annuel consacré à la situation financière des départements, où nous avons attiré l'attention sur les difficultés que certains d'entre eux rencontrent.

Mme Annie David, présidente. - Merci.

Jeudi 11 juillet 2013

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Projet de restructuration de l'Hôtel Dieu - Audition de M. Alain Carini et Mmes Graziella Raso et Rose-May Rousseau-Saxemard, représentants de l'Union syndicale Confédération générale du travail (CGT) de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), de M. Stéphane Roux, représentant Sud-santé et Dr Gérald Kierzek, médecin urgentiste à l'AP-HP

Mme Annie David, présidente. - Au cours de ces dernières semaines, le débat autour du projet de réorganisation de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu a pris de l'ampleur. Comme vous le savez, la fermeture du service des urgences était programmée à compter du 4 novembre prochain. Le ministre des affaires sociales et de la santé a annoncé hier le report de cette échéance et le décalage du projet de réorganisation, qui n'est cependant pas remis en cause dans son principe.

Il me semble que ce dossier est assez emblématique des problèmes soulevés par les restructurations hospitalières, compte tenu du rôle joué par les services d'urgences, particulièrement dans une zone urbaine telle que celle du centre de Paris.

J'ai donc souhaité que nous puissions entendre ce matin des représentants des personnels de l'Hôtel-Dieu puis, dans un second temps, les représentants de la direction de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Nous recevons donc pour cette première heure les représentants des organisations syndicales :

- pour la CGT, M. Alain Carini et Mmes Graziella Raso et Rosemay Rousseau-Saxemard ;

- pour Sud-Santé, M. Stéphane Roux.

Ils sont accompagnés du docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste, dont vous savez qu'il a été démis lundi de ses responsabilités au sein du service d'accueil des urgences de l'Hôtel-Dieu.

Je vous passe la parole afin que vous nous exposiez votre point de vue sur le projet de réorganisation.

M. Alain Carini, représentant de l'Union syndicale de la Confédération générale du travail de l'AP-HP. - Je souhaite présenter une chronologie des faits avant d'expliquer pourquoi nous sommes opposés au projet de la direction. La première annonce brutale a été faite le 4 mars 2011 par communiqué de presse par Mme Faugère, directrice générale de l'AP-HP. La décision de transférer tous les services de l'Hôtel-Dieu est vécue comme un choc par les 1 600 agents.

Nous avons demandé un rapport d'expertise sur les « conséquences des restructurations sur les effectifs, les conditions de travail et la santé du personnel ». Il nous a été remis le 29 avril 2011. Cette expertise précise entre autre que l'incertitude augmente les risques psycho-sociaux.

Nous avons déposé quatre avis de danger grave et imminent (DGI) devant le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le premier dépôt date du 2 novembre 2011 sur les risques psycho-sociaux encourus par l'ensemble du personnel de l'hôpital. Il y a ensuite deux courriers en 2012 et 2013 de Mme Rambaud, inspectrice du travail, qui demandait une amélioration du dialogue social. Le deuxième dépôt d'un DGI date du 29 octobre 2012. Il porte sur l'aggravation des risques psycho-sociaux encourus par l'ensemble du personnel de l'hôpital. Il y a eu ensuite l'annonce brutale du 14 mai par communiqué de presse par Mme Faugère de la fermeture des urgences le 4 novembre 2013. Annonce très mal vécue par les 890 agents. Le troisième dépôt d'un DGI le 9 juin 2013 portait encore sur l'aggravation des risques psycho-sociaux encourus par l'ensemble du personnel de l'hôpital. Enfin nous avons déposé un quatrième DGI le 9 juillet sur l'aggravation des risques psycho-sociaux encourus par l'ensemble du personnel de l'hôpital suite à la décision de démettre le docteur Gérald Kierzek de ses fonctions de responsable du service mobile d'urgence et de réanimation (Smur) de l'Hôtel-Dieu, qui a été vécu comme un choc.

La décision floue de Mme Touraine, le 10 juillet 2013, même si nous la considérons comme un premier signe d'écoute, risque elle aussi d'aggraver les risques psycho-sociaux, puisque le problème des transferts des services restant n'est pas abordé, laissant les agents dans l'incertitude une fois encore.

Le rapport et les recommandations d'une deuxième expertise sur l'organisation du travail d'un service de l'hôpital du 17 juin 2013 corroborent la première.

La médecine du travail a fait en CHSCT, fin 2012 et début 2013, une déclaration soulignant que, vis-à-vis du retentissement des restructurations sur l'état de santé psychique et physique des personnels, nous ne sommes actuellement plus dans la prévention primaire (éviter l'apparition de la maladie), mais dans la prévention secondaire (éviter l'aggravation de la maladie détectée à son début), voire la prévention tertiaire (éviter le passage à la chronicité ou les récidives - je précise qu'à ce titre, j'ai dans l'établissement des personnels qui ont pour quelques-uns d'entre eux déjà subi des restructurations dans d'autres hôpitaux).

En somme, il y a eu quatre DGI, deux courriers de l'inspection du travail, une déclaration de la médecine du travail et deux expertises allant dans le même sens pour dénoncer une situation de maltraitance à agents.

Nous avons contesté la méthode d'annonce de la directrice générale de l'AP-HP vis-à-vis du personnel, la mise en place d'une charte d'accompagnement des mobilités qui n'a été qu'un document non appliqué pendant des mois, tout ceci occasionnant des risques psycho-sociaux. Mais la précipitation avec laquelle la direction générale de l'AP-HP et la direction du groupe hospitalier continuent à fermer les services est insupportable pour le personnel et ses représentants.

A ceci s'ajoute le manque de transparence, le manque permanent de documents concernant les transferts de services pour permettre aux élus et mandatés de remplir au mieux leur mission.

Les projets ont été rejetés à l'unanimité par les organisations syndicales présentes au CHSCT et au comité technique d'établissement (CTE). Plusieurs refus de vote sont également intervenus à l'unanimité aussi. Mais la direction, une fois l'avis obtenu, même si celui-ci est négatif, se satisfait et met en place le projet rejeté.

Nous n'avons eu que des réponses évasives à toutes nos questions. Des bruits courent sur la fermeture de la psychiatrie, du Smur, de la salle Cusco fonctionnant avec les urgences médico-judiciaires.

Le professeur Fagon, auteur du projet de la direction générale, vient prendre les mesures de certaines salles devant les agents sur leur lieu de travail, ce qui accentue les risques psycho-sociaux.

L'obligation de positionnement imposée aux agents dans un délai inférieur à un mois pose de nombreux problèmes familiaux liés aux transports supplémentaires, à la crèche, à la garde d'enfants, au changement d'organisation familiale, sans oublier que nos collègues doivent se lever plus tôt et réveiller leur bébé à des heures anormales...

Par exemple, lors des travaux de la crèche de l'Hôtel-Dieu, une infirmière habitant Amiens n'a pu déposer son enfant à la crèche de Cochin et revenir à l'Hôtel-Dieu car elle n'avait pas de train lui permettant d'arriver à l'heure à son poste de travail. Elle a dû trouver une garde d'enfant.

