Mercredi 9 mars 2016

- Présidence de Mme Corinne Féret, présidente -

La réunion est ouverte à 14 heures

Audition de Mme Anne-Laure Fondeur, conseillère auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargée de la sécurité sanitaire

Mme Corinne Féret, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par deux auditions sur la filière halal, celles de Mme Anne-Laure Fondeur, conseillère au cabinet du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, et de Mme Hanen Rezgui Pizette, présidente de l'Association de sensibilisation, d'information et de défense des consommateurs musulmans. Les représentants d'AVS, la principale association de contrôle de l'abattage rituel et de la traçabilité des produits carnés halal, et de la fédération professionnelle Culture Viande n'ont pas pu répondre à notre invitation. Nous essaierons de les entendre ultérieurement.

Mme Anne-Laure Fondeur, vous êtes docteur vétérinaire diplômée de l'École nationale vétérinaire de Toulouse et de l'École nationale des services vétérinaires. Vous avez exercé de 2006 à juin 2014 au sein de l'administration centrale du ministère de l'agriculture, jusqu'à votre nomination au cabinet de M. Stéphane Le Foll, où vous êtes notamment chargée de la sécurité sanitaire. Nous aimerions vous entendre sur le traitement de la filière halal et sur le contrôle par l'administration de son fonctionnement. Le caractère religieux du halal a-t-il justifié des adaptations de la part de l'État ? Quels sont vos principaux interlocuteurs ?

Mme Anne-Laure Fondeur, conseillère auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargée de la sécurité sanitaire. - Le ministère de l'agriculture est compétent pour la filière halal, comme pour les autres filières, en matière de sécurité sanitaire et de respect du bien-être animal avant l'abattage.

Les règles relatives à la mise à mort des animaux, harmonisées à l'échelle européenne, portent sur les structures, le fonctionnement, la formation du personnel, afin de prendre en compte la protection animale.

Depuis le 1er janvier 2013, le règlement européen 1099/2009 introduit trois obligations supplémentaires : la présence d'un responsable de la protection animale dans chaque abattoir ; la formation de chaque membre du personnel et l'acquisition d'un certificat de compétence en protection animale ; l'élaboration d'un plan de maîtrise du bien-être animal et des autocontrôles réguliers.

L'étourdissement des animaux est obligatoire en France depuis 1974. Toutefois le code rural et le droit européen prévoient une dérogation pour l'abattage rituel afin de respecter le libre exercice du culte, rappelé comme un droit fondamental par la Cour européenne des droits de l'homme en 2000. Néanmoins, en France, l'abattage rituel fait l'objet d'un contrôle spécifique, inscrit dans la loi fin 2011 et mis en oeuvre fin 2012.

L'abattage sans étourdissement doit obligatoirement être effectué au sein d'un abattoir. L'article L 237-2 du code rural dispose que l'abattage hors de cet établissement constitue un délit. On songe notamment à la période de l'Aïd El Kébir. Il existe une forte amélioration sur les signalements depuis cinq ans. En prévision de cette fête, une circulaire des ministères de l'agriculture et de l'intérieur rappelle chaque année aux services de contrôle leurs obligations sur l'abattage sans étourdissement, des abattoirs temporaires pouvant être autorisés au besoin pour respecter l'ensemble des règles sanitaires et de bien-être animal, lorsque les abattoirs permanents ne permettent pas de répondre aux demandes.

En France, cet abattage doit obligatoirement être effectué par des sacrificateurs habilités. Une exigence supplémentaire est apparue depuis 2012 : les sacrificateurs habilités doivent être spécialement formés aux règles de protection animale et de sécurité sanitaire de l'abattage sans étourdissement.

En France, l'abattoir doit également disposer d'une autorisation spécifique et démontrer qu'il existe une commande les animaux abattus rituellement en établissant un registre à cet effet. Le plan de charge d'abattage sans étourdissement doit impérativement être en lien avec le carnet de commandes.

Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère intérieur sur le respect de la liberté des cultes.

Mme Corinne Féret, présidente. - Merci de ces propos concis.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Merci de votre intervention, mais je crois indispensable d'entrer dans le détail : à quel stade le ministère intervient-il ? Habilitez-vous des mosquées à habiliter des sacrificateurs, ou avez-vous un lien particulier avec les mosquées de Paris, Lyon et Évry ? Des contentieux en cours portent sur ces questions. Nous ne soulevons pas aujourd'hui le problème du bien-être animal, pour nous concentrer sur la filière halal. Comment le ministère de l'agriculture interfère-t-il avec cette filière ? Pouvez-vous contrôler, sanctionner ?

