Mardi 16 juin 2020

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Proposition de résolution européenne relative à la proposition révisée de cadre financier pluriannuel 2021-2027 et à la proposition de mise en place d'un instrument de relance pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19 - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Vincent Éblé, président. - Nous examinons cet après-midi, sur le rapport de Jean-François Rapin, et en application de l'article 73 quinquies de notre Règlement, la proposition de résolution européenne n° 497 (2019-2020), présentée par Jean Bizet et Simon Sutour, au nom de la commission des affaires européennes, relative à la proposition révisée de cadre financier pluriannuel 2021-2027 et à la proposition de mise en place d'un instrument de relance pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Mon intervention sera assez longue car le sujet mérite que l'on soit précis. Nous examinons aujourd'hui la proposition de résolution européenne sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne et l'instrument de relance. Cette proposition est présentée sur l'initiative de nos collègues Jean Bizet et Simon Sutour, que je tiens à saluer, et elle a été adoptée par la commission des affaires européennes le 9 juin dernier.

Notre commission a eu l'occasion d'évoquer ce sujet à de nombreuses reprises au cours des deux dernières années, notamment lors de l'examen d'une précédente proposition de résolution européenne sur le sujet, en février dernier.

L'adoption du prochain CFP fixera les plafonds de dépenses annuels de l'Union européenne, et déterminera ainsi l'évolution du montant de notre contribution nationale pour les sept prochaines années, ainsi que le volume des dépenses européennes dont notre pays pourrait bénéficier.

Comme vous le savez, les négociations relatives au prochain CFP durent depuis maintenant deux ans. Nous avons souvent eu l'occasion de rappeler à quel point cet exercice est périlleux car la procédure d'adoption requiert l'unanimité des États membres au Conseil. Alors que les États membres peinaient à trouver un accord, la crise sanitaire et ses conséquences économiques ont redistribué les cartes d'une négociation déjà « difficile », pour ne pas dire, « embourbée ».

Cette proposition de résolution européenne permet aujourd'hui au Sénat de se prononcer sur les nouvelles orientations présentées par la Commission européenne. Nous examinons ce texte à la veille d'un Conseil européen déterminant pour ce sujet, bien que de nombreux observateurs lui prédisent déjà une issue peu prometteuse.

Je vous propose de ne pas revenir sur l'historique des négociations ouvertes depuis 2018, dont le détail figurera dans le rapport. Notre commission a déjà débattu des propositions initiales de la Commission européenne, sur lesquelles le Sénat a exprimé son désaccord à plusieurs reprises, notamment compte tenu des baisses proposées des budgets de la politique agricole commune (PAC) et de la politique de cohésion.

La nouveauté réside dans les nouvelles orientations proposées par la Commission européenne le 27 mai dernier afin de tenir compte des effets économiques de la crise. En effet, dès le mois de mars, alors que la Commission européenne annonçait en urgence plusieurs mesures budgétaires visant à soutenir les dépenses des États membres, il est devenu évident que les négociations relatives au budget pluriannuel allaient devoir intégrer un outil dédié à la relance économique de l'Union européenne.

La mise en oeuvre de cet outil a fait l'objet de débats intenses, notamment parce qu'elle a été associée, dès le début, à la possibilité de pouvoir émettre des titres de dettes communs à l'ensemble des États membres. L'objectif d'un tel dispositif était de permettre de réduire le coût de l'emprunt pour les États membres qui rencontraient déjà des difficultés pour se financer sur les marchés, comme l'Italie et de l'Espagne. Plusieurs États membres se sont toutefois fermement opposés à cette hypothèse, au premier rang desquels se trouvaient l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas.

Une solution de compromis a été esquissée par le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, en proposant un fonds temporaire dédié au financement de la reprise à l'issue de la crise sanitaire. Ce principe a d'ailleurs été retenu par l'initiative franco-allemande pour la relance, qui propose un fonds doté de 500 milliards d'euros de subventions, financé à partir de ressources levées sur les marchés financiers.

Par la suite, le Conseil européen du 23 avril dernier a acté le principe de la mise en oeuvre d'un fonds de relance, en précisant qu'il devait être intégré au prochain cadre financier pluriannuel et en chargeant la Commission de présenter des propositions.

Ainsi, la Commission européenne propose un CFP renforcé et articulé avec un nouvel instrument de relance temporaire, appelé « Next Generation EU ». S'agissant du CFP dit « socle », c'est-à-dire hors instrument de relance, la Commission européenne propose un niveau de dépenses fixé à 1 100 milliards d'euros en crédits d'engagement pour la période 2021-2027, soit une position intermédiaire entre le CFP actuel et le plafond proposé en mai 2018. Ce niveau de dépenses est également très proche de celui proposé lors du Conseil européen de février dernier, témoignant ainsi d'une cristallisation des discussions autour de cette valeur.

Toutefois, l'analyse des enveloppes proposées pour chacune des rubriques budgétaires doit tenir compte des crédits issus de l'instrument de relance. En effet, la Commission européenne propose que l'intégralité des crédits provenant de cet instrument transite par le CFP.

Venons-en donc maintenant aux caractéristiques de cet instrument de relance. Doté d'une enveloppe de 750 milliards d'euros, dont 250 milliards d'euros de prêts et 500 milliards d'euros de subventions et de garanties, l'objectif de cet instrument est bien d'augmenter la « puissance de feu » du budget européen de façon temporaire.

L'architecture proposée par la Commission européenne n'est pas des plus lisibles. Nous avions déjà eu l'occasion de souligner les difficultés méthodologiques rencontrées au cours de cet exercice, avec, par exemple, les budgets présentés en euros courants ou en euros constants, la rebudgétisation du fonds européen de développement à compter de 2021, ou encore le retrait du Royaume-Uni qui nécessite de retraiter toutes les données budgétaires. Désormais, il nous faut composer avec un budget reposant sur deux piliers - le CFP « socle » et l'instrument de relance -, sur deux types d'intervention - prêts et subventions -, et les éléments de langage de la Commission européenne qui présentent l'instrument de relance tantôt à partir d'axes « thématiques », tantôt par référence aux rubriques budgétaires du CFP.

D'un point de vue budgétaire, l'instrument de relance peut être présenté comme regroupant deux ensembles : d'une part, une enveloppe de 190 milliards d'euros venant abonder des programmes existants ou nouvellement créés, comme un programme spécifique à la coopération en matière de santé, ou encore « React EU » ; d'autre part, une enveloppe de 560 milliards d'euros, insérée dans le CFP, regroupant les 250 milliards d'euros de prêts de l'instrument de relance, et 310 milliards d'euros de subventions. Cette « poche » spécifique est appelée la facilité pour la reprise et la résilience.

Quel bilan pouvons-nous dresser des enveloppes proposées par la Commission européenne pour les différentes politiques européennes ?

Tout d'abord, il faut saluer l'augmentation des crédits versés au premier pilier de la PAC, à hauteur de 5 milliards d'euros par rapport aux propositions de mai 2018, bien que cette hausse reste modeste. Le deuxième pilier est majoré de 5 milliards d'euros au titre du CFP « socle » et de 15 milliards d'euros au titre de l'instrument de relance, soit une hausse de 20 milliards d'euros par rapport aux propositions de mai 2018.

Le budget de la politique de cohésion apparaît très en hausse parce qu'il intègre en apparence les crédits logés dans la facilité pour la reprise et la résilience. En réalité, le budget alloué au fonds européen de développement régional (Feder) est en baisse de 4 milliards d'euros environ par rapport à 2018, et des baisses similaires sont constatées s'agissant du fonds de cohésion, du fonds social européen, et d'Erasmus. Toutefois, le dispositif « React EU », financé par l'instrument de relance, constitue une « rallonge » de 50 milliards d'euros qui sera disponible au début du CFP.

Le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp) ne bénéficie malheureusement pas d'une hausse au titre de l'instrument de relance. Cette proposition me semble réellement dommageable pour le secteur de la pêche, dont l'activité a beaucoup souffert au cours des derniers mois - le Brexit n'arrangeant pas la situation.

De plus, je ne peux que regretter le budget dédié au fonds européen de la défense, s'élevant à seulement 8 milliards d'euros, contre 11,5 milliards d'euros en 2018. La défense, tout comme la recherche et la politique spatiale, constitue un domaine stratégique, emblématique de la valeur ajoutée européenne. Comme je l'avais déjà indiqué en février dernier, ma conviction est que tout ce que les États membres ne parviendront pas à faire ensemble au niveau européen dans ces domaines dans lesquels nous devons développer une autonomie, ils le feront seuls, puisant dans leurs budgets nationaux, et en se privant de synergies précieuses.

J'en viens désormais à la facilité pour la reprise et la résilience, qui constitue la pièce maîtresse de l'instrument de relance.

Regroupant la totalité des prêts et les deux tiers des subventions de l'instrument de relance, la mise en oeuvre de cette facilité répond à une logique différente de celles des programmes du budget européen. La Commission européenne lui fixe comme objectif d'améliorer la capacité de résilience et d'ajustement des États membres, en finançant des réformes et des projets d'investissement publics.

La Commission européenne propose que l'utilisation de cette facilité s'inscrive en conformité avec les recommandations du semestre européen. Ainsi, les États membres qui souhaiteront en bénéficier devront présenter à la Commission un plan spécifique, détaillant les mesures pouvant être financées. Ce plan prendra la forme d'une annexe distincte du programme national de réforme que le Gouvernement nous transmet chaque année. La Commission veillera à ce que ce plan soit cohérent avec les priorités par pays recensées dans le cadre du semestre européen, et qu'il réponde à un certain nombre de critères détaillés dans la proposition de règlement.

S'agissant du volet subventions, les États membres pourront recevoir une contribution d'un montant maximal, fixé par application d'une clé d'allocation. Cette clé est calculée selon la population de l'État membre, en proportion inverse du PIB par habitant, et sur la base du taux de chômage constaté entre 2015 et 2019. D'après ce calcul, la France pourrait recevoir jusqu'à 32 milliards d'euros de subventions, ce qui en ferait le troisième bénéficiaire après l'Espagne et l'Italie, mais ce montant n'est pas encore arrêté selon les dernières informations dont je dispose.

Je regrette que ces critères ne permettent pas de prendre en compte les besoins de financement des économies les plus touchées par la crise sanitaire.

S'agissant du rôle de la Commission européenne, il est prépondérant dans l'évaluation des plans présentés par les États membres. Ce rôle appelle à la plus grande vigilance de notre part dans l'octroi des subventions. En outre, au regard des masses budgétaires en jeu, il apparaît nécessaire que les parlements nationaux soient étroitement associés à l'élaboration de ces plans.

Permettez-moi d'exprimer toutefois quelques réserves sur la capacité de la facilité à produire des effets contracycliques pour répondre à la crise. En effet, si la Commission européenne propose d'engager au moins 60 % des dépenses avant la fin de l'année 2022, seulement 22 % des crédits de paiement seront effectivement versés avant cette date. En se basant sur le montant maximal de subventions qui pourra être alloué à la France, cela signifierait que notre pays ne bénéficierait que de 7 milliards d'euros environ en crédits de paiement d'ici à la fin de l'année 2022.

En outre, la ligne dédiée à l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité, auparavant dénommé budget de la zone euro, a disparu des propositions de la Commission européenne. Demande forte portée par la France depuis de nombreuses années, la mise en place de cet instrument apparaissait justifiée en ce qu'elle permettait d'apporter une réponse propre à la zone euro en cas de crise économique.

Au-delà de la facilité, le financement de l'instrument de relance concentre les principales interrogations.

Tout comme l'a prévu l'initiative franco-allemande, la Commission européenne propose que l'instrument de relance soit financé par un emprunt sur les marchés, ce qui constitue un réel changement de paradigme pour l'Union.

Toutefois, force est de constater que les modalités de remboursement de cet emprunt ne sont pas encore étayées.

Il est proposé d'initier le remboursement du capital à compter de 2028 jusqu'en 2058, au plus tard. Ce calendrier présente l'avantage majeur de permettre une hausse significative de la puissance de feu du budget européen à brève échéance, sans que les États membres doivent augmenter leurs contributions nationales. Toutefois, à compter de 2028, deux scénarios sont possibles : soit une hausse massive des contributions nationales, soit la mise en place de nouvelles ressources propres de l'Union européenne.

Pour l'heure, les propositions de la Commission européenne sur le volet « ressources propres » sont décevantes. Ne pas trancher ce débat revient à repousser un accord sur le remboursement de l'emprunt. Or, sans accord sur les modalités de remboursement, il n'est pas possible d'anticiper avec précision la quote-part du remboursement assumé par chaque État membre, ce qui constitue un angle mort des négociations.

Outre les ressources fondées sur les quotas carbone, et une autre fondée sur les déchets plastiques, la Commission européenne évoque désormais les pistes suivantes : une ressource issue d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ; une ressource fondée sur les « activités des grandes entreprises », qui n'est même pas détaillée ; une ressource fondée sur un impôt sur le numérique, c'est-à-dire une « taxe GAFA » européenne. Cette piste est peut-être celle qui a le plus de chance d'aboutir à moyen terme.

Je m'étonne de l'optimisme affiché par la Commission européenne, et mon avis est partagé par les personnes auditionnées. Premièrement, j'ai quelques doutes sur la perspective d'une entrée en vigueur rapide de ces ressources, eu égard aux réticences historiques des États membres sur le sujet. Deuxièmement, même si je partage les objectifs du Pacte vert européen, il peut être rappelé que la pérennité des recettes issues des quotas carbone repose sur une tendance haussière du prix du carbone... Or, l'abandon de la trajectoire carbone en France en 2019 a montré toute la difficulté d'une telle mesure. De plus, une taxe basée sur le prix du carbone est appelée, par nature, à se traduire par des recettes fiscales décroissantes. Nous pouvons faire la comparaison avec la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPP) attribuée aux régions, alors même que l'on incite à la baisse de la consommation des énergies fossiles...

Dans cette perspective, je partage pleinement les dispositions de la proposition de résolution européenne qui rappellent que les nouvelles ressources propres ne doivent pas peser sur les ménages et les entreprises, afin de ne pas dégrader le tissu économique européen.

Dans le même temps, l'augmentation des contributions nationales ne peut constituer l'unique réponse. En février dernier, je vous avais indiqué que les propositions de la Commission européenne de 2018, donc uniquement pour le CFP « socle », se traduiraient par une hausse annuelle moyenne de 6,9 milliards d'euros par rapport au cadre financier pluriannuel actuel. Une telle augmentation apparaît d'autant plus significative aujourd'hui, dans un contexte de dégradation de nos finances publiques.

Pour la France, la suppression du système de rabais permettrait de contenir la progression de sa contribution nationale. Or, la suppression des rabais est de nature à augmenter significativement les contributions nationales de plusieurs États membres déjà contributeurs nets. Je crains que cette proposition fasse l'objet d'une monnaie d'échange avec les pays dits « frugaux » pour trouver un accord sur le CFP et l'instrument de relance.

Afin de tenir compte de l'ensemble de ces remarques, je vous proposerai plusieurs amendements qui ne modifient pas l'équilibre général de la proposition de résolution européenne, mais qui rappellent certaines priorités qui sont au coeur de la compétence de la commission des finances.

Outre deux amendements rédactionnels, je vais vous présenter des amendements visant à rappeler que les conséquences budgétaires du Brexit restent des enjeux centraux dans la conduite des négociations, et que la mobilisation accrue du budget européen ne doit pas éclipser les objectifs d'une utilisation efficace de la dépense et d'un renforcement de la lutte contre la fraude aux fonds européens, laquelle constitue un point de fuite du budget.

S'agissant de l'instrument de relance, je vous présenterai : un amendement appelant à faire preuve de prudence sur l'appréciation des volumes financiers proposés, qui pourraient être insuffisants si la crise économique devait être plus durable et profonde qu'anticipée ; un amendement pour regretter la disparition de l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité ; et enfin un amendement réaffirmant que la suppression des rabais doit constituer une priorité.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je salue l'initiative de nos collègues sur ce sujet d'actualité. Le rapporteur l'a dit, les incertitudes sont nombreuses, notamment sur les recettes qui permettront de couvrir le remboursement des prêts. Il n'existe pas de dérogation à la règle de l'unanimité en matière fiscale, et il sera difficile d'obtenir l'unanimité sur le sujet. Je n'ai pas constaté d'évolution de la position d'un certain nombre de pays d'Europe du nord, qui sont déjà dubitatifs sur la nécessité de mettre en place un plan commune de relance : seront-ils enclins à modifier les règles fiscales ? Car pour déroger à la règle de l'unanimité, il faut l'unanimité... Nous n'y sommes pas parvenus sur une mesure qui paraissait pourtant simple et de bon sens : la possibilité de donner aux États davantage de liberté en matière de taux réduits de TVA.

M. Jean Bizet. - Je félicite Jean-François Rapin pour le travail qu'il a effectué, après celui de Simon Sutour et moi-même, sur cette proposition de résolution.

Il est fort vraisemblable, comme le rapporteur l'a dit, que le Conseil européen du 19 juin prochain ne soit pas conclusif, mais c'est aussi comme cela que l'Europe fonctionne. La position des États dits « frugaux » a tout de même évolué - l'Allemagne n'y est pas pour rien, tant s'en faut - depuis l'annonce de cet instrument de relance. Ces pays, majoritairement exportateurs, dont la balance commerciale et le taux d'endettement font rêver, ont pris conscience qu'ils se pénaliseraient eux-mêmes s'ils n'aidaient pas des États qui n'étaient déjà pas en bonne santé financière et qui sont encore davantage fragilisés par le Covid-19.