Nous n'avons eu de cesse de demander à la direction de mieux informer les agents et les représentants du personnel des différentes décisions, mais à chaque fois que la direction a organisé des réunions d'information, l'absence de réponses concrètes aux questions posées n'a fait qu'amplifier le mal-être et la souffrance du personnel, pouvant le pousser, à cause du stress et du burn out à une éventuelle faute professionnelle et par conséquent à une sanction.

Lors d'un CHSCT sur les risques psycho-sociaux, à la question d'un représentant du personnel sur ce qu'est le kit d'accompagnement, le directeur du groupe hospitalier lui répond « le taser ». Dans un contexte difficile de restructuration, il est inutile de vous dire la réaction des représentants du personnel. Nous avons l'enregistrement de la séance.

Les médecins du travail sont sollicités constamment par les agents à cause de ce mal-être, mais aussi les représentants du personnel.

Je peux vous dire aujourd'hui que s'il n'y a eu aucun suicide à l'Hôtel-Dieu, c'est bien grâce à la présence des médecins du travail d'une part, et des représentants du personnel d'autre part. Un membre du CHSCT a même déclaré en instance qu'il était tellement mal qu'il envisageait « de se mettre une balle ». Cela a ému l'ensemble des représentants du personnel, mais aucunement le directeur.

Quand la ministre parle de « dégradation du climat », je viens de vous citer des exemples concrets et vécus.

Concernant le projet de la direction générale, nous le contestons avec la plus grande fermeté, car nous restons dans le flou.

Vendredi dernier, le président de la CME est venu prendre la température dans le service d'ophtalmologie qui est le seul service ayant des urgences ouvertes 24 h sur 24 en Ile-de-France. Nous nous sommes invités.

A la question d'une infirmière : la maison médicalisée pourra-t-elle fonctionner avec des médecins de ville laissant leur cabinet pour venir travailler 24 heures à l'Hôtel-Dieu ? Le président de la CME lui a répondu : « si ça ne marche pas, on fermera ! ». Donc on a bien compris que le projet n'est qu'un prétexte pour fermer notre Hôtel-Dieu. Pour en faire quoi, nous nous posons la question : un palace comme à Lyon et à Marseille ?

L'Hôtel-Dieu est à la croisée des chemins puisque desservi par toutes les lignes de trains, de RER et de métro. Il est au centre de quartiers parisiens les plus fréquentés comme les îles de la Cité et Saint-Louis, le quartier latin et ses facultés, le Louvre, Beaubourg, le Marais et ses musées, la Bastille. La cathédrale Notre-Dame voit, par exemple, 13 millions de visiteurs par année.

Nous signalons aussi les tentatives de répression sur les représentants syndicaux.

Pour finir, nous, CHSCT et syndicat CGT de l'Hôtel-Dieu, sommes en appel sur les risques psycho-sociaux. En première instance, la défense de l'AP-HP s'est appuyée sur un vide juridique concernant la fonction publique hospitalière (FPH) pour que le TGI se déclare incompétent à juger cette affaire. Nous notons qu'une jurisprudence existe pour le secteur privé (Renault et la Fnac), mais que le secteur public n'a pas les mêmes droits.

Dr Gérald Kierzek, médecin urgentiste à l'AP-HP. - Comme vous le savez, j'ai été démis de mes fonctions au sein des urgences de l'Hôtel-Dieu lundi. La direction de l'AP-HP fait porter la responsabilité de cette décision sur mon seul chef de service, le motif invoqué étant le défaut d'implication dans le projet de service. Je tiens cependant à signaler que j'ai été convoqué par le directeur la semaine dernière pour me voir rappeler mon obligation de réserve. J'établis un lien entre les deux événements.

Je tiens également à souligner que, contrairement à ce qu'affirment MM. Jean-Marie Le Guen et Jean-Yves Fagon, le préfigurateur médical qui se comporte d'ailleurs comme chef de pôle du nouveau projet hospitalier, les locaux, que vous avez pu visiter, sont neufs et ont été rénovés il y a moins de cinq ans. Le rapport Pateron d'avril 2011, confirmé par l'ARS en novembre 2011, posait un certain nombre de conditions pour que l'Hôtel-Dieu continue de fonctionner. Elles sont toutes réunies.

L'idée de la CME et de la direction générale selon laquelle l'absence de service de réanimation rendrait impossible le maintien d'un service d'urgences est fausse. Si tel était le cas, il faudrait fermer la moitié des services d'urgences en France puisqu'il existe 677 structures d'urgences pour moins de 380 structures de réanimation. Dans les services d'urgences non directement adossés à un service de réanimation, c'est le service mobile d'urgence et de réanimation (Smur) qui évacue, si nécessaire, les patients vers un service de réanimation. Je rappelle au demeurant que c'est la direction générale elle-même qui a décidé la fermeture du service de réanimation de l'Hôtel-Dieu.

L'argument selon lequel les autres services d'urgences parisiens pourraient accueillir les patients que nous prenons en charge aujourd'hui apparaît tout aussi fallacieux. Chaque année, l'Hôtel-Dieu accueille 120 000 urgences, dont 45 000 de nature médico-chirurgicale, 45 000 de caractère médico-judiciaire et 30 000 de type ophtalmologique. Afin de poursuivre la prise en charge des patients après leur passage aux urgences, l'hôpital est en outre pourvu de 17 lits de psychiatrie et 45 lits de médecine interne. Il est le seul établissement des neuf premiers arrondissements de Paris. A cet égard, tout report est rendu particulièrement périlleux par la situation de complète saturation dont souffrent les autres services d'urgences parisiens.

A titre d'exemple, il n'est pas rare que de nombreuses ambulances ou véhicules de pompiers, qui bénéficient pourtant d'un accueil dédié, fassent la queue devant l'hôpital Lariboisière pour pouvoir déposer leurs malades, sans pouvoir pendant ce temps porter secours à la population qui le nécessiterait. Le 20 juin dernier, les patients conduits aux urgences de cet hôpital, dont le taux de saturation était supérieur à 200 %, devaient attendre en moyenne huit heures avant d'être pris en charge. Le taux de saturation atteignait 127 % à l'Hôtel-Dieu au même moment. Cette situation a bien sûr un impact sur les personnels paramédicaux et médicaux. En témoignent les cinq démissions de médecins intervenues avant l'été à l'hôpital Lariboisière.

De plus, que ferions-nous si nous nous retrouvions face à une crise sanitaire d'importance ?

Dans un ultimatum adressé à la ministre des affaires sociales et de la santé, les urgentistes ont déjà indiqué qu'à compter du 15 octobre, ils ne se chargeraient plus de chercher de lits d'aval mais en laisseraient la responsabilité à l'administration. Derrière la question de la fermeture des urgences de l'Hôtel-Dieu, se profile en effet celle des lits dont la suppression accroîtrait encore davantage les difficultés des autres urgences parisiennes.

