Mardi 30 janvier 2018

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 5.

Conséquences économiques du retrait de la candidature française à l'Exposition universelle de 2025 - Audition de M. Jean-Christophe Fromantin, président du conseil d'administration d'EXPOFRANCE 2025

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous partageons cette audition avec nos collègues de la commission de la culture et je vous présente les excuses de sa présidente, Mme Morin-Desailly, qui a eu un empêchement de dernière minute.

Depuis le Forum économique et social de Davos, nous savons que la France est de retour. J'y vois un signe d'optimisme : quelle meilleure illustration que de gagner l'attribution de l'exposition universelle 2025, après celle des Jeux olympiques et paralympiques 2024 et de la Coupe du monde de rugby 2023 !

Nous recevons Jean-Christophe Fromantin, président du comité de candidature de la France à cette exposition universelle, représentant le secteur privé. Quelles sont les conséquences du retrait annoncé unilatéralement par le Premier ministre, le 20 janvier dernier ? L'attribution de l'exposition aura lieu en novembre prochain. La France est candidate depuis sept ans et le projet a été finalisé en novembre 2014. Vous nous direz donc, monsieur Fromentin, si vous pensez que le Gouvernement a été pris soudainement de la « peur de gagner » ?

Le thème retenu était : « la connaissance à partager, la planète à protéger ». De nombreux projets d'investissement avaient vu le jour, notamment en Île-de-France. La France avait l'occasion de passer des paroles aux actes et de soutenir l'ambition présidentielle du « Make Our Planet Great Again ».

Ce n'est pas la première fois que la France renonce à une exposition universelle, mais ce n'était pas arrivé avec un dossier aussi avancé et doté, d'après vous, monsieur Fromantin, de toutes les chances de gagner. Je peux donc comprendre l'amertume que cet immense gâchis suscite.

L'argument essentiel de ce retrait tient aux risques qui pèseraient sur nos finances publiques. Le second argument est celui d'un équilibre économique non avéré. Vous nous direz ce que vous en pensez. Je m'étonne de voir les services du Premier ministre craindre une fréquentation trop faible, alors que la France est le premier pays visité au monde. L'exposition spécialisée sur l'énergie a réuni l'année dernière 4 millions de visiteurs au Kazakhstan, pays encore très enclavé.

Certains de vos détracteurs pointent un manque de concertation et de communication dans le montage du dossier. Nous vous entendrons sur ce sujet.

Enfin, l'un des enjeux de l'Exposition universelle était l'accélération du campus de Saclay, premier pôle scientifique de notre pays. Les chercheurs du monde entier vont y affluer, mais où iront-ils si nous craignons de ne pas être capables d'y amener le métro ? Vous comprendrez que mes inquiétudes portent aussi sur l'avenir de la ligne 18.

Je m'arrête là et vous laisse la parole.

M. Jean-Christophe Fromantin, président du conseil d'administration d'EXPOFRANCE 2025. - Je vous remercie de nous faire l'honneur de cet échange, après avoir pris connaissance du retrait de la candidature de la France à l'Exposition universelle de 2025 par un tweet du Journal du Dimanche. La déception est d'autant plus grande, après sept ans de travaux préparatoires, la remise du dossier au Bureau international des expositions (BIE), de concert avec l'État et les partenaires publics et privés, que l'opportunité d'accueillir une exposition universelle se présente une fois par siècle.

À mes côtés, pour vous répondre, l'économiste Christian de Boissieu, qui travaille depuis six ans sur l'impact économique de l'Exposition universelle, évalué à près de 23 milliards d'euros, et Brice Chasles, de chez Deloitte, qui oeuvre depuis plusieurs années à la modélisation de cette exposition universelle.

Je vous rappelle brièvement les différentes séquences de ce projet, démarré en 2011. De 2014 à 2015, des travaux parlementaires, dont une mission que j'ai présidée à l'Assemblée nationale, des travaux universitaires, mais aussi avec des entreprises, ont abouti à l'officialisation de notre candidature par le Président de la République. Celle-ci s'est structurée autour de trois entités : le comité EXPOFRANCE 2025 regroupant 35 grandes entreprises françaises, une délégation interministérielle dirigée par Pascal Lamy et un groupement d'intérêt public comprenant notamment la Ville de Paris, la métropole et la région Île-de-France. Ensuite, tout s'est accéléré : en mai-juin 2017, le site de Saclay a été choisi, puis le dossier de candidature a été remis au BIE, le 28 septembre, en même temps que le Japon, l'Azerbaïdjan et la Russie. Nous avons entamé notre campagne de promotion internationale à Astana, pour l'Exposition internationale. Le Premier ministre, concomitamment au dépôt du dossier, nous a questionnés sur la solidité de notre modèle économique. Or notre candidature, d'un budget d'environ 30 millions d'euros, est presque entièrement financée sur fonds privés, gage de l'appétence des acteurs privés pour cette aventure.

L'ambition de cette exposition était de donner rendez-vous au monde autour du thème de la connaissance à partager, de la planète à protéger, avec un objectif de 40 millions à 45 millions de visiteurs, dont la moitié de visiteurs étrangers.

Deux grands principes étaient retenus : un globe central comme expérience immersive permettant aux pays de se valoriser et aux visiteurs d'approfondir leur connaissance de la planète ; un système de pavillons modulaires polyvalents préfigurant l'architecture du XXIe siècle et réduisant de façon appréciable la facture pour les pays. Je ne m'attarde pas, puisque c'est sous l'angle économique que vous nous auditionnez.

Ce projet a été construit, en accord avec l'État, sur une hypothèse de billetterie de 1,5 milliard d'euros : 34 millions de visiteurs, 34 euros la visite, 1,3 visite par personne. Le choix de Saclay s'entendait bien entendu avec la ligne 18 et aucune réserve n'avait été émise à ce moment-là. J'avais néanmoins écrit au Premier ministre, le 18 septembre, pour lui demander confirmation sans obtenir de réponse. Pour autant, nous avons mis en place un groupe de travail sur le modèle économique avec les expertises de Deloitte, Taj, le Crédit Agricole pour le refinancement ou le financement des investissements, le cabinet Weil sur les éléments de droit public internationaux.

Deux grandes composantes ont été intégrées, à la demande du Premier ministre. La protection juridique de l'État, d'une part, sur la base de l'article 10, alinéa 2, de la convention de 1928 qui régit le Bureau International des Expositions (BIE), qui autorise l'État à mandater une personne morale de droit privé pour se substituer à lui, pour autant qu'il garantisse que les moyens sont véritablement mis en oeuvre. La sécurité économique, d'autre part, est organisée autour de deux pôles : un pôle « investissement » confié à un consortium d'aménageurs, et un pôle « exploitation » confié à un groupement d'acteurs chargés de l'exploitation et de l'organisation de l'Exposition universelle.

Pour simplifier, il y a donc un organisateur, les deux pôles que je viens d'évoquer, le territoire de Paris-Saclay mettant 110 hectares à disposition, et l'État qui mandate l'organisateur. Le coeur de la question économique, dans ce modèle, est l'hypothèse de billetterie (fréquentation, prix du billet), puisque la démonstration économique part du groupement d'exploitants. Ces hypothèses sont-elles crédibles, de sorte que l'exploitant puisse payer une redevance à l'organisateur, lequel verse un loyer au consortium et à Paris- Saclay ? Si les hypothèses tournent, le modèle économique est assuré.

Vous connaissez les chiffres. Dans l'hypothèse, déjà dégradée, validée par l'État (34 millions de visiteurs, 34 euros le billet), l'exposition est très largement financée. Le loyer permet au consortium d'amortir son risque, l'établissement public est indemnisé bien au-delà de la charge foncière sans l'Exposition universelle. Enfin, le globe est financé à hauteur de 630 millions d'euros. À la demande du Premier ministre, nous avons cherché le « point mort » de l'Exposition, qui s'établit à 25 millions de visiteurs. La solidité économique est garantie dans cette hypothèse : le territoire est financé pour la mise à disposition du site, l'équation pour la ZAC de Saclay étant plus favorable que sans l'Exposition universelle ; le globe est financé à hauteur de 300 millions d'euros ; le loyer aux investisseurs est assuré afin de pondérer leur risque. Il s'agit surtout, pour eux, d'un risque temporel, puisqu'on leur demande de construire à partir de 2020, de livrer en 2025, de démanteler certaines installations après 2025 et de ne récupérer finalement un revenu immobilier qu'à partir de 2027 ou 2028.

La mise en doute du modèle économique porte donc sur les hypothèses de billetterie et de fréquentation. Le prix des billets se situe plutôt dans la fourchette basse des tarifs de loisirs pratiqués en France (Tour Eiffel, Futuroscope, Parc Astérix, Puy-du-Fou, EuroDisney). Pour la fréquentation, le nombre de visiteurs internationaux est également une hypothèse très conservatrice (15 millions voire 11 millions de visiteurs dans l'hypothèse « point mort ») compte tenu du nombre de touristes présents dans notre pays durant l'Exposition (soit un ratio respectivement de 18 % et de 13 %). Concomitamment à l'abandon de notre candidature, le Premier ministre annonce en effet un objectif de 100 millions de touristes en 2020. Pour ce qui est des visiteurs nationaux, soit 18 millions ou 14 millions selon les hypothèses, autrement dit 27 % ou 20 % de la population, nous sommes tout à fait dans l'épure de ce qui se fait traditionnellement.

Les ratios de visiteurs constatés à Milan confortent les hypothèses de notre dossier au regard de la population et des performances touristiques de Paris et du Grand Paris, soit 28 millions à 30 millions de visiteurs, au-delà du point mort de l'Exposition.

Nous contestons donc fortement que le modèle économique soit la cause de l'annulation de la candidature française.