Des questions financières se posent sur cette filière qui comporte l'abattage mais aussi la transformation. On a le sentiment qu'elle n'est pas très contrôlée.

Mme Anne-Laure Fondeur. - La filière halal fait l'objet de trois niveaux de contrôle, mettant en présence des compétences différentes.

Les mosquées habilitées à délivrer le certificat de sacrificateur relèvent du contrôle du ministère de l'intérieur, dans sa compétence de libre exercice des cultes. L'État n'intervient pas dans le choix des sacrificateurs.

Le ministère de l'agriculture est d'abord compétent pour le contrôle général du respect des règles applicables à l'abattoir et à l'ensemble de la chaîne alimentaire, c'est-à-dire le respect des règles d'hygiène et de sécurité et la protection des animaux. Ce contrôle direct est exercé par des agents du ministère. Depuis 2004, un « paquet » réglementaire européen transversal, dit « paquet hygiène », donne la responsabilité première à l'exploitant de la chaîne alimentaire. Nous effectuons un contrôle de second niveau.

L'État a ensuite une compétence propre, imposée par l'Union européenne, de contrôle systématique du produit à l'abattoir, en particulier de la qualité sanitaire des viandes abattues. Mais nous n'avons pas l'obligation de contrôler en permanence l'ensemble de la chaîne d'abattage, c'est-à-dire d'être derrière le dos de chacun des employés de l'abattoir.

Ce sujet pose des difficultés, bien au-delà de la question du halal. Des vidéos récentes tournées dans des abattoirs révèlent un besoin de clarification quant à l'intervention des agents du ministère de l'agriculture. Le ministre a rappelé aux préfets leurs obligations relatives à la chaîne alimentaire pour s'assurer que l'ensemble des abattoirs aient un plan de maîtrise de la protection animale.

En matière d'abattage rituel, selon les cultes israélite et musulman, le ministère de l'agriculture certifie que les sacrificateurs habilités ont bien été formés au respect du bien-être animal et des règles d'hygiène.

Enfin, nous exerçons un contrôle à deux voix avec le ministère de la consommation, sur la traçabilité dans l'industrie agro-alimentaire et sur la loyauté de l'étiquetage des produits. Les fraudes à l'étiquetage sont sous la responsabilité du ministère de la consommation, et en particulier de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

On reçoit régulièrement des demandes d'obligation d'indiquer sur l'étiquetage s'il y a eu étourdissement, ou non, des animaux. Cet étiquetage, encadré par des règlements européens, a fait débat entre les États membres et le Parlement européen. Il a été décidé de ne pas en faire obligation parce que la règle générale est l'étourdissement, par respect pour le bien-être de l'animal lors de la mise à mort. Celle-ci s'effectue toujours selon la même méthode, in fine. Le questionnement général portait sur son encadrement. Il est simple : la saignée doit être la plus rapide possible. Des règles techniques sur l'atteinte de la jugulaire, les gestes de saignée, voire les temps de battements de coeur au-delà desquels la saignée doit être effective ont été définis en fonction des espèces. Elles doivent être respectées. Nous sommes chargés de vérifier qu'elles le soient, avec ou sans étourdissement.

Il appartient à la DGCCRF de s'assurer que les règles de l'étiquetage de type « halal » ou « casher », qui est libre, sont effectivement respectées.

M. Roger Karoutchi. - Ce que vous dites ne fait que confirmer ce que l'on sait : entre la réglementation, l'abattage et l'étiquetage, trois ou quatre ministères sont compétents, si bien que l'on ne sait pas exactement qui l'est vraiment.

Quel est le tonnage de viande halal ? La labellisation casher finance le culte israélite en France. Il paraît extrêmement compliqué d'adopter la même solution pour le halal sans connaître les quantités.

On dit que l'étiquetage est ouvert et quasi concurrentiel sans savoir ce qui est halal ou non. Quant au cola halal que l'on trouve en magasin... On ne sait plus où on en est !

M. François Grosdidier. - En bref, le ministère de l'intérieur agrée les mosquées qui elles-mêmes certifient les sacrificateurs. Sur l'aspect cultuel, les mosquées peuvent en effet avoir la compétence. Mais comment la formation technique sur la protection animale et la sécurité sanitaire est-elle dispensée ? A-t-elle lieu à la mosquée ? Y a-t-il une certification technique sous le contrôle de l'État, afin de s'assurer que le sacrificateur ait toutes les qualifications requises ?

