Lundi 6 avril 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La téléconférence est ouverte à 11 h 05.

Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances (en téléconférence)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous nous réunissons aujourd'hui dans des conditions particulières. C'est la première fois que nous auditionnons un ministre en visioconférence.

La crise que nous traversons est d'abord une crise sanitaire. Nos pensées vont à nos compatriotes victimes du Covid-19 et aux personnels médicaux qui se battent au quotidien. C'est aussi une crise économique. Nous pressentons les effets qu'elle aura dans l'avenir. Vous l'avez d'ailleurs comparée à la crise de 1929, monsieur le ministre. On prévoit une diminution de l'activité autour de 50 % pour ce mois, et une récession majeure sur l'année : certains économistes tablent sur 3 % ; d'autres, plus pessimistes, sur 10 %.

Au-delà des chiffres, jamais depuis 1944 la politique économique n'a été confrontée à de telles incertitudes, qu'il s'agisse de la durée de crise, de sa résorption à l'échelon mondial, des effets économiques de long terme, de la reprise ou du déconfinement. Les chefs d'entreprise et les salariés attendent du Gouvernement une traduction concrète de la promesse présidentielle qu'« aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite ». L'exécutif, après l'habilitation du Parlement, a réagi et a mis en place de nombreuses mesures de soutien. À titre d'exemple, en huit jours, 20 milliards d'euros de prêts garantis par l'État ont été demandés par plus de 100 000 entreprises. C'est dire l'ampleur du besoin, donc de la crise.

Nous voulons assurer et renforcer l'efficacité des dispositifs de soutien. Cela implique la mobilisation de tous, à commencer par le Gouvernement et le Parlement. La commission des affaires économiques a mis en place un ensemble de cellules de veille et de suivi par secteur, afin d'effectuer un travail d'évaluation, de contrôle et d'anticipation. L'objectif est de pouvoir bénéficier de remontées directes du terrain et, le cas échéant, de vous proposer des solutions concrètes et applicables rapidement, au service de nos concitoyens.

Les mesures de soutien, par ailleurs bienvenues, sont parfois appliquées de façon hétérogène selon les territoires, voire se révèlent inadaptées à la diversité des situations de nos entreprises. Il y a un risque de « trous dans la raquette », c'est-à-dire d'oubli de situations particulières.

Par ailleurs, il nous faut anticiper la suite, c'est-à-dire, d'une part, la stratégie de sortie de crise et, d'autre part, la stratégie de long terme nécessaire pour tirer les leçons de cet épisode, notamment en termes de souveraineté industrielle et alimentaire. Vous connaissez l'intérêt de notre commission pour ces sujets. C'est dans cette logique partenariale et collaborative que nous souhaitons travailler, car nous partageons bien évidemment tous le même objectif : aider notre pays à traverser cette crise, puis à s'en relever.

Monsieur le ministre, je vous donne la parole, puis je laisserai nos collègues sénateurs chargés de piloter les différentes cellules sectorielles de suivi vous poser leurs questions. Tous les membres de la commission pourront ensuite vous interroger.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. - Cette audition est bienvenue : il me semble indispensable que, même en période de crise sanitaire et économique, la démocratie continue de fonctionner et le contrôle du Parlement puisse s'exercer.

Depuis le premier jour, je n'ai jamais caché que cette crise économique serait violente, globale et durable. Je l'ai comparée à la grande récession de 1929. Vous voyez tous dans vos territoires combien l'économie réelle est touchée. Des entrepreneurs, commerçants et professions libérales n'ont plus un euro de recettes. J'ai parlé de -1 % la semaine dernière en indiquant que ce chiffre serait révisé. Depuis 1945, la plus mauvaise année pour l'économie française a été 2009, après la grande crise de 2008 : -2,2 % de croissance. Nous serons très vraisemblablement au-delà. C'est dire l'ampleur du choc économique.

Nous avons réagi vite et fort. Dès le 6 mars, j'ai proposé au Président de la République un plan d'urgence économique pour apporter des réponses à tous ceux qui étaient touchés par la crise. Nous avons fait des choix stratégiques et économiques novateurs.

Le premier a été un dispositif de chômage partiel, le plus généreux en Europe, qui couvre tous les salariés jusqu'à 4,5 fois le SMIC. Il concerne déjà 5 millions de salariés, pour 11 milliards d'euros. L'objectif stratégique, fidèle au modèle français, est de préserver les compétences et les formations, pour nous permettre de redémarrer le plus vite possible en évitant les licenciements de masse. Aux États-Unis, en dix jours, il y a eu 10 millions de chômeurs en plus.

Le deuxième choix a été de soutenir la trésorerie des entreprises. D'abord, toutes les charges sociales et fiscales sont reportées pour les entreprises qui le souhaitent ; le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, vient d'annoncer le report de l'échéance de début avril. Ensuite, un fonds de solidarité a été institué pour les petites entreprises de moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires et de moins de dix salariés ; la Direction générale des finances publiques (DGFiP) verse une aide de 1 500 euros à toutes les entreprises de ce champ fermées par arrêté ministériel ou ayant connu une baisse de chiffre d'affaires de 50 % entre mars 2019 et mars 2020. Ce fonds recueille une adhésion massive : plus de 500 000 entreprises y ont déjà fait appel. L'engagement budgétaire est de 1,7 milliard d'euros par mois ; le dispositif sera reconduit au mois d'avril. Enfin, des prêts sont garantis par l'État jusqu'à 300 milliards d'euros ; 100 000 entreprises y ont déjà fait appel, pour un montant total de 20 milliards d'euros. Ces dispositifs ont le mérite de la puissance et de la simplicité.

Le troisième choix est de protéger nos entreprises stratégiques. Nous sommes prêts à utiliser tous les moyens à notre disposition : montée au capital, recapitalisation, voire, en dernier recours, nationalisation. Il ne s'agit pas de revenir sur notre conception du rôle de l'État dans l'économie. S'il y a des nationalisations, elles devront être temporaires. L'État n'a pas vocation à administrer l'économie. Je crois à la cohérence de notre politique économique.

Le quatrième choix est celui de la réponse européenne. L'une de mes préoccupations concerne la capacité de l'Union européenne, notamment de la zone euro, à faire face à cette crise globale. Le grand risque est que les pays qui se portaient le mieux auparavant puissent mobiliser des sommes astronomiques pour protéger et relancer leur économie, redémarrant ainsi très rapidement en sortie de crise quand d'autres pays très endettés n'en auraient pas la capacité, avec à la clé un accroissement des divergences entre les États. Or une zone monétaire commune ne pourra pas supporter des écarts économiques croissants entre ses membres. Derrière l'enjeu immédiat, protéger et relancer notre économie, il y a donc un enjeu de moyen terme : consolider la zone euro, que de trop fortes divergences économiques feraient exploser. Nous travaillons sur un certain nombre de propositions.

Des décisions ont déjà été prises. Je salue le choix de la Banque centrale européenne (BCE) d'engager un programme de rachats d'actifs de 750 milliards d'euros. L'escape clause, c'est-à-dire la clause qui délivre de toutes les obligations du pacte de stabilité et de croissance, a été activée ; nous pouvons ainsi dépenser de l'argent public aujourd'hui sans être rattrapés par la patrouille demain. La suspension des règles en matière d'aides d'État, qui sont inopportunes en temps de crise, nous permettra d'aider des industries stratégiques.

D'autres mesures restant à prendre devraient être décidées très prochainement. D'abord, l'utilisation du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui dispose de 450 milliards d'euros, devrait permettre aux États de faire face à des dépenses immédiates. Ensuite, la Banque européenne d'investissement doit pouvoir faire des prêts aux entreprises. Enfin, la présidente de la Commission européenne a annoncé la création d'un mécanisme d'assurance chômage, pour un montant de 100 milliards d'euros.

Au regard de l'ampleur de la crise, tout cela ne suffira pas ; Thierry Breton, Paolo Gentiloni et un certain nombre d'économistes le disent également. Il faut donc prévoir un fonds d'investissement ou de solidarité permettant de financer toutes les dépenses post-crise. Un tel fonds pourrait financer des services publics, en particulier l'hôpital, qui devra être reconstruit partout en Europe et faire l'objet d'investissements massifs. Nous aurons besoin d'investissements publics pour soutenir des filières dans un état catastrophique, comme l'industrie automobile, l'aéronautique, le transport aérien ou le tourisme. Il faut aussi continuer à investir dans les nouvelles technologies et la recherche. En temps de crise, ce sont les premières dépenses sacrifiées, ce qui fait prendre un retard considérable. Le développement de la fibre risque de ne pas être jugé prioritaire. Or, stratégiquement et économiquement, il l'est.

La Commission européenne ferait un emprunt de plusieurs centaines de milliards d'euros, à des taux d'intérêt évidemment plus bas que si chaque état négociait le sien. La durée serait limitée, de cinq à dix ans. Seules les dépenses d'investissement seraient financées. Ce n'est donc pas la reprise de l'idée des eurobonds, qui a déjà cinq ou dix ans. C'est l'idée nouvelle, forte et nécessaire d'un plan d'investissement massif post-crise sous forme d'un fonds de solidarité mutualisant les dépenses d'investissement. C'est le seul instrument à la hauteur de la crise actuelle. Je me battrai pour qu'il puisse être étudié dans les prochains jours.

Soyons aussi attentifs à la situation des pays en développement. Le coronavirus risque d'avoir des répercussions très fortes en Afrique. Il est donc impératif de soutenir ces pays, en particulier sur le continent africain.

Cette crise d'une gravité n'ayant de comparaison qu'avec la grande récession de 1929 appelle des réponses fortes, nouvelles, massives à l'échelon national ; nous l'avons fait, et nous continuerons. Elle appelle aussi une solidarité de la part de l'Union européenne, pour aujourd'hui comme pour demain ; nous nous battrons pour cela.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci de ces propos liminaires, monsieur le ministre. Nous entamons notre série de questions avec celles de nos collègues chargés de piloter la cellule sectorielle de suivi consacrée au commerce, aux PME et à l'artisanat.

M. Serge Babary. - Le fonds de solidarité est évidemment bienvenu, mais il faut l'affiner. Le mois de mars 2019, choisi comme période de référence, a été catastrophique pour le commerce, du fait des violences commises en marge du mouvement des « gilets jaunes ». Pourquoi ne pas se baser sur le chiffre d'affaires mensuel moyen au cours de l'année 2019 ? Pouvez-vous nous indiquer le délai moyen de traitement des demandes ? Comment un entrepreneur peut-il avoir la certitude que sa demande a bien été enregistrée ?

Les soldes doivent commencer le 24 juin. Il est absolument vital pour les commerçants de pouvoir reconstituer leur trésorerie. Or nous pouvons légitimement tabler sur un rebond de la consommation post-crise. Il serait donc intéressant de repousser la date des soldes à la fin du mois d'août.

Mme Anne Chain-Larché. - L'indemnisation du chômage partiel est fondée sur une durée hebdomadaire de travail de 35 heures. Mais la saisonnalité de certaines activités impose des dérogations. Je propose d'affiner le dispositif pour tenir compte de ces situations sectorielles en augmentant le plafond d'heures indemnisées ou en prenant en compte le salaire moyen annuel augmenté, le cas échéant, des indemnités de déplacement et de repas.

Les librairies, les jardineries qui ne vendent pas d'alimentation animale, les magasins de fleurs et les quincailleries sont obligés de fermer, car jugés non essentiels. Mais les grandes surfaces autorisées à ouvrir du fait de leur activité alimentaire continuent à vendre les mêmes produits. Il y a donc un vrai problème de concurrence. L'État pourrait-il faire réfléchir ces grandes enseignes pour contribuer à l'effort de solidarité nationale ?

Les entreprises de BTP sont aujourd'hui confrontées à l'arrêt de la commande publique : le report des élections municipales empêche les exécutifs locaux de lancer des appels d'offres. Tout un pan de l'économie est donc au point mort. Or ce secteur est constitué de nombreuses PME artisanales. Ce sont les premières à en souffrir. Qu'est-il prévu pour elles ?

M. Fabien Gay. - Les entreprises ont besoin d'une parole politique claire. Le report des charges concerne non pas les entreprises « qui le souhaitent », mais celles qui démontrent qu'elles sont en difficulté. Nos PME payent leurs charges et cotisations. Ce système va assécher leur trésorerie et les mettre en difficulté lorsque l'économie repartira. Pourquoi ne pas appliquer le report des charges et cotisations à toutes les entreprises ?

Les travailleurs indépendants et ceux des plateformes numériques n'entrent aujourd'hui dans aucun dispositif. Que faisons-nous pour que ces milliers de travailleurs, dont 8 000 VTC en Seine-Saint-Denis, puissent accéder à une protection sociale et à un revenu ?

Les activités économiques non essentielles à la sécurité et à la sûreté de notre pays doivent-elles continuer ? Est-il souhaitable que les salariés d'IKEA reprennent le travail le 18 avril alors que le Gouvernement a, à juste titre, décidé le confinement, qui sera d'ailleurs vraisemblablement prolongé ? Peut-on garantir à ces salariés qu'ils auront des masques dans les prochaines semaines, sachant que les personnels soignants sont prioritaires ? Quid de la responsabilité pénale des entrepreneurs qui vont reprendre leur activité ?

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. - La démarche que vous avez mise en place pour l'accès aux prêts bancaires semble aisée, sauf pour les entreprises qui avaient une trésorerie fragile avant la crise. On leur refuse les prêts, et elles risquent de disparaître. Pourquoi ne pas aider, là aussi, les plus fragiles ?

Votre plan de soutien présente quelques trous. Pensez-vous intégrer les commerçants, artisans et indépendants ayant choisi le statut juridique des sociétés par actions simplifiées (SAS) ou des sociétés par actions simplifiées unipersonnelles (SASU), qui en sont exclus ?

Qu'est-il prévu pour les nombreuses entreprises qui rencontrent des problèmes liés aux délais de paiement ? D'ailleurs, l'État respecte-t-il toujours ces délais ?

Comptez-vous solliciter les entreprises françaises du textile, de l'industrie pharmaceutique ou de la chimie, qui ont un grand savoir-faire, pour constituer le fameux stock stratégique sanitaire dont nous avons tant besoin aujourd'hui ?

M. Bruno Le Maire. - Le fonds de solidarité que nous avons mis en place voilà une quinzaine de jours fonctionne remarquablement bien. Nous sommes en train de faire remonter les critiques. Nous examinerons comment améliorer le dispositif pour en proposer une nouvelle version en fin de semaine. Je suis prêt à étendre la période de référence pour l'examen du chiffre d'affaires, afin que personne ne soit pénalisé et qu'un grand nombre d'entrepreneurs puisse être éligible. Le délai moyen de traitement est de trois jours entre la demande et le paiement ; difficile de faire plus rapide. Nous avons engagé la réflexion sur le maintien ou non de la date des soldes d'été. Il est trop tôt pour prendre une décision. Cela dépendra de la date de déconfinement, de ses modalités et des règles qui s'appliqueront aux clients. Je n'exclus pas le report de cette date.

Je transmettrai la question de Mme Chain-Larché sur l'augmentation du plafond du nombre d'heures indemnisées à Mme Pénicaud. La grande distribution a parfaitement joué le jeu en cette période de crise. Ses salariés ont été exemplaires. Sans eux, nous ne pourrions pas nous alimenter. J'ai pris la décision de laisser aux grandes surfaces la liberté de choisir les rayons restant ouverts ; du fait de la forte baisse du nombre de salariés présents, il s'agit principalement des rayons alimentaires. Les rayons jardinerie sont aussi ouverts, car on y trouve de la nourriture pour animaux. Contrairement à une idée reçue, les chiffres d'affaires sont aujourd'hui en forte baisse dans la grande distribution. Nous avons défini un guide de bonnes pratiques s'agissant du BTP ; quasiment tous les chantiers sont aujourd'hui à l'arrêt. Ce secteur fait partie de ceux qui seront prioritaires en sortie de crise.

Le report des charges fiscales et sociales est automatique pour les petites PME et les TPE ; toutes celles qui le souhaitent l'obtiennent automatiquement. En revanche, au-dessus de cinquante salariés, il faut un justificatif, et le report n'est pas automatique. Cela a permis d'éviter des comportements abusifs. Les annulations de charges fiscales et sociales sont une possibilité, beaucoup de petits entrepreneurs les réclament. Ce sera instruit au cas par cas. Nous y serons ouverts dans les secteurs les plus fortement touchés par la crise et pour lesquels le redémarrage sera long. Les plateformes numériques sont éligibles au fonds de solidarité. J'ai examiné de très près la question des activités économiques non essentielles. Nous avons fait le choix de garantir un service économique minimum dans toutes les activités qui ne sont pas obligées de fermer aujourd'hui. Il est difficile de définir ce qui est stratégique et ce qui ne l'est pas : des entreprises du plastique peuvent être stratégiques si elles produisent les opercules des briques de lait. La réalité est cruelle : l'industrie ne tourne qu'à 50 %. Certains secteurs industriels sont fermés à 80 % ou 90 %, et certaines activités de service à 100 %. IKEA fait partie du champ de l'arrêté du 15 mars, qui prévoit qu'un certain nombre d'activités commerciales sont fermées. L'arrêté sera reconduit, et il est probable que l'activité d'IKEA reste interdite jusqu'à la fin du confinement. La responsabilité des entrepreneurs est d'ouvrir un dialogue social, pour discuter avec les salariés des conditions de travail ; c'est une obligation de moyens, pas de résultat. Personne ne peut établir si un salarié atteint du coronavirus a été contaminé sur son lieu de travail ou ailleurs.

Les entreprises déjà fragiles avant la crise ont effectivement un problème pour accéder aux prêts bancaires. Faisons en sorte que l'argent public aille vers ceux qui en ont vraiment besoin et qu'il y ait le moins d'effets d'aubaine possible. Lorsque l'entreprise fait faillite, c'est une perte sèche pour l'État qui a garanti 70 %, 80 % ou 90 % des sommes prêtées. En intégrant dans le dispositif toutes les entreprises qui étaient en difficulté de trésorerie avant la crise sanitaire, nous nous retrouverions avec des milliards d'euros de dépenses publiques non justifiées. La situation des entreprises sera examinée et traitée, mais au cas par cas et sans automaticité. Les SAS sont éligibles au fonds de solidarité et aux prêts garantis par l'État. Devant la recrudescence des difficultés, j'ai mis en place une cellule pour veiller à ce que les délais de paiement soient respectés. Une grande entreprise qui ne les respecterait pas se verrait refuser la garantie de l'État pour un nouvel emprunt.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous passons maintenant aux questions relatives au secteur du tourisme.

M. Michel Raison. - Je souhaite tout d'abord obtenir une précision sur les prêts consentis au secteur hôtelier. Dans le cas d'une holding regroupant plusieurs hôtels, dont certains continuent à fonctionner, et d'autres non, Bpifrance ne pourrait-elle pas accorder le prêt à la structure globale, plutôt qu'à chaque société individuellement ?

Il semble par ailleurs que les banques facturent des frais un peu élevés sur les reports d'échéance.

Les acteurs non professionnels du tourisme, ou ceux qui exercent sous la forme d'une entreprise en nom propre, sont-ils concernés par les dispositions de l'ordonnance du 25 mars ? Ont-ils la possibilité de transformer en avoirs les sommes déjà versées pour la réservation de séjours ? Je précise que souvent, dans les communes touristiques, ces acteurs sont des petits commerçants qui complètent leurs revenus par des hébergements touristiques. En outre, ces acteurs ne savent souvent pas comment utiliser le fonds de solidarité.

Enfin, les gros offices de tourisme constitués sous forme d'EPIC sont apparemment traités différemment selon les régions au regard de l'acceptation du chômage partiel. Comment l'expliquez-vous ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Depuis le début de l'épidémie, l'État a investi des milliards d'euros de fonds publics pour permettre aux entreprises de faire face aux conséquences économiques de cette crise sans précédent.

Il me semble important d'associer également les compagnies d'assurance à l'effort. Toutefois, dans la majorité des cas, en l'absence de dommages, les contrats ne couvrent pas les pertes d'exploitation. C'est une expérience que nous avons déjà vécue avec les mouvements sociaux des « gilets jaunes ».

Il existe dès lors deux possibilités pour les entreprises d'être indemnisées par leur assureur : obtenir l'extension de l'état de catastrophe naturelle aux catastrophes sanitaires ou avoir fait l'objet d'une fermeture administrative. C'est le cas actuellement des bars et des restaurants, mais pas des hôtels. Rien ne justifie une telle différence de traitement : ce sont tous des établissements accueillant du public, non indispensables à la continuité de la vie de la Nation, constituant des lieux de rassemblement clos favorisant la propagation du virus. Et l'hôtellerie subit une fermeture de fait, par manque de personnel et par manque de clientèle. Il faudrait donc étendre la fermeture administrative aux hôtels, la plupart ne pouvant plus fonctionner faute de personnel et de clients. Nos voisins espagnols ou grecs l'ont fait.

Une telle extension de la fermeture administrative vous semble-t-elle envisageable ? Plus largement, comment comptez-vous aider ce secteur ? Dans l'hôtellerie, un chiffre d'affaires perdu ne peut être récupéré.

Mme Viviane Artigalas. - Le secteur du tourisme est dans une situation catastrophique. Jean-Baptiste Lemoyne évalue ses pertes à 40 milliards d'euros. En Occitanie, il représente 10,3 % du PIB régional et 100 000 emplois. Mon département des Hautes-Pyrénées est particulièrement impacté.

Vous avez confirmé que ce secteur aurait besoin d'un plan de soutien spécifique, monsieur le ministre. Ne pourrait-on pas d'ores et déjà mobiliser le fonds Tourisme Social Investissement de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour aider les entreprises du secteur à passer le cap ?

Seriez-vous également favorable à la mise en place de dispositifs spécifiques d'aide aux vacances pour les familles en difficulté ? Ce serait bénéfique après un long confinement et cela contribuerait à la relance du secteur.

Enfin, de nombreux acteurs du tourisme font état d'un décalage important de trésorerie entre le versement du chômage partiel à leurs salariés et leur remboursement par l'État. Il faudrait accélérer les délais de paiement et autoriser les demandes anticipées d'allocations par les employeurs.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Les groupes hôteliers rencontrant les problèmes évoqués par Michel Raison doivent contacter Bpifrance. En cas de problème, ils peuvent s'adresser au médiateur du crédit.

Je vous confirme que les banques n'appliquent pas de pénalités sur les reports d'échéances. En revanche, des intérêts, très faibles, continuent de courir, ce qui est légitime.

S'agissant du tourisme, la possibilité de rembourser les séjours sous forme de bons s'applique aux particuliers comme aux professionnels.

Madame Renaud-Garabedian, la compensation des pertes d'exploitation pour catastrophe sanitaire n'a jamais été prévue, en effet. Les assureurs savent que nous attendons d'eux une mobilisation encore plus forte. Le président d'Axa s'est montré ouvert à l'ouverture d'une réflexion en la matière. Je souhaite que l'on puisse rapidement définir un dispositif de catastrophe sanitaire qui pourrait être couvert par les assureurs, mais il ne vaudrait que pour l'avenir, bien évidemment.

Enfin, l'obligation de fermeture par arrêté ne change rien au régime assurantiel. En revanche, cette fermeture administrative rend les entreprises automatiquement éligibles au fonds de solidarité.

Madame Artigalas, l'utilisation du fonds Tourisme de la CDC est une très bonne idée et je vais la relayer auprès de son directeur général.

Enfin, s'agissant des délais de paiement du chômage partiel, nous essayons d'améliorer le dispositif en permanence. Nous visons un paiement sous dix jours, ce qui est déjà très rapide en raison du nombre de demandes et de la complexité du système.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous passons à présent à des questions sur l'industrie.

M. Alain Chatillon. - Les industriels commencent à préparer leurs usines à la reprise de la production. C'est le cas notamment des constructeurs automobiles et aéronautiques. En général, les salariés sont volontaires et l'approvisionnement présent, mais le manque d'informations sur les procédures sanitaires et les mesures de prévention à mettre en oeuvre constitue un obstacle, par exemple dans le secteur du bâtiment. Comment accompagnez-vous les entreprises en la matière ?

J'insiste sur l'impact très lourd de cette crise pour le secteur aéronautique français. À moyen terme, Airbus risque d'être confronté à des annulations de commandes. Préparez-vous des mesures de soutien à l'industrie aéronautique, y compris les sous-traitants, comme le font déjà les États-Unis ou la Chine ? Cette filière exceptionnelle génère plus de 200 000 emplois directs dans nos territoires. Comment pouvons-nous l'accompagner ?

L'idée d'un fonds de reconversion industrielle, évoquée par Thierry Breton, nous semble également très intéressante.

Enfin, dès que cette crise sera terminée, nous devrons mieux accompagner nos agriculteurs et transformateurs en appliquant strictement à tous les produits importés les normes françaises.

M. Martial Bourquin. - La pénurie de masques est d'une ampleur impressionnante, celle des médicaments et des tests également. Les stocks sont limités et la demande mondiale exponentielle. Plus de 80 % de nos médicaments sont fabriqués en Inde ou en Chine. Êtes-vous prêt à opérer les réquisitions nécessaires pour fabriquer de nouveau en France ces produits, ce que nous avions cessé de faire dans un accès de néolibéralisme aigu ? Je pense notamment à l'entreprise Luxfer, ou à Sanofi. Dans une économie de guerre, l'industrie doit s'adapter !

Les assurances doivent davantage participer à la gestion de la crise du Covid-19. Il faut déclarer un état de catastrophe sanitaire au regard des pertes de nos petites entreprises. Pour certaines d'entre elles, nous devons aborder la question des annulations de charges, au-delà du simple report.

J'ai lu votre position sur les dividendes avec intérêt, monsieur le ministre. Il serait scandaleux qu'ils soient versés. On ne peut pas à la fois distribuer des dividendes et solliciter des aides d'État.

Notre économie est actuellement en hibernation, mais aucune entreprise ne doit manquer à l'appel de la reprise. Il faudra pour cela respecter les délais de paiement, mais aussi prendre de grandes décisions. L'Allemagne va investir 750 milliards d'euros pour garder ses entreprises et ses services. Nous devons être à la hauteur de la situation.

Les chantiers doivent reprendre. Y aura-t-il des tests et des masques pour que les salariés soient en sécurité ? Tous les Français se posent ces questions. Si l'on ne réquisitionne pas chez nous, on risque d'avoir une nouvelle crise sanitaire !

Mme Valérie Létard. - De très nombreuses entreprises ne peuvent plus produire faute d'accès à la matière première ou aux pièces détachées nécessaires. Nous partageons votre appel à relocaliser l'industrie en France et en Europe. Mais il faut réagir rapidement à ces ruptures dans les chaînes d'approvisionnement, sous peine de condamner nos entreprises. Que faites-vous pour lever ces obstacles ? Aidez-vous les entreprises à identifier des sources alternatives de matières premières ?

Certaines entreprises nous indiquent par ailleurs que l'indemnisation du chômage partiel leur est refusée, car elles ne sont pas contraintes administrativement de fermer. Ne pourrait-on pas prévoir plutôt un contrôle a posteriori ?

Enfin, comme Martial Bourquin, j'estime que les sommes considérables déboursées par l'État français pour préserver le tissu industriel national ne peuvent bénéficier aux actionnaires. Aucune des grandes entreprises qui fera appel à l'État pour sa trésorerie ne devra verser de dividendes en 2020, et vous avez demandé aux autres de réduire d'au moins un tiers leurs dividendes. Certaines ont déjà annoncé qu'elles suivraient vos recommandations, mais pour d'autres, une simple invitation ne suffira sans doute pas. Cette règle conditionnera-t-elle également l'indemnisation du chômage partiel, le report de charges ou la garantie bancaire ? L'an dernier, les entreprises françaises cotées en bourse ont versé près de 50 milliards d'euros de dividendes, une somme à mettre en regard du coût supporté par les finances publiques pour surmonter la crise.

M. Bruno Le Maire, ministre. - L'automobile et l'aéronautique sont deux grandes filières industrielles absolument vitales pour notre pays.

Les entreprises du secteur de l'automobile ont vu leur chiffre d'affaires baisser de plus de 85 %, et le redémarrage sera long. En Chine, il ne s'effectue pas encore sur les biens de consommation durables. Il faudra donc un plan de soutien spécifique.

Il en va de même pour l'industrie aéronautique. Il faudra d'abord soutenir les compagnies aériennes, dont le chiffre d'affaires est actuellement nul, puis permettre à Airbus de poursuivre une activité minimale. Le stockage d'avions neufs coûte en effet très cher. Nous savons que cette filière aura besoin de soutien, et nous nous y préparons.

Monsieur Bourquin, s'agissant des médicaments, des tests et des masques, je vous confirme que notre objectif est de retrouver notre indépendance. Faisons preuve d'humilité et tirons les leçons de nos erreurs collectives. Voilà peu, des institutions respectées et respectables estimaient encore que stocker des masques en France était une ineptie budgétaire.

L'usine Luxfer, qui fabriquait des bouteilles d'aluminium pour le transport d'oxygène, est fermée depuis juin 2019, et sa réouverture immédiate ne permettrait pas de fournir des bouteilles dans les prochaines semaines. En revanche, si nous jugeons que cette production est stratégique pour notre système de soin, réfléchissons aux différentes options, à commencer par celle d'une reprise par un entrepreneur privé.