J'en viens à un sujet extrêmement important, celui des territoires. Une étude d'opinion menée il y a 5 et 6 ans a montré que, pour les Français, une exposition universelle devait répondre à deux critères : ne rien coûter au contribuable, d'où notre modèle économique et notre candidature financée sur fonds privés, et profiter à toute la France. Contre vents et marées, ni le BIE ni l'État français n'étant favorables à un dossier englobant les territoires, nous avons présenté un dossier de candidature comportant dix-sept forums thématiques dans toute la France, avec une fréquentation attendue de 11 millions de visiteurs. Depuis un an et demi, la plupart des territoires concernés avaient créé des groupes de travail composés des collectivités, d'entreprises privées, des universités...

Dernier élément, l'impact macroéconomique, sur lequel Christian de Boissieu travaille depuis quatre ans. Nous avons utilisé le système de Leontief, avec des coefficients pour chaque type de dépenses. Sans entrer dans le détail, l'impact économique a été estimé à 23 milliards d'euros, dont 18 milliards d'euros liés au village global, 0,5 point de PIB, 160 000 emplois durables.

Le ratio risque-résultat est probablement l'un des plus favorables jamais proposé dans un grand événement : une candidature financée sur fonds privés, un modèle économique autofinancé, un bénéfice de 200 millions d'euros dans l'hypothèse de 34 millions de visiteurs, un impact économique de 23 milliards d'euros, une sécurité économique et juridique pour l'État. Le seul engagement de l'État était une caution de l'ordre de 200 millions d'euros, non maastrichtienne, pour le BIE en cas d'annulation avant la date de l'Exposition, l'expérience de 1989 ayant laissé quelques traces.

La lettre du Premier ministre, adressée à Pascal Lamy, à notre adresse, relève trois éléments. Il est faux d'invoquer une cession gratuite du foncier, puisque 230 millions à 325 millions d'euros sont versés en compensation des 110 hectares du territoire de Saclay. La deuxième remarque porte sur l'absence de marge d'aléas. Celle-ci est de 200 millions d'euros dans le dossier de candidature déposé au BIE. De plus, la marge d'aléas entre l'hypothèse Paris et l'hypothèse Milan permet tout à fait de réaliser l'Exposition universelle. Enfin, le troisième élément concerne les acteurs prêts à s'exposer. Cette dernière demande n'a pas beaucoup de sens, car les entreprises ne souhaitent pas figurer dans un dossier d'étude pour se retrouver exclues des appels d'offres. Elles demandent par ailleurs un engagement sur la ligne 18 et une garantie, comme pour les Jeux olympiques, que le délai entre 2020 et 2025 ne sera pas neutralisé par des recours et des complexités administratives. Enfin, nous avions justement demandé à une banque, le Crédit Agricole, de valider les demandes de refinancement.

Au mois d'octobre, sur le territoire de Saclay, le Président de la République soulignait la pertinence de ce projet et la qualité de son modèle économique, ce qui a rendu d'autant plus difficile à accepter, vous vous en doutez, le  tweet  du JDD samedi soir annonçant le retrait de la candidature de la France.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie de cette présentation exhaustive de votre dossier du point de vue économique.

Mme Laure Darcos. - Sénatrice de l'Essonne, conseillère départementale du plateau de Saclay, je suis particulièrement concernée. Le plateau de Saclay est un mélange extraordinaire de terres agricoles et de projet de Silicon Valley à la française. Nous avons beaucoup apprécié de travailler avec vous, monsieur Fromantin. Je pense que vous avez été victime du report de la ligne 18, qui est lié à l'abandon de l'Exposition universelle. Le Premier ministre a amalgamé la Coupe du monde de rugby, les Jeux olympiques et l'Exposition universelle, sans comprendre que le mécanisme économique n'avait rien à voir. Le Président de la République y croyait un peu plus. Le département de l'Essonne a déposé une motion demandant des garanties sur la ligne 18, ou à défaut de revenir sur certains projets d'implantation de grandes entreprises.

Je voudrais vous interroger sur une particularité du projet, à savoir la transformation des pavillons internationaux en « zones franches » afin de continuer les partenariats économiques, universitaires. J'aimerais que vous puissiez développer devant nous cette idée extrêmement originale

M. Serge Babary. - Et maintenant ? Y a-t-il un plan B ? La position du Premier ministre est-elle ferme et définitive, ou peut-elle - comme ce fut le cas sur d'autres sujets - changer ? Pour mobiliser les territoires, vous aviez effectué un tour de France en dix-sept étapes. Nous avions eu le plaisir de vous accueillir à Tours, et la thématique retenue pour la région Centre-Val de Loire était « les jardins ». Vous aviez fait un excellent travail, et des dizaines de grands acteurs s'étaient mobilisés : Chaumont-sur-Loire, Villandry, tous les grands châteaux du Val de Loire étaient prêts à participer. Il ne faut pas laisser retomber la mobilisation que vous aviez orchestrée autour des dix-sept thèmes retenus.

Mme Cécile Cukierman. - Merci pour cette présentation paradoxale, puisqu'il s'agit de faire valoir une candidature qui a été annulée ! Outre sa forme, indigne d'un Gouvernement, cette annulation met à mal la mobilisation de dix-sept territoires en France métropolitaine, et non le seul site de Saclay. Nous n'entendons parler que de la dépense, qui aurait été trop importante. J'insisterais plutôt sur les retombées économiques - et sur l'éthique, qui contraste avec la présence de certains pavillons dans d'autres Expositions universelles. Ce type de projet fédère plusieurs pays et crée de belles dynamiques. Alors, et maintenant ? On ne croit pas trop en un retour en arrière, mais il serait dommage qu'une telle énergie soit stoppée - même à l'ère du numérique - par un simple tweet...

Mme Sophie Primas, présidente. - La question est de savoir si nous pouvons y aller sans l'État...

M. Xavier Iacovelli. - Vous êtes les victimes collatérales du Grand Paris et de l'abandon probable, dans quelques semaines, de la ligne 18. Le travail que vous avez effectué pendant sept ans est-il entièrement stoppé par ce tweet et cette décision unilatérale ? Y a-t-il un après ? Les territoires peuvent-ils reprendre la main ? Quid de votre équipe ?

M. Laurent Lafon. - J'atteste qu'un énorme travail a été fait depuis des années sur ce dossier, et je trouve qu'il a été interrompu de manière incorrecte. Cela met en question le processus de décision de l'État : si ce projet devait être interrompu, il aurait dû l'être beaucoup plus tôt. Déposer un dossier devant un bureau international pour le retirer trois mois plus tard n'est sans doute pas la meilleure façon de donner l'image d'un retour de la France sur le plan international ! Les entreprises qui ont participé activement au projet auront aussi du mal à comprendre. Certes, l'annulation de l'Exposition universelle rend possible un report de la ligne 18. Je me demande aussi si l'État ne craignait pas que l'Exposition universelle n'assèche les financements privés dont il a besoin pour les événements sportifs prévus en 2023 et 2024. L'État a-t-il officiellement notifié au BIE le retrait de la candidature ?

M. Fabien Gay. - Sur la forme, on ne peut pas arrêter comme cela un projet qui a mobilisé tant d'acteurs pendant sept ans. Même un courrier ne suffit pas ; la moindre des choses était d'organiser des réunions de concertation avec vos équipes. Si cette inélégance représente le nouveau monde, alors je fais vraiment partie de l'ancien ! Maintenant, que faire ? Il semble que nous puissions poursuivre sans l'État. Nous ne pouvons pas abandonner un tel travail. La raison de cette décision est-elle une reculade sur le Grand Paris express ? La ligne 18 semble devoir être abandonnée, et les lignes 16 et 17 ne seront pas prêtes pour les Jeux Olympiques. L'obtention de la Coupe du monde de rugby en 2023 a-t-elle joué ? Avons-nous la capacité d'accueillir une telle succession d'événements ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Rare moment de concorde entre la Seine-Saint-Denis et Neuilly !

Mme Anne Chain-Larché. - Je partage l'immense déception généralement ressentie : une Exposition universelle, c'est la grandeur d'un pays ! Je soutenais le projet de Marne-la-Vallée. La brutalité de cette annulation est absolument intolérable. Remarquez que nous autres sénateurs commençons à être habitués aux méthodes brutales de ce gouvernement... Pour autant, nous devons connaître les mobiles de cette décision. Le préfet de région nous parle de montages financiers qui ne tiennent pas debout : c'est imparable, évidemment. Pour autant, on voit que cette annulation fait péricliter des projets, et notamment le Grand Paris Express : la ligne 13, la ligne 17, la ligne 16 - avec trois arrêts en Seine-et-Marne - et la ligne 18. Du coup, nous ne serons pas prêts pour les Jeux Olympiques, alors que les collectivités territoriales de la grande couronne participent financièrement depuis des années. Avons-nous le droit de nous laisser traiter ainsi sur des sujets structurants ? Quel pouvoir avons-nous pour inverser cette décision, ou au moins en connaître les causes réelles ?

Mme Catherine Procaccia. - N'étant pas très impliquée, j'avais été assez effrayée par les difficultés financières dont le Premier ministre avait fait état. Mais votre présentation est si claire qu'on ne peut pas ne pas être convaincue !

M. Jean-François Mayet. - Votre rapport était très clair en effet, et vous semblez sûr de vous. Alors comment allons-nous faire ? En France, dès que l'État se désengage, tout le monde recule. Pour une fois, passons-nous de l'État ! Des financiers, des banques seront très heureux de participer puisque la rentabilité est au rendez-vous. Pas sûr que M. Macron résiste longtemps.

