Mercredi 15 avril 2015

- Présidence de M. Jean Bizet, président, et de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Politique commerciale- Audition conjointe avec la commission des affaires économique et la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, de Mme Cecilia Malsmström, commissaire européenne en charge du commerce

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je vous remercie d'avoir répondu favorablement à notre invitation de venir vous exprimer à l'Assemblée nationale, pour cette audition conjointe avec la commission des Affaires économiques et la Commission des affaires européennes du Sénat.

Alors que les négociations commerciales multilatérales du cycle de Doha durent depuis 2001, l'Union européenne, comme d'ailleurs les États-Unis, ont fait le choix de multiplier les accords bilatéraux de commerce et d'investissement. Menées dans le secret, ces négociations ont suscité l'inquiétude de la société civile, du Parlement européen et de nombreux Parlements nationaux. Même si des progrès notables ont été enregistrés en matière de transparence (publication des mandats de négociation et des documents de négociation européens), ces inquiétudes restent importantes, aussi importantes que les enjeux de ces négociations pour l'avenir de nos concitoyens, de nos entreprises et de nos démocraties.

Pour ma part, je n'ignore pas les avantages que de tels accords, pour autant qu'ils soient bien négociés, peuvent avoir en matière de croissance et d'emploi pour l'Union européenne. Toutefois, je suis également consciente des risques qu'ils comportent.

Le premier risque est l'inclusion systématique, dans ces accords, d'un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs prenant la forme d'un arbitrage privé. Vous avez fait récemment, Madame la Commissaire, un certain nombre de propositions pour améliorer ce mécanisme dans le TTIP. Cependant, à supposer qu'il puisse être amélioré afin de prévenir ses effets négatifs, désormais bien connus, sur le droit des États à réguler, se pose toujours la question de son utilité.

En effet, ce mécanisme a été institué par nous, Européens, dès les années 50 afin de protéger nos investissements dans des pays qui ne respectaient pas l'État de droit. Or, le respect de l'État de droit est, aujourd'hui, une réalité, tant dans l'Union européenne qu'aux États-Unis et au Canada. C'est d'ailleurs pour cette raison que, depuis des décennies, malgré l'absence d'un mécanisme de règlement des différends, les investissements européens aux États-Unis et aux Canada et les investissements de ces derniers dans l'Union européenne atteignent des dizaines de milliards de dollars par an ! De plus, vous n'êtes pas sans savoir que l'accord de libre-échange de 2004 entre les États-Unis et l'Australie ne comporte pas de mécanisme de règlement des différends, comme n'en comportait pas l'accord de 1988 entre les États-Unis et le Canada.

Dès lors, je me pose la question et je ne suis pas la seule : en quoi un tel mécanisme de règlement des différends est-il aujourd'hui nécessaire dans le TTIP ou le CETA ? Quels sont ses avantages qui pourraient justifier les risques qu'il comporte ?

Le deuxième risque, spécifique au TTIP, est l'organe de coopération réglementaire qu'il prévoit. Son objet serait de discuter des propositions réglementaires de l'Union européenne et des États-Unis dans les secteurs couverts par le TTIP tels que les textiles, les médicaments ou l'automobile. Cet objet est louable : il s'agit d'éviter que les futurs partenaires adoptent, chacun de leur côté, des règlementations différentes qui, par les barrières qu'elles pourraient ériger, compliqueraient les échanges commerciaux.

Toutefois, cet organe me semble faire peser un risque encore plus grand que le mécanisme de règlement des différends sur le droit des États à réguler. En effet, ce dernier n'interviendrait qu'a posteriori, alors que l'organe de coopération réglementaire interviendrait a priori, dans l'élaboration même des normes. Or, les normes ne peuvent pas être analysées sous le seul angle de la barrière qu'elles pourraient constituer pour le commerce. Elles sont le résultat de débats dont les enjeux sont également sociaux et environnementaux. Le risque est donc majeur que l'organe de coopération réglementaire suivre la même logique qu'un tribunal arbitral et juge qu'une loi mauvaise pour le commerce est une mauvaise loi.

Enfin, au-delà du TTIP et du CETA, je voudrais attirer votre attention sur un aspect méconnu des accords de libre-échange et d'investissement. Loin de se borner au commerce, je me réjouis que certains de ceux qui ont été négociés dans le passé, par exemple les accords avec le Pérou et la Colombie, comportent des engagements en matière de droits humains, sociaux et environnementaux.

Toutefois, encore faut-il que ces engagements soient respectés par les pays concernés. Nous avons reçu récemment les responsables d'ONG en Colombie. Si respect il y a sur le papier, les droits syndicaux ne sont pas respectés sur le terrain. La Commission européenne s'en assure-t-elle et si oui comment ? Si ces engagements venaient à être violés, quelle devrait être selon vous sa réaction ? Enfin, alors que la Commission européenne négocie actuellement des accords avec des pays qui ne sont pas exemplaires en matière de droits humains, sociaux et environnementaux, notamment la Chine et la Birmanie, ceux-ci comporteront-ils des engagements dans ce domaine ?

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes particulièrement heureux d'avoir l'opportunité de vous entendre aujourd'hui dans le cadre cette réunion commune avec l'Assemblée nationale. Nous vous remercions pour votre disponibilité.

Les négociations sur un Partenariat transatlantique de Commerce et d'Investissement (PTCI) ont débuté en juin 2013. L'idée d'un tel accord de libre-échange repose sur un constat statistique éloquent. Les deux partenaires représentent 40 % du PIB mondial, enregistrent 30 % des échanges mondiaux dont dépendent 14 millions d'emplois des deux côtés de l'Atlantique. Le stock d'investissements dans les deux marchés atteint 3 000 milliards d'euros. L'intérêt de l'accord repose aussi sur ses potentialités : il pourrait contribuer à une croissance annuelle de l'économie européenne de 119 milliards d'euros.

Cependant, les points de blocage restent nombreux, en particulier : pour l'ouverture aux Européens des marchés publics - notamment de la part des États fédérés ; pour la coopération sur la convergence réglementaire ; sur la défense des préférences collectives européennes concernant les produits agricoles ; sur les indications géographiques ; sur le processus d'arbitrage pour le règlement des différends Investisseur-État... Au Sénat, nous avons adopté, le 3 février dernier, une résolution européenne sur le mécanisme de règlement des différends, sur le rapport de notre collègue Michel Billout. Cette résolution suggère en particulier le recours à un mécanisme inspiré de l'Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons par ailleurs mis en place un groupe de suivi des négociations en cours. Le prochain « round » de négociations (le 9e) se tiendra du 20 au 24 avril à New York. Le souhait émis par les responsables européens de conclure avant la fin de l'année 2015 apparaît difficilement atteignable, de l'aveu même du négociateur européen M. Bercero.

A la veille de ce 9round de négociations, nous souhaitons savoir sur quels volets les positions sont figées et sur lesquels les choses ont réellement progressé. Depuis le round de février, les États-Unis ont-ils formulé des propositions de texte sur les sujets majeurs ? Concernant les modalités de l'ISDS à inscrire dans le TTIP, vous avez proposé une détermination conjointe par les deux parties d'une liste restreinte d'arbitres « dignes de confiance » ; d'inscrire explicitement dans l'accord la liberté souveraine de chaque État pour le choix de leurs politiques publiques ; vous suggérez enfin de constituer dans l'accord un organe d'appel avec des membres permanents. Y a-t-il à ce stade des retours de la part des négociateurs américains ?

Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne en charge du commerce. - Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureuse d'être ici et d'avoir ce dialogue avec vous, dialogue à la fois de fond et de proximité avec les représentants nationaux ; c'est une de mes priorités en tant que commissaire européenne au commerce.

En effet, dans la période que nous traversons, les institutions européennes sont critiquées. Elles seraient trop distantes des citoyens. Il faut minimiser ce manque de confiance, et cette audition est une manière d'avoir plus de proximité.

Dès lors, plus la Commission et les parlements nationaux seront fréquemment en contact, plus cette distance entre les citoyens et nos institutions sera réduite.

Je voudrais mettre l'accent sur trois aspects importants pour moi :

- tout d'abord, je crois que nous pouvons nous mettre d'accord sur l'idée de la politique commerciale en tant qu'outil pour assurer la croissance et l'emploi ;

- deuxièmement, c'est aussi, à mon sens, un levier pour assurer le respect et la diffusion de nos valeurs en tant qu'Européens ;

- et troisièmement, j'aimerais vous parler de la responsabilité partagée que nous avons à engager un débat public sur le sujet.

Commençons par la croissance et l'emploi.

Nous savons que les accords commerciaux et d'investissement peuvent contribuer à cet objectif. Aujourd'hui le 15 avril, nous célébrons l'anniversaire de la signature des accords qui ont fondé l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les ministres présents il y a vingt-et-un ans à Marrakech déclaraient que ces accords « marquent l'avènement d'une ère nouvelle de coopération économique mondiale ».

Ils avaient raison : les échanges annuels de biens et services sont quatre fois plus importants aujourd'hui qu'en 1994. Les flux d'investissement ont été multipliés par cinq au cours de cette même période.

Mais il ne s'agit pas seulement de considérer les bénéfices globaux du commerce au niveau mondial, mais aussi de considérer les bénéfices concrets pour nous Européens.

Aujourd'hui, plus de 30 millions d'emplois en Europe dépendent des exportations et plus de 2,5 millions de ceux-ci sont localisés en France, soit 10% de la population active française.

Mais il ne s'agit pas seulement des exportations ; beaucoup d'autres emplois en Europe dépendent des importations, car aujourd'hui, comme vous le savez, les produits ne sont pas fabriqués dans un seul pays. Ils sont fabriqués le long de chaînes de valeur régionales et mondiales. Pour exporter compétitivement, nous devons aussi importer.

Un chiffre-clé pour démontrer l'ampleur de ce phénomène pour la France : 25 % de la valeur des exportations françaises est composée de biens et services importés.

Le but de la politique commerciale de l'Union européenne en la matière est de l'accès à ces chaînes de valeur.

Prenons l'exemple de l'accord de libre-échange avec la Corée du Sud qui est en vigueur depuis 2011. Il donne déjà des résultats très satisfaisants. L'ensemble de nos exportations vers la Corée est en hausse de 35 %. Dans le secteur de l'automobile, la hausse est même de 90 %.

Elles ont doublé dans le secteur laitier - ce qui est particulièrement intéressant pour la France. La France dispose d'une offre diversifiée et riche, notamment de fromages, fabriqués par de petits producteurs et en demande partout dans le monde, tandis que deux des trois plus grandes entreprises laitières du monde sont françaises.

D'où viennent ces gains avec la Corée du Sud ? D'un accord très ambitieux dans son contenu. En effet, l'accord fait plus qu'éliminer les tarifs douaniers :

- il rend les règlements coréens et européens plus compatibles, sans abaisser les normes (comme en matière de sécurité automobile par exemple) ;

- il améliore l'accès des entreprises européennes aux marchés publics coréens ;

- il élimine certains obstacles importants au commerce des services ;

- et il renforce la protection de nos indications géographiques.

Comme vous le savez, nous sommes en train de finaliser un accord similaire avec le Canada, le CETA, qui est aussi ambitieux que l'accord avec la Corée du Sud, et dans certains domaines, il l'est plus encore.

Nous avons obtenu des engagements du Canada pour ouvrir l'accès aux marchés publics de ses provinces, qui va bien au-delà de ce que les Américains ont atteint dans l'ALENA.

A l'heure actuelle, nous négocions des accords avec le Japon et le Vietnam, ainsi qu'avec de nombreux autres pays en Asie et en Afrique mais le plus important, économiquement et stratégiquement, des accords que nous négocions est le Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l'Investissement avec les États-Unis (le TTIP).