Nous examinerons l'option d'une annulation de charges pour un certain nombre d'entreprises dans les secteurs les plus touchés par la crise quand nous sortirons du confinement.

Sur les dividendes, nous avons posé des conditions obligatoires et émis des recommandations. Toute grande entreprise qui bénéficie du soutien de l'État pour sa trésorerie ou qui sollicite un report de charges sociales ou fiscales sera obligée de renoncer à ses dividendes. Si elle en verse quand même, elle devra rembourser ledit report avec intérêts. De même, toute entreprise de plus de 5 000 salariés se verra refuser un prêt garanti par l'État si jamais elle a versé des dividendes.

Enfin, nous recommandons aux grandes entreprises françaises de ne pas verser au moins un tiers des dividendes prévus afin de pouvoir faire face aux difficultés majeures qui s'annoncent pour 2020. Nous ferons le bilan en fin d'année. Ma conviction est que nous dépasserons les 30 % de baisse par rapport à 2019, car la situation économique l'exigera.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons à présent vous interroger sur le secteur des télécommunications et du numérique, monsieur le ministre.

Mme Anne-Catherine Loisier. - La situation que nous vivons aujourd'hui ravive malheureusement la fracture numérique. De très nombreux chantiers sont à l'arrêt. Alors même que la filière connait une explosion, nous risquons de prendre un retard important. Que répondez-vous aux entreprises qui souhaitent poursuivre les travaux dans des conditions sanitaires satisfaisantes ? Que dites-vous par ailleurs aux sous-traitants, qui connaissent des pertes importantes de chiffre d'affaires et qui risquent de ne pas obtenir de prêts ? Préconisez-vous un gel des contrats existants pendant la période de confinement pour les travaux qui ne peuvent se poursuivre ?

Pour les start-up, 80 millions d'euros ont été débloqués pour financer les ponts entre deux levées de fonds, mais certains acteurs préconisent une politique massive d'investissement en faveur de l'innovation par l'intermédiaire de Bpifrance, selon les recommandations du rapport Tibi. Qu'en pensez-vous ?

On constate aussi que certaines grandes entreprises, interprétant la notion de force majeure dans un sens favorable à leur trésorerie, ne paient plus leur licence aux éditeurs de logiciels. Comment comptez-vous répondre à ces abus ?

Enfin, il semblerait que le Gouvernement étudie une stratégie visant à utiliser les données numériques pour accompagner le déconfinement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Marc Daunis. - J'appuie la demande de ma collègue concernant le plan d'aides aux start-up, qui intéresse notamment celles de Sophia Antipolis.

Ma première question porte sur La Poste, entreprise publique, chargée d'une mission d'intérêt général. Sur les territoires, les décisions prises par La Poste ont pu être ressenties comme unilatérales, en raison notamment de l'insuffisance patente de consultation des élus. Certes, les contraintes de La Poste, notamment la protection due aux salariés, doivent être prises en compte, mais les choses auraient pu être mieux anticipées : il a fallu une mobilisation importante en faveur de la distribution de la presse pour que La Poste évolue, et des améliorations ont été apportées grâce aux interventions de notre commission. Vous êtes-vous assuré que les zones les plus fragiles, rurales ou urbaines, sont toujours desservies ?

Ma deuxième question porte sur la solidarité nécessaire des géants du numérique : on constate qu'ils sont moins atteints que les petits commerces, qui sont frappés de plein fouet. Envisagez-vous de les faire participer à l'effort collectif en leur faisant abonder le fonds de solidarité ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Madame Loisier, en ce qui concerne les chantiers à l'arrêt, je confirme que leur reprise est possible dans le cadre du protocole de sécurité sanitaire des salariés mis en place pour le bâtiment, qui s'applique aussi aux chantiers liés à la fibre ; quoi qu'il en soit il n'y a pas d'interdiction de reprise. S'agissant des start-up, 4 milliards d'euros ont été débloqués pour les soutenir, ainsi que Cédric O l'a annoncé. S'agissant d'une politique d'investissements massifs par Bpifrance, ce pourrait être un élément du plan de relance auquel nous travaillons, mais il est encore trop tôt pour communiquer des informations à ce sujet. S'agissant de l'utilisation des données, le ministre de l'intérieur et la ministre de la défense sont responsables de ce domaine ; vous savez que nous travaillons à des projets reposant sur la base du volontariat, mais je n'en dirai pas davantage, ces questions ne relevant pas de mon domaine de compétence.

Monsieur Daunis, je crois que le président de La Poste a fait amende honorable : des moyens seront engagés, notamment pour desservir les territoires les plus reculés ; la distribution sera également garantie cinq jours sur sept ; dès aujourd'hui, les bureaux sont ouverts pour le versement des prestations sociales. Les critiques qui sont remontées très vite à la direction de La Poste ont été prises en compte ; son président a reconnu la nécessité d'améliorer le dispositif et il l'a fait. Le rôle d'alerte des parlementaires a joué pleinement.

En ce qui concerne la contribution des géants du numérique, nous sommes toujours en négociation sur la taxation digitale au niveau international, reste à savoir si nous pourrons respecter le calendrier : une réunion importante du steering group devait avoir lieu à Berlin en juillet, pour progresser avec l'OCDE et les États-Unis. Nous tenons une solution solide, mais il faut acter ces progrès. J'espère que cela pourra être fait d'ici à la fin de l'année.

Mme Sophie Primas, présidente. - Espérons que M. Trump ne change pas d'idée !

Nous abordons les questions sur le logement.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Toutes les opérations de promotion immobilière sont au point mort, y compris la construction de logements sociaux en maîtrise d'ouvrage directe par les bailleurs sociaux, et le guide de bonnes pratiques, qui a été heureusement approuvé et publié, ne permettra pas de résoudre tous les problèmes : la capacité de redémarrage à court terme est quasi nulle, et le secteur du BTP est l'un des plus difficiles à redémarrer dans le temps. J'insiste donc sur les conséquences à moyen et à long terme pour toute la chaîne du logement, qui risque d'être bloquée longtemps, avec des objectifs de production qui ne seront pas atteints, alors que notre pays manque cruellement de logements. Nos concitoyens les plus modestes pâtiront de cette situation, parce qu'ils n'arriveront pas à trouver un logement en adéquation avec leurs besoins et leurs revenus.

S'agissant de l'activité partielle, certains secteurs ne savent pas à quoi s'en tenir, notamment le secteur HLM, où certains établissements emploient à la fois des fonctionnaires et des personnels sous statut privé : les fonctionnaires peuvent-ils bénéficier de l'activité partielle, comme cela semble être le cas chez Orange, Engie ou EDF ? Concernant les personnels à statut privé, la part Unedic restera-t-elle à la charge des employeurs ?

Par ailleurs, ma collègue Annie Guillemot aurait souhaité vous poser deux questions.

Concernant l'accès aux prêts garantis par l'État, il semble que le secteur bancaire soit réticent à assurer la trésorerie des agents immobiliers à hauteur de 50 000 à 60 000 euros. Comment pensez-vous assurer la bonne application des mesures annoncées sur l'ensemble du territoire ?

Concernant la compensation des pertes de chiffre d'affaires, certaines professions au mode de rémunération particulier, comme celle d'architecte, voudraient que soit pris en compte un autre critère que le chiffre d'affaires mensuel. Des réflexions sont-elles en cours sur ce sujet ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - S'agissant du BTP, nous avons fait le choix d'adopter un guide de bonnes pratiques sanitaires sur les chantiers. Il est très difficile de définir des règles communes, puisque les conditions sont très différentes d'un chantier à l'autre. Aujourd'hui, tout le secteur est à l'arrêt, il faut qu'il redémarre progressivement, dans des conditions de sécurité sanitaire maximale et nous nous y employons.

S'agissant de l'activité partielle dans le secteur HLM, je ne pense pas que les fonctionnaires soient éligibles à ce dispositif, mais je le vérifierai.

S'agissant des prêts garantis par l'État pour la trésorerie des agents immobiliers, nous allons saisir le médiateur du crédit pour voir si un dispositif spécifique doit être adopté. Je rappelle que les agents immobiliers, contrairement aux SCI, sont éligibles aux prêts garantis par l'État.

S'agissant des architectes, je suis là aussi ouvert à une éventuelle redéfinition de la période de référence. Cela répondra à la préoccupation de nombreuses autres professions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous passons aux questions sur le secteur de l'énergie.

M. Daniel Gremillet. - Quel est votre point de vue, monsieur le ministre, sur la crise pétrolière que nous traversons ? Depuis le début des mesures de confinement, la consommation d'essence et de gazole est inférieure de respectivement 70 et 85 % à la normale en France. Le secteur pétrolier fera-t-il l'objet d'un soutien spécifique de la part de l'État, par exemple en élargissant les critères d'éligibilité au fonds de solidarité pour les petites et moyennes entreprises intervenant dans la livraison ou la distribution de carburants ? Je pense notamment aux 2 000 stations-service du réseau routier secondaire, qui ferment les unes après les autres.

À combien évaluez-vous le manque à gagner dû à la crise pour la fiscalité énergétique, en particulier pour la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dans la mesure où le produit de cette taxe est affecté - à hauteur de 6 milliards d'euros - au financement des énergies renouvelables, à travers le compte d'affectation spéciale Transition énergétique ? Ce financement ne sera-t-il pas fragilisé ? Comment atteindre, dans ce contexte, l'objectif d'au moins 33 % d'énergies renouvelables dans la consommation d'énergie d'ici à 2030 ?

Mon collègue Daniel Dubois voulait vous interroger sur le secteur de la rénovation énergétique, très affecté par la crise. Le Président du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) évalue à 90 % le nombre de chantiers à l'arrêt. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour soutenir les opérations de rénovation énergétique, seules à même de nous permettre de réduire de 50 % la consommation d'énergie d'ici à 2050 ?

Ces questions liées à l'énergie soulèvent un véritable enjeu en termes de reconquête de parts de marché pour l'industrie de notre pays : nous aurons besoin dans les prochaines années d'une énergie propre et abordable en France pour y produire davantage.

M. Bruno Le Maire, ministre. - S'agissant de la crise pétrolière, le prix du baril s'est effondré : il est actuellement de 33 dollars mais il est descendu jusqu'à 20 dollars. Mon inquiétude porte moins sur l'avenir notre grande compagnie pétrolière nationale que sur l'impact de cette baisse sur de nombreuses entreprises aux États-Unis. Il nous faut être très attentifs à l'effet de la crise sanitaire sur l'économie américaine. Ce pays est la première puissance économique de la planète et l'un de nos partenaires commerciaux majeurs : si la crise sanitaire a un impact lourd sur l'économie et sur les banques américaines, cela aura aussi des conséquences pour la zone euro, et donc pour la France. Or de nombreux investisseurs américains ont investi dans le pétrole de schiste, dont la rentabilité n'est plus assurée quand le prix du baril de pétrole brut passe sous le seuil de 35 dollars. Si le prix du baril reste longtemps sous ce seuil, cela fragilise les sociétés d'exploitation et surtout le secteur bancaire ayant investi dans ces sociétés, avec un risque important d'effet systémique. Il faut veiller à éviter que la crise pétrolière ne se transforme en crise financière par l'intermédiaire de ces sociétés. Au-delà du choc immédiat sur l'économie réelle, j'ai toujours indiqué qu'il fallait faire très attention aux risques de réaction en chaîne, d'un secteur à un autre, d'une économie développée à une autre. Je suis très attentivement la situation américaine, parce que j'estime que le risque est réel pour les économies européennes et pour l'économie française en particulier.

S'agissant de la TICPE, les recettes destinées aux énergies renouvelables seront évidemment fragilisées. Il va de soi que le montant de ces recettes en 2020 ne sera pas équivalent à celui que nous avons connu ces dernières années. Nous devons réfléchir au dispositif à mettre en place au lendemain de la crise pour assurer le bon financement de la transition énergétique, à laquelle nous sommes profondément attachés, car celle-ci sera sans doute encore plus nécessaire qu'elle ne l'était auparavant.

Enfin, je plaide depuis des années pour la reconquête de parts de marché dans l'industrie. Cette crise ne va qu'accélérer la prise de conscience de la nécessité d'assurer notre indépendance en matière industrielle. Nous avions anticipé ce besoin, notamment dans le domaine des batteries électriques, en mettant en place, avec notre partenaire allemand, une filière de production européenne pour éviter de dépendre de la production chinoise ou sud-coréenne. Il faudra faire la même chose pour d'autres filières industrielles stratégiques. Cela prendra du temps et demandera des investissements mais cela me paraît tout à fait nécessaire.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous terminons ce tour d'horizon sectoriel par l'agriculture.

M. Laurent Duplomb. - Depuis deux ans, avec la crise des « gilets jaunes » et la crise du coronavirus, nous assistons à des événements sans précédent depuis des décennies. Nous devrions en tirer quelques enseignements.

Tout d'abord, la crise des « gilets jaunes » a montré que le niveau des prélèvements, sous quelque forme que ce soit - impôts, taxes, cotisations... - n'est plus tenable en France. Avec près de 45 % du PIB, nous avons plus qu'atteint la limite du supportable pour le contribuable.

La crise du coronavirus prouve que le fait d'avoir cherché, pendant des années, à externaliser sur d'autres continents la production de la plupart de nos biens de première nécessité par économie ou par manque de compétitivité nous rend très vulnérables, voire nous fait courir des risques insensés.

En résumé, à force de ne pas vouloir regarder les vrais problèmes de la France que sont les coûts beaucoup trop élevés de l'assistanat social et du train de vie de l'État, nous avons été amenés à rechercher des économies par millions d'euros sur l'hôpital, par exemple, ou à créer de nouvelles taxes, comme la taxe carbone, alors que les crises que ces recherches d'économies ont engendrées vont coûter des milliards d'euros.

Comment changer de politique, après cette crise, pour traiter les vrais problèmes de la France ? Les députés allemands viennent de voter un plan de relance de plus de 1 100 milliards d'euros, grâce à l'excédent budgétaire et à une dette publique deux fois moins importante que celle de la France. Comment allez-vous financer le plan de relance français ? Il y a pourtant un réel besoin dans de nombreuses filières agricoles, telles que l'horticulture, estimé entre 600 et 800 millions d'euros.

M. Franck Montaugé. - La résilience de notre économie sera fonction des mesures de soutien que le Gouvernement a prises et de l'efficacité des plans de relance qui seront engagés. Dans la phase actuelle de la crise, les déficits se creusent et notre dette publique s'accumule. À plus long terme, le besoin d'argent sera considérable. Les experts nous disent même que la monétisation par le rachat des dettes publiques et privées limite l'inflation et que la question du remboursement de ces nouvelles dettes ne se pose pas vraiment, à court ni même à moyen terme. On a l'impression d'être entré dans une ère nouvelle, où ce qui n'était pas possible avant la pandémie est désormais le remède, sans effet négatif pour quiconque.

À défaut d'une Union européenne solidaire sur le Mécanisme européen de stabilité, la BCE a installé depuis quelques années une politique monétaire très accommodante de quantitative easing. Que pensez-vous de ce scénario financier où tout est permis parce que c'est nécessaire ? Est-il adapté à la situation actuelle ?

Pour la France, la pandémie a révélé deux grandes faiblesses économiques : une souveraineté nationale faible dans beaucoup de secteurs stratégiques et une décomposition extrême des chaînes de valeur, qui présente quelques avantages et beaucoup d'inconvénients. En quoi la pandémie du coronavirus va-t-elle infléchir votre politique économique et fiscale ? Envisagez-vous une réflexion sur la nature même de la croissance ? Sa dimension qualitative ne doit-elle pas être beaucoup mieux prise en compte ? Avec sa proposition de fonds européen de reconversion industrielle, Thierry Breton semble aller en ce sens.

Enfin, quelles conséquences durables anticipez-vous pour la France en matière de politique agricole et de politique agricole commune de l'Union européenne ?

M. Franck Menonville. - Nos entreprises agroalimentaires sont en ordre de bataille pour alimenter les Français, mais aussi pour valoriser les productions de nos agriculteurs, eux aussi fortement mobilisés. Vous avez annoncé la possibilité du versement d'une prime de 1 000 euros aux salariés, défiscalisée et exonérée de charges sociales. Dans l'agroalimentaire, 98 % des entreprises sont des TPE-PME. La conjoncture étant très variable selon les secteurs, un certain nombre d'entreprises ne sont pas en mesure de verser cette prime, tout en souhaitant valoriser l'action et l'engagement de leurs salariés. M. Darmanin avait annoncé la suspension du versement d'un certain nombre de charges sociales ; pourrait-on envisager, au-delà, une prise en charge de ces cotisations sociales par l'État, au mois d'avril et de mai, pour que les entreprises versent des salaires nets au niveau du salaire brut ?

Parmi les charges qui pèsent fortement sur les entreprises figure le surcoût actuel du transport et de la logistique - une augmentation de 30 %. Pour le transport des productions agricoles, pourrait-on envisager la gratuité des péages autoroutiers ?

M. Bernard Buis. - Ma question porte sur la contribution des assurances à la crise sanitaire actuelle. Je suis assuré à la MAIF et j'ai reçu l'information que, compte tenu de la diminution du nombre d'accidents de la circulation, la MAIF allait reverser 100 millions d'euros à ses sociétaires. Ne pourrait-on pas envisager que cette somme soit employée différemment pour contribuer au redressement de la Nation ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Pour répondre à M. Duplomb, on ne fait pas de relance économique par l'augmentation des impôts. On a pu le faire dans le passé, ce qui nous a conduits à une pression fiscale vertigineuse, insupportable pour les ménages comme pour les entreprises. La relance économique sera indispensable. Je vous confirme que la France devrait connaître, en 2020, sa plus forte récession depuis 1945 - je vous ai indiqué tout à l'heure le chiffre de -2,2 % du PIB pour 2009, mais il avait même été corrigé par l'Insee à -2,9 %. Nous serons très au-delà de ces chiffres, ce qui montre combien nos perspectives sont peu encourageantes pour 2020 et vont demander la mobilisation de tous nos efforts. Le plan de relance devra donc être à la hauteur des nécessités éprouvées par un certain nombre de secteurs économiques.

En revanche, changer de politique n'est pas forcément la bonne option. L'agence Standard & Poor's vient de confirmer la note AA de la France, en estimant que les réformes économiques, budgétaires et structurelles réalisées par ce gouvernement ont amélioré la capacité de l'économie à affronter le choc temporaire actuel. C'est donc le travail très important de transformation de l'économie effectué avant la crise qui explique que notre note ne soit pas dégradée. Au lendemain de la crise, il faudra certainement réinventer notre économie, sans pour autant adopter des orientations contradictoires avec tout ce que nous avons défendu jusque-là.

Quand je dis que l'État doit venir au secours de certaines entreprises, protéger des secteurs industriels, je ne le fais pas sortir du rôle que je lui ai toujours attribué de protection de notre économie et de défense de nos intérêts stratégiques ; cela ne signifie pas pour autant que l'État va gérer, demain, toutes les entreprises commerciales de France. Ce serait aberrant et totalement contre-productif.

Il faudra donc, au lendemain de la crise, mettre en place une relance la plus efficace possible, financée essentiellement par de la croissance, soutenue par la BCE, dont la politique monétaire nous garantira des taux d'intérêt faibles, et soutenue également par ce fonds d'investissement européen que j'appelle de mes voeux, comme Thierry Breton et d'autres commissaires européens.

J'en viens aux observations de Franck Montaugé : ne donnons pas l'impression que nous redécouvrons la roue ! La crise sanitaire a mis en évidence des difficultés, notamment sur l'hôpital public. Tout le monde en a pris conscience et le Président de la République a annoncé que nous y répondrions de manière très forte après la crise. Nous constatons d'ailleurs que le modèle français a du bon, notamment dans la protection sanitaire de nos concitoyens et dans sa capacité à traiter chacun sur un pied d'égalité.

Mais la crise va aussi accélérer un certain nombre de transformations dont nous avions perçu la nécessité avant son déclenchement. J'ai été pendant trois ans le fervent défenseur de l'agriculture française au nom du principe de souveraineté alimentaire - je lui ai même consacré un livre il y a dix ans. Je n'ai pas changé d'avis sur cette question : j'ai toujours considéré qu'il fallait payer pour que notre agriculture nous garantisse une sécurité d'approvisionnement, parce que rien ne serait plus dangereux que de dépendre de l'approvisionnement étranger. Nous y perdrions notre culture, notre âme et notre sécurité alimentaire. Certains veulent réduire le budget de la PAC, parce que l'on pourrait trouver moins cher ailleurs, mais je combats ces fausses bonnes idées pour préserver l'indépendance stratégique agricole française.

Quand nous nous sommes aperçu que notre industrie automobile, qui fait aussi partie de notre culture et de nos intérêts stratégiques les plus essentiels, va basculer vers l'électrique et que notre approvisionnement en batteries provient à 90 % de la Chine et de la Corée du Sud, j'ai mis en place, il y a deux ans, avec mon homologue allemand, une filière de batteries électriques européenne. Nous ne découvrons donc pas maintenant cette idée de souveraineté économique, mais il faut accélérer sa mise en oeuvre.

Enfin, j'ai déjà dit que le capitalisme était dans une impasse, parce qu'il créait trop d'inégalités. Au début de janvier 2020, j'ai dit qu'il était indispensable de traiter la question des petits salaires. En effet, depuis la crise de 2008, ceux qui avaient un bon niveau de qualification et de rémunération ont vu leur salaire augmenter de façon significative et les entreprises ont parfaitement joué le jeu. Mais quand on examine le cas de ceux qui ont un niveau de qualification plus faible, qui sont dans une situation plus précaire, on s'aperçoit que leurs salaires sont ceux qui ont le moins augmenté depuis dix ans. Aujourd'hui, nous constatons que ce sont précisément ces salariés qui sont les plus essentiels à la Nation. Cela mérite que l'on se demande comment mieux valoriser ces métiers. Une fois encore, je l'ai dit en janvier.

Cette crise sanitaire ne fait qu'accélérer la remise en question d'un certain nombre de points du modèle capitaliste et la nécessité de le transformer.

Une dernière réflexion sur le caractère durable de notre économie : démanteler les chaînes de production dans tous les sens, avec des coûts sanitaires et environnementaux excessifs n'a pas de sens. Il faut réduire ces externalités négatives, ce qui suppose de mettre en place, aux frontières de l'Union européenne, une barrière qui serait une taxe carbone, pour frapper les produits qui ne sont pas réalisés dans les mêmes conditions environnementales que celles que nous défendons sur le territoire français et européen.

Les questions posées par Franck Montaugé sont absolument stratégiques et j'y réfléchis tous les jours.

Premièrement : comment sauver notre économie ? Comment sauver ces PME-TPE, ces indépendants ? C'est la première préoccupation du Gouvernement : protéger nos entreprises face à un choc d'une violence qui ne trouve pas de comparaison depuis la crise de 1929.

Deuxièmement : comment relancer notre économie ? Je vous appelle tous à participer à cette réflexion. Je pense que le mot clé de la relance de notre économie nationale sera « investissement » : investissement dans les secteurs sinistrés, investissement dans les secteurs industriels fragilisés.

Troisièmement : comment réinventer notre économie pour qu'elle corresponde aux attentes des Français ? Nous pouvons réinventer notre économie autour d'éléments que le Président de la République avait déjà mis en avant depuis plusieurs mois, dans le cadre du pacte productif : comment garantir notre souveraineté, une production industrielle durable ? Comment rester à la pointe des technologies ? Tous les jours, depuis le début de cette crise, je me pose ces trois questions.

Ce long développement me permet de répondre à la question de M. Menonville : l'agroalimentaire est typiquement un secteur où il va falloir réinventer. Ce secteur doit retrouver des marges de manoeuvre ; il a été fragilisé, mais on s'aperçoit qu'il est crucial pour notre vie quotidienne. Aujourd'hui, il n'y a pas de pénuries, mais quelques secteurs, comme la boulangerie industrielle, connaissent de fortes tensions. En ce qui concerne les exonérations de charges, nous sommes prêts, secteur par secteur, à examiner dans quel cas les reports de charges pourront se transformer en annulations.

J'en viens à la dernière question sur la MAIF : je salue la décision qui a été prise. Nous continuons à travailler avec les assureurs pour envisager comment ils pourraient davantage prendre part à la lutte contre cette crise économique.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les questions posées par Franck Montaugé vont effectivement nous occuper pendant les mois qui viennent.

Nous passons à une dernière série de questions.

M. Daniel Laurent. - Je préside le groupe d'études Vigne et vin. La filière viticole française, avant même la crise du Covid-19, était déjà touchée par la baisse de ses exportations, en particulier vers les États-Unis. Depuis le début de la crise, la commercialisation de la récolte de 2019 a brutalement chuté. Pour les vignerons, afin de préparer la prochaine récolte dans les meilleures conditions, il faut disposer de main-d'oeuvre et pouvoir la payer, alors même qu'ils n'ont plus de rentrées d'argent. Il n'est pas possible de mettre les salariés au chômage partiel en ce moment, vu le travail à accomplir.

Le report des cotisations sociales et les prêts garantis par l'État sont des mesures saluées, mais l'absence de chiffre d'affaires pour des entreprises déjà fragilisées doit conduire l'État à aller beaucoup plus loin. Cela sera-t-il le cas, et comment ?

La profession demande une prise en charge exceptionnelle des cotisations sociales pour les exploitants et les salariés des exploitations n'ayant plus de rentrées d'argent, le déplafonnement et la défiscalisation des heures supplémentaires pour faire face au manque de main-d'oeuvre, le report du versement de la contribution sociale généralisée et des droits d'accise - refusé au motif que les intéressés devraient se rapprocher de l'administration : il serait nécessaire qu'une mesure globale applicable collectivement soit mise en place.

Les reports de prélèvements et le recours aux prêts garantis par l'État ne suffiront pas. Les vignerons qui ont déjà largement eu recours à l'emprunt pour financer des investissements sont confrontés au paiement d'intérêts intercalaires en cas de demande de report d'échéance. L'État doit donc prendre des dispositions permettant aux banques de renoncer au recouvrement de ces intérêts intercalaires. S'agissant de l'accès des exploitations viticoles aux prêts de trésorerie, le dispositif de Bpifrance, avec les prêts Rebond et Atout, semble exclure les entreprises agricoles ayant un chiffre d'affaires inférieur à 750 000 euros. Les caves coopératives pourraient ne pas y être éligibles non plus.

Nous avons tous oeuvré pour protéger les agriculteurs en créant l'épargne de précaution, mise en place dans le cadre du budget de l'État. Il serait intelligent de réfléchir à défiscaliser la réintégration de cette épargne de précaution ponctuelle, qui pourrait aider les entreprises agricoles après cette crise.

Il y aussi une demande de maintien des couvertures de l'assurance crédit, qui est l'objet même de la garantie offerte par l'État, certains assureurs réduisant les encours garantis ou annulant certains contrats, contribuant ainsi au ralentissement de l'activité et à la déstabilisation des relations commerciales entre les entreprises du secteur viticole et leurs clients.

M. Joël Labbé. - Il faut sortir d'urgence de cette crise, mais il faut aussi anticiper le plan de relance en prenant en compte les autres urgences, en particulier climatique. Monsieur le ministre, envisagez-vous de faire du respect des engagements climatiques, une condition à l'octroi des aides publiques dans le plan de relance ?

Pour la souveraineté alimentaire, il faut parler des territoires, où nous avons besoin de politiques volontaristes.

Enfin, un cas particulier : dans les Côtes-d'Armor, l'usine de Plaintel fabriquait des masques depuis des décennies, 200 millions d'unités par an jusqu'en 2011, date de son rachat par Honeywell - lequel a amorcé la chute de l'usine historique, jusqu'à sa fermeture en 2018. La production ne s'est pas remise, en particulier, du fait que l'État a cessé de lui passer commande de quelque 80 millions de masques par an. Les acteurs de terrain posent aujourd'hui cette question : alors que nous manquons dramatiquement de masques de protection, ne serait-il pas possible de relancer une unité de production sur ce territoire, où les compétences sont encore présentes ?

M. Michel Magras. - Nous rencontrons à Saint-Barthélemy un problème très concret d'accès au fonds de solidarité, car la procédure oblige les entreprises à enregistrer leur demande d'aide sur le site impots.gouv.fr. Or, Saint-Barthélemy étant une collectivité à fiscalité propre, les entreprises, en particulier les TPE, n'ont pas d'espace personnel sur le site gouvernemental, ce qui les empêche d'accéder au fonds. À l'échelle de notre territoire, les conséquences sont très importantes, car ces petites entreprises comptent beaucoup dans l'économie de l'île. Monsieur le ministre, ce point de blocage vous est-il remonté ? Prévoyez-vous une procédure spécifique ? Ou bien ne pensez-vous pas que la collectivité de Saint-Barthélemy puisse instruire elle-même les demandes, soit directement soit via la chambre économique multi-professionnelle ? Les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna sont dans la même situation.