La tarification à l'activité (T2A) génère un climat de concurrence entre les chefs de service pour le recrutement des médecins. Dans ces conditions, les chefs de service ne dénoncent la situation qu'officieusement, par des messages électroniques que nous nous échangeons. L'un d'entre eux écrit par exemple que « la situation est démoralisante au possible. Pour information, notre activité aux urgences a augmenté de manière très significative au cours des trois derniers mois avec des équipes qui sont épuisées. Nos hôpitaux étant désormais trop petits pour offrir l'aval d'hospitalisation à ce flux de patients aux urgences, nous alimentons de fait les cliniques privées ».

Ces dernières accueilleront plutôt des patients moins poly-pathologiques et disposant d'une bonne assurance complémentaire, le restant continuant à s'adresser aux hôpitaux. Les patients âgés poly-pathologiques courront le risque de mourir sur les brancards.

En effet, augmenter l'attente dans les services d'urgences tue. La littérature scientifique internationale le prouve. En 2012, les surcharges dans les services d'urgence ont accru la mortalité de 12 %.

Les études montrent par ailleurs que les économies que l'on pourrait tirer d'un détournement de flux des services d'urgence vers d'autres structures comme les maisons médicales sont faibles : 2 % à 4 % d'économies sous l'hypothèse - irréalisable - d'une diminution de moitié des flux de malades accueillis.

Le volet principal du projet de l'AP-HP, qui prévoit une restructuration en hôpital universitaire de santé publique - hôpital « debout », c'est-à-dire sans lits - est la réinstallation de son siège. Entre 130 et 160 millions d'euros provenant de la vente de l'actuel siège seraient réinjectés à cette fin dans l'Hôtel-Dieu. Le deuxième volet est relatif à la santé publique, seule spécialité médicale qui ne soigne pas directement le malade. Les soins ne viennent qu'en troisième position.

Naturellement, dans le cadre d'une stratégie du projet latéral, la direction présente ce dernier volet comme étant l'élément principal du projet, ce qui n'est pas le cas, les 160 millions d'euros n'étant pas, en pratique, destinés à soigner les malades. Le rapport du professeur Jean-Yves Fagon prévoit un projet « innovant » permettant des « consultations sans rendez-vous », avec « zéro attente », et conçu en particulier pour les personnes âgées autonomes. Or, dans une société vieillissante comme la nôtre, le problème est surtout la prise en charge des malades âgés dépendants couchés...

La fermeture de l'Hôtel-Dieu a commencé au mois de mars dernier avec le transfert du service de pneumologie et il est prévu qu'elle se termine courant 2014 avec le transfert du service de psychiatrie à la Pitié-Salpêtrière. Ne serait maintenue que l'unité Cusco, c'est-à-dire l'hôpital carcéral.

Les urgentistes ne sont pas les seuls à dénoncer ce projet. Le professeur de diabétologie André Grimaldi affirme qu'il relève davantage d'un « assemblage disparate que d'un réel projet médical » et qu'il est basé sur un « slogan promotionnel (...) sans lendemain ».

L'Union syndicale des médecins des centres de santé (USMCS), qui représente des médecins dont les soins de premier recours sont la spécialité, a également dit son opposition au projet.

Les signataires de l'appel de l'Hôtel-Dieu, qui représentent de multiples spécialités médicales, soulignent qu'il ne correspond ni aux besoins des patients, ni à la réalité médicale, ni même à une organisation pertinente de l'accès aux soins. Ils dénoncent un projet qui ne sert que de prétexte au transfert coûteux du siège administratif de l'AP-HP.

Le collège de médecine générale regrette quant à lui l'absence de prise en compte du rôle pivot du médecin généraliste, l'absence de modèle économique et l'absence de définition du territoire et de la population dans un contexte d'affaiblissement de l'offre hospitalière publique locale dont l'AP-HP devrait être le garant.

Le projet de l'Assistance publique pose également une question de sécurité intérieure. On nous dit que les urgences médico-judiciaires vont pouvoir rester. Mais celles-ci sont indissociables des urgences médico-chirurgicales car les patients gardés à vue ont besoin à la fois du constat par le légiste et du soin. L'unité de lieu est un atout. A l'inverse, la dissociation aurait des conséquences tant du point de vue de la sécurité que des finances puisque les services de police seraient obligés d'accompagner les patients en garde à vue dans les autres hôpitaux parisiens. Les syndicats de police ont évalué à l'équivalent de deux commissariats de police les effectifs qui seraient nécessaires pour faire la navette entre l'Hôtel-Dieu et les divers hôpitaux. Compte tenu de la saturation des établissements, les droits des patients gardés à vue en matière de confidentialité ou de sécurité des soins ne seraient pas forcément respectés.

A cela, s'ajoute une difficulté d'ordre éthique : comment la direction peut-elle affirmer que l'Hôtel-Dieu ne satisfait pas à toutes les obligations de sécurité et justifier dans le même temps que les patients de l'unité carcérale continueront à y être pris en charge ? Y aurait-il deux catégories de malades ?

Nous proposons une restructuration cohérente au double plan médical et financier. Nous observons une réduction globale du nombre de lits de l'assistance publique. Les lits deviennent spécialisés tandis que disparaissent les lits généralistes. Or le vieillissement démographique, conjugué aux effets de la T2A et au phénomène de sélection des patients, commanderait à l'AP-HP d'assurer une mission d'accueil généraliste.

Nous pensons qu'il faut valoriser l'existant : l'Hôtel-Dieu est pourvu d'infrastructures neuves et d'un circuit court qui permet d'effectuer des consultations rapides en toute sécurité. Les lits du service de psychiatrie sont complètement rénovés.

L'hôpital disposait également d'un dispositif d'urgences cancérologiques innovant permettant aux médecins généralistes un peu débordés d'adresser directement leurs patients à un urgentiste et à un cancérologue pour que ceux-ci les prennent éventuellement en charge, le cas échéant dans le cadre d'un circuit rapide.

Le service d'ophtalmologie est le premier service de France du point de vue de la prise en charge ambulatoire.

Nous devons par ailleurs développer une polyclinique médicale avec des consultations spécialisées et ultraspécialisées en optimisant le centre de diagnostic qui existe déjà. Cette polyclinique ne devrait pas être remplacée par des consultations spécialisées ambulatoires comme le prévoit le projet du professeur Fagon. Au contraire, ces deux types de services doivent coexister.

Au-delà de ce qui existe déjà, de nouvelles activités pourraient être déployées dans le cadre d'un projet sanitaire ambitieux : médecine gériatrique, chirurgie ambulatoire, offre dans le domaine de la naissance, avec une maison de naissance ou une maternité de niveau 1.

Au total, l'offre de soins doit être complémentaire de la médecine de ville et non prendre la place de cette dernière.

L'annonce par la ministre des affaires sociales et de la santé d'un recul de la date de fermeture constitue une incertitude supplémentaire qui pourrait bien être vécue comme une maltraitance de plus. Il est d'ailleurs difficile de traiter aujourd'hui avec les mêmes interlocuteurs que ceux qui nous ont malmenés pendant des années.