Une fenêtre s'est ouverte dans la dimension multilatérale et il y a un engagement de tous les ministres au niveau de l'Union pour terminer ce cycle le plus rapidement possible.

J'ai mentionné les secteurs de l'agriculture et la production de fromages, mais la France dispose d'atouts dans de nombreux domaines. Ainsi les médicaments et les appareils médicaux : ces secteurs profiteront des efforts réalisés avec nos partenaires commerciaux pour rendre leur réglementation plus compatible avec la nôtre. La fabrication de pneus et de produits chimiques profitera directement de la simplification des procédures douanières. Bien évidemment, le reste de l'industrie agro-alimentaire, où les droits de douane restent particulièrement élevés, avec les États-Unis, bénéficieront également de cet accord.

Je tiens à souligner que les gains ne seront pas seulement en faveur des grandes entreprises. Les PME représentent 30% des exportations européennes vers le reste du monde et sont plus vulnérables aux barrières réglementaires. La mise en conformité représente un coût proportionnellement plus élevé pour les PME, car elles ont moins de marge.

J'ai visité ce matin une petite entreprise aux Pavillons-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. C'est une TPE de dix personnes. CNC-Shopping est un des leaders de la distribution en ligne de commandes numériques pour machines-outils. Elle fait face à des difficultés très concrètes, liées notamment à la lourdeur des procédures douanières, mais aussi aux droits de douane élevés, alors même que le commerce électronique devrait être une opportunité extraordinaire pour elle. LE TTIP contribuera à éliminer ces obstacles.

Mais de même que l'Union européenne n'est pas seulement un marché unique, la politique commerciale de l'Union ne peut avoir comme seul objectif d'ouvrir des marchés. Elle doit aussi promouvoir et respecter des valeurs. Je voudrais développer cinq idées autour de ce thème : la réglementation, les services publics, l'environnement, la protection de l'investissement et la voix de l'Union européenne dans le monde.

Sur la réglementation, nous avons vu comment la coopération peut contribuer à la prospérité. Mais elle peut aussi aider à renforcer notre réglementation en matière de protection du consommateur et de l'environnement.

Le TTIP en est l'un des meilleurs exemples Nous nous assurons dans ces négociations, tout d'abord, que rien de ce que nous faisons n'abaissera les normes actuelles. C'est pourquoi nous nous concentrons sur les domaines où nous avons des objectifs réglementaires similaires à ceux des États-Unis comme dans le secteur de l'automobile, des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux. Nous ne négocierons pas dans les domaines où nous sommes en désaccord. Par exemple, nous n'allons pas changer nos lois sur la viande aux hormones ou les organismes génétiquement modifiés.

Toutefois le partenariat transatlantique nous aidera à atteindre des objectifs communs sur des sujets de coopération administrative, de partage des données, et d'expertise notamment. Il s'agit de coopérer pour faire respecter les règles en utilisant moins de ressources.

L'intention derrière l'organe de coopération réglementaire est de réunir des experts afin de recueillir leurs conseils sur les futures réglementations, d'échanger de l'expertise. Mais il reviendra toujours aux Parlements nationaux de faire les lois.

Nos accords n'obligeront pas les gouvernements à ouvrir les services publics à la concurrence de prestataires privés. Ils ne forceront pas à privatiser les services publics et ne limiteront pas la liberté des gouvernements à changer d'avis sur ce sujet dans l'avenir.

C'est d'ailleurs la position des Américains dans le TTIP. Mon homologue américain et moi-même avons publié une déclaration conjointe à ce sujet qui démontre notre convergence et clarifie nos positions sans ambiguïté.

En même temps, un commerce plus ouvert permet de réduire les coûts des biens et des services dont les gouvernements se servent pour les fournir à leurs usagers. Qu'il s'agisse des uniformes, des médicaments ou des meubles, cela fait plus d'argent disponible pour le système dans son ensemble.

Qu'en est-il de l'environnement ? 2015 est une année importante pour le climat. Paris, en décembre, sera la ville importante pour faire progresser les engagements internationaux dans ce domaine. Si nous voulons résoudre ce qui est l'un des plus graves problèmes à l'heure actuelle, nous devons travailler sur tous les fronts.

Le commerce peut aider. C'est pourquoi l'Union européenne est en train de négocier un accord avec treize autres pays pour promouvoir le commerce des biens et services respectueux de l'environnement, en particulier ceux liés à l'énergie renouvelable. Et nous travaillons pour que d'autres pays rejoignent ces négociations au plus vite, en espérant avoir un accord avant Paris. Nous voulons également utiliser le TTIP pour élever le niveau des normes sur les produits énergétiques renouvelables.

Quatrièmement, l'investissement. C'est probablement la question la plus sensible quand il s'agit des relations entre la politique commerciale et nos valeurs. J'aimerais rappeler pourquoi protéger l'investissement est important. Abaisser les risques d'expropriation ou de discrimination, contribue à rassurer les investisseurs et les encourage à investir, ce qui signifie plus de croissance et d'emplois. C'est pourquoi la France a déjà signé plus de quatre-vingts accords bilatéraux d'investissement, qui comprennent des mesures de protection.

Cependant, il est également nécessaire aujourd'hui d'améliorer le système existant de règlement des différends entre investisseurs et États (plus communément appelé par son acronyme anglais ISDS). L'Union européenne ne veut pas maintenir les accords en matière d'investissement qui seraient déséquilibrés. Les accords existants doivent être réformés, et le CETA et le TTIP sont des étapes clés dans ce processus.

Dans l'accord CETA, nous avons apporté des modifications importantes sur le système existant. En voici quelques exemples. Pour la première fois dans un accord de ce type, nous avons ajouté une référence au droit des gouvernements à réglementer dans l'intérêt public. Nous avons clarifié et défini des limites aux normes de protection de l'investissement pour rendre beaucoup plus difficiles les abus. Nous avons rendu les tribunaux plus transparents et établi un code de conduite obligatoire pour les arbitres. Nous avons, enfin, donné aux gouvernements et non aux arbitres, le contrôle ultime sur l'interprétation des règles. Si l'Union européenne et le Canada ne sont pas d'accord avec la décision d'un arbitre, nous pouvons émettre une déclaration juridiquement contraignante sur la façon dont nous voulons que les règles soient interprétées.

Dans un monde idéal, nous pourrions être en mesure de faire davantage dans le CETA et cela pourra être fait plus tard. Mais l'accord est déjà conclu, même si on peut envisager de demander des ajustements techniques au Canada, nous n'avons pas intérêt à risquer les gains très importants pour l'Europe qui viennent d'être évoqués. Des clauses de révision existent dans l'accord qui nous permettront de réexaminer la question à l'avenir. Le Canada partage notre point de vue sur l'importance de garantir le droit de réglementer.

Dans le TTIP nous pouvons aller plus loin, et nous envisageons des changements profonds comme : nommer par avance des arbitres totalement indépendants et impartiaux ; instaurer un système d'appel, voire dans le moyen terme une cour permanente de l'investissement international ; établir des règles encore plus claires pour gérer la relation avec les systèmes juridiques nationaux ; introduire une clarification juridique supplémentaire sur le fait que les gouvernements ont le droit de réglementer afin de mener des politiques publiques dans l'intérêt général.

Par ces changements, on fait un pas important vers un meilleur système de protection de l'investissement. Ce sont les questions que je suis en train de discuter avec les États membres et le Parlement européen, afin de faire des propositions constructives dans les semaines qui viennent. Bien que nous ayons beaucoup de différences avec les États-Unis, nous partageons les valeurs de démocratie, des droits de l'homme et d'État de droit. Pour autant, nous devons rester vigilants quant à l'application des accords de libre-échange, qui ne deviennent pas automatiquement aux États-Unis des lois nationales, ce qui peut mener à des discriminations, contre, par exemple, de petites entreprises européennes.

Les États-Unis conservent aujourd'hui beaucoup d'influence sur les règles mondiales, en raison de leur poids économique. Mais beaucoup de pays suivent la règlementation européenne sur les produits chimiques, les émissions de CO2 des voitures par exemple, en partie parce que c'est ensuite plus facile pour exporter vers notre marché unique.

Mais cette situation risque de changer à l'avenir, avec la baisse de notre poids relatif tandis que le poids des économies émergentes s'accroît. À l'avenir, nous aurons besoin d'alliances si nous voulons projeter nos valeurs dans les débats qui façonneront les règles mondiales du vingt-et-unième siècle. Il est donc important de trouver des alliances, des partenariats, et les accords commerciaux peuvent nous y aider dès lors qu'ils sont menés dans la transparence.

L'Union européenne a été au centre des négociations qui ont créé le système multilatéral, et au cours des vingt-et-une dernières années, les règles de l'OMC nous ont déjà permis de contribuer à façonner les règles de la mondialisation. Aujourd'hui, la Commission est particulièrement engagée pour travailler en partenariat avec les citoyens, les Parlements nationaux et le Parlement européen pour faire progresser ces partenariats et ce travail multilatéral.

Nous ne pourrons finir les négociations avant Noël, mais nous devons tenter de conclure les négociations du TTIP avant la fin du mandat du Président Obama. Après cela, de nombreux équilibres risqueraient d'être remis en cause.

Finalement, sur votre question, madame la Présidente, de l'application des normes, notamment syndicales, dans des pays avec lesquels nous avons des accords, comme le Pérou ou la Colombie. Il est vrai que nous souhaiterions qu'il y ait moins de problème de respect des droits de l'homme dans ces pays. Nous sommes en train de réfléchir à des façons de mieux faire appliquer ces accords dans les faits, mais sommes convaincus qu'ils contribuent néanmoins à plus de respect des droits.

J'espère avoir répondu à vos questions et suis disposée à vous fournir plus d'éléments de réponses suivant les questions que vous pourrez me poser à présent.

M. Joachim Puyeo, député. - Je vous remercie de prendre ce temps pour échanger avec nous, notamment sur les sujets que sont les accords commerciaux. En tant que parlementaires, nous recevons de façon régulière des lettres, des mails, des tweets de nos concitoyens, qui expriment leurs inquiétudes vis-à-vis de ces accords - dont certains sont encore au stade de la négociation - comme cela est le cas du traité entre l'Union européenne et les États-Unis.

En ce qui concerne le fond du sujet, vous n'êtes pas sans savoir que notre assemblée a adopté en juin 2013 une résolution européenne sur le mandat de négociation de l'accord de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne. Il était notamment demandé de prendre en compte les particularités de l'agriculture européenne, et les considérations non commerciales qui y sont impliquées : j'entends par-là les surcoûts-prix dans l'Union pour protéger la santé des consommateurs et des travailleurs, préserver l'environnement, assurer l'information des consommateurs grâce à la traçabilité et aux indications géographiques.

À la différence des États-Unis, les petites et moyennes exploitations jouent encore un rôle prépondérant en Europe, et bien sûr en France, notamment dans des domaines comme le lait. Les inquiétudes sont grandes chez les cultivateurs qui ont peur de se trouver mis en concurrence avec d'immenses exploitations qui réalisent des économies d'échelle considérables, et sont d'autant plus compétitives.

Si l'on prend en compte les différentes mesures qui visent également à assurer la santé de nos consommateurs, ainsi que les normes au niveau de l'environnement, certains de nos producteurs risquent de ne pouvoir suivre face à une concurrence de gros exploitants respectant des normes allégées.

Si l'on considère l'exemple de l'accord passé entre l'Union européenne et la Corée du Sud, le bilan semble plutôt positif dans de nombreux domaines, comme vous l'avez rappelé. Ce bilan entre les vingt-huit de l'Union européenne, et la Corée du Sud est-il également positif en ce qui concerne le domaine agricole ?