Mme Cécile Cukierman. - Des petites entreprises, des artisans, des commerçants nous disent que les assurances ne jouent pas le jeu, qu'elles trouvent moyen de limiter leur soutien : comment faire pour que les assureurs jouent pleinement leur rôle ? La question se pose d'autant plus que les compagnies d'assurance vont dépenser moins dans cette période, ayant moins de sinistres à couvrir, c'est ce que démontre l'initiative de la MAIF. Ensuite, je tiens à remercier vos services, monsieur le ministre, pour la rapidité avec laquelle ils apportent des réponses à nos questions.

M. Henri Cabanel. - Vous nous dites, monsieur le ministre, que la grande distribution a joué le jeu ; certes, mais les prix augmentent, chacun le constate dans les grandes surfaces. Est-ce normal, surtout quand les Français vont devoir faire davantage d'efforts, dès lors que leurs revenus vont baisser ?

Mme Françoise Férat. - Le Gouvernement a annoncé une aide forfaitaire de 1 500 euros aux TPE, mais le décret ne mentionne pas ce chiffre explicitement. Ce montant n'est pas élevé, comparé à ce qui se passe en Belgique, avec 4 000 euros, ou en Allemagne, avec 9 000 euros, sans compter les dispositifs d'accompagnement qui s'y ajoutent. Nos TPE peuvent-elles au moins compter sur ce versement forfaitaire de 1 500 euros ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Monsieur le ministre, je suis heureuse de vous entendre remettre en cause le modèle capitaliste, cela nous promet de beaux débats. Vous optez pour une politique de l'offre, par l'investissement, mais bien des économistes soulignent le problème du pouvoir d'achat, en particulier pour les ménages modestes, donc l'utilité d'une politique de relance par la demande. Les pistes ne manquent pas, par exemple l'extension de la TVA à 0 % sur tous les produits de première nécessité, une conférence sociale avec les partenaires sociaux pour définir la répartition des moyens entre investissement et pouvoir d'achat, une politique forte d'incitation au made in France...

Nous connaissons les difficultés criantes de nos horticulteurs, mais cela n'empêche pas des enseignes comme Leader Price et Lidl de s'approvisionner massivement en fleurs aux Pays-Bas : envisagez-vous de leur faire signer une charte de bonne conduite ?

Mme Catherine Conconne. - J'ai été agréablement surprise par la réactivité du Gouvernement dans cette crise - je le dis sans détour, vous savez que je ne partage pas la ligne politique du Gouvernement, mais j'essaie toujours d'être juste. Le fonds de solidarité, en particulier, est un signal utile, positif.

Chacun sait ici que nos collectivités territoriales vivent de recettes fiscales, souvent indexées sur la consommation. C'est le cas en particulier de l'octroi de mer, qui a un impact direct sur les entrées de marchandises, ou encore de la taxe sur les carburants - certaines collectivités tirent jusqu'à 60 % de leurs recettes de ces taxes directement liées à la consommation. Maintenant que la consommation stagne ou s'arrête, imaginez le séisme budgétaire pour ces collectivités, pour les territoires, si les pertes n'étaient pas compensées : il faut y veiller. Enfin, s'il est légitime de faire dépendre l'aide publique du non versement de dividendes, il faut apprécier les effets sur les politiques d'investissement dans certains territoires : qu'en est-il ?

Mme Sylviane Noël. - Vous avez souligné, monsieur le ministre, que les aides publiques ne devaient pas nourrir des effets d'aubaine, c'est bien légitime, mais ce que nous constatons, c'est que des TPE très en difficulté se voient refuser des prêts de trésorerie par leurs banques, alors qu'elles doivent avancer des salaires. Je déplore que des banques ne jouent pas davantage le jeu, alors que Bpifrance garantit leurs avances et qu'elles ne courent guère de risque à aider ces petites entreprises.

Mme Denise Saint-Pé. - Comme dans toute période de crise, nous constatons que des personnes contournent la loi et que des entreprises aussi, celles-ci en sollicitant des aides publiques pour du chômage partiel tout en faisant télétravailler leurs salariés. Quelles mesures de contrôle prenez-vous pour éviter ces exactions ?

M. Roland Courteau. - La loi dite d'urgence sanitaire prévoit deux mesures importantes pour aider les entreprises ou les ménages à faire face à leurs dépenses d'énergie : un étalement ou un report des factures d'électricité et de gaz pour les locaux professionnels des micro-entreprises ; la prolongation de deux mois de la trêve hivernale, interdisant sur cette période la coupure de la fourniture de ces énergies en cas d'impayés. Cependant, quel sera leur impact sur la trésorerie de nos énergéticiens, dont la situation financière est d'ores et déjà très éprouvée par la chute globale du prix de l'énergie ? Disposez-vous d'éléments chiffrés à nous communiquer ? Si nécessaire, les énergéticiens feront-ils l'objet d'un soutien de la part de l'État ? Les éventuels impayés seront-ils pris en charge par lui au titre de la solidarité nationale ?

Compte tenu des conséquences humaines, sociales et économiques de la crise, l'absence de distribution de dividendes aux actionnaires est une bonne chose. Les syndicats d'Engie ont demandé que l'entreprise, dont l'État est actionnaire, ne verse pas de dividendes pour 2019, et pas seulement pour 2020 ; ils nous disent vous avoir écrit dans ce sens, monsieur le ministre : quelle est votre réponse ?

La crise actuelle, enfin, n'est-elle pas propice à ce que l'on écarte des projets qui divisent, en particulier le plan de restructuration « Hercule » ? Quelle est votre intention sur ce sujet, monsieur le ministre ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous transmets l'inquiétude de Mme Catherine Procaccia vis-à-vis des quelque mille ruptures de contrat sans mise au chômage par la société Disney : qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Un rendez-vous téléphonique imminent avec l'un de mes homologues européens m'oblige à être très succinct.

Sur les prêts pour l'agriculture, nous regarderons les dossiers avec Didier Guillaume, très précisément et au cas par cas, en particulier pour le secteur viticole.

Nous avons entendu la demande exprimée par Joël Labbé pour son territoire ; cependant, dès lors qu'il n'y a plus de machine-outil sur le site, ni même sur le marché puisque les machines de ce type ne sont plus fabriquées, il aurait été très long d'en installer, bien plus long que de reconvertir des lignes de production qui tournent, comme nous l'avons fait avec des lignes de production de textile - je salue l'engagement des industriels à ce titre.

L'accès au site gouvernemental impots.gouv.fr pose effectivement un problème dans les territoires à fiscalité propre, nous allons trouver une solution avec Gérald Darmanin.

Je fais entièrement miens les appels à ce que les assureurs s'engagent davantage, nous y travaillons chaque jour - le président d'Axa, par exemple, est prêt à travailler sur un dispositif sanitaire spécifique : il faut saisir la balle au bond.

Je suis de très près, au quotidien, les prix dans la grande distribution : nous ne constatons pas de fortes augmentations des prix alimentaires ; celles que nous constatons jusqu'à aujourd'hui sont liées au prix du transport, qui se renchérit du fait que les charges ne sont pas toujours pleines ; et au fait que l'approvisionnement est plus souvent en produits français, de meilleure qualité. Si nous constations une augmentation indue des prix, nous réagirions immédiatement.

Le fonds de solidarité verse un forfait de 1 500 euros, mais à la condition que la perte atteigne effectivement ce seuil : si la perte est moindre, il est normal que le forfait s'aligne, ou bien l'argent public serait mal employé. L'aide est bien forfaitaire, elle vise les entreprises réalisant moins de 1 million d'euros de chiffre d'affaires et employant moins de 10 salariés, elle se monte à 1 500 euros, qui vous sont versés automatiquement et immédiatement dès lors que votre entreprise est fermée ou bien que vous avez perdu au moins la moitié de votre chiffre d'affaires, exception faite des cas où votre perte est en-deçà de ce forfait. La comparaison avec nos voisins doit être complète : nous disposons d'une aide supplémentaire de 2 000 euros, versée au cas par cas à l'échelon régional, nous sommes prêts à l'améliorer ; il faut compter également les reports de charges. Au total, puisque nous reconduisons ces aides un deuxième mois, nous ne sommes pas loin des 15 000 euros versés sur trois mois en Allemagne.

Sur le plan de la stratégie, je vous accorde que ma priorité va effectivement à l'investissement, ce qui ne nous empêchera pas d'examiner des mesures précises visant la demande. L'horticulture connaît une situation de crise grave, c'est ce qui a motivé l'ouverture à la vente dans les magasins qui ont aussi une animalerie.

Gérald Darmanin a annoncé la suspension de l'octroi de mer sur les matériels de santé, et nous devrons effectivement suivre de très près la situation spécifique outre-mer, où les territoires vont aussi souffrir du recul du tourisme. Je rappelle que nous surveillons déjà de très près l'évolution des prix agricoles.

Sur les prêts garantis par l'État, le médiateur du crédit est l'institution à saisir en cas de difficulté. Sur l'ensemble des aides publiques actuellement mobilisées, nous assurons et continuerons d'assurer un contrôle vigilant, en particulier après le versement.

Enfin, Engie a supprimé le versement de dividendes à ses actionnaires pour 2020, répondant ainsi à vos attentes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci, monsieur le ministre, pour votre disponibilité. Nous avons devant nous de beaux débats politiques, sur le fond et dans le détail. Nous vous adresserons par écrit les questions auxquelles vous n'avez pas eu le temps de répondre complètement.

La téléconférence est close à 13 h 25.

Mardi 7 avril 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La téléconférence est ouverte à 19 h 00.

Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire (en téléconférence)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, pour échanger autour de l'impact de la crise du coronavirus sur la politique de transition écologique, en général, et sur la politique énergétique, en particulier.

Le week-end dernier, la Convention citoyenne pour le climat devait se réunir pour la dernière fois. Ce rendez-vous avait pour vocation d'impulser le « tournant vert » du quinquennat. La gestion de l'épidémie est évidemment venue perturber ce processus.

La priorité est aujourd'hui d'assurer les services essentiels : l'énergie, l'eau, les déchets, les transports. Les soignants sont en première ligne, mais pour que les hôpitaux fonctionnent, ces services sont vitaux.

S'agissant de l'énergie, qui est au coeur des compétences de notre commission, les mesures de confinement ont un effet direct sur les acteurs de la filière : des grands énergéticiens aux petits détaillants. À terme, c'est notre capacité à atteindre les objectifs de la transition énergétique qui est en cause. L'enjeu de cette audition, c'est de connaître votre stratégie pour maintenir ce cap.

Je souhaiterais donc vous faire part de quatre interrogations.

Je voudrais commencer par évoquer nos énergéticiens, en général.

Nous le savons, cette crise les soumet à rude épreuve.

D'une part, ils doivent poursuivre leurs activités de production, de fourniture ou de transport d'énergie, indispensables à la vie de la nation, en recourant à leurs plans de continuité d'activité.

Quel est votre avis sur la mise en oeuvre de ces plans ? Nos énergéticiens disposent-ils des équipements de protection sanitaire en quantité suffisante pour leurs salariés ? Pouvez-vous nous rassurer sur la capacité à garantir la fourniture d'énergie ?

D'autre part, nos énergéticiens sont confrontés à une chute massive et globale du prix de l'énergie, pour partie imputable à la baisse de la demande nationale et mondiale. Ainsi, par rapport à l'an passé, le cours du pétrole est en baisse de 60 % et celui du gaz de 40 %.

Ces prix très faibles érodent la rentabilité et la profitabilité des énergéticiens, et donc à terme leur capacité d'investissement.

Dans ce contexte, les opérateurs réduisent leurs investissements : Total Direct Énergie a annoncé réduire ceux-ci de 3 milliards d'euros et un plan d'économies de 800 millions d'euros ; quant à EDF, le groupe juge nécessaire une remise à plat des opérations de maintenance des centrales nucléaires existantes.

Quel est votre avis sur cette succession d'annonces ? Pouvez-vous nous rassurer sur la santé financière de nos énergéticiens ? Anticipez-vous une réduction ou un retard de leurs programmes d'investissement ?

Enfin, nos énergéticiens sont également confrontés aux conséquences des ordonnances issues de la loi d'urgence sanitaire, qui prévoient un report des factures d'électricité ou de gaz ainsi qu'un allongement de la trêve hivernale, interdisant les coupures de ces énergies en cas d'impayés.

Quel est l'impact de ces mesures sur la trésorerie des fournisseurs d'énergie ?

La deuxième interrogation porte sur EDF, en particulier.

Avant la crise, nous avions devant nous : la finalisation du projet « Hercule » mi-2020, l'élaboration d'un programme de travail sur le renouvellement du parc nucléaire mi-2021, la fermeture des quatorze réacteurs nucléaires - dont ceux de Fessenheim de février à juin 2020 - pour réduire à 50 % la part de la production d'énergie nucléaire d'ici à 2035.

Ces échéances sont-elles maintenues ? Le contenu même de ces projets ou orientations va-t-il devoir évoluer, sous l'effet de la crise du coronavirus ?

Dans le même ordre d'idées, qu'en est-il de la réforme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), pour lequel votre ministère a engagé une consultation au début de l'année ?

Certains fournisseurs alternatifs ont demandé l'activation de la « clause de force majeure », ce qui leur permettrait de cesser de s'approvisionner par ce mécanisme, au prix de 42 euros le mégawattheure (MWh), pour le faire directement sur le marché, au prix de 21 euros.

Dans sa délibération du 26 mars dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a exclu une activation globale de cette clause, tout en envisageant son invocation à titre exceptionnel. Un recours a été introduit par les fournisseurs alternatifs à l'encontre de cette délibération.

Quel est votre avis sur les demandes des fournisseurs alternatifs ? Le projet de réforme l'Arenh va-t-il devoir être révisé, dans son contenu ou son calendrier, pour prendre en compte la crise du coronavirus ? Dans l'intervalle, doit-on s'attendre à une modification du plafonnement ou du prix de l'Arenh ?

Troisièmement, je voudrais connaître votre sentiment sur les conséquences de la crise sur la transition énergétique ?

Nous vous avions auditionnée, à la mi-février, sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : où en est la publication de ces documents et vont-ils devoir être revus à l'aune de la crise du coronavirus ?

De son côté, la Convention citoyenne sur le climat a annoncé la suspension de ses travaux en présentiel, qui devaient se clore en juin prochain.

Quand pourront-ils aboutir ? Est-il encore matériellement possible que les conclusions de cette convention, notamment pour ce qui concerne la « fiscalité carbone », soient intégrées à la PPE ou à la prochaine loi de finances ? Quid du référendum à choix multiples évoqué par le Président de la République ?

En conclusion, j'aimerais connaître votre opinion sur le rôle que pourrait jouer la transition énergétique en tant que levier de sortie de crise.

Dans une tribune publiée le 14 mars dernier, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a appelé les gouvernements à « mettre l'énergie propre au coeur des plans de relance pour contrer le coronavirus ».

Comment comptez-vous utiliser la transition énergétique comme un levier pour sortir de la crise économique ?

Je ne résiste pas enfin à vous poser deux questions relatives aux transports, qui sont dans tous les esprits : qu'allez-vous faire pour Air France, qui assure vingt vols par jour contre deux mille habituellement ? Quel est l'impact de la crise sur la SNCF, qui fait circuler quarante TGV par jour contre sept cents habituellement ?

Je vous propose de répondre dès maintenant à ces questions, puis à celles que vous poseront les sénateurs « pilotes » sur l'énergie - MM. Daniel Gremillet, Roland Courteau et Daniel Dubois - et le logement - Mmes Dominique Estrosi Sassonne et Annie Guillemot - ainsi que les autres commissaires.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de cette invitation. Je pense qu'il est utile et important de répondre à vos interrogations et d'entendre vos retours du terrain, toujours très précieux.

Nous vivons une période totalement inédite ; à la crise sanitaire s'ajoute une crise économique sans précédent et sans perspective connue - à ce stade - de retour à la normale. Dans ce contexte, je voudrais rendre hommage aux salariés qui continuent à être sur le terrain tous les jours : si nous avons de l'eau, de l'électricité, du gaz, si les ordures ménagères sont collectées, si les supermarchés et hôpitaux sont approvisionnés, c'est parce que des gens sont au travail dans ces secteurs. Mon rôle, et celui de mes secrétaires d'État, est de veiller à la continuité de ces activités essentielles et de protéger cette « deuxième ligne ».

Maintenir la vie économique du pays, c'est en particulier veiller à l'interdépendance de nos activités, dont on ne s'aperçoit pas en temps normal. Par exemple, nous avons besoin de la collecte des déchets verts pour la méthanisation des boues dans les stations d'épuration ; nous avons besoin des cimenteries pour incinérer les farines animales issues des opérations d'équarrissage ; nous avons besoin des centres de tri pour que l'industrie agroalimentaire dispose d'emballages pour ses produits et que les chaînes d'approvisionnement ne soient pas rompues. Cette interdépendance concerne les donneurs d'ordres, comme les sous-traitants, dont la pleine coopération sera cruciale pour le redémarrage de l'économie.

Maintenir la vie économique du pays, c'est aussi préserver le dialogue avec les territoires. Depuis le début de la crise, j'ai pris soin d'associer à l'ensemble de nos réflexions les collectivités territoriales et leurs associations, tant leur rôle est central - vous le savez - dans la mobilité, la distribution d'énergie ou le service public de l'eau et des déchets.

Je souhaiterais vous présenter quelques éléments sur la situation des principaux secteurs dont j'ai la charge.

Nous avons volontairement réduit l'offre de transport de voyageurs longue distance. Le trafic de la SNCF est effectivement très bas : seuls 6 % des TGV circulent, 8 % des Intercités, 15 % des TER et 26 % des Transilien. Les offres de transport urbain ont aussi beaucoup baissé : la RATP fait rouler 30 % des bus, 40 % des tramways et 30 % des métros. En région, l'offre de transport varie de 10 % à 30 % en moyenne.

Le trafic aérien - la présidente l'a évoqué - a baissé de 95 % en France et on anticipe une baisse de 50 % sur l'année, ces chiffres devant être actualisés en fonction des conditions de sortie de crise. L'impact est très important sur les entreprises du secteur, y compris les plus grandes. Nous sommes très attentifs au soutien accordé à l'ensemble de ces entreprises, la situation d'Air France, dont l'État est actionnaire, nécessitant une vigilance particulière. Il est trop tôt pour préjuger des réponses qui pourront être apportées mais Air France bénéficie déjà des dispositions générales, qu'il s'agisse de l'activité partielle - à laquelle l'entreprise recourt largement - ou des garanties de prêt. Nous travaillons sur ces leviers avec le ministre de l'économie et des finances.

S'agissant de la SNCF, sa trajectoire économique avait déjà été très secouée par les grèves de fin 2019-début 2020. Compte tenu du niveau d'activité actuel du transport de voyageurs, il faudra redéfinir avec ses dirigeants une nouvelle trajectoire. Il est trop tôt pour redéfinir ces perspectives mais cela fait partie des travaux à mener en sortie de crise.

Le fret ferroviaire se maintient à un bon niveau, en comparaison avec d'autres secteurs, de l'ordre de 60 % de son activité habituelle. L'activité du transport routier de marchandise demeure très soutenue ; les entreprises de la logistique relèvent un impact modéré sur le transport intra-européen malgré des ralentissements à certains passages de frontières. Le secteur a dû réorganiser toutes les chaînes d'approvisionnement et il faut rendre hommage aux salariés.

On observe une baisse de la production des déchets non dangereux, toutes activités confondues. Le tonnage des déchets d'activité économique a baissé de 50 %, ce qui donne une indication de la situation économique du secteur industriel en particulier... Les collectes d'ordures ménagères se poursuivent sans difficulté majeure, même si le taux d'absentéisme a doublé. La majorité des déchetteries sont fermées, seules quelques collectivités territoriales les ayant maintenues ouvertes pour les artisans ou leurs services techniques, afin d'éviter les dépôts sauvages. En outre, 40 % des centres de tri d'emballages sont fermés, la situation s'améliorant dans certaines régions grâce à l'action des préfets.

Les opérateurs de l'eau et de l'assainissement fonctionnent normalement dans le cadre de leurs « plans de continuité d'activité ».

Pour ce qui concerne le secteur de l'énergie, qui intéresse tout particulièrement votre commission, j'échange en permanence avec tous les acteurs du secteur : le nucléaire, le gaz, les énergies renouvelables, la chaleur, les réseaux d'électricité et, prochainement, le secteur pétrolier.

Le premier constat est que l'approvisionnement et la distribution d'énergie se poursuivent sans difficulté majeure - je dirais même, de façon satisfaisante. Tous les opérateurs disposent de « plans de continuité d'activité » pour satisfaire les besoins indispensables. Ces plans ont été instantanément activés. Cela démontre le grand professionnalisme de tous nos opérateurs. Dans le secteur de l'énergie, comme dans les autres secteurs essentiels, ces plans, conçus au moment des épisodes de pandémie grippale, ont permis d'adapter les conditions de travail et d'assurer la continuité de l'activité.

La consommation globale d'électricité a diminué d'environ 15 %, avec des disparités selon les secteurs : - 25 % dans l'industrie, - 75 % dans le transport ferroviaire. On constate une légère hausse dans le résidentiel ; on peut en conclure que les dispositifs de chauffage fonctionnent même quand les gens ne sont pas chez eux...

Le secteur pétrolier s'adapte à la baisse significative de la demande de tous les produits, sauf le fioul domestique. La sécurité d'approvisionnement est bien garantie et les stocks sont à un haut niveau. La demande de carburants reste très faible et a diminué de près de 80 % sur certains produits. Compte tenu de la faible affluence dans les stations-service, certains opérateurs ont réduit les heures d'ouverture. Nous nous assurons en permanence qu'un nombre suffisant de stations sont ouvertes pour l'approvisionnement des transporteurs routiers.

Le secteur gazier fonctionne toujours bien et la continuité de l'activité, à court et moyen termes, est assurée. Les approvisionnements se poursuivent et le remplissage des stockages a commencé, ce qui permettra d'avoir une bonne disponibilité pour l'hiver prochain.

Une composante essentielle de la sécurité d'approvisionnement en électricité repose sur le bon fonctionnement du parc nucléaire. À court terme, EDF a pris les mesures nécessaires pour maintenir la capacité d'exploitation des centrales et le niveau de disponibilité de son parc est satisfaisant et sécurisé au regard de la demande. À moyen terme, l'enjeu important est de minimiser les perturbations sur le programme industriel des arrêts pour rechargement ou maintenance des centrales, afin d'assurer une bonne disponibilité, en particulier pour l'hiver prochain. Nous travaillons très étroitement avec EDF, en lien avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), aux adaptations qui peuvent être apportées au programme d'arrêt de tranches. Enfin, nous suivons avec beaucoup attention l'approvisionnement, l'évacuation ou l'entreposage des combustibles nucléaires, en lien étroit avec Orano et Framatome.

S'agissant des énergies renouvelables, la difficulté la plus immédiate est liée à l'arrêt des chantiers. C'est pourquoi nous avons pris des mesures pour que ces projets ne soient pas pénalisés, en accordant des délais supplémentaires par rapport à ce qui était prévu dans les contrats d'achat, sans pénalité de retard. Certains exploitants d'installations de biogaz rencontrent aussi des difficultés d'approvisionnement de leurs méthaniseurs : nous étudions avec eux la possibilité de suspendre temporairement les contrats d'achat pour ne pas les pénaliser.

L'approvisionnement en chaleur et en froid est assuré, aussi bien celui des établissements de santé, des établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou des chaufferies des réseaux de chaleur et des autres bâtiments. Les approvisionnements en combustible pour le chauffage collectif et individuel sont également garantis.

Au-delà de ces enjeux de court et de moyen termes, la crise provoque des perturbations majeures sur les marchés de l'énergie dont nous n'avons pas fini de mesurer les conséquences. Le prix du pétrole - la présidente l'a indiqué - a chuté depuis le début de l'année de plus de 75 %, le baril de pétrole étant passé sous la barre des 30 dollars le 16 mars et des 15 dollars les 31 mars et 1er avril. Les prix des carburants suivent cette évolution : entre la fin janvier et la fin mars, le prix moyen au litre de l'essence et du gazole a baissé de 20 centimes. Le prix du gaz naturel a baissé de 20 % sur les marchés spot et les marchés à terme pour les livraisons en 2020, les baisses étant comprises entre 5 % et 15 % pour les livraisons plus lointaines en 2021, 2022 et 2023.

Les prix sur les marchés spot de l'électricité se sont effondrés, à 20 euros le MWh contre 34 euros à la même période l'an dernier. Sur les marchés à terme, le prix est passé sous la barre des 30 euros, même s'il remonte.

Quelles sont les conséquences de tous ces bouleversements ? Il est encore trop tôt pour en tirer les conséquences et réfléchir à des mécanismes correctifs. On anticipe évidemment une baisse de revenus pour les fournisseurs d'énergie, qui aura sans doute un impact sur leurs investissements. Nous sommes également attentifs à la situation des opérateurs. C'est pourquoi une des ordonnances prévoit d'ouvrir le bénéfice de l'activité partielle aux agents sous le statut des industries électriques et gazières (IEG). Cela permettra à nos grandes entreprises, comme Engie ou EDF, de recourir à cette activité partielle, qui est importante pour éviter un impact trop fort sur leur situation économique.

Ces bouleversements ont également une incidence sur la compétitivité des projets d'énergie renouvelable (EnR), compte tenu de la baisse relative du prix des énergies fossiles. Ce contexte a forcément une répercussion sur les budgets publics, avec à la fois une baisse du produit des droits d'accise sur les produits énergétiques et un renchérissement des dépenses de soutien aux EnR.

Pour autant, nous maintenons le cap de notre PPE et de notre SNBC : la crise sanitaire n'efface pas la crise climatique et écologique. La poursuite de la décarbonation et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est indispensable. Il faudra regarder, dans les prochains mois, comment réajuster les dispositifs, aux plans national et européen. Un conseil informel de l'énergie est prévu, courant avril ; avec l'ensemble des États membres, nous aurons l'occasion de partager les difficultés liées à cette très grande volatilité des prix de l'énergie et du carbone. Le prix du carbone est passé de 25 à 15 euros par tonne ces dernières semaines.

Je regrette que la baisse des prix de l'électricité ait conduit certains fournisseurs à vouloir remettre en cause les volumes d'Arenh qu'ils avaient achetés l'an passé. Ce sont les mêmes fournisseurs qui demandaient à l'époque une augmentation de 50 % de ceux-ci ! Dans le contexte de la crise, il est important de ne pas essayer de tirer profit de la situation en se dédouanant des engagements passés.

Le confinement a un effet important sur le secteur de la construction, dont l'activité a été réduite de 90 %, avec une forte répercussion sur la rénovation énergétique. C'est pourquoi nous avons adopté plusieurs mesures, telle que la prolongation jusqu'à la fin de l'année du dispositif « coup de pouce » pour les travaux d'isolation et de changement de chaudières, et créé un dispositif « coup de pouce » pour le changement de chaudières au fioul des copropriétés dans le cadre d'une rénovation performante. Plus généralement, nous veillons à ce que la filière BTP puisse poursuivre son activité tout en assurant la sécurité de ses salariés. Un guide a été élaboré à cette fin avec les fédérations pour pouvoir relancer en particulier les chantiers urgents ou prioritaires.

La loi d'urgence accorde une attention toute particulière aux ménages modestes et aux entreprises fragilisées par la crise sanitaire. La trêve hivernale a été prolongée de deux mois, et avec elle l'interdiction des coupures pour tous les consommateurs et des limitations de puissance pour les bénéficiaires du chèque énergie. Avec La Poste, nous avons maintenu la campagne de distribution du chèque énergie, qui a démarré la semaine dernière et se poursuivra jusqu'au mois de mai. Coupures et baisses de puissance sont également interdites pour les entreprises éligibles au fonds de solidarité ; le paiement de leurs factures peut être suspendu et étalé sur une période au-moins égale à six mois suivant la fin de l'état d'urgence.

Dans ce contexte, la CRE a instauré des mesures pour accompagner les fournisseurs d'énergie les plus vulnérables, en leur accordant des délais de paiement et des souplesses de trésorerie dans le paiement des tarifs d'utilisation des réseaux et de la fourniture d'électricité nucléaire auprès d'EDF.

Ces différentes mesures reflètent bien l'esprit de solidarité, d'entraide et de responsabilité qui, dans cette épreuve, anime mon ministère et l'ensemble des acteurs de la transition écologique et solidaire.

M. Daniel Gremillet. - Comme notre présidente, je suis inquiet des conséquences que pourrait avoir la crise du coronavirus sur les objectifs de la transition énergétique : nous ne devons surtout pas abaisser le niveau d'ambition adopté à l'occasion de la loi « Énergie-Climat ».

C'est pourquoi je souhaiterais vous poser deux questions sur ce sujet.

Tout d'abord, je voudrais savoir si l'application de cette loi va être retardée par ce contexte de crise.

En effet, la loi « Énergie-Climat » prévoit la publication de plusieurs ordonnances : en mai sur l'accompagnement des fermetures de centrales à charbon et la réforme de la CRE, et en novembre sur l'entrée en vigueur du « Paquet d'hiver » européen, l'hydrogène ou l'harmonisation du code de l'énergie avec le code de la construction et de l'habitation.

Or l'article 14 de la loi d'urgence sanitaire prolonge de quatre mois la durée de l'ensemble des habilitations à légiférer par ordonnance.