Mme Sophie Primas, présidente. - J'entends comme une révolte au Parlement cet après-midi ! Le Gouvernement veut réduire le Parlement mais le Parlement ne compte pas se laisser faire et peut-être que votre dossier sera emblématique de ce retournement. Est-il possible d'inverser cette décision ?

M. Jean-Christophe Fromantin. - Merci pour votre accueil et vos mots d'encouragement, qui toucheront chaque membre de notre équipe. Je laisse d'abord la parole à M. de Boissieu, qui a travaillé sur l'impact économique du projet et sur son intérêt pour les générations futures, en lien avec un millier de jeunes que nous avons associés à nos réflexions depuis deux ans.

M. Christian de Boissieu, économiste. - Je suis ravi d'être avec vous, même si c'est pour un enterrement ! Mais j'espère justement que ce n'en est pas un. J'ai l'impression d'un énorme gâchis. Paradoxalement, le point fort du dossier était justement son modèle économique. Et j'aimerais bien voir le modèle économique des Jeux olympiques ou celui de la Coupe du monde de rugby 2023, car on nous fait des reproches qu'on n'évoque même pas pour les autres événements. Nous sommes victimes de la séquence chronologique, mais ce n'est pas nous qui avons fixé la date de 2025 ! Cela fait sept ans qu'une équipe se mobilise sur ce projet. Professeur à l'Université de Panthéon-Sorbonne, j'ai vu combien, dès le début, les jeunes se sont impliqués. De fait, ce projet nous aurait aidés à laisser autre chose à nos enfants et petits-enfants que de la dette publique et du chômage.

Quant aux retombées économiques, pour une échéance aussi lointaine, personne ne peut avoir de certitudes. Le Premier Ministre allègue des risques, mais nous avions bordé la candidature pour les minimiser. Partant du constat que les dépenses ont lieu avant les recettes, j'avais proposé qu'un emprunt garanti par l'État fasse la soudure. À mon avis, il n'y avait guère de risque, mais il a tout de même fallu abandonner l'idée.

Il n'y a pas besoin de faire tourner un modèle pour comprendre que les retombées économiques, sociales et culturelles, d'une Exposition qui dure six mois sont supérieures à celles de Jeux Olympiques qui ne durent que deux ou trois semaines ! Cela ne signifie pas que je suis contre les Jeux : je suis pour les deux. La France en a les moyens, et nous n'avons pas eu d'Exposition universelle depuis 1900. Il y a eu dans les années 1930 des expositions internationales, ce qui est moins ambitieux qu'une Expo universelle. Mais avec cette annulation, nous ne sommes pas prêts d'en voir une. Ce n'est pas la première fois que nous retirons notre candidature, c'est dire si nous sommes ridicules...

M. Brice Chasles, vice-président, Deloitte France. - Le chiffrage des impacts macroéconomiques a été fait avec professionnalisme et méthodologie. On ne peut pas prédire l'avenir mais on peut s'appuyer sur des événements comparables et sur des données statistiques relatives à la fréquentation ou au panier de dépenses des visiteurs étrangers. Nous nous sommes efforcés de ne compter que les dépenses et les visiteurs qui peuvent être estimés comme attribuables à l'événement.

L'étude d'impact avait été partagée avec les équipes du Trésor, à la demande d'Emmanuel Macron, qui était alors ministre de l'Économie et des Finances, en prévision d'une présentation qui a été faite à Bercy en octobre 2015 devant l'ensemble des partenaires. Les simulations des équipes du Trésor étaient d'ailleurs assez proches des nôtres. Comparés à ceux d'autres candidatures, comme celle d'Osaka, nos chiffres sont cohérents et les ordres de grandeur sont comparables.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quid de la succession des Jeux olympiques, de la Coupe du monde de rugby et de l'Exposition universelle ? N'y a-t-il pas un risque pour les recettes ?

M. Brice Chasles. - Le Japon envisage exactement  la même séquence. Peu de grands pays peuvent assurer une telle succession d'événements, qu'il s'agisse des besoins en infrastructures ou des exigences de sécurité. Mais nous parlons d'événement de natures différentes, qui ne se cannibalisent aucunement. Ainsi, l'étude d'impact de la Coupe du monde de rugby montrait qu'en l'absence d'investissements à réaliser, celle-ci allait uniquement générer des recettes et des dépenses de fonctionnement. Les Jeux Olympiques, eux, impliquent d'importants investissements. Quant à l'Exposition universelle, la part de sponsoring y étant minoritaire, la majeure partie des recettes attendues provenaient de la billetterie, des dépenses sur le site même de l'Exposition et de redevances versées par des partenaires privés.

Mme Sophie Primas, présidente. - Et maintenant ?

M. Jean-Christophe Fromantin. - Bonne question ! Que faire de ce matériau accumulé au cours de sept années de préparation ? Pour y réfléchir, nous réunirons nos partenaires financiers cette semaine, et les représentants des dix-sept territoires engagés à nos côtés la semaine prochaine. Il y a aussi les travaux du millier de jeunes qui, depuis deux ans, font vivre la candidature française dans leur pays, et dont une centaine, désignés comme ambassadeurs par les réseaux sociaux, sont venus à Paris il y a trois mois.

Nous avons beaucoup réfléchi à la nouvelle architecture, ou encore aux systèmes immersifs. Ainsi, nous avons travaillé avec Wikipédia pour faire que les contenus proposés par un pays ne représentent plus seulement les États-Nations mais la population mondiale. Le pavillon des nations, un globe, aurait exposé des données envoyées par des communautés de populations de chaque pays, ce qui aurait donné à voir la communauté mondiale, afin de retrouver l'esprit des grandes Expositions universelles. Nous avions beaucoup étudié les comportements des visiteurs, et le plan des 110 hectares préfigurait les flux d'une nouvelle urbanité.

Je proposerai à nos partenaires de reprendre tous ces travaux dans le cadre d'un colloque sur la préparation d'une Expo universelle au vingt-et-unième siècle.

Au fond, cet échec révèle un État qui a du mal à anticiper et à innover et qui manifeste une aversion au risque, même quand ce n'est pas lui qui le supporte. Les Expositions les plus folles furent celles du XIXe siècle : 1851 à Londres, 1855 à Paris... Elles n'étaient pas organisées par les États ni réglementées par le BIE, qui date de 1928 et apparaissaient comme le résultat d'une sorte de génération spontanée, faite d'artistes, d'inventeurs, d'entrepreneurs, d'ingénieurs, qui ont eu l'audace de construire le Grand Palais ou la Tour Eiffel ... C'est là qu'ont démarré la moitié des grandes emprises françaises : Peugeot, Renault, Guerlain, Vuitton... Toutes ces marques sont nées d'artisanats du XIXe  siècle, médaillés aux Expositions universelles et qui sont devenus les grands succès économiques qui ont fait la France du XXe siècle.

N'avons-nous pas perdu cette audace et cette logique ? La situation actuelle résulte d'un refus de l'audace par un Premier ministre comptable et non stratège. Ce sont les notes d'une équipe de fonctionnaires qui ont arrêté le projet. Or la France ne peut pas se priver de l'audace, au risque d'être réduite à sa démographie dans une mondialisation de sept milliards d'individus. Sans rayonnement en direction des nouvelles générations, nous n'aurons plus qu'à nous concentrer, en effet, sur notre comptabilité publique... Nos grandes entreprises le savent bien, qui voyaient dans ce projet l'occasion de reprendre l'initiative.

Quant à la blockchain et aux nouveaux grands systèmes collaboratifs, ils doivent être à la base d'un projet d'Exposition universelle du XXIe siècle. Éric Orsenna disait qu'il fallait réveiller la folie de la France. Pour cela, nous devons nous affranchir d'un État par trop régulateur. C'est le sujet politique majeur pour notre pays.

Que faire ? Nous sommes très motivés pour continuer. Comment ? Là, c'est une question d'innovation. L'annulation n'a pas été notifiée, puisque notre candidature figure toujours sur le site internet. Si les sénateurs interpellent le gouvernement - car dix-sept territoires sont prêts à continuer - le dossier a peut-être encore une chance d'être rouvert !

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour cet exposé passionnant et utile. Ce projet impliquait les territoires, donc le Sénat. Je prends bonne note de votre proposition d'interpeller le gouvernement sur ce dossier, et d'aller chercher l'intelligence des territoires pour contrebalancer cette décision brutale pour vous et pour le pays.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente et rapporteur pour avis. - Nous examinons à présent le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 ; deux articles nous ont été délégués au fond, et nous nous sommes saisis de quatre autres pour avis. J'ai repris ce rapport à la volée, notre collègue François Calvet, que nous avions désigné comme rapporteur, étant retenu chez lui par des ennuis de santé. Nous souhaitons le retrouver prochainement, ainsi que notre collègue Alain Bertrand, en meilleure forme.

La France accueillera en 2024 les jeux Olympiques et Paralympiques, un événement majeur pour l'image de notre pays, mais aussi pour notre économie et nos territoires.

C'est un enjeu pour nos territoires, car si les jeux ont été attribués à Paris, de nombreux autres territoires sont également concernés, comme le département de la Seine-Saint-Denis, les villes de Marseille, Lyon, Bordeaux, Lille, Nice, Toulouse, Nantes, Saint-Étienne...

C'est un enjeu aussi pour notre économie, l'impact économique et touristique des jeux étant loin d'être négligeable : plus de 11 millions de spectateurs sont attendus, et ces jeux doivent être un « accélérateur d'investissement » selon le Gouvernement, qui estime leurs retombées économiques à au moins 10 milliards d'euros. Nous sommes preneurs... J'ajoute que 250 000 emplois en lien avec les jeux pourraient être créés.