Mes développements ont porté sur la situation actuelle mais imaginons ce qui se passerait en cas d'attentat ! L'Hôtel-Dieu n'est pas implanté sur n'importe quel site : l'endroit voit passer 13 millions de touristes chaque année, 750 000 voyageurs par jour sous terre et 400 000 habitants sur le périmètre des neuf premiers arrondissements. A titre de comparaison, la ville de Boston, où a récemment été perpétré un attentat, compte 625 000 habitants pour 11 services d'urgences contre 2,2 millions d'habitants pour douze services d'urgences à Paris. Nous avons donc 3,5 fois plus d'habitants, et un grand nombre de touristes, mais un nombre quasiment identique de services d'urgences... Or, si à Boston les conséquences de l'attentat ont pu être relativement limitées, c'est grâce à l'existence d'un équipement médical de centre-ville extrêmement important et performant.

Si nous voulions vraiment réduire le temps d'attente aux urgences, il faudrait réaliser un plan quinquennal, voire décennal, sur l'ensemble de l'offre de soins d'urgence à Paris. A l'opposé, la fermeture pure et simple à une date donnée d'un service d'urgences sans considération des autres services existants ne pourra qu'aggraver la situation.

M. Stéphane Roux, représentant de SUD-Santé Hôtel-Dieu. - Les personnels comme les patients sont peinés par la situation actuelle. Nous sommes confrontés à un enfumage complet puisque le budget en jeu dans l'actuel projet servira certainement à alimenter d'autres projets dont on ne nous parle aucunement pour l'instant.

Comme cela a déjà été dit, les reports des patients vers les urgences de l'hôpital Cochin sont un leurre puisque les capacités d'accueil de cet établissement ont atteint leurs limites.

S'agissant du personnel administratif, des conventions ont été signées avec la ville de Paris, prête à accueillir des personnels de l'Assistance publique qui cherche à s'en séparer dans le cadre de reclassements. Or non seulement tout le personnel est important dans un hôpital, mais le déroulement de carrière d'un agent de l'AP-HP n'est pas le même que celui d'un agent municipal. L'assistance publique est là pour soigner le patient : nous avons à coeur de remplir cette mission et non pas de faire des économies.

M. Jean Desessard. - J'ai visité l'Hôtel-Dieu la semaine dernière et ai pu me rendre compte à cette occasion du très bon état des lieux. Au regard de l'importance de la population qui gravite autour de cet établissement, on ne comprend pas les raisons pour lesquelles la fermeture du service d'urgences a été décidée.

Monsieur Roux, vous avez laissé entendre que le projet de l'AP-HP permettrait à celle-ci de réaliser des économies. Ce n'est pourtant pas ce que les arguments exposés par ailleurs semblent indiquer : la vente rapporterait effectivement 160 millions d'euros mais il faut penser aux frais engendrés par toute la réorganisation administrative, le déplacement de tout le service d'ophtalmologie vers l'hôpital Cochin avec une nouvelle installation qui coûterait, si mon souvenir est exact, environ 30 millions d'euros, et les autres aménagements rendus nécessaires pour pouvoir rendre le même service ailleurs. Je n'ai pas vu l'intérêt économique du projet.

La seule chose qui semble ressortir est la volonté de la direction de s'installer dans un lieu agréable. Au total, il faut insister sur la réduction de l'offre de soins qui semble se profiler.

Mme Laurence Cohen. - L'existence d'une mobilisation syndicale et politique, quelles que soient les sensibilités, a permis de faire bouger les lignes. Lorsque nous avons visité le service d'urgences de l'Hôtel-Dieu la semaine dernière, nous nous sommes rendu compte que l'argument de la vétusté des locaux ne correspondait pas à la réalité. On tire un trait sur les millions d'euros qui ont été investis : il faut le faire savoir.

Je partage l'idée selon laquelle nous devons tirer bénéfice des évènements actuels pour remettre à plat la situation de l'ensemble des services d'urgences de Paris. Avec la loi HPST et la T2A, nous nous trouvons dans une logique politique qui ne date pas d'aujourd'hui et qui a entraîné l'asphyxie de la santé publique. Ce même état d'esprit prévaut actuellement lorsqu'on répond aux temps d'attente inacceptables dans les services d'urgences par la fermeture de certains d'entre eux... C'est absurde !

Un projet alternatif existe. Il est fondé du point de vue à la fois économique et sanitaire. Un travail doit être réalisé pour déboucher sur un projet collectif qui soit porté par le Gouvernement et la direction de l'AP-HP.

Je tiens à souligner que si cette dernière a sa part de responsabilité dans la maltraitance dont vous êtes les victimes, les responsables politiques doivent également intervenir pour mettre un coup d'arrêt à la restructuration envisagée.

Enfin, j'ai été frappée par la modernité du service de pharmacologie à l'Hôtel-Dieu. Cette unité fabrique des médicaments distribués dans toute la France, ce dont tous les hôpitaux ne peuvent pas se prévaloir. Il s'agit d'un acquis qu'il faut préserver.

M. Jacky Le Menn. - Il est peu vraisemblable que l'AP-HP ait réfléchi seule sur les questions d'organisation sanitaire à Paris. Ce point a certainement été intégré dans la réflexion d'ensemble menée par l'ARS. Je souhaiterais d'autant plus connaître la position arrêtée par celle-ci que je travaille avec mon collègue Alain Milon sur une évaluation des ARS et que nous recevrons en septembre Claude Evin, le directeur général de l'ARS d'Ile-de-France.

Je ne partage pas l'opinion de mon collègue Jean Desessard qui affirme que le projet porté par l'AP-HP a pour seul but de régler la question du siège. Il existe une vision d'ensemble sur la prise en charge des urgences dans la région francilienne, avec la prise en compte des spécificités parisiennes.

Le professeur Fagon va sans doute nous expliquer pourquoi nous en sommes venus à sacrifier un établissement parisien pour privilégier un hôpital debout.

Vous avez indiqué que votre projet alternatif n'est pas substituable au projet de l'AP-HP. Je pense effectivement que nous pourrons résoudre la crise dans le cadre d'une complémentarité entre les deux ambitions.

Cela permettra aussi de répondre à une partie du malaise des personnels que toute situation de ce type génère nécessairement.

Mme Graziella Raso, représentante de l'Union syndicale CGT de l'AP-HP. -Nous tenons à souligner le danger du projet l'AP-HP, qui n'est pas un projet de soins et qui engendre la réalisation de rocades qui mettent de façon récurrente en péril non seulement les services de l'Hôtel-Dieu mais aussi ceux de l'ensemble des autres établissements.

Le nombre d'urgences qu'il nous a été proposé de prendre en charge à Cochin a subi des baisses régulières au cours des derniers mois : entre 12 000 et 15 000 en avril, puis entre 10 000 à 12 000 en juin. Sans travaux, l'hôpital de Cochin ne pourra très probablement pas absorber 12 000 urgences de plus. Le projet de la direction générale n'est pas chiffré ou étayé. Nous avons fait le compte des urgences absorbables : aujourd'hui, il reste 5 000 urgences dans leurs comptes habilités qui ne seraient pas absorbées, ce qui est très grave.