Quelles mesures pourraient être prises afin de garantir la continuité des petites et moyennes exploitations, et d'assurer leur protection afin de défendre notre modèle agricole ?

Les PME pourront-elles profiter de cette augmentation du commerce international selon-vous ?

Nous sommes attachés à la protection des standards en matière de santé, de conditions de travail et d'environnement : pensez-vous que ces accords de libre-échange peuvent imposer des normes sociales et sanitaires à l'Europe ?

M. Jean-Pierre Le Roch, député. - L'Union européenne est devenue un partenaire commercial majeur de la Chine. Elle est la première destination des exportations chinoises, alors que la Chine est le deuxième partenaire commercial de l'Union européenne.

Le protocole d'adhésion de la Chine à l'OMC, signé en 2001, a classé ce pays comme disposant d'une économie en transition. Ce même accord prévoit l'obtention du statut d'économie de marché pour la Chine le 12 décembre 2016. Or, ce statut conditionne toutes les procédures anti-dumping appliquées par la Commission européenne et son obtention aura pour conséquence un affaiblissement des instruments de défense commerciale classiques, et un impact sur les emplois et l'industrie en Europe.

Vous déclariez, en décembre dernier, que la reconnaissance de la Chine en tant qu'économie de marché par l'OMC et ses membres, n'était pas automatique malgré le protocole d'adhésion, et que la Chine ne remplissait pas encore les critères pour y accéder. Pourriez-vous préciser votre position sur ce sujet et l'état des négociations ?

Mme Estelle Grelier, députée. - Le TTIP est un vaste chantier qui concerne l'intégralité des secteurs. Les conditions d'accès de publicité du mandat de négociation ont été assez difficiles, et la transparence promise n'a pas été facile à obtenir. Les conditions d'accès aux documents sont théoriques, sauf à se dire que les députés que nous sommes, allons passer notre temps à lire des documents dans un petit bâtiment, pour les prendre en note.

Nous doutons donc fortement de la qualité de contrôle que nous avons, en tant que parlementaires, sur les décisions qui sont prises. Nous avons dans l'idée que nous ne pesons pas, alors même qu'un certain nombre de nos interlocuteurs nous sollicitent sur ce Traité. Par exemple, j'ai rencontré récemment la Confédération générale des betteraviers : ils sont très inquiets de ce dispositif, dans la mesure où sur une partie des échanges qui les concerne, les américains refusent l'échange, tandis qu'ils le souhaitent sur la partie qui ne les intéresse pas. Dans nos circonscriptions, on nous parle de ce Traité commercial : nous avons des inquiétudes sur ce que nous pouvons apporter comme réponses et sur la manière dont les choses se passent.

Par ailleurs, il y a une médiatisation autour de la question des tribunaux arbitraux : cela n'est pas dans la culture française. Nous avions compris qu'il s'agissait de mécanismes d'arbitrage des conflits qui étaient plutôt destinés à s'appliquer lorsqu'il n'existait pas d'organisation structurée d'État. Nous souhaitons être rassurés sur ce point. Vous avez dit que les Gouvernements conservent « le contrôle ultime », pouvez-vous préciser cet aspect ?

De plus, s'agit-il d'un accord mixte ou pas ? Il faut nous dire clairement et sans ambiguïté ce qu'il en est sur cette qualification.

Mme Cécilia Malmström, commissaire européenne en charge du commerce. - Nous avons bien pris en compte les recommandations que vous nous avez envoyées, Monsieur Puyeo : beaucoup de vos préoccupations sont couvertes par le mandat, mais aussi par les négociations. Dans aucune négociation il n'a été question de baisser la protection dont bénéficient les citoyens, les consommateurs, et de l'environnement. Le mandat dit clairement qu'il n'est pas question de baisser ces normes.

Nous discutons des règlements à un niveau plutôt technique, où les manières de réglementer sont plus ou moins équivalentes, comme par exemple l'inspection de certaines usines. Il est parfois nécessaire de faire deux validations. Par exemple, les entreprises du Nord de la France qui veulent exporter des huîtres et des moules, alors qu'elles ont perdu le marché russe, doivent se soumettre à deux inspections pour exporter aux États-Unis : tandis que nous examinons le mollusque, les américains examinent l'eau. Cela revient au même, mais les deux inspections sont actuellement nécessaires. L'objectif n'est donc pas d'harmoniser, mais de reconnaître mutuellement les deux façons de faire, ce qui permettrait notamment aux petites entreprises d'économiser un peu d'argent.

Par ailleurs, je suis consciente du fait que l'agriculture est un sujet très sensible pour la France. Il existe actuellement un surplus d'exportation au niveau européen. Mais il y a toujours des obstacles tarifaires et douaniers, notamment sur le fromage, le vin, le chocolat, et sur certains autres produits, qu'il serait positif d'éliminer pour les agriculteurs européens. Nous avons des produits de très haute qualité, qui sont reconnus et demandés dans le monde. Nous pouvons donc avoir confiance en nous-mêmes : si l'on nous en donne la possibilité, il y a beaucoup de marchés à gagner.

S'agissant de l'accord avec la Corée, les exportations ont doublé sur le secteur laitier. Nous vous enverrons l'évolution totale issue de ces accords, afin que vous puissiez la consulter en détail.

Concernant la Chine, la décision n'est pas automatique et ne peut se prendre du jour au lendemain : puisque nous avons accordé ce statut aux chinois, il faut que la Commission propose un changement, et que le Conseil soit d'accord. Nous sommes en train de nous livrer à des expertises sur cet accord datant d'il y a déjà pas mal d'années, afin d'en discuter cet été ou cet automne avec les États membres. L'examen commence, aucune décision n'a encore été prise.

C'était, Mme la députée, effectivement une erreur de ne pas publier le mandat TTIP tout de suite : ce n'est pas la faute de la Commission, mais certains États membres ne le souhaitaient pas (même si la France - elle - avait demandé la transparence). Or, comme il s'agit d'un document du Conseil, il fallait l'unanimité. Le Conseil n'en avait sans doute pas réalisé l'intérêt public, et cela a contribué à donner l'impression qu'il y avait quelque chose de suspect, ce qui n'est pas le cas. Actuellement presque tous les textes sont mis en ligne, dans la mesure où la Commission souhaite la transparence. Tous les membres du Parlement européen y ont accès, et il incombe aux Gouvernements de permettre l'accès des Parlements nationaux à ces textes, tout en veillant le cas échéant à leur confidentialité.

S'agissant des ISDS, l'objectif est réellement la protection des citoyens, et de faire en sorte que celle-ci ne puisse être remise en question par les entreprises.

Légalement, je ne suis pas en position de vous dire si le TTIP sera un accord mixte ou pas, puisque nous n'avons pas encore le texte. S'il s'agit d'un accord très vaste et ambitieux comme nous l'envisageons, il sera mixte.

Mme Michèle Bonneton, députée. - Je suis étonnée du calendrier annoncé : si l'Union européenne veut aller trop vite, elle se met de fait en position de demandeur par rapport aux États-Unis, ce qui n'est pas une position très favorable. Mis à part quelques secteurs, les droits de douane en direction des États-Unis sont déjà bas. L'harmonisation des normes est bénéfique au commerce. Cependant, l'éventuelle création d'un organe de coopération réglementaire sur les règles techniques pose questions, comme cela a déjà été dit par Mme Auroi : celle de l'association des États membres à cette structure, celle de la nature même des normes qui reflètent des choix politiques, c'est-à-dire des choix de vie d'une société.

Nous sommes interrogés dans nos circonscriptions. Les agriculteurs sont inquiets par rapport à leurs signes de qualité, dont bien peu ont été reconnus dans le CETA. Ils sont également inquiets par rapport à la concurrence d'une agriculture industrielle. Les PME, les acteurs de l'économie sociale et solidaire, les acteurs de la santé, de la protection sociale, et donc tous les citoyens se posent beaucoup de questions.

Par ailleurs, qu'en sera-t-il des services publics « à la française », d'autant plus qu'il y a des discussions au niveau du projet d'accord TiSA et que celui-ci interfère avec le TTIP ? Il est bien question en effet de livrer une part de nos services publics à la concurrence internationale.

Ce TTIP s'inscrit dans la continuité de l'ALENA (couvrant l'ensemble du continent Nord-américain). L'ALENA n'a pas tenu ses promesses pour le Mexique, tandis que son extension à l'Amérique latine été abandonnée, notamment sous la pression de la société civile latino-américaine. Ceci n'est pas très engageant et nous interpelle. En quoi cette nouvelle étape d'harmonisation des modèles économiques voulue par le TTIP constitue-t-elle un réel gain pour l'Union européenne ?

Le TTIP cherche à ouvrir les marchés publics des deux côtés de l'Atlantique. Aux États-Unis, des clauses spécifiques existent, destinées à favoriser l'approvisionnement local et s'apparentant à de la discrimination positive pour certains fournisseurs. Le code des marchés publics l'interdit pour le moment en France pour ne pas fausser la libre concurrence. Toutefois, plusieurs initiatives dont une mission parlementaire et un groupe de travail à Bercy sont à l'oeuvre en France, afin de favoriser les circuits courts et leurs bénéfices pour l'environnement, la traçabilité et l'économie locale. Quelle est la position de la Commission sur ces initiatives ? Comment préserver le commerce local ?

L'Assemblée nationale a adopté, le 23 novembre 2014, une résolution européenne rejetant la perspective d'un mécanisme de règlement des différends dans l'accord entre l'Union européenne et le Canada. La Commission européenne a organisé une consultation publique sur le sujet l'été dernier, qui a recueilli 150 000 réponses. Ces réponses ont été très critiques : 97 % d'entre elles étaient négatives, y compris de la part d'entreprises et de personnalités politiques. Vous avez dit qu'il était envisagé une clarification juridique pour que les Gouvernements aient toujours le droit de légiférer dans l'intérêt général ; cela ne nous rassure pas : l'abaissement des choix politiques possibles des États est à craindre.

M. André Gattolin. - Madame la Commissaire, j'ai été un petit peu choqué par une de vos expressions sémantiques. On a compris que la France était le pays du fromage et de l'agriculture, mais il y a d'autres dimensions dans nos exportations. Vous avez évoqué les négociations avec les ONG en invitant les parlements nationaux à également jouer leur rôle dans le débat. Nous sommes au coeur du débat. Si nous allons vers un accord mixte, cela passera par notre ratification ou cela ne passera pas.

Votre introduction est positive, mais on nous donne une perspective d'évolution globale du commerce en Europe. On nous a présenté ce projet de traité TTIP comme allant générer 0,5 % de croissance en plus, des centaines de millions d'emplois en plus mais on ne nous dit jamais où. Nous n'avons pas d'étude d'impact sectorielle faite par la Commission au niveau national ou régional. Cela fait un an et demi que je la réclame en commission des affaires européennes du Sénat. Quand je discute avec mes homologues au Parlement néerlandais, ils sont tous en faveur du projet car, bien sûr, l'accroissement des échanges va bénéficier au port de Rotterdam. Demain, le commerce transatlantique va bénéficier à certains plus qu'à d'autres. Cette question de l'exception néerlandaise du fait de la situation de son port est à poser.

Autre exemple : nous savons que les droits de douanes sont faibles de part et d'autre, mais nous savons aussi qu'il y aura des réductions. Compte tenu du volume, cela aura une incidence sur le niveau de ressources propres bénéficiant à l'Union européenne. Cet abaissement des droits de douane va avoir un impact sur les modalités de financement du budget de l'Union. Je demande ces chiffres ; quelle étude d'impact a été faite à ce niveau-là ? Nous ne bénéficions pas du fédéralisme européen mais du centralisme européen. En tant que parlementaire national fédéraliste, j'ai l'impression que ce TTIP ne participe pas à la popularisation de la cause européenne. Actuellement, les négociateurs naviguent dans un autre monde que celui des citoyens européens et des parlementaires nationaux.