Aussi, pour ce qui concerne les ordonnances que je viens de citer, le Gouvernement entend-il maintenir le calendrier de publication initial ou faire usage de ce report ?

Au-delà des ordonnances, l'édiction des mesures réglementaires attendues, à commencer par la prise en compte du critère du « bilan carbone » dans les futurs appels d'offres, prendra-t-elle également du retard ?

Par ailleurs, je souhaiterais appeler votre attention sur les effets de la crise du coronavirus sur les énergies renouvelables.

Tout d'abord, les professionnels sont inquiets de l'impact que pourrait avoir cette crise sur les projets existants, plaidant pour la prorogation des autorisations ou décisions - au titre du code de l'urbanisme, du code de l'environnement ou du code de l'énergie - qui arrivent à échéance.

L'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus est-elle susceptible de bénéficier à ces projets, le code de l'énergie n'étant pas explicitement énuméré dans les visas de cette ordonnance, au contraire des codes de l'urbanisme et de l'environnement ? Si oui, pour quelles autorisations ou décisions ?

Pour ce qui concerne les dispositifs de soutien financier à ces projets - les tarifs d'achat et compléments de rémunération  seront-ils aménagés, à l'instar du gel dont bénéficient les panneaux solaires de moins de 100 kilowatts depuis un arrêté du 30 mars dernier ?

Plus encore, les professionnels sont également attentifs à l'impact de la crise du coronavirus sur les projets à venir, invitant le Gouvernement à modifier le cas échéant les calendriers des futurs appels d'offres

Confirmez-vous les reports évoqués devant certains professionnels, le 1er avril, en matière de solaire, d'éolien terrestre, d'autoconsommation et de petite hydroélectricité ?

Si oui, je constate que certains appels d'offres ne seront que peu décalés dans le temps - au 30 mai pour la petite hydroélectricité, au 3 juin pour une partie du solaire, au 18 juillet pour l'autoconsommation.

Pourquoi n'accorder qu'un mois de report à ces professionnels pour soumettre leurs candidatures quand quatre mois supplémentaires sont prévus pour permettre au Gouvernement de prendre des ordonnances ?

M. Roland Courteau. - Les énergies renouvelables ayant été évoquées par mon collègue, je souhaiterais aborder l'autre pilier de la transition énergétique : la rénovation énergétique.

Les chantiers conduits par les professionnels de la rénovation énergétique sont à l'arrêt, le « Guide de préconisations de sécurité sanitaire », publié le 2 avril dernier, n'ayant pas levé toutes les ambigüités quant aux consignes sanitaires devant être suivies par les professionnels.

De plus, la profession est confrontée à une pénurie de main d'oeuvre, aux doutes des maîtres d'ouvrages ou encore à des difficultés liées à l'approvisionnement et à l'acheminement des matériaux ou équipements.

Le président du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) estime ainsi que 90 % de ces chantiers sont en suspens.

Dans ce contexte, votre ministère a publié deux arrêtés, le 25 mars dernier, prorogeant d'un an le « coup de pouce isolation » et le « coup de pouce chauffage », prévoyant une bonification via le « coup de pouce chauffagerie fioul » et assouplissant le dépôt de demandes des certificats d'économies d'énergie (C2E).

Si ces évolutions sont utiles, il est cependant regrettable, d'une part, que la prorogation ne soit que d'un an, ce qui n'offre pas beaucoup de visibilité aux professionnels, d'autre part, que la prise en charge de l'isolation des planchers soit réduite, ce qui augmente le reste à charge pour les ménages.

Entendez-vous corriger les arrêtés sur ces points ?

Par ailleurs, si les entreprises peuvent bénéficier du report ou de l'étalement de leurs factures d'énergie pour les locaux professionnels, en application de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative au paiement des facteurs d'eau, de gaz et d'électricité, aucun dispositif n'est prévu pour les particuliers.

Alors que les Français sont confinés chez eux, et auront donc des dépenses d'énergie supplémentaires - leur domicile étant parfois devenu leur local professionnel !  -, il serait paradoxal de ne pas mieux répondre aux situations de précarité énergétique, qui s'aggravent en cette période de crise.

Sur ce sujet, j'observe que le secteur privé est en avance sur l'État puisque EDF a annoncé un plan d'aide au paiement des factures d'énergie pour ses propres salariés ; sa fondation a même institué un fonds de solidarité, de 2 millions d'euros, pour les personnels soignants et les plus démunis.

Cette initiative isolée est remarquable, mais insuffisante.

Pourquoi ne pas revaloriser, pour la durée du confinement, le chèque énergie, dont le montant de 277 euros au maximum est bien trop faible pour permettre la prise en charge des dépenses de rénovation énergétique auxquelles il donne droit ?

Cela pourrait se faire par un décret, sans recourir à une ordonnance.

À l'occasion de la dernière loi de finances, le Sénat avait d'ailleurs adopté, sans que cela soit conservé in fine par le Gouvernement, une revalorisation de 75 millions d'euros de ce chèque - j'avais pour ma part proposé plus encore !

La sortie de crise doit être conçue avec une ambition sociale et climatique. Faute de quoi, les effets de cette crise risquent d'être interminables.

M. Daniel Dubois. - L'essentiel ayant été dit par mes collègues sur la transition énergétique, des énergies renouvelables à la rénovation énergétique, je voudrais concentrer mon intervention sur la crise pétrolière que nous traversons.

Depuis la mise en oeuvre du confinement, la consommation d'essence et de gazole est inférieure de respectivement 70 % et 85 % à la normale en France, les transports n'étant plus utilisés qu'à des fins professionnelles.

Ce contexte a plusieurs conséquences tout à fait fâcheuses.

Premièrement, si de grands énergéticiens, comme Total, sont affectés par cette crise, c'est également le cas des PME intervenant dans le raffinage, la livraison ou la distribution de carburants.

Les deux mille stations-service du réseau routier secondaire ferment les unes après les autres, tandis qu'une raffinerie a été mise à l'arrêt.

Ces entreprises ne sont pas forcément éligibles au fonds de solidarité, qui vise les microentreprises de moins de 10 salariés, ayant fait l'objet d'une fermeture administrative ou perdu 50 % de leur chiffre d'affaires, selon le décret du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité.

Par ailleurs, ces entreprises sont très exposées au crédit-client, c'est-à-dire aux délais de paiement accordés aux consommateurs.

Des faillites sont à craindre dans ce secteur ; qui joue pourtant un rôle d'approvisionnement essentiel, en particulier en zone rurale.

Ces entreprises seront-elles accompagnées au sortir de la crise ? Ne peut-on pas leur ouvrir l'accès au fonds de solidarité en modifiant le décret précité ?

Deuxièmement, la crise pétrolière a aussi un impact sur la production de biocarburants.

Leur vente des biocarburants a chuté parallèlement à celle du gazole et de l'essence, auxquels ils sont le plus souvent incorporés. La filière souffre également de difficultés d'approvisionnement et de livraison en matière premières agricoles.

C'est fort dommage, dans la mesure où notre commission, mais aussi l'Assemblée nationale et votre ministère, plaidons tous pour soutenir ces filières, utiles à notre transition et notre indépendance énergétiques.

Surtout, la filière bioéthanol est en capacité de produire du gel hydroalcoolique et la filière biogazole du gel glycérique. Ne peut-on encourager davantage cette production temporaire ?

Enfin, la crise pétrolière a des implications financières pour les pouvoirs publics en raison de la baisse du produit de la taxe intérieure consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont les recettes, de 33,6 milliards d'euros en 2020, bénéficient à l'État à hauteur de 43,2 % et aux collectivités territoriales à hauteur de 33,3 %.

Plus largement, la crise du coronavirus, qui pèse sur l'ensemble de la demande et des prix de l'énergie, réduira les recettes liées à toute la « fiscalité énergétique », évaluées à 47 Mds d'euros par la Cour des comptes.

Disposez-vous d'éléments chiffrés sur les pertes de recettes fiscales à prévoir, pour l'État et les collectivités territoriales ?

Ne se dirige-t-on pas vers une fragilisation du principal outil de financement des EnR - le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » -, encore actif cette année et quasi intégralement financé par une fraction de TICPE, de 6,3 milliards d'euros ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Le secteur du BTP est quasiment au « point mort », avec une chute de son activité de plus de 85 %. Son redémarrage prendra beaucoup de temps et se fera chantier par chantier et non pas de manière globale. Vous avez fait référence au guide de bonnes pratiques, qui a enfin été publié. Il semblerait que ce guide ne fasse pas l'objet d'un véritable consensus parmi les différentes filières du secteur. De toute façon, il ne peut pas à lui seul régler tous les problèmes.

Vous avez évoqué les mesures prises en faveur des chantiers de rénovation énergétique, eux aussi à l'arrêt. S'agissant des C2E, des délais ont été accordés pour le dépôt des demandes. Envisagez-vous d'aller plus loin pour les nouvelles demandes, avec des financements à la clé à travers les appels à manifestation d'intérêt ? Le dispositif C2E sera un élément essentiel du plan de relance économique et énergétique d'après-crise, pour que la France atteigne ses objectifs en matière climatique.

Le ministre Bruno Le Maire nous a indiqué hier que la clé de la reprise et de la relance serait l'investissement. Ne faudra-t-il pas donner un gros coup de pouce à la rénovation énergétique des bâtiments, tant à travers les programmes institutionnels que pour les travaux des particuliers ? Ne faudra-t-il pas renforcer les aides de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), dont le budget n'est pas à la hauteur ?

Enfin, vous avez mentionné les chèques énergie. Ne craignez-vous pas des retards dans la distribution des chèques, ce qui poserait problème à un certain nombre de foyers modestes dont la consommation d'énergie, en cette période de confinement, s'est accrue et qui sont confrontés à une perte de pouvoir d'achat ?

Mme Annie Guillemot. - La trêve hivernale est reportée à fin mai, mais combien de foyers et de personnes sont concernés, et pour quel coût ? Cet aspect est-il pris en compte dans la réflexion sur les scénarios de déconfinement ?

Les agents immobiliers et les bailleurs sociaux s'interrogent sur la continuité de service des gestionnaires des réseaux d'énergie. Avec la crise sanitaire, ces gestionnaires, notamment Enedis, n'assurent plus qu'une astreinte pour les urgences de sécurité. Or il est essentiel, pour toute la chaîne du logement, de retrouver de la fluidité ; ainsi, les raccordements doivent être effectués pour assurer les emménagements qui étaient déjà en cours. Que pensez-vous de la reprise de ce service public ?

Mme Elisabeth Borne, ministre. - Monsieur le Sénateur Daniel Gremillet, la volonté du Gouvernement est bien de mettre en oeuvre la loi « Énergie-climat ». Comme vous l'avez indiqué, la loi d'urgence donne un délai supplémentaire de quatre mois pour prendre les ordonnances prévues. Nous allons être amenés à décaler de quelques mois le volet relatif à l'hydrogène, tout en s'efforçant de limiter ce décalage. Nous sommes très attentifs aux dispositions attendues pour accompagner les fermetures des centrales à charbon ; ces textes seront publiés avant l'été.

Plus généralement, notre philosophie, c'est de s'efforcer de sortir un texte lorsqu'il accompagne une transition, comme pour les centrales à charbon. En revanche, lorsqu'un texte vient bouleverser les pratiques d'un secteur, comme certaines mesures d'application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, nous pourrons repousser les délais.

J'ai rencontré les acteurs des énergies renouvelables, dont vous relayez l'inquiétude. Je leur ai confirmé que les textes pris permettent de prolonger la validité des autorisations de travaux et que des délais supplémentaires pourront être accordés pour les raccordements par rapport à ce qui était prévu dans leur contrats d'achat. Nous pourrons continuer à ajuster les appels d'offres en fonction de nos échanges avec le secteur. Certains acteurs - dont les dossiers étaient prêts - ne souhaitent pas trop différer les appels d'offres, tandis que d'autres réclament au contraire du temps pour se préparer... Sur cette base-là, nous avons publié un calendrier recalé et pourrons éventuellement envisager de fractionner les appels d'offres. En tous cas, nous ferons preuve de beaucoup souplesse pour ne pas pénaliser les porteurs de projet déjà prêts, et accorder des délais supplémentaires aux autres.

Comme l'ont rappelé M. le Sénateur Roland Courteau et Mme le Sénateur Dominique Estrosi Sassone, plus de 85 % des chantiers sont arrêtés dans le BTP. Je ne sais pas si certaines filières ont des questions sur le guide. C'est l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) qui a élaboré toutes ces règles, en lien avec les fédérations professionnelles et en concertation avec les organisations syndicales. Je crois que nous avons aujourd'hui une base solide pour permettre aux chantiers de redémarrer. Par une circulaire aux préfets, j'ai demandé à ce que des chantiers particulièrement urgents soient repris, notamment pour rétablir des infrastructures - je pense à un éboulement sur la ligne du TGV Est, certaines lignes en Île-de-France, une route nationale dans les Pyrénées orientales... Des lignes électriques ont été endommagées à la suite d'intempéries, des centres de stockage de déchets doivent être réaménagés. La priorité est aux chantiers nécessaires à la continuité de l'activité mais les autres chantiers pourront ensuite redémarrer sur la base de ce guide des bonnes pratiques.

Nous avons publié un arrêté prolongeant les dispositifs C2E et en créant de nouveaux, pour les copropriétés et dans le tertiaire. Les ajustements apportés sur les planchers bas visaient à corriger des surcompensations, qui allaient donc au-delà du coût des travaux. Par ailleurs, des cas de fraude étaient signalés sur le « coup de pouce à un euro »... Nous avons souhaité ajuster les dispositifs - pour s'assurer qu'ils couvrent de manière équitable les travaux en question - et repréciser les modalités de contrôle. Loin d'arrêter l'incitation, nous corrigeons le surdimensionnement du calibrage.

Nous sommes très attentifs à la facture énergétique des ménages précaires. J'ai demandé à l'ensemble des fournisseurs d'électricité et de gaz leur appréciation sur les consommations d'énergie. On constate que la consommation de gaz n'a quasiment pas augmenté et que la consommation électrique n'a augmenté que de quelques pourcents. Les factures ne vont donc pas augmenter significativement - mais cela signifie aussi qu'en temps normal, le chauffage fonctionne y compris lorsque les habitants ne sont pas à leur domicile. Preuve qu'il existe des leviers de réduction de ces consommations.

J'ai échangé avec le président de La Poste, dont les équipes sont très mobilisées. Nous avons choisi d'étaler l'envoi des chèques énergie pour garantir un bon acheminement et avons la certitude que les chèques arrivent bien à leur destinataire.

Monsieur le Sénateur Daniel Dubois, je suis évidemment très attentive à la situation des distributeurs de carburants, qui maillent notre territoire. Ils ont accès aux dispositifs de soutien de droit commun : les prêts garantis par l'État et le report de charges fiscales et sociales. Nous pouvons envisager, au cas par cas, des facilités de paiement des taxes énergétiques. Les plus petites entreprises peuvent aussi être accompagnées par le fonds de solidarité, si elles répondent aux critères applicables à tous les secteurs : chiffre d'affaires inférieur à un million d'euros, activité à l'arrêt - ce qui n'est pas le cas pour les stations-service - ou perte du chiffre d'affaires de plus de 50 %...

La capacité d'incorporation du bioéthanol est effectivement restreinte par la diminution de la consommation de carburants. Nous sommes en train d'examiner les mesures que nous pouvons prendre pour limiter les importations en provenance notamment des États-Unis et du Brésil, afin de protéger nos producteurs nationaux. Nous mettons également en relation les producteurs de bioéthanol avec les fabricants de gel hydroalcoolique, dont la production a très fortement augmenté ces dernières semaines

L'impact de la crise sur les recettes de TICPE est très important, pour l'État comme pour les collectivités territoriales. Une fraction de TICPE alimente le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ». Nous ne faisons pas de pronostics sur l'impact global des baisses de recettes - il faut aussi tenir compte de la TVA, du report des charges fiscales et sociales... Il faudra un ajustement en loi de finances pour prendre en compte ces difficultés, étant entendu que les dispositifs de soutien aux EnR, financés par le compte d'affectation spéciale, devront bien sûr se maintenir.

Madame la Sénatrice Annick Guillemot, je n'ai pas de chiffres précis sur les personnes concernées par des expulsions - cela dépend davantage du ministère en charge de la ville et du logement.

J'ai fait le point avec Enedis sur leur plan de continuité d'activité ; ils réalisent peu de travaux en dehors des urgences, mais sont bien sensibilisés à la nécessité de procéder aux raccordements pour les particuliers et pour les chantiers de BTP. Je pense que la situation devrait donc s'améliorer sur ce point, et nous continuerons à la suivre avec Enedis.

M. Daniel Laurent. - Les collectivités territoriales maîtres d'ouvrage des travaux financés par le fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ) sont très favorables à un allongement des délais dont elles disposent habituellement pour transmettre leurs prévisions de travaux, leurs attestations de commencement de travaux ou leurs demandes de solde. Elles souhaiteraient être entendues.

Les premières mesures de soutien à la filière de la chaleur renouvelable ont été bien accueillies. Toutefois, 70 % des chantiers forestiers et des scieries sont à l'arrêt. La pénurie du bois, qui se profile en raison du décalage des ventes, risque d'entraîner une hausse des prix de la biomasse l'hiver prochain, alors que les prix du gaz devraient fortement diminuer. Cela pourrait freiner le développement des réseaux de chaleur renouvelable. Les porteurs de projet, pour l'essentiel des acteurs publics locaux, souhaitent par conséquent vous alerter sur ce risque et vous demander des mesures de soutien supplémentaires, compte tenu de la nécessité de ne pas prendre de retard sur les objectifs fixés dans la PPE, ni de revoir à la baisse les exigences concernant la transition énergétique.

Par son avis du 2 avril dernier, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a conduit à l'interdiction de l'épandage des boues non hygiénisées produites après le début de l'épidémie, qui sont susceptibles d'être contaminées par le virus. Connaît-on la durée de vie potentielle du virus dans les boues ? Pour les boues hygiénisées, qui ont subi un traitement réduisant à un niveau indétectable les organismes pathogènes, les plateformes de compostage auront du mal à s'approvisionner en bio-déchets en raison de la fermeture des déchetteries.

Mme Denise Saint-Pé. - Les fournisseurs alternatifs d'électricité souhaitent remettre en cause leurs contrats passés au tarif de 42 euros le MWh. J'ai entendu la réponse négative que vous leur avez faite, dans le même sens que la CRE. Or, je pense que la crise que nous traversons peut être assimilée à un cas de catastrophe naturelle.

Dans un contexte économique difficile, n'est-il pas souhaitable de permettre aux fournisseurs alternatifs de faire bénéficier leurs clients de tarifs plus bas ?

M. Laurent Duplomb. - Le monde agricole et agroalimentaire fait un travail formidable pour approvisionner les Français, mais manque de bras. Les salariés de la grande distribution sont très mobilisés mais il faut assurer les livraisons. Or, par manque de salariés et en raison de retours à vide, de nombreux transporteurs ont augmenté les coûts de livraison, qui se reportent sur les industriels, déjà pénalisés par la crise. Ce n'est pas à eux de payer, mais à l'État. Pourquoi ne pas proposer des péages gratuits le temps du confinement, ce qui permettrait des livraisons plus rapides, moins coûteuses, et garantirait le modèle économique des transporteurs, tout en bénéficiant également aux salariés des secteurs essentiels, notamment les personnels soignants ?

Depuis trois ans, avec plusieurs de mes collègues, nous demandons sans cesse plus de retenue lors des débats environnementaux que nous avons dans l'hémicycle. Nous invitons à la mesure dans la condamnation du modèle agricole conventionnel et l'appel au « tout-bio ». Depuis des années, nous appelons à limiter l'addiction normative qui pénalise notre compétitivité. Depuis quelques mois, nous plaidons pour plus d'objectivité dans le procès à charge fait aux emballages plastiques.

Et pourtant, en quelques jours, face à cette crise sanitaire sans précédent, les choses ont radicalement changé : les consommateurs, par souci d'économies, de temps, ont recentré leurs achats alimentaires sur des produits basiques comme le beurre, la crème ou le lait UHT et la viande française, délaissant les produits haut de gamme, AOP ou bio, mettant en lumière la vulnérabilité de ces filières. L'autosuffisance alimentaire, en qualité et en quantité, revient à l'ordre du jour.

La volonté farouche de supprimer tous les emballages, de revenir au vrac, a été balayée en quelques jours par l'exigence de la grande distribution - donc des consommateurs ! - de remettre des emballages partout, voire plus qu'avant la loi relative à l'économie circulaire, pour des raisons sanitaires.

Il y aura un avant et un après coronavirus ; nous devrons en tirer les leçons pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Le Gouvernement en est-il conscient ? Ne faut-il pas décaler voire annuler dès aujourd'hui les mesures qui devaient entrer en vigueur. Alors que ses commandes explosent, un chef d'entreprise dans l'industrie plastique se plaint que vos services lui enjoignent de répondre à un long questionnaire sur la stratégie 2040 d'ici le 15 mai. Nul besoin de rajouter de tels tracas administratifs.

M. Fabien Gay. - Je remercie vos collaborateurs, madame la ministre, avec qui les échanges sont toujours constructifs et cordiaux.

Le Gouvernement a opté pour un choc d'offre en faveur des entreprises, avec un plan de 345 milliards d'euros. Nous attendons un même choc de la demande, avec des mesures de soutien aux ménages : passer les heures pleines au tarif heures creuses, baisser la TVA à 5,5 % sur les produits de première nécessité, élargir le chèque énergie pour les plus précaires, ou les exonérer de contribution au service public de l'électricité (CSPE)...

Le Président de la République estime qu'il faudra sortir des pans entiers de l'économie des biens marchands, notamment l'énergie ou les transports. Est-il raisonnable d'aller au bout du projet « Hercule », qui scindera EDF en deux pour en privatiser une partie ? Vous êtes prêts à débattre de la nationalisation d'Air France ; êtes-vous disposés à créer un pôle public de l'énergie et à revenir sur la privatisation d'Engie ?

Les fournisseurs alternatifs d'électricité veulent fromage et dessert. Ce n'est pas sérieux. S'ils veulent sortir du tarif de l'Arenh, ils ne doivent pas pouvoir y revenir. Sur ce point, nous pouvons nous entendre.

Vous avez évoqué, à juste raison, la situation de celles et ceux mobilisés dans cette crise. Pourquoi ne pas créer un régime spécial ou un statut pour l'ensemble de ces salariés en première ligne ?

M. Franck Menonville.  - La filière des biocarburants est fragilisée par la crise et le risque est accru par des importations massives. Une réaction s'impose au niveau européen pour activer la « clause de sauvegarde ».

L'industrie agroalimentaire est perturbée. Ne peut-on reporter l'application de certaines dispositions de la loi relative à l'économie circulaire et les mettre en perspective avec des études d'impact, en associant davantage les filières ?

Mme Viviane Artigalas. - Une fois l'urgence passée se posera la question du déconfinement et de la reprise de l'activité, en particulier dans le secteur touristique. Je regrette la déclaration du secrétaire d'État aux transports qui demande aux Français à ne pas prévoir de vacances pour cet été. C'est un très mauvais message envoyé au secteur du tourisme, alors que nous travaillons avec Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères, sur un plan de relance à court et à long termes - même si 2020 sera sans doute effectivement une année blanche pour le tourisme.

Soyons optimistes, laissons aux Français aujourd'hui confinés quand même un espoir de pouvoir partir cet été ! Comment se fera la reprise des transports ? Selon quel calendrier, quelles zones géographiques ? Les transports intérieurs reprendront-ils avant les transports internationaux ? Pour favoriser le tourisme en France, ne pourrait-on baisser exceptionnellement les tarifs autoroutiers cet été ?

M. Alain Duran. - Alors que nous traversons une crise sanitaire et économique violente et durable, pour reprendre les propos tenus devant nous par le ministre Bruno Le Maire, la planète profite de ce répit : nous redécouvrons le ciel bleu....

Le ministre de l'économie et des finances évoquait hier un projet de grand emprunt sur cinq à dix ans, si possible européen, pour relancer les investissements. Puisque l'État deviendra un planificateur économique dans les prochains mois, ne faut-il pas orienter cette relance pour aller plus vite et plus loin, faire du développement durable un levier de sortie de crise ? Je pense à la mobilité propre, à la performance énergétique, qui doivent permettre de renforcer notre durabilité et notre résilience. Pour cela, madame la ministre, il suffirait de conditionner les aides publiques à ces nouvelles orientations ? Quelle est la stratégie de votre ministère dans la perspective de cette relance économique ?

Le végétal sera demain le refroidisseur de la planète. Pourquoi obliger les horticulteurs à vendre uniquement des plantes maraîchères et non florales alors que le jardinage est bénéfique pour la planète, pour occuper les personnes confinées, et que le printemps ne reviendra que dans un an ?

M. Joël Labbé. - Il faut gérer l'urgence sanitaire et éviter des désastres économiques et sociaux, en particulier sur l'emploi. De nombreux scientifiques lient l'apparition de pandémies à la destruction de la biodiversité, à la déforestation et à la crise climatique. La crise environnementale est elle aussi une urgence. Ainsi, dans l'après crise, au moment de la relance économique, quelle sera, madame la ministre, la place pour l'environnement, le climat et la biodiversité ? N'est-ce pas une opportunité pour conditionner une partie des dépenses d'investissement nécessaires à la transition vers un nouveau modèle résilient et plus sobre. À l'échelle locale comme européenne, les plans de soutien à l'économie ne peuvent-ils pas être l'occasion d'accélérer la transition écologique ? Certaines régions françaises proposent un New Deal environnemental, avec des investissements publics dans la transition écologique, pour une économie relocalisée et résiliente. Il faut y réfléchir dès maintenant. Ne continuons pas comme avant !

Mme Anne-Catherine Loisier. - Certaines grandes entreprises basculent de l'approvisionnement bois à l'approvisionnement gaz, profitant du seuil de 50 % d'énergies renouvelables pour avoir accès aux avantages fiscaux. Cela met en difficulté la filière bois, qui perd un débouché essentiel. Ne pourrait-on porter le seuil ouvrant droit à avantage fiscal de 50 % à 80 % de biomasse ?

Envisagez-vous un moratoire sur les textes d'application de la loi relative à l'économie circulaire ? Actuellement, on sollicite sur des sujets non urgents des entreprises mobilisées pour produire des flacons de gel hydroalcoolique...

Mme Patricia Schillinger. - EDF est doté depuis le début des années 2000 d'un plan de continuité d'activité, lui permettant de faire face à la situation de pandémie ; le groupe peut poursuivre son activité pendant douze semaines avec 25 % de ses effectifs en moins, et deux à trois semaines avec 40 % de personnel en moins. Actuellement, de nombreux salariés restent à la maison en raison de la fermeture des écoles et des crèches. La centrale de Fessenheim doit fermer un second réacteur le 30 juin. Est-ce toujours d'actualité, ou sera-t-il prolongé ?

Je m'interroge aussi sur le traitement des déchets - gants, masques, lingettes, surblouses - qui peuvent se retrouver dans la poubelle jaune. Il faut un meilleur recyclage de ces déchets, et interdire de jeter les lingettes dans les toilettes pour éviter de bloquer les stations d'épuration et limiter les risques de propagation de l'épidémie. Les matériaux hospitaliers sont traités séparément de ceux utilisés par les habitants. Des mesures sont-elles prévues en ce sens ?

M. Henri Cabanel. - Selon le Haut conseil de la santé publique (HCSP), il n'y a pas d'argument scientifique en faveur du nettoyage des rues et de la désinfection du domaine public. Le Comité national de la conchyliculture (CNC) demande un encadrement des pratiques de désinfection des rues pour préserver la faune et la flore terrestres et marines. Que prévoyez-vous pour encadrer ces pratiques ?

M. Jean-Pierre Moga. - Les chauffeurs routiers et les transporteurs jouent un rôle essentiel. Ils approvisionnent les entreprises et les hôpitaux, qui peuvent ainsi poursuivre leurs activités. Mais sur les autoroutes comme sur les autres réseaux routiers, les aires de repos sont fermées et ils se trouvent démunis faute de services. Que comptez-vous faire ? Les préfets pourront-ils apporter des assouplissements pour rouvrir certaines aires d'autoroute et mettre à disposition des emplacements dédiés ?

En outre, dans nos départements ruraux, beaucoup de personnes utilisent les transports ferroviaires pour aller au travail. Or il n'y a presque plus de liaisons TER. En temps normal, la ligne Bordeaux-Agen compte chaque jour quinze TER dans chaque sens ; aujourd'hui, il n'en roule plus qu'un ou deux. Peut-on espérer une amélioration de ces dessertes ?

Enfin, la question des déchets inquiète les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Des individus indisciplinés et irresponsables brûlent eux-mêmes leurs déchets, au risque de provoquer des incendies. Il faut également éviter les dépôts sauvages. Peut-on envisager une réouverture des déchetteries, sous certaines conditions ?