Je salue l'originalité et la pertinence de l'articulation entre le CFP et « Next Generation EU », un fonds de relance de 750 milliards d'euros qui permet de « sortir par le haut » d'une proposition finlandaise extrêmement frugale. Faire glisser 190 milliards d'euros en direction du CFP permet de panser les plaies, mais cela ne guérira pas le malade !

Les sommes mises sur la table sont considérables, rendant encore plus que d'habitude nécessaire l'émergence de ressources propres. Quelques années après le rapport Monti, nous voilà au pied du mur, car les États ne vont pas augmenter leurs prélèvements sur le revenu national brut. Il ne faut surtout pas instituer des taxes sur les entreprises, car nous sommes déjà les champions en la matière. La taxe GAFA, pourquoi pas ? Quant à la taxe carbone aux frontières, elle est une évidence.

Je m'inquiète de la fragmentation du marché unique. L'Allemagne utilise des aides d'État avec une temporalité qui n'est pas la nôtre, ce qui va accroître le différentiel entre nos deux pays. C'est un pays vertueux, qui se servira de sa puissance de feu sur la 5G, sur l'hydrogène, sur l'économie 2.0... Nous risquons d'avoir des déconvenues. D'où l'importance des réformes structurelles, car il en va de l'avenir et de la solidité de la zone euro. Il ne faudrait pas que la France soit déclassée en seconde zone, dans la catégorie des pays du sud.

Je suis d'accord avec les amendements proposés par le rapporteur, notamment ceux sur le rabais et l'instrument budgétaire.

Sans vouloir faire de politique politicienne, il n'y aura pas de souveraineté nationale sans compétitivité nationale : pour cela, il faut une baisse massive des charges dans notre pays. Nous alignons des chiffres, sans nous préoccuper de la charge de remboursement de cette dette...

M. Jérôme Bascher. - Merci à notre excellent collègue Jean-François Rapin, qui nous a permis de comprendre le dispositif proposé. Si elle est mal aimée, l'Union européenne en est la seule responsable : ses propos abstrus ne donnent pas envie de s'y intéresser...

Avec le plan de relance, on va rajouter de la dette à la dette, alors que la France n'en manque pas. Les ménages sont endettés, alors qu'historiquement ils ne l'étaient pas ; les entreprises ont atteint un taux d'endettement assez important - les prêts garantis par l'État ne vont pas contribuer à faire diminuer celui-ci - ; le taux de dette publique est de 120 % du PIB ; et maintenant on ajoute la couche qui manquait : la dette européenne !

En cas de faillite généralisée et de crise de la dette, quelle est l'instance d'appel ? La Banque centrale européenne est-elle solidaire du plan de relance ?

M. Patrice Joly. - Bravo au rapporteur d'avoir présenté de façon simple un sujet très complexe ! La nécessité d'un plan de relance, fondé sur l'accélération de la transition écologique, est une évidence. Les crédits issus de l'instrument financier et du CFP « socle » représentent un peu moins de 300 milliards d'euros par an sur entre 2021 et 2027, pour l'ensemble de l'Union européenne, un montant qui se rapproche des budgets nationaux.

Je regrette la faiblesse de la volonté et de la réflexion en matière de création de ressources propres pour rembourser cet emprunt. Celui-ci est essentiel car il permet de construire la solidarité européenne et d'obtenir des financements à des conditions que certains États n'auraient pas pu obtenir. Se pose la question des remboursements et de l'annulation d'une partie de la dette : 25 % des emprunts publics sont détenus par les banques centrales, notamment la BCE - les intérêts gagnés sont reversés en partie en dividendes aux actionnaires que sont les États. Ne pas rembourser une partie de la dette peut paraître étonnant, mais les montages financiers permettent d'y réfléchir, car cela donnerait de l'air aux finances publiques.

La dépense n'est jamais suffisante au regard du contexte actuel. Le plan de relance ne fait pas assez le pari de la relance au travers des territoires. On peut aussi s'interroger sur l'efficacité de ce plan au regard de ses modalités d'intervention - subventions, emprunts et avances - et de ses procédures, avec un risque de faible niveau d'engagement à courte échéance. Le CFP 2014-2020 a montré les difficultés que posait la lourdeur des procédures pour la consommation des crédits.

Enfin, on peut regretter que les crédits Erasmus soient en baisse, car il faut donner des perspectives à la jeunesse et cultiver le sentiment d'appartenance à l'Europe.

M. Éric Bocquet. - S'agissant des emprunts, quelle est la note donnée par les agences de notation à l'Union européenne ?

Une taxe sur le numérique, telle que la taxe « GAFA » ne figure pas dans la proposition de résolution.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Elle est comprise dans les ressources propres.

M. Éric Bocquet. - L'Allemagne, l'Irlande et les Pays-Bas sont opposés à cette taxe. Comme l'unanimité est nécessaire sur les questions fiscales, il n'y a aucune chance que cette mesure aboutisse. Il faudrait changer les règles du jeu.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Monsieur le rapporteur général, vous avez noté l'imprécision du dispositif. Les auditions, notamment celle de la secrétaire d'État Amélie de Montchalin, ne nous ont pas permis d'obtenir des réponses à toutes nos questions, car ces points font actuellement l'objet de négociations entre les États membres.

Monsieur Bizet, j'abonde dans votre sens. Il est vrai que le dispositif est original, ce qui peut conduire à des incompréhensions. Ce qui compte maintenant, c'est qu'il soit efficace dans les années à venir.

Monsieur Bascher, s'agissant de la BCE, je ne peux vous apporter qu'une réponse partielle. Christine Lagarde avait pleinement soutenu l'initiative franco-allemande pour la relance, laquelle reprend largement le dispositif qui nous est proposé par la Commission européenne : on peut donc imaginer qu'elle le soutient également. Mais nous ne savons pas quelle est sa position sur les modalités.

Monsieur Joly, vous estimez, avec pragmatisme, qu'on peut effacer 25 % de la dette, car celle-ci est détenue par la BCE. Cela peut être une piste, voire, un jour, une bouée de sauvetage. Cette proposition emblématique pourra être discutée à l'avenir.

Monsieur Bocquet, nous n'avons pas utilisé le terme « taxe Gafa » dans la proposition de résolution, mais je l'évoque dans mon rapport. Les personnes auditionnées, notamment la secrétaire d'État, l'ont citée comme une éventuelle ressource propre. J'ai fait part de mon doute sur la capacité à mobiliser aussi vite des ressources propres dont on parle depuis si longtemps... Comme les rabais, les ressources propres sont un sujet tabou.

Les inquiétudes portent aussi sur l'articulation entre la mobilisation des projets et l'allocation des crédits de paiement par l'Europe. D'importants fonds régionaux vont être versés, et il va falloir les gérer. Les régions peuvent connaître des difficultés de trésorerie en cas d'afflux de projets.

EXAMEN DU TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement COM-1 tend à rappeler le retrait du Royaume-Uni, qui aura un impact sur le prochain CFP.

L'amendement COM-1 est adopté.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement COM-2 intègre deux éléments complémentaires que nous avions déjà insérés dans la précédente proposition de résolution.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à réaffirmer notre prudence par rapport au plan de relance. On nous annonce des chiffres, mais nous sommes incapables de dire quel sera l'effet levier, et s'il suffira.

L'amendement COM-3 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-4.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement COM-5 tend à souligner le rôle de l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité qui ne figure plus dans les propositions de la Commission européenne.

M. Jean Bizet. - Il est en effet utile de le souligner car je vois certaines vieilles lunes revenir en France...

L'amendement COM-5 est adopté.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement COM-6 vise à relever deux insuffisances de l'instrument de relance de l'Union européenne : il faudrait modifier la clef de répartition des subventions de la facilité pour la reprise et la résilience, et impliquer davantage les parlements nationaux dans l'élaboration des plans de reprise et de résilience et des réformes menées par les États et qui devront être présentés à la Commission européenne.

L'amendement COM-6 est adopté.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement COM-7 tend à réaffirmer notre volonté de suppression des rabais.

L'amendement COM-7 est adopté, de même que l'amendement de précision COM-8.

La proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article unique

Auteur

Sort de l'amendement

M. RAPIN, rapporteur

1

Adopté

M. RAPIN, rapporteur

2

Adopté

M. RAPIN, rapporteur

3

Adopté

M. RAPIN, rapporteur

4

Adopté

M. RAPIN, rapporteur

5

Adopté

M. RAPIN, rapporteur

6

Adopté

M. RAPIN, rapporteur

7

Adopté

M. RAPIN, rapporteur

8

Adopté

Stratégie à mettre en oeuvre pour relancer l'économie - Communication

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'ai souhaité évoquer devant vous quelques éléments concernant la stratégie qui devrait être, selon moi, suivie pour relancer l'économie.

Le Gouvernement vient de déposer un troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3) qui ne comporte que peu de mesures de relance. Il contient majoritairement des mesures de soutien sectorielles, alors que les dispositifs de relance devraient se faire attendre jusqu'au projet de loi de finances (PLF) pour 2021, à l'automne, pour une adoption définitive à la fin de l'année civile.

Dans un contexte économique particulièrement morose, il importe de définir maintenant une stratégie nationale de relance, prenant la suite du plan de soutien établi par le Gouvernement, qui avait alors le bon timing d'intervention - et nous l'avions soutenu. Il convient ainsi d'aider l'économie à redémarrer, en stimulant la demande et en redonnant confiance à l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des entreprises, des ménages, voire des collectivités locales qui craignent de voir à la fois leurs recettes se réduire et leurs dépenses augmenter. J'ai ainsi rencontré, avec Charles Guené, les ministres Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu la semaine dernière.

Le contexte économique et budgétaire est inquiétant. L'économie française traverse un choc sans précédent en période de paix, qui va durablement peser sur l'activité. Désormais, le Gouvernement prévoit un recul du PIB de 11 %, contre 8 % il y a moins de deux mois - chiffre qui constituait déjà la plus mauvaise performance depuis l'après-guerre. Il s'agit d'une estimation très proche de celles de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Banque de France. Les conséquences sur le plan social seront massives. Selon la Banque de France, le taux de chômage atteindrait 11,5 % mi-2021.

Bien sûr, on assiste depuis le 11 mai à une reprise progressive de l'activité, qui a augmenté de 15 points par rapport aux premières semaines de confinement. Mais l'économie française est loin d'avoir retrouvé son niveau de production d'avant-crise : d'après la Banque de France, l'activité instantanée se situe encore 17 % en dessous de son niveau habituel.

Il n'y a donc pas de rebond instantané, la reprise sera lente et progressive. Selon l'OCDE, le PIB de la France se situera au quatrième trimestre encore 7 % en deçà du niveau du quatrième trimestre 2019.

Cela s'explique par la violence de la crise, qui a d'abord constitué un choc d'offre, mais va durablement peser sur les différentes composantes de la demande.

Du côté de la demande interne, la principale inquiétude concerne l'investissement, qui représente 23 % du PIB et dont le recul devrait se situer autour de 20 % d'après les différentes estimations. Je me suis notamment entretenu avec l'Association française des entreprises privées (AFEP) à ce sujet.

Le comportement d'investissement des entreprises, qui représente 14 % du PIB, est généralement attentiste durant les récessions, et il pourrait cette fois reculer de 20 à 25 %. Une stratégie de relance passe donc par l'investissement des entreprises.

L'incertitude devrait également conduire à un fort recul de l'investissement immobilier des ménages, de 20 à 25 %, même s'il existe toujours une forte demande d'investissement immobilier notamment en région parisienne.

Enfin, l'investissement des administrations publiques locales - qui représente 3,5% du PIB - risque d'être pénalisé par le cycle électoral et la baisse des recettes fiscales. D'après la Banque de France, il reculerait de 7,3 % cette année.

Les incertitudes sont fortes sur la consommation des ménages, mais celle-ci devrait un peu mieux résister que l'investissement. Comment seront orientés les 100 milliards d'euros d'épargne de précaution accumulés ? Les ménages vont-ils décaisser cette épargne contrainte pour réaliser les achats qu'ils ont reportés ou bien investir, ou alors vont-ils continuer à thésauriser, du fait de la hausse du chômage et de la forte incertitude sur l'avenir, assez anxiogène ? Une piste intéressante serait d'inciter à injecter cette épargne dans l'économie.

Le commerce extérieur - 31 % du PIB pour les exportations - pèserait marginalement sur l'activité à court terme, le recul des importations étant d'un ordre de grandeur similaire à celui des exportations. Les inquiétudes sont plus fortes à moyen terme, en raison des incertitudes sur le commerce mondial.

Quel est le rôle de la puissance publique - Gouvernement et législateur - pour éviter une spirale négative, et favoriser le rebond ? Nous devons actionner les bons leviers et choisir les bonnes mesures ; la France a peu de marges de manoeuvre. Je n'ai pas manqué de le rappeler au cours de l'examen des dernières lois de finances, la France a continué à s'endetter et à accumuler les déficits, ne laissant pas de marge de manoeuvre en cas de changement brusque de situation - je pensais alors à une crise boursière ou à un choc pétrolier, mais pas à une crise sanitaire...

Nous devons actionner les bons leviers. L'argent public est rare, même si actuellement certains ont l'impression qu'il « tombe du ciel ». Le PLFR 3 prévoit 30 milliards d'euros pour le chômage partiel, et 7 milliards d'euros pour le fonds de solidarité. Avec une prévision de déficit public à 11,4 % et un endettement public qui atteindrait 121 % du PIB, nos marges de manoeuvre sont bien plus réduites que celles de certains de nos voisins européens. Nous en reparlerons demain lors de l'examen de la loi de règlement pour 2019.

Pour stabiliser l'activité, les économistes considèrent qu'il faut que l'accroissement du déficit public soit équivalent à la chute de l'activité. Or ce n'est pas encore le cas : par rapport aux prévisions du PLF pour 2020, le Gouvernement anticipe un recul du déficit de 9,2 points, tandis que l'activité chuterait de 12,3 points. Il manque donc environ 3 points de PIB de soutien public. Cela explique pourquoi la Banque de France estime que 40 % de la perte d'activité liée à la crise resterait en l'état à la charge des entreprises et des ménages - le reste étant absorbé par la puissance publique.

Dès lors, il est indispensable d'amplifier le soutien à l'économie française par la mise en place d'un plan de relance, qui devrait, selon moi, s'élever autour de 2 points de PIB, soit 40 milliards d'euros, en tenant compte des incertitudes sur la reprise d'activité et le plan de relance européen.

Cela nous rapprocherait du niveau des mesures de soutien et de relance mises en oeuvre en Allemagne, qui atteignent au total 5,5 % du PIB, soit plus de 130 milliards d'euros d'après la Bundesbank, contre 2,5 % du PIB en France à l'issue de ce PLFR 3. L'Allemagne connaît un recul du PIB moins fort, mais elle donne davantage de subventions et moins de garanties de prêt. Elle va plus loin pour aider les PME.

Avec un tel état des finances publiques, comment déterminer les mesures les plus efficaces ?

Mon analyse s'est concentrée sur les dispositifs entrant dans le champ de compétence de notre commission, des mesures budgétaires et fiscales et des modes de financement de l'économie. Bien sûr, d'autres politiques devront être mobilisées, avec la question de la relocalisation en France pour retrouver une souveraineté, ou la compétitivité des entreprises. J'ai aussi exclu de mon analyse certains secteurs ayant fait l'objet de mesures de soutien sectorielles, comme le tourisme et la culture, l'aéronautique ou encore l'automobile.

Pour déterminer les mesures les plus efficaces, j'ai appliqué la règle dite « des 3T » : les mesures doivent être prises au moment opportun (timely), avoir un caractère temporaire (temporary) et être ciblées (targeted).

Le plan de relance doit ainsi tenir compte des délais de mise en oeuvre nécessaires pour les mesures retenues. ·Pour que certaines mesures soient efficaces, il faut agir maintenant ; cet automne et cet hiver, il sera trop tard.

Ensuite, la relance doit privilégier des mesures temporaires, permettant de préserver les finances publiques. Il faut éviter les mesures pérennes, difficilement réversibles. Nous avons pu en faire l'expérience avec la baisse de la TVA dans la restauration, considérée ensuite comme un avantage acquis.

Enfin, le plan de relance doit être ciblé en préférant les mesures permettant de soutenir fortement l'activité à court terme, c'est-à-dire celles dont l'effet multiplicateur est le plus élevé, et en soutenant prioritairement les activités les plus pénalisées - automobile, tourisme, services marchands...

Quelles mesures prendre, et avec quel calendrier ? Je ne suis pas d'accord avec le Gouvernement qui veut attendre l'automne. Le chômage partiel coûte très cher. Certes, il était indispensable lorsque l'économie était à l'arrêt, mais désormais il faut relancer la demande et l'investissement. Les restaurateurs veulent des clients, pas être mis « sous perfusion ».

Je trouve incohérent que l'Allemagne annonce la semaine dernière un plan de relance de grande ampleur et que la France attende plusieurs mois, alors même que, d'après l'OCDE, la chute du PIB en France devrait être supérieure de près de 5 points à celle constatée en Allemagne, de moins 6,6 %, en 2020. Les entreprises ont besoin de visibilité pour prendre leurs décisions d'investissement et les mesures seront efficaces si elles peuvent être intégrées le plus vite possible dans les prévisions du second semestre. Il en est de même pour les collectivités territoriales.