François Calvet a proposé que notre commission entende, sur l'aspect économique des jeux, le délégué interministériel Jean Castex. L'agenda de ce dernier ne permettait pas l'organisation de cette audition avant l'examen du projet de loi par notre commission, mais il est convenu que nous l'entendrons ultérieurement.

Ce projet de loi doit permettre aux organisateurs, conformément aux engagements pris auprès du Comité international olympique et du Comité international paralympique, de disposer de l'ensemble des outils nécessaires à une préparation et une organisation les meilleures possible. De tels projets de loi ont déjà existé, pour les jeux Olympiques de Grenoble de 1968, et pour les jeux Olympiques d'Albertville de 1992.

Le projet de loi comprend des mesures en matière de sport, de sécurité, de transport, d'urbanisme et de logement. La commission des lois, saisie au fond, nous a délégué l'examen des articles 12 et 13, relatifs au logement. Par ailleurs, notre commission s'est saisie pour avis des articles 7, 8, 10 et 10 bis, relatifs à l'urbanisme.

La philosophie du titre II, qui prévoit d'adapter certaines règles en matière d'urbanisme, d'aménagement et de logement, n'est pas de légiférer sur ces questions de manière générale - ce sera l'objet du projet de loi « ELAN » -, mais de prévoir des dérogations ciblées au droit commun, indispensables pour faciliter la livraison des infrastructures nécessaires dans les délais impartis.

Plus précisément, les services du Gouvernement ont passé en revue la législation en vigueur pour recenser les obstacles normatifs à la réalisation des projets de construction et d'aménagement prévus par le dossier de candidature français. Il s'agit donc d'un projet de loi de simplification du droit ad hoc, dont l'objet se limite à la préparation des jeux de 2024.

Les dispositions touchant à l'urbanisme sont traitées au fond par la commission des lois, mais nous avons souhaité, compte tenu de nos prérogatives dans ce domaine, nous en saisir pour avis, fût-ce pour constater qu'elles ne soulèvent pas de difficulté. C'est bien ce constat qui peut être dressé : les dispositions urbanistiques du projet de loi sont de nature à accélérer et sécuriser les projets d'aménagement prévus, et rien, ni dans le fond ni dans la forme, ne justifie des amendements de notre part.

L'article 7 dispense de formalités au titre du code de l'urbanisme les constructions et aménagements temporaires nécessaires aux jeux. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, il faudra construire le pavillon de badminton au Bourget pour 7 000 places, le pavillon de volley à Dugny pour 17 000 places et le site de tir à La Courneuve. Bien que temporaires, ces constructions sont souvent d'une ampleur et d'une durée d'installation bien supérieures à ce qui s'observe dans les cas de dispense de formalités. L'article 7 sécurise ces opérations exceptionnelles. Le dispositif est bien encadré, puisqu'un décret en Conseil d'État fixera la durée maximale d'implantation - dix-huit mois au plus - et la durée maximale de remise en état initial des sites - douze mois au plus.

L'article 8 prévoit qu'une opération d'aménagement ou une construction nécessaire à l'organisation et au déroulement des jeux pourra être réalisée selon la procédure intégrée pour le logement, la PIL. Créée à l'origine pour accélérer les grands projets de construction de logements sociaux, cette procédure réduit fortement les délais lorsque la réalisation d'un projet se heurte aux normes de planification en vigueur. Elle permet de rendre le plan local d'urbanisme et les documents supérieurs à celui-ci compatibles avec le projet envisagé, en une seule et même procédure accélérée.

Cet outil très puissant paraît bien adapté à l'objectif d'achever les opérations d'aménagement nécessaires aux jeux dans les délais impartis. Au reste, je pense que le champ d'application de la PIL est appelé à s'étendre - peut-être, madame Estrosi-Sassone, dans le cadre du projet de loi « ELAN ». Pour la conduite accélérée de projets ayant des impacts sur la hiérarchie des normes limités aux documents d'urbanisme, il est possible de recourir à la procédure de déclaration de projet, un outil efficace désormais bien maîtrisé par l'État et les collectivités territoriales.

L'article 10 bis prévoit que le permis de construire pourra autoriser les constructions nécessaires aux jeux, mais aussi le changement de destination de ces constructions après les jeux, lorsque la destination ultérieure est connue. Cet outil sécurise la reconversion des bâtiments après les jeux et leur affectation à un autre usage, comme le logement.

Enfin, l'article 10 reprend une disposition de la proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme déposée en 2016 par François Calvet et Marc Daunis. Cette disposition donne aux collectivités territoriales la faculté de fusionner la délibération de création et la délibération de réalisation d'une zone d'aménagement concerté, ce qui peut être utile pour des projets d'aménagement de faible dimension dont les éléments sont connus suffisamment tôt.

De nombreuses dispositions de cette proposition de loi sénatoriale ont déjà été reprises par le Gouvernement ou le seront prochainement, notamment en matière de contentieux de l'urbanisme.

Je propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces quatre articles relatifs à l'urbanisme, sans leur apporter de modification.

J'en viens aux dispositions relatives au logement. L'examen des articles 12 et 13 nous est confié au fond. Un village des médias et un village olympique et paralympique seront construits en Seine-Saint-Denis. Un village olympique sera également construit dans les Bouches-du-Rhône, où se tiendront les épreuves de voile. Ces villages comporteront des structures d'hébergement des personnes participant aux jeux. Les locaux seront conçus pour s'intégrer dans les villes où ils seront situés. En Seine-Saint-Denis, ils ont ainsi vocation à devenir des logements sociaux, des logements libres, un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, des logements étudiants, des commerces et des bureaux.

Je rappelle que, pour bénéficier d'aides de l'État, les bailleurs sociaux doivent conclure une convention APL qui les oblige à respecter certaines conditions de décence, de loyers et de plafonds de ressources. Or les conditions d'utilisation des locaux pendant les jeux sont incompatibles avec ces dispositions, auxquelles il convient donc de déroger à titre temporaire.

Aussi l'article 12 donne-t-il la possibilité aux organismes HLM de construire et d'acquérir des locaux situés en Seine-Saint-Denis et dans les Bouches-du-Rhône et de les mettre temporairement à la disposition du comité d'organisation pour la durée des jeux, ces locaux devant ensuite être transformés en logements à usage locatif. Il prévoit en outre de suspendre les effets de la convention APL durant la mise à disposition.

La cessation d'effet de la convention APL portant sur des logements appartenant à un organisme HLM entraîne l'application des règles prévues au livre IV du code de la construction et de l'habitation, qui concernent notamment les conditions d'attribution et de détermination du loyer. L'Union sociale pour l'habitat considère que la suspension de la convention APL pourrait être assimilée à ce cas de cessation d'effet de la convention APL. Afin de lever toute difficulté d'interprétation, je vous propose qu'il soit également dérogé à titre temporaire, pour ces locaux, aux règles des chapitres I et II du titre IV du livre IV du code. Tel est l'objet de l'amendement AFFECO.1.

Par ailleurs, des logements vacants réservés aux étudiants ou situés dans des résidences universitaires pourront également être utilisés pour assurer le logement des personnes participant aux jeux Olympiques et Paralympiques. Près de 5 000 logements, répartis sur environ trente-quatre résidences universitaires, pourraient être mobilisés, selon l'étude d'impact.

Or l'utilisation des résidences étudiantes obéit à certaines conditions qui ne pourront pas être respectées dans le cadre de la mise à disposition de logements pour les jeux. C'est pourquoi l'article 13 prévoit que des logements destinés à des étudiants, vacants au 1er juillet 2024 et situés en Île-de-France, dans les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, la Gironde, la Haute-Garonne, la Loire, la Loire-Atlantique, le Nord et le Rhône, pourront être loués jusqu'au lendemain de la clôture des jeux Paralympiques pour accueillir les personnes accréditées, la date ayant été choisie pour perturber le moins possible la rentrée universitaire. Il prévoit également que les effets des conventions APL attachées à ces logements seront suspendus le temps de la mise à disposition.

Pour ces logements aussi, je vous propose de prévoir une dérogation, le temps de leur mise à disposition, aux règles des chapitres I et II du titre IV du livre IV du code de la construction et de l'habitation. Tel est l'objet de l'amendement AFFECO.2. Sous réserve de l'adoption de ces deux amendements, je vous invite à émettre un avis favorable sur le projet de loi.

M. Marc Daunis. - Quel aveu, devoir adopter par la loi un régime dérogatoire pour préparer un événement qui aura lieu seulement dans six ans ! Le consensus entre nous est certain, mais je déplore notre incapacité, dans le cadre classique, à accueillir de telles manifestations... Ce qui rejoint les conclusions que M. Calvet et moi avions formulées dans notre rapport sur la simplification et la sécurisation des règles d'urbanisme.

À l'article 7, l'Assemblée nationale a opportunément voté un amendement pour porter à douze mois au lieu de trois la durée maximale de remise à l'état initial des lieux sur lesquels des constructions ou installations temporaires auront été édifiées. De même la présidente a fixé à dix-huit mois la durée maximale des implantations temporaires : je m'en réjouis.

L'article 8 prévoit l'adaptation des documents de rang supérieur. Néanmoins, les déclarations de projet ou les PIL sont parfois, paradoxalement, mises en oeuvre avec des délais supplémentaires : une piste périmétrale exige ainsi deux autorisations différentes au lieu d'une ; l'insertion de l'étude d'impact dans la procédure allonge la durée de celle-ci, de trois mois ou de six mois !

Plusieurs articles importants, dont l'article 10, nous tiennent à coeur : nous les voterons, comme l'ensemble du texte.

Mme Catherine Procaccia. - Les amendements sur le logement me semblent pleins de bon sens.