M. Pierre Cuypers. - À la lecture de la presse, les épandages agricoles seraient mis en cause : selon des organismes de surveillance de l'air et un collectif de médecins, ces traitements augmenteraient les émissions de particules fines, qui aggraveraient les symptômes du covid-19 ou faciliteraient sa propagation ! Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

M. Michel Raison. - Les agences de voyage et les transporteurs aériens sont en plein contentieux : les règlements européens imposent aux seconds de rembourser les billets d'avion, ce qu'ils refusent de faire. Dans le meilleur des cas, ils proposent un avoir valable douze mois. Les agences de voyage, qui souffrent énormément, voudraient dix-huit mois, et une garantie en cas de faillite. Pouvez-vous venir à leur secours ?

Les entreprises assurant les transports scolaires souhaitent disposer d'indications au plus vite sur la date de rentrée des élèves. Elles en ont besoin de manière urgente pour prendre leurs décisions de gestion.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Monsieur le Sénateur Daniel Laurent, les prévisions de travaux éligibles au FACÉ pour 2020 ont été définies à la fin de l'année 2019. La règle est la suivante : vous avez jusqu'au 31 décembre de l'année n pour prévoir les travaux de l'année n+1. Les collectivités territoriales ont donc pu faire part des chantiers qu'elles souhaitaient mener en 2020, et elles ont jusqu'à la fin de l'année pour prévoir les travaux de 2021. Il devrait être possible de respecter ces délais. S'agissant des formalités nécessaires au déclenchement des travaux, il n'y a pas de doute : nous ferons preuve de souplesse - c'est possible avec les textes en vigueur - pour accorder aux collectivités territoriales les délais dont elles auront besoin.

L'effondrement du prix du gaz et les difficultés d'accès à la ressource pénalisent les producteurs de chaleur renouvelable, mais les aides du fonds chaleur sont précisément calibrées pour tenir compte des différentiels de coûts entre la biomasse et les énergies fossiles : cela devra donc être pris en compte. Pour autant, j'entends les difficultés liées aux activités forestières. J'espère qu'à l'instar des travaux publics, elles pourront reprendre rapidement, pour garantir la disponibilité de la ressource. Nous allons y travailler avec mon collègue, le ministre de l'agriculture Didier Guillaume. Plus globalement, nous examinons les moyens de mieux mobiliser les ressources de la filière bois au profit de la chaleur renouvelable comme de la construction. La mission de la députée Anne-Laure Cattelot se poursuit sur ce point pour trouver les bons mécanismes.

S'agissant des boues des stations d'épuration, l'avis de l'Anses précise que, pour celles hygiénisées par compostage, chaulage ou séchage thermique, le risque de propagation du virus est négligeable. Cela représente 84 % des boues. En revanche, l'Anses a préconisé de ne pas épandre les boues non hygiénisées à partir de la date de départ de l'épidémie, précisée par département. Elles devront donc être stockées et réorientées vers les filières d'hygiénisation ou d'incinération. Les préfets accompagneront les petites collectivités qui en auraient besoin.

Madame la Sénatrice Denise Saint-Pé, certains fournisseurs d'électricité veulent maintenant rendre les volumes d'Arenh qu'ils ont réclamés et obtenus à la fin de l'année dernière. Un certain nombre d'entre eux entendent activer la « clause de force majeure ». Cela signifie qu'ils ont bénéficié de l'Arenh pour acheter de l'électricité à un tarif plus faible que celui du marché, sinon ils n'auraient pas eu recours à l'Arenh mais à des contrats à terme. Maintenant, ils souhaitent, tout compte fait, rendre cette électricité. Cela reviendrait finalement à faire peser sur EDF la totalité des risques. Il y a un problème de principe, la CRE l'a fait valoir dans sa délibération. Certains fournisseurs alternatifs ont introduit un recours contre cette délibération et je n'ai pas à commenter ce que sera la décision du Conseil d'État. Je relève simplement que cela pose un vrai problème de principe de recourir à l'Arenh pour acheter à un prix inférieur au marché puis de considérer que l'on est délié de ses engagements en cas de retournement du marché. Un tel dispositif ne peut pas fonctionner durablement. Il n'est pas possible qu'un fournisseur d'énergie soit l'assureur de tous les autres. C'est aussi le sens de nos réflexions sur la nouvelle régulation économique du nucléaire. On ne peut un jour vouloir bénéficier de prix inférieurs à ceux du marché et s'en délier quand le marché se retourne ! Nous aurons à intégrer dans nos réflexions les comportements que l'on peut observer ces temps-ci.

Monsieur le Sénateur Laurent Duplomb, sur les critiques liées à l'envoi de questionnaires à certaines entreprises, sachez que mes services sont particulièrement mobilisés face à la crise que nous connaissons. Ils consacrent l'essentiel de leur énergie à accompagner toutes les entreprises des secteurs de l'eau, des déchets, des transports, de la logistique et de l'énergie, afin qu'elles puissent continuer à fournir les services essentiels à la vie de notre pays. Gardons-nous des caricatures. Les services du ministère de la transition écologique et solidaire ne sont pas là pour embêter le monde mais sont mobilisés depuis trois semaines pour accompagner notre pays dans cette crise sans précédent ! Il faudra bel et bien prendre le temps de tirer les leçons de cette crise, mais, à ce stade, mes conclusions sont à l'opposé des vôtres : il nous faut des circuits courts, des chaînes logistiques plus simples, car on ne peut pas être dépendant des produits importés. Ce débat de l'après-crise devra être mené.

Dans la situation actuelle, les chaînes logistiques doivent se réorganiser en permanence, notamment dans l'industrie agroalimentaire, et elles sont moins bien optimisées que d'habitude. Mécaniquement, si les camions sont à moitié vides, le prix du transport est plus élevé. Nous devons examiner cette question en toute transparence et s'assurer que chacun prend sa part. Le secrétaire d'État aux transports Jean-Baptiste Djebbari participe aux réunions au cours desquelles MM. Le Maire et Guillaume examinent ces sujets avec les acteurs de l'agroalimentaire, des transports et de la logistique.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont, elles aussi, frappées par la crise : la circulation des véhicules légers a baissé de 85 %, celle des poids lourds de 45 %. La gratuité des péages pour les transporteurs aggraverait encore leurs difficultés. De plus, juridiquement, on ne peut pas cibler les transporteurs approvisionnant nos seuls magasins et exclure les poids lourds en transit... Cela ne me semble donc pas très praticable. Pour autant, les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont mobilisées dans l'accompagnement de la crise. À leur initiative elles sont en train d'instituer un dispositif permettant le remboursement des péages acquittés par le personnel soignant. La société ATMB a déjà mis en place ce remboursement. C'est une action de solidarité importante.

Monsieur le Sénateur Fabien Gay, nous sommes très attentifs à la situation des ménages précaires dans le contexte actuel de confinement. Nous faisons notamment en sorte que les chèques énergie arrivent au plus vite. Le confinement peut en effet poser des problèmes financiers aux familles dont les enfants bénéficient d'ordinaire de tarifs réduits dans les cantines. Nous allons travailler sur cette question avec le ministre des solidarités et de la santé Olivier Véran et sa secrétaire d'État Christelle Dubos.

Au sujet du projet « Hercule », je tiens à vous rassurer : comme l'a dit le Président de la République, l'ensemble des réformes sont suspendues jusqu'à nouvel ordre, le Gouvernement se consacrant à 100 % à la gestion de la crise. Nous aurons à revenir sur la réorganisation d'EDF - pour répondre à la transition énergétique ! - et la régulation du nucléaire historique - en préservant les intérêts des consommateurs mais aussi les investissements de l'entreprise - mais le sujet n'est pas d'actualité.

Monsieur le Sénateur Franck Menonville, nous sommes très attentifs à la situation des producteurs de bioéthanol. Je suis favorable à l'activation de la « clause de sauvegarde » pour limiter les importations en cas de difficultés ; il faudra notifier la demande d'activation de cette clause à la Commission européenne. Nous veillons à mettre en lien les différents acteurs de la production de gel hydroalcoolique.

Madame la Sénatrice Viviane Artigalas, le Gouvernement a annoncé une réflexion sur le déconfinement mais les Français doivent savoir qu'il ne faut pas relâcher l'effort de confinement, afin de contenir la diffusion de l'épidémie et la pression sur nos hôpitaux. Cette réflexion n'est pas terminée. Nous ne sommes pas en train de dire que les Français ne pourront partir en vacances cet été. Le point de vigilance que soulignait M. Djebbari est que ce n'était sans doute pas le moment d'acheter un billet pour partir à l'autre bout de la planète, avec toutes les incertitudes qui existent sur l'état de l'épidémie en France et dans le monde, alors que nous venons d'accompagner le rapatriement de 150 000 compatriotes. Nous avons tous en tête la situation du secteur touristique. Nous pouvons recommander aux Français de profiter de notre beau pays pour les prochaines vacances, et, ce faisant, de soutenir nos acteurs du tourisme.

MM. les Sénateurs Alain Duran et Joël Labbé ont évoqué la sortie de la crise. D'emblée il faut indiquer que le Gouvernement est d'abord concerné sur la gestion de la crise. De même que le confinement avait été anticipé avec les plans de continuité de l'activité, il faudra anticiper le déconfinement pour les opérateurs d'importance vitale. Il sera sans doute progressif. Cet important travail préparatoire sera piloté par M. Jean Castex, avec qui nous allons échanger étroitement, pour permettre à tous les secteurs relevant de mon champ de compétences de se préparer à cette perspective. Je pense qu'il serait prématuré de donner aujourd'hui des indications.

On ignore combien de temps va durer la crise et dans quel état elle laissera notre pays et l'Europe. Il faudra faire preuve d'humilité et prendre le temps d'établir le diagnostic. A titre personnel, je suis convaincue que cette pandémie et les atteintes aux écosystèmes ont bel et bien un fondement commun ; la déforestation favorise le passage d'agents pathogènes de la faune sauvage aux humains. Il faudra en tirer toutes les conséquences, à ce titre, mais aussi en termes de souveraineté et de résilience. Nous devons préparer une société plus résiliente, plus écologique et plus solidaire, car, effectivement, la crise sanitaire n'efface pas la crise écologique. C'est à cette tâche que nous nous attèlerons.

Madame la Sénatrice Anne-Catherine Loisier, il est bien prévu d'augmenter les obligations d'incorporation de biomasse pour être éligible aux avantages fiscaux ; il faudra être attentif à la mise en oeuvre de ces dispositions, étant donné les difficultés d'approvisionnement signalées par les acteurs du secteur.

Sur la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, j'entends les questions et ferai le point avec mes services. Nous prendrons le temps de mener les consultations nécessaires dans de bonnes conditions avec les nombreux acteurs concernés.

Madame la Sénatrice Patricia Schillinger, on peut saluer la très bonne préparation d'EDF, via son plan de continuité d'activité, tout comme des autres grands opérateurs du secteur, ce qui permet d'assurer la sécurité de notre approvisionnement. Pour ce qui concerne la centrale de Fessenheim, le Gouvernement n'envisage pas de revenir sur les dates fixées qui correspondent à des obligations réglementaires : on ne peut ainsi changer de pied sur les calendriers liés à des arrêts de réacteurs nucléaires.

Le traitement des masques et des gants est une question sensible pour les opérateurs qui les collectent. Il ne faut pas mettre ces déchets dans la poubelle jaune, mais les stocker 24 heures dans un sac séparé, fermé, avant de les jeter dans la poubelle grise. Nous avons communiqué avec la filière et allons continuer à le faire.

Monsieur le Sénateur Henri Cabanel, beaucoup de questions ayant été posées sur ce sujet, nous avons souhaité avoir l'avis du HCSP. Il estime que, dans les pays où la désinfection des rues a été pratiquée, elle n'a pas eu d'impact sur la propagation de l'épidémie. Par ailleurs, nous sommes attentifs aux produits pouvant être utilisés à cette fin. Nous avons prévu une saisine complémentaire de l'Anses pour clarifier la liste des produits susceptibles d'être utilisés pour des désinfections spécifiques, notamment du mobilier urbain ou des établissements recevant du public (ERP). Les informations sont prévues dans le cadre des autorisations de mise sur le marché mais il est utile que l'Anses les explicite, alors que beaucoup de collectivités se posent des questions. Il faut s'assurer que ces produits soient efficaces pour lutter contre le virus et n'aient pas d'impact négatif sur l'environnement, notamment du fait de rejets dans le réseau de collecte ou d'assainissement

Monsieur le Sénateur Jean-Pierre Moga, M. Djebbari et moi-même suivons en permanence la situation des aires de service et de repos à disposition des routiers. Aujourd'hui, 95 % des aires de repos du réseau routier national, concédé ou non, sont ouvertes. Nous avons créé un numéro vert et une boîte aux lettres électronique pour leur permettre de nous signaler les dysfonctionnements qu'ils constatent. Tout le monde est conscient du service tout à fait majeur que le transport routier rend au pays, et les routiers doivent avoir les meilleures conditions de travail.

La réduction du trafic des TER peut créer des difficultés pour certains, mais, sur ce réseau, la fréquentation constatée est entre 0 % et 5 % du niveau habituel. Si nécessaire, les autorités organisatrices de transport peuvent affréter des cars. Cependant, l'offre maintenue de TER est en moyenne de 15 %, soit un niveau bien supérieur à la fréquentation. Si des difficultés persistent, il faut apporter des solutions ponctuelles à certains habitants.

Il n'y a pas eu de décision gouvernementale imposant la fermeture des déchetteries. Toutefois, les collectivités territoriales, chargées de ces services, ont sans doute voulu protéger les personnels concernés et les réaffecter à des tâches prioritaires, telle que la collecte des déchets. Nous allons étudier avec les collectivités territoriales dans quelle mesure ces déchetteries peuvent être rouvertes. C'est un enjeu pour les professionnels du secteur. De surcroît, nous avons besoin de déchets verts pour la méthanisation et il faut prévenir d'éventuels dépôts sauvages. À cet égard, les collectivités territoriales conservent bien sûr tous leurs pouvoirs de police.

La crise actuelle permet de mieux analyser l'origine de la pollution de l'air. Le trafic routier est presque à l'arrêt, et les oxydes d'azote ont beaucoup baissé - preuve qu'ils sont bien émis en grande majorité par les véhicules à moteur. En revanche, pour ce qui est des particules, la part de l'automobile est minoritaire et celle des épandages agricoles est importante. Au-delà du risque général, il n'est pas établi que ces particules favorisent la propagation du virus. Sur ce sujet, il importe de limiter les sources évitables - brulage à l'air libre ou chauffage d'agrément au bois - et de veiller à la qualité des combustibles.

Monsieur le Sénateur Michel Raison, face à une telle crise où tout le monde est en difficulté, les uns tentent nécessairement de se défausser aux dépens des autres. Les voyagistes sont effectivement en grande difficulté, mais les compagnies aériennes le sont également. Chacun doit prendre sa part. Il faut trouver un dispositif en ce sens, par exemple un système de prêts garantis, pour surmonter les difficultés, considérables, de ces secteurs.

Je mesure l'enjeu de visibilité pour le secteur des transports scolaires. Tous les acteurs ont besoin d'anticiper le déconfinement ; c'est précisément pourquoi M. Castex a prévu des concertations avec les différents secteurs, pour que les opérateurs puissent se préparer à un déconfinement dont nous devons encore établir les scénarios.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci d'avoir répondu à l'ensemble de nos questions. Bien sûr, nous allons poursuivre le dialogue avec vous au cours des prochaines semaines.

Demain matin, les bureaux de notre commission et de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable procéderont à l'audition commune de M. Philippe Wahl, PDG du groupe La Poste.

La téléconférence est close à 20 h 55.

Mercredi 8 avril 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente et de M. Hervé Maurey, président -

La téléconférence est ouverte à 10 h 00.

Audition commune, par les bureaux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques, de M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste (en téléconférence)

M. Hervé Maurey, président. - Monsieur le président-directeur général, nous sommes très heureux de vous auditionner avec le bureau de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et celui de la commission des affaires économiques. La Poste est un acteur majeur de la cohésion des territoires, sujet essentiel pour le Sénat. J'ai d'ailleurs plaisir à rappeler que c'est le Sénat qui a fait inscrire dans la loi de 2010 le fait que le nombre de points de contact du réseau postal ne pourrait pas être inférieur à 17 000, pour l'ensemble du territoire national. Je m'en souviens d'autant mieux que j'avais co-signé cet amendement en commission. Le plan de continuité des services que vous avez mis en place dès le début du confinement a suscité un certain nombre de critiques : sur la forme, les usagers et les élus ont dénoncé un manque de concertation ; sur le fond, l'application des nouvelles mesures, qu'il s'agisse de la distribution du courrier seulement trois jours consécutifs par semaine ou de l'accès aux distributeurs automatiques de billets (DAB), a entraîné de grandes difficultés aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises, notamment dans les secteurs de l'agriculture et de la presse. C'est d'ailleurs en matière d'accès aux espèces que l'on recense les cas les plus problématiques pour ne pas dire dramatiques, car certains DAB n'étaient pas alimentés et des clients de La Poste se sont retrouvés sans aucun moyen de paiement et ont parfois dû emprunter des espèces à leur maire... Je connais des maires de mon département qui ont fait cela.

Face à la colère des usagers, vous avez décidé d'augmenter le nombre de bureaux de poste ouverts, y compris en zones rurales. Monsieur le président-directeur général, pouvez-vous nous rappeler les différentes mesures qui ont été prises et nous indiquer si leur mise en oeuvre est effective ? Comptez-vous compléter ce dispositif pour répondre aux attentes de la population ? Je transmettrai vos réponses aux nombreux élus de mon département qui m'ont fait part des problèmes qu'ils rencontraient sur le terrain.

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le président-directeur général, nous vous remercions d'avoir accepté cette invitation. C'est votre deuxième audition devant la commission des affaires économiques du Sénat cette année, la première ayant eu lieu le 29 janvier dernier pour le renouvellement de votre mandat, dans des circonstances très différentes ! Certaines décisions prises par La Poste au début de la crise ont été très mal vécues par les particuliers, les entreprises et les élus, qui sont tous très attachés à la présence de ce service public d'intérêt général auquel les Français sont attachés. Je pense qu'il n'y a pas d'autre entreprise en France qui caractérise à ce point la présence des services publics au coeur des territoires. Quand La Poste a des difficultés, c'est l'ensemble du pays, dans sa diversité, qui en souffre.

Cette audition est essentielle, car vous pourrez ainsi répondre à nos interrogations sur la fermeture de bureaux, le paiement des prestations sociales, la mise à disposition de mairies de liquidités et, bien sûr, la distribution du courrier. Nous ne souhaitons pas vous accabler, cela ne serait d'aucune utilité - et nous devons, devons, les uns et les autres, faire preuve d'humilité par rapport à cette crise -, mais savoir quelles dispositions vous avez prises pour y faire face. Vous nous expliquerez comment vous comptez assurer vos missions de service public tout en préservant la santé des 250 000 postiers. Je salue Patrick Chaize, qui a réussi à réunir les commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT) en un temps record la semaine dernière.

Selon quels critères avez-vous distingué les missions de La Poste qui seraient essentielles des activités non essentielles ? Certains considèrent, par exemple, que des activités ne relevant pas de vos missions légales de service public ont pu être mieux traitées que celles relevant de ces dernières.

Comment vos homologues européens s'organisent-ils ? Ont-ils mis au point de bonnes pratiques dont nous pourrions nous inspirer ?

Enfin, quelle est votre réponse aux syndicats à propos d'un stock de masques dont disposerait La Poste ?

M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste. - Madame la présidente, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de cette audition, car c'est dans le dialogue que La Poste traverse cette crise. Ce service public doit rester accessible au plus grand nombre de Français sur le territoire. Lorsque la crise sanitaire est arrivée en France et que le confinement a été mis en place par les autorités publiques, notre entreprise en a aussi subi les conséquences.

Pour décrire notre action, je distinguerai trois étapes importantes.

La première, qui est toujours d'actualité, vise en priorité à protéger la santé et la sécurité de nos 250 000 collaborateurs répartis sur l'ensemble du territoire, ainsi que des millions de clients quotidiens de La Poste. Il y va de ma responsabilité de chef d'entreprise telle qu'elle m'est assignée par la loi, y compris dans sa dimension pénale. La Poste a donc dû, dans un premier temps, construire une organisation solide de la distribution du courrier ou des colis et de l'accueil dans les bureaux de poste.

Ce socle industriel doit permettre de respecter les grands principes du service public dans la durée : l'ouverture, la continuité et l'adaptabilité ; nous les illustrons en ce moment. Compte tenu des effets très forts de cette crise, nous devions adapter le service public de La Poste. Nul ne met cette nécessité en doute. C'est plutôt la forme et la profondeur de cette adaptation qui soulèvent des interrogations.

Voilà trois semaines, nous avons posé un principe de prévention des risques et de protection pour tous, agents comme clients : il s'agit de doter tous les postiers de gants, de masques et de gel, puis d'installer des écrans de plexiglas dans les bureaux de poste. La règle était claire : sans équipements, toute l'activité s'arrête. Nous avons maintenu 1 600 bureaux ouverts, en choisissant ceux qui enregistrent les flux les plus importants. Pour le courrier et les colis, en accord avec la médecine du travail, nous avons organisé la distribution trois jours consécutifs par semaine, le mercredi, le jeudi et le vendredi. À la deuxième semaine de cette séquence, le socle est posé.

Les organisations syndicales, que nous rencontrons régulièrement, comprennent et accompagnent ce mouvement, et la plupart des postiers sont au travail en ce moment. Nous avons décidé de réduire l'amplitude des horaires d'ouverture du service public, et je l'assume, du fait du confinement, qui représente pour tous les Français un choc important. Ainsi, la continuité de l'activité est respectée, bien que des postiers ne puissent pas venir travailler, parce qu'ils font partie des populations les plus fragiles ou doivent garder leurs enfants. Enfin, le droit de retrait a été exercé par quelques agents, mais de façon marginale.

La deuxième étape, qui s'achève en ce moment, consiste à donner la priorité absolue au versement des prestations sociales. Nous permettrons ainsi à près de 1,5 million de personnes de percevoir leurs aides au cours du mois. Cela explique que nous donnions une priorité aux bureaux qui sont très fréquentés. Nous avons choisi d'approvisionner au maximum les DAB et anticipé dès ce week-end le paiement des prestations sociales.

Au terme des deux premiers jours de traitement des flux, qui se sont renforcés, la situation est bonne. Je remercie les postiers de leur présence et de leur engagement, ainsi que les clients de leur sagesse et de leur prudence. Je rends hommage aux forces de l'ordre mises à disposition par le ministre de l'intérieur, grâce à la réserve. Je salue également les volontaires qui gèrent les files d'attente dans les bureaux de poste.

Dans le même temps, nous avons organisé le dispositif dans la ruralité. La semaine dernière, nous avons participé à la réunion de l'Observatoire national de la présence postale (ONPP) et réuni avec M. Patrick Chaize les 100 commissions départementales de présence postale territoriale. Ainsi, chacune d'entre elles a pu adapter sur le terrain le dispositif au versement des prestations sociales et diminuer éventuellement l'amplitude des heures d'ouverture de certains bureaux-centres pour maintenir la présence postale aux alentours. Ce choix structurant pour notre réseau est une réussite collective.

Dans nombre des 465 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), nous avons maintenu un bureau de poste. Toutefois, quand le bureau-centre d'une ville pouvait accueillir de nombreux clients d'un QPV adjacent, nous avons préféré renoncer à maintenir de petits bureaux dont l'ouverture risquait de créer des difficultés.

J'en viens à la gestion de la crise au sein de l'Union européenne. La plupart des postes, notamment en Belgique, en Italie et en Espagne - en Allemagne, le système est différent -, ont fermé de nombreux bureaux, y compris dans les zones rurales ; ceux qui restent ouverts sont certes plus nombreux qu'en France, mais l'amplitude horaire d'ouverture est plus faible. Si nous avions fait le même choix, nous n'aurions pas été en mesure de répondre aux flux considérables liés à la perception des prestations sociales.

C'est parce que cette période se termine que nous pouvons passer à une troisième étape qui devient notre nouvelle priorité, à savoir le renforcement de notre présence postale territoriale. Dès le début de la semaine prochaine, avec Patrick Chaize, nous réunirons une nouvelle fois les 100 commissions départementales de présence postale territoriale afin d'améliorer la situation dans tous les territoires.

À la fin de cette semaine, 2 500 bureaux devraient être ouverts, en ajoutant la moitié des fameux dispositifs de facteurs-guichetiers en zone rurale. L'objectif est que 5 000 bureaux de poste soient ouverts à la fin du mois d'avril, ce qui demande des efforts considérables. En réalité, si assurer cette mission de service public est possible aujourd'hui, c'est parce que s'achève, et de manière satisfaisante, la séquence prioritaire de l'accueil des plus fragiles, qui est la raison d'être de La Poste.

Cette troisième phase va être renforcée. Dès la fin de la semaine dernière, nous avons pris la mesure des difficultés de la presse quotidienne régionale et nationale et recruté 3 000 personnes. Lundi et mardi, les titres de presse qui se sont engagés avec nous ont pu être livrés à neuf abonnés sur dix. C'est un succès pour une opération d'urgence. Notre but est d'arriver mardi prochain au même résultat non plus sur deux jours, mais sur une seule journée, puis la semaine suivante à une distribution normale, c'est-à-dire sur cinq jours, du lundi au vendredi.

S'agissant des colis, en dépit des reports liés à l'arrêt de l'activité d'autres prestataires, nous avons été capables, y compris lors des trois dernières semaines, de distribuer 15 millions de colis par Colissimo et 7 millions par Chronopost tout en garantissant la sécurité et la santé de nos postiers. Les syndicats demandent que nous discriminions les colis. Or ce n'est pas à nous de décider quels sont les colis qui méritent d'être distribués immédiatement. Je ne ferai pas la morale des colis. Selon nous, les priorités absolues sont la fourniture d'espèces, puis les lettres recommandées. Les colis sont également importants pour le maintien de l'activité économique de notre pays, car ils permettent aux entreprises d'écouler leur production.

À cet égard, nous avons mis en place un nouveau dispositif de 1 000 points de retrait des colis, parallèlement aux 5 000 bureaux de poste déjà ouverts. Cela permettra de redistribuer 30 000 colis bloqués par la fermeture de bureaux de poste. Notre méthode, proportionnée et sage, consiste à adapter notre action aux besoins. Je précise que nous avons toujours continué la distribution, six jours sur sept, des médicaments et des repas aux personnes âgées, en ouvrant gratuitement le service « Veiller sur mes parents », auquel ont fait appel de nombreuses collectivités.

Au total, la volonté de La Poste est de protéger ses agents, d'être solide sur le moyen terme et de donner la priorité absolue aux espèces, ce qui est évidemment plus difficile en zones rurales. Grâce à notre collaboration avec l'Association des maires de France (AMF) et son président, François Baroin, 800 agences postales communales sont ouvertes sur les 7 000 que compte notre territoire, et nous envisageons l'ouverture à temps partiel de mairies au service, avec l'accord du maire, ce qui supposera de fournir des matériels de protection supplémentaires et plus d'espèces. Nous cherchons en permanence à garantir le service public tout en assurant la protection des salariés.

Cette protection passe désormais par les masques. La Poste est un opérateur capital pour notre pays, suivi en permanence par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité, avec qui nous travaillons en vue de la continuité du service public et de l'ensemble du dispositif de sécurité, informatique et physique. Il existe effectivement un stock stratégique important de masques à La Poste, qui datait de l'épidémie de grippe A/H1N1 de 2009. Lorsque la crise du Covid-19 s'est déclenchée, nous nous sommes rendu compte que ces masques n'étaient pas périmés ; nous les avons donc envoyés en masse dans nos 5 000 bureaux de poste, à destination de nos 250 000 salariés. Cela n'a rien de secret, puisque cela correspond au stock normal d'une entreprise stratégique, et je m'étonne de cette soudaine polémique, car les organisations syndicales ont été informées lors d'un comité national de sécurité et de santé au travail qui s'est réuni le 25 janvier dernier.

En outre, nous avons décidé de donner un coup de main à d'autres institutions en offrant 1 million de masques à l'AP-HP, 500 000 à la RATP, pour les conducteurs de métro et de bus, plus de 535 000 à Intermarché, contre du gel hydroalcoolique, et plus de 300 000 à la police nationale. Je m'étonne du surgissement de cette polémique.

La Poste cherche simplement à réagir de la façon la plus appropriée à une situation d'urgence inédite. Les remarques de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) nous incitent à penser que tel est le cas.

Je comprends le sentiment de nombre de parlementaires concernant le secteur rural, dont je reconnais qu'il n'a pas toujours été bien desservi, en particulier au cours de la première phase axée sur l'approvisionnement en espèces et le versement des prestations sociales. Voilà pourquoi nous voulons, en collaboration avec l'AMF, élargir l'ouverture des agences postales communales (APC). Nous y travaillerons dès la semaine prochaine avec tous les élus dans les départements.

Pour pouvoir prétendre au titre d'employeur responsable, nous devons protéger nos salariés et renforcer notre présence sur la totalité du territoire.

M. Marc Daunis. - Les parlementaires et élus locaux que nous sommes, les entreprises partenaires, nos concitoyens, ressentent un sentiment d'impuissance face à des décisions unilatérales et imposées d'en haut. Le partenariat avec les collectivités territoriales a été dénaturé, puisque La Poste a pu imposer la fermeture d'agences postales communales contre l'avis du maire. Nous sommes conscients que la santé est primordiale, mais notre incompréhension porte sur la méthode employée.