Je suis très surpris que le ministère de l'agriculture ne soit pas chargé du contrôle de la mise à mort effective. Vous contrôlez tout sauf la mise à mort : l'habilitation, le certificat, la sécurité sanitaire de la viande abattue... Les services vétérinaires sont-ils présents pendant la mise à mort ? Le problème se pose bien au-delà du halal ou du casher.

Si l'étiquetage est libre, comment la DGCCRF peut-elle contrôler l'effectivité d'un label qui n'est pas strictement défini ? S'il l'est, ce ne peut être qu'avec vous - et c'est encore plus compliqué si la viande est importée.

J'apprends que l'on ne pourrait abattre par dérogation que par nécessité cultuelle : c'est une bonne nouvelle. Pourtant, on entend souvent dire que les abattoirs se dispensent de l'étourdissement pour des raisons économiques au-delà des besoins religieux, parce qu'il est moins cher de continuer ainsi, une fois qu'on a commencé. Comment contrôlez-vous la nécessité cultuelle ? C'est plus compliqué que pour le casher, où une partie de la viande n'est pas commercialisée sous ce label, bien qu'elle ait été abattue selon les règles, puisqu'elle n'est pas considérée comme consommable, d'un point de vue religieux. Il serait plus simple d'imposer une taxe à l'abattage, mais si la viande n'est pas vendue sous le label cultuel, il serait plus juste d'imposer le prélèvement sur la vente au détail.

Mme Anne-Laure Fondeur. - Les seuls chiffres compilés datent de 2010, et sont aujourd'hui obsolètes. Ils ont déclenché une polémique. On estimait que 32 % des bovins et 50 % des ovins et caprins étaient abattus sans étourdissement. Constatant que ces chiffres étaient supérieurs à la demande réelle, on a décidé que cette proportion devait correspondre à la commande.

Pour en venir aux carcasses, si l'on trouvait le moyen de couper en deux le mouton vivant, on résoudrait bien des problèmes ! La demande de certaines parties relève du libre exercice du culte israélite. On ne peut donc pas imposer la consommation de toute la carcasse. La situation est inextricable : soit on interdit l'exercice du culte, soit on admet qu'une partie de l'animal rejoigne la consommation courante.

Pour le contrôle systématique des produits à l'abattoir, concrètement, l'agent du ministère de l'agriculture est généralement placé au bout de la chaîne d'abattage, car il a obligation de contrôler l'état sanitaire de la carcasse, des viscères et même de ce qui est jeté. J'ai ainsi travaillé sur une chaîne, face aux rails, où étaient disposés l'ensemble des morceaux de la carcasse à inspecter.

M. François Grosdidier. - Personne ne surveille la mise à mort ?

Mme Anne-Laure Fondeur. - Il existe également une équipe de contrôle de fonctionnement de l'abattoir, comme dans la restauration ou l'industrie, sauf que l'équipe est généralement présente en permanence, ce qui accroît la pression.

Dans un abattoir classique, les mises à mort démarrent vers 3 h 30 ou 4 heures du matin, quand tous ne sont pas encore installés sur la chaîne. Seul le vétérinaire de l'État peut saisir les carcasses. Le plus souvent, des techniciens placés sur la chaîne effectuent les opérations de consignation et le vétérinaire circule à l'intérieur de l'abattoir pour contrôler les animaux vivants, la mise à mort et les carcasses.

Quand nous parlons de contrôle et de « présence permanente à l'abattoir », les gens pensent que les agents de l'État sont installés derrière chaque poste. C'est le cas, en permanence, sur le produit fini. Le reste des équipes circule : les agents ne sont donc pas en permanence derrière chaque poste, ni systématiquement à côté de la personne qui abat.

Certaines images régulièrement diffusées sur internet choquent, du fait même qu'elles montrent des mises à mort, alors qu'elles ne posent aucun problème du point de vue réglementaire. Notre vigilance porte davantage sur les petits abattoirs, dont les équipes de contrôle sont plus réduites. Elle porte aussi sur les conditions de logement des animaux, les périodes d'abreuvement, l'espace. Il faut aussi tenir compte des aléas, inévitables dans ce genre d'activité. Si trois camions arrivent en même temps, le vétérinaire présent ira regarder les conditions de déchargement des animaux et ne sera pas derrière la personne présente sur la chaîne.