Des « voies olympiques » routières sont prévues pendant la durée des jeux : seront-elles créées pour l'occasion ou s'agira-t-il de voies existantes qui seront fermées à la circulation ? Il ne faudrait pas rendre les déplacements quotidiens des Franciliens encore plus épouvantables...

Mme Michelle Gréaume. - L'article 13 sur les logements étudiants ne me pose pas de problème si la rentrée des étudiants n'est pas perturbée. Une question cependant sur l'article 12 : pourquoi deux départements seulement, Seine-Saint-Denis et Bouches-du-Rhône, sont-ils mentionnés ?

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Nous légiférons pour adapter le droit commun, avec pour but de construire plus vite. Cela pourrait nous inspirer une démarche similaire pour de grandes causes nationales comme le logement, la fluidité des déplacements, etc.

C'est la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable qui se penche sur les questions de circulation. Mais bien sûr, les infrastructures existantes seront mises à contribution !

Mme Catherine Procaccia. - Les entreprises seront bloquées dans leur activité.

M. Fabien Gay. - Nous ne sommes pas saisis sur ces articles, mais nous aurons le débat en séance. Les articles visés, je songe à l'article 14, ne mentionnent même pas le Grand Paris Express. Nous avons eu l'occasion d'en parler avec Tony Estanguet, qui le déplorait aussi.

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - En juillet et en août, la circulation est en général plus simple... pas dans les Bouches-du-Rhône, il est vrai ! Sur l'article 12, si la loi mentionne uniquement ce département et celui de Seine-Saint-Denis, c'est qu'ils seront les seuls à accueillir des villages olympiques.

Mme Anne-Catherine Loisier. - La maîtrise budgétaire est importante : or rien n'est inscrit sur l'utilisation des équipements existants.

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Ce n'est pas l'objet du présent texte, qui traite des procédures juridiques pour réaliser les infrastructures olympiques. Il est certain que les équipements existants seront utilisés, comme seront réutilisés ceux construits pour l'événement.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Où cela sera-t-il écrit ?

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Pas dans la loi, mais cela figure dans le dossier olympique. La question budgétaire est légitime, nous en parlerons sans aucun doute lorsque nous entendrons M. Jean Castex.

M. Jean-Pierre Bansard. - Airshow au Bourget occupe plusieurs dizaines d'hectares : ce site sera-t-il exploité, ou restera-t-il un aéroport privé, utilisé peut-être par les visiteurs lors des jeux Olympiques ?

M. Fabien Gay. - Nous voterons la loi. Nous souhaitons quelques précisions sur les expropriations temporaires. Le seul exemple qui nous est donné est celui des parkings : la sécurité et les nécessités de stationnement exigent de telles mesures, mais pourquoi n'avons-nous aucune autre précision, sur le périmètre par exemple ?

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Vous parlez des expropriations d'usage. Nous ne sommes pas saisis de l'article 9 mais nous en discuterons en séance.

M. Jean-Pierre Bansard. - Le terrain dont je parle au Bourget est un lieu formidable, quasiment à Paris.

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Le présent texte, je le répète, vise à adapter les procédures afin de construire plus vite les infrastructures nécessaires.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 12

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - J'ai déjà exposé l'amendement AFFECO.1, de même que le suivant.

M. Marc Daunis. - L'amendement AFFECO.1 mentionne l'article L. 35 du code de la construction et de l'habitation, qui comprend plusieurs alinéas. Ne faudrait-il pas être plus précis et ne viser que certains d'entre eux ? Il faudrait éviter une extension intempestive...

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article L. 35 traite de la convention APL dans son ensemble.

L'amendement AFFECO.1 est adopté.

Article 13

L'amendement AFFECO.2 est adopté.

Le rapport pour avis est adopté.

La commission émet un avis favorable au projet de loi ainsi amendé.

La réunion est close à 18 h 15.

Mercredi 31 janvier 2018

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Laurent Vallée, secrétaire général du groupe Carrefour

Mme Sophie Primas, présidente. - Bienvenue au Sénat. Vous êtes secrétaire général du groupe Carrefour depuis le mois de septembre, après avoir exercé diverses fonctions au Conseil d'État, au Conseil constitutionnel, dans l'administration ainsi que dans les médias, au sein du groupe Canal +. Notre commission est chargée, entre autres, des questions relevant du commerce et des questions agroalimentaires.

Depuis que nous avons convenu de cette audition, il y a deux mois, l'affaire Lactalis a mis en lumière certains dysfonctionnements des procédures d'alerte et de retrait de produits en matière de sécurité alimentaire qui mettent en cause votre groupe - comme d'autres acteurs de la grande distribution. Cela fera l'objet le 14 février prochain d'une audition des différents acteurs de la distribution, dans le cadre d'une démarche conjointe de notre commission et de la commission des affaires sociales. Votre groupe y sera représenté ; je souhaite donc, dans la mesure du possible, que cette question soit abordée dans le cadre de l'audition à venir, et non pas aujourd'hui.

C'est votre groupe qui a lancé en France, il y a plus de 50 ans, à Sainte-Geneviève-des-Bois, le concept d'hypermarché et qui a construit - comme d'autres acteurs, et notamment Edouard Leclerc et la famille Mulliez - une vaste gamme de produits distributeur, notamment dans le domaine de l'alimentaire. Aujourd'hui, le Groupe Carrefour est présent dans plus de trente pays, avec près de 12 000 magasins qui se déclinent en plusieurs formats : hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité et même cash & carry.

Beaucoup d'acteurs et d'experts du commerce et de la distribution insistent sur les fortes mutations du commerce, notamment sous la pression des acteurs du numérique, qui orchestreraient la fin des hypermarchés tout en favorisant la désertification commerciale de nos centres-villes et centres-bourgs et, plus généralement, le déclin du commerce physique. Quelle est la stratégie de Carrefour face à ces évolutions ? Comment réagissez-vous à ces prédictions pessimistes ? Votre résultat opérationnel courant a connu une baisse de 15 % à taux de change courant et, manifestement, l'intégration du réseau de proximité Dia, racheté en 2014, est financièrement difficile.

Le groupe vient de présenter, le 23 janvier dernier, un plan de transformation prévoyant un investissement massif de trois milliards d'euros sur cinq ans dans le développement du digital et le renforcement de l'offre en produits biologiques, ainsi qu'une alliance avec des intervenants chinois. Mais cette transformation se fait au prix de 2 400 suppressions d'emplois, notamment au siège, et de la cession d'une partie de vos actifs, dont le réseau Dia. Au-delà de ce plan, quelle est votre vision prospective de l'avenir de la distribution alimentaire ? Face à l'offensive d'acteurs tels qu'Amazon, quel est l'avenir du commerce physique ?

Le modèle de la grande distribution a fait naitre une législation très spécifique en matière de relations commerciales et d'urbanisme commercial. Cette législation est souvent décriée, soit parce qu'elle entraverait trop l'action des acteurs, soit, à l'inverse, parce qu'elle serait insusceptible de protéger les plus faibles, qu'il s'agisse des producteurs ou des petits distributeurs. En particulier, la tenue des négociations avec les producteurs agricoles est souvent un moment de forte tension, qui atteint chaque année son paroxysme en février, au moment où s'ouvre le salon de l'agriculture. Et les pratiques de négociation des grands distributeurs sont souvent mises en cause.

Quelle est votre appréciation, en général, sur cette législation ? En particulier, la charte de bonne conduite négociée récemment vous parait-elle de nature à améliorer durablement la situation et à favoriser une meilleure répartition de la valeur et des efforts entre distributeurs et producteurs ? Les états généraux de l'alimentation ont également donné lieu à certaines préconisations. Que vous inspirent-elles ? Je souligne d'ailleurs que le projet de loi sur l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire est présenté aujourd'hui en conseil des ministres.

De même, la législation sur l'urbanisme commercial, malgré les dernières réformes, reste accusée de favoriser la déshérence commerciale des centres-villes, notamment dans les villes moyennes. Quel est votre constat en la matière et, le cas échéant, quelles sont vos suggestions ?

M. Laurent Vallée, secrétaire général du groupe Carrefour. - Merci pour votre invitation. Pour répondre à vos interrogations sur l'avenir du commerce physique, je prendrai appui non sur des certitudes absolues mais sur les convictions du groupe Carrefour, qui a annoncé un plan de transformation. Puis, je vous ferai part de mon appréciation générale sur la législation, et ajouterai quelques mots d'actualité sur les états généraux de l'alimentation.

La grande distribution est affectée par trois mutations très profondes.

Le champ concurrentiel est transformé par de grandes plateformes mondiales et généralistes. Ainsi, Alibaba a annoncé en septembre dernier qu'il allait investir 15 milliards d'euros - soit l'équivalent de la capitalisation boursière de Carrefour - dans ses plateformes logistiques. Son objectif est de livrer dans toute la Chine en moins de 24 heures et dans le monde entier en moins de 72 heures. D'autre part, des plateformes spécialisées dominent une catégorie : ainsi, l'enseigne préférée des Français est une enseigne spécialisée dans le sport. Chaque jour, des start-up ou des entreprises de plus grande importance développent sur leur site Internet des solutions qui simplifient la vie des consommateurs et accélèrent leur processus de choix. Enfin, des acteurs mondiaux nouent des alliances stratégiques très fortes : Carrefour l'a fait avec deux groupes chinois et, depuis six mois, Amazon s'est allié avec Whole Foods, Alibaba s'est allié avec Auchan, Wall Mart, avec Rakuten, Alibaba avec Kroger, et les journaux de ce matin mentionnent une alliance entre Tencent et Wanda, un grand groupe chinois d'immobilier commercial. À chaque fois, c'est l'alliance d'un groupe de commerce physique et d'une entreprise de technologie.