J'en viens aux mesures les plus utiles. Certaines pourraient ne pas être traduites par des amendements compte tenu de l'article 40 de la Constitution, mais ces propositions pourraient être reprises par le Gouvernement. Ce sont des priorités ambitieuses, mais non exhaustives - je voulais éviter un inventaire « à la Prévert ».

Tout d'abord, la priorité doit donc être donnée à l'investissement. Il faut ainsi aider les entreprises à se financer et à investir. Comme en 2008, il faut adopter des mesures ayant fait leurs preuves pour préserver la trésorerie, comme le dispositif de carry back, qui permet le report en arrière des déficits au titre de l'impôt sur les sociétés (IS), non plus sur une année, mais sur deux ou trois ans. Certes, le mécanisme est coûteux, mais son efficacité est reconnue. Il faut aider les fournisseurs de l'État en donnant plus d'avances et en payant mieux.

Il est indispensable de soutenir les investissements en fonds propres des entreprises, en particulier les PME. Par exemple, des sous-traitants qui peuvent être oubliés - une blanchisserie pour l'hôtellerie, un sous-traitant portuaire pour des navires se rendant en Grande-Bretagne... - ont besoin d'être soutenus. Nous pourrions renforcer temporairement les avantages des produits d'épargne et de placement des ménages, comme augmenter le taux de réduction d'impôt « Madelin », exonérer de prélèvements sociaux pour les investissements réalisés dans le cadre d'un plan d'épargne en actions dédié aux PME (PEA-PME), moduler l'imposition au prélèvement forfaitaire unique (PFU) des produits issus de l'assurance vie...

Pour inciter les entreprises à investir, on pourrait renforcer temporairement les coefficients d'amortissement généraux applicables au titre de l'impôt sur les sociétés pour les dépenses d'équipements. Le mécanisme de suramortissement pourrait être davantage actionné, par exemple pour inciter à la transition énergétique, en favorisant l'acquisition d'une flotte de camions moins polluants. S'agissant du transport aérien, je préconise de nouveau la mesure que nous avons adoptée en loi de finances initiale pour 2020, avec la création d'un suramortissement pour l'acquisition d'avions neufs émettant moins de dioxyde de carbone que ceux qu'ils remplacent. Cela rend plus rentable l'investissement.

En complément, il serait nécessaire de soutenir l'emploi qui risque d'être très touché par la crise. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail, y compris de jeunes diplômés, seront dans une situation dramatique. Il faut mettre en place un dispositif temporaire d'aide à l'embauche dans le secteur marchand. Il faudra aussi réfléchir au temps de travail, mais je sors un peu de mon champ d'intervention...

Seconde priorité, il faut aider les ménages à investir. Certains pays, comme Singapour, délivrent des chèques. Mais à quoi serviraient-ils ? Mieux vaut que ce ne soit pas pour acheter des téléphones étrangers...

Les ménages pourraient ainsi être davantage incités à opérer des travaux dans leurs logements, ce qui apporterait par la même occasion un soutien nécessaire au secteur du BTP, notamment pour la rénovation énergétique des logements. Il faudrait aussi renforcer le budget de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et notamment du programme « Habiter mieux  ».

Il est essentiel de faciliter par ailleurs la transmission entre les générations, afin que les jeunes générations puissent investir. L'abattement applicable pour la perception des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) dans le cadre d'une donation aux petits-enfants pourrait être augmenté, pour le passer de 31 865 euros à 70 000 euros. Vaut-il mieux que l'État perçoive l'intégralité des DMTG dans 20 ans, ou une somme plus limitée mais de façon anticipée maintenant ?

L'investissement public doit également soutenir la reprise économique. Je préconise un plan d'accélération de l'investissement public de 20 milliards d'euros et comprenant cinq grands axes prioritaires : transition écologique et mobilités durables, recherche et innovation, défense et sécurité, patrimoine et territoires.

Conformément aux recommandations de la Cour des comptes dans son analyse des mesures de relance prises après la crise de 2009, le plan comprend essentiellement des projets déjà identifiés et programmés qui mériteraient d'être renforcés et accélérés.

Dans une moindre mesure, car l'impact de la crise est encore incertain sur ce point, il convient de relancer la consommation, prioritairement sur les secteurs les plus touchés par la crise, et éviter la poursuite de la thésaurisation par l'épargne tout comme le soutien à la consommation de biens importés.

D'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la consommation des ménages connaît un rebond plus vif en sortie de confinement que l'activité. Certaines dépenses n'ont probablement été que différées. Celles pour les coiffeurs, l'habillement, l'équipement de la maison devraient repartir à la hausse... Il pourrait être utile de soutenir très rapidement la consommation des ménages modestes par un dispositif de bons d'achat ou de chèques loisirs, utilisables dans des secteurs particulièrement touchés. Certaines régions y réfléchissent déjà, et cela favoriserait la consommation de produits ou de services français.

L'utilisation de l'épargne et la transmission entre générations devraient être facilitées. On pourrait prévoir le déblocage exceptionnel et temporaire de l'épargne salariale pour l'achat de certains biens ou la réalisation de certaines prestations, comme des travaux de rénovation énergétique ou l'achat d'un véhicule propre.

Il est également crucial de s'appuyer sur les collectivités locales, acteurs de la reprise. Il serait utile de renforcer temporairement le fonds de compensation de la TVA (FCTVA), en anticipant son versement en 2021, et d'augmenter la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), que prévoit le Gouvernement, et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

En complément, des assouplissements des règles de la commande publique et une renégociation des contrats de plan État-régions (CPER) seraient opportuns.

Enfin, il convient de mobiliser l'ensemble des acteurs - Caisse des dépôts et consignations, BPI France... - afin de pallier les effets de la crise et contribuer à soutenir la relance économique.

Pour pallier les inégalités territoriales, il faudrait investir massivement dans le très haut débit sur l'ensemble du territoire. Près d'un million de prises n'ont pas été débloquées.

En résumé, je propose un plan temporaire, prenant effet le plus rapidement possible, et ciblé sur des secteurs prioritaires. Je présenterai des amendements lors de l'examen du PLFR 3, car nous ne pouvons poursuivre trop les dispositifs de perfusion. Il faut rebondir, en quelque sorte entamer notre rééducation, pour marcher voire courir après notre sortie de l'hôpital, car sinon nous serons en décalage par rapport à nos voisins européens.

Mme Christine Lavarde. - Le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale a proposé un livret centré sur la mobilisation de l'épargne pour la relance de l'économie et notamment la restructuration industrielle à la suite du Covid-19. Cette proposition a été reprise par le délégué général de La République En Marche. Est-elle pertinente ?

Une partie de l'épargne des ménages est plus forcée que volontaire. Pourrons-nous la débloquer ? Personne ne compte aller quinze fois de suite au restaurant pour compenser le fait de ne pas y avoir été pendant trois mois...

À l'heure actuelle, on presserait apparemment les opérateurs publics de réaliser des actions, de faible envergure, pour injecter de l'argent dans les territoires. Mais souvent, ce serait des actions de priorité de rang non pas 1 ou 2, mais 4 ou 5. N'est-il pas dangereux de dilapider l'argent public dans ces projets plutôt que dans des projets structurants ?

M. Julien Bargeton. - Monsieur le rapporteur général, je ne partage pas la tonalité de vos propos, mais nous en débattrons lors de la séance publique. Les plans sectoriels sont extrêmement ambitieux. Les États comparent leurs annonces, mais avons-nous un état comparatif de la consommation réelle des crédits ? Il est facile d'annoncer des milliards d'euros de garanties de prêts ou de subventions, mais qu'en est-il réellement ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'épargne de précaution inclut l'épargne forcée lorsqu'il était impossible de se déplacer et que les commerces étaient fermés. Il n'y a pas de rattrapage instantané, et il n'y aura jamais de rattrapage pour certains achats.

Je m'interroge sur l'opportunité d'un nouveau produit d'épargne. J'avais évoqué avec Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, la possibilité de réorienter le Livret A vers un livret Covid ou un livret santé... Il faut surtout une consommation plus importante, et cela repose sur la confiance.

Monsieur Bargeton, la Bundesbank estime à 5,5 % du PIB l'ensemble des mesures de soutien qui devraient être consommées. En France, nous n'en sommes pas là et les dispositifs de chômage partiel et du fonds de solidarité continuent d'être utilisés. Ce n'est pas très bon signe ; l'économie française reste fortement à l'arrêt.

Je ne critique pas les mesures de soutien sectorielles, importantes. Pour le secteur automobile, le plan est complet. Mais le PLFR 3 ne comprend pas de grande mesure notamment pour favoriser l'investissement des entreprises. Or on ne peut pas attendre l'automne pour des dispositifs comme le suramortissement ou le carry back. Le Gouvernement a fait des efforts pertinents lorsqu'il s'est agi de soutenir nos entreprises au moment où l'économie était quasiment à l'arrêt, mais il faut passer à une autre phase. J'espère que le chômage partiel disparaîtra naturellement et que les Français consommeront.

M. Vincent Éblé, président. - Merci pour cette contribution. Nos travaux se poursuivront sur le sujet.

La réunion est close à 17 heures.

Mercredi 17 juin 2020

Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019 - Examen du rapport

- Présidence de M. Jean-François Husson, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

M. Jean-François Husson, président. - Nous examinons le rapport d'Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Mes chers collègues, je vais vous parler de ce monde où « le soleil brillait encore » - pour reprendre le mot du président Kennedy -, alors que nous sommes entrés désormais dans un « très nouveau monde », celui de chiffres effarants qui font paraître faux tout ce que nous disions l'an passé et les précautions que nous demandions de prendre.

La loi de règlement est un exercice obligatoire, par lequel nous constatons l'exécution de la loi de finances, pour en apprécier la sincérité. Ce regard rétrospectif ne nous interdit pas une appréciation politique sur le bilan de l'année - et il est cruel puisque nous constatons tous les jours que notre pays n'a pas les marges de manoeuvre de l'Allemagne, qui investit 130 milliards d'euros dans son redressement, et que ce manque de marges tient précisément aux choix du Gouvernement que nous avons regrettés l'an passé.

Quelques mots sur le contexte macroéconomique. L'an dernier, le Gouvernement a de nouveau bénéficié d'une « croissance de rattrapage », qui a facilité l'atteinte de ses objectifs budgétaires. La croissance a atteint 1,5 % en 2019 - nous sommes à - 11% aujourd'hui -, soit un niveau supérieur de 0,1 point à la dernière prévision gouvernementale.

Pour la troisième année consécutive, la croissance effective a ainsi dépassé la croissance potentielle, faisant même entrer l'économie française dans une phase de légère « surchauffe ». Pour la première fois depuis 2013, la croissance française est ainsi supérieure à celle du reste de la zone euro, qui est de 1,2 %. Cela s'explique principalement par le fait que l'économie française est moins sensible aux exportations, qui ont nettement ralenti.

Un rapide essoufflement était cependant perceptible avant le déclenchement de la crise sanitaire. Alors qu'il avait augmenté de 0,5 % au premier trimestre, le PIB a fortement décéléré, avant de connaître un léger recul, de - 0,1 %, au dernier trimestre, donc même avant la crise sanitaire. Cela constitue un handicap pour l'exercice 2020 : l'acquis de croissance est ainsi limité à 0,1 %, soit le plus bas niveau depuis 2012.

Nous regrettons que, dans la conjoncture favorable de l'an passé, le Gouvernement n'ait pas voulu retrouver des marges de manoeuvre budgétaires et qu'il ait préféré différer le redressement structurel des comptes publics. On nous expliquait que le redressement serait pour la fin du quinquennat, cela va être plus que difficile...

Après s'être établi à 2,3 % du PIB en 2018, le déficit public a atteint 3 % du PIB à l'issue de l'exercice 2019, soit une dégradation de 0,7 point. Le Gouvernement n'en fait pas publicité, mais c'est la première fois que le déficit public français se détériore depuis la crise financière de 2009.

Pour justifier cette contre-performance, le Gouvernement met en avant le surcoût temporaire lié à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégements de cotisations sociales. Il est vrai que le chevauchement des deux dispositifs au cours de l'année 2019 induit un surcoût pour les finances publiques, estimé à 0,9 point de PIB par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Sans ce facteur exceptionnel, le déficit se serait donc élevé à 2,1 % du PIB, en baisse de 0,2 point de PIB par rapport à 2018. Mais cela ne signifie pas que le Gouvernement a réalisé un effort structurel de redressement des comptes publics.

En effet, le Gouvernement a bénéficié au cours de l'exercice de trois facteurs qui ont grandement facilité sa tâche. Il a d'abord pu compter sur une conjoncture favorable, avec une « croissance de rattrapage » qui a amélioré le solde budgétaire de 0,16 point de PIB. Le dynamisme anormalement élevé des prélèvements obligatoires a également aidé. L'élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité a atteint 1,2 en 2019, contre 1 point la plupart du temps, ce qui a généré environ 6,9 milliards d'euros de recettes supplémentaires, améliorant le solde budgétaire de 0,28 point de PIB. Enfin, la baisse de la charge de la dette, de 5,1 milliards d'euros, a contribué à diminuer le déficit public de 0,3 point de PIB.

En tenant compte de ces trois facteurs exceptionnels, on voit que la politique gouvernementale a dégradé le solde structurel de 0,5 point de PIB en 2019.

Contrairement à ce qu'indique le Gouvernement, cette contre-performance tient non pas à une accélération de la baisse des prélèvements obligatoires, mais bien à une absence d'effort de maîtrise de la dépense publique.

Du côté des recettes, le dynamisme anormalement élevé des prélèvements obligatoires est venu contrebalancer l'effet des mesures nouvelles décidées par le Gouvernement : hors mesures de périmètre et transformation du CICE, la part des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale n'a pas diminué l'an dernier, s'établissant à 44,8 % du PIB.

Du côté des dépenses, la croissance de la dépense publique donne un premier aperçu de l'ampleur du relâchement, dans un contexte marqué par la montée en charge des mesures prises pour répondre à la crise des « gilets jaunes » dans la précédente loi de finances. La dépense publique progresse en effet de 1,8 %, pour un objectif initial fixé à 0,6 % : jamais cette croissance n'a été aussi élevée depuis la mise en oeuvre du plan de relance en 2009.

Mon rapport démontre que l'effort structurel de maîtrise de la dépense réellement imputable au Gouvernement est négatif en 2019 ! Sur les trois premières années du quinquennat - cela fera plaisir à Claude Raynal -, cet effort apparaît même plus faible que sous la précédente majorité : ce Gouvernement ne fait donc pas mieux que le précédent pour la maîtrise des dépenses publiques...

Faute d'un effort suffisant, l'infléchissement de la trajectoire d'endettement est une nouvelle fois différé : c'est dommage, car il y avait une chance historique de faire mieux. C'est d'autant plus regrettable que la France a bénéficié ces trois dernières années de circonstances historiquement favorables pour réduire sa dette. En effet, lorsque la croissance est supérieure au taux d'intérêt payé sur la dette, l'endettement diminue tout seul : c'est la première fois en trente ans que la France bénéficiait d'un tel effet « boule de neige » favorable.

Or, plutôt que d'en profiter pour infléchir rapidement l'endettement, le Gouvernement a relâché ses efforts, si bien que l'endettement stagne à 98,1 % du PIB en 2019. Sans l'effet « boule de neige », l'endettement serait même aujourd'hui supérieur de plus de 3 points de PIB au niveau de 2016. Nous allons dans le sens inverse de pays européens qui ont connu des crises très graves, comme l'Espagne et le Portugal.

À l'aune des trois règles budgétaires européennes applicables à la France en 2019, le Gouvernement réussit l'« exploit » de dépasser la déviation maximale autorisée sur un an ! La suspension du pacte de stabilité nous a fait échapper à l'ouverture d'une procédure européenne, et il n'en faut pas moins féliciter les communicants de Bercy de parvenir à présenter les choses comme si elles étaient encore favorables l'an passé...

Parmi les chiffres vertigineux que vous trouverez dans mon rapport, le différentiel d'endettement avec l'Allemagne, qui atteint ainsi près de 40 points de PIB, tandis que la dette publique française est pour la première fois supérieure à celle du reste de la zone euro.

La comparaison avec l'Italie est, elle, très éclairante sur les défauts de la politique budgétaire française et le risque que représente le basculement dans la spirale de l'endettement. Depuis 1995, la hausse de la dette italienne tient exclusivement à un effet « boule de neige » défavorable, alors que l'Italie accumule des excédents primaires substantiels. En réalité, ce pays souffre d'une défiance des marchés : la faiblesse de la croissance et l'importance du stock de dette initial s'auto-entretiennent, empêchant l'infléchissement de l'endettement italien, malgré un sérieux budgétaire indéniable. À l'inverse, notre endettement croissant tient en grande partie à l'accumulation de déficits primaires, pour payer notre fonctionnement plutôt que de l'investissement - autrement dit, à un manque de sérieux budgétaire. L'Italie affichait l'an passé un excédent primaire structurel significatif, contrairement à la France, toujours en déficit primaire.

Le cas italien démontre ainsi l'importance de conserver une marge de sécurité suffisante, faute de quoi on passe le seuil de soutenabilité budgétaire et on se met alors dans les plus grandes difficultés en cas d'élévation brutale des taux d'intérêt - l'économie basculant alors dans une spirale négative dont il est très difficile de se sortir. Si la baisse des taux d'intérêt observée à l'échelle mondiale a vraisemblablement élevé ce seuil de soutenabilité, elle ne l'a pas pour autant fait disparaître.