Mme Jeanine Dubié, députée. - Merci madame la Présidente. Merci madame la Commissaire de votre présentation et de votre éclairage sur le TTIP. Vous n'êtes pas sans savoir les inquiétudes suscitées par le TTIP sur nos citoyens. Ces interrogations résultent notamment de l'opacité des négociations. Vous avez aussi répondu à la question sur la nature du traité, mixte ou pas. J'ai cru comprendre qu'il devrait l'être, les parlements nationaux devront alors être consultés pour approuver l'accord. Une question plus précise sur l'impact du traité concernant le secteur de la santé et de la protection sociale. Les caisses de sécurité sociale de l'UE sont réunies au sein d'associations et elles ont exprimé des inquiétudes légitimes concernant les implications du TTIP sur le champ de la santé et de la protection sociale étant donné qu'elles sont actuellement du ressort et de la compétence des gouvernements des pays européens qui peuvent librement légiférer. Pouvez-vous, madame la Commissaire, nous confirmer que les champs de la santé et de la protection sociale sont exclus des négociations du traité transatlantique en cours ?

Mme Seybah Dagoma, députée. - Madame la Commissaire je vous remercie pour votre intervention liminaire, vous avez rappelé quels étaient les enjeux du TTIP et du CETA et vous nous avez livré votre position concernant le mécanisme de règlement des différends. Vous nous avez dit qu'il devrait faire l'objet d'améliorations et c'est pourquoi vous avez fait des propositions dans ce sens. Vous nous avez surtout dit deux choses qui m'ont particulièrement intéressée. S'agissant du TTIP, les négociations sont en cours, par conséquent, nous pouvons innover sur le mécanisme de règlement des différends. En revanche, s'agissant du CETA, il se trouve que les négociations sont terminées et que, par conséquent, nous ne pouvons plus rien faire à ce stade sur le mécanisme de règlement des différends.

Très tôt, l'Assemblée nationale était plus que réservée sur ce mécanisme de règlement des différends tel qu'il existe à l'heure actuelle dans les accords de libre-échange de l'UE. C'est pourquoi, en mai 2013, avant le début du mandat de négociation, nous avons présenté un projet de résolution qui disait clairement qu'il fallait exclure un certain nombre de sujets du mandat de négociation. Ils étaient au nombre de quatre. Il s'agissait des marchés de défense, des préférences collectives, de l'exception culturelle et du mécanisme de résolution des différends. Il se trouve que ce mécanisme de résolution des différends a été rejeté, à l'unanimité de la commission des Affaires européennes et à l'unanimité de la commission des Affaires étrangères. L'Assemblée nationale avait clairement exprimé le refus de ce mécanisme de règlement des différends tel qu'il existait dans les accords de libre-échange.

Aujourd'hui la question qui nous est posée est celle du CETA dont les négociations sont terminées. Un travail est en cours à la commission des Affaires européennes puisque Danielle Auroi nous a demandé de travailler longuement sur le mécanisme de règlement des différends. Nous rendrons nos conclusions dans quelques temps, je ne m'avancerai donc pas sur ce point. Je voudrais cependant vous interroger sur les conséquences de la mixité. S'agissant du CETA, la mixité est avérée puisque l'accord contient des dispositions sur les investissements indirects et par conséquent nous aurons à nous positionner dessus. À partir du moment où le Conseil européen statuera sur l'accord, le Parlement européen aussi devra statuer ; il y aura une entrée en vigueur provisoire et ensuite les parlements nationaux devront se positionner. Si d'aventure un parlement vote contre cet accord que se passera-t-il ?

M. Daniel Raoul. - Il est clair que le CETA relève d'une procédure mixte. Or le Sénat et l'Assemblée nationale sont très opposés à l'ISDS. Quel que soit le calendrier retenu, il y aura des difficultés au moment de la ratification de cet accord, du moins devant le Parlement français. J'ai bien pris note de vos idées préliminaires pour améliorer le TTIP, mais je vous assure que cela ne suffira sans doute pas. Si ces idées ne sont pas retenues, je prévois des difficultés énormes au moment de la ratification de ce traité.

De plus, un principe de base dans un traité devrait être la réciprocité dans la reconnaissance des expertises de chaque partie. Cela devrait être le cas pour les fruits de mer comme pour les produits pharmaceutiques et de santé. Il convient d'éviter les doubles expertises, dans l'esprit de confiance du libre-échange.

Enfin, même si les frais de douane sont actuellement faibles, ils représentent une part non négligeable du budget de l'Union. Qu'envisagez-vous pour avoir enfin un budget propre ? Si ces deux traités sont ratifiés, les ressources de l'Union diminueront considérablement. Il faudra bien en trouver de nouvelles, comme le propose la taxe sur les transactions financières.

Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne en charge du commerce. - S'agissant du calendrier, le contenu prime. Nous souhaitons finaliser ce traité avec l'administration Obama, pour éviter les délais considérables qui se présenteront en cas de changement de l'administration. Mais si ce n'est pas possible, il faudra attendre ! Le plus important est que le Conseil et le Parlement européen et, dans le cas d'une procédure mixte, les parlements nationaux, soient en accord avec le contenu. Nous ne conclurons pas au seul motif que des élections approchent aux États-Unis.

S'agissant des tarifs douaniers qui existent encore, il est vrai qu'ils sont en général bas, mais ils sont élevés - entre 20 et 30% - pour certains produits, comme le vin, le fromage ou les chaussures, qui sont des produits importants pour la France. Il serait donc souhaitable d'éliminer tous les tarifs douaniers, avec quelques exceptions pour le secteur agricole.

En ce qui concerne les indications géographiques, 42 produits français sont inclus dans l'accord avec le Canada, sur un total de 154. Les produits français représentent donc une part très importante des indications géographiques concernées. Nous allons essayer d'atteindre un résultat au moins aussi bon avec les États-Unis. Je ne vous cache pas que c'est un point difficile, car les États-Unis ont une toute autre approche de cette question.

Sur les marchés publics, il s'agit d'obtenir une réciprocité. L'Union européenne est assez ouverte, aux États-Unis comme aux autres pays. Cette ouverture a eu des conséquences positives pour notre économie. Mais le marché américain est beaucoup plus fermé que nous ne le croyons parfois. Certaines de nos grandes entreprises, pourtant très compétitives sur leurs marchés, ont des difficultés à accéder aux marchés publics américains. Nous voulons corriger ce déséquilibre, dont beaucoup d'entreprises européennes souffrent.

S'agissant des circuits courts, cette question ne fait pas l'objet de discussions dans le cadre de ces accords. Il s'agit plutôt d'une question française, ou européenne.

Il est bien évidemment fondamental d'entretenir un dialogue avec la société civile et les organisations non gouvernementales, dont nous sollicitons les connaissances et l'expertise. Mais ce sont les parlementaires européens et nationaux qui assument la responsabilité politique, et il convient de garder cela à l'esprit.

Beaucoup d'études d'impact ont été réalisées, dont la majorité montre des gains de croissance annuels compris entre 0,2% et 1%. Certaines utilisent une méthode différente, dont les résultats sont moins positifs. Mais la majorité prévoit des gains de croissance, d'emploi et d'investissement. Nos expériences du passé, comme l'accord avec la Corée ou avec le Mexique, ont eu des résultats positifs, et les projections réalisées s'appuient sur celles-ci pour dégager des tendances. L'Union européenne a réalisé une étude d'impact propre, disponible sur son site Internet. Une seconde, qui analysera les conséquences des accords sur certains secteurs et certains pays, est en cours de réalisation. En outre, de nombreux pays ont commandé des études nationales auprès de think tanks et d'experts internationaux indépendants. L'Irlande a ainsi commandé une étude auprès de Copenhagen Economics.

J'étais récemment à Dublin. Le gouvernement irlandais a missionné le cabinet Copenhagen Economics pour qu'il étudie, secteur par secteur, les conséquences de l'accord, soit les bénéfices attendus mais aussi les éventuelles vulnérabilités. Cela permet de se préparer à faire face à la fragilisation de certains secteurs. Il revient donc aussi à chaque pays de mener ce type d'études. Nous ferons pour notre part une publication générale à la fin de l'année.

Sur les ressources du budget nous avons fait des calculs. Cette question devra être discutée avec les États membres. Je n'ai pas de chiffrage de ces estimations mais nous escomptons aussi de nouvelles ressources.

J'ai bien noté les positions adoptées par l'Assemblée nationale dans ses résolutions, concernant notamment les mécanismes relatifs au règlement des différends. Néanmoins, je tiens à rappeler que la Commission a reçu un mandat des État membres et que le gouvernement français a, sous certaines conditions, donné son accord à l'inclusion de ces mécanismes. Pour le moment, de toute façon, ce chapitre de la négociation est « gelé » dans l'attente d'une position commune au sein de l'Union. Nous allons prochainement faire des propositions qui, je l'espère, apaiseront certaines craintes.

S'agissant de l'accord avec le Canada, nous avons obtenu des améliorations importantes. L'accord est conclu, il est en cours de traduction dans les 23 langues de l'Union et fait l'objet d'un nettoyage juridique. Il est encore possible d'opérer des clarifications techniques mais il n'est plus envisageable de rouvrir la négociation. Cela étant, l'accord contient des clauses de révision et nous restons en dialogue avec nos partenaires canadiens.

Un accord mixte nécessite préalablement l'approbation du Conseil et du Parlement européen, pour faire l'objet d'une application provisoire. Ensuite, il doit être ratifié par chacun des États et ce processus peut prendre plusieurs années. Si un État refuse la ratification, l'interruption de l'accord sera immédiate.

Un dernier point concernant les services publics : j'ai fait une déclaration publique conjointe avec M. Michael Froman pour dire très clairement qu'ils ne seront pas ouverts à la concurrence si les gouvernements ne le souhaitent pas. Chaque pays restera maître de sa décision. On ne forcera aucun gouvernement à privatiser un service public ou à externaliser ce type de mission. C'est valable pour le TTIP et pour le TiSA.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Nous vous remercions d'avoir pris le temps de nous répondre très précisément, même si je ne suis pas certaine que vous nous ayez complètement rassurés. Nous devons en tout état de cause poursuivre le travail sur ces enjeux commerciaux et nous aurons d'autres occasions d'échanger. La transparence est nécessaire, et de ce point de vue il y a eu des améliorations par rapport à la précédente Commission. Restent des sujets sensibles sur lesquels nous pourrons vous questionner à nouveau lorsque la négociation aura avancé.

La séance est levée à 17 h 58

Jeudi 16 avril 2015

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 8 heures 30.

Institutions européennes - Compte rendu du déplacement à Bruxelles des 23 et 24 mars 2015

M. Jean Bizet, président. - Dans cette communication, je voudrais dresser un rapide bilan des entretiens très riches que nous avons eus à Bruxelles lors du déplacement d'une délégation de notre commission les 23 et 24 mars derniers. Le choix de nos interlocuteurs a respecté, me semble-t-il, un bon équilibre entre les différentes institutions européennes puisque nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec :

- pour la Commission européenne : trois commissaires européens : le commissaire en charge de l'énergie, M. Maros efèoviè, le commissaire en charge de l'économie et de la société numérique, M. Günther Oettinger, et le commissaire chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, M. Pierre Moscovici ;

- pour le Parlement européen : la vice-présidente du Parlement européen, Mme Sylvie guillaume, le président de la commission Libé, M. Claude Moraes, le président de la commission des budgets, M. Jean Arthuis, le président de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux, M. Alain Lamassoure, ainsi qu'une députée européenne plus particulièrement investie sur le dossier du PNR européen, Mme Sophia int'Veld ;

- pour le Conseil : le Coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, M. Gilles de Kerchove, qui a approuvé notre résolution européenne, ainsi que la directrice « Affaires intérieures » au secrétariat général du Conseil, Mme Christine Roger ;

- pour le Service européen d'action extérieure : son secrétaire général exécutif, M. Alain Le Roy ;

- pour les agences européennes : le représentant français d'Eurojust, M. Frédéric Baab.