La deuxième mutation, c'est l'évolution des attentes des clients. Ceux-ci ont toujours voulu être servis le mieux possible, le plus rapidement possible, avec les meilleurs produits possible et au meilleur prix. Ils peuvent obtenir cela plus vite en utilisant leur téléphone pour comparer sans cesse les prix. Le parcours d'un client est beaucoup plus fragmenté, avec des offres de choix en permanence. Pour le métier de distributeur, c'est une rupture profonde.

Dernière mutation : celle des comportements alimentaires. Le plan de Carrefour parle de transition alimentaire. Nous avons l'ambition d'être leader en la matière, en promouvant des modes de production plus responsables, tenant compte des ressources environnementales, des comportements de distribution et surtout des voeux des consommateurs, qui veulent manger plus sain, plus local, plus bio... Carrefour a permis l'essor de la consommation de masse dans les années 1960 à 1980. Désormais, c'est une transition des comportements qu'il faut accompagner, et celle-ci doit s'accomplir pour tous. Il s'agit d'une réactualisation du rôle de la grande distribution !

L'autre ambition du plan, c'est d'assurer la pérennité de l'entreprise dans ce contexte de mutations très profondes, ce qui impose de lui redonner les capacités d'action à travers des réductions de coûts et un ciblage plus prononcé des investissements, notamment sur le digital. Carrefour a l'ambition de créer ce qu'on appelle un univers omnicanal, permettant aux consommateurs de naviguer à la fois dans ses magasins et dans un environnement digital. Cela nécessite de renforcer certains formats de magasins et d'investir dans le digital. L'ambition de Carrefour est de devenir leader en matière d'e-commerce alimentaire. Cela impliquera de refondre notre offre de produits bios, frais, locaux et de ses marques propres. Le plan est assorti à cet égard d'objectifs précis.

Notre conviction est que le physique et le digital ne s'opposent pas, mais doivent se combiner. D'abord, le client ne veut pas avoir à choisir entre les deux : il souhaite se voir proposer les meilleurs produits au meilleur prix, ce qui impose de le faire évoluer dans un univers qui combine le digital et le physique, c'est-à-dire omnicanal. L'idée est d'allier ce qu'on peut offrir de meilleur en magasin - ce qu'on qualifie d'expérience client - et ce qu'on peut offrir de meilleur en expérience digitale. C'est le sens de l'histoire industrielle que j'évoquais en énumérant les recompositions très importantes des plus grands acteurs de la distribution et de la technologie au cours des six derniers mois, notamment sur les deux marchés les plus importants, les États-Unis et la Chine.

Dans ce contexte, le magasin physique reste essentiel, à condition d'être retravaillé. Le président de Carrefour a été très clair sur les hypermarchés en annonçant qu'aucun ne fermerait, mais qu'il fallait travailler autrement car l'hypermarché tel qu'il a été conçu à l'origine ne répondait plus aux attentes des consommateurs. L'hypermarché doit être considéré comme un pôle d'attraction au sein d'une galerie commerciale où on offre des services variés à l'ensemble des clients. Il faut donc allouer différemment leurs surfaces, et probablement les réduire, après avoir déterminé si tel ou tel hypermarché est adapté à sa zone de chalandise. Les hypermarchés sont également appelés à devenir des plateformes, c'est-à-dire des lieux de préparation de commandes, où l'on vient recueillir des éléments préparés à l'avance - c'est ce qu'on appelle le click and collect.

Le groupe Carrefour a annoncé qu'il ouvrirait 2 000 magasins de proximité à l'échéance de son plan et 200 en 2018. On voit donc que le format de proximité, s'il s'articule au digital, est l'avenir du commerce physique. Pour développer ce commerce physique, il nous faudra être mobiles et prompts à nous adapter, car nos grands concurrents ont une capacité d'innovation technologique et une rapidité d'exécution phénoménales.

Notre législation relative aux pratiques restrictives de concurrence est très française. Ce qui forme le socle des discussions entre l'industrie et commerce, c'est l'interdiction de revente à perte et l'article L. 442-6, qui énonce un certain nombre de pratiques restrictives. La littérature sur le sujet est fournie car les rapports se sont multipliés : la commission Canivet en 2004, le rapport de Mme Hagelsteen en 2008, les rapports parlementaires successifs sur l'ensemble de l'évolution de la législation, un très récent rapport du Club des juristes qui y consacre quelques pages... Cette réglementation suscite un certain scepticisme de la part des économistes. L'un des rapports qui fait autorité en la matière est un peu ancien mais porte la signature de Jean Tirole : il concluait à l'abandon de cette législation.

Celle-ci est critiquée aussi par les juristes, car elle a évolué seize fois depuis 1992. L'article L. 442-6 énumère 25 ou 26 pratiques, dont certaines n'ont pas encore de contenu. Ces mesures ont parfois répondu à des crises économiques ou à des circonstances politiques, les opérateurs - grande distribution comme fournisseurs - étant les premiers à les demander. Il y a un débat assez profond sur les limites de l'intervention publique en la matière. Mme Hagelsteen parle d'un catalogue hétéroclite de mesures, le club des juristes d'un kaléidoscope... Il semble que cette législation doit être améliorée, au moins sur le plan technique.

Souvent, c'est pour apaiser les relations entre l'industrie et le commerce que ces dispositions ont été prises. En fait, sur longue période, les relations entre distributeurs et fournisseurs ne sont pas parfaitement apaisées par cette législation : les tensions demeurent, elles sont périodiques et varient en fonction de la conjoncture.

Pourquoi cette législation subsiste-t-elle ? D'abord, parce qu'en France les prix restent un sujet éminemment politique. Et la légitimité de l'intervention des pouvoirs publics ne se discute pas - celle-ci étant souhaitée par les acteurs économiques eux-mêmes. Deuxième raison : depuis l'ordonnance de 1986, cette législation fixe un cadre, quelques certitudes, quelques habitudes pour les opérateurs économiques. Sa disparition pure et simple ou son évolution profonde - un basculement vers le droit commun de la concurrence et le droit de la consommation - serait une décision politiquement difficile.

Nous sommes en pleine actualité, puisque le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales est présenté en ce moment en conseil des ministres et que les négociations se déroulent dans un climat tendu...

Mme Sophie Primas, présidente. - On dit cela chaque année !

M. Laurent Vallée. - J'allais le dire ! De fait, les relations entre industrie et commerce sont caractérisées par dix mois d'apaisement, comme il est normal entre partenaires commerciaux, et deux mois de tensions, entre décembre et février. J'entends que l'adoption de la charte aurait dû apaiser les relations. Je crois au contraire que tout projet d'intervention du législateur accroît les tensions : les opérateurs défendent leurs intérêts en communiquant, et il y a dans tout cela une part de jeu de rôle et de postures. Il faut ajouter à ce contexte les voeux du Président de la République au monde agricole, ainsi que les états généraux de l'alimentation. Et mentionner enfin que, pour Carrefour comme pour les autres, l'environnement compétitif et concurrentiel est difficile.

J'ajoute que les négociations actuelles concernent essentiellement les produits transformés : ce sont des négociations entre la grande distribution et les industriels. Pour les produits bruts et les marques propres, les négociations ont lieu dans un autre cadre, tout au long de l'année. Nous avons des relations directes avec les agriculteurs à travers la filière Carrefour, dans un contexte très différent et plus apaisé, puisque l'enjeu est de garantir un approvisionnement en produits bruts de qualité sur le long terme. Avec des groupes transformateurs, le rapport de force et la nature des discussions sont différents.

Indépendamment de la manière dont se déroulent les négociations commerciales, il y a une conscience forte dans l'ensemble de la filière de la nécessité d'améliorer les revenus des agriculteurs. Le projet de loi présenté aujourd'hui doit être mis en oeuvre avant l'automne. Ses trois mesures phares sont l'inversion de la construction du prix, c'est-à-dire la prise en compte du prix de revient des agriculteurs dans la construction du prix ; la modification du seuil de revente à perte, avec l'affectation d'un coefficient qui devrait être de 1,10 ; et l'encadrement des promotions. Le groupe Carrefour a soutenu la philosophie générale des états généraux de l'alimentation et les conclusions de l'atelier n° 7, présidé par le Premier président Canivet. Il reste un mois pour tirer les conclusions et rédiger un projet de texte qui exprime une position relativement harmonieuse de l'ensemble du secteur.

Cet après-midi se tient au Sénat une table ronde réunissant toutes les enseignes sur la question des centres-villes. Le commerce de proximité est un élément essentiel du plan de transformation de Carrefour, et donc de notre développement. La combinaison du physique et du digital est indispensable pour procurer un service de grande qualité au client. Le maillage territorial reste donc essentiel, à condition d'être revisité. En France, en moyenne, un client peut trouver un magasin Carrefour à moins de huit minutes de chez lui, grâce à notre réseau de 4 200 magasins de proximité, auxquels il faut ajouter les hypermarchés. Nous avons annoncé la création sur les cinq prochaines années de 2 000 magasins de proximité et de 200 dès 2018. Nous y développerons la livraison à domicile et le click and collect.

Certes, les centres-villes connaissent des difficultés économiques. Il semble toutefois que l'opposition entre grandes surfaces de périphérie et commerce de proximité, qui a cristallisé trente ou quarante ans de débats sur la manière dont on devait protéger les centres-villes, ne soit pas le facteur déterminant dans la désertification. Les difficultés économiques et sociales locales, très diverses selon les territoires, sont davantage à prendre en compte, ainsi que le développement de l'e-commerce, l'évolution des habitudes de consommation et de la démographie, la taille des emplacements, leur accessibilité ou la présence de parkings.