D'emblée, il faudrait 1 million d'euros pour réaliser les travaux qui permettraient de régler les problèmes de saturation des autres urgences parisiennes. Le dispositif de résorption n'est pas au point puisqu'on nous parle aujourd'hui de reports vers l'hôpital Tenon...

Mme Rose-May Rousseau-Saxemard, représentante de l'Union syndicale CGT de l'AP-HP. - Il existe actuellement quatre-vingt opérations de restructuration au sein de l'AP-HP. Ces projets sont avant tout des projets de démantèlement, de fusion et de fermeture de lits. Dans les faits, ils visent à réduire autant que possible la voilure pour dégager les activités rentables vers le privé.

Je rappelle le contexte dans lequel nous nous trouvons : le ministère a lancé un plan d'amélioration de l'accessibilité aux soins et de réduction de la saturation des urgences qui s'est traduit par les instructions de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) en date du 27 juin 2013. Avec son projet actuel, l'AP-HP entre en contradiction avec ces orientations.

Je suis membre du conseil de surveillance de l'AP-HP et suis en mesure de vous dire qu'aucune des questions que nous avons posées sur la faisabilité financière et sociale du projet n'a trouvé de réponse. Les avis que nous avons pu donner ont été ignorés.

Cela fait plus de deux ans que nous alertons sur la situation actuelle. Notre projet alternatif a été méprisé par la direction générale de l'assistance publique et l'ARS. Nous ne sommes pourtant pas dans une posture d'opposition. Nous faisons des propositions en pensant que le projet devrait être collectif. Il faut introduire un moratoire et se réunir tous autour d'une table pour réfléchir à toutes les interrogations qui subsistent.

La stratégie de recherche d'économies laisse délibérément les personnels dans une sorte d'errance. Ils subissent une pression managériale insupportable.

Le projet proposé est une opération immobilière : on découvrira dans quelque temps une cession immobilière d'envergure destinée à libérer des surfaces pour les vendre mais pas forcément au prix du marché.

Il faut un débat collectif sur le devenir du premier CHU de France au sujet de la formation, de la recherche ou encore de la cession de médicaments qui ne sont pas soumis aux impératifs des laboratoires pharmaceutiques.

Ne démantelons pas l'AP-HP qui constitue un contre-pouvoir de service public au coeur de Paris !

Mme Annie David, présidente. - Merci aux uns et aux autres pour vos interventions qui nous ont permis de prendre la mesure des souffrances éprouvées par les personnels que vous représentez.

Projet de restructuration de l'Hôtel Dieu - Audition de Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP), Pr Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement, et Pr Jean-Yves Fagon, préfigurateur du volet soins de l'hôpital universitaire de santé publique

Mme Annie David, présidente. - Nous continuons nos travaux en recevant Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'AP-HP, le professeur Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement et le professeur Jean-Yves Fagon, préfigurateur du volet soins de l'hôpital universitaire de santé publique.

Madame, messieurs, nous venons d'entendre les représentants des personnels qui ont fait valoir le rôle particulier joué par le service des urgences de l'Hôtel-Dieu et la place de l'établissement dans le dispositif de soins au centre de Paris.

Nous souhaitons bien entendu que vous nous précisiez les objectifs et les modalités du projet, mais nous souhaitons également pouvoir mesurer en quoi celui-ci peut impacter l'accès à des soins de qualité et de proximité pour les patients qui fréquentaient cet établissement.

Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'AP-HP. - Avant d'évoquer le projet de réorganisation de l'Hôtel-Dieu, je souhaiterais revenir quelques instants sur l'histoire de cet hôpital et sur la position particulière qu'il occupe au sein des trente-huit établissements composant l'AP-HP.

L'Hôtel-Dieu est historiquement le premier hôpital de l'assistance publique. Chacun y est très attaché pour des raisons tenant à l'histoire comme à sa position géographique au coeur de Paris et de l'Ile de France.

Dans le cadre du plan stratégique de l'AP-HP établi il y a deux ans, nous avons prévu une évolution sensible du rôle de l'Hôtel-Dieu. L'âge et la vétusté de l'établissement imposaient en effet de prendre des décisions rapides concernant la sécurité des bâtiments afin de pouvoir obtenir le renouvellement des autorisations d'exercer une médecine de qualité en leur sein.

J'ai par conséquent été amenée à définir un projet d'avenir pour cet établissement en tenant compte de l'évolution de l'organisation de la médecine autour des pôles de médecine ambulatoires et de médecine conventionnelle à Paris.

J'ai proposé de concentrer les services d'hospitalisation conventionnelle, impliquant des lits, de la chirurgie et des interventions lourdes, à Cochin et dans les hôpitaux gériatriques alentours et de repositionner l'Hôtel-Dieu sur la médecine ambulatoire.

Je souhaite rappeler que trois options s'offraient à moi dans le cadre de cette réorganisation. La première consistait à envisager une reconduction à l'identique, impliquant le maintien de l'hospitalisation conventionnelle au sein de l'établissement. Il est apparu que cela impliquait non seulement des investissements importants - à hauteur de 250 millions d'euros - mais surtout ne répondait pas au besoin de l'offre de soins au coeur de Paris.

La deuxième solution consistait à fermer l'Hôtel-Dieu en considérant que la réorganisation de l'offre de soins permettait de satisfaire l'ensemble des besoins. J'ai écarté cette hypothèse, pourtant retenue à Lyon ou à Marseille, pour les raisons historiques précédemment évoquées et pour permettre le nécessaire accompagnement du projet par les personnels et par les autres parties prenantes tels que la ville de Paris et les ministères de tutelle.

J'ai donc retenu l'idée de conforter l'Hôtel-Dieu dans son rôle d'hôpital. Il s'agit de fonder l'hôpital du 21ème siècle répondant aux nouveaux besoins de santé publique en matière de consultation sans rendez-vous et de consultation de spécialités tout en nécessitant des investissements de sécurité moins élevés qu'en cas de maintien de services conventionnels.

L'établissement proposera trois innovations essentielles : il se concentrera sur les populations précaires, il permettra d'expérimenter des nouvelles modalités de prise en charge en amont des urgences avec des consultations 24 heures sur 24 adossées à un plateau technique performant et développera un projet ambitieux de santé publique universitaire dont Jean-Yves Fagon est le préfigurateur.

Il s'agit d'un choix ambitieux et novateur de santé publique, d'organisation des soins et de complémentarité entre l'offre de l'Hôtel-Dieu et l'offre des hôpitaux situés aux alentours.

M. Jean-Yves Fagon, préfigurateur du volet soins de l'hôpital universitaire de santé publique. - Je voudrais préciser les deux déterminants du projet d'hôpital universitaire de santé publique.

Le premier déterminant repose sur l'état de l'offre de soins en Ile-de-France et dans Paris intra-muros. Chacun sait que 50 % des médecins généralistes et 75 % des spécialistes pratiquent des dépassements d'honoraires et que, pour certaines spécialités, il n'existe plus d'accès à des praticiens au tarif opposable de la sécurité sociale. Il s'agit donc de proposer au centre de Paris une offre accessible à tous.