Pour revenir à la certification des sacrificateurs, elle porte sur deux aspects : celui qui concerne le libre exercice du culte relève du ministère de l'intérieur, qui agrée les mosquées. Celles-ci désignent des sacrificateurs qui entrent en formation avec les personnes chargées de l'abattage classique. Ils apprennent les pratiques de mise à mort, avec ou sans étourdissement, le risque étant quasiment le même. Ensuite, ils suivent une formation spécifique puisque, par exemple, la saignée d'un bovin adulte ne peut pas se faire avec l'animal debout. Cela ferait courir un risque énorme à l'opérateur, dont nous devons le prémunir. Par exemple, l'animal entre dans une cage de contention à rotation, qui expose sa jugulaire dans une position où il bouge assez peu et n'est pas dérangé physiologiquement. Ce type de cage est d'ailleurs utilisé aussi pour opérer les bovins sans les endormir. Les sacrificateurs apprennent aussi à détecter des signaux de stress chez l'animal - ces signaux sont très différents chez les bovins, les ovins, les caprins, la volaille ou les chevaux.

Toutes les personnes habilitées à effectuer l'acte cultuel sont formées, mais toutes ne sont pas certifiées.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Bref, le ministère de l'intérieur désigne les trois mosquées, le ministère de l'agriculture surveille et la DGCCRF achève le processus.

Où en est la certification de l'Association française de normalisation (Afnor) sur le halal ? Il existe une demande très forte.

Mme Anne-Laure Fondeur. - En France, la certification est privée. La DGCCRF contrôle la loyauté des étiquetages dans ce cadre. Cela ne signifie pas que la certification soit une certification d'État. Nous débattons régulièrement avec les acteurs de la filière de la question de la normalisation sur le halal. La certification privée n'est pas un enjeu économique majeur pour le marché national. Nous discutons régulièrement avec le secteur privé qui peut entamer des démarches. À ce stade, je n'ai pas connaissance d'avancées. La question, complexe, n'est bloquée ni par l'État ni par les opérateurs, mais par des débats internes.

En tant que République laïque, il nous est interdit de certifier, c'est-à-dire d'imposer les modalités du culte musulman en France.

Nous sommes en revanche régulièrement interrogés, en tant qu'autorité, sur la certification à l'exportation, sur la base d'exigences sanitaires spécifiques selon les normes internationales des accords SPS (Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires).

Il s'agit de potentielles barrières non tarifaires. Il y a une deuxième catégorie de règles non tarifaires qui interviennent dans les échanges internationaux, que l'on appelle les « préférences communautaires », qui ne sont pas négociées et obtenues par un État mais résultent des habitudes de consommation de chaque pays. Ainsi, la population française est considérée comme culturellement anti-OGM, et plutôt favorable aux produits biologiques. Tout ce qui relève du respect du culte, dans certains pays, relève de ces mêmes préférences et il ne nous appartient pas de certifier, dans le cadre des échanges internationaux, si la manière dont sont abattus les animaux répond à celles-ci : cela relève clairement de rapports privés et commerciaux.

Pourtant, on nous demande régulièrement d'attester les préférences communautaires ; par principe, nous nous y refusons. De plus, en tant qu'État laïque, nous garantissons la liberté de l'exercice du culte. Pour les opérateurs des différents pays, il est plus aisé de trouver une offre en France puisque, dans le cadre des institutions françaises, les pratiques du culte ne sont pas imposées. L'État a par conséquent intérêt à ne pas intervenir. Nous ne bloquons pas les processus de normalisation Afnor, et nous n'accordons pas de préférence à un type de certification.

Mme Corinne Féret, présidente. - Merci de vos précisions.

Audition de Mme Hanen Rezgui Pizette, présidente de l'association de sensibilisation, d'information et de défense des consommateurs musulmans (ASIDCOM)

Mme Corinne Féret, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir Mme Hanen Rezgui Pizette, présidente de l'Association de sensibilisation, d'information et de défense des consommateurs musulmans (Asidcom). En plus du halal, cette association est active en matière de pèlerinage, de finance islamique et sur toutes questions de consommation spécifiquement liées à la pratique musulmane.

Vous avez publié un ouvrage intitulé La République et le halal, qui fait une large place à la problématique de l'abattage religieux en France. Nous aimerions connaître votre point de vue sur les attentes des consommateurs musulmans vis-à-vis de la filière halal, que plusieurs de nos précédentes auditions montrent assez éclatée, avec des autorités de certification, des labels privés associatifs, des chartes différentes. Il est également question de normes halal en instance d'élaboration sous l'égide de l'Afnor et de l'organisation ISO. Vous paraît-il envisageable et souhaitable d'unifier cette filière en France ?