M. Martial Bourquin. - Merci pour les précisions que vous nous avez données, mais j'en voudrais davantage. Vous allez supprimer beaucoup d'emplois, alors que le groupe a réalisé un milliard d'euros de profit l'an passé. Quel est le nombre exact d'emplois menacés ? La direction a annoncé 2 400 suppressions, mais les syndicats, que nous avons reçus, parlent de 13 000 à 15 000 en comptant les pertes de statuts liés aux passages sous franchise. Pouvez-vous nous donner plus d'explications sur le plan social qui se prépare ? Je partage évidemment l'idée selon laquelle il vous faut prendre le virage du numérique et ne pas laisser Amazon seul sur ce créneau. Mais pourquoi accompagner cette évolution d'une telle saignée ? Quel sera son impact sur les territoires ? Y aura-t-il des pertes de surface ? Pourquoi ne pas imaginer un grand plan de formation, assorti de départs anticipés à la retraite ? Le chômage est la grande question sociale dans notre pays, et le social et l'économique, indissociables, doivent aller de pair. Pouvez-vous encore modifier le plan ? Il est rare qu'un grand groupe au beau fixe annonce autant de suppressions d'emplois...

M. Jean-Pierre Decool. - Dans le cadre des états généraux de l'alimentation, le groupe Carrefour a mis en avant son rapprochement avec le monde agricole. Au-delà de l'opération de communication sur la transition alimentaire, comment se traduira concrètement la prise en compte de la crise du secteur et de la nécessité d'acheter les produits à un prix digne et rémunérateur ? Le plan Carrefour 2022 ne revèle-t-il pas la crise du modèle de supermarchés et hypermarchés ? Carrefour devra-t-il repenser ses implantations et son organisation ?

M. Henri Cabanel. - Vous avez évoqué trois mutations ; elles ne sont pas nouvelles même si vous semblez les découvrir. Nous avons reçu les syndicats de votre groupe qui sont très étonnés de la stratégie que vous menez et qui ont appris le plan social par la presse. Votre groupe ne s'est-il pas, au cours des sept dernières années, trompé de stratégie ? Vos prédécesseurs se sont séparés de certains magasins Dia qui perdaient de l'argent. Quelques années plus tard, ils les ont rachetés. Vous voulez à nouveau vous en séparer... J'aimerais aussi que vous nous donniez quelques précisions sur le plan social. La direction parle de 2 400 suppressions d'emplois, sur un total de 10 000, c'est un pourcentage important ! Quelle est votre stratégie ? Voulez-vous vous recentrer sur l'alimentation ? Quid du personnel ? Vous compatissez à la détresse des agriculteurs : c'est bien, mais qu'allez-vous faire de concret ? Allez-vous partager la valeur avec eux, en leur achetant leurs produits un peu plus cher ?

Mme Viviane Artigalas. - Le 23 janvier, le groupe Carrefour annonçait un partenariat avec La Poste pour la livraison des courses à domicile dans la perspective d'une extension du service Carrefour Livraison Express que vous avez lancé en 2016 à Paris et dans sa petite couronne. Or ce partenariat ne concerne que quinze grandes villes de France. Ce type d'offre serait pourtant particulièrement intéressant dans les zones rurales, auprès de populations ayant des difficultés à se déplacer. Envisagez-vous de l'étendre aux villes moyennes et aux zones rurales, et selon quel calendrier ?

Ma seconde question porte sur le développement de votre offre sur internet. Ces dernières années, votre groupe a acquis des sites sans réelle vision d'ensemble. D'autres enseignes françaises ont avancé dans ce domaine, notamment sur le format du drive. Comment expliquez-vous ce retard et quel plan stratégique comptez-vous mettre en oeuvre pour le combler ?

Mme Michelle Gréaume. - Quelle est la réalité du plan de suppression d'emplois prévu en France ? Nous avons entendu parler de 2 400 suppressions de postes au sein du groupe. Toutefois, le réseau de magasins Dia représente 1 400 emplois. De plus, 1 000 postes seraient en jeu dans les stations-service et les pôles administratifs magasin, 800 dans les hypermarchés qui passeraient peut-être en location-gérance, et des centaines d'autres en raison de l'automatisation et de la numérisation. Au total, nous sommes plus près de 5 000 suppressions de postes.

Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ? Quelles justifications économiques et financières légitiment ce plan ? Il est difficile d'accepter l'argument des difficultés financières du groupe et d'un endettement excessif. Avec près d'un milliard d'euros de bénéfices au niveau mondial l'an passé, 400 millions d'euros de dividendes versés aux actionnaires, 8,5 milliards d'euros de bénéfices accumulés, un taux de marge de 23,5 % en légère progression depuis cinq ans, le groupe n'a-t-il pas les moyens de faire face aux difficultés, d'investir sans faire payer le prix aux salariés ? La masse salariale ne représente que 11 % du chiffre d'affaires et reste inchangée depuis sept ans. En revanche, 40 % à 50 % des bénéfices sont reversés chaque année aux actionnaires. Enfin, Carrefour se sépare de son réseau de 273 magasins de proximité, l'ex-Dia, qui perd 150 millions d'euros en 2017. N'est-ce pas contradictoire avec l'ouverture de 2 000 magasins de proximité ? Combien sont prévus sur le territoire national ?

Mme Élisabeth Lamure. - Votre plan de transformation a fait dire que nous assistions à la fin d'un modèle. Vous aurez besoin de nouveaux métiers, de montée en compétences, dans les hypermarchés comme dans les commerces de centre-ville. Dans cette mutation contrainte, comptez-vous former vos personnels ou recruter à l'extérieur ?

Vous êtes présent dans une trentaine de pays : avez-vous l'intention de vous développer à l'export ? Si c'est le cas, envisagez-vous d'implanter des hypermarchés ou au contraire de développer, comme en France, de plus petits commerces ?

M. Michel Raison. - Les produits labellisés et haut de gamme, dont le bio, ne tarissent-ils pas, dans une certaine mesure, la réputation des autres produits, qui sont pourtant aussi de qualité ? Quel pourcentage de votre chiffre d'affaires représentent-ils ? Les filières de proximité servent de vitrine au distributeur, mais il ne faut pas oublier les autres producteurs, qui fournissent des produits de qualité.

Les Carrefour Market, auxquels nous sommes attachés, trouvent que vous leur vendez les produits un peu cher ! Je sais que vous avez eu des résultats difficiles parfois, malgré ce que l'on vient d'entendre, mais il serait souhaitable que ces petits commerces franchisés puissent dégager plus de marge par la fourniture de produits à un prix plus correct.

La législation ne doit pas changer trop souvent, nous sommes d'accord sur ce point, mais surtout parce que les centrales d'achat trouvent toujours une voie de contournement. Il serait donc préférable de donner les moyens à la DGCCRF - la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, - de la faire appliquer, et non pas de la supprimer...

M. Laurent Duplomb. - Pour rebondir sur les propos de Michel Raison, le législateur a dû intervenir pour fixer des règles, car les pratiques de la grande distribution à l'égard des fournisseurs n'étaient pas correctes. Les marges avant ont été interdites, mais les marges arrière permettent de faire payer aux fournisseurs la promotion, les produits en tête de gondole, des palettes gratuites... Les problèmes ne sont pas tous résolus, en particulier dans les négociations, qui ne respectent pas le fournisseur, compressé sur la totalité des prix.

Or, depuis 2014, nous sommes passés de sept à quatre centrales d'achat - Carrefour-Provera, Casino-Intermarché, Système U-Auchan, Leclerc - qui contrôlent 92,2 % des ventes sur le territoire national. C'est totalement disproportionné !

Comment comptez-vous améliorer l'application de la Charte de bonne conduite, alors que les anciennes pratiques reviennent au galop, afin que les négociations commerciales soient plus saines en 2018 ? Vous évoquez de nombreux investissements dans les magasins, j'espère que ce ne sont pas les fournisseurs qui les paieront !

M. Fabien Gay. - On se souvient tous, sous le précédent quinquennat, de l'offensive du Medef, qui nous promettait un million d'emplois avec la baisse des cotisations sociales. François Hollande a donc créé le CICE - crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi - mais sans garanties sur l'emploi. Votre groupe a ainsi touché 110 millions d'euros en 2014. Les montants perçus les années suivantes ne sont pas connus ; la CGT parle de 134 millions d'euros, chiffre que votre direction n'a pas démenti.

Je voudrais savoir combien d'emplois ont été créés de 2014 à 2017 avec le CICE. Si cet argent public n'a pas été utilisé pour créer des emplois, je n'ose imaginer qu'il ait servi à augmenter les marges ou les dividendes des actionnaires, mais peut-être à rémunérer plus justement les producteurs ou à baisser les prix pour les consommateurs... Toucherez-vous le CICE en 2018 ? Comprenez-vous, monsieur le secrétaire général, que la suppression massive d'emplois que vous annoncez provoque l'indignation de l'opinion publique et la colère des salariés qui ont appris l'existence du plan social par un communiqué ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Pouvez-vous nous dire quels sont les coûts de personnel chez Carrefour France dans les charges totales ? S'agissant de la suppression des magasins Dia, les syndicats et les salariés sont à juste titre inquiets. Si vous ne trouvez pas de repreneurs, envisagez-vous des mutations internes et des passerelles entre les différentes entités du groupe ?

Vous annoncez un partenariat avec La Poste que je trouve intéressant, mais celle-ci a-t-elle véritablement la possibilité de partager votre ambition pour concurrencer les livraisons d'Amazon ?

Sur le repositionnement numérique de votre groupe, envisagez-vous de mettre un peu d'ordre dans vos enseignes existantes - Rue du Commerce, Ooshop, Carrefour.com -avant de passer à une autre étape avec une alliance potentielle dans le numérique ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - La filiale de Carrefour qui s'occupe des activités bancaires est une banque à part entière qui se développe dans le numérique avec une offre 100 % digitale très concurrentielle. Assiste-t-on à une transformation progressive de l'activité du groupe, vos actionnaires étant majoritairement des banquiers ? Comment ce volet banque et assurances s'inscrit-il dans votre activité et dans la stratégie du groupe Carrefour ?