Une fois la situation économique revenue à la normale, il sera donc plus que jamais nécessaire d'infléchir progressivement l'endettement de la France, afin de préserver la crédibilité et la soutenabilité de notre politique budgétaire.

De ce point de vue, le cycle qui s'achève apparaît comme une nouvelle occasion manquée. Nous avions l'occasion de redresser nos comptes et de nous désendetter, mais nous n'avons pas « réparé la toiture alors que le soleil brillait »...

Venons-en maintenant à l'analyse par secteur.

L'aggravation du déficit s'explique pour l'essentiel par la contribution des administrations centrales et de façon beaucoup plus marginale par celle de la sphère locale, tandis que les administrations de sécurité sociale ont réduit leur besoin de financement. Comme d'habitude, l'État donne des leçons alors qu'il ferait mieux de balayer devant sa porte...

L'apparition d'un léger besoin de financement de la sphère locale traduit toutefois un rebond bienvenu de l'investissement : la progression de l'investissement explique ainsi 80 % du dynamisme de la dépense locale en 2019. Cette évolution contrebalance heureusement la forte baisse, de - 17,8 %, intervenue sur la période 2013-2016, dont l'ampleur avait largement excédé les fluctuations habituelles liées au cycle électoral.

Les administrations de sécurité sociale sont parvenues l'an dernier à accroître leur excédent de 2,4 milliards d'euros, pour atteindre 14,1 milliards d'euros. L'amélioration tient à l'assurance chômage et aux régimes complémentaires, gérés par les partenaires sociaux, et non au régime général, dont le déficit s'accroît. L'analyse démontre que l'excédent dégagé par la sphère sociale dans son ensemble demeure en « trompe-l'oeil », car il reste subordonné à la contribution positive au solde de la sphère sociale de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui atteint désormais 0,7 point de PIB - je rappelle que cet excédent a vocation à s'éteindre à long terme.

J'en viens à l'analyse des évolutions constatées pour l'État en comptabilité budgétaire, qui constituent le coeur du projet de loi de règlement. Cette analyse confirme que le Gouvernement n'a pas su mettre à profit deux années de croissance relativement forte pour assainir les finances publiques.

Le déficit budgétaire de l'État se dégrade de 16,7 milliards d'euros entre 2018 et 2019, passant de 76 milliards d'euros à 92,7 milliards d'euros. Je l'avais dit lors du centenaire de la direction du budget, célébré l'an passé : près de 100 milliards d'euros de déficit, 100 % d'endettement, 1 000 milliards de prélèvements obligatoires, bon anniversaire !

Le Gouvernement explique cet écart par des facteurs transitoires, comme la transformation du CICE en allégement de charges et la mise en place du prélèvement à la source, qui a conduit à la perception de l'impôt sur le revenu pendant onze mois au lieu de douze. Mais cette explication ne justifie pas l'absence de correction structurelle qui caractérise la gestion budgétaire actuelle.

Combiné au coût de l'augmentation de la prime d'activité décidée à la suite des manifestations des « gilets jaunes », le déficit aurait pu se dégrader encore plus sans l'augmentation des recettes fiscales nettes, hors mesures de périmètre, résultant de la croissance.

Pour être positif, cependant, je décernerai comme l'an dernier un satisfecit pour certains aspects de l'exécution budgétaire : aucun décret d'avance n'a été pris en cours d'année 2019 et la réserve de précaution a été limitée à 3 %, hors dépenses de personnel, alors que sous la précédente majorité, ces décrets se chiffraient en milliards d'euros et la réserve de précaution atteignait jusqu'à 8%. Les ouvertures de crédits ont donc eu lieu dans une loi de finances rectificative limitée aux mesures de fin de gestion, comme cela doit être de règle.

Il faut tout de même souligner l'écart important entre le déficit prévu en loi de finances initiale, de 107,7 milliards d'euros, et le déficit constaté en exécution, de 92,7 milliards d'euros. Il vaut certes mieux avoir de bonnes surprises que de mauvaises, mais il est difficile de comprendre comment les prévisions peuvent être si différentes de l'exécution, alors même que l'année 2019, elle, n'a pas été marquée par une crise majeure.

Pour autant, le déficit s'aggrave par rapport à 2018 du fait de la diminution des recettes fiscales nettes. Elles reculent effectivement dans une proportion que l'on n'avait pas connue dans les années récentes, du fait de mesures de transfert et de périmètre entre l'État et la Sécurité sociale, notamment sur la TVA en compensation des allégements de cotisations sociales remplaçant le CICE.

La croissance spontanée des recettes fiscales nettes est de 8,8 milliards d'euros, en lien avec une élasticité d'environ 1 et une croissance de 1,5 % en 2019. En 2018, une croissance et une élasticité plus élevées avaient causé une croissance spontanée presque deux fois plus forte, de 16,3 milliards d'euros.

L'impôt sur les sociétés net est très dynamique en 2019 et progresse de 6,1 milliards d'euros. Sa croissance spontanée est de 2,6 milliards d'euros, soit une augmentation de 9,5 %. Les mesures nouvelles ont un effet à la hausse encore plus important de 3,5 milliards d'euros.

S'agissant des autres impôts, j'ai déjà expliqué pourquoi l'impôt sur le revenu comme la TVA diminuent, le premier à cause du prélèvement à la source, la seconde en raison du transfert aux administrations de sécurité sociale. La TVA, qui était autrefois un impôt d'État, se morcelle peu à peu entre plusieurs attributaires. L'accroissement de la part de la sécurité sociale, qui s'ajoute à la création en 2018 d'une part destinée aux régions, réduit la part de l'État à moins de 74 % en 2020. Cette tendance devrait s'accentuer en 2021 si la réforme issue de la suppression de la taxe d'habitation se poursuit, avec l'affectation d'une part de TVA aux départements et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

De même, la part de l'État dans le produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) diminue avec la hausse des fractions attribuées au compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » et à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).

Les recettes non fiscales sont stables à un niveau de 14 milliards d'euros. Elles sont toutefois marquées par une diminution de 1,5 milliard d'euros des produits du domaine de l'État, liée à la suppression des loyers budgétaires des ministères civils, compensée par une légère hausse des autres recettes non fiscales.

Les dépenses, de leur côté, sur le périmètre du budget général et hors remboursements et dégrèvements, augmentent de 6,3 milliards d'euros, soit de 1,9 %, par rapport à 2018. À champ constant, l'augmentation est même de 2,2 %, soit 1,1 % hors inflation. C'est bien davantage qu'en 2018, où elles avaient augmenté de 1,1 % alors que l'inflation s'établissait à 1,8 %.

Le montant des crédits consommés dans le budget général, hors charge de la dette et hors remboursements et dégrèvements, est de 299,3 milliards d'euros, supérieur de 1,5 milliard d'euros au montant des crédits prévus en loi de finances initiale : on peut donc parler de budgétisation sincère, dans l'ensemble.

Le coût plus élevé que prévu de la prime d'activité explique la surconsommation de crédits sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». S'agissant de la mission « Cohésion des territoires », un surcoût de plus de 600 millions d'euros est dû au report de la réforme des aides personnelles au logement, qui devait permettre d'ajuster en temps réel leur montant aux variations de revenu des bénéficiaires, et donc de les diminuer plus vite en cas d'augmentation des ressources.

À l'inverse, la mission « Recherche et enseignement supérieur » connaît la plus forte sous-consommation, ayant fait l'objet d'une annulation de crédits principalement mis en réserve. La sous-consommation des crédits de la mission « Action et transformation publiques » est liée à la mise en oeuvre plus lente qu'elle n'était prévue des projets de transformation - c'est un euphémisme.

S'agissant de la masse salariale de l'État et de ses opérateurs, elle devait faire l'objet d'une « maîtrise stricte » selon la loi de programmation des finances publiques pour 2018 à 2022. En fait, les dépenses de personnel - hors contribution au CAS « Pensions » et hors budgets annexes - s'élèvent à 88,7 milliards d'euros en 2019, soit une hausse de 1,6 % à champ constant...

Ces mesures font augmenter la masse salariale malgré la diminution des effectifs. Le schéma d'emploi réalisé en 2019 est de - 3 601 équivalents temps plein (ETP), dépassant l'objectif de - 1 571 ETP fixé en loi de finances initiale. Les suppressions additionnelles portent surtout sur le ministère de l'éducation nationale, en raison de la forte diminution du nombre d'enseignants contractuels et stagiaires, aussi bien dans le premier degré que dans le second. Le ministère de l'éducation nationale, le ministère de l'action et des comptes publics et celui de la transition écologique et solidaire concentrent près de 80 % des réductions nettes d'emplois.

Les ministères qui augmentent leurs emplois sont surtout ceux de la justice et de l'intérieur, ainsi que celui des armées, poursuivant en 2019 les politiques de recrutement menées en 2018 - un peu moins toutefois que prévu en 2019 pour le ministère de la justice.

La charge de la dette a été en 2019 de 39,1 milliards d'euros, en diminution de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2018, car les taux d'intérêt diminuent. Malgré la hausse continue de la dette de l'État, qui augmente de 65 milliards d'euros en 2019, la baisse persistante des taux réduit le coût des nouvelles émissions, notamment en remplacement d'émissions anciennes dont le taux était plus élevé. La baisse de la charge d'indexation, liée à une inflation moindre qu'en 2018, produit un effet sur la totalité de l'encours des titres indexés. Nous payons quand même 40 milliards d'intérêts, ce n'est pas rien...

Le résultat comptable de l'État, c'est-à-dire le solde entre les produits régaliens et les charges nettes mesurés en comptabilité générale, s'établit donc à 84,6 milliards d'euros en 2019, contre seulement 51,7 milliards d'euros un an plus tôt.

La situation nette de l'État, soit la différence entre son actif et son passif, s'établit à - 1 369,9 milliards d'euros à la fin 2019, contre - 1 294,9 milliards d'euros un an plus tôt, soit une dégradation de 75 milliards d'euros. Plus que le niveau, qui est structurellement négatif, c'est l'évolution, qui est de - 812,5 milliards d'euros depuis 2008, qui traduit un appauvrissement progressif de l'État. La situation nette représente aujourd'hui 4,5 années de produits fiscaux, contre deux années seulement en 2006.

Ce tableau n'est guère réjouissant : si l'exécution de la loi de finances est sincère, ce n'est pas parce que le Gouvernement a déployé de grands efforts depuis deux ans, mais parce que la loi de finances initiale manquait d'ambition, comme nous l'avions regretté lorsque nous l'avions examinée. Comment en féliciter le Gouvernement ? Ce serait comme congratuler un élève auquel on avait fixé comme objectif d'atteindre seulement la moyenne... La dette et le déficit continuent de s'accumuler, nous empruntons toujours plus pour rembourser nos dettes, le renouvellement de dettes antérieures représente même la moitié de notre besoin de financement : nous sommes comme le sapeur Camember, à faire des trous pour reboucher d'autres trous....

Voilà quelle était la situation de l'État, après la crise des « gilets jaunes » et à la veille de la crise sanitaire : nous aurions préféré qu'il dispose de marges de manoeuvre plus importantes et cela aurait été possible si le Gouvernement s'était montré plus vertueux.

Pour autant, comme chaque année, même si les choix du Gouvernement ne sont pas ceux que nous aurions faits et que nous regrettons que l'on n'ait pas redressé les comptes publics pendant que cela était encore possible, la loi de règlement est un exercice de constatation. L'autorisation parlementaire a plutôt été respectée, même si nous déplorons les choix initiaux. En conséquence, je m'en remets à la sagesse de la commission pour déterminer notre position.

M. Jean-François Husson, président. - Merci pour ces propos imagés, même s'ils n'étaient pas vraiment euphorisants !

M. Yvon Collin. - Je remercie le rapporteur général pour son exposé ciselé et percutant.

En ce qui concerne le budget de l'aide publique au développement, dont je suis le rapporteur spécial avec Jean-Claude Requier, l'exercice 2019 a été marqué par une forte progression des dons accordés par l'Agence française de développement (AFD) : 1,5 milliard d'euros de dons ont été engagés et 360 millions d'euros de crédits de paiement ont été versés. Ces chiffres s'inscrivent dans le cadre de l'objectif présidentiel d'atteindre 0,55 % du revenu national brut (RNB) dédié à l'aide publique au développement d'ici à 2022.

La commission a eu l'occasion de débattre du pilotage de l'AFD la semaine dernière. L'enquête de la Cour des comptes sur les opérateurs du ministère des affaires étrangères a mis en évidence les difficultés de la relation entre l'agence et sa tutelle. Je partage pleinement l'analyse selon laquelle il faut renforcer le contrôle de l'utilisation des crédits de cet organisme. Néanmoins, la progression des indicateurs montre que l'AFD est un opérateur pivot de l'aide au développement et qu'elle contribue très largement au rayonnement et à l'influence de la France à l'étranger.

M. Roger Karoutchi. - Je ne suis pas d'accord avec Yvon Collin sur le rôle de l'AFD, mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Monsieur le rapporteur général, après avoir écouté votre propos, j'ai le sentiment que nous entendons la même chose depuis plusieurs années - la seule différence porte sur la sincérité des comptes.

La loi de règlement, c'est un constat, et on ne peut changer les réalités. Mais on ne peut pas continuer de demander au Parlement de constater que nous sommes dans une situation catastrophique, que l'État et le Gouvernement n'ont pas fait d'efforts...

On avait imaginé un temps d'imposer une règle d'or, mais cela ne s'est pas fait. Nous avons voté contre le budget, nous allons peut-être rejeter ce projet de loi de règlement. Mais ne serait-il pas possible d'interpeller la Cour des comptes ? J'insiste, nous ne pouvons pas nous contenter d'avoir, année après année, un débat théorique. Le Gouvernement se fiche que nous rejetions ce texte, car il a, sur bien des sujets, une attitude très décontractée à l'égard du Parlement. Nous faisons toujours les mêmes réserves sur la dépense publique et sur le manque de volontarisme budgétaire du Gouvernement, et rien ne change. Les beaux diagrammes de Bercy, ça suffit ! Je le rappelle, le Parlement a été créé pour autoriser l'impôt ; or, nous faisons chaque année le même constat pénible, sans réussir à imposer quoi que ce soit au Gouvernement.

M. Vincent Delahaye. - Je partage les propos du rapporteur général et de Roger Karoutchi. En matière budgétaire, on se dit toujours qu'il faudrait consacrer davantage de temps à ce qui s'est réellement passé, pour mieux préparer l'avenir. L'an dernier, l'Assemblée nationale a beaucoup communiqué autour du Printemps de l'évaluation - je ne sais pas ce qu'il en est sorti.

La situation, pourtant hyper dégradée, de 2019 nous ferait presque rêver aujourd'hui. Les chiffres actuels nous donnent le vertige. Pourtant, le ministre de l'action et des comptes publics nous dit que la situation est sous contrôle. Je n'ose imaginer où nous en serions si elle ne l'était pas... On ne profite jamais des périodes a priori plus favorables pour « serrer la vis » et constituer quelques réserves, afin de pouvoir réagir dans les périodes difficiles.

Les pays les moins endettés seront ceux pour lesquels le coût budgétaire, financier et humain de la crise du confinement sera le moins élevé.

Roger Karoutchi évoquait la Cour des comptes. Je ne pense pas que le nouveau Premier président de la Cour, dont on a vu l'action quand il était ministre, soit le bon interlocuteur. Je l'ai entendu dire qu'il fallait sortir de la logique « austéritaire » : encore faudrait-il qu'il nous précise en quoi celle-ci consiste et quand elle a été mise en oeuvre dans notre pays... Ce type de discours est catastrophique pour une institution qui doit veiller à la dépense publique. Il n'y a plus de garde-fou !

Actuellement, plus on s'endette, moins cela nous coûte. On se dit que l'argent est quasiment gratuit et que tout va bien. Mais nous allons foncer dans le mur de la dette ! Cette attitude est tout à fait irresponsable.

Les niches fiscales représentent environ 100 milliards d'euros. On ne cesse d'en proposer de nouvelles. Je suis pour la suppression d'un certain nombre d'entre elles, car elles sont maintenues ad vitam aeternam et pratiquement jamais évaluées.

Je suis inquiet de voir les milliards d'euros valser. La nouvelle norme, c'est le milliard ; à 100 millions d'euros, on joue « petits bras ».

Nous avons très peu investi en 2019, et nous ne maîtrisons pas la masse salariale, qui représente 40 % des dépenses de l'État. Il faut faire davantage d'efforts en la matière.

On peut effectivement accorder au Gouvernement un satisfecit sur la sincérité du budget et l'absence de décret d'avance. Mais pratiquement aucun effort n'a été fait, et nous allons le payer assez rapidement.

M. Jérôme Bascher. - Le budget a été exécuté selon la loi de finances, mais j'ai des doutes sur le schéma d'emplois. En la matière, la loi de finances initiale (LFI) a-t-elle été respectée ?

M. Éric Bocquet. - Il est surréaliste de parler du désendettement dans le contexte actuel... C'est l'histoire qui s'accélère !

La dette va devenir le sujet principal. Quelle est aujourd'hui la notation de la France, alors que nous nous apprêtons à emprunter des dizaines de milliards d'euros ? Les principales agences de notation - Moody's, Fitch, Standard & Poor's - classent encore la France dans la catégorie « qualité haute ». À quel taux allons-nous emprunter ?

Cette nuit, j'ai rêvé qu'Albéric de Montgolfier était nommé à Bercy en vertu d'une décision disruptive du Président de la République. Quelles seraient, monsieur le rapporteur général, les trois premières décisions à prendre pour s'attaquer à la dette et améliorer la situation économique du pays ?