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo diffusée en direct sur le site du Sénat.

Mme Hanen Rezgui Pizette, présidente de l'association Asidcom. - Je vous remercie. Asidcom a été créée en 2006 par Hadj Abdelaziz Di Spigno au retour de son pèlerinage ; j'en ai pris la tête en 2012. En 2014, notre association a obtenu auprès du préfet du Nord l'agrément d'association de défense des consommateurs. Notre activité est néanmoins à vocation nationale et internationale : nous faisons partie d'un vaste réseau de consommateurs musulmans.

Fruit d'un travail d'investigation, mon livre, qui retrace l'histoire de l'abattage rituel en France après la deuxième guerre mondiale, met en lumière la responsabilité de l'État dans les problèmes du halal.

Le halal est à la fois une obligation et une liberté religieuse. Ses rites sont constitutifs du culte musulman dont l'État est garant. Il se définit à partir des textes sacrés - le Coran et la sunna - et ses pratiques se transmettent de génération en génération par voie orale. « Halal » signifie « licite » : c'est une obligation religieuse qui porte, en particulier, sur la source d'un bien - héritage, don ou cadeau. Ce bien est illicite s'il provient de l'intérêt, du vol ou de la corruption. Dans le Coran, le mot tayyib désigne, selon une interprétation, une nourriture halal achetée avec un bien licite.

La société industrielle a orienté la recherche sur le licite dans des voies insoupçonnées. Ainsi, voici quelques mois, une marque française spécialisée dans les légumes a reconnu que ses conserves contenaient de la viande en quantité inférieure à 1 % - limite au-dessus de laquelle la mention dans l'étiquetage est obligatoire. Ce type de pratiques pousse les consommateurs de bio, de halal ou les végétariens à se montrer plus attentifs à la traçabilité.

Le halal peut être décrit en termes de facultés. C'est d'abord une faculté sociale, celle de contribuer à la diversité culturelle, ethnique, philosophique, de la France. Vivre ensemble, c'est aussi manger ensemble ! C'est ensuite une faculté fédératrice des responsables musulmans : ainsi, le projet Tayibat a réuni, en 1983, toutes les associations musulmanes - à l'exception de la mosquée de Paris et des associations qui gravitaient autour d'elle - pour organiser le halal en France. Mais en 1985, malgré l'adhésion des industriels, du Bureau de la protection animale et de la Ligue islamique mondiale, le ministère de l'intérieur a mis fin à l'expérience, arguant d'un manque de représentativité.

En 1994, la Grande mosquée de Paris est agréée pour délivrer l'habilitation aux sacrificateurs, suivie en 1996 des mosquées de Lyon et d'Évry. En accordant des pouvoirs similaires et sans distinction à trois des 1 500 mosquées françaises, l'État a fait du halal un facteur de division. Les pouvoirs publics ont ensuite voulu instaurer une norme halal séculière : ainsi, le halal ne relevant plus de la pratique religieuse, les agréments ne seraient plus justifiés. Les acteurs musulmans du halal - y compris les trois mosquées - se sont alors unis pour se faire entendre : le projet de norme halal porté par le Comité européen de normalisation vient d'être interrompu après cinq ans de travaux. Enfin, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a joué son rôle en fédérant les acteurs musulmans autour de son projet de charte halal.

Le halal, c'est également une faculté économique, car il ouvre un marché aux efforts d'innovation des jeunes musulmans. Ceux-ci, comme beaucoup de jeunes, ont des difficultés à trouver du travail, et font face, en plus, à des discriminations à l'emploi. La filière de viande halal n'est pas encore bien établie à cause de politiques allant à l'encontre des besoins et exigences des consommateurs.

Sur le plan financier, la première faculté est le financement de l'organisation et la recherche de voies de développement économique. Le halal représente un potentiel de financement de la construction de mosquées et de la gestion des lieux de culte. Les associations préfèrent un financement par les fidèles français, à travers des dons réguliers ou occasionnels. Dans le cadre de cet autofinancement, les commerçants musulmans sont des donateurs de poids. Les musulmans ne s'opposeraient donc pas à une taxe sur le halal pour financer les lieux de culte, à la condition que l'autonomie de la structure chargée de sa gestion et la transparence dans la gestion des fonds soient respectées et garanties.