Quelle est la part de bureaux ouverts dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les zones rurales, qui sont les endroits les plus pénalisés par l'absence de bureaux de poste et qui devraient être les premiers bénéficiaires des réouvertures ? Quels critères ont été initialement retenus pour déterminer sans concertation si tel bureau devait être ouvert ou non ? Comment savoir, en se rendant sur le site internet de La Poste, si le bureau de poste fournit bien tous les services habituellement présentés ? Enfin, un plan de continuité de l'action postale en cas de déstabilisation du pays pourrait-il être inscrit dans le contrat de présence postale territoriale ?

M. Philippe Wahl. - Monsieur le sénateur, vous parlez de non-concertation, alors que nous avons très vite coopéré avec nos interlocuteurs publics. Mais, je le redis, pour un chef d'entreprise, la sécurité du personnel est la priorité.

M. Marc Daunis. - Je suis totalement d'accord !

M. Philippe Wahl. - Vous l'avez vous-même indiqué, monsieur le sénateur, de très nombreux maires, souvent eux-mêmes employeurs, ont donné la priorité à la protection de leurs salariés et ont fermé leur mairie. Toutefois, une fois le socle posé, nous avons travaillé la semaine dernière avec l'AMF, en particulier avec François Baroin et ses collaborateurs, afin de fournir des espèces aux maires qui souhaitent ouvrir un point postal ; nous sommes leurs partenaires, cette mission nous incombe. De plus, je le redis, les commissions départementales de présence postale territoriale se sont réunies.

Le chef d'entreprise doit d'abord organiser l'activité du groupe avant d'adapter les principes. Avec 250 000 salariés répartis dans plus de 20 000 localisations, 17 000 points de contact prévus dans la loi et 6 000 à 7 000 points de contact supplémentaires, il a fallu une semaine pour tout organiser, à commencer par la logistique de la sécurité du personnel, en tenant compte du droit de retrait opposé par certains salariés et syndicats. Notre réponse a été non pas la menace, mais la fourniture des équipements de sécurité agréés par le médecin du travail.

Pour la mise à disposition d'espèces et le versement des prestations sociales, les grandes villes ont certes été mieux couvertes que les zones rurales au départ. Dans la Creuse, département le moins proche des lieux postaux, nous avons consenti des efforts particuliers, avec l'aide de la CDPPT, afin d'augmenter la proximité postale. Bien sûr, le dispositif ne répond pas à 100 %, comme c'est le cas à Paris, à l'exigence d'une présence postale à moins de cinq kilomètres ou de vingt minutes en voiture. Il représente néanmoins une sensible amélioration. Autre exemple : en Corse, île montagneuse aux vallées non convergentes, qui compte habituellement 120 bureaux de poste, nous sommes passés de 18 bureaux ouverts au départ à 70, de façon non permanente, afin d'assurer une présence postale lisible et accessible.

Je n'ai rien contre l'inscription dans le contrat de présence postale territoriale d'un plan de continuité de l'activité. Je crains néanmoins qu'il ne puisse pas s'appliquer en cas de survenue d'un risque différent de ceux que nous avons vécus. La pandémie actuelle n'avait pas été anticipée, mais, heureusement, notre stock de masques stratégique, qui n'a rien de secret, nous permet aujourd'hui d'y faire face.

M. Marc Daunis. - Les fermetures d'agences postales ont été décidées unilatéralement par La Poste. C'est contraire au principe d'un partenariat. Les élus et nos concitoyens ont été mis devant le fait accompli.

M. Philippe Wahl. - Ce que vous dites est vrai, monsieur le sénateur. Dans certains cas, La Poste, faute d'espèces, n'a pu ouvrir des bureaux ; dans d'autres, alors que le maire disposait d'une trésorerie suffisante dans le coffre de la mairie, il a décidé de ne pas ouvrir. D'où la réunion de la semaine dernière avec l'AMF, qui a eu lieu sur notre initiative, afin de tendre vers une plus grande présence postale communale pour répondre à la demande en milieu rural ; nous y travaillons encore aujourd'hui. Les effets ne se sont pas fait attendre, puisque, à la fin de la semaine, 2 500 bureaux et près de 1 000 APC, au lieu de 800, devraient être ouverts.

Je comprends le mécontentement des élus et l'aspiration à maintenir ouverts les bureaux de poste de proximité, mais tout cela prend beaucoup de temps, et nous devions absolument protéger et rassurer nos postiers et les clients. Puis, nous avions à mettre à disposition de nos clients des espèces et à verser aux plus défavorisés les prestations sociales. Maintenant que notre priorité a été traitée, grâce à l'appui des forces de l'ordre, des volontaires, du ministre de l'intérieur et du Gouvernement, que je remercie, nous allons élargir au maximum l'ouverture de tous nos points d'accueil.

M. Hervé Maurey, président. - Merci de ces informations, monsieur le président-directeur général. Je constate que le fait de donner la priorité aux grands centres urbains a provoqué des situations dramatiques pour des usagers de plusieurs communes de l'Eure, y compris des communes de taille importante qui comptent plusieurs milliers d'habitants, qui se sont retrouvés sans aucun moyen de paiement. Quand à Breteuil ou à La Couture-Boussey, c'est le maire qui est obligé de sortir son portefeuille pour que ses administrés puissent faire les courses, ce n'est pas acceptable. Comment avoir la certitude que cela ne se reproduira pas ?

M. Patrick Chaize. - Monsieur le président-directeur général, je vous remercie de votre intervention. Je remercie également l'ensemble des postiers et des membres des commissions départementales de présence postale territoriale ayant répondu présent à mon appel de mercredi dernier, afin que celles-ci puissent jouer pleinement leur rôle. Les CDPPT ont montré leur efficacité pour accompagner l'action de La Poste.

L'effort particulier consenti pour assurer le versement des prestations sociales est-il suffisant au regard des besoins ? Les distributeurs automatiques de billets sont alimentés au maximum à 75 % : quid des 25 % restants ? Prévoyez-vous de mettre en place, dans les semaines qui viennent, un plan en vue de leur alimentation ? Enfin, nous souhaiterions avoir des informations sur le partenariat entre La Poste et les élus pour fournir aux agences postales communales le matériel nécessaire à la protection sanitaire des salariés.

M. Philippe Wahl. - Je vous remercie de la façon dont vous avez fait vivre ce partenariat, illustré par la mobilisation, en deux jours, de 100 CDPPT, auxquelles ont participé un certain nombre de parlementaires et de maires de grandes villes.

Les DAB ont beaucoup été utilisés en ville, mais les paiements par carte bleue ont également été privilégiés. Le versement des prestations sociales, qui était notre priorité, fonctionne très bien en ville, mais se révèle plus délicat dans les zones rurales en raison de l'éloignement d'un certain nombre de prestataires. Les nouvelles ouvertures de bureaux et d'APC devraient profiter à ces milliers de Français qui se sentent aujourd'hui exclus du dispositif postal.

Monsieur Chaize, plus de 70 % des DAB sont alimentés et fonctionnent. Pour les autres, l'idée est de donner la priorité à l'alimentation des DAB de la Banque postale situés là où aucun autre établissement bancaire ne fournit ce service. Nous avons l'obligation de prendre en compte ce critère, mais n'en déduisez pas que je me désintéresse de certaines communes ! En tout état de cause, des négociations auront lieu avec l'AMF, l'ONPP et les CDPPT.

En ma qualité de chef d'entreprise, je devais établir des priorités. Elles peuvent être critiquées, car il existait plusieurs solutions. En choisissant de donner la priorité au versement des prestations sociales, nous avons pris des décisions concernant l'organisation du groupe qui ne sont pas celles qu'ont retenues nos homologues belges ou espagnols : ils ont préféré ouvrir tous les bureaux, mais seulement trois heures par semaine. Nous n'aurions jamais pu assurer le versement des prestations sociales dans ces conditions !

En résumé, le plus important était d'équiper nos salariés de gants, de masques, de les fournir en gel hydroalcoolique, etc. Sans ces équipements, nous aurions tout arrêté, car la santé et la sécurité des agents et des clients sont notre première priorité. L'autre point essentiel, au titre du nouveau dispositif, est de couvrir les zones rurales en termes de présence postale.

M. Patrick Chaize. - L'Observatoire national de la présence postale se réunira une nouvelle fois vendredi. Il faudra encore saisir les CDPPT pour lancer une deuxième vague et accentuer le rôle des territoires dans l'efficacité du dispositif.

Mme Anne-Catherine Loisier. - À vous entendre, monsieur le président-directeur général, la priorité a été la desserte des centres ou des bureaux très fréquentés. Or les conditions d'accès aux DAB et aux bureaux de poste se révèlent très préoccupantes pour certains de nos concitoyens défavorisés, qui n'ont pas pu percevoir leurs prestations sociales, en particulier dans les zones rurales.

En Côte-d'Or, département dont je suis élue, les usagers doivent parfois effectuer soixante kilomètres aller-retour pour rejoindre le bureau de poste ouvert le plus proche. D'ailleurs, sur les 54 bureaux de poste du département, seulement 13 étaient ouverts au départ, et uniquement sur les grands axes urbains. Certes, 60 % de la population est desservie, mais ne faudrait-il pas porter l'objectif à 90 % de la population ?

En outre, l'absentéisme concerne de 25 % à 30 % des personnels. Dès lors, pourquoi plus de 60 % des bureaux de poste sont-ils fermés ? La consigne a-t-elle été donnée de fermer les bureaux ou bien de ne les ouvrir que si les gestes barrières et autres consignes sanitaires sont respectés ? En outre, y a-t-il mobilité des salariés en temps de crise ? Enfin, ne vaudrait-il pas mieux distribuer le courrier un jour sur deux au lieu de trois jours consécutifs ? Le dispositif ChronoFresh a pu être interrompu localement, pourquoi ? Avez-vous engagé un dialogue avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) sur les mesures prises ?

M. Philippe Wahl. - Nous avons indiqué à l'Arcep, avec laquelle nous sommes en discussion depuis la troisième semaine du mois de mars, qu'il fallait adapter le plan de continuité de l'activité. Pour ce faire, nous collaborons avec nos partenaires publics, tels que la direction générale des entreprises, la direction générale des médias et des industries culturelles, le ministère de la culture et le Gouvernement.

Concernant ChronoFresh, Chronopost vient de rétablir la livraison de colis le samedi. Au début de la crise, l'absentéisme a augmenté. Puis, lorsque les gestes barrières et autres mesures sanitaires ont été mis en place, les salariés ont été rassurés et beaucoup ont repris le travail.

Les agents sont évidemment mobiles dans une zone, et c'est cette mobilité qui a permis, en Corse - la Côte-d'Or sera bientôt concernée -, de passer de 18 bureaux ouverts à 70 permanences tournantes. L'absentéisme varie selon les métiers et peut atteindre jusqu'à 40 % pour les postières et les postiers, nombre d'entre eux gardant leurs enfants en période de confinement. Nous discutons avec les préfets des moyens de libérer cette force de travail. Par ailleurs, nous avons demandé à certains personnels vulnérables ou âgés de ne pas venir travailler en ce moment.

Concernant l'ouverture d'un bureau sur trois avec ce taux d'absentéisme, il faut savoir qu'un bureau de poste ne fonctionne qu'avec la moitié de son effectif : aujourd'hui, pour six personnes disponibles, seules trois sont autorisées à travailler en même temps. Certes, le flux de clients accueillis est moins important. Mais si l'un des trois postiers est affecté par le coronavirus, les deux autres se retirent, et non une équipe de cinq personnes. C'est souvent pour cette raison que des bureaux de poste ont été ouverts un jour sur deux. À la suite d'une suspicion ou de la découverte d'un cas de Covid-19, deux grandes plateformes situées à Gennevilliers et à Orly ont récemment été totalement fermées, ce qui a ralenti la livraison des colis en région parisienne. Heureusement, les agents ont été rassurés par les mesures de sécurité sanitaire et sont revenus travailler.

L'accès aux DAB est une question essentielle. Il doit devenir notre priorité à tous, car il est vrai que, si les allocataires sociaux peuvent toucher leurs aides dans les grandes villes, c'est loin d'être toujours le cas en milieu rural. Pour favoriser la réouverture des APC, 1 600 plaques de plexiglas auront été livrées d'ici à la fin de la semaine prochaine. Toutefois, j'y insiste, si nous avions opté pour davantage d'ouvertures, nous aurions été incapables de fournir des espèces à tous les demandeurs.

Grâce au travail que nous avons réalisé avec les maires et les buralistes, dont je veux saluer l'engagement, 1 800 des 2 800 relais-poste-commerçants sont ouverts. Pour conclure, nous allons nous fixer des objectifs très élevés concernant l'ouverture des points de contact postaux.

M. Jean-Michel Houllegatte. - La couverture territoriale des services postaux dans le département de la Manche n'apparaît pas satisfaisante. Quels nouveaux leviers allez-vous utiliser, lors de la phase 3, pour améliorer la fourniture de ces services aux habitants ?

Vous avez évoqué le sujet de l'indisponibilité des agents en raison de la nécessité de garder leurs enfants. Combien d'agents sont concernés ? Appelez-vous de vos voeux un système de prise en charge des enfants de postiers similaire à celui instauré pour ceux des soignants ? Je salue à cet égard l'implication des enseignants et des collectivités territoriales dans ce dispositif.

Avez-vous fixé un objectif chiffré pour l'ouverture des agences postales communales dans le cadre de votre dialogue avec l'AMF ? L'opération « commission facteur » permet de confier au facteur le soin de livrer des liquidités aux personnes les plus éloignées des services postaux. Disposez-vous d'informations sur le nombre de facteurs qui y participent ? Il semble que la remontée d'informations vers les postiers concernés ne soit pas optimale.

Mme Cécile Cukierman. - La Poste, vous nous l'avez confirmé, a fait des choix pour gérer l'urgence. En phase 3, elle doit désormais porter une attention particulière aux zones rurales et aux quartiers populaires où, plus qu'ailleurs, elle représente, au-delà de la distribution du courrier et de l'accès aux liquidités, un service public de proximité et une présence rassurante.

J'aimerais que vous nous apportiez des éclairages quant à votre choix de distribuer le courrier sur trois jours concentrés en fin de semaine. Ce rythme pourrait être amplifié, car les lettres comme les colis représentent un moyen - parfois le seul - de conserver un lien indispensable avec les proches. Il convient, en outre, de poursuivre le dialogue avec les élus s'agissant de la réouverture des bureaux de poste.

En cette période de crise, nous mesurons l'importance du service public de La Poste, mis à mal, comme tant d'autres, ces derniers temps. Un grand banquier s'en faisait récemment l'écho dans un quotidien national... À l'avenir, il faudra redéfinir les missions de La Poste et réfléchir au statut de ses agents pour répondre au besoin de proximité sur l'ensemble du territoire de la République.

M. Claude Bérit-Débat. - Dans mon département rural, la Dordogne, dont la population est vieillissante, La Poste joue un rôle majeur. Je salue l'initiative de Patrick Chaize d'avoir réuni les CDPPT. En Dordogne, seuls quinze bureaux de poste sur quatre vingt-six restent ouverts : le maillage territorial apparaît insuffisant, notamment pour une population âgée, qui peine à se déplacer, et l'accès limité aux liquidités pose des difficultés. Quel dispositif avez-vous prévu de mettre en place dans le département lors de la phase 3 ? Qu'est-il notamment envisagé pour les personnes âgées qui, dépourvues de carte bancaire, ont besoin de récupérer des liquidités aux guichets des bureaux de poste ? Quid enfin du secteur de Sarlat, privé de tournée postale en raison du droit de retrait exercé par onze facteurs ?

Mme Noëlle Rauscent. - Les agences postales tiennent un rôle essentiel en territoire rural, notamment pour le retrait de liquidités. S'agissant de la dématérialisation des services postaux - je pense notamment à l'envoi de courriers recommandés - envisagez-vous de vous rapprocher de structures proposant un service similaire ?

M. Jean-François Longeot. - Dans le département du Doubs, les élus sont régulièrement informés du fonctionnement des bureaux de poste. S'agissant des agences postales, seules 29 % demeurent ouvertes. Les habitants des zones rurales prennent d'autres habitudes de retrait d'espèces et je crains que, à l'issue de la crise, ils n'aient définitivement abandonné La Poste.

M. Daniel Gremillet. - Vous indiquez qu'en l'absence de matériels de protection vos services ne fonctionnent pas. Heureusement que les soignants exercent leur mission en toutes conditions... Vous disposiez de stocks de matériels de protection dès le début de la crise ; vous auriez donc pu les fournir immédiatement à vos salariés. Il est vrai, cependant, que le ministre de la santé ne prônait alors pas le port du masque...

S'agissant de l'organisation des services postaux, des adaptations peuvent-elles être mises en oeuvre par la commission départementale - les vallées des Vosges, par exemple, constituent un territoire particulier où le temps de transport doit être davantage pris en compte que le kilométrage - ou cela relève-t-il d'une décision centralisée ?

Enfin, lors de son audition hier par notre commission, Élisabeth Borne a indiqué que La Poste avait été mobilisée pour distribuer les chèques énergie à leurs bénéficiaires. Qu'en est-il effectivement ?

Mme Marta de Cidrac. - Vous avez évoqué les prestations proposées par vos services aux usagers. Les boîtes aux lettres jaunes, dont on constate qu'elles sont parfois bien remplies, sont-elles toujours relevées ? Selon quelle fréquence et quelle procédure ?

M. Hervé Maurey, président. - La question se pose également dans le département de l'Eure.

M. Martial Bourquin. - Avec le confinement, qui représente une terrible épreuve, nous avons plus encore besoin de La Poste. Mes collègues Annie Guillemot et Franck Montaugé m'ont indiqué combien la fermeture des bureaux de poste avait été mal vécue, par les élus comme par la population, dans les territoires ruraux et dans les quartiers. La Poste doit changer d'attitude à l'égard de ces publics ! En cette période d'isolement, recevoir une lettre ou un colis est fondamental pour le moral. La fermeture de nombreux bureaux de poste a entraîné, au moment du versement des prestations sociales, des files d'attente ininterrompues, parfois pendant des heures et au mépris des règles du confinement. Les quartiers sensibles cumulent, pendant cette crise, tous les handicaps !

M. Guillaume Gontard. - J'apporte mon entier soutien aux agents de La Poste, qui assurent, souvent dans des conditions difficiles, la continuité d'un service public de proximité essentiel, notamment pour le retrait des liquidités et le versement des prestations sociales. La priorité doit demeurer leur sécurité. En Isère, le matériel de protection a tardé à être livré et les premiers protocoles sanitaires, parfois limités à la fourniture d'une bouteille d'eau et de mouchoirs, furent plus qu'aléatoires, ce qui a logiquement conduit des agents à exercer leur droit de retrait. La situation s'est heureusement améliorée grâce à la tenue de la commission départementale, à laquelle il serait d'ailleurs utile que participent les parlementaires.

M. Philippe Wahl. - Cela ne tient qu'à vous !

M. Guillaume Gontard. - La Poste s'engage-t-elle à fournir le matériel de protection nécessaire à la réouverture des agences postales communales ? Par ailleurs, la publicité a-t-elle effectivement cessé d'être distribuée par les facteurs depuis le début de la crise ? Enfin, l'existence d'une prime de présence, qui pourrait inciter des agents à travailler au mépris de leur sécurité, ne vous semble-t-elle pas dangereuse au regard de la situation actuelle ?

Mme Nelly Tocqueville. - La ruralité se trouve plus que jamais isolée et la crise que nous traversons exacerbe le sentiment de fracture territoriale. Ces quinze derniers jours ont été particulièrement mal vécus par les élus, privés d'informations sur le fonctionnement des distributeurs automatiques de billets comme sur les horaires d'ouverture des bureaux de poste. Mis devant le fait accompli, des maires ont dû, dans l'urgence, aider financièrement certains de leurs administrés à court de liquidités. Seront-ils informés des réouvertures envisagées et, le cas échéant, des horaires du service ? Ces réouvertures seront-elles temporaires ou définitives ? Je m'interroge également sur les modalités de ramassage du courrier, dans la mesure où certaines boîtes jaunes ont été closes à l'aide d'un ruban adhésif. Il est indispensable d'apporter des réponses aux populations les plus isolées : ne les oubliez pas ! Elles souffrent déjà de la fracture numérique, qui complique fortement la mise en oeuvre de l'école à la maison.

M. Hervé Maurey, président. - Retenu par une réunion de groupe, notre collègue Frédéric Marchand souhaitait vous interroger sur les modalités du soutien de La Poste aux entreprises et aux collectivités territoriales.

M. Cyril Pellevat. - En Haute-Savoie, la proportion des bureaux de poste restés ouverts s'établit à 10 %. Quel est, dans ce département, le plan des réouvertures prévues ? Si je ne m'abuse, vous n'avez pas répondu à notre collègue Anne-Catherine Loisier s'agissant de l'organisation de la distribution du courrier sur trois jours consécutifs. Je partage son interrogation : pourquoi ne pas avoir opté pour une tournée tous les deux jours, plus aisément acceptable pour la population ?

M. Alain Fouché. - Ma question concerne la Banque postale. Le Président de la République Emmanuel Macron encourage les citoyens à investir dans des actions, mais le ministre de l'économie a demandé de limiter le versement des dividendes. Lésés, les petits porteurs risquent de se détourner de ces placements, créant un risque pour les entreprises. Quelles pourraient en être les conséquences pour la Banque postale et pour les collectivités territoriales qu'elle finance ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Notre collègue Anne-Catherine Loisier souhaite rappeler la nécessaire attention qu'il convient de porter à la distribution du courrier dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

M. Philippe Wahl. - Monsieur Houllegatte, plusieurs leviers seront mis en oeuvre lors de la phase 3 : augmentation du nombre de bureaux ouverts, renforcement du traitement du courrier et des colis et travail, en lien avec l'AMF et les CDPPT, sur la réouverture des agences postales communales. Sur ce dernier point, les maires et La Poste doivent trouver des solutions, ce qui suppose que les deux parties s'engagent. Dans ce cadre, La Poste devra fournir les liquidités et le matériel de protection. La semaine dernière, huit cents agences étaient ouvertes ; elles seront un peu plus de mille à la fin de cette semaine. Ce nombre devrait croître après les réunions qui se tiendront dans les prochains jours. Par ailleurs, nous sommes éminemment favorables à la libération de notre force de travail grâce à des solutions de garde d'enfants.

Dans les QPV, la moitié des bureaux de poste demeurent ouverts ; sinon, des bureaux sont ouverts ailleurs dans la commune. Cette organisation donne satisfaction, madame Cukierman, et croyez bien, monsieur Bourquin, que nous faisons le maximum en la matière.

L'accès aux liquidités représente un sujet majeur pour La Poste, mais il existe également d'autres établissements bancaires dans les territoires, d'où ma proposition, s'agissant des distributeurs automatiques de billets, de donner la priorité aux communes où La Poste offre le seul point de retrait.

Madame Loisier et monsieur Pellevat, la médecine du travail est aussi à l'origine du choix que nous avons fait d'organiser les tournées de distribution du courrier sur trois jours. Ainsi, les facteurs disposent de plus de deux jours d'affilée pour se reposer, afin d'être moins vulnérables à la maladie. Ce choix répond également à une logique industrielle. Nous travaillons à mettre en place une distribution de la presse quotidienne sur cinq jours. Lorsque cette organisation sera effective, les tournées du lundi et du mardi pourront également livrer courrier et colis.

La Poste représente plus que jamais une entreprise clé pour le pays : nous devons mettre en oeuvre des dispositifs stables et solides pour la durée de la crise. Je vous rappelle, monsieur Gremillet, que la médecine du travail prônait initialement le lavage des mains au savon avant que ne s'impose le port du masque.

Vous avez évoqué, madame Cukierman, un article qualifiant La Poste de « service public mis à mal », mais souvenez-vous que son auteur appelait également à des licenciements massifs de postiers, ce qui semble quelque peu incohérent. Peut-être manque-t-il d'une expérience managériale suffisante...

Monsieur Bérit-Débat, en Dordogne, les efforts de la phase 3 porteront sur la mise à disposition, en lien avec les maires, de liquidités dans les agences postales communales. Je vous rappelle que les retraits d'espèces sont également possibles dans les 1 800 relais poste commerçants. Certaines positions syndicales sont très focalisées sur le droit de retrait des salariés de La Poste. À Sarlat, la situation évolue positivement. Quoi qu'il en soit, l'exercice du droit de retrait est resté marginal parmi nos effectifs, car des mesures de protection ont été rapidement mises en oeuvre.

Monsieur Gremillet, les cinq millions de chèques énergie confiés à La Poste sont en cours de distribution. Par ailleurs, les commissions départementales peuvent adapter l'organisation du réseau postal aux contraintes locales, comme cela a été le cas en Corse, par exemple.

Mmes Marta de Cidrac et Nelly Tocqueville m'ont interrogé sur la levée des boîtes jaunes : si certaines sont fermées, les deux tiers demeurent actives. Nous en partagerons prochainement la cartographie avec les maires.

Monsieur Bourquin, le besoin de poste nous honore. À l'issue de la crise, nous devrons construire davantage de proximité humaine.

Monsieur Gontard, dès le premier jour de la crise la distribution de la publicité a cessé et les salariés de la filiale dédiée ont été placés en situation de chômage partiel. Je réfute l'idée qu'il existe une prime qui pousse à la prise de risque : il n'y a pas de distribution de courrier en cas de risque.

D'aucuns se sont plaints du manque d'information des élus, mais j'ai adressé deux courriers aux parlementaires à cet effet.

Monsieur Fouché, nous resterons la banque des collectivités territoriales, alors que certaines banques se retirent de ce marché. Nous accordons aussi des prêts garantis par l'État aux professionnels et aux petites et moyennes entreprises. Notre application « Ma ville mon shopping » permet, par ailleurs, de faire connaître les commerçants ayant mis en place un service de drive ou de livraison. Quant aux dividendes, la priorité demeure à la reconstruction du potentiel économique et industriel du pays. Nous travaillons sur le sujet avec la Caisse des dépôts et consignations et l'État.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je salue et remercie les journalistes qui ont suivi cette audition.

M. Hervé Maurey, président. - Je formulerai une supplique - n'oubliez pas les territoires ruraux -, une inquiétude - que la diminution actuelle de la fréquentation des bureaux de poste conduise à des propositions de fermeture à la fin de la crise donc il faut que les statistiques de la période actuelle soient neutralisées -, et un rappel - les 17 000 points de contact de La Poste doivent se trouver à moins de vingt minutes de route ou de cinq kilomètres de chacun des clients.

La téléconférence est close à 12 h 10.

Jeudi 9 avril 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

Audition de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation (en téléconférence)

La téléconférence est ouverte à 14 h 35.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous poursuivons nos travaux de contrôle de l'action du Gouvernement sur les mesures mises en place pour limiter les effets de la crise du Covid-19, laquelle fait déjà, a-t-on appris hier par la Banque de France, plonger notre PIB de 6 % au premier trimestre. Cette situation exceptionnelle nous oblige vis-à-vis de nos concitoyens. C'est dans cette logique collaborative que nous souhaitons travailler, monsieur le ministre, car nous partageons tous le même objectif : aider notre pays à traverser cette crise puis à s'en relever plus fort qu'auparavant. Je remercie votre cabinet et vos services, avec lesquels nous échangeons tous les jours.

La situation de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire est au coeur de tous les débats car ces secteurs jouent un rôle déterminant dans la gestion de la crise. Je salue l'engagement exemplaire de toutes nos filières agricoles, des industries agroalimentaires, des coopératives, de la grande distribution, mais aussi de toute la chaîne logistique pour mener à bien leur mission, en faisant preuve d'adaptation, d'imagination et de fraternité.

Cette crise aura rappelé que la vocation première de notre agriculture est, avant tout, de nourrir nos concitoyens, d'où l'importance de la souveraineté alimentaire, notion que certains paraissent redécouvrir.

Si la continuité de l'activité démontre que la chaîne agroalimentaire résiste dans sa globalité, de nombreuses filières souffrent. Perte de débouchés avec la restauration collective et la fermeture de nombreux marchés, modification des habitudes de consommation pénalisant certaines filières de qualité, risque de surproduction en l'absence de débouchés, conséquences négatives de la chute du prix du pétrole sur notre filière bioéthanol : tous ces éléments sont à prendre en compte. L'agriculture et l'agroalimentaire devront être intégrés au plan de relance à venir.

Les situations très difficiles de nombre de nos exploitants justifient des actions urgentes. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous présenter brièvement les mesures gouvernementales applicables au monde agricole et aux industries agroalimentaires ?

C'est pour suivre leur bonne application et réfléchir à l'après-crise que notre commission des affaires économiques a installé des cellules de veille et de suivi, par secteur. Nous travaillons en lien direct avec le terrain et vous proposons des solutions concrètes, applicables rapidement, au service de nos concitoyens.

Animée par MM. Laurent Duplomb, Franck Montaugé, Franck Menonville et Bernard Buis, notre cellule a auditionné la semaine dernière de très nombreux acteurs locaux et nationaux. Elle a élaboré un plan d'actions en quinze propositions concrètes pour soutenir davantage notre agriculture et nos filières alimentaires durant cette crise, que mes quatre collègues rappelleront avant que je vous passe la parole. Vous serez ensuite interrogé par l'ensemble des commissaires.