Je partage le sentiment de dépossession exprimé par Roger Karoutchi. Nous sommes dirigés par les marchés financiers, les agences de notation et Bercy. Nous devrions avoir sur ce point un débat avec l'ensemble de nos concitoyens.

M. Thierry Carcenac. - Mon groupe n'avait pas voté la loi de finances initiale et nous prenons ce projet de loi pour ce qu'il est : une constatation de la situation. Il faudrait réfléchir à l'endettement de la France. Comment pourrions-nous nous en sortir ?

Un quart de la TVA - un tiers à terme - disparaît du budget de l'État pour être versé à la sécurité sociale ; les recettes de l'impôt sur les sociétés, et peut-être celles de l'impôt sur le revenu, diminuent. Cela soulève des questions en termes de réalisation et de dépenses.

La mission « Action et transformation publiques », dont je suis le rapporteur spécial avec Claude Nougein, est d'une inefficacité flagrante, alors que nous devrions nous interroger sur le repositionnement de nos services publics et l'organisation territoriale de certains d'entre eux.

Les recommandations de la Cour des comptes ne sont pas au niveau des enjeux auxquels nous allons être confrontés. Il faudrait peut-être s'interroger sur les missions de cette institution.

M. Marc Laménie. - Je remercie le rapporteur général. Dans le document très pédagogique qui nous a été fourni, à la page 14, on constate que le solde des administrations de sécurité sociale est de + 14,1 milliards d'euros en 2019, alors qu'on parle du déficit du budget de la sécurité sociale. À la page 30 figure l'évolution de la situation nette de l'État entre 2008 et 2019 : on passe de - 557 milliards à - 1 369 milliards d'euros. Quelle est l'explication de cette évolution ?

M. Jean Bizet. - Le constat est alarmant. Parmi les États membres, la France apparaît comme un élève qui pourrait très largement mieux faire au vu de ses potentialités. À moyen terme, il en va de la solidité et de la pérennité de l'euro. S'il y avait demain un euro à plusieurs vitesses, il ne faudrait pas que la France soit dans la strate dit « des pays du sud ». Alors que notre pays va bientôt présider le Conseil de l'Union, en 2022, je rebondis sur la proposition de Roger Karoutchi : il serait intéressant d'imaginer une forme de règle d'or. Le Sénat ne pourrait-il pas exiger du Gouvernement la mise en place d'une telle règle ?

Nous avons emprunté collectivement une enveloppe de 750 milliards d'euros : ce serait le moment de mettre une clef de sécurité.

Je réclame depuis longtemps une union des marchés de capitaux. Hier, lors de la réunion de notre commission, Jean-François Rapin a souligné l'importance de reparler de l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité, dont nous avions, à la commission des affaires européennes, trop timidement souligné l'intérêt. Nous devons rassurer nos partenaires.

M. Julien Bargeton. - Éric Bocquet se demandait quelles seraient les trois décisions prises par Albéric de Montgolfier s'il était nommé ministre du budget : je crains que ce ne soit la suppression du jour de carence pour les fonctionnaires, celle des 35 heures dans la fonction publique et les redondances entre l'État et les collectivités locales. Avec cela, je ne suis pas certain que l'on ferait les économies nécessaires...

J'entends qu'il faut « serrer la vis », faire des efforts, réduire la dette et le déficit, mais les amendements qui sont ensuite présentés font généralement plutôt dans la dépense créative ! Dans quels domaines faire des économies ? La défense - non, car c'est compliqué d'un point de vue géopolitique -, l'éducation - non, car elle est nécessaire et les inégalités ne doivent pas s'accroître -, la santé - n'en parlons pas dans le contexte actuel de crise -, la police - les conditions sont déjà difficiles pour les forces de l'ordre -, les affaires étrangères - elles ont déjà été largement rognées -, etc. ? Il est toujours difficile de dire où l'on va tailler dans les effectifs de la fonction publique.

Je suis d'accord avec Vincent Delahaye et Roger Karoutchi : nous ne nous penchons pas assez sur l'exécution. Il faudrait peut-être proposer une révision de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Le Président de la République a dit qu'il fallait se réinventer : que le Sénat fasse des propositions en la matière, notamment sur le rôle de la Cour des comptes. Le Premier président a évoqué la qualité de la dépense publique.

Il faut peut-être aussi aller au terme de la réflexion sur la décentralisation. Assumons de dire qu'il faut transférer des blocs de compétence, pour moins de redondances. Je pense à des compétences très partagées - tourisme, développement économique, santé.

M. Pascal Savoldelli. - Il faudrait que les parlementaires connaissent le niveau réel des taux, et leur impact. L'État emprunte à des taux négatifs, ce qui lui permet de « constituer des matelas ». Nos concitoyens, nos chefs d'entreprise, eux, n'ont pas cette possibilité.

La dette publique, c'est une manière d'être de l'État - il ne s'agit pas d'une question technique. Le déficit se dégrade de 16,7 milliards d'euros, mais il ne faut pas oublier que le CICE a coûté 20 milliards d'euros et que des allégements de charge ont été faits pour le même montant, soit 40 milliards d'euros. Nous devrions créer un collectif de travail pluridisciplinaire, reflétant toutes les tendances politiques, pour travailler sur les mécanismes de la dette privée et de la dette publique.

Mme Nathalie Goulet. - Je suis rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », c'est-à-dire de la dette publique. Je partage la quasi-totalité des observations qui ont été faites - je pense notamment à l'inexistence du contrôle budgétaire, par exemple sur les promesses de reprise de dettes comme celles de l'hôpital et de la SNCF.

Il faut rendre plus efficaces les contrôles de la Cour des comptes, et lui donner des pouvoirs de sanction.

Nous ne pourrons pas continuer à examiner le budget des engagements financiers en quelques minutes comme nous le faisions les années précédentes. Il faut que nos concitoyens prennent conscience du problème.

Je veux aussi évoquer l'absence de réponse des administrations : nous avons demandé plusieurs fois des évaluations du coût de la dette en fonction de l'augmentation des taux d'intérêt, sans jamais rien obtenir. Il faudrait pouvoir débattre de ce sujet majeur.

M. Patrice Joly. - Je suis chargé du contrôle budgétaire de la contribution de la France au budget de l'Union européenne, qui est de l'ordre de 21 milliards d'euros. On constate une sous-exécution, ce qui a pour conséquence de ne pas produire l'impact économique que l'on serait en droit d'attendre de cette contribution.

Les restes à liquider, c'est-à-dire les dépenses engagées mais pas versées, représentent 298 milliards d'euros, soit un an et demi de budget de l'Union européenne, et 60 % de ce montant concerne la politique de cohésion. Imaginez les enjeux en termes de redistribution territoriale...

S'agissant de la politique budgétaire, le constat est alarmant. Au-delà de la sincérité des comptes, on ne peut que relever un accroissement des inégalités au cours de ces dernières années, ce qui n'est pas acceptable.

La politique de relance risque de servir davantage certaines catégories sociales et certains territoires que d'autres. En effet, l'une des mesures majeures est le chômage partiel : or, dans les territoires ruraux, il y a beaucoup d'indépendants, qui n'en ont pas bénéficié. De même, le soutien au capital des sociétés ne bénéficie pas aux territoires les plus périphériques. J'ai demandé, à l'occasion d'une question au Gouvernement, une évaluation sur les impacts en termes de redistribution territoriale, et donc sociale, de la mise en place de ces mesures de soutien.

Mme Christine Lavarde. - Dans le programme national de réforme de 2019, le Gouvernement a indiqué qu'il poursuivrait la baisse du nombre d'emplois publics grâce à Action publique 2022. À la même époque, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP) a montré que la baisse annoncée de 4 100 ETP s'accompagnait d'une augmentation du plafond d'emploi cumulé de l'État et de ses opérateurs de 1 332 postes entre 2018 et 2019. Un certain nombre de postes sortaient aussi du giron des emplois publics par la transformation de certains opérateurs. Pourrait-on disposer d'une photographie réelle de l'évolution des emplois, en prenant en compte les effets de l'évolution du périmètre d'action de l'État ?

M. Jean-Marc Gabouty. - Les amendes de police et de radars, c'est-à-dire des recettes aléatoires, permettent de financer des dépenses structurelles, notamment l'Afitf. Ce système ne fonctionne pas et doit être corrigé, ce qui rend sa prévision ubuesque depuis trois ans.

J'irai dans le même sens que Julien Bargeton : nous devons réinventer la manière d'administrer le pays. Nous n'y arriverons pas uniquement avec des rabots ou des rajouts. Il faut davantage de décentralisation. La comptabilité publique, au niveau de l'État, reste une comptabilité d'épicerie : on enregistre les recettes et les dépenses en fonction des encaissements et des décaissements. Si l'on veut améliorer le solde budgétaire, on fait un acompte d'impôt sur les sociétés payable au mois de décembre.

Par ailleurs, il faudrait mettre un frein à l'inflation réglementaire et normative. Cette semaine, un préfet présentait le guide des nouveaux maires élus, un document de 15 centimètres d'épaisseur ! Autre exemple : pourquoi, à budget constant, l'appareil sanitaire allemand est-il plus performant que le nôtre ? Parce que, dans le secteur hospitalier, l'administration pèse beaucoup plus lourd en France qu'en Allemagne.

M. Sébastien Meurant. - En France, dans de multiples domaines, on considère que lorsqu'il y a un problème c'est parce qu'il n'y a pas assez de moyens. Le Grand Paris en est un bel exemple ! On crée des taxes ou des impôts supplémentaires, sans se demander pourquoi le budget des projets dérive.

Pour la mission « Immigration, asile et intégration », je répète depuis deux ans que nous votons des prévisions fausses, ce qui conduit à une sur-exécution des dépenses. L'exécution devrait être davantage contrôlée. Le Parlement devrait avoir plus de poids face à l'administration et au Gouvernement, pour qu'il y ait un véritable équilibre des pouvoirs.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Voici mes réponses regroupées en quelques thèmes.

La loi de règlement, c'est simplement constater si le train est arrivé à l'heure. Nous n'avons, dès lors, pas vraiment de possibilité d'amender le texte sur le fond. La sincérité n'est pas très difficile à atteindre si l'engagement initial n'est pas ambitieux, ce qui est le cas. D'autres débats peuvent être plus intéressants, comme celui sur l'orientation des finances publiques, qui permet de porter une vision pluriannuelle. Le Gouvernement voudrait nous réduire à une Cour des comptes bis ; je ne m'y résous pas. D'ailleurs, il ne me semble pas que le Printemps de l'évaluation, à l'Assemblée nationale, ait révolutionné les choses.

La vision pluriannuelle dépasse le cadre du ministre du budget : c'est une question d'ambition politique. La règle d'or ne vaut que si elle est portée politiquement. L'Allemagne en a une depuis l'après-guerre, ce qui ne l'empêche pas d'y déroger si nécessaire. Il faut réfléchir aux missions de l'État, et des pistes ont été évoquées : décentralisation, suppression des doublons et de la suradministration. Par exemple, le texte d'application sur la TVA à 5,5 % - une disposition votée en avril ! - pour les tenues de protection n'est toujours pas paru ! Qui dirige dans ce pays ? Il y a trop de monde dans la haute fonction publique pour bloquer la prise des mesures...

Sur les schémas d'emploi, il y a eu - 3 601 ETP en exécution, contre une prévision de - 1 571 : la différence s'explique essentiellement par l'éducation nationale. Sur les opérateurs, l'exécution a été de - 2 570 ETP, contre une prévision de - 2 593 ETP ; ce sont notamment les opérateurs du ministère du travail qui étaient concernés.

Sur la dette, je ne sais plus quoi faire ! On va emprunter 340 milliards d'euros cette année, et personne ne semble s'affoler... Le niveau des taux d'intérêt a un effet anesthésiant. La France est classée en « qualité haute », mais elle n'est plus notée AAA. Cela ne signifie pas grand-chose, car les marchés savent que notre pays a une épargne accumulée qui est la garantie de sa dette. C'est la raison pour laquelle on continue à nous prêter de l'argent, alors même que nous ne maîtrisons pas nos comptes.

La richesse de l'État se dégrade très fortement. Il faut quatre ans pour couvrir la situation nette contre deux auparavant.

C'est non pas la sincérité des comptes qui pose problème mais le manque d'ambition, avec une situation en 2019 qui s'apparente à un « handicap au départ » à la veille d'une crise que l'on n'avait pas envisagée. Si l'Allemagne peut engager 130 milliards d'euros de dépenses, consacrer 9 milliards d'euros au véhicule à hydrogène, s'engager tout de suite dans la transition énergétique, assurer la compétitivité de son industrie de demain, c'est parce qu'elle a des marges de manoeuvre que nous n'avons pas. L'exécution 2019 en est la traduction : nous n'avons pas profité d'années relativement favorables pour redresser nos comptes publics. C'est ce que nous payons aujourd'hui et ce qui nous handicapera demain pour la reprise.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019. En conséquence, elle décide de proposer au Sénat de ne pas adopter chacun des articles du projet de loi.

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

Agence nationale pour la rénovation urbaine et la mise en oeuvre des programmes de renouvellement urbain (ANRU et NPNRU) - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

M. Vincent Éblé, président. - Nous allons procéder à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de la commission des finances en application de l'article 58, paragraphe 2, de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) et la mise en oeuvre des programmes de renouvellement urbain (PNRU et NPNRU).

Déjà en juillet 2014, la Cour des comptes avait remis à notre commission un rapport sur l'ANRU, alors que la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine venait de décider le lancement d'un nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), succédant au programme national de rénovation urbaine (PNRU) créé en 2003.

Six ans après, le PNRU achève ses dernières réalisations tandis que le NPNRU commence à lancer les siennes. Les deux programmes sont gérés par une Agence qui a elle-même connu des transformations importantes au cours de cette période.

C'est pourquoi notre commission des finances vous a demandé de mener cette enquête qui permettra de mettre à jour les constats que vous aviez faits en 2014 et de tirer les enseignements du PNRU afin de mieux réussir le NPNRU.

Nous recevons Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions des travaux menés par la Cour. Le directeur général de l'ANRU, Nicolas Grivel, pourra nous apporter ses observations sur le rapport de la Cour et répondre à nos questions. Si l'Agence est placée sous la tutelle du ministre chargé de la politique de la ville, cette tutelle est exercée par la direction générale des collectivités locales (DGCL) conjointement avec la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). La DGCL est représentée par Stéphane Brunot, directeur, adjoint au directeur général, et la DHUP par François Adam, directeur.

Par ailleurs, nous avons invité pour cette audition Annie Guillemot, rapporteure pour avis des crédits de la politique de la ville, et Dominique Estrosi-Sassone, rapporteur pour avis des crédits du logement, toutes deux au nom de la commission des affaires économiques, mais elles sont retenues ce matin par les travaux de leur commission sur la politique du logement.

Après avoir entendu le président Terrien, notre rapporteur spécial, Philippe Dallier, présentera les principaux enseignements qu'il tire de cette enquête et pourra poser ses premières questions aux différentes personnes entendues ce matin.

À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Un certain nombre de nos collègues suivent notre réunion en visioconférence et pourront parfaitement intervenir pour poser des questions dans le débat qui s'ouvrira.

Je laisse donc la parole au président Gérard Terrien afin qu'il nous présente les principales conclusions de l'enquête réalisée par la Cour des comptes.

M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes. - Je vous remercie, M. le Président, d'avoir rappelé que nous avions déjà travaillé sur l'ANRU et sur le programme national de rénovation urbaine il y a six ans. Revenir sur ce sujet, à la demande de la commission des finances, a été extrêmement intéressant et utile. Les axes de travail avaient été fixés et précisés par M. Dallier en tant que co-rapporteur spécial des crédits de la mission « Cohésion des territoires ». Son cadrage nous a beaucoup aidé dans la conduite de nos travaux. Ces travaux ont porté sur la période 2014-2020, la loi de 2014 ayant significativement changé la donne. L'idée était d'abord de contrôler le fonctionnement de l'Agence, les perspectives liées à son changement de statut comptable et financier, et l'impact de la réorganisation des tutelles intervenue récemment. Il s'agissait ensuite de dresser un bilan financier du PNRU. Bien qu'ayant pris fin en 2015, ses réalisations et son exécution financière s'achèveront en 2021, date à partir de laquelle un bilan définitif sera à faire. Enfin, nos travaux ont porté sur le NPNRU, son cadre financier, ses objectifs et ses contraintes.

Ce travail a été conduit par une équipe de rapporteurs et supervisés par mes collègues Philippe Hayez et Denis Berthomier. Il a impliqué une instruction auprès de l'ANRU, et je remercie à cet égard son directeur général et toute son équipe pour le concours qu'ils nous ont apporté, ainsi qu'un échantillon de 15 équipes régionales sur 8 régions. Le rapport a été communiqué au Parlement le 27 avril. Son instruction avait toutefois été achevée avant la crise sanitaire, dont nous n'avons donc pas pu évaluer l'impact.

L'ANRU est un établissement public assez original, reposant sur des moyens humains principalement externes. Elle compte un peu moins de 130 collaborateurs, même si ce nombre a fortement augmenté dans les dernières années. Elle fonctionne avec un réseau de délégations territoriales dans les directions départementales des territoires. Nous avons évalué à 346 équivalents temps plein (ETP) les collaborateurs de ces directions départementales, qui sont les relais de l'Agence dans les territoires. Celle-ci a par ailleurs connu des réorganisations importantes en interne, que nous l'invitons à poursuivre pour parvenir à une meilleure gestion des risques. Ont été mis en place un comité de suivi financier, un comité d'audit interne, un suivi renforcé des marchés publics et une réforme du conseil d'administration.