Le second déterminant repose sur la nécessaire évolution de l'AP-HP, structure exceptionnelle qui demeure le 4ème producteur mondial de recherche biomédicale. Dans la mesure où il paraît désormais préférable que les patients soient à leur domicile plutôt que dans un lit d'hôpital, le projet de réforme de l'Hôtel-Dieu est un projet reposant sur la médecine ambulatoire et se déclinant en plusieurs volets.

Il comporte d'abord un aspect premier recours via la mise en place d'un service d'accueil sans rendez-vous 24 heures sur 24 appelé à prendre le relai du service d'accueil des urgences (SAU) actuel. Ce service sera assuré par vingt et un des médecins travaillant actuellement au SAU de Cochin et de l'Hôtel-Dieu ainsi que par des médecins généralistes. Nous travaillons encore avec ces derniers afin d'organiser efficacement cet interface entre médecine hospitalière et médecine de ville.

Ce nouveau service d'accueil sans rendez-vous sera d'abord orienté vers les jeunes de quinze à vingt ans dont la situation sanitaire est absolument catastrophique. Il sera également destiné aux personnes de plus de soixante-cinq ans afin d'aider celles-ci à mieux vieillir en s'attaquant aux différents facteurs susceptibles de diminuer les risques de pathologie et de traumatisme. Il sera enfin orienté vers des populations vulnérables telles que les populations précaires et les handicapés.

Tout ceci sera mis en oeuvre en complémentarité avec établissements de santé voisins et avec les médecins libéraux afin de garantir l'accès au système de santé à des populations qui en sont aujourd'hui exclues.

Le second volet concerne le développement et la diversification des consultations spécialisées à l'Hôtel-Dieu afin de proposer ce type de services au centre de Paris à des personnes qui n'y ont pas accès.

Le troisième volet touche le dépistage et la prévention par le biais des vaccinations et de l'éducation thérapeutique. L'actualité, à cet égard, est venue souligner l'utilité d'un centre d'éducation thérapeutique permettant de sensibiliser les patients au bon usage des médicaments.

Le quatrième volet repose sur le maintien d'un plateau technique important avec notamment un service de radiologie. Il s'agit de couvrir les champs de l'urgence, de la médecine spécialisée et les missions de dépistage. Ce plateau se composera également d'un laboratoire plus développé que le centre de prélèvement actuel.

Enfin, quelques secteurs importants pour l'équilibre du compte de résultat du projet et répondant spécifiquement aux besoins de la population parisienne seront mis en place. Je pense à un centre dentaire, un centre d'ophtalmologie ainsi qu'un centre de podologie qui permettront d'améliorer les conditions de vie et de réduire le risque de maladies des Parisiens.

D'autres activités sont par ailleurs appelées à demeurer sur le site à l'image de l'unité médico-judiciaire, très sollicitée depuis quelques semaines, de l'espace santé-jeune prenant en charge les patients en rupture et des consultations VIH, historiquement réalisées à l'Hôtel-Dieu. Certaines activités souhaitent même rejoindre le projet, ce qui est très encourageant. Il s'agit plus précisément des centres médico-psychologiques des troisième et quatrième arrondissements, qui aspirent à s'adosser à une structure de prise en charge somatique plus classique, mais également le centre Primo Levi, dont l'équipe prend en charge les syndromes post-traumatiques des personnes torturées.

Ce projet propose ainsi une cohérence d'ensemble associant nos partenaires de l'Assistance publique mais également des partenaires plus inhabituels comme les centres de santé parisiens et les médecins libéraux. Il initie de ce fait pour la première fois la mise en place d'un parcours de soins et devrait accélérer la prise en charge des patients par le système hospitalier universitaire.

M. Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement. - J'ai soixante-trois ans et je suis un spécialiste de médecine interne, expression désignant la médecine générale hospitalière. Comme les sénateurs, je suis un élu d'élus. J'ai en effet été élu en janvier 2012 par les différentes catégories de médecins de l'AP-HP pour être leur porte-parole. C'est à ce titre que je participe à cette audition.

Je suis entré à l'Hôtel-Dieu en 1969 en tant que stagiaire des hôpitaux. J'ai connu cet hôpital au sommet de sa gloire lorsque j'y ai été externe puis interne. Les médecins se disputaient pour y être affectés. Je l'ai retrouvé en plein déclin en tant que chef de service de 1995 à 2003. J'en suis parti soulagé pour rejoindre l'hôpital européen Georges Pompidou compte tenu des conditions de travail et de la manière inacceptable dont j'accueillais les patients.

J'ai réalisé depuis lors que, pour maintenir cet hôpital à flôt, il fallait y consacrer énormément d'argent. J'en ai d'abord conclu que cet établissement n'était plus adaptable à l'exercice moderne de la médecine hospitalière.

Les médecins des hôpitaux souhaitent une restructuration permettant de continuer à soigner non pas en réduisant la voilure mais en ajustant celle-ci afin de profiter des vents porteurs. C'est là le rôle de la commission médicale d'établissement (CME).

Le premier jugement de la commission se prononçait en faveur de la fermeture pure et simple de l'établissement. Bien que la directrice générale nous ait présenté les différentes options, il nous semblait trop coûteux d'envisager sa restructuration.

Après réflexion et discussions, la CME est revenue sur cette position en adoptant une motion acceptant une restructuration de l'Hôtel-Dieu sous deux conditions : la neutralité budgétaire du projet et le droit de regard de la commission sur toutes les décisions prises par la direction générale. Cette motion ouvrait la porte à la définition d'un projet créatif et original.

Parmi les originalités du projet, qui n'a pas encore été formellement adopté par la CME, il y en a une que nous soutenons sans ambiguïté : il s'agit de la fermeture des urgences et de leur remplacement par un lieu de consultation sans rendez-vous et 24 heures sur 24 au centre de Paris.

Il s'agit là d'un moyen d'alléger l'amont des urgences qui, à Paris, est actuellement une vraie catastrophe. Contrairement aux urgentistes, je suis personnellement convaincu que cette initiative sera couronnée de succès.

Il s'agit aussi de développer les relations entre médecine de ville et médecine hospitalière. Cette consultation, en faisant cohabiter des hospitaliers et des généralistes, pourrait constituer une première ouverture sérieuse concernant une coopération ville-hôpital que tout le monde appelle de ses voeux mais que personne n'a osé réellement expérimenter.

En tout état de cause, cette réforme se fera sous l'oeil vigilant de la CME. L'article 5 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires confie d'ailleurs au président élu des médecins de l'assistance publique « l'amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des conditions d'accueil et de prise en charge des usagers ».

A l'image de la communauté que je suis chargé de représenter, je suis loin d'être acquis à l'ensemble du projet d'hôpital universitaire de santé publique défendu par la direction générale. Mais il existe pour l'heure quelques motifs de satisfaction qui nous conduisent à porter un regard intéressé sur celui-ci.