Le mécanisme de financement le plus adéquat serait un prélèvement au kilo lors de l'abattage, sur la base de l'arrêté du 28 décembre 2011 réglant les dérogations à l'obligation d'étourdissement, qui prévoit un système d'enregistrement des commandes. La mission commune d'information sur la filière viande préconisait, en 2013, la constitution « d'un outil statistique abattoir par abattoir permettant de connaître les tonnages abattus sans étourdissement et d'éviter les dérives ». Ce financement servirait non seulement à la construction de mosquées, mais aussi à l'enseignement de l'arabe et à l'éducation islamique pour protéger nos enfants des réseaux radicaux.

Pour exploiter ces facultés, il faut respecter l'autonomie des musulmans dans l'organisation du marché halal. Or l'État veut normaliser le halal, les pratiques de l'Aïd al-Adha, former les sacrificateurs au bien-être animal, maintenir les agréments pour l'habilitation des sacrificateurs, rapprocher l'abattage religieux des pratiques industrielles suivant les recommandations du code rural, fixer par des règles ministérielles les méthodes d'abattage compatibles, et autoriser les forces de l'ordre à apporter leur concours aux agents de la direction départementale de la protection de la population et même aux militants de la fondation Brigitte Bardot qui veulent intervenir dans les abattoirs. Ces derniers versent de l'eau de Javel sur les carcasses d'agneaux abattus, tentent de sauver les agneaux encore vivants. Enfin, l'État voudrait que les musulmans achètent l'agneau de l'Aïd en grande surface.

D'un autre côté, au prétexte que le halal est une pratique religieuse, l'État refuse de contrôler la traçabilité des produits vendus sur le marché français et de traquer les pratiques frauduleuses, ce que les responsables musulmans demandent depuis trente ans.

L'État recourt à cette astuce de scinder le halal entre un volet technique et un volet religieux. En 2008, notre association a organisé à Grenoble une formation des pères de famille au sacrifice portant sur les aspects réglementaires, sanitaires, de bien-être animal. Prévue dans une salle municipale, la formation, à laquelle 50 personnes s'étaient inscrites, a finalement été annulée sous la pression de certaines associations. L'histoire du halal montre que la mainmise de l'État a désorganisé les circuits de distribution. Entre 1970 et 1994, les sacrificateurs ont été soumis à une habilitation administrative, remplaçant les circuits communautaires par des circuits conventionnels et retirant tout contrôle aux musulmans dans leur formation.

Notre association s'intéresse également à la représentation du culte musulman en France, qui a un impact sur certains droits des consommateurs. Le CFCM est mobilisé depuis 2008 pour une organisation durable du marché halal, mais la tâche n'est pas facile. Le premier problème est le monopole d'habilitation des trois mosquées ; le deuxième, le régime totalitaire de la Grande mosquée de Paris dont le président est élu à vie et le conseil d'administration de l'association gérante assiste le président « à titre consultatif » ; le troisième, le fait que la Grande mosquée a été à la tête du CFCM durant sept ans, soit plus de la moitié de l'existence de l'instance ; enfin, la volonté de l'État d'imposer une norme séculière du halal orientée en fonction des pratiques industrielles.

Au niveau local, nous souffrons d'un manque de proximité de certains conseils régionaux du culte musulman, qui sont davantage connectés aux fédérations nationales. Or les consommateurs musulmans ont besoin d'un interlocuteur, en particulier au moment des fêtes. Par ailleurs, l'instance de dialogue a travaillé sur un guide de bonnes pratiques pour l'Aïd, or le ministère de l'intérieur estime qu'elle n'a pas vocation à prendre de décisions relatives au culte et les responsables musulmans désignés au sein de cette instance n'ont pas encore eu le courage d'exposer les besoins des familles. Ils ont plutôt recherché dans la jurisprudence musulmane des arguments pour calquer les pratiques des musulmans français sur le modèle juif.

L'islam en France serait-il dérogatoire ? Il a été transmis par la première génération d'immigrés, en fonction de leur propre perception du culte, et développé par les suivantes. Les familles souhaitent transmettre les rites à leurs enfants : la grande distribution n'est pas en mesure de répondre à ce type de besoin.

Les affaires musulmanes sont actuellement gérées en ordre dispersé, entre les principales mosquées, les instances agréées et divers représentants autoproclamés. Une partie de nos affaires sont déléguées à des institutions non musulmanes. L'État instrumentalise le halal et la formation des intervenants musulmans. C'est le symptôme d'un manque de confiance mutuel qui fait mentir la devise de notre République : liberté, égalité, fraternité.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Merci de cette présentation engagée et personnelle.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Dans le cadre de notre mission d'information sur les réseaux djihadistes, nous avions abordé la question du financement du culte - même si hier nous ne faisions aucun lien entre la pratique du culte et le djihad. L'une de nos préconisations était la mise en place d'une taxe pour financer la construction de mosquées et le développement de formations. Nous avions ressenti ce besoin. Nous sommes fondés à répondre à votre demande d'autonomie et de transparence ; mais vous nous indiquez qu'un projet de certification séculière, travaillé pendant plusieurs années, vient d'avorter. Pourtant, une taxe sur le halal pourrait difficilement passer par d'autres canaux.