La gestion financière de l'ANRU nous est apparue saine, avec une part de vigilance nécessaire eu égard aux montants majeurs des engagements sur les deux programmes. On constate un pic de décaissements au titre du PNRU en 2016, qui a généré de fortes tensions. Il a essentiellement été surmonté grâce au décalage de l'exécution financière du NPNRU. Le cadre financier a été reconsolidé suite à des négociations entre l'État, Action logement et l'ANRU et nous apparaît stabilisé à l'horizon 2034, sous les réserves liées aux conventions régulières à réactualiser. Il paraît en outre nécessaire de réactualiser la trajectoire financière, notamment dès lors que le NPNRU se traduira en engagements financiers exécutables. Il existe à ce stade un risque concernant une impasse de trésorerie en 2026. Les ressources sont essentiellement issues des contributions d'Action logement sous la forme de subventions et de prêts bonifiés. L'État a ainsi quelque peu perdu place dans la supervision financière de l'Agence. L'évolution des ressources des emplois mais surtout du solde budgétaire cumulé pourrait poser problème à compter de 2023 ou 2024 et constituent à ce titre un point de vigilance.

Des enjeux organisationnels majeurs vont se poser à un horizon très rapide, sous réserve d'éventuels retards liés à la crise sanitaire que nous n'avons pas pu évaluer. Par exemple, le pilotage interne du nouveau système d'information, l' « Instruction outillée et dématérialisée de l'ANRU » (IODA) est particulièrement stratégique pour l'Agence. Celui-ci doit notamment permettre un suivi simultané des données financières et des données opérationnelles. La mise en place du système, qui a représenté un important de budget de près de 8 millions d'euros, nous paraissait pouvoir être effective début 2021, soit déjà avec un certain retard. La gouvernance de l'Agence a été fortement resserrée par la loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique (ELAN) et nous ne pouvons que nous en satisfaire dans la mesure où c'était l'une des recommandations que nous avions formulée en 2014. Cette réforme a rendu le conseil d'administration plus efficace et plus opérationnel. À l'inverse, la direction du budget s'est quelque peu retirée de l'Agence. En conséquence de la réforme du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) conduisant à la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ce sont désormais la direction générale des collectivités locales (DGCL) et la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) qui assurent depuis 2019 la tutelle technique et financière de l'Agence. Nous émettons quelques incertitudes sur cette tutelle financière, mais des précisions devraient prochainement être apportées. Nous préconisons également que le partenariat avec l'ANCT soit formalisé et soit précisé. Enfin, l'article 90 de la loi ELAN a engendré une réforme du système comptable de l'Agence, qui doit passer à un système de comptabilité privée à compter du 1er janvier 2021. Nous relevons qu'il n'y a pas eu d'étude d'impact concernant cette décision. Du fait de contraintes que nous avions identifiées, auxquelles s'ajoute la crise sanitaire, il n'est pas certain que ce dispositif soit opérationnel en janvier 2021. Des prérequis tenant au système d'information, à la migration comptable, à la formation des agents et à la définition des procédures devaient en effet être satisfaits. Nous avons enfin jugé utile que soient clarifiées les compétences financières des préfets, désormais délégués territoriaux du directeur général et non plus ordonnateurs secondaires, ce qui a été le cas, un décret en ce sens étant paru début mai.

Nous portons donc une appréciation assez positive de la gestion de l'Agence, avec un renforcement des outils de contrôle interne, et un cadre financier stabilisé mais qui nécessitera tout de même une certaine vigilance. Quelques points faibles peuvent être notés : un besoin de pilotage accru et un passage sous comptabilité privée à marche forcée.

Nous avons formulé à cet égard plusieurs recommandations. La première est l'instauration d'un exercice partagé de la tutelle et d'une coordination des tutelles. Une autre recommandation tient au développement définitif du système IODA. Il faudra également veiller à ce que la future convention tripartite garantisse un niveau de financement permettant de faire face au pic de dépenses attendu en 2024-2025. Nous préconisons en outre de bâtir une trajectoire financière selon une double logique de réalisation physique des programmes et des prévisions financières corrélatives. Nous proposons aussi, et la direction générale du Trésor nous soutient dans cette recommandation, la présentation au conseil d'administration d'un bilan des avantages et inconvénients du passage à la comptabilité privée. Il nous paraît enfin important de renforcer le contrôle interne et en particulier l'approche par les risques.

Le deuxième axe de travail suggéré par le sénateur Dallier portait sur le PNRU. Ce programme, qui doit comme je l'indiquais s'achever l'année prochaine, nous a paru constituer un levier important pour la requalification urbaine. En effet, au 31 décembre 2019, 11 milliards d'euros ont été décaissés par l'ANRU pour une enveloppe globale de 40 milliards d'euros. Un peu moins de 150 000 logements ont été démolis et 125 000 ont été reconstruits. Beaucoup d'opérations de résidentialisation et de réhabilitation ont été effectuées et ont profondément transformé les quartiers.

La montée en charge a été progressive, quoique plus rapide que pour le NPNRU, avec un pic de réalisation au bout de 6-7 ans. Une concentration géographique des crédits sur l'Île-de-France, les Hauts-de-France et Auvergne - Rhône-Alpes peut être constatée, ce qui est logique au regard des quartiers concernés. Beaucoup d'avenants ont été apportés aux conventions. L'investissement total d'un peu moins de 46 milliards d'euros engagés, dont plus de 20 milliards d'euros par les bailleurs auxquels s'ajoute un effort important des collectivités territoriales, atteste de l'effet de levier important du programme. Une des particularités de ce programme a été l'implication de l'ensemble des strates de collectivités territoriales (communes, établissements publics de coopération intercommunale, départements et régions), ce qui est un peu moins vrai s'agissant du NPNRU, qui concerne plutôt le bloc communal.

La signature de nombreux avenants a permis de s'adapter à la réalité des opérations, mais en entraînant un allongement de leur durée. Le programme a abouti à des opérations diversifiées en termes financiers, qui ont été essentiellement centrées sur la production et la démolition de logements sociaux. Beaucoup d'opérations de résidentialisation et de réhabilitation ont été effectuées et ont profondément transformé les quartiers.

La fin du programme paraît encore assez complexe. Celui-ci avait fait l'objet d'un allongement de deux ans, jusqu'en 2015, ce qui se justifie par le fait que l'enveloppe initiale n'était pas totalement engagée fin 2013. Les opérations ne seront donc soldées que l'année prochaine, voir plus tard en fonction de l'impact de la crise sanitaire. Nous insistons sur l'importance d'achever ce programme et de clore les opérations isolées. Cet allongement a posé des difficultés, et en particulier des problèmes de tuilage avec le nouveau programme, qui porte souvent sur les mêmes zones et les mêmes quartiers. Il a en outre posé des difficultés d'adaptation au regard des règles comptables et budgétaires de l'Agence et l'ont mise quelque peu en risque en termes de trésorerie. La réforme des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), intervenue en préfiguration du nouveau programme, a laissé planer des incertitudes sur l'articulation avec les projets préexistants. L'objectif d'économies du PNRU, devant venir en contribution au nouveau programme, a tardé à être stabilisé en termes opérationnels et a pesé sur les décisions du NPNRU.

Nous dressons ainsi un bilan globalement positif du programme, qui comporte des points forts majeurs. Il a permis une véritable mutation urbaine dans près de 600 quartiers. Près de 30 000 opérations ont été menées à leur terme, près de 800 000 logements ont été directement impactés et près de 350 000 ont été modifiés dans leur environnement grâce aux opérations de résidentialisation, pour un coût global d'un peu moins de 50 milliards d'euros.

Nous avons souligné certaines spécificités de ce programme et relevé des améliorations pouvant être intégrées dans le NPNRU. Le pilotage et le suivi demeuraient parfois trop partiels et les évaluations en temps réel, certes difficiles à conduire, assez rares. Il nous paraît également nécessaire d'actualiser le dispositif de notation des collectivités territoriales. Nous proposons en outre d'instaurer une dénomination unique des quartiers et des îlots pour un meilleur suivi des opérations, de leur récurrence et de leur cohérence. Nous proposons aussi de tracer dès à présent le cadre d'évaluation du PNRU une fois achevé. Enfin, nous préconisons d'identifier et de clôturer les opérations isolées, en informant le conseil d'administration de l'Agence de leur avancement.

Le troisième volet de notre travail a porté sur l'appréciation du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Son démarrage a été long et tardif pour de multiples raisons.

La stabilisation financière a été longue et difficile. Le programme est né au moment de la loi de 2014 et il était doté initialement de 5 milliards d'euros avant que la dotation ne passe à 10 milliards d'euros en 2018. Les objectifs initiaux paraissaient moins ambitieux malgré une volonté sociale renforcée. En effet, le programme donne une place importante à l'objectif de mixité sociale et aux logements sociaux. Le cadrage du montant et de la priorité des aides a pris un certain temps à se stabiliser. Le contexte était complexe comme l'ont illustré les tensions entre l'État et Action Logement en 2017 et 2018, ce qui a retardé la définition des financements.

Un deuxième facteur de difficulté a été la réforme des quartiers et la signature des contrats de ville. Ensuite, il y a le poids qu'a représenté pour les collectivités territoriales la réduction des concours financiers de l'État. La mise en place en 2018 du dispositif de la réduction de loyer de solidarité (RLS) a également pesé.

Le démarrage a donc été tardif avec des procédures longues à définir ou à mettre en oeuvre et qui ont ralenti le caractère opérationnel des projets.

La Cour avait recommandé la mise en place des protocoles de préfigurations. Cela était sans doute extrêmement nécessaire et utile car cela donnait une vision beaucoup plus fine et détaillée des besoins mais cela a retardé le lancement des projets. La signature de ces protocoles a souvent abouti à des relectures globales des projets avec des évolutions parfois liées au changement des équipes municipales. La comitologie de l'ANRU avait l'intérêt de garantir la transparence mais était assez lourde. Entre 2016 et 2018 des simplifications ont été opérées mais il a fallu attendre 2018 et 2019 pour en ressentir les effets positifs. La comitologie a été améliorée et est aujourd'hui moins lourde.

Le NPNRU a connu un démarrage tardif mais aussi une accélération importante en 2019 et 2020 avant la crise du covid-19. Cela ne préjuge pas de la rapidité de la réalisation. On a constaté beaucoup d'engagements mais la réalisation pourrait être décalée. Pendant 4 ans, les engagements financiers étaient faibles, en dessous de 120 millions d'euros. Début 2020, sur 480 quartiers éligibles, l'agence affichait plus de 390 projets de quartiers validés dont 168 étaient déjà passés dans la phase suivante. L'engagement total s'élevait à plus de 10 milliards d'euros, ce qui est satisfaisant.

Néanmoins, on relevait toujours la même difficulté fin 2019 puisque les engagements financiers constatés demeuraient faibles. Les engagements généraux étaient forts mais les engagements financiers étaient faibles. L'agence est passée d'un système d'avance à un système d'acomptes ce qui nous apparait plus satisfaisant en termes de suivi de trésorerie.

Au regard des délais normaux de réalisation, sans préjuger de la crise actuelle, les premiers effets physiques du NPNRU ne devraient pas être visibles à court terme.

Certaines leçons ne semblent pas avoir tirées de l'expérience du PNRU pour la conduite du nouveau programme. Il y a d'abord la réforme souhaitable du système d'information, qui n'a pas eu lieu, de sorte que le lancement des opérations au titre du NPNRU n'a pas pu être suivi de manière satisfaisante. Les objectifs humains et sociaux sont pourtant importants et précis.

La notation des collectivités territoriales continue de présenter des défauts. Elle s'appuie sur des données financières qui sont désormais anciennes. Le suivi des bailleurs s'est renforcé mais manque encore de transparence.

Plusieurs enjeux humains, sociaux ou d'habitat nous semblent devoir être mieux pilotés. On observe un différentiel négatif entre le nombre de démolitions et de constructions au titre du PNRU qui devrait également être constaté au titre du NPNRU. Nous n'avons pas l'assurance que ce différentiel soit cohérent avec les besoins des territoires. Il faudra assurer un suivi du relogement des locataires et de l'impact des opérations sur leur reste à charge. On s'aperçoit parfois que les locataires les plus pauvres ne peuvent être relogés sur place avec des risques qu'ils se reportent sur des habitats insalubres. Il importe qu'il y ait un reporting plus consolidé et précis.

L'objectif dans le NPNRU d'un financement de 60 % de PLAI nécessite un suivi fin qui ne semble pas opérationnel à ce jour. Une coordination sera nécessaire au niveau départemental pour suivre les enjeux de mixité sociale.

Nous fixons plusieurs recommandations sur ce point. D'abord, il convient d'actualiser les données relatives aux bailleurs et aux collectivités territoriales associées aux opérations. Ensuite, nous suggérons de renforcer le pouvoir de validation des opérations par les préfets puisqu'ils sont les délégués du directeur général au plan territorial.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Merci à la Cour des comptes pour ce rapport passionnant. J'espère qu'il fera comprendre la politique de la ville à ceux qui, sans la connaître véritablement, disent de manière abrupte qu'elle coûte cher sans produire de résultats. Malheureusement, depuis trois ans la politique de la ville semble être sortie de l'agenda du Gouvernement, notamment depuis l'enterrement de première classe du rapport Borloo. Pourtant les besoins sont toujours aussi importants.

La puissance publique y a engagé des sommes considérables : plus de 40 milliards d'euros pour le programme national de rénovation urbaine (PNRU), et le nouveau programme de rénovation urbaine (NPNRU) sera du même ordre, avec Action Logement comme principal financeur.

Depuis 2014, tout ou presque a changé, donc il sera utile de vérifier si les critiques formulées par la Cour - défaut de pilotage et d'évaluation des résultats, principalement - mais aussi par les acteurs de la politique de la ville - lourdeur de la machine, manque de transparence dans les décisions - ont été prises en compte. La question de la soutenabilité financière des programmes se pose toujours.

Ce rapport répond à de nombreuses questions, y compris à certaines que nous ne nous étions pas posées. Dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), nous avons ainsi accepté, sans véritable débat et sans en avoir anticipé les conséquences, de faire passer l'ANRU en comptabilité privée. Cela reste pour moi un regret, voire un remords : nous nous étions alors focalisés sur la question du conseil d'administration de l'ANRU. Quels sont les avantages et inconvénients de cette transformation ?

Le rapport de la Cour des comptes traite de l'exécution du PNRU, du lancement du NPNRU et du fonctionnement de l'agence.

Le PNRU est l'un des grands projets publics de ce début de siècle. Le délai d'exécution complète des projets est de 14 années en moyenne. La Cour note que le programme a globalement rempli ses objectifs quantitatifs, même si la règle d'une reconstruction pour une démolition n'a pas toujours été respectée. Il est certain qu'un grand nombre de quartiers ont été radicalement transformés et je vous invite à venir le constater sur le terrain. Sur le plan qualitatif, le jugement est rendu plus difficile par le manque d'évaluations.

Selon la Cour, l'Agence n'est pas en mesure de fournir des données synthétiques sur l'impact de ses opérations en termes de typologie sociale des logements. Une enquête doit être réactualisée au premier semestre 2020 : pourra-t-on savoir comment de logements ont été financés par un prêt locatif aidé d'insertion (PLAI) ou par un prêt locatif à usage social (PLUS) dans le cadre du PNRU ?

Le règlement du NPNRU prévoit que les logements reconstitués doivent être à 60 % au moins des PLAI, ce qui est sans doute nécessaire : d'après le rapport inter-associatif sur la demande de logement social publié la semaine dernière, 72 % des demandeurs se trouvent en-dessous des plafonds PLAI. Le règlement prévoit aussi que la reconstitution de l'offre doit contribuer au rééquilibrage géographique sur le territoire de l'agglomération. Ce rééquilibrage est essentiel ; je note pourtant dans chaque rapport de loi de finances que les écarts de revenu entre les quartiers de la politique de la ville et l'agglomération environnante restent toujours aussi élevés : la rénovation urbaine ne peut bien sûr pas résoudre tous les problèmes des quartiers, mais on aimerait qu'elle y contribue et la mixité sociale est l'un des objectifs les plus importants.

Selon la Cour, le bilan des opérations de démolition et de reconstruction aboutit à une diminution d'environ 10 % du parc de logement. Comment l'ANRU explique-t-elle cette diminution globale ? Est-elle concentrée sur les territoires où il y a le moins de besoins, par exemple ceux où il y avait des logements vacants ?

S'agissant du NPNRU, dans un travail mené en 2006 avec Roger Karoutchi sur le PNRU, je notais que l'ANRU avait engagé près de 7 milliards d'euros de subventions en comité d'engagement au bout de deux ans de fonctionnement. Pour le NPNRU, en revanche, les engagements financiers de l'ANRU ont été de 110 millions d'euros seulement entre 2014 et 2018. C'est seulement quand les modalités de financement ont été mieux définies que les projets ont véritablement commencé, mais les réalisations physiques restent très rares. Il faut le dire : si les procédures de l'agence étaient peut-être en cause, surtout avant leur révision en 2018, les hésitations de l'État en sont aussi responsables. L'enveloppe financière de 5 milliards d'euros prévue en 2014 n'était pas adaptée à l'ambition du projet. L'État ne souhaitant apporter qu'un financement minoritaire, il a fallu négocier longuement le doublement de l'enveloppe apportée principalement par Action Logement. Et l'année où ce financement était finalisé, en 2018, la mise en oeuvre de la réduction de loyer de solidarité (RLS) conduisait légitimement les bailleurs sociaux - autres partenaires essentiels des projets - à douter de leur capacité à s'engager sur des projets de long terme !