Mme Catherine Procaccia. - Existe-t-il d'autres projets de réorganisation d'hôpitaux axés sur une spécialisation, à l'image de ce que vous prévoyez à l'Hôtel-Dieu autour des soins ambulatoires ? En quoi le service de consultations sans rendez-vous se distinguera-t-il du service des urgences ? S'adressera-t-il en partie aux mêmes patients ? Où seront dirigés les cas nécessitant réellement une prise en charge urgente ? Vous avez cité les étudiants parmi les populations « cibles » visées par votre projet. Dans le rapport sur la sécurité sociale et la santé des étudiants que nous avions présenté, avec Ronan Kerdraon, au nom de la commission, nous avions souligné les lacunes de la politique de santé publique en direction des étudiants. Allez-vous mettre l'accent sur la gynécologie ou la vaccination ? Travaillerez-vous avec les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps) ?

Mme Laurence Cohen. - Je ne conteste pas l'intérêt d'un projet de centre pluridisciplinaire en tant que tel, mais je trouve inquiétant que vous assumiez la fermeture du service d'accueil des urgences, alors que chacun connaît la saturation de l'ensemble des urgences à Paris et les temps d'attente déjà inacceptables qui en résultent pour les patients. Je vois là une contradiction évidente. Par ailleurs, j'ai pu constater, lors d'une visite à l'Hôtel-Dieu, que des locaux récemment remis à neufs demeurent inutilisés. N'y a-t-il pas, là aussi, un manque de cohérence dans les décisions prises ? Je m'interroge sur le sort réservé, dans votre projet, aux personnes âgées atteintes de pathologies multiples, à la psychiatrie, aux réponses aux situations de crise sanitaire. Pourquoi maintenir les urgences médico-judiciaires et fermer les urgences médico-chirurgicales ? Des syndicats de police ont d'ailleurs dénoncé le fait que cela conduira à la multiplication et la mobilisation d'effectifs pour, notamment, escorter les patients en garde à vue vers d'autres hôpitaux où ils seront pris en charge ? Il serait sage de mettre à profit le moratoire décidé par la ministre de la santé pour conduire un réel débat sur l'avenir de l'Hôtel-Dieu et trouver des solutions répondant à l'intérêt des patients et aux préoccupations des personnels. Enfin, je souhaite que le docteur Kierzec soit réintégré dans ses fonctions. La sanction qui le frappe est injuste, alors qu'il défend un projet prenant en compte l'intérêt des usagers.

M. Jean Desessard. - Je suis moi aussi étonné de cette sanction, qui a suivi la présentation du fonctionnement des urgences et des récents travaux de rénovation que le docteur Kierzec avait réalisés pour les parlementaires, répondant en cela à leur souci d'information. Je souhaiterais disposer d'informations plus précises sur les incidences financières des différentes options possibles pour l'Hôtel-Dieu, à savoir la vente de l'ensemble immobilier et la réinstallation des activités sur d'autres sites, une modernisation permettant le maintien des activités actuelles et le projet de transformation présenté par la direction.

M. Jacky Le Menn. - L'agence régionale de santé (ARS) est compétente en matière de planification sanitaire. Je suppose qu'elle a suivi de près le projet de réorganisation et que celui-ci s'insère dans une vision d'ensemble de l'offre hospitalière, notamment en termes de services d'urgences. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Je suis plutôt séduit par ce projet, qui va dans le sens du développement des soins ambulatoires et qui apporte une réponse à une situation locale caractérisée par la fréquence des dépassements d'honoraires. Mais peut-on totalement se passer de lits hospitaliers dans la structure telle que vous la projetez ? Par ailleurs, sur les passages actuels aux urgences de l'Hôtel-Dieu, au nombre de 120 000 par an semble-t-il, combien pourraient relever de la consultation 24 heures sur 24 ? Comment pourrez-vous répartir sans difficulté les autres cas sur d'autres établissements déjà largement saturés ? Enfin, on nous a signalé un déficit de confiance entre les personnels et la direction autour de ce projet. A-t-on fait tout ce que l'on pouvait pour éviter ce climat détérioré ?

Mme Annie David, présidente. - Je partage nombre d'interrogations qui viennent d'être exprimées. Je constate en outre que les missions du futur hôpital universitaire de santé publique ne semblent pas encore précisément définies, puisque la CME n'a pas encore statué. S'agissant du projet alternatif que nous a exposé le docteur Kierzc, il ne me semble pas totalement opposé à celui de la direction, avec lequel pourraient même apparaître des complémentarités.

Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris. - Le projet d'hôpital universitaire de santé publique, dans lequel s'insère la réorganisation de l'Hôtel-Dieu, est le fruit d'une démarche engagée au printemps 2011. Des groupes de travail très ouverts, comprenant aussi bien des personnels de l'AP-HP que des personnes extérieures, ont été mis en place et ont remis leurs rapports à l'été 2012. Avec le président de la CME, nous avons ensuite désigné deux préfigurateurs médicaux, les professeurs Fagon et Lombrail, qui ont remis leur rapport de préfiguration en mars 2013. Au cours de ce processus continu, de nombreux documents ont été produits et soumis à la concertation et à la discussion. Bien entendu, un tel projet de transformation ne peut s'envisager sans l'information et l'aval de l'ARS. Celle-ci a été d'autant plus impliquée qu'en matière de services d'urgences, l'autorisation réglementaire de l'ARS est indispensable.

A ceux qui évoquent un déficit de confiance, je répondrai que rien n'est jamais parfait mais que nous avons conduit beaucoup de réunions et débattu au sein de multiples instances. Au demeurant, au cours de ce processus, notre projet a connu des évolutions sensibles, tout comme d'ailleurs le projet alternatif qui vous a été présenté.

Je vous rejoins, madame la présidente, pour considérer qu'il existe nombre de points communs entre les deux projets : le maintien d'un plateau technique en radiologie, le maintien de l'unité médico-judiciaire, le développement des soins ambulatoires, l'accent mis sur la santé des jeunes. Mais il y a aussi de réelles divergences, sur le service d'accueil aux urgences et sur la chirurgie, dont je dis clairement qu'elle est aujourd'hui soumise à un encadrement, en termes de normes applicables aux bâtiments, qui n'est plus compatible avec les caractéristiques du site de l'Hôtel-Dieu. C'est pourquoi nous avons choisi de créer un grand centre de chirurgie ambulatoire à l'hôpital Cochin. A ce propos, il faut souligner que tous les hôpitaux sont en cours de transformation pour évoluer de la chirurgie traditionnelle à une part plus importante de chirurgie ambulatoire.

Le projet alternatif envisage l'installation d'une maternité de type 1 à l'Hôtel-Dieu. Nous n'en voyons pas la nécessité, dès lors que plusieurs maternités ont été rénovées sur d'autres sites de l'AP-HP.

A terme, l'activité d'ophtalmologie rejoindra aussi l'hôpital Cochin, au sein du grand centre médical et chirurgical que nous prévoyons.

S'agissant des personnes âgées, nous souhaitons axer les activités de l'Hôtel-Dieu sur la prévention et l'amont de l'hospitalisation.

L'offre de soins, telle que nous l'envisageons sur le site de l'Hôtel-Dieu, répond à nos yeux aux besoins de santé du territoire.