Je n'aurai garde d'oublier, dans ce rappel liminaire, le Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, M. Pierre Sellal, qui a organisé un dîner en notre honneur.

Nous avons eu aussi des échanges très riches avec un certain nombre de fonctionnaires européens de nationalité française, qui occupent des postes de responsabilité dans les différentes institutions européennes. Ils ont été très sensibles à notre initiative. Enfin, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance des réflexions du think tank Brueghel sur l'idée d'un Eurosystème pour la politique budgétaire. Ces deux expériences sont à renouveler. C'est une bonne occasion d'échanger et de recueillir des informations.

Nous avons eu, tout d'abord, des échanges très fructueux avec M. Maros efèoviè, commissaire en charge de l'énergie.

La stratégie européenne pour l'union de l'énergie, présentée par la Commission européenne le 25 février dernier, réunit en un seul projet deux préoccupations nettement distinctes :

- empêcher d'éventuelles pressions russes liées aux livraisons de gaz avec la volonté de diversifier l'approvisionnement gazier et de revoir sa distribution ;

- contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre au plan mondial avec des objectifs climatiques.

L'objectif affiché par la Commission européenne, c'est une « énergie durable, sûre et abordable pour les Européens. »

À cet effet, elle estime notamment nécessaire de diversifier les sources de l'approvisionnement gazier, en s'adressant de façon fortement accrue à trois fournisseurs stratégiques émergents : la zone Caspienne et l'Irak ; les ressources disponibles à l'est de la Méditerranée ; le gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de tous les pays qui en exportent.

Autre priorité : l'intégration de l'électricité d'origine renouvelable intermittente dans le marché général de l'électricité.

Nous nous sommes demandé, pour notre part, si le défi majeur rencontré par l'industrie européenne aujourd'hui ne consistait pas dans les délocalisations énergétiques vers l'Amérique du Nord, après celles en direction de l'Asie en raison des coûts de la main-d'oeuvre. Par ailleurs, l'accent mis sur la politique climatique est un pari sur l'effet d'entraînement que l'Union européenne pourrait avoir à l'échelle mondiale. Il ne faudrait pas que le « Vieux continent » ait l'impression trompeuse de combattre le réchauffement climatique alors que les gaz à effet de serre continueraient à progresser dans l'atmosphère depuis d'autres continents.

Le long entretien que nous a accordé M. Günther Oettinger sur l'agenda numérique européen a souligné l'évolution nécessaire vers une politique volontariste et réactive à l'échelle de l'Union européenne. Le commissaire a aussi mis l'accent sur la réaffirmation de la place du droit d'auteur dans le contexte du marché numérique unique ainsi que sur l'indispensable régulation des plates-formes au coeur de la stratégie numérique.

Les grands axes des nouvelles propositions de la Commission devraient être rendus publics le 6 mai prochain.

Sur le dossier économique et financier, le commissaire Pierre Moscovici a rappelé que le président Juncker avait souhaité conférer une orientation plus politique à l'action de la Commission européenne. Cette inflexion devrait se traduire au plan économique par l'accent mis sur la relance de l'investissement et la transparence en matière fiscale. La surveillance des situations budgétaires des États membres a également été effectuée au travers de ce prisme, comme en témoigne l'examen des déficits publics belge, français et italien.

L'ambition affichée par la Commission européenne demeure de consolider la croissance, notamment par une interprétation plus flexible du Pacte de stabilité et de croissance.

S'agissant de la gouvernance financière de l'Union européenne et de celle de la zone euro, l'accent a été mis sur l'inadaptation du budget aux missions de l'Union européenne. On le sait, la diminution des ressources de l'Union ne date pas d'hier. L'approfondissement de la zone euro continue cependant à faire figure de priorité.

Pour l'institut Brueghel, il pourrait être envisagé un « fédéralisme d'exception », expression de l'ancien président de la Banque centrale européenne, Jean Claude Trichet, reprise plus récemment par Wolfgang Schauble, ministre des finances allemand. Concrètement, il s'agirait de mettre en place un « Eurosystème » de la politique budgétaire. C'est assez séduisant. Ça peut aussi susciter certaines crispations.

Jean Arthuis et Alain Lamassoure, aujourd'hui respectivement président de la commission des budgets et de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux au Parlement européen, ont confirmé les difficultés financières de l'Union depuis que sa principale ressource, les droits de douane, a fondu comme « neige au soleil » depuis la multiplication des accords de libre-échange. À hauteur de 90 %, le budget de l'Union est aujourd'hui alimenté par des contributions étatiques, chaque État membre discutant âprement sur le point de savoir s'il est bénéficiaire ou contributeur net du budget de l'Union. Nous avons auditionné hier Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne en charge du commerce. On voit bien que les décisions qui seront prises sur les droits de douane dans le cadre du traité transatlantique auront un impact sur le budget européen.

Par ailleurs, le montant cumulé des impayés s'élèverait à quelque 25 milliards d'euros !

Cette question de la crise budgétaire que connaît l'Union européenne n'est pas - reconnaissons-le - souvent publiquement abordée. Notre déplacement a été l'occasion d'une nouvelle prise de conscience à cet égard.

Nous avons aussi entendu Frédéric Baab, représentant français à Eurojust, et Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme.

Du premier entretien, nous avons retenu la nécessité de renforcer la coopération entre les agences européennes Europol et Eurojust. Eurojust a encore des difficultés à avoir accès aux fichiers d'analyse criminelle d'Europol. Cette situation ne doit pas perdurer.

Le parquet européen collégial et décentralisé est désormais attendu avec impatience. Il devrait disposer de beaucoup plus de pouvoirs, dans sa sphère de compétence, que l'actuel Eurojust.

Gilles de Kerchove nous a rappelé, quant à lui, quelles étaient les priorités européennes en matière de lutte contre le terrorisme.

Les grands défis ont été identifiés : la radicalisation d'un certain nombre de jeunes via Internet ou encore dans les prisons ; le phénomène des combattants étrangers ; le développement d'une concurrence entre les groupes terroristes.

Le coordinateur a relevé que la menace terroriste avait changé de nature. Elle a longtemps été le fait de vétérans aguerris par plusieurs années de combat sur des théâtres d'opérations comme l'Afghanistan. Elle peut émaner aujourd'hui de jeunes Européens inconnus ou peu connus des services de police et capables de mener des attaques meurtrières avec une simple arme blanche.

Pour Gilles de Kerchove, les solutions résident dans une politique extérieure plus active de l'Union européenne avec les pays méditerranéens, une coopération renforcée entre Europol et Frontex avec l'amélioration du contrôle aux frontières extérieures de l'Union, la mise en place rapide d'un PNR européen, ainsi qu'une meilleure utilisation par les États et leurs services de police et de renseignement des outils de l'Union européenne.

À l'évidence, le président de la commission Libé du Parlement européen, M. Claude Moraes, et surtout Mme Sophia in't Veld, membre de cette commission, ne sont pas convaincus de l'urgence du PNR européen que les sénateurs français, à l'unanimité, appellent de leurs voeux. Nous avons eu le sentiment qu'ils allaient, en définitive, donner leur accord d'ici la fin de l'année, mais « du bout des lèvres ». Leur argumentaire est parfaitement légitime mais si nous sommes véritablement, comme le disent beaucoup, « en guerre contre le terrorisme », faut-il faire prévaloir la protection des données personnelles sur la protection des vies humaines ? C'est un dilemme que j'ai déjà évoqué mais l'entretien de la délégation avec nos collègues eurodéputés me pousse à l'énoncer à nouveau.

Notre compatriote Alain Le Roy, secrétaire général exécutif du Service européen d'action extérieure, nous a indiqué que Mme Federica Mogherini, Haute représentante, avait bien pris la mesure de ses nouvelles fonctions. Nous sommes dans une période d'intensification de l'action extérieure et de la mobilisation de l'Union européenne dans les dossiers concernant le Moyen-Orient ou l'Est de l'Europe, et notamment l'Ukraine.

J'insisterai, en conclusion, sur le grand intérêt des échanges que nous avons eus avec des Français occupant des fonctions de direction dans toutes les institutions européennes : Commission européenne, Conseil, Parlement européen.

Le thème que nous avions choisi était « la place des Français à Bruxelles ». Lors des débats il a été élargi, plus généralement, à celui de « la place de la France, aujourd'hui, dans les institutions européennes ».

J'énoncerai les principaux enseignements que nous avons tirés de ces échanges :

- la France est sans doute pénalisée, dans les institutions européennes, par une moindre culture parlementaire que celle que partagent les Allemands ou les Britanniques, plus habitués à la logique de compromis ou de coalitions ; d'autre part, il semble que les Allemands et les Britanniques cultivent davantage l'esprit d'équipe ; leur présence est organisée et entretenue de façon plus structurée que la nôtre ;

- la France souffre de l'absence d'une position forte comme, par exemple, sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire mais aussi, plus généralement, sur un véritable projet politique européen ;

- la France reste un des pays « fondateurs » de l'Union européenne. Beaucoup de pays membres se demandent toujours « ce que pense la France » sur tel ou tel dossier. La France est un pays qui conserve toujours les moyens de convaincre ;

- la France « tiendra » en Europe tant que le pays bénéficiera de la garantie implicite de l'Allemagne. Toutefois, un « agacement » réel est désormais perceptible chez ceux qui s'étonnent du traitement de faveur qui est réservé à notre pays ;

- il serait peut être utile de créer un « lieu d'échanges » pour des rencontres régulières sur des thèmes précis entre élus et fonctionnaires européens français.

Telle est la synthèse que je fais, à titre personnel, des rencontres très utiles de la délégation de la commission des affaires européennes lors de son déplacement des 23 et 24 mars derniers à Bruxelles.

J'ai un peu le sentiment que nous avons changé d'époque. Désormais, les commissaires européens, les parlementaires européens, les hauts fonctionnaires européens sont, semble-t-il, plus que par le passé, désireux de communiquer et d'exposer leur vision des choses avec les parlementaires nationaux des États membres.

Je pense que nous devons saisir cette occasion et renforcer notre rôle de relais entre les préoccupations nationales et les enjeux européens.

M. Simon Sutour. - Le déplacement d'une délégation de la commission des affaires européennes à Bruxelles les 23 et 24 mars dernier a été une très bonne initiative. Je partage les conclusions du président Bizet quant au fait que les parlements nationaux sont désormais mieux pris en considération par les institutions européennes. Sans doute que le traité de Lisbonne y est pour quelque chose. Nous avons maintenant le sentiment que les parlements ont leur mot à dire avec les outils adaptés que sont les avis politiques et les résolutions européennes mais aussi et peut-être surtout les instruments nouveaux que constituent le « carton jaune » et, peut-être, demain, le « carton  orange » et le « carton rouge ».

Très utile a été, en particulier, notre rencontre, à propos du PNR européen, avec le président de la commission Libé du Parlement européen, M. Claude Moraes, ainsi qu'avec la députée européenne Mme Sophia in't Veld forte de ses convictions et avec laquelle le débat a été franc.

J'ai le sentiment que le Parlement européen prend désormais en compte les pressions qui s'exercent de la part des parlements et des gouvernements des États membres récemment victimes d'actes terroristes. Le dossier du PNR européen me paraît donc aujourd'hui bien engagé.