Je voudrais pour ma part vous interroger sur l'après-crise, à laquelle il faut réfléchir dès aujourd'hui pour redéfinir les « particules élémentaires » de notre souveraineté alimentaire, car notre pays a un potentiel agricole extraordinaire. La diversité de ses sols, de ses climats, de nos côtes ; les savoir-faire ancestraux de nos agriculteurs couplés à un bouillonnement de l'innovation : nous avons le devoir de conserver toutes ses richesses qui garantissent une extraordinaire quantité, qualité et sécurité de notre alimentation tout en garantissant qu'elle demeure accessible à tous, même aux plus modestes, et qu'elle rémunère correctement les producteurs, les transformateurs et les distributeurs.

Il ne s'agit pas de rester figés dans des modèles passés. L'agriculture ne l'a d'ailleurs jamais fait. Mais il ne faut pas perdre de vue, dans notre volonté de transformation, ces objectifs élémentaires.

Il ne s'agit pas non plus pour notre pays de se fermer aux autres pays, notamment européens. Les propositions qui vont vous être soumises repositionnent d'ailleurs l'Europe au sein d'un équilibre mondial élémentaire. Cela m'amène à la politique agricole commune. Le maître mot de demain sera la résilience. Or les négociations en cours pour la nouvelle politique agricole commune (PAC) envisagent une baisse drastique du budget et une renationalisation des politiques agricoles. C'est le contraire des leçons qu'il faudrait tirer de la crise, comme le font d'autres puissances internationales depuis des années ! L'Union européenne a un rôle à jouer dans la crise et dans l'après-crise. Cette crise nous démontre qu'il ne faut pas démanteler la PAC mais la renforcer. Nous avons besoin de votre avis sur ce sujet.

M. Laurent Duplomb. - Nous avons travaillé autour de trois axes : analyser les remontées des élus locaux et des sénateurs, des filières, des professionnels ; suivre les mesures déjà mises en place, pour les corriger ou les améliorer ; faire des propositions pour l'après-crise. Nous avons tenté une synthèse, avec un plan d'actions en quinze mesures - elles se répartissent autour de cinq axes, que nous allons vous présenter à quatre voix.

Je vous parlerai du premier axe : les mesures liées à l'Union européenne, dont le rôle est essentiel. Le règlement européen portant sur l'organisation commune de marché (OCM) prévoit de nombreux instruments, il faut les utiliser. Le stockage privé est un élément important en cas de surproduction : les articles 219 et 222 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles permettent de le faire. Pourquoi la Commission européenne ne l'a-t-elle pas déjà autorisé ?

Cependant, à la sortie de crise, le déstockage risque lui-même de faire baisser les prix. Pourquoi ne pas organiser des restitutions à l'exportation, prévues par l'article 196 du même règlement, en les axant sur les arguments de solidarité et de soutien humanitaire - par exemple vers le continent africain, pour contrer la malnutrition et prévenir des migrations ?

Enfin, il y a des mesures de sauvegarde relatives aux importations à prendre, prévues par l'article 224 du même règlement : les importations d'éthanol américain font peser un risque majeur sur notre filière sucre, il faut actionner cet article 224 pour les limiter.

Nous proposons encore d'inclure la conchyliculture dans le champ du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp), car les conchyliculteurs ne peuvent pas vendre leur production.

Sur la filière viticole, nous avons deux propositions : le stockage privé et, au besoin, malheureusement, une aide à la distillation, grâce à l'article 216 du même règlement, afin d'éviter l'effondrement des prix.

L'Union européenne doit être au rendez-vous. La France doit jouer un rôle moteur, car chaque jour engorge les filières, et les conséquences seront lourdes.

Enfin, il faudra adapter certaines des conditions d'éligibilité aux aides PAC pour tenir compte des effets de la crise sanitaire, particulièrement sévères dans certains secteurs. Nous pensons en particulier au secteur des ovins, où les producteurs vont devoir garder leurs agnelles comme reproducteurs, ce qui, en dégradant leur taux de chargement, risque de les exclure de certaines aides. Il faut regarder de très près les conséquences sur les critères de chargement et sur les autres aides PAC.

M. Franck Menonville. - Le deuxième axe de nos propositions porte sur les moyens de garantir l'approvisionnement alimentaire des citoyens sans alourdir les charges des agriculteurs et des industries agroalimentaires. Nous avons cinq propositions concrètes.

Premièrement, l'ouverture de places dans les crèches et les écoles pour les enfants des salariés de l'agroalimentaire, car leurs activités sont essentielles - or les industriels nous alertent sur l'absentéisme lié à l'obligation de garder les enfants.

Deuxièmement, la gratuité temporaire des péages autoroutiers pour les produits alimentaires et de première nécessité ; cela compenserait en partie l'augmentation des coûts de transport liée au retour à vide.

Troisièmement, le financement exceptionnel par l'État des cotisations salariales des PME et TPE du secteur agroalimentaire, afin que les salaires nets se rapprochent au plus près des salaires bruts. En effet, la quasi-totalité des entreprises concernées sont de petite taille et ne pourront pas accorder, faute d'un soutien de l'Etat, à leurs salariés la prime de 1 000 à 2 000 euros.

Quatrièmement, décaler l'entrée en vigueur de réformes entrainant de nouvelles contraintes pour les producteurs agricoles et les entreprises de l'agroalimentaire, qui sont tout à la gestion de la crise. Je pense à l'interdiction de l'utilisation de plastique pour la vente de fruits et légumes au 1er janvier 2022 : les producteurs ne sont pas prêts et les consommateurs plébiscitent désormais, pour des raisons sanitaires, les produits préemballés ; à la responsabilité élargie des producteurs (REP) sur la consommation hors domicile à compter du 1er janvier 2021 ; aux mesures concernant le réemploi. Pourraient également être décalées dans le temps les mesures prévues par la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Egalim, sur la séparation de la vente et du conseil, sur le statut des coopératives et sur les zones de non traitement, dont les chartes ne peuvent être établies sans réunion. Nous proposons encore le maintien du dispositif d'exonération de charges patronales pour l'emploi des travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE), menacé de suppression en 2021, alors que la crise démontre toute son importance pour les travailleurs saisonniers. Sur ce sujet, je salue vos annonces, monsieur le ministre, sur les possibilités de cumul entre chômage partiel et emploi saisonnier.

Cinquièmement, il convient d'adapter aux producteurs agricoles les règles d'éligibilité au fonds de solidarité et leur garantir un bon accès aux crédits garantis par l'État. Il faut prendre en compte l'aspect cyclique et saisonnier de l'agriculture, et assouplir en conséquence les critères. Le risque serait d'exclure certaines branches de l'agriculture de ce fonds de solidarité.

M. Bernard Buis. - Le troisième axe consiste à ouvrir un maximum de débouchés aux filières agroalimentaires, dans le strict respect des règles sanitaires requises pour endiguer l'épidémie. La priorité est bien de limiter les effets de la pandémie, mais il nous apparaît possible de stimuler les débouchés de filières qui en manquent brutalement.

Nous avons quatre propositions dans ce sens. D'abord, mobiliser la restauration collective encore ouverte pour s'approvisionner avec les produits des filières les plus touchées - fromages AOP, petites filières de volailles, ovins, caprins. Envisagez-vous d'agir dans ce sens, monsieur le ministre ?

La deuxième proposition concerne la filière horticole, particulièrement touchée par cette crise qui arrive au pic de la saison. Si la vente de plants en jardineries est une très bonne nouvelle, ne pourrait-on aller plus loin en incitant financièrement les collectivités territoriales à embellir leurs villes pour assurer un débouché à la filière ? Une autre solution serait l'ouverture des horticulteurs indépendants et la vente de plants et fleurs sur les marchés autorisés, dans le respect des règles sanitaires prescrites. Enfin, il faudrait octroyer des dérogations pour faciliter l'accès des particuliers aux jardins non contigus aux habitations : il y a des disparités entre les communes et il ne faut pas perdre de vue le rôle des jardins dans l'alimentation.

Troisième piste : la valorisation des produits de qualité qui pâtissent du repli des consommateurs vers des produits connus et préemballés. C'est tout l'effort de montée en gamme qui est menacé. Certaines grandes et moyennes surfaces (GMS) jouent le jeu en mettant en valeur ces produits mais nous proposons d'aller plus loin, avec la réouverture des rayons coupe/boucherie/poissonnerie et la mise en barquettes ou sous emballage des produits sous signes de qualité.

Enfin, quatrième proposition, il faudrait faciliter et favoriser les ventes individuelles de producteurs, notamment en circuit court, ainsi que des drives de producteurs rassemblés, tout en garantissant le strict respect des règles sanitaires. Des gymnases pourraient être utilisés pour organiser de telles ventes locales.

Il serait judicieux d'inciter à la livraison à domicile par les producteurs. Ils sont nombreux à le faire, mais compte tenu des surcoûts induits, ce n'est pas très incitatif. Ne pourrait-on les exonérer de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur les carburants utilisés lors de ces livraisons, comme ils le sont déjà sur le gazole non routier ? Il suffirait de présenter dans le formulaire les factures liées à l'utilisation de carburant, en justifiant les kilométrages effectués.

M. Franck Montaugé. - L'équilibre fragile entre distributeurs, industriels, producteurs et consommateurs évolue du fait des évolutions des comportements de ces derniers. Les filières engagées dans les produits sous signes de qualité sont particulièrement impactées. Fromages AOP, viande ovine dans cette période de Pâques, la pintade, les cailles, le pigeon, mais aussi la filière gras, de nombreux secteurs sont en difficulté et devraient pouvoir bénéficier de dérogations à l'encadrement des promotions.

Nous avons plusieurs alertes sur la baisse des prix d'achat, notamment en viande bovine, ovine et caprine mais aussi sur une augmentation du prix de vente au consommateur sur certains produits. Il ne doit pas y avoir d'effets d'aubaine et les variations doivent être expliquées, et corrigées le cas échéant. Nous souhaitons que vous objectiviez ces tendances en créant une cellule de surveillance des prix d'achat et des prix de vente en grandes surfaces, bénéficiant de l'appui de l'Observatoire de la formation des prix et des marges et du médiateur des relations commerciales agricoles. Cette cellule serait placée auprès de vous, monsieur le ministre, et s'y adjoindraient les interprofessions, ainsi que des parlementaires.

Cinquième et dernier axe, et c'est essentiel, nous proposons de travailler sur la sortie de crise. Nous proposons d'envisager, dès aujourd'hui, des indemnisations particulières en matière de perte d'activités. Les dispositifs prévus sont bienvenus mais ne seront pas à la hauteur des pertes constatées dans les filières touchées par une chute brutale de leur activité, en particulier les filières horticole, conchylicole, ovine, caprine. La volaille également fait beaucoup les frais de l'arrêt de la restauration hors domicile. Les mesures de stockage induites pèseront, en outre, durablement sur les comptes d'exploitation des producteurs et les cours des marchés. Quel sera votre soutien pour ces filières mais aussi pour celles qui ne produisent pas directement des biens alimentaires mais qui sont souvent déterminantes pour la viabilité économique de l'exploitation ? Je pense à la restauration à la ferme, aux chambres d'hôtes et à toutes ces activités à valeur ajoutée qui sont très dépendantes des activités touristiques des départements ruraux. Des mécanismes de soutien spécifique sont à prévoir pour compenser les pertes d'activité dans la durée.

Pour sortir de la crise, des aides européennes spécifiques devront sans doute être mobilisées hors budget de la PAC, dans un fonds européen exceptionnel. D'autres mécanismes sont à inventer.

Ces mesures qui seront essentielles demain doivent être pensées dès à présent, dans l'unité nationale, au travers d'un groupe de travail dédié associant le Gouvernement, les parlementaires et les interprofessions. Il devra évaluer les pertes d'activité et mettre en place un système de sortie de crise indemnisant les producteurs pour ces pertes. Il devra penser le plan de relance agricole et alimentaire qui pourra seul maintenir la souveraineté et la résilience alimentaire de notre pays.

Dans un contexte budgétaire difficile, et je pense au cadre financier pluriannuel qui conditionnera l'avenir en matière de politique agricole commune, en quoi la crise du coronavirus infléchit-elle les orientations du Gouvernement pour la future PAC ? La question environnementale sera plus prégnante encore, le jour d'après. L'agriculture dans le cadre du Green New Deal devra contribuer à l'évolution des systèmes productifs. À cet égard, les services environnementaux que rend l'agriculture devront être reconnus à leur juste valeur.

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Je suis très heureux de participer à cette visioconférence. J'espère que chacun d'entre vous peut se confiner dans de bonnes conditions : la santé, telle est la priorité du Gouvernement.

Cette crise, mondiale, laissera des traces sanitaires, économiques, sociales. Il y aura des morts, physiques mais aussi économiques : des restaurants, des hôtels, des petits commerçants de centre-bourg mettront définitivement la clé sous la porte. Nous devrons repenser notre modèle économique à l'aune de notre résilience. Aujourd'hui, cependant, il faut répondre à la crise, il faut penser aux moyens de s'en sortir, plutôt qu'au modèle que nous connaitrons demain. Le défi est économique et social, et je remercie tous ceux qui travaillent en ce moment même. Le Gouvernement a été au rendez-vous - soit dit en passant, je passe mon cinquième week-end confiné au ministère et je peux vous dire que nos équipes sont à pied d'oeuvre.

Il n'y aura pas de pénurie alimentaire, parce que notre chaîne alimentaire a tenu. Les Français, inquiets, ont fait des provisions dans les premiers jours, on peut le comprendre. Aujourd'hui la situation est plus équilibrée et nous travaillons à ce que la chaîne continue de résister, en s'adaptant sans cesse. Tous les jours, je parle aux producteurs, aux industriels, aux distributeurs. En deux semaines, il a fallu s'adapter à 22 millions de clients nouveaux : tous ceux qui, avec l'arrêt de la restauration collective, mangent désormais à la maison. Cela peut leur poser des difficultés, je pense aux familles modestes qui bénéficient d'ordinaire de la cantine à 1 ou 2 euros, et qui dépensent aujourd'hui bien davantage.

S'il est de bon ton de critiquer la grande distribution, je crois qu'il faut plutôt lui rendre hommage. Les GMS ont répondu rapidement, en protégeant leurs salariés, en mettant en avant les produits français. Je salue aussi la Coopération agricole, l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), les PME, les industriels : c'est grâce à leur action, à leur travail que notre alimentation est sûre, tracée, saine. Je salue tous les salariés qui sont à leur poste, qui font leur travail. C'est pour que la chaîne alimentaire tienne que nous avons poussé à la réouverture des marchés alimentaires : 30 % d'entre eux ont rouvert, c'était indispensable parce que 30 % des fruits et légumes consommés dans notre pays s'y vendent.

Un problème majeur pour le secteur est celui de la main-d'oeuvre saisonnière, qui ne peut plus venir travailler dans nos exploitations agricoles. J'ai lancé un appel à tous les salariés confinés en chômage partiel, nous avons autorisé le cumul du travail agricole avec le chômage partiel. Le succès a été au rendez-vous : 240 000 citoyens se sont inscrits sur la plateforme, 5 000 exploitations agricoles y ont recouru. Il n'est pas question évidemment de faire cinquante kilomètres, mais on peut se déplacer dans un rayon d'une dizaine de kilomètres.

Nous avançons sur l'Europe, les filières, l'outre-mer, qu'il ne faut pas oublier : les transports aériens étant arrêtés, l'Hexagone ne fournit plus de volaille ou d'oeufs, et les produits d'outre-mer ne peuvent plus circuler dans le sens inverse.

Est-il envisageable que la PAC perde des moyens ? Évidemment non, et vous savez que la France se bat pour que le budget ne baisse pas. Nous ne voulons pas renationaliser les politiques agricoles, ce serait un drame.

Monsieur Duplomb, je souscris à toutes vos propositions. Pourquoi la Commission européenne n'a-t-elle pas pris d'initiative ? Bonne question... Elle est encore un peu endormie et n'a pas pris la juste mesure de la situation. C'est pourquoi, avec la ministre allemande de l'agriculture, nous avons demandé une réponse immédiate et concrète à nos demandes. Chaque jour sans réponse est perdu, et coûtera des centaines d'emploi. Autant nous avons obtenu des réponses sur la pêche, autant la Commission tarde sur l'agriculture, ce n'est pas normal. Oui, nous avons demandé le stockage privé, nous devrions l'obtenir. Attention, cependant : l'article 196 que vous citez, sur les restitutions à l'exportation, est obsolète depuis l'accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de Nairobi de 2015. De même, nous avons demandé des mesures de sauvegarde pour l'éthanol face aux importations américaines et brésiliennes ; la demande est en cours d'examen.

Le champ d'application du Feamp fait l'objet de discussions, nous en parlons demain avec les régions. Sur la pêche, très durement touchée, il faut nous organiser pour que la moitié de la flotte aille pêcher pendant que l'autre moitié est arrêtée temporairement. Nous cherchons également à agir vite et fort pour les viticulteurs, nous regardons avec FranceAgriMer comment payer plus vite les dossiers en stock - mais nous rencontrons des difficultés, car on ne peut accorder d'aides sans contrôle, cela prend du temps.

Sur l'adaptation des règles d'éligibilité de la PAC à la crise, nous avons déjà obtenu des avancées. Je n'ai pas voulu, cependant, repousser le délai de télé-déclaration, car cela repousserait mécaniquement le paiement des avances au 16 octobre ; nous avons prévu un mois de plus sans pénalité, ni décalage des avances. Cependant, nous voulons aller plus loin, avec une réduction du taux de contrôle sur place pour les aides 2019 et 2020, et demandons plus de flexibilité.

La filière ovine subit la crise de plein fouet, puisque les fêtes de Pâques se feront sans les banquets habituels. C'est pourquoi nous travaillons avec les producteurs et les distributeurs pour valoriser l'agneau et le chevreau dans les rayons. Il faudra abattre quand même et congeler pour l'automne, où nous valoriserons de nouveau ces viandes. Nous travaillons aussi beaucoup sur les conditions éligibilité aux aides de la PAC ; les éleveurs vont garder leurs agnelles pour la reproduction, mais cela ne doit pas avoir de conséquence sur le taux de chargement pris en compte pour les aides.

Nous nous sommes interrogés sur votre proposition d'ouvrir les crèches et les écoles aux enfants des salariés de la chaîne alimentaire, et cette solution nous est apparue bien plus compliquée qu'il n'y paraît. Certes, les entreprises butent sur de l'absentéisme lié à la garde des enfants, mais si vous accueillez les enfants de ces salariés, pourquoi pas aussi à ceux des commerçants de bouche ? Cela devient très compliqué... Des solutions locales ont été mises en place, je crois qu'il faut les privilégier.

Je ne suis pas certain, non plus, que la gratuité des péages pour les produits alimentaires soit une bonne solution - outre qu'elle ne relève pas de mes compétences mais de celles du ministre des transports. Il y a eu des exagérations dans l'appréciation des coûts et des prix, nous sommes dans une négociation permanente entre les transporteurs et les distributeurs. Si les transporteurs ont des difficultés réelles, si nous les soutenons pour compenser les retours à vide ou à mi-charge, les efforts doivent être partagés par tous.

L'Etat est au rendez-vous. Nous avons débloqué une aide directe de 40 milliards d'euros à l'économie française. Les négociations se poursuivent avec les entreprises, nous sommes en conférence hebdomadaire avec les syndicats et le patronat, les critères d'éligibilité au fonds de solidarité évoluent - nous avons abaissé le seuil de 70 % à 50 % de perte chiffre d'affaires, c'est un élargissement considérable. Nous travaillons aussi avec le secteur bancaire, un numéro spécial a été mis en place pour aider les entreprises à monter les dossiers et obtenir les prêts.

Faut-il repousser l'entrée en vigueur de réformes votées ces dernières années parce qu'elles induiraient des contraintes supplémentaires pour les agriculteurs et les industries agroalimentaires ? La Coopération agricole, avec qui je suis en contact quotidien, ne nous le demande pas. Il n'y a pas lieu d'opposer le Covid-19 à des mesures qui n'ont aucun rapport : s'il y a des aménagements à y porter, cela se fera au Parlement, en temps et en heure. Les nouvelles obligations légales concernant l'usage du plastique ne courent qu'à partir de 2022, nous avons le temps de nous organiser - j'espère bien que nous serons sortis du confinement d'ici là ! La séparation de la vente et du conseil est prévue à compter du 1er janvier 2021 ; nous examinerons, avec la Coopération agricole, si le délai est tenable - mais pour l'heure, nous nous concentrons sur la gestion de la crise.

Quant au dispositif TODE, c'est un budget annuel ; il est pérennisé évidemment dans la situation de crise que nous connaissons.

S'agissant des règles d'éligibilité au fonds de solidarité, Bercy fera des annonces la semaine prochaine - je ne veux pas anticiper, mais une somme de 5 000 euros serait ajoutée au forfait actuel pour les entreprises de plus de cinq salariés, la période de référence serait calculée sur douze mois, le seuil de perte de chiffre d'affaires ramené de 70 % à 50 %.

Je suis totalement en phase avec M. Buis sur la restauration collective. Nous avons déjà oeuvré en ce sens, en encourageant la restauration collective dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dans les prisons ou pour l'armée à privilégier certains produits. Il y a une petite difficulté juridique, mais nous essayons d'avancer.

En revanche, nous serons en désaccord sur la filière horticole. L'arbitrage a été rendu : les fleurs ne sont pas un bien de première nécessité. Nous travaillons avec les acteurs du secteur sur des mesures horizontales, voire des mesures spécifiques. Je me suis battu pour que les plants et semences puissent être vendus dans les jardineries qui vendent de la nourriture pour animaux. Mais nous ne pouvons ouvrir plus largement la porte. La priorité, c'est l'alimentation. Nous considérons que plants et semences peuvent être de l'alimentation différée.

J'approuve totalement votre proposition sur la réouverture des rayons « trad » en GMS : fromagerie, boucherie, charcuterie, poissonnerie. Je demande tous les jours à nos interlocuteurs de rouvrir ces rayons, mais ils se heurtent à un problème d'absentéisme du personnel et de faiblesse de la demande. Nous lançons des campagnes de communication pour inciter les consommateurs à manger différemment.

Le secteur de la viande bovine se porte très bien. Il ne s'est jamais autant abattu d'animaux. Les ventes de steaks hachés frais ont augmenté de 35 %, celles de steaks hachés surgelés de 70 %. Malgré cela, le prix payé à l'éleveur a encore diminué. Ce n'est pas acceptable. Je demande aux professionnels du secteur d'y remédier. Ces jours-ci, ce qui se vend le plus en grande surface, ce sont les bouteilles de vin entre 3 et 6 euros, la farine, les oeufs et les steaks hachés. Nous voudrions que les Français achètent aussi du poisson, des fruits et des légumes.

Je pousse à fond pour les circuits courts. Il n'y a jamais eu autant de marchés paysans ou de ventes directes à la ferme. Tant mieux ! Je suis très favorable à votre idée d'ouvrir des gymnases ou des salles communales pour mettre en place des étals et en faire des marchés couverts. Là, les règles sanitaires et de sécurité seraient respectées.

J'ai le sentiment que les Français redécouvrent l'agriculture, l'alimentation et les bons produits. J'espère que cela aura des conséquences durables.

Monsieur Montaugé, avec Bruno Le Maire et les acteurs de la filière, nous avons convenu de ne pas déroger à l'encadrement des promotions en volume sur les produits nationaux. Nous avons interdit la promotion de l'agneau, du chevreau et du chocolat pour le week-end pascal. Il faut qu'il y ait du prix pour le producteur. Des promotions sur les chocolats vendus en grande surface pénaliseraient lourdement les boulangers et les chocolatiers. Mais si nous ne sommes pas favorables à des promotions en volume, nous soutenons la promotion des produits concernés, d'où les nombreux spots télévisés que nous faisons.

Selon une étude réalisée par Nielsen, le mois dernier, les prix dans la grande distribution ont augmenté de 0,01 %. Il n'y a donc eu aucune inflation. Le Gouvernement y veille. Le panier moyen d'un caddie est de 60 euros, et 88 % du budget de la consommation n'est pas alimentaire. Et seulement 12 % des 12 % restants sont des produits frais. Il faudra mener une réflexion sur le sujet.

Si nos concitoyens ont l'impression que les prix ont augmenté, c'est parce que nous avons mis les produits français un peu trop tôt dans les étals. C'était justifié dans le cas des asperges, mais si les gens voient des fraises espagnoles à 2,80 euros puis des fraises françaises à 9 euros, ils pensent que les prix augmentent. Le concombre français est trois fois plus cher que le concombre néerlandais... Pourtant, entre mars 2019 et mars 2020, les prix des fruits et légumes n'ont pas augmenté.

Les chambres d'hôtes, tables d'hôtes et gites ne répondent pas à un besoin alimentaire ou de première nécessité. Le secteur bénéficiera des aides horizontales.

Nous sommes encore dans la crise, qui va frapper fort dans les jours et les semaines qui viennent. Mais il faudra réfléchir à la sortie de crise. Il y aura des groupes de travail, le Parlement y sera associé. Étant un élu du « vieux monde », je ne suis pas sûr que l'après-Covid soit vraiment très différent de l'avant-Covid. Certains partis politiques clament déjà que demain ne sera plus comme aujourd'hui... Certes. Nous avons déjà moins 6 % de croissance, et l'Europe n'arrive pas à se mettre d'accord sur un plan de soutien de 1 000 milliards d'euros, parce que les Néerlandais et les Danois bloquent. Cela va finir par poser un problème. La priorité doit toutefois être de sauver la vie de nos concitoyens, pas l'économie !

Connaissant la sensibilité des uns et des autres sur ces sujets, je sais que nous ne serons pas d'accord. Certains voudront tout relocaliser et ne plus faire que du bio et des circuits courts. Il faudra évidemment tenir compte de l'environnement et de la transition écologique. Mais, qu'on le veuille ou non, pour nourrir la France et la planète, il faudra une agriculture qui produise. Pour l'instant, les discussions sur la nouvelle PAC sont à l'arrêt.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - L'article 222 de l'OCM unique apporte une solution à beaucoup de problèmes. Certaines coopératives de la filière laitière ont demandé une baisse des prix et une baisse des volumes : ces demandes sont inacceptables. Grâce à cet article 222, qui permet les ententes, nous pourrions éviter l'une et l'autre. Il serait pour le moins malvenu de réduire les volumes alors qu'une crise alimentaire suivra sans doute la crise sanitaire dans certains pays. Or il y a un verrou idéologique à l'échelon communautaire sur l'utilisation de cet article 222, qui avait été déclenché très tardivement en août 2016, pendant la crise laitière, avec des effets immédiats. On observe une vraie résistance de la part de la Commission européenne. Les articles 39 et 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoient pourtant que l'agriculture prime la concurrence. Dans les faits, c'est la concurrence qui a fini par primer. En inversant cette tendance, nous résoudrions beaucoup de problèmes, y compris au sein de la filière viande rouge. Si seulement nous pouvions faire comprendre au commissaire Wojciechowski qu'il faut utiliser l'article 222...

Vous avez été sollicité par le Conseil national des appellations d'origine laitières (Cnaol) pour rouvrir les rayons de vente à la coupe des fromages sous signe de qualité. Les producteurs normands souffrent. Obtenir de la grande distribution l'ouverture de ces rayons résoudrait le problème.

Il y a eu des avancées au Parlement européen ces 72 dernières heures sur la pêche. Le Feamp pourra être utilisé. Il faudrait pouvoir activer l'article 70 de ce Fonds pour que les régions ultrapériphériques (RUP) puissent également en bénéficier.

Les décisions à l'OMC sur l'éthanol sont lentes, il faut remettre le sujet sur le tapis.

Je vous rejoins, monsieur le ministre, pour dire que le jour d'après ne sera pas très différent du jour d'avant. La mondialisation existera toujours, même si elle sera sans doute davantage axée sur une régionalisation accrue des échanges.

La PAC est plus que jamais nécessaire pour assurer notre souveraineté alimentaire. Or le compte n'y est pas vraiment : il manque 40 à 50 milliards d'euros.

Ne soyons pas naïfs. Si la Chine a pris à la hussarde la direction générale de l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ce n'est pas pour faire de la figuration. Nous ne cèderons pas au protectionnisme, mais nous entrons dans l'ère de ce que Pascal Lamy appelle le « précautionnisme ». Sur ce point, la France et l'Europe sont particulièrement bien placées.

M. Didier Guillaume, ministre. - J'ai demandé immédiatement le déclenchement de l'article 222 de l'OCM unique. Nous n'avons toujours pas de réponse. La Fédération nationale des industriels laitières (FNIL) est favorable à une réduction de la production de 2 %. Nous avons travaillé sur le stockage privé. Nous avons reçu hier un courrier du commissaire européen qui ne répond à aucune de nos questions. Ce n'est pas acceptable ; avec mon homologue allemande, nous avons fait un communiqué de presse assez rude.

Nous avons obtenu la modification du cahier des charges sur les fromages sous signe de qualité, avec possibilité de stocker et congeler. C'est une bonne nouvelle.