Plusieurs d'entre vous ont mentionné les investissements réalisés ces dernières années à l'Hôtel-Dieu. C'est justement dans ces locaux rénovés que nous installerons les nouveaux services.

S'agissant des urgences, le professeur Fagon vous apportera les précisions nécessaires. Précisons que le service d'accueil des urgences ne traite qu'un tiers des 120 000 passages qui ont été mentionnés. Les deux autres tiers relèvent des urgences ophtalmologiques et de l'unité médico-judiciaire, cette dernière étant souvent à tort assimilée à un service d'urgences alors qu'une grande partie des patients accueillis ne relèvent en rien d'une prise en charge urgente.

Puisque vous m'avez interpellée sur la situation du docteur Kierzec, je précise que c'est son chef de service qui a estimé devoir le relever de ses responsabilités, considérant qu'il ne les assumait plus de manière satisfaisante.

En ce qui concerne le bouclage financier du projet, je voudrais rappeler que la première motion de la CME concluait à la fermeture pure et simple de l'Hôtel-Dieu. J'ai pour ma part défendu la pérennité de cet hôpital dans le cadre d'un engagement fort dans une politique de santé publique et d'éducation thérapeutique. La CME l'a accepté à condition qu'une telle transformation s'effectue à coût constant. C'est pour satisfaire cette exigence que nous avons décidé la vente du siège administratif. Celle-ci n'est donc en rien à l'origine du projet de transformation. Elle est en revanche la condition de la pérennité d'une activité hospitalière sur le site de l'Hôtel-Dieu.

Pr Jean-Yves Fagon, préfigurateur du volet soins de l'hôpital universitaire de santé publique. - Vous nous avez interrogés sur les conditions d'hospitalisation des patients qui s'adresseront au centre de consultations. Nous estimons qu'entre 3 % et 6 % des consultations spécialisées entraîneront un besoin d'hospitalisation. Celle-ci sera effectuée au sein des services hospitalo-universitaires de l'AP-HP sur lesquels nous nous appuierons pour mettre en place ces consultations qui en constitueront une activité avancée.

Sur la médecine étudiante, je confirme que la gynécologie entre bien dans nos priorités, qui portent également sur les soins dentaires et la médecine générale. Le centre de vaccination sera bien entendu ouvert aux étudiants.

S'agissant du service d'accueil des urgences de l'Hôtel-Dieu, 10 % à 12 % seulement des patients qu'il accueille nécessitent une hospitalisation ultérieure. Dans les services d'urgence des autres hôpitaux de l'AP-HP, le taux est systématiquement supérieur à 20 % et peut dépasser 25 %. Seule une minorité de patients se présente d'elle-même aux urgences de l'Hôtel-Dieu. Dans la grande majorité des cas, le patient est amené par les pompiers ou le Samu. Dès lors, ces patients seront réorientés vers d'autres sites. Mais sur un plan plus général, je réfute l'argument de la saturation des urgences qui nous est opposé. Oui, le système actuel n'est pas satisfaisant, mais c'est justement parce qu'il fonctionne mal qu'il faut lui trouver une alternative.

Mme Mireille Faugère. - L'ensemble des moyens humains et matériels du service d'accueil des urgences de l'Hôtel-Dieu sera redéployé sur quatre autres hôpitaux parisiens. Les aménagements sont en cours pour recevoir les personnels correspondant et augmenter les capacités en lits. Il n'y a donc aucune réduction des moyens affectés aux services d'urgence sur Paris. Notre projet prévoit en outre une offre supplémentaire et entièrement nouvelle sur le site de l'Hôtel-Dieu.

Mme Catherine Procaccia. - Aux urgences, le patient ne paye pas. Devra-t-il le faire au service de consultations ?

Pr Jean-Yves Fagon. - Il n'y aura aucun changement de ce point de vue.

Pr Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. - Je considère qu'un CHU se doit absolument d'assurer une offre de soins de qualité. L'appréciation de la CME sur le calendrier du projet est exclusivement guidée par l'exigence de qualité et de sécurité des soins. De ce point de vue, la date du 4 novembre retenue pour la fermeture du service d'accueil des urgences nous paraissait pertinente. Cette date est désormais décalée, sans délai précis, mais j'éprouve une réelle stupeur à l'idée que l'échéance des élections municipales puisse entrer en ligne de compte.

Le projet alternatif qui est évoqué me laisse perplexe. Il n'adosse pas les urgences à un hôpital de niveau hospitalo-universitaire. Nous ne pouvons brader ce qui distingue un CHU. En outre, ce projet n'est pas chiffré. A mon sens, l'investissement serait de 250 à 300 millions d'euros, montant auquel était estimée la remise à niveau de l'Hôtel-Dieu. Enfin, le site est immense, il couvre 75 000 m². Or les activités mentionnées dans le projet alternatif n'en occuperaient que la moitié. Que ferait-on de l'autre moitié, sinon d'y installer les services administratifs, comme le prévoit le projet qui a été retenu ?

En ce qui concerne le docteur Kierzec, son chef de service lui reproche de s'être écarté du projet de service, ce qui est difficilement acceptable. Je reçois demain les deux intéressés.

M. Jacky Le Menn. - Pour ma part, je crois que cette question n'a pas à être évoquée ici. Il existe des procédures et des instances pour régler ce type de situation.

Mme Laurence Cohen. - Je pense totalement différemment, le fait d'être parlementaire ne gomme pas le fait d'être citoyenne et citoyen et par conséquent, il me semble que l'espace ouvert ce matin est un des lieux pour contester ce genre de décision inique. Particulièrement attachée à la démocratie sanitaire, je pense qu'il reste beaucoup à faire et qu'il est nécessaire d'innover. Ainsi, il faut ouvrir des espaces de réflexion, de dialogue aux personnels, aux syndicalistes, aux usagers notamment quand on s'attaque à des projets de restructuration hospitalière.

Pr Jean-Yves Fagon. - La démocratie sanitaire n'en est effectivement qu'à ses balbutiements. Je tiens à souligner que depuis le lancement de la préfiguration de l'hôpital universitaire de santé publique, deux représentants des usagers participent à l'ensemble de nos travaux, quels que soient les sujets abordés. C'est un apport très positif, dont nous mesurons toute l'importance.

Mme Mireille Faugère. - Nous avons évoqué le projet alternatif. Je réfute l'idée selon laquelle il y aurait un projet des personnels face à un projet de la direction. Le projet que nous avons élaboré a associé un grand nombre de personnels de toutes les catégories. Il est lui aussi porté par des personnels.

Mme Laurence Cohen. - Pour éviter d'en arriver à la situation de l'Hôtel Dieu et de bien d'autres hôpitaux de Paris et d'ailleurs, notre groupe a déposé une proposition de loi afin d'instaurer un moratoire empêchant les fermetures d'hôpitaux et les regroupements de services.

Mme Annie David, présidente. - Au-delà de ce qui sépare les deux projets, je perçois une volonté commune de défendre le service public hospitalier. J'espère que cette volonté commune permettra d'aboutir à un projet partagé.