J'ai aussi jugé très positif le déjeuner que nous avons partagé avec les fonctionnaires européens de nationalité française. Cette expérience est à renouveler. J'estime, par ailleurs, que le « format » de notre délégation était approprié à ce type de mission.

Il n'est pas toujours facile de contribuer à l'élaboration de la législation européenne au niveau des parlements nationaux. Nos collègues n'ont, hélas, pas toujours conscience du rôle que jouent à cet égard le Sénat et en particulier sa commission des affaires européennes. J'exprime, une nouvelle fois, mes inquiétudes quant au projet de réforme du règlement du Sénat s'agissant des créneaux horaires de réunion qui pourraient être imposés à cette commission.

La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale sera-t-elle seule désormais à pouvoir auditionner les commissaires européens ? J'ai confiance dans les amendements qui seront apportés par M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois pour ce projet de réforme de notre règlement.

M. Jean Bizet, président. - Les préoccupations de Simon Sutour sont les miennes. Au cours des quatre derniers mois, plusieurs commissaires européens se sont déplacés à Paris. Il faut un partage équilibré entre le Sénat et l'Assemblée nationale pour les auditions de ces commissaires européens.

Je rappelle que le projet de règlement, s'agissant de la fixation des créneaux horaires des réunions hebdomadaires de notre commission, inclut dans son énoncé l'expression « en principe ». Cela devrait permettre une certaine souplesse. J'ai déjà discuté de cette question avec le président du Sénat et je dois très prochainement m'en entretenir à nouveau avec le directeur du cabinet du président.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Je considère pour ma part que nous devons avoir un débat entre sénateurs, si « nous voulons-nous respecter nous-mêmes ». Je parlerai sans fard.

Reconnaissons, d'abord, que depuis la réforme « Seguin », nous sommes débordés de travail. Je pense, aussi, que la séparation des pouvoirs devrait être mieux respectée. Pour ma part, après trois ans d'absence, j'ai choisi de réintégrer, au Sénat, la commission des affaires européennes dont j'estime qu'elle est la plus importante des commissions de cette assemblée. Je regrette que ce point de vue ne soit pas mieux partagé notamment dans nos groupes politiques.

M. Jean Bizet, président. - Nous allons nous attacher à corriger les imperfections des propositions qui nous ont été soumises.

M. Éric Bocquet. - J'ai apprécié l'échange « transparent » qui vient d'intervenir. Dans mon groupe, aussi, sensibiliser les collègues aux enjeux européens n'est pas toujours chose aisée. Plus globalement, hélas, c'est peut-être le Parlement qui n'est pas toujours vraiment respecté.

S'agissant du déplacement de la délégation de notre commission à Bruxelles, une partie importante des entretiens a été consacrée aux aspects fiscaux de la politique de l'Union européenne. Certains des propos tenus lors de la visite et rapportés par le compte rendu écrit du déplacement m'ont interpellé. Je souhaiterais avoir quelques explications complémentaires sur les notions de transparence fiscale, de rescrits fiscaux, d'opacité voire de « perversité » de certaines pratiques fiscales, de « mesures fiscales préjudiciables » ainsi que sur le projet d'assiette commune consolidée par l'impôt sur les sociétés (ACCIS).

M. Jean Bizet, président. - Les questions que vous évoquez ont constitué, en effet, des points très importants de nos échanges notamment avec le commissaire Pierre Moscovici, Alain Lamassoure et Jean Arthuis. Certains de leurs aspects sont assez techniques. Je me propose de vous faire parvenir une note qui fera un point précis sur tous ces sujets.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

Institutions européennes - Royaume-Uni et Union européenne : rapport d'information de Mme Fabienne Keller

M. Jean Bizet, président. -Nous allons entendre maintenant une communication de notre collègue Fabienne Keller sur son rapport d'information qui porte sur les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Ce sujet présente un grand intérêt et sous-tend des enjeux importants tant pour ce pays que pour l'Union européenne. Le Royaume-Uni doit en principe organiser un référendum en 2017 sur sa participation à l'Union européenne.

C'est évidemment un enjeu majeur de la campagne électorale en vue des élections du 7 mai. Chacun a pu prendre connaissance de la position fortement exprimée par l'ancien Premier ministre Tony Blair contre un retrait du Royaume-Uni.

On avait compris que la position de David Cameron était avant tout de mettre à profit le délai d'ici à un référendum pour renégocier les conditions de la participation du Royaume-Uni. Les Britanniques ont réalisé une revue générale des compétences de l'Union qui dresse un bilan et apprécie l'opportunité de faire évoluer le cadre d'exercice de ces compétences. Dans ce contexte le rapport qui vous a été adressé revêt donc un intérêt particulier.

Je donne la parole à notre collègue.

Mme Fabienne Keller. - La mission à Londres qui a précédé la rédaction de ce rapport m'a permis de rencontrer plusieurs personnalités importantes en charge des affaires européennes, dont M. David Lindington, ministre des affaires européennes depuis cinq ans, et plus ancien ministre des affaires européennes de l'Union, son homologue travailliste, le « shadow minister », M. Patrick Mc Fadden, mais aussi Lord Boswell et plusieurs Think Tanks et M. Augus Lapsley, désormais représentant permanent pour le Royaume-Uni auprès de l'Union européenne. Ces entretiens ont été particulièrement nourris, francs et fructueux et d'autant plus intéressants que nous entrions dans la campagne électorale pour les élections législatives du 7 mai.

Ce rapport d'information tend à présenter la position du Royaume-Uni face à l'actuelle répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres et la manière dont le Royaume-Uni conçoit sa place au sein de l'Union européenne

De l'audit organisé à la demande du Gouvernement, se dégage l'impression d'une irréductible singularité propre à nos voisins britanniques dont l'adhésion à l'Union européenne n'est pas une affaire de coeur mais de tête. Pas de lyrisme, pas de romantisme, simplement du bons sens au service d'intérêts bien compris.

L'ensemble des auditions et des rencontres qui ont ponctué cette mission n'ont fait que renforcer cette impression et surtout ancrer la certitude que les Britanniques défendaient une position singulière au sein de l'Union et obéissaient majoritairement à un tropisme libéral insulaire qui est partagée par toutes les sensibilités. Cette particularité affichée sans complexe les conduit à considérer que le projet européen est un projet économique et doit le rester.

Cet audit a été lancé par le gouvernement britannique en 2012 et il s'est achevé en 2014. Il vise à évaluer la manière dont sont réparties l'ensemble des compétences d'un État moderne entre l'État britannique et l'Union européenne en fonction des traités existants et de leur pratique. Aucun autre membre de l'Union, à l'exception des Pays Bas et de la Finlande - mais d'une manière moins approfondie - ne s'est livré à cet exercice d'analyse et de transparence.

Ainsi, ce travail qualifié par tous d'objectif, et seulement de « technocratique » par ses détracteurs, a l'immense mérite, aux yeux du gouvernement actuel, de venir soutenir, preuves à l'appui, les positions britanniques traditionnelles en matière de réforme de l'Union européenne. Je n'aborderai ici que les secteurs où les Britanniques demandent une importante réforme.

Dans ce rapport, on trouve exprimées clairement les inquiétudes du Royaume-Uni quant à l'insuffisance de rigueur dans la mise en oeuvre des deux principes de subsidiarité et de proportionnalité. On sent que le Royaume-Uni déplore une pratique politique et opportuniste de la Commission, insuffisamment contrecarrée par les autres pouvoirs.

Le Royaume-Uni suggère un renforcement du rôle des parlements nationaux, proposition de réforme qui a déjà trouvé de nombreux échos chez d'autres États membres.

Enfin, toujours à propos de la législation européenne, l'audit invite à mieux et moins légiférer en commençant par veiller à mettre en oeuvre pleinement les législations existantes avant d'en introduire de nouvelles. L'audit appelle de ses voeux une amélioration des études d'impact et une association en amont des experts, des gouvernements et des parlements nationaux, et enfin une amélioration du processus de décision qui passe essentiellement par une association des parlements nationaux en amont et à toutes les étapes de la décision.

L'audit met par ailleurs en lumière une inquiétude britannique fondamentale : le fait que l'intégration toujours plus poussée de la zone euro modifie profondément la gouvernance de l'Union et son cadre d'action.

L'audit soutient l'idée qu'une réforme en profondeur de la gouvernance de la zone euro et de ses structures, via une révision des traités, de même que des réformes structurelles sont nécessaires afin d'assurer une zone euro forte et stable. Le Royaume-Uni juge qu'il doit soutenir le projet d'une plus grande intégration de la zone euro - à laquelle il ne souhaite en aucun cas appartenir - à la condition expresse que celle-ci ne porte aucunement atteinte à ses propres intérêts.

La libre circulation des personnes a fait l'objet de vifs débats entre les ministres concernés (Intérieur et Foreign Office). Ce rapport note en conclusion que la libre circulation a eu un impact largement positif pour le Royaume-Uni et ne confirme pas les allégations d'abus des prestations sociales, faute de preuves tangibles.

On doit toutefois relever la perception généralement négative qu'ont les Britanniques de la libre circulation des personnes qui reste un point de négociation avec Bruxelles aux yeux de toute la classe politique.

L'audit souligne en outre que le budget européen n'est pas approprié et que la PAC est disproportionnée et pourrait avantageusement faire l'objet d'une « renationalisation » (rapatriement de compétence). L'audit confirme l'hostilité du Royaume-Uni à la création de toute nouvelle ressource propre et réaffirme son soutien aux mécanismes de correction. Le Royaume-Uni, contributeur net, maintient sa position sur le « chèque ».

L'audit se contente de renouveler le souhait britannique de ne plus avoir à contribuer à la politique de cohésion pour les zones les plus développées de l'Union européenne sans confirmer la position habituellement plus tranchée selon laquelle seuls les nouveaux entrants devraient bénéficier de cette politique et seulement pendant une période de rattrapage limitée dans le temps.

L'audit met en lumière le fait que les objectifs de la PAC demeurent flous et que les critères d'attribution sont encore largement irrationnels et déconnectés des buts que devrait poursuivre une telle politique.

L'accès des produits agricoles britanniques au Marché unique est salué comme une conséquence très positive. Toutefois, la PAC reste une politique technocratique récusée par la majorité des acteurs britanniques qui n'hésitent pas à avancer le projet d'une « renationalisation » de la politique agricole.

Le découplage est accusé de conduire au maintien d'exploitations non rentables et de nuire aux efforts d'amélioration de la productivité.

En revanche, l'Union est saluée pour son efficacité en matière de négociations commerciales internationales et de défense des produits agricoles européens.

En matière de fiscalité, il est rappelé que l'impôt direct ne saurait être décidé que par les États membres. Il n'est possible de déroger à ce principe que si la dérogation facilite les échanges mondiaux (par exemple, les conventions fiscales sur le modèle de l'OCDE pour éviter la double taxation).

Le partage de cette compétence doit donc résulter d'un équilibre tendu entre, d'une part, la nécessité de permettre à tous de jouer à armes égales sur un marché unique et celle de réduire tous les obstacles aux échanges internationaux, et, d'autre part, la possibilité pour les États membres de réagir à leur environnement national propre en s'appuyant sur leur système fiscal propre. L'Union ne doit intervenir fiscalement que pour améliorer le marché intérieur.

L'audit réaffirme son attachement à la règle de l'unanimité et son hostilité à la coopération renforcée tendant à créer une taxe sur les transactions financières qui n'est dans l'intérêt ni du Royaume-Uni, ni de l'Union.

Le gouvernement britannique considère que cet audit permet de dégager un agenda de réforme de l'Union sur quatre points.

D'abord, le Royaume-Uni souhaite l'approfondissement du marché intérieur, notamment dans la libre circulation des capitaux, les services, le numérique, l'énergie et les transports. Cet approfondissement est jugé prioritaire.