Je partage totalement votre analyse sur le Feamp et les régions ultrapériphériques. La crise actuelle démontre l'importance de la PAC, dont les détracteurs prétendaient qu'elle ne servait à rien, pour notre souveraineté alimentaire.

Je ne commenterai pas vos propos sur la direction générale de la FAO, mais je ne suis pas loin de penser comme vous.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je me fais le porte-voix de Michel Magras, qui assiste en ce moment à une téléconférence de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

La crise sanitaire qui frappe notre pays contraint les outre-mer à s'approvisionner sur le marché local de la pêche, plaçant les RUP face à une problématique de stockage. Parallèlement, cet approvisionnement au prix du marché local entraîne des surcoûts de production pour l'industrie de transformation des produits de la pêche. La Commission est en train de modifier le Feamp en réponse à la crise, mais cet ajustement ne tient pas compte des besoins particuliers des RUP françaises ; ainsi, les règles de stockage n'incluent aucune espèce de nos eaux tropicales. M. Magras s'interroge sur la mobilisation des fonds de compensation des surcoûts. Quelle suite a été réservée à la demande de prise en compte des besoins ultramarins lors de la réunion qui s'est tenue hier à Bruxelles ? 

Mme Anne-Marie Bertrand. - Les producteurs de fruits et légumes des Bouches-du-Rhône lancent un cri d'alarme à propos de la main-d'oeuvre saisonnière. Vont-ils devoir laisser pourrir les récoltes dans les champs alors que les besoins alimentaires sont bien là ? Où en sont les contrats Office des migrations internationales (contrats « OMI ») ? Les pays voisins, eux, embauchent des travailleurs clandestins... Quelles solutions avez-vous à proposer aux cultivateurs ?

Les marchés de plein vent doivent bénéficier d'une dérogation préfectorale. Il en résulte des incompréhensions : certaines dérogations sont refusées sans justification, occasionnant des déplacements entre communes. Ne serait-il pas plus juste d'autoriser ces marchés par défaut, en obligeant les organisateurs à y faire respecter des règles sanitaires strictes, notamment de filtration aux entrées ? Nos concitoyens ne comprennent pas pourquoi ils peuvent se rendre dans les supermarchés clos mais pas sur les marchés de plein vent.

La grande distribution a joué le jeu, nous espérons que cela va continuer. Comment comptez-vous contenir l'envolée des prix et garantir qu'ils restent raisonnables ?

M. Roland Courteau. - Pour nombre de viticulteurs de mon département, les cuves sont pleines, la trésorerie est à zéro et les charges continuent de s'accumuler. Il est urgent de mettre en place des exonérations totales de charges salariales et patronales et de cotisations sociales des chefs d'exploitation. Il est aussi nécessaire d'actionner l'outil de distillation : cuves pleines et stocks énormes sont de nature à peser sur les cours et à poser des problèmes dans la perspective des récoltes futures.

Les circuits courts doivent être confortés et réinventés.

La fermeture des établissements scolaires, donc des cantines, va accroître la précarité de nombreuses familles. Des mesures spécifiques de solidarité doivent effectivement être prises. N'attendons pas ; il y a urgence.

M. Michel Raison. - Il est prévu que la possibilité ouverte par l'ordonnance du 25 mars de suspendre les pénalités de retard des fournisseurs aux distributeurs dure encore un mois après l'arrêt du confinement. Or, selon les fournisseurs, au bout d'un mois, il y aura toujours des retards, du fait de difficultés d'emballage, de personnel, de stock, etc. Pourriez-vous examiner la possibilité de prolonger au besoin la période des dérogations ?

Vos services ont-ils regardé de près la situation difficile de l'agrotourisme ?

Tout le monde se félicite d'une baisse de la pollution de l'air. Mais il faudra bien que l'activité économique reprenne, même différemment. Des pseudo-scientifiques ou des scientifiques très écolos montrent du doigt les agriculteurs, comme si ces derniers étaient les seuls à polluer. Or l'indépendance alimentaire suppose l'activité économique agricole. Même s'il y a encore des efforts à faire, il ne sera pas possible de supprimer 100 % des pollutions.

M. Daniel Laurent. - La filière viticole française était déjà durement touchée avant le Covid. La mise en place d'un fonds de compensation aux taxes américaines ou la négociation d'accords de libre-échange avec la Chine ou le Royaume-Uni sont toujours en suspens. Depuis le début de la pandémie, la commercialisation des vins a brusquement chuté. Afin de préparer la prochaine récolte dans les meilleures conditions, il faut disposer de main-d'oeuvre et pouvoir la payer - or les trésoreries sont exsangues. Je salue le report des cotisations sociales et les prêts garantis par l'État. Mais l'absence de chiffre d'affaires par des entreprises déjà fragilisées doit conduire à aller beaucoup plus loin. La profession demande la suppression des intérêts intercalaires bancaires, le maintien des couvertures d'assurance-crédit ou la défiscalisation de la réintégration de la dotation d'épargne de précaution. Dans le cadre de l'OCM vitivinicole, des assouplissements sont-ils envisagés ? Chaque année, nous vous alertons sur les retards récurrents des versements des aides OCM. Dans ce contexte de crise, le respect des délais devient un impératif.

Des autorisations de plantations ne seront probablement pas consommées. Je demande un report de leur validité et une absence de sanction.

Il conviendra de veiller à ce qu'une distillation trop massive ne conduise pas à une déstabilisation des marchés ou à un effondrement des cours.

Je souhaite conclure sur les zones de non-traitement. Des questions restent en suspens sur les zones tampons, les conditions d'application des nouvelles règles et les mesures de compensation économique. Une communication à destination des mairies ou des riverains est-elle envisagée ?

M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le ministre, je vous remercie de votre engagement en faveur des marchés de plein vent. Dans mon département, quasiment tous les maires qui souhaitaient garder leur marché ont obtenu satisfaction.

Peut-on envisager d'ouvrir les jardineries qui ne vendent pas de produits alimentaires pour les animaux ? Les exploitations de mon département qui produisent des plants de légumes en ont besoin, faute de circuit court.

Aujourd'hui, on trouve des gigots néo-zélandais sur les étals des GMS. En période de crise, ne pourrait-on, sans faire de protectionnisme, mettre en avant les produits français ?

Je rejoins Laurent Duplomb sur les déclarations PAC. Il faut faire du sur-mesure pour des contrôles. Il me semble vous avoir entendu indiquer que les éleveurs ne seraient pas pénalisés à cause du surnombre d'animaux dû à la conservation des agnelles.

J'ai bondi en vous entendant déclarer que nous aurions « besoin d'une agriculture qui produise ». Toutes les agricultures produisent, même avec des objectifs différents !

M. Alain Duran. - Je ne comprends pas : on peut acheter des fleurs, généralement produites à l'étranger, en grande surface, mais pas en jardinerie. Les producteurs français sont incités à jeter leur production. Cette distorsion de concurrence suscite incompréhension et colère. Pourquoi une telle différence de traitement ?

Mme Valérie Létard. - Je souhaite intervenir sur les filières AOP dans les Hauts-de-France. Les commandes de maroilles ont baissé de 40 % à 90 %. Des aides au stockage des fromages et à l'écoulement vers les marchés secondaires s'imposent.

La filière laitière nous interpelle. L'article 222 doit être activé pour permettre à la Commission européenne d'adopter des actes d'exécution visant à stabiliser le secteur.

La filière pomme de terre est durement touchée par la crise. Près de 500 000 tonnes de pommes de terre risquent de n'être ni collectées ni transformées en France. Il conviendrait que l'État accompagne les aménagements, voire les reconstructions de capacités de stockage.

L'enjeu pour notre agriculture et nos éleveurs est tel que votre action auprès de la Commission européenne sera déterminante. Nous avons besoin d'un cadre spécifique, suffisamment souple pour être mobilisé afin de compenser les pertes économiques des filières concernées.

Les paiements du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) seront ralentis, et le risque de dégagement d'office fortement accru. Une demande de suspension de la procédure de dégagement d'office cette année nous a été transmise. Quel est votre point de vue sur ce sujet, qui mérite d'être relayé auprès de la Commission européenne ? La mobilisation des dégagement d'office 2019 pourrait-elle faire l'objet de remises gracieuses par la Commission européenne pour rétroflécher vers du soutien régional aux entreprises agroalimentaires ou aux exploitations ?

Mme Cécile Cukierman. - Il y a beaucoup d'inquiétudes sur la saisonnalité. L'appel que vous avez lancé ne suffira pas à répondre aux difficultés. La période des cueillettes commencera par les fruits rouges pour aller jusqu'aux arbres fruitiers. Que peut-on mettre en place pour que ces productions puissent être récoltées, mises en vente et consommées ?

Il y a également beaucoup d'inquiétudes sur la viticulture, filière déjà durement touchée par la baisse des exportations, notamment vers les États-Unis. La forte chute de la commercialisation laisse présager de grandes difficultés.

Les inquiétudes concernent aussi la filière laitière. La forte mobilisation des collectivités territoriales ne suffira pas. Il faut une action à l'échelon tant national qu'européen.

Je peux comprendre votre position sur la filière horticole si l'objectif est de réduire les déplacements et de limiter la consommation aux biens essentiels. Mais dans les supermarchés, on peut tout acheter ! La logique voudrait que l'on ferme les rayons des grandes surfaces qui ne sont pas essentiels. Cela limitera la fréquentation et permettra aux salariés épuisés de se reposer. Il y a deux poids deux mesures quand des producteurs ne peuvent pas écouler leur production alors que les grandes surfaces vendent des produits similaires, de moins bonne qualité...

Il n'y aura pas, nous dites-vous, de grands changements. Dans ce cas, les annonces relatives au « grand discours de refondation » et à la « construction d'un monde d'après » que préparerait le Président de la République n'ont pas lieu d'être. Faut-il comprendre qu'au sortir de cette pandémie, qui confine une grande partie de la population mondiale, il n'y aura aucun changement ? Je crois au contraire qu'il y en aura. Nous ne savons pas encore lesquels. Mais nous aurons collectivement à tirer les enseignements de cette période s'agissant des répercussions de certains comportements sur la vie et la planète.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Pourriez-vous intervenir en faveur de l'ajout sur le justificatif de déplacement d'une ligne propre à l'activité des associations de protection animale ? Dans mon département, des bénévoles sont verbalisés quand ils vont nourrir des animaux dans des endroits prévus pour cela, alors qu'il y a un risque de voir des chats ou des chiens mourir de faim et de retrouver des charognes dans les rues. Les associations demandent aussi que les stérilisations d'animaux errants ou dans les refuges soient considérées comme des actes vétérinaires urgents et prioritaires.

M. Fabien Gay. - Si les Français ont le sentiment d'une hausse des prix en grande surface, c'est sans doute parce que les caddies sont plus chargés qu'à l'accoutumée. La question des transporteurs se pose également. Nous aurons besoin de soutenir les ménages ; il y aura un enjeu de pouvoir d'achat.

Attention ! Personne n'a la solution. Nous affrontons une crise sans précédent, avec peut-être 10 % de récession, voire 22 % selon certains. Au-delà de nos clivages politiques, nous devrons rechercher des solutions que nous n'avions peut-être jamais envisagées. Certains promettent des discours de refondation. Des ministres jadis adeptes des privatisations parlent désormais de nationalisations. Les choses bougent. Nous avons besoin de faire vivre le débat politique. À défaut, c'est le pire populisme qui pourrait sortir vainqueur.

On parle beaucoup de souveraineté et de sécurité alimentaires. Je ne suis ni un partisan du repli sur soi ni un idéologue de la compétition. Je prône la coopération. Des traités du type du CETA peuvent-ils encore être ratifiés comme c'était envisagé auparavant ?

À mon sens, la question du juste échange nous sera posée. Ne balayons pas le débat politique d'un revers de main. Même des parlementaires membres ou proches de la République en Marche appellent à tout révolutionner. Sont-ce seulement des mots ? Pour ma part, j'ai la volonté de débattre et de construire des solutions communes.

Mme Catherine Conconne. - En Martinique, où nous sommes depuis longtemps autonomes pour la production d'oeufs, de volaille ou de lapin, cette période de repli fait du bien à la production locale. Non seulement l'écoulement est très rapide, mais la production serait presque insuffisante !

Il y aura des leçons à tirer de cette crise : elles devront nous permettre de progresser encore vers l'autonomie alimentaire. Je sais, monsieur le ministre, que tel est aussi votre état d'esprit.

En revanche, les exportations de certains produits à forte valeur ajoutée, comme le melon, sont bloquées par la quasi-suppression des liaisons aériennes - on est passé de sept livraisons par jour à deux par semaine ! Résultat, les producteurs de melon ne peuvent écouler leur production, taillée pour le marché métropolitain - en trois semaines, les revenus se sont affaissés.

Mme Anne-Catherine Loisier. - En Côte-d'Or, la problématique des fromagers est particulièrement sensible. On me parle de possibles réquisitions d'espaces de stockage : qu'en est-il ? Par ailleurs, où en est-on en ce qui concerne la mise en place d'une déclaration de catastrophe sanitaire, qui permettrait de couvrir les pertes ?

Certains producteurs aimeraient donner davantage plutôt que de devoir détruire : les plafonds en matière de dons peuvent-ils être relevés ?

En matière de main-d'oeuvre, pourrait-on autoriser davantage l'entraide familiale pour tous les types d'exploitations, y compris pour la filière équine ?

Enfin, la filière bois est importante dans le contexte de la crise, car le papier sert à la fabrication des masques et des emballages. Si l'activité repart de mieux en mieux, la filière risque d'être durablement fragilisée par de fausses informations, s'agissant notamment d'une supposée rupture d'approvisionnement des chaufferies. Il faut être vigilant, car certains adoptent des comportements opportunistes.

Mme Noëlle Rauscent. - Dans cette période pour le moins catastrophique, vous vous efforcez, monsieur le ministre, d'assurer l'approvisionnement alimentaire des Français dans le respect des mesures destinées à limiter la propagation du virus et de préserver autant que possible l'activité économique agricole.

Vous avez lancé une initiative innovante et solidaire : l'armée agricole. Il semble que l'appel ait été entendu, puisque 200 000 personnes se seraient portées volontaires. Mais cela suffira-t-il ? Sur mon territoire, les grandes surfaces ne trouvent plus à s'approvisionner en fraises. Parlementaires, élus, citoyens, comment pouvons-nous contribuer à amplifier la mobilisation ?

Les centres équestres, naturellement fermés, sont dans une situation économique catastrophique. Quelles mesures comptez-vous prendre en faveur de cette filière ?

Avec l'arrêt du tourisme en milieu rural, les propriétaires de chambres d'hôtes et de gites ruraux subissent un manque à gagner parfois important. M. Le Maire a précisé que les professionnels du tourisme seraient éligibles au fonds de solidarité, mais les structures dont je parle ne sont souvent pas considérées comme des acteurs professionnels. Est-il envisageable de les indemniser via les réseaux dont elles sont membres ?

Enfin, s'agissant des fleurs, il y a une certaine inégalité, car certains commerces qui vendent de tout vendent aussi des fleurs...

M. Daniel Gremillet. - L'Europe a un rendez-vous avec elle-même, le premier de cette importance depuis sa création. Or, sur le plan sanitaire, elle s'est montrée incapable de se hisser à la hauteur de sa mission - certes, des malades du Grand Est et d'Île-de-France ont été transférés dans d'autres pays, mais dans le cadre d'une solidarité entre États, pas d'une politique européenne. Sur le plan économique, aucun accord n'a encore été trouvé. Sur le plan agricole, il y a urgence à agir !

Les entreprises agroalimentaires sont sur le fil du rasoir. Je le vois au quotidien avec ma petite coopérative : s'il vient à manquer deux ou trois personnes de plus, elle cessera de tourner... La situation est très fragile, et le château de cartes menace de s'écrouler. Dans ces conditions, même si le personnel soignant doit être prioritaire, il ne faut pas écarter aussi rapidement le problème de la garde des enfants : 8 % des salariés ne vont plus travailler pour cette raison. Si nous voulons remplir les assiettes, il faut que les entreprises tournent !

La filière laitière va au-devant d'une situation particulièrement difficile, car les cours s'effondrent. L'encouragement indispensable des salariés et des entreprises du secteur agroalimentaire contribuera aussi à soulager les producteurs de lait. La solidarité nationale doit jouer pleinement : on ne peut pas dire à la fois aux entreprises laitières de réduire les volumes et les prix et de verser des primes de 1 000 euros...

En ce qui concerne les marchés, faisons confiance aux maires ! Grâce à l'espace disponible dans nos villages, il est plus aisé de respecter les distances sur un marché local que dans une grande surface.

Alors que le confinement est loin d'être terminé, pensons aux personnes qui subissent une réduction de salaire, aux ménages qui sont contraints à des arbitrages, notamment dans leurs dépenses alimentaires.

Enfin, les activités forestières et sylvicoles sont très perturbées, notamment du fait du fort ralentissement dans le secteur de la construction. Toute la filière est fragilisée et le restera en sortie de crise.

M. Henri Cabanel. - S'agissant de la distillation, déjà abordée par M. Courteau, êtes-vous d'accord avec le volume de 2 millions d'hectolitres demandé par la profession? Celle-ci souhaite aussi que le prix de l'hectolitre soit fixé à 80 euros par l'Union européenne.

Des filières comme la viticulture ou la conchyliculture ne peuvent pas recourir au chômage partiel, puisqu'il faut bien s'occuper de la production. Les salariés sont donc au travail, mais les débouchés manquent. Pour soulager les trésoreries, une exonération de charges patronales et salariales est-elle envisageable pour la période du confinement ?

Pour aider les entreprises, le Gouvernement a ouvert la voie au report d'échéances d'emprunt, mais la question des frais intercalaires reste posée. Puisque tout le monde doit participer à l'effort, fera-t-on pression sur les organismes bancaires pour qu'ils n'exagèrent pas en la matière ?

Enfin, je me félicite que vous ayez décidé de soutenir une campagne promotionnelle. Des produits comme les coquillages ont grand besoin d'être encouragés. Même quand on est confiné, les huîtres sont excellentes, surtout quand elles viennent de l'Hérault !

Mme Patricia Schillinger. - L'encadrement de la chasse des animaux dits nuisibles, comme les sangliers, doit être clarifié dans le contexte du confinement ; dans mon département, le préfet l'a fait hier par voie d'arrêté. Par ailleurs, alors que les agriculteurs ne peuvent remettre en état leur champ tant que les dégâts n'ont pas été estimés, le fonds d'indemnisation de mon département a suspendu les estimations. Quelles mesures d'urgence comptez-vous prendre pour que les estimations nécessaires soient rapidement réalisées ?

Alors que des stocks de pommes de terre, de fromage ou de viande ne peuvent être vendus, des personnes très pauvres souffrent, notamment dans la ruralité - certains de nos concitoyens ne peuvent même pas toucher leur minimum social, parce que leur bureau de poste est fermé. Une redistribution ne peut-elle pas être organisée, en liaison notamment avec les chambres d'agriculture ? D'autant que, dans le contexte du confinement, les banques alimentaires fonctionnent a minima.

M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le ministre, vous avez annoncé que les éleveurs ovins pourraient abattre les agneaux prêts et les stocker : quels financements avez-vous prévus pour cette opération ?

M. Pierre Louault. - Il faut redonner l'habitude aux Français de consommer des produits frais. La surproduction de poudre de lait devient catastrophique. S'agissant de la viande, contrairement aux animaux de réforme, les broutards ne partent pas, ce qui pose un vrai problème. Quant aux céréaliers, inquiets de l'effondrement des cours des oléagineux, ils ont du mal à savoir s'ils doivent semer des tournesols.

M. Didier Guillaume, ministre. - Monsieur Magras, tous les dispositifs horizontaux activés dans l'Hexagone - report de cotisations, activité partielle, soutien à la trésorerie, fonds de solidarité - le sont aussi en outre-mer. Simplement, nous devons adapter les conditions de l'activité partielle aux spécificités ultramarines : les salaires des marins-pêcheurs ne sont pas les mêmes en outre-mer et en métropole. C'est la première fois que des mesures européennes d'arrêt temporaire sont prises avec effet rétroactif et qu'elles concerneront l'outre-mer ; nous travaillons beaucoup sur ce sujet. Sur l'aide au stockage, du fait de l'absence d'organisations de producteurs en outre-mer, nous devons obtenir de la Commission européenne une dérogation, faute de quoi nous trouverons une solution nationale
- mais tout sera fait pour que l'outre-mer bénéficie du dispositif général.

Madame Bertrand, si vous constatez que des exploitations embauchent des clandestins, il faut les dénoncer sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.

La question des marchés de plein vent a été de nouveau débattue lors de la commission interministérielle compétente ; je ne puis pas faire davantage dans ce domaine. Nous travaillons à réduire les disparités encore trop importantes entre départements. M. Gremillet a dit : faisons confiance au bon sens des maires. Mais ils sont nombreux à ne pas demander l'ouverture de leur marché, notamment parce que l'espace ne permet pas l'application des mesures sanitaires.

Je me suis engagé sur la distillation et je suis d'accord pour 2 millions d'hectolitres à 80 euros l'hectolitre.

M. Courteau a raison d'insister sur l'importance de notre système de circuits courts, dans lequel s'exprime une grande intelligence collective.

Je suis tout à fait d'accord avec M. Raison sur les pénalités de retard. Nous regardons comment allonger les délais.

S'agissant de l'agrotourisme, nous ferons tout notre possible pour le soutenir.

Oui, l'agribashing repart, avec des accusations de pollutions. Sur ces sujets, il est impératif de se baser sur la science.

En ce qui concerne la viticulture et les aides de l'OCM, évoquées par M. Daniel Laurent, je crains 80 millions d'euros d'apurement de l'Union européenne. Je travaille main dans la main avec la filière.

Il y aura des compensations économiques - le Président de la République s'y est engagé - mais il est trop tôt pour en parler. Pour l'heure, nous sommes concentrés sur la gestion de la crise. On me reproche de profiter de l'épidémie pour supprimer les ZNT, mais elles ont simplement été reportées au 30 juin, pour permettre les semis.

Les représentants des grandes surfaces nous ont expliqué qu'il n'était pas possible d'ouvrir seulement les rayons alimentaires : on peut donc, en effet, acheter des fleurs dans les supermarchés, comme on peut y acheter des casseroles. Mais, globalement, nos concitoyens ne vont pas acheter seulement des casseroles et des chemises : ils achètent surtout des produits de première nécessité, d'hygiène et de santé. Les horticulteurs ne peuvent pas faire l'objet d'un traitement à part, mais ils seront soutenus via les aides aux filières.

Pour les ovins, nous continuons de demander à l'Union européenne les mesures de marché indispensables.

Avec la fermeture des établissements de restauration rapide, on mange moins de frites - et on utilise donc beaucoup moins de pommes de terre. Nous travaillons avec Restau'Co pour essayer d'avancer.

À ma connaissance, il n'y a aucun problème de paiement lié au Feader, sauf dans le Nord. Je prendrai contact avec Mme Valérie Létard à cet égard.

En matière de main-d'oeuvre saisonnière, madame Cukierman, les besoins sont estimés à 61 000 contrats en mai, 84 000 en juin et 106 000 en juillet. L'appel que j'ai lancé était donc nécessaire. J'ignore si les volontaires seront en nombre suffisant, mais je n'ai pas trouvé d'autre solution. En tout cas, nous sommes parmi les plus prêts : les Allemands, eux, affrètent des charters pour chercher des travailleurs détachés dans les pays de l'Est...

Oui, monsieur Gay, il y aura des changements à l'issue de cette crise mais, dans le domaine de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de l'alimentation, le monde de demain ressemblera relativement à celui d'aujourd'hui, même si je ne mésestime pas la nécessité d'évolutions. Nous aurons toujours besoin d'importer et d'exporter.

Madame Estrosi Sassone, je n'ai pas encore été interpellé par la SPA, mais je sais que les entrées de chiens et de chats en refuge en mars et avril ont été moindres en 2020 qu'en 2019 et en 2018. On me dit que les abandons sont peu nombreux et qu'il reste des places dans les refuges. Quant à la stérilisation des animaux errants, c'est une mission prioritaire des vétérinaires.

Sur la souveraineté alimentaire et les traités de libre-échange, il faut assurément des évolutions. Au reste, le Président de la République a parlé dès le mois de janvier d'exception agricole et agroalimentaire.

Madame Conconne, le problème des melons tient aux liaisons aériennes, comme celui des oeufs et des poussins d'un jour. Nous travaillons à faire un peu de place dans les soutes des vols maintenus.

Je ne puis pas répondre pour l'instant sur l'augmentation des plafonds de dons ; je transmettrai la question à la cellule interministérielle. En revanche, la date des dons a été prolongée d'un mois, à la demande de la filière laitière.

La filière équestre est dans la même situation que beaucoup d'autres. Il n'est pas possible de multiplier les dérogations, ou alors il n'y a plus de confinement. Tous les animaux doivent être nourris et soignés par les employés des centres et les vétérinaires, et ils le sont.

Madame Rauscent, je vais me pencher sur votre proposition d'aider les réseaux du tourisme rural.

Monsieur Gremillet, je sais que les entreprises agroalimentaires sont sur le fil du rasoir. Heureusement, nous avons constaté cette semaine une baisse de l'absentéisme dans les PME et TPE du secteur, ainsi que dans les coopératives agricoles, grâce au travail mené avec elles pour rassurer les salariés - je pense au guide des bonnes pratiques et au courrier que j'ai signé avec Bruno Le Maire. Par ailleurs, ces entreprises peuvent verser la prime défiscalisée prévue par le Gouvernement.

Nous surveillons la situation comme le lait sur le feu, entreprise par entreprise ; je m'entretiens quotidiennement avec Dominique Chargé, président de Coop de France, et Richard Girardot, président de l'ANIA.

En ce qui concerne les marchés, le Premier ministre a été très clair : les maires peuvent demander leur ouverture, les préfets étant chargés de coordonner. Dans certains endroits, il est évident que les marchés ne peuvent pas rouvrir. Ailleurs, notamment en zone rurale ou dans nos chefs-lieux de canton, la réouverture ne pose aucun problème. Comme vous l'avez dit, faisons confiance aux maires !

S'agissant de la distillation, monsieur Cabanel, vous savez que l'autorisation de l'Union européenne est nécessaire.

Nombre d'entreprises conchylicoles ont recours au chômage partiel ; mais, dans ce secteur comme dans beaucoup, il faut bien continuer à s'occuper de la production. Par ailleurs, nous travaillons avec l'interprofession à la mise en place d'une campagne promotionnelle, à l'instar de celle lancée pour les fruits et légumes, à laquelle nous avons participé à hauteur de 100 000 euros sur 600 000 et qui, si j'ose dire, a porté ses fruits.

Madame Schillinger, l'encadrement des nuisibles figure dans la liste des activités autorisées : même pendant l'épidémie, il importe de continuer les prélèvements d'animaux qui abîment nos territoires.

S'agissant de la lutte contre le gaspillage, je rappelle que les banques alimentaires ne sont pas confinées.

À ma connaissance, monsieur Louault, les broutards et jeunes bovins partent à bon prix ; si vous avez d'autres informations, transmettez-les-moi.

Je terminerai par les cours des oléagineux : alors que la graine de colza continue de progresser, le tourteau de soja, après avoir connu une forte hausse, est orienté à la baisse. Je suis ces évolutions très régulièrement, compte tenu de leurs incidences sur l'alimentation animale et les biocarburants.

Mme Sophie Primas, présidente. - Comme nombre de mes collègues, je suis inquiète pour le secteur horticole. La livraison à domicile de plantes vivaces est-elle autorisée ? Les horticulteurs et pépiniéristes peuvent-ils vendre au sein des magasins à la ferme ?

Par ailleurs, il est essentiel de dialoguer avec les maraîchers et arboriculteurs d'Île-de-France, qui ont pour habitude de ne rien produire entre le 14 juillet et le 15 août. Si nous devons être plus nombreux à rester dans la région cette année, c'est maintenant qu'il faut planter pour assurer l'approvisionnement en fruits et légumes locaux.

Enfin, M. Duplomb, qui a dû quitter notre téléconférence, estime qu'il est possible de négocier l'activation de l'article 196 s'il est borné à des restitutions à vocation humanitaire.

M. Didier Guillaume, ministre. - S'il est possible de s'appuyer sur la dimension humanitaire, il va de soi que nous le ferons.

Je signale que nous avons mis en place dans tous les domaines des foires aux questions, régulièrement actualisées avec les professionnels.

J'ignore quelles sont les perspectives pour la période du 14 juillet au 15 août, madame la présidente, mais nous allons nous pencher sur le problème que vous soulevez, auquel je n'avais pas pensé.

Je suis interpellé quotidiennement sur l'horticulture. L'arbitrage rendu repose sur une distinction entre les biens essentiels et ceux qui ne le sont pas. Dans ce cadre, celui qui sort n'acheter que des plants n'est pas dans les clous, mais celui qui sort acheter des biens alimentaires et des plants, en revanche, l'est. Quant aux livraisons, il me semble qu'elles sont possibles.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions, monsieur le ministre, de nous avoir consacré ce long temps d'échanges au milieu d'un agenda très chargé. L'organisation d'une nouvelle audition sera certainement utile, peut-être d'ici trois semaines.

La téléconférence est close à 17h15.