Voyez-vous une possibilité de sortir de la situation que vous décrivez : monopole des trois grandes mosquées, autorités à géométrie variable, représentants autoproclamés ?

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Qu'est-ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?

Vous dénoncez la schizophrénie de l'État ; mais le label halal souffre d'un manque de fiabilité et d'uniformité, alors qu'il existe un label casher reconnu par tous. Quelles seraient vos préconisations pour rendre ce circuit plus transparent financièrement et plus fiable pour le consommateur ? Sans ces conditions, le consommateur peut aisément être trompé. Vous pointez l'ambiguïté des pouvoirs publics ; pour ma part, j'attendais beaucoup de la norme Afnor, qui était aussi demandée à l'étranger, notamment dans les Émirats : c'est une perspective importante pour l'exportation. Jugez-vous possible une reprise de ces travaux ?

Mme Hanen Rezgui Pizette. - Le livre que j'ai publié s'inscrit dans les travaux d'investigation menés par notre association. Le consommateur musulman ne trouve pas de solutions à la quasi-impossibilité de trouver une viande conforme à ses convictions. Nous avons enquêté auprès des organismes de certification, des consommateurs, des boucheries ; nous avons consulté les archives de l'administration et des associations musulmanes pour arriver à un diagnostic de responsabilité de l'État. Ce dernier doit mettre en place une réglementation compatible avec les besoins des consommateurs musulmans et le principe de laïcité.

J'ai participé dès 2010 aux travaux sur la norme Afnor. Nous partagions votre espoir que cette norme fixe une référence et nous aide à défendre les droits des consommateurs. Malheureusement, nous avons rencontré un problème de compatibilité. Deux exemples : le système de normalisation doit recueillir le consensus de toutes les parties prenantes, y compris pour certaines questions religieuses qui se trouvent ainsi soumises à l'avis de l'État ou d'industriels ; le contrôle d'une norme séculière est effectué par des organismes non musulmans. La question a été portée devant le Conseil européen de normalisation, qui a refusé de prendre en compte les spécificités religieuses dans le fonctionnement du circuit.

Nous tentons par conséquent de développer des solutions alternatives. En 1985, la Ligue islamique mondiale a adressé une lettre au ministère de l'intérieur, lui demandant d'agréer le projet Tayibat et proposant de le promouvoir auprès du monde musulman. Nous travaillons désormais sur la charte halal, dont le potentiel est international. En avril 2015, notre communiqué prenant acte du blocage à l'Afnor a suscité l'organisation d'une réunion à Istanbul en juin. Une autre réunion a été organisée au niveau européen. Notre impact est réel, même si nous nous heurtons toujours au monopole des trois grandes mosquées.

Notre association a choisi d'agir en droit pour réformer la réglementation du halal, qui nous empêche d'avancer. Le code rural comprend certains règlements illégaux. De façon générale, l'usage précède la réglementation. Avant 1962, l'abattage rituel ne faisait l'objet d'aucune réglementation. Ensuite, les usages de la communauté juive ont été imposés comme modèle à la communauté musulmane, alors que ces usages ne correspondaient pas à ses besoins réels. La taxe halal nécessiterait des modifications réglementaires que nous essayons d'obtenir à travers notre procédure devant le Conseil d'État.

M. François Grosdidier. - En matière d'abattage, l'État joue un rôle de formation et de respect des normes sous l'angle sanitaire et sous celui de la protection animale. Les pratiques cultuelles - comme d'ailleurs plusieurs autres pratiques traditionnelles telles que la corrida ou les combats de coqs - font l'objet d'aménagements et de dérogations. L'abattage rituel en fait partie. Beaucoup souhaiteraient que cette dérogation soit limitée à la demande cultuelle.

Vous semblez contester le rôle de l'État dans la définition des règles d'abattage et l'habilitation des sacrificateurs, et vous parlez de dérogation. L'État n'a pas vocation à entrer dans l'interprétation théologique, mais il doit bien délimiter l'espace de dérogation admissible - même si nous comprenons que vous ne souhaitiez pas vous voir imposer les pratiques du judaïsme.