Ensuite, le Royaume-Uni déplore le décalage existant entre l'accélération de l'évolution des marchés et le manque de réactivité du processus législatif européen. Il propose de répartir les compétences de manière à laisser plus de liberté aux États membres mieux placés pour réagir.

En troisième lieu, le Royaume-Uni appelle de ses voeux qu'à l'avenir, les non membres de l'Eurozone soient associés aux décisions prises par l'Eurozone afin que le marché intérieur ne soit pas perturbé et que les intérêts des non membres ne soient pas lésés.

Enfin, selon l'audit, l'amélioration du processus législatif européen afin de rendre le marché plus efficace, passe par un processus plus rapide, plus transparent et plus démocratique, et un renforcement du rôle des parlements nationaux.

La construction européenne, pour les Britanniques, est un projet économique, un marché commun, un marché intérieur, un Marché unique, bref, une idée simple. Le scepticisme naît dès qu'on en fait un projet politique romantique et millénariste.

Pour les Britanniques, l'Europe ne doit pas être un projet politique, et encore moins un projet géopolitique. Lorsqu'ils entrent dans l'Europe communautaire, ils ne souhaitent pas changer leur identité ni leur place dans le monde. De là leur euroscepticisme qui se nourrit aussi de griefs à l'égard de l'Union européenne et de facteurs conjoncturels sans que ce scepticisme puisse conduire pourtant à un rejet total de l'Union européenne et à une sortie de l'Union largement fantasmée par les médias, selon nos interlocuteurs.

Comme toujours, parmi les craintes éprouvées par l'opinion et la classe politique, certaines relèvent plus de la spéculation que de la réalité. Toutefois, il convient de les prendre toutes en compte, car elles déterminent une atmosphère à un moment donné.

Il existe une peur diffuse dans l'opinion que la Grande-Bretagne devienne une petite Angleterre. Cette angoisse se rattache au déclin de l'Occident, à la percée des pays émergents et aux risques de la mondialisation. Au Royaume-Uni, cette crainte a été ravivée pendant la campagne du référendum pour l'indépendance de l'Écosse et le scénario catastrophique d'un éventuel éclatement du royaume.

Cette inquiétude, où se mêlent « déclinisme » et crise identitaire, n'est pas propre au Royaume-Uni, mais le phénomène qui est propre au Royaume-Uni, c'est qu'une partie très éclairée de l'opinion, habituée à regarder vers le grand large, est parvenue à imaginer que le pays est limité dans son essor par l'Union européenne.

Certains suggèrent qu'une fois en dehors de l'Union, le Royaume-Uni pourrait contracter des accords commerciaux plus avantageux avec le reste du monde et que si le royaume Uni a un destin européen, ce destin n'est certainement pas continental et bruxellois. C'est une sorte d'euroscepticisme élitiste où Londres joue le rôle d'une capitale mondiale et où le Royaume-Uni est présenté comme un grand Singapour.

Tous nos interlocuteurs, à des degrés divers, nous ont alertés sur leur agacement face à ce qu'ils ressentent comme un attachement quasi mystique, de la part de certains « europhiles », à l'idée d'« une union toujours plus étroite entre les peuples européens », concept réintroduit par le traité de Lisbonne.

La majorité de la classe politique britannique préfèrerait que cette référence ne figure plus dans les traités ; elle insiste sur le fait que le fédéralisme n'est plus d'actualité et s'oppose vivement à tous ceux qui continuent à évoquer la prétendue inéluctabilité d'une fédération européenne à plus ou moins longue échéance. Ils rappellent que les Danois et les Hollandais partagent ce point de vue.

Pour appuyer leur position, les Britanniques font remarquer en guise d'exemple que, grâce à l'indépendance de la Banque d'Angleterre, ils ont pu pratiquer le « quantitative easing » cinq ans avant la Banque Centrale européenne tandis que Mario Draghi continuait à négocier difficilement pour aboutir à une décision tardive dont l'efficacité risque d'être moins grande.

Je veux évoquer un autre grief majeur des Britanniques à l'égard de l'Union. Ils redoutent que la création et maintenant le sauvetage de l'euro entraînent l'Union dans une spirale de renforcement du « Hardcore Europe » où, selon eux, se trouvent les États membres considérés comme plus égaux que les autres États membres simplement parce qu'ils ont adopté la monnaie unique.

C'est pourquoi ils demandent des garanties pour tous les États membres qui n'ont pas souhaité adopter la monnaie unique afin qu'ils ne soient pas traités comme des citoyens de seconde classe.

Sur la libre circulation qui occupe le centre du débat européen à cause des conséquences de l'afflux d'immigrés, le gouvernement, quel qu'il soit après les élections du 7 mai prochain, demandera des accommodements. Aujourd'hui un consensus se dégage contre une application trop idéologique ou trop systématique du principe de la libre circulation des personnes.

Je formulerai quelques remarques en guise de conclusion.

Aujourd'hui, David Cameron maintient l'idée d'un référendum qui ferait suite à une renégociation avec Bruxelles sur les points suivants :

- renforcement du rôle des parlements nationaux dans le processus législatif ;

- diminution de l'activité législative et des excès bureaucratiques ;

- aménagement du principe de la libre circulation des personnes ;

- possibilité pour la police et la justice britannique de protéger les citoyens sans interférences inutiles de l'Union européenne ou de la Cour européenne des droits de l'homme ;

- création de nouveaux mécanismes pour empêcher de nouveaux phénomènes migratoires trop importants ;

- renoncement - au moins pour le Royaume-Uni - au principe d'une « union toujours plus étroite ».

L'attitude de l'actuel Premier ministre ne saurait toutefois être simplement analysée comme la conséquence d'un équilibre politique menacé par l'aile la plus eurosceptique de son parti.

En réalité, il apparaît que les demandes de David Cameron sont une position de compromis et qu'elles sont soutenues par les trois grands partis de gouvernement. Il est même asses probable que si le Labour accédait au pouvoir, il finirait par organiser, sous la pression de l'opinion, le référendum promis par David Cameron. Mais le leader travailliste soutient aujourd'hui le contraire et n'envisage pas de référendum.

À propos du référendum sur le maintien dans l'Union, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'il était désormais perçu comme une nécessité démocratique, quarante ans après le référendum de 1975.

Sans qu'il soit possible de déterminer pour l'instant l'ampleur de cette renégociation souhaitée par les Britanniques, il semble clair que du côté conservateur, on souhaite des accommodements de la part de Bruxelles afin de retirer au projet européen tout ce qui alimente la polémique contre Bruxelles.

Au motif que les sondages ont maintenant montré que l'opinion souhaite majoritairement le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne au prix de quelques concessions, le Gouvernement britannique se rassure sur l'issue de cette consultation dont beaucoup ont pensé sur le moment qu'elle n'était qu'un coup de poker. Il faut attendre les résultats du scrutin du 7 mai prochain, résultats incertains car la montée des petits partis a mis à mal le bipartisme.

M. Jean Bizet, président. - En vous écoutant et à la lecture de votre rapport, nous sommes rassurés sur les intentions de nos amis britanniques et nous comprenons que leur intention première n'est pas de sortir de l'Union mais de négocier ce qu'il faut bien appeler la place particulière du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne.

À vrai dire, nous pouvons partager une partie des demandes britanniques. Mais pour nous, l'approfondissement de l'Eurozone est inéluctable et incontournable.

M. Simon Sutour. - Les Britanniques ne sont pas membres de la zone euro, mais ils veulent nous expliquer ce que nous devons faire dans ce domaine. Cela reste toujours un peu surprenant. Cela dit, les positions des uns et des autres évoluent sur cette question comme sur les autres : par exemple, on parle maintenant plus de rigueur que d'austérité.

Il faut attendre le résultat des élections du 7 mai et le système du scrutin uninominal à un tour - que certains voulaient introduire en France alors que ce n'est pas notre tradition - peut réserver de grandes surprises. Je me réjouis du travail accompli par notre collègue et je la remercie, car nous avons eu trop souvent tendance à balayer la position britannique d'un revers de main, alors qu'elle comporte des propositions intéressantes. Il faudra en reparler après les élections.

M. Jean-Yves Leconte. - Nous comprenons que les Britanniques ont une position pragmatique et récusent une grande vision politique à long terme. Il faut le prendre en compte, mais on peut aussi le regretter.

M. Éric Bocquet. - Nous avons là l'illustration de duplicité de nos amis Anglais : ils s'opposent mais ils réussissent à faire nommer Jonathan Hill à Bruxelles. Nous savons tous que le pragmatisme britannique est une force qui leur permet de défendre leur principale industrie : les services financiers qui représentent 35 % de leur PIB.

Mme Colette Mélot. - J'ai lu avec intérêt le rapport de Fabienne Keller et je félicite le rapporteur de son travail. En effet, il était temps de corriger les caricatures que l'on trouve dans la presse. Certes, les Britanniques jouent un jeu dangereux mais ils le font avec une grande habileté. Ils disent haut et fort qu'il y a trop d'Europe, mais ils veulent toujours plus de marché intérieur. Nous sommes avertis et c'est à nous de savoir négocier, car mon avis est que nous ne pouvons pas faire l'Europe sans le Royaume-Uni. Je devine donc que nous finirons par trouver une position négociée même s'il faut aller vers une Europe à deux vitesses comme l'indique M. Valéry Giscard d'Estaing, dans son dernier livre à propos des deux cercles européens.

Mme Fabienne Keller. - La position britannique est paradoxale effectivement à première vue. En tout cas, les Britanniques ont ce mérite que partout ils font en sorte que les choses ne se fassent pas sans eux !

Cette idée d'audit était particulièrement astucieuse parce qu'ainsi, ils posent des socles et ils valident une position consensuelle. C'est une stratégie et elle est, me semble-t-il très efficace.

Naturellement l'élection du 7 mai est très incertaine.

Les Conservateurs et les Travaillistes sont donnés au coude à coude avec plus ou moins 35 % des votes chacun, ce qui ne les met pas en position d'obtenir une majorité absolue des sièges au Parlement. Mais une fois de plus le risque et l'incertitude proviennent surtout de l'abstention qui promet d'être très élevée.

Les Libéraux Démocrates sont crédités de 8 % des voix, l'UKIP de 16 % et les Verts de 5 %. Normalement le scrutin uninominal à un tour pénalise toutes les petites formations, mais leur présence dans un très grand nombre de circonscriptions change la donne pour le bipartisme traditionnel. Enfin en Ecosse, le Parti Indépendantiste (à gauche de la gauche) s'apprête à déstabiliser les travaillistes pourtant bien implantés.

Avec 35 % des voix chacun, les deux partis principaux n'ont jamais réalisé un score combiné aussi bas si bien que ce scrutin est le plus incertain qu'ait connu le Royaume depuis un siècle. Si ces pronostics sont confirmés par les électeurs le 7 mai prochain, des alliances seront nécessaires comme ce fut le cas pour Cameron en 2010 qui s'est allié aux Libéraux Démocrates au sein d'une coalition qui s'est révélée solide contre toute attente et qui pourrait bien être renouvelée si les Libéraux Démocrates retrouvent leurs sièges, ce qui semble peu probable, car leur électorat s'est effondré.

On sait que le Parti Conservateur ne veut pas s'unir à UKIP qui de toute manière n'obtiendra que 5 sièges, s'il les obtient. Quant à l'appui des Unionistes irlandais, il ne peut être que limité à sans doute 10 sièges.

Quant aux Travaillistes, ils ont annoncé qu'ils ne feraient pas alliance avec le Parti Indépendantiste Écossais (SNP) qui est en plein essor malgré son échec cuisant au référendum de 2014 sur l'indépendance. Ils pourront sans doute se rapprocher des Lib-Dem qui sont prêts à travailler avec les Travaillistes après avoir travaillé avec les Conservateurs.