M. Roland Courteau. - Au moins un de vos concurrents en France, soumis aux mêmes défis, aux mêmes mutations que vous, ayant réalisé des bénéfices importants, portant des projets innovants, a annoncé vouloir créer des emplois. Comment expliquez-vous que Carrefour envisage à l'inverse des suppressions d'emploi ? Quelle est votre vision sociale, au-delà de 2018, pour Carrefour ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je terminerai par une question personnelle. L'organisation de Carrefour est, à ma connaissance, extrêmement centralisée, qu'il s'agisse de la puissance de la centrale d'achat, du siège social, du choix des gammes. Les négociations avec le monde de l'agriculture ainsi que les produits locaux n'apportent-ils pas une certaine liberté aux magasins par rapport au pouvoir centralisé ? Cette question m'intéresse beaucoup, en écho avec l'organisation de nos territoires.

M. Laurent Vallée. - Je m'efforcerai de répondre par blocs à vos questions. Sur la question sociale, tout d'abord, le plan de suppression d'emplois de 2 400 personnes concerne exclusivement le siège de Carrefour, groupe qui compte plus de 100 000 salariés en France. Les frais du siège et la lourdeur de son fonctionnement sont devenus difficilement soutenables. Il s'agit exclusivement d'un plan de départs volontaires, sans aucun départ contraint. Dans une société cotée, vous ne pouvez pas entrer dans le détail d'un plan avant que le marché en prenne connaissance. Une négociation sociale s'instaure maintenant. Les syndicats ont été reçus par la nouvelle direction, le diagnostic leur a été donné et ils savaient que des choix seraient opérés.

Les magasins Dia ont effectivement été une erreur stratégique. Carrefour a investi des centaines de millions d'euros ces trois dernières années, dans des formats qui n'étaient pas adaptés aux zones de chalandise, et y renonce aujourd'hui. Ce sont 2 100 personnes, 273 magasins concernés. La priorité est de trouver des repreneurs. Par ailleurs, les reclassements individualisés seront privilégiés pour l'ensemble de ces salariés.

Enfin, je me borne à répéter les propos du président de Carrefour : il n'y a pas de plan caché en dehors des deux éléments que je viens d'indiquer.

M. Martial Bourquin. - Qu'en est-il de la mise en franchise de certains magasins ?

M. Laurent Vallée. - Seuls cinq hypermarchés seront mis en location-gérance. Aucun des quelque 240 hypermarchés ne sera fermé, alors que beaucoup perdent de l'argent.

M. Martial Bourquin. - Le changement de statut pour les salariés se traduirait par une perte de 2 000 euros par an, nous a-t-on dit.

M. Laurent Vallee. - Je n'ai pas ces informations en tête. Sur le parc total de 4 500 magasins, cette annonce est mesurée. La réduction de la surface ne s'accompagne pas d'une réduction d'effectifs. Je souhaite préciser que Carrefour recrute annuellement en France entre 25 000 et 30 000 personnes, et 10 000 CDI par an.

La question de l'automatisation dans la grande distribution nous est souvent posée. Sans vouloir prédire l'avenir, à côté des caisses automatiques, le consommateur voudra également des services, des personnes à qui parler. Ces évolutions appelleront nécessairement des formations.

J'en viens à la question du « e-commerce », madame la présidente. Le partenariat avec La Poste est lié à l'attente des clients, qui souhaitent être livrés à domicile, venir chercher des commandes en magasin. Carrefour renonce à tout faire tout seul, c'est aussi l'un des éléments du plan de transformation. Il va de soi que nous étendrons le système, s'il fonctionne, le plus rapidement possible sur le territoire.

Nous disposons aujourd'hui de quatorze sites internet et de huit applications, si ma mémoire est bonne. Carrefour ambitionne de créer un seul site marchand. Toute la distribution généraliste sera donc regroupée sous la marque Carrefour, même si d'autres marques seront probablement conservées sur certains éléments spécialisés.

Un bloc se dessine autour des produits, des états généraux de l'alimentation, des comportements de la grande distribution pendant les négociations et du lien avec la législation. Je n'ai certainement pas voulu dire qu'il fallait supprimer toute législation, mais simplement que c'était une interrogation inhérente à de nombreuses études. Aucun distributeur ou fournisseur, en dépit des sanctions associées, ne soutient cela. J'ai d'ailleurs indiqué que les dispositions législatives envisagées étaient soutenues par l'ensemble du secteur.

Vous avez évoqué les mauvaises pratiques, monsieur le sénateur, et aucun distributeur n'a échappé à des sanctions ces dernières années. Honnêtement, ces derniers ont fait des efforts par rapport aux pratiques en vigueur dans le passé. Le groupe Carrefour a d'ailleurs reçu un prix l'an dernier pour son comportement dans les négociations responsables.

M. Michel Raison. - Moins méchant que Leclerc !

M. Laurent Vallée. - Certains fournisseurs ont des capacités de négociation. Je ne dis pas que la grande distribution est parfaite. L'intervention publique est légitime, mais le débat qui s'instaure à chaque période de négociations permet de souligner la nécessité de comportements responsables. C'est ce que le groupe Carrefour tente de faire.

Vous m'avez interrogé sur les produits haut de gamme, l'articulation entre le conventionnel et le bio. La part du bio est relativement mineure pour le groupe, avec un chiffre d'affaires de 1,3 milliard d'euros, que nous ambitionnons de porter à 5 milliards d'euros. Carrefour ne prétend pas que le bio est par nature de plus grande qualité que les autres produits, mais les comportements de consommation évoluent en ce sens. Cela pose des questions de reconversion des exploitations agricoles, d'approvisionnement pour l'ensemble des agriculteurs. La grande distribution a sans doute perdu le pouvoir de prescription qu'elle a pu avoir par le passé. Le consommateur a maintenant la capacité de comparer les prix, les services. La grande distribution est également soumise, indépendamment de la compétitivité, à des exigences de prix extrêmement élevées de la part des pouvoirs publics, qui souhaitent contrôler l'inflation, et de nos concitoyens, qui veulent les meilleurs prix. La conciliation de ces exigences d'un point de vue macroéconomique n'est pas toujours évidente. En tout cas, il est certain que les exigences sont de plus en plus fortes en matière de qualité, de traçabilité, de caractère local des produits. L'élévation des gammes est un enjeu des années à venir, pour répondre aux attentes des consommateurs.

-Présidence de M. Alain Chatillon, vice-président-

M. Laurent Vallée. - Une question m'a été posée sur les services financiers et bancaires. Ceux-ci sont assez anciens et soumis aux exigences réglementaires. Carrefour ne se transforme pas pour autant en banque. Les services financiers sont l'un des éléments de services associés, mais ne font nullement l'objet d'une mutation profonde sous la pression d'actionnaires. Ce n'est pas notre coeur de métier. L'offre digitale se développe, parce que le monde bancaire se digitalise.

Pour répondre à la présidente Sophie Primas, le groupe Carrefour n'est pas un groupe d'indépendants. La question de la centralisation ou de la décentralisation de la gestion et du management fait l'objet de débats infinis... Pour prendre un exemple, vingt-sept étapes sont nécessaires pour valider un catalogue. Il est probable que les magasins souffrent de cette complexité et ont besoin de plus de souplesse et de réactivité en la matière.

Les dividendes sont décidés par l'assemblée générale des actionnaires de Carrefour, sur proposition du conseil d'administration. Ni moi ni le management ne sommes décisionnaires en matière de politique de dividendes.

En ce qui concerne le montant du CICE pour 2017, je reviendrai vers vous, si vous le souhaitez, pour vous le communiquer.

À l'international, Carrefour est présent dans dix pays de façon intégrée - Argentine, Brésil, Chine, Taïwan et six pays européens - où il opère lui- même, mais également dans vingt-trois pays avec des partenaires franchisés auxquels il offre l'exclusivité. Le plan a vocation à être décliné sur tous les territoires et aucun désengagement de la part du groupe Carrefour n'est prévu dans ces pays. D'éventuels développements internationaux ne sont pas non plus annoncés. Des partenariats locaux ont eu lieu, en Chine notamment. Il est certain que Carrefour a la volonté de demeurer un groupe français qui continue d'avoir une activité à l'international.

M. Alain Chatillon, président. - Je vous adresse à mon tour deux questions. Comment le poids de la marque Carrefour évoluera-t-il dans les années à venir dans votre offre de produits ? Vous parlez de développement à l'international, cela signifie-t-il également l'ouverture du capital ? Nous sommes en effet attachés à ce que le capital reste majoritairement français.

M. Laurent Vallée. - Le groupe Carrefour est coté en bourse et nous ne maîtrisons pas la nationalité des actionnaires. Si votre question résonne avec le partenariat que notre filiale en Chine est en train de finaliser avec Tencent et Yonghui, ce choix a été fait parce qu'il semblait producteur de valeurs et de compétences. Il n'y a pas d'autres projets de ce type pour l'instant.

S'agissant du poids de la marque de distributeur Carrefour, l'objectif ambitieux d'un tiers du chiffre d'affaires a été annoncé dans le plan, sachant qu'il est d'environ 23 % aujourd'hui.

M. Alain Chatillon, président. - Notre volonté étant que ces produits soient d'identité française.

M. Laurent Vallée. - C'est le cas pour Carrefour.

M. Alain Chatillon, président. - Monsieur le secrétaire général, nous vous remercions et vous souhaitons une belle réussite.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 5.