Votre formation à Grenoble était destinée aux pères de familles, dites-vous ; mais l'abattage à domicile est interdit ! De plus, comme me l'ont confirmé des imams, cette pratique peut relever de la tradition mais elle n'est pas une obligation religieuse. De même, l'époque de l'abattage du cochon dans la cour de la ferme est révolue. La République aménage des espaces pour les cultes, mais elle ne reviendra pas à l'abattage à domicile.

Mme Hanen Rezgui Pizette. - Je faisais référence à un régime dérogatoire au sein de l'Islam. L'abattage lors de l'Aïd est, d'un point de vue religieux, fortement recommandé. C'est une obligation collective.

M. François Grosdidier. - J'organise moi-même, dans la commune dont je suis maire, un abattoir temporaire pour l'Aïd.

Mme Hanen Rezgui Pizette. - La moitié, voire les deux tiers des agneaux sont abattus clandestinement pour l'Aïd. Les représentants du culte essaient de s'adapter à une réglementation fondée sur le modèle juif. Quant à l'abattage dans la ferme, il se pratique encore !

M. François Grosdidier. - C'est interdit.

Mme Hanen Rezgui Pizette. - On peut abattre jusqu'à 50 volailles par jour hors des structures agréées. Seul l'abattage rituel à domicile est interdit.

Notre formation à Grenoble ne visait pas à encourager les pratiquants à effectuer l'abattage chez eux, mais à les former à la réglementation. Il est reproché aux trois mosquées agréées, qui n'ont pas été choisies par la communauté musulmane, de ne pas assez former les sacrificateurs musulmans. Auparavant, les sacrificateurs étaient de vrais bouchers musulmans bénéficiant d'une habilitation communautaire spontanée. Les problèmes ont commencé en 1970, lorsque les sacrificateurs ont été habilités par les préfectures et les abattoirs. Dans la communauté juive, le sacrificateur bénéficie d'une formation de trois ans, délivrée par les instances du culte. J'ai moi-même demandé une habilitation à la mosquée de Paris, qui m'a réclamé en réponse une attestation d'employeur, une formation de vétérinaire... et un chèque pour la délivrance de l'habilitation. Sans rendez-vous, sans entretien !

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Vous souhaitez limiter le rôle de l'État dans l'organisation de la filière halal. Quelle est votre opinion sur les contestations de certifications récemment évoquées dans la presse ?

Mme Hanen Rezgui Pizette. - La mosquée de Paris souhaite changer d'organisme de certification, à la suite de révélations d'après lesquelles certains des produits actuellement certifiés seraient non halal. À mon avis, cette politique masque un conflit interne.

J'ai récemment reçu une lettre de la communauté musulmane de Villeneuve-sur-Lot. La société Top Viandes y a été créée en juin 2015 pour répondre à la forte demande de viande halal. Or la société gérant l'abattoir a reçu un courrier des autorités ordonnant l'étourdissement des animaux, faute de quoi l'agrément halal serait supprimé, mettant en difficulté le prestataire. Nous avons pu régler l'affaire. La préfecture nous a indiqué que l'étourdissement des animaux était prescrit dans le mode opératoire de l'abattoir.

Second exemple, l'abattoir municipal d'Alès a été fermé après une polémique lancée par les associations de bien-être animal, pour des manquements relatifs à la contention. Mais on demande aux musulmans d'accepter l'étourdissement pour régler le problème !

Deux guides de bonnes pratiques sur l'abattage halal ont été publiés par les autorités, sans que les musulmans soient associés à leur élaboration. Le ministère de l'agriculture préconise ainsi l'étourdissement, alors que les musulmans, comme les juifs, bénéficient d'une dérogation en la matière. À Villeneuve-sur-Lot, les prestataires se sont entendus dire que leurs méthodes dataient du Moyen-Âge, qu'ils refusaient ce que le Coran acceptait, et d'autres propos encore. Les sacrificateurs des abattoirs sont livrés à eux-mêmes, sans suivi des autorités religieuses.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Connaissez-vous le tonnage annuel de l'abattage halal ?

Mme Hanen Rezgui Pizette. - Non. Les restrictions sur l'abattage sont de plus en plus fortes, alors que la demande augmente. Il est difficile de trouver de la viande vraiment halal. La quasi-totalité des volailles sur le marché sont issues de l'abattage mécanique avec étourdissement préalable.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Nous vous remercions.

La réunion est levée à 16 h 05