La logique des projets de l'ANRU a conduit à une accumulation des dépenses dans les années 2010 à 2016, la « bosse de l'ANRU » que nous avons souvent évoquée en commission des finances. Pouvez-vous expliquer comment cette « bosse » a été surmontée par l'Agence sur le plan des financements et quelles leçons en tirerez-vous pour le NPNRU, qui devra faire face à un défi similaire ? La Cour a indiqué que la trésorerie serait très négative entre 2020 et 2034 ; or je crois savoir que vous allez présenter des projections moins pessimistes : d'où vient cet écart ?

Il est également nécessaire de parler des conséquences de la crise sanitaire, que la Cour n'a pas pu aborder en détail étant donné le calendrier de ses travaux qu'elle avait convenu avec nous. Les chantiers reprennent un peu partout, mais la crise aura un double impact : sur l'organisation des chantiers en raison des surcoûts occasionnés par les normes sanitaires d'une part, sur les ressources même des financeurs ou des habitants d'autre part. Pourtant tout plaide pour faire du renouvellement urbain l'un des axes de la relance de l'économie : les emplois créés sont locaux, les habitants font partie de ceux qui souffrent le plus de la crise. Avez-vous d'ores et déjà une estimation, ou en tout cas une première analyse, de l'impact de la crise actuelle sur les coûts, les délais, voire le contenu même des projets du NPNRU ?

Une recommandation importante de la Cour est de renforcer le pilotage local des opérations. Il s'agirait en particulier d'assurer la validation par les préfets des projets de l'ANRU, afin de mieux mettre en cohérence les politiques publiques tels que les plans locaux de l'habitat et les aides à la pierre. Je ne peux qu'être favorable à une prise de décision plus proche des communes et des agglomérations. La vérification de l'impact des projets sur la mixité sociale nécessite une connaissance fine du contexte local que l'on peut difficilement avoir au siège de l'Agence - même si celui-ci sera prochainement transféré en Seine-Saint-Denis. Quel est le rôle que jouent déjà les services déconcentrés dans les projets de l'ANRU ? Considérez-vous que le rôle des préfets pourrait se développer comme le propose la Cour des comptes ?

Au-delà des délégations locales de l'ANRU et des services préfectoraux, il faut aussi souligner le rôle des collectivités locales qui sont les porteuses des projets : la Cour note que l'ANRU n'a jamais eu à se substituer à un maître d'ouvrage qui aurait pu être défaillant, comme elle avait la possibilité de le faire sur demande. Or la Cour met en cause le manque de transparence du « scoring », la méthode de notation à partir de laquelle l'ANRU module ses taux de subvention aux collectivités territoriales, aussi bien dans le PNRU que maintenant dans le NPNRU. La Cour a retenu 15 projets parmi lesquels se manifestent bien les différences de traitement qui, à l'origine, ont constitué un sujet de polémique : saisissons l'occasion de cette audition pour en discuter. N'est-il pas aussi nécessaire d'actualiser les données communales sur lesquelles se fonde la cotation, afin de mieux refléter la situation financière des collectivités attributaires des aides ?

S'agissant du fonctionnement de l'ANRU, la Cour donne plutôt un satisfecit, notamment sur les dépenses de personnel. Elle est plus sceptique, voire critique, sur la plus-value apportée par le passage de l'ANRU à la comptabilité privée, qui doit s'effectuer le 1er janvier 2021 en application de l'amendement apporté à la loi ELAN. Cette échéance pourra-t-elle être tenue, compte tenu de la complexité du changement de comptabilité, alors que l'Agence prépare en même temps son déménagement et que la période de confinement n'a pas dû faciliter les travaux ? Quel avantage voyez-vous à ce changement ? Je vais finir par n'y voir plus que des inconvénients, car l'ANRU n'est plus considérée comme un opérateur de l'État, de sorte que le Parlement ne dispose plus d'informations à son sujet dans les documents budgétaires pour suivre les actions de l'Agence. N'est-il pas encore temps de faire machine arrière ?

Un décret paru le 6 mai dernier prévoit que l'ANRU peut déposer des fonds auprès d'un établissement de crédit traditionnel, avec l'accord du ministre chargé de l'économie : quelle en est l'utilité, alors que la Cour des comptes considère que cette pratique aurait peu d'intérêt pour un organisme qui n'a pas vocation à avoir des excédents budgétaires ?

Après la disparition du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), la Cour des comptes souligne que les administrations exerçant la tutelle de l'ANRU doivent adopter au plus vite un cadre partagé d'exercice de cette mission : comment allez-vous exercer ce contrôle et en avez-vous les moyens ?

Enfin, dans un rapport réalisé il y a exactement dix ans pour notre commission, je notais que l'ANRU avait eu pendant longtemps un système d'information très insuffisant. Or l'Agence semble toujours, en 2020, avoir du mal à effectuer un suivi rigoureux des opérations : la modélisation des prévisions financières se ferait toujours sous Excel selon la Cour, qui préconise depuis des années une remise à plat. Qu'en est-il exactement ? La commission des finances a souligné plusieurs fois que les projets informatiques de l'État tendaient à déraper en coûts et en délais.

M. Michel Canevet. - Je souhaite remercier la Cour pour la qualité du rapport qui nous a été rendu sur une politique particulièrement importante. Ma première question s'adresse au directeur de l'habitat et concerne la recommandation du précédent rapport de la Cour, rendu en 2014, sur la mise en place d'un contrat d'objectifs et de performance. Quelles sont les raisons pour lesquelles un tel contrat n'a pas été signé entre l'agence et la tutelle ?

Par ailleurs, le recours à une agence est-il le moyen le plus efficient pour construire des projets de territoire et coordonner les politiques transversales de l'État ? De ce point de vue, je m'interroge sur l'application de la recommandation de la Cour figurant dans son rapport de 2014 sur la simplification des règles d'intervention pour les programmes de rénovation urbaine. Alors que le NPRNU a été lancé en 2014, sur le terrain, peu d'opérations ont été engagées. Selon vous, la responsabilité de ces retards incombe-t-elle en partie aux élus qui n'auraient pas lancé les procédures suffisamment tôt ?

Je considère qu'il faut allier les questions de politiques et l'action publique dans les quartiers. Les phénomènes de violences doivent notamment conduire à s'interroger sur le périmètre de la politique urbaine : le champ de l'action de l'ANRU est-il suffisamment large pour permettre de répondre aux défis posés par les quartiers ? Est-il nécessaire de lui fournir une approche complémentaire ?

M. Marc Laménie. - La politique de la ville et les programmes de l'ANRU supposent une imbrication très forte entre les acteurs publics et leurs partenaires privés. Je m'interroge sur le niveau des moyens humains qui y sont dédiés : sont-ils suffisants ? De plus la tâche de la rénovation urbaine reste immense, en particulier dans les quartiers difficiles.

Par ailleurs, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'implication de l'ANRU dans les petites villes ? Ma question porte également sur le lien avec les autres démembrements de l'État et particulièrement les moyens de coordination avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ? J'ai le sentiment qu'il y a toujours plus d'intervenants et une complexification des politiques publiques en particulier en matière de renouvellement urbain. Il faut réussir à allier les problématiques relatives à la fois aux préoccupations environnementales, au vivre ensemble, à la culture ou encore à l'éducation nationale.

M. Charles Guené. - Je tiens à mon tour à féliciter la Cour pour la qualité de son travail ainsi que le rapporteur spécial Philippe Dallier pour son expertise. Je souhaite interroger les intervenants sur les relations financières et sur le partenariat avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Pour ma part, il me semble clair qu'il faut qu'il y ait étanchéité entre les crédits de l'ANRU et les crédits dédiés aux autres politiques des territoires.

M. Nicolas Grivel, directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine. - Je tiens tout d'abord à souligner l'importance du travail fourni par la Cour, mais également par les différents services de l'ANRU qui ont été très fortement mobilisés pour répondre aux demandes et participer aux travaux. Ce rapport permet de rendre compte des évolutions de nos actions et de faire connaître nos travaux, en particulier concernant les changements profonds à l'oeuvre dans les quartiers.

Dans son rapport, la Cour relève l'importance des chantiers portés par l'ANRU. Ceux-ci sont particulièrement exigeants pour l'agence, ses équipes et ses partenaires. La bonne finalisation d'un programme aussi important que le PNRU représente des exigences très lourdes, de même que le lancement du nouveau programme. Je note avec satisfaction que la Cour ne signale pas de dérives dans la gestion mais indique plutôt des points de vigilance. Nous partageons la plupart des recommandations de la Cour et nous avons d'ailleurs déjà commencé et nous continuerons à agir pour les mettre en oeuvre.

Si ces sujets peuvent paraître un peu techniques, il me semble que notre vigilance doit avant tout être portée sur le contrôle interne et la maîtrise des risques. En effet, les modalités de gestion de projets de l'ANRU sont particulières, l'agence reposant sur les services déconcentrés de l'État avec des porteurs de projets collectivités territoriales. Alors que 30 000 opérations sont en cours, la maîtrise des risques doit constituer un axe primordial tant au niveau du siège de l'agence que de ses délégations territoriales.

Je souhaiterais faire trois focus. Le premier concernant le bouclage financier du PNRU, le deuxième porte sur le lancement NPNRU et le dernier sur sa trajectoire financière.

Sur la fin du PNRU, le bouclage a en effet dû être anticipé, alors que les incertitudes nées de la crise du coronavirus ne sont pas encore résorbées. En tout état de cause, nous nous appliquerons à trouver des solutions au cas par cas pour chacune des situations problématiques.

Pour vous donner une vision actualisée au 30 avril 2020, il reste 1 677 opérations encore actives dans 65 départements. Cependant, si ces actions du PNRU apparaissent non soldées sur le papier, elles le sont physiquement pour la plupart d'entre elles.

De plus, beaucoup d'opérations non soldées ont été rechargées dans le NPNRU. Ces retards doivent prendre en compte les nombreux aléas, le covid-19 faisant peser des incertitudes très fortes sur 2020.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Il me semble que la crise devrait conduire à accorder des délais complémentaires allant de trois à six mois pour les collectivités dont les projets ont été affectés.

M. Nicolas Grivel. - Notre doctrine globale est de procéder à des évaluations au cas par cas et de trouver des solutions sur mesure, avec éventuellement une intégration au NPNRU. J'insiste sur la nécessité de faire le lien entre les deux programmes.

Les restes à payer se concentrent sur une quinzaine de départements, avec une focalisation très forte sur la Seine-Saint-Denis et les Bouches-du-Rhône qui représentent 50 % des restes à payer.

Les économies constatées s'élèvent à 643 millions d'euros, qui seront intégralement reportés sur le NPNRU. Les différentes prorogations du PNRU ont été à l'origine d'une grande complexité de gestion. Pour rappel, fin 2015, les restes à payer s'élevaient à 3 milliards d'euros.

Concernant l'avancée du NPNRU, 85 % des projets ont d'ores et déjà passé le stade de la validation. Les concours financiers atteignent 10,3 milliards d'euros. Il y a une vraie accélération maintenant que la phase de préfiguration est passée. Malheureusement, le report des élections municipales a bloqué un certain nombre de projets. Il s'agit désormais d'atteindre nos objectifs opérationnels : alors que nous visons 80 000 démolitions, nous serons probablement au-delà de 100 000. Encore une fois, les cas les plus complexes sont localisés dans les territoires ultra-marins, à Marseille et en Île-de-France.

Le lancement d'un programme est toujours une opération complexe. Pour assurer le démarrage, il faut lancer le programme, sélectionner des quartiers, valider les projets, engager la dépense, et enfin payer. La temporalité est donc relativement longue. Sur le NPNRU, 213 opérations ont déjà été finalisées et livrées et de très nombreux chantiers sont en cours.

Enfin, concernant la trajectoire financière, celle-ci sera fixée au conseil d'administration de l'agence, le 23 juin prochain. De nombreux paramètres sont encore susceptibles de la faire varier.

Nous avons désormais l'expérience du PNRU pour lequel les années 2011 et 2016 ont connu un plateau avec des paiements annuels supérieurs à un milliard d'euros : la « bosse » a été aplanie. La trajectoire peut prendre des formes variables dans la mesure où elle agrège des données à l'échelle macro qui dépend de l'agrégation d'une multiplicité de projets souvent complexes. La consommation des projets dépend donc d'effets de trésorerie particulièrement importants, d'autant qu'il y a désormais une combinaison entre les programmes.

Depuis 2016, les difficultés de trésorerie de l'ANRU sont pour l'essentiel résolues. Désormais, nous intégrons à la trajectoire financière la réalité des opérations constates et non des estimations globales.

L'ANRU souhaite s'appuyer sur le constat du décalage entre l'exécution physique et l'exécution financière du programme pour fiabiliser ses données. L'objectif est de lisser les échéanciers de paiement pour répondre aux besoins de trésorerie des maîtres d'ouvrage et éviter le recours à un système d'avances qui avait fait l'objet de critiques de la Cour dans son précédent rapport. L'intégration progressive des conventions NPNRU dans le système d'information de l'ANRU permettra d'agréger des données de prévision d'exécution plus détaillées. Cette transition permettra surtout de fiabiliser les données qui ne seront plus fondées sur un modèle théorique mais bien sur chacune des conventions, et ce de façon actualisée. Ainsi, l'ANRU disposera des échéanciers de paiement et d'une réelle visibilité. Le sujet sera abordé la semaine prochaine en conseil d'administration.

Par ailleurs, compte tenu de l'application du décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP), il n'est pas possible de désengager des crédits. Les gestionnaires attendent donc le dernier moment pour engager les crédits, afin que la prévision soit au plus près des coûts réels. À l'inverse, du point de vue opérationnel, on engage le plus vite possible et il y a donc un décalage entre les opérations physiques et financières.

Le nouveau dispositif permet donc de présenter des chiffres plus fiables, avec 10 milliards d'euros réellement engagés du fait des remontées de chacun des projets. Il faut désormais que cela se traduise dans la trajectoire financière.

Cependant, celle-ci reste très théorique et sera particulièrement sensible à deux paramètres : le rythme défini des échéanciers de paiement et la date juridique et opérationnelle de la fin des engagements. Alors qu'aujourd'hui la loi prévoit la fin des engagements en 2024, cette date devra être remise en cause, comme cela a été le cas pour le premier programme, l'échéance ayant été déplacée de 2008 à 2011 puis à 2015. La crise actuelle renforce la nécessité de remettre en cause l'échéance de 2024.

La question du déroulé du NPNRU a été posée et elle est primordiale. On ne peut pas lancer ce programme dans les mêmes conditions que si on partait de zéro et il nous faut prendre en compte le précédent programme. De plus, nous devons répondre à des exigences renforcées. Les projets doivent maintenant traiter avec les intercommunalités, ce qui entraîne parfois des difficultés au niveau local, et associer davantage les habitants. Surtout, les nouveaux projets doivent incorporer toutes les politiques publiques, les problématiques de transport, de santé. Cela suppose un vrai temps de préparation et il est impossible de commencer rapidement sans délai de préfiguration. De plus, le contexte n'a pas joué en la faveur de l'ANRU, la réduction de loyer de solidarité et les tensions entre les acteurs qui s'en sont suivies, les réflexions autour du rapport de Jean Louis Borloo, de la loi PACTE sur la question des seuils, ont largement ralenti les processus.

Si je pense que nous pouvons nous féliciter de ce que la phase de préfiguration a véritablement été d'une grande qualité, il y a tout de même une réflexion rétrospective à mener sur la césure entre les deux programmes. Fermer et ouvrir des programmes aussi considérables, cela demande beaucoup d'énergie et je considère qu'il n'y a pas eu suffisamment de tuilage. Il s'agirait désormais d'inventer des systèmes plus continus et avec davantage d'anticipation.

S'agissant du choix des taux de subvention, il faut rappeler que l'ANRU a commencé à valider des projets sans disposer d'un cadre complètement stabilisé sur ces sujets. Ce n'est la faute de personne : c'était le démarrage et il fallait inventer un dispositif d'intervention. Au sein de ce dispositif, il est apparu nécessaire de varier l'intensité d'aide selon les difficultés et les particularités des territoires. Sur la demande de la Cour, nous avons retrouvé les décisions intervenues sur certains projets en 2004 et en 2005, et qui pouvaient sembler contradictoires avec nos règlements. Cela vient simplement du fait que ces décisions sont intervenues avant les règlements, le cadre était différent.

Sur le NPNRU, les choses ont été posées d'emblée, nous avions du recul et de l'expérience. Nous avons dû également créer deux scoring : un communal et un intercommunal, ce qui n'était pas facile en pleine évolution de la carte intercommunale. On a affiché clairement les critères pris en compte, par exemple sur la pauvreté et la richesse du territoire et de la collectivité, et la gamme des aides, entre 10 % et 70 % majorables de 15 points en cas de difficultés particulières ou de problèmes de soutenabilité financière spécifiques. Je crois donc, malgré tout, qu'on a eu moins de difficultés dans la période récente que dans la période initiale sur la transparence et la justification de l'octroi d'un certain montant d'aides à chaque projet.