Le scenario le plus probable est celui d'une reconduction de l'actuelle coalition, ce qui entraînera à terme - en 2017, sans doute - un référendum sur le maintien de la Grande Bretagne dans l'Union après renégociation des divers points jugés sensibles par les Anglais.

Si les Travaillistes devaient l'emporter de justesse, ils seraient contraints de s'allier aux Lib-Dem et à tenir en respect le Parti Indépendantiste écossais.

Il y a peu de chance que l'UKIP fasse le plein des voix et entre triomphalement au parlement et comme il a été dit, le SNP indépendantiste écossais devrait entrer massivement au Parlement mais uniquement pour faire avancer son projet indépendantiste.

La France doit garder un lien fort avec le Royaume-Uni, ne pas avoir une vision trop tranchée de la position britannique et garder en mémoire l'efficacité de l'approche britannique qui est plus nuancée qu'il y parait.

M. Jean Bizet, président. - Je pense qu'il était bon de clarifier notre compréhension de l'approche britannique et ce que vous nous dites est au fond très positif pour l'Union. Nous prenons acte de la démarche pragmatique, audacieuse et bien construite du Royaume-Uni.

Mme Fabienne Keller. - Il nous faut respecter la diversité au sein de l'Europe. Or, aujourd'hui ceux qui font l'Europe se connaissent de plus en plus mal et en restent aux clichés. Les Britanniques veulent continuer de profiter du grand marché et apporter leur vision. Il nous appartient d'étayer notre position comme ils étayent la leur.

M. Jean Bizet, président. - Nous vous remercions et nous attendons maintenant les élections du 7 mai.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

Questions sociales - Transports - Salaire minimum en Allemagne et transport routier européen : communication de M. Eric Bocquet

M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle une communication de notre collègue Eric Bocquet sur l'impact du salaire minimum en Allemagne sur le transport routier européen.

Le gouvernement allemand a précisé que le salaire minimum, qu'il a mis en place le 1er janvier dernier, s'appliquerait à tous les salariés travaillant en Allemagne, indépendamment de la localisation de leur employeur. Cette position a suscité de vives réactions dans certains États membres. Cette question a aussi trouvé un écho dans le projet de loi Macron dont le Sénat poursuit actuellement la discussion.

Il est donc important de faire un point sur ce dossier pour bien en évaluer les enjeux. Je rappelle que notre collègue a déjà réalisé un important travail sur le dumping social dans les transports européens. Sur sa proposition, nous avions adopté, en avril 2014, une proposition de résolution européenne.

Je lui donne la parole.

M. Éric Bocquet. - En introduisant, le 1er janvier dernier, un salaire minimum sur son territoire, le gouvernement allemand a souhaité préciser que celui-ci s'appliquait à tous les salariés travaillant en Allemagne, indépendamment de la localisation de leur employeur. Les travailleurs mobiles, au premier rang desquels les chauffeurs routiers, sont particulièrement concernés par une telle disposition. Le texte vise toutes les opérations effectuées sur le territoire allemand mais aussi le transit sur les routes allemandes. Cette question du transit n'est pas anodine en Allemagne où environ 20 % du trafic routier de marchandises relève de cette nature.

Le contrôle de la rémunération des temps de transit passés en Allemagne peut apparaître délicat. Comment imposer aux entreprises issues des pays tiers de majorer en conséquence les salaires de leurs chauffeurs ? Il y a bien une solution avec le tachygraphe intelligent. Mais il ne sera introduit qu'en 2018 et ne devrait être généralisé qu'en 2033.

Vous imaginez bien que la position allemande n'a pas suscité l'adhésion de tous les États membres. Abordons tout d'abord ces réactions.

Une délégation de 13 États membres (Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Irlande, Lituanie, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont ainsi fait part à la Commission européenne de leurs réserves sur le dispositif allemand. La Pologne a notamment émis le souhait d'une suspension de son application.

Tenant compte de ces réactions, la Commission européenne a lancé une procédure préliminaire pour vérifier la conformité de la disposition allemande au droit européen et demander à cet effet des clarifications au gouvernement allemand. Des interrogations subsistent sur la compatibilité de la majoration salariale en cas de transit, potentiellement contraire au principe de libre circulation. Face aux réactions de ses partenaires, le gouvernement allemand a annoncé le 30 janvier 2015 son intention de suspendre l'application du salaire minimum aux routiers.

Cette suspension ne concerne que le transit opéré sur son territoire. Les livraisons effectuées en Allemagne ou le cabotage doivent continuer à être indemnisées selon les règles allemandes. La décision est de surcroît temporaire, dans l'attente d'une clarification par la Commission européenne de la législation existante. Celle-ci est attendue d'ici quelques semaines.

Cette suspension partielle met en tout cas un peu plus en lumière la question du cabotage, qui demeure le coeur du problème. Un règlement de 2009 limite à trois opérations dans les sept jours suivant la livraison intégrale des marchandises ayant motivé le transport international. Une opération de cabotage est autorisée dans chaque État membre parcouru sur le trajet du retour, dès lors que le véhicule passe la frontière à vide. Cette opération doit être effectuée dans un délai de trois jours suivant l'entrée d'un véhicule sur le territoire dudit État et au maximum sept jours après la livraison des marchandises ayant fait l'objet du trajet aller. Rien n'interdit pour autant à un transporteur d'effectuer un transfert de marchandises entre deux États dont il n'est pas ressortissant sur le trajet du retour. Une telle opération lui permet alors de retrouver un droit complet de cabotage au sein de l'État où il décharge.

La précédente Commission européenne avait indiqué son souhait de procéder à une nouvelle libéralisation dans ce domaine, suscitant l'opposition d'un certain nombre de gouvernements, dont la France, du Parlement européen et des partenaires sociaux. Celle-ci ne fait pas partie du programme de travail pour 2015. La Commission annonce un paquet « transport routier » pour 2016. Nous verrons si cette nouvelle libéralisation en fait partie.

Les autorités allemandes s'inquiètent, aujourd'hui, de l'émergence d'un cabotage permanent ou « grand cabotage », lié au simple franchissement d'une frontière, qui ouvre mécaniquement le droit à cabotage sur le trajet du retour. Un transporteur roumain parti effectuer une livraison en France peut ainsi optimiser son trajet de retour via les bourses de fret et effectuer trois opérations de cabotages en France, puis trois en Italie, puis trois en Autriche et trois en Hongrie avant de regagner son pays. Rien ne l'interdit non plus de revenir sur ses pas, en prenant depuis l'Autriche ou l'Italie une livraison pour un pays voisin.

L'Allemagne estime que ce grand cabotage est synonyme de concurrence déloyale pour les entreprises présentes sur son territoire, en soulignant les différences de salaire entre chauffeurs allemands et ceux issus d'autres États membres. Le coût au kilomètre d'un chauffeur allemand pouvait, avant même l'introduction d'un salaire minimum en Allemagne, représenter plus du double de celui d'un travailleur slovaque.

Cette situation renvoie à l'incertitude juridique entourant la rémunération des chauffeurs qui cabotent et, en particulier, à l'application de la directive « détachement » à ces salariés mobiles. La norme européenne n'est, en effet, pas claire à ce sujet.

Un considérant du règlement de 2009 indique que les dispositions de la directive de 1996 sur le détachement de travailleurs s'appliquent aux sociétés de transport effectuant un transport de cabotage. Cette référence n'est pas reprise dans le corps même du règlement. Rien n'y est indiqué concernant les normes sociales prévues dans le noyau dur de la directive sur le détachement et notamment la question de la rémunération. En l'absence de précision et compte tenu de l'absence de valeur normative du considérant, la rémunération applicable peut donc être celle du pays d'envoi durant toute la phase de cabotage.

Je rappelle qu'en France, un décret de 2010 relatif au cabotage dans les transports routiers et fluviaux et destiné à transposer le règlement européen de 2009 reflète cette ambiguïté. Il prévoit ainsi que les entreprises établies hors de France réalisant une opération de cabotage ne sont pas soumises à l'obligation de déclaration de détachement durant les sept premiers jours de leur présence sur le territoire. Ce qui revient en pratique à ne pas appliquer le noyau dur prévu par la directive « détachement » : l'absence de déclaration préalable limite en effet clairement la possibilité de contrôle.

Le projet de loi Macron contient néanmoins une disposition qui devrait permettre de lever cette incertitude. Un amendement du Gouvernement, adopté le 14 février par l'Assemblée nationale, prévoit en effet qu'une attestation de détachement devra être fournie par les employeurs. Celle-ci devrait notamment informer les chauffeurs de leurs droits, notamment en ce qui concerne le salaire. Un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre devrait également s'appliquer. Il s'agit de l'article 96 bis. La commission spéciale n'est pas revenue sur ce point.

Je vous rappelle que, comme l'a indiqué le président, notre commission a adopté en avril 2014 une proposition de résolution européenne visant le dumping social dans les transports européens qui aborde expressément cette question. Nous y estimions que la réglementation européenne en matière de cabotage n'était pas assez précise et créait les conditions d'une concurrence déloyale, débouchant sur un cabotage permanent. Le texte insistait sur une application effective aux opérations de cabotage de la directive « détachement » sur ce texte. Cette proposition est devenue résolution du Sénat le 15 mai 2014.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que saluer cette initiative de l'Allemagne. Elle s'inscrit résolument dans le cadre de la lutte contre le dumping social dans le transport routier européen, portée par le gouvernement français depuis plus d'un an.

Je relève simplement que cette volonté allemande de lutter contre la concurrence déloyale dans le transport routier n'a pas toujours été claire. En effet, avant l'entrée en vigueur du salaire minimum, l'Allemagne faisait partie des principaux pays caboteurs grâce aux chauffeurs issus des Länder d'Allemagne de l'Est, rémunérés à des conditions moindres que leurs compatriotes de l'Ouest. 10 % du cabotage européen était ainsi réalisé par des transporteurs allemands, 12 % par des néerlandais et 18 % par des polonais. La France était, de son côté, vingt fois plus cabotée qu'elle ne cabotait elle-même. À titre de comparaison, le ratio caboté/caboteur de l'Allemagne s'établit à 3,3.

M. Jean Bizet, président. - Je remercie Éric Bocquet de nous avoir éclairés sur cette question qui alimente l'actualité sociale. Les distorsions de concurrence constituent un vrai défi au sein de l'Union européenne, sur lequel il est nécessaire d'avancer. Je remarque que l'Allemagne n'a pas toujours été à notre diapason sur cette question, mais l'introduction du salaire minimum sur son territoire la conduit à réviser sa position, ce qui va dans le bon sens.

Mme Fabienne Keller. - Tout cela nous renvoie à la question d'un salaire minimum européen. Est-ce réellement faisable ? Quelles en seraient les modalités ?

M. Jean Bizet, président. -Cette question fait partie des sujets que traitent actuellement nos collègues Pascale Gruny et Patricia Schillinger dans le cadre du rapport que nous leur avons confié sur la convergence sociale. Le salaire minimum européen renvoie également à la question d'une capacité budgétaire au sein de la zone euro permettant de traiter des questions sociales.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Je reviens un instant sur cette question des distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne. Celles-ci fragilisent nos petites entreprises et certains de nos secteurs. Je relève dans le même temps que la lecture du droit de la concurrence opérée par l'Union européenne limite nos chances de voir émerger des grands champions européens. Il sera intéressant de suivre la position de la Commission européenne sur la fusion entre Alcatel-Lucent et Nokia... Je discutais récemment avec l'ancien président du Conseil italien Enrico Letta et des chefs d'entreprise de son pays : tous me disaient leur incompréhension face à cette vision de la concurrence.

La réunion est levée à 10 heures 10.