Pour autant, vos interrogations et celles de la Cour des comptes demeurent valides, et redoutables : comment, de cette photographie initiale d'un programme, faisons-nous évoluer dans le temps le projet ? Quand on valide des projets à hauteur de 10 ou 12 milliards d'euros, si on bouge les curseurs en cours de programme en revenant sur ce qui a été décidé, c'est impossible à gérer. Après avoir pris des engagements à un certain niveau envers une collectivité, on ne peut pas lui dire qu'on va lui reprendre cet argent pour le donner à une collectivité voisine qui irait relativement moins bien. Comme la Cour des comptes le préconise, on s'est toutefois engagé, pour des opérations nouvelles qui se concluraient ces prochaines années par avenant ou par redéploiement, à actualiser le regard que nous portions alors sur la collectivité afin de contractualiser, le cas échéant, à un niveau différent sur les prochaines étapes.

Notre objectif initial était de ne pas remodifier les paramètres sans arrêt : les collectivités voulaient savoir à combien elles étaient financées, sur quelle base elles devaient travailler, sur quels montants. Ces deux ou trois dernières années, nous n'étions pas du tout dans l'idée de réviser le scoring tous les ans, ce qui aurait changé les bases de calcul.

On doit contribuer à la politique de rééquilibrage territorial, c'est pour nous crucial. C'est notre principal sujet : les quartiers ont certes des difficultés intrinsèques, mais ils sont avant tout le résultat de ce qui se passe autour. Leur historique le montre bien : ils étaient très attractifs dans les années 1960 et 1970 avant de décrocher, les gens ne voulaient plus y vivre, ils ont déménagé et ceux qui y sont restés l'ont souvent fait de manière contrainte. La leçon du premier programme, sur laquelle s'appuie le second programme, c'est qu'on ne peut pas seulement raisonner à l'échelle du quartier. Le dialogue que nous avons avec les élus est avant tout un dialogue intercommunal : sur la démographie des collectivités où habitent les gens, sur les besoins de construction dans les dix années à venir en volume et en qualité des logements à construire comme sur la localisation des logements sociaux. Nous avons renforcé l'une de nos exigences, celle de ne pas forcément reconstruire un logement social là où il avait été démoli, dans le quartier d'origine, mais dans un autre endroit, à l'échelle du territoire au sens large. Cela ne s'est pas fait sans opposition. Dans le cadre du NPRNU, 17 % des reconstitutions de logements validées auront lieu dans le quartier d'origine, contre 50 % dans le premier programme, voire 60 % si on tient compte de tous les quartiers prioritaires d'une agglomération. Dans ces 17 %, on compte les logements sociaux créés dans des quartiers de copropriété très dégradés.

Cela nous semble donc plutôt vertueux mais nous ne devons pas être les seuls porteurs de cette politique publique. Elle doit s'incarner sur beaucoup de choses, de l'offre de logement aux politiques d'attribution. La mixité sociale vient aussi de cette politique d'attribution, qui repose, au niveau intercommunal, sur des stratégies qui, pour être efficientes, doivent être prolongées au-delà de l'offre de logements.

Je reviens sur la règle du « 1 pour 1 » c'est-à-dire une reconstruction pour une démolition. On n'a pas détruit du logement puisque, dans le 1 pour 1, on ne compte pas les logements diversifiés par ailleurs construits dans les quartiers. Quand on démolit du logement social dans un quartier, on peut certes le reconstruire dans le quartier (de moins en moins) ou ailleurs, mais on peut aussi construire à la place du logement en accession ou en locatif libre. L'essentiel pour nous, c'est de ne pas reconstruire du logement là où il n'y en a pas besoin, d'où les aménagements à la règle du 1 pour 1. Il y a des territoires en forte déprise démographique : si on y construit trop de logements sociaux, soit ils ne seront pas occupés, soit on vide d'autres logements sociaux plus anciens, soit on vide les centres villes.

Sur l'impact du covid-19 sur la fin du PNRU et le début du NPNRU, des questions de surcoût vont se poser. Toutefois il est encore trop tôt pour évaluer l'impact réel en coût comme en durée, et donc l'impact global sur le programme, d'autant que le lancement des chantiers avait ralenti en période de campagne électorale pour les municipales. Notre inquiétude n'est pas tant sur les chantiers en cours que sur ceux qui devaient être lancés maintenant ou prochainement. Ces surcoûts seront pris en charge par redéploiement interne ou renégociations locales.

Le rôle des préfets est pour nous essentiel, car ils sont les délégués territoriaux de l'ANRU. Les équipes travaillent localement avec le préfet et on ne fait rien sans elles. L'ANRU avait une structure déjà plutôt déconcentrée sur un certain nombre de sujets. La question qui se pose est de savoir si elle peut l'être un peu plus sur la validation des projets : on l'a fait sur des projets régionaux, même nationaux lorsque les choses semblaient relativement simples, en donnant des mandats aux préfets, ce qui a permis d'accélérer le processus. Toutefois, deux éléments viennent amoindrir cet effort. Premièrement, on a encore du mal à considérer que certains sujets peuvent se traiter seulement au niveau local, même lorsque l'ANRU le dit. Quand le projet soulève des oppositions, les parties prenantes en appellent souvent à l'ANRU ou au ministre. Deuxièmement, on doit avoir des éléments de cohérence globale, de savoir-faire et de partage de bonnes pratiques, que peut favoriser l'ANRU. Je pense par exemple à la mixité sociale ou à la politique publique d'attribution des logements, sur lesquelles certaines collectivités n'en sont encore qu'au début. Des éléments d'impulsion et de partage peuvent et doivent encore être donnés par la coopération entre le niveau national et le niveau local. Notre modèle avec l'État et les régions fonctionne plutôt bien.

Je ne vais pas relancer le débat sur le passage à la comptabilité privée, votée par le législateur. Je rappelle juste que c'est une suite directe du rapport de M. Jean-Louis Borloo, qui avait proposé soit de créer une fondation privée porteuse de la rénovation urbaine, soit d'avoir un cadre de gestion plus proche du privé pour l'ANRU. Il y a eu, dans ce cadre, un sujet relatif à la comptabilité, mais aussi au schéma d'emplois, révélateur de tensions, surtout à la fin du PNRU et au début du NPNRU. L'Agence a eu besoin de renforcer nos effectifs à ce moment-là. Il ne faut pas avoir une vision « apocalyptique » sur ce changement : il y aura des éléments de continuité assez forts, car la comptabilité publique et la comptabilité privée partagent un certain nombre de principes et cette transition pourra apporter davantage de souplesse, par exemple pour modifier les engagements en cours de programme. Notre seul objectif, c'est que cette transition se passe bien et soit « invisible », indolore pour les acteurs locaux. Nos équipes travaillent sur la comptabilité et le système d'information afin que tout soit en place au 1er janvier 2021. Sous réserve de la suite de ces travaux, nous pensons tenir ce délai sans risques ou dommages pour les parties prenantes. Au niveau du système d'information, changer beaucoup de paramètres dans un système est nécessairement créateur de complexités. D'ici au prochain rapport de la Cour des comptes, j'espère que la Cour constatera nos progrès sur nos divers systèmes d'information.

M. Stéphane Brunot, directeur, adjoint du directeur général des collectivités locales. - Les deux missions confiées à la DGCL à l'égard de l'ANRU s'inscrivent dans le cadre plus général de la création, le 1er janvier 2020, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et de la disparition concomitante du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). Ces deux nouvelles missions ont eu un impact sur l'organisation de la DGCL, plus connue traditionnellement pour s'occuper de droit des collectivités territoriales, de finances locales et de fonction publique territoriale. Cela s'est traduit par la création d'une sous-direction de 30 agents qui exercent un ensemble de missions qui vont de la gestion des crédits de la politique de la ville ou de l'aménagement du territoire à la tutelle des opérateurs relevant désormais de la DGCL. Au sein de cette sous-direction, un bureau a été créé pour assurer la tutelle nouvelle de l'ANRU. Alors que la DGCL siégeait auparavant au conseil d'administration de l'Agence, elle exerce maintenant une mission de tutelle, en lien avec la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). Des échanges ont été entamés avec la DHUP pour assurer la meilleure répartition possible et la meilleure complémentarité entre nos approches. La DHUP sera plutôt la direction « métier », mais sa mission aura un impact direct sur le suivi de l'ensemble du programme financier et du programme d'intervention de l'ANRU, assuré par la DGCL.

Une autre mission a été créée, également nouvelle dans sa forme, à savoir le contrôle économique et financier, qui n'est pas un contrôle budgétaire puisqu'il n'y a plus de contrôle a priori. Un décret du 7 janvier 2020 est venu expliquer en quoi consistait cette nouvelle mission et de quelles informations la DGCL était destinataire au titre de cette mission de contrôle. Pour reprendre les termes du décret, l'objectif du contrôle économique et financier est une mission de veille et d'analyse du risque financier, ainsi que l'appréciation de la performance et de la soutenabilité de la trajectoire financière pluriannuelle. Cette mission commence au 1er mars 2020, la tutelle ayant commencé au 1er janvier 2020. Elle pourra aussi s'appuyer sur le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), qui relève du ministère de la transition écologique et solidaire. En matière de moyens humains et de cadre juridique, tout a défini pour être en ordre de marche dès le premier semestre 2020.

S'agissant de l'articulation avec l'ANCT, il y a deux niveaux : le niveau national et le niveau local. Au niveau national, entre les deux agences, une convention a été présentée au conseil d'administration de l'ANCT aujourd'hui même pour expliquer la coopération entre les deux agences. Au niveau local, le lien entre ces deux missions est assuré par l'unicité du représentant du délégué territorial, soit le préfet de département.

M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. - Notre ministère va désormais contribuer à la tutelle de l'ANRU. La DHUP suivait l'activité de l'Agence depuis 2004, via sa participation au conseil d'administration et au comité d'engagement. Pour mener cette mission, nous allons tâcher d'exploiter au maximum la synergie avec d'autres missions, notamment le suivi des bailleurs sociaux et des politiques d'attribution, le financement du logement social de droit commun et le suivi des relations financières entre l'État et Action logement, qui est l'un des principaux financeurs de l'Agence. Nous ne manquons donc pas des compétences pour mener à bien cette nouvelle mission, mais celle-ci implique néanmoins un redéploiement de ressources en interne.

La décision n'est pas tranchée quant à la mise en place d'un contrat d'objectifs et de performance (COP), mais nous sommes favorables à ce qu'il existe un document contractuel avec l'Agence quelle que soit sa forme. Si l'essentiel des dossiers sont déjà contractualisés, des enjeux se posent sur le suivi de l'exécution des programmes.

Sur le choix de confier la politique de rénovation urbaine à une agence, le rapport de la Cour montre bien qu'une bonne partie des objectifs initiaux ont été atteints. Le système de financement et de contractualisation spécifique que nous avons construit n'était possible que dans le cadre d'un établissement public et ne l'aurait pas été dans le cadre standard de l'exécution budgétaire de l'État. L'Agence est néanmoins restée proche de l'État, et ce aussi bien dans les grandes décisions que dans l'exécution comme l'atteste le rôle joué par les préfets en tant que délégués territoriaux. Dans ce cas-là comme dans le cas de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), on constate un certain nombre d'avantages liés à la création d'une agence tout en conservant une interaction très forte avec les politiques de l'État.

Sur les questions relatives à la trajectoire financière, je pense effectivement que l'enjeu des paiements sur la période 2023-2028 constitue un sujet très sérieux. Nous savons quels leviers mobiliser pour le traiter. Se pose d'abord un enjeu de suivi et de qualité des prévisions : les prévisions de 2004-2005 se sont avérées peu réalistes et ont dû être recalibrées au cours du temps. Il faudra sans doute affiner les choses, peut-être sur la base de scénarios. C'est sur cette base que devront être prises les décisions sur le rythme de versement des contributions de l'État et sur l'ajustement dans le temps des contributions d'Action logement. Il s'agira d'ailleurs d'un sujet majeur dans la perspective de la prochaine convention quinquennale avec Action logement dont l'exécution doit démarrer en 2022. La question de la soutenabilité financière, si elle n'est pas réglée, semble néanmoins maîtrisée et ne devrait pas constituer un facteur bloquant pour l'avancement des projets.

L'ANRU a mené un énorme effort depuis deux ans pour valider et contractualiser les projets. Elle n'a plus la maîtrise complète sur la conduite des opérations, qui relève des très nombreux maîtres d'ouvrages, collectivités territoriales et bailleurs sociaux. L'Agence peut certes jouer un rôle de suivi, voire d'aiguillon, au travers de ces délégués territoriaux, mais l'avancement dépend des maîtres d'ouvrage.

M. Philippe Dallier. - En effet, une fois que les opérations sont lancées, n'êtes-vous pas tributaires de la rapidité avec laquelle elles s'exécutent ?

M. François Adam. - La contribution financière totale de l'ANRU au NPNRU est connue, ainsi que la répartition entre les financeurs. Seul le séquençage dans le temps de la contribution de certains financeurs, notamment Action logement et l'État, n'est pas encore déterminé.

M. Nicolas Grivel. - Lorsque nous examinons les calendriers, nous sommes obligés de prendre le scénario d'exécution le plus rapide. Chaque opération a cependant des aléas, et toutes les opérations « se tiennent » les unes les autres. Nous ne voudrions pas qu'à l'inverse notre système de trajectoire s'avère freinant pour les acteurs locaux.

M. François Adam. - Le renforcement du suivi de la trajectoire physique constitue aujourd'hui un enjeu important, comme l'a souligné la Cour. Les délégués territoriaux doivent faire passer ce message à l'ensemble des maîtres d'ouvrage. L'objectif du NPNRU n'est pas seulement de réaliser des projets ambitieux, mais encore de les réaliser dans une échelle de temps permettant de produire rapidement un maximum d'impact dans les quartiers visés. L'enjeu de l'optimisation des délais reste un aspect majeur pour les années qui viennent.

Sur le passage à la comptabilité privée, il s'agit d'un chantier qui a demandé beaucoup de travail à l'Agence et le délai devrait être tenu. Plusieurs facteurs sont en effet à prendre en compte. Tout d'abord, l'Agence appliquait déjà les normes comptables des établissements publics s'agissant des états financiers, qui sont aujourd'hui relativement proches de celles de la comptabilité commerciale. Ensuite, les paiements étaient déjà centralisés, ce qui rend la transition plus simple. Enfin, les comptes de l'ANRU étaient déjà certifiés.

M. Philippe Dallier. - Je reviens sur la question de la tutelle de la DHUP. Vous sentez-vous véritablement outillés pour assumer ce nouveau rôle ?

M. François Adam. - Par rapport à la situation standard d'un établissement public, nous n'aurons plus stricto sensu de tutelle financière. Le ministère de l'économie reste toutefois présent au conseil d'administration et sera forcément attentif aux questions financières. La DGCL comme la DHUP disposent bien de compétences financières en interne, et sont habituées à la tutelle d'établissements publics avec de gros enjeux financiers. C'est certes un défi, mais il me semble que nous partons avec un certain nombre d'atouts pour cette évolution des modalités de la tutelle.

M. Nicolas Grivel. - Je confirme que la convention est examinée par l'ANCT au titre de ses attributions en matière de politique de la ville. Cette convention ne porte cependant pas sur des flux financiers croisés. L'articulation avec les autres politiques publiques, aussi bien celles portées par l'ANCT que par l'ensemble des ministères concernés, est importante. L'ANRU s'efforce de favoriser les complémentarités entre les différents dispositifs. À titre d'exemple, sur les 222 villes concernées par le plan Action Coeur de ville, près de 150 sont connues par l'ANRU et, pour 30 à 40 d'entre elles, le quartier visé par le plan Action Coeur de ville et par les plans de rénovation urbaine est le même.

M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes - Nous partageons la perplexité du sénateur Dallier sur la question du cadre comptable. Certains établissements publics qui remplissent des missions comparables à celle de l'ANRU, comme les établissements publics d'aménagement, travaillent en comptabilité publique. Il nous parait malgré tout impossible de revenir sur ce choix du passage à la comptabilité privée car ce serait incohérent et entraverait la bonne marche de l'Agence. Le bilan permet toutefois d'identifier des points à renforcer : le contrôle interne, le contrôle de gestion ou la plus grande visibilité du conseil d'administration, par exemple.

L'ANRU nous parait être un levier majeur pour les opérations de rénovation urbaine. Nous avons mis en avant sa plasticité, sa tonicité, sa réactivité et son expertise. Le NPNRU est attendu et il a des ambitions extrêmement larges. Ses objectifs sont plus compliqués, son financement plus complexe et le nombre d'opérateurs impliqués est très important.

Le point qui nous parait majeur est d'identifier l'impact de la crise sur les maîtres d'ouvrage. Le financement ANRU est à peu près garanti, mais il y a un effet levier qui suppose que les autres acteurs soient présents. La Cour va lancer des travaux sur ce sujet dans les mois qui viennent. L'impact de la crise sur la situation financière de certaines collectivités territoriales ou bailleurs risque d'être fort. Ce sera un point majeur pour l'exécution, les délais et la bonne fin des opérations.

Un dernier point peut être évoqué. Nous avons essayé de travailler sur une évaluation de l'impact de la politique de renouvellement urbain et de la politique de la ville sur les quartiers prioritaires. On constate l'effet important de ces programmes. Ils ne sont pas suffisants mais ils sont nécessaires et leur impact est majeur. La Cour des comptes devrait publier un rapport à l'automne sur ce sujet.

M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie pour vos contributions. Ces politiques sont directement opérationnelles, à la différence d'autres politiques reposant sur des instruments simplement incitatifs, et produisent des effets concrets dans les territoires.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Philippe Dallier.

La réunion est close à 12 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.