Mardi 16 février 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage - Examen des amendements de séance

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, avant de nous retrouver pour débattre du texte en séance, il nous appartient de définir les avis de la commission sur les amendements déposés par nos trois collègues Claude Kern, Jean-Jacques Lozach et Michel Savin sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre - par voie d'ordonnance - les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage.

Je vous rappelle que nous avions rejeté ce texte en commission afin d'obtenir, de la part du Gouvernement, des garanties relatives à un certain nombre de points qu'avait soulevés Mme la rapporteure. Vous nous aviez donné mission, à Mme le rapporteur et à moi-même, de discuter avec le Gouvernement afin de faire évoluer le projet d'ordonnance sur les pouvoirs d'enquête de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) et sur les modalités de transfert du laboratoire.

Plutôt que de dresser la synthèse de ce qui s'est passé au cours des quinze derniers jours, je vous propose d'examiner directement les amendements de nos collègues, qui sont revenus sur les points en suspens. Cela permettra à Mme le rapporteur, outre ses commentaires sur chaque amendement, d'établir un bilan de l'actualité récente.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article unique

Mme Elsa Schalck, rapporteur. - Je commence par l'amendement n°  2 rectifié ter.

L'AFLD ne dispose quasiment pas aujourd'hui, vous le savez, de pouvoirs d'enquête administrative. Il était donc important pour nous que l'ordonnance lui accorde des pouvoirs suffisants pour exercer ses missions. Nous avons demandé à la ministre des sports de nous indiquer précisément quels seraient les nouveaux pouvoirs de l'Agence, sachant que, pour le Sénat, il est essentiel que celle-ci dispose, d'une part, d'un pouvoir de convocation, et, d'autre part, de la possibilité de recourir à une identité d'emprunt.

Comme je vous l'ai dit la semaine dernière en commission, nous savons que des avancées importantes ont été réalisées et qu'un compromis a été trouvé entre le Gouvernement et l'Agence - cette dernière nous l'a confirmé. Nous attendons maintenant que la ministre confirme officiellement ces avancées en séance, ce qui permettra sans doute à M. Kern de retirer son amendement. À ce stade, je vous proposerai d'émettre un avis de sagesse.

M. Claude Kern. - Je retirerai mon amendement à la seule condition que la ministre s'engage sur le fait de donner les pleins pouvoirs d'enquête à l'AFLD, qu'il s'agisse du pouvoir de convocation ou du recours à une identité d'emprunt sur internet. Je reste ferme sur ce point.

M. Laurent Lafon, président. - Je précise que le projet d'ordonnance nous a été transmis hier. Les points mentionnés dans l'amendement y figurent, mais il sera bon de l'entendre en séance !

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 2 rectifié ter.

Mme Elsa Schalck, rapporteur. - L'amendement n°  3 rectifié vise à réduire la durée de l'habilitation de six à trois mois afin de rappeler le caractère d'urgence de la mise en conformité de notre droit avec le code mondial antidopage. Je remercie notre collègue Jean-Jacques Lozach qui, au travers de cet amendement, réaffirme que le Sénat n'a aucunement l'intention de ralentir le processus d'adoption du nouveau code mondial antidopage.

Si le Gouvernement nous apporte les garanties demandées, d'une part, sur les pouvoirs d'enquête, et, d'autre part, sur l'usage d'une identité d'emprunt, et nous donne par ailleurs des précisions sur le transfert du laboratoire et sur le rétroplanning de l'adoption de l'ordonnance au sujet duquel il a été très clair depuis deux semaines, notre collègue pourrait alors retirer son amendement. Dans cette attente, je vous propose également de donner un avis de sagesse concernant l'adoption de cet amendement.

M. Jean-Jacques Lozach. - Vous avez rappelé le contexte dans lequel ces trois amendements, sous-tendus par le même état d'esprit, ont été déposés. Il s'agit en l'espèce d'un amendement de précision sur les étapes à venir. Je crois pouvoir dire que, depuis deux semaines, nous avons été pris en considération. C'est même un peu le branle-bas de combat au ministère des sports ! Il nous appartiendra tout à l'heure, collectivement, d'en tirer les conséquences.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 3 rectifié.

Mme Elsa Schalck, rapporteur. - Nous terminons par l'amendement n°  1 rectifié bis.

L'université de Paris-Saclay a, vous le savez, besoin d'y voir clair sur les conditions de rattachement du laboratoire. Grâce à notre mobilisation, un accompagnement technique a déjà été apporté à l'université par le ministère des sports, et des groupes de travail ont été créés. Le ministère a écrit à la présidente de l'université - nous en avons eu copie - pour garantir que les moyens budgétaires et en ressources humaines seront prévus. Il a également accepté le principe d'une convention qui définirait les modalités de fonctionnement du laboratoire.

On peut donc considérer que l'amendement est globalement satisfait. Il restera quelques précisions à apporter, notamment sur la prise en charge des fonctions support. Sur ce point, le président de la commission et moi-même avons eu hier un entretien avec la présidente de l'université, qui s'est montrée rassurée.

Dans l'attente des déclarations de la ministre en séance publique, je vous propose, là encore, d'adopter un avis de sagesse.

M. Michel Savin. - Je suis sur la même ligne que mes deux collègues, mais nous attendons aussi une réponse de la ministre concernant l'engagement de l'État sur une programmation pluriannuelle. Au-delà d'un simple un effet d'annonce, il nous faut des assurances concernant un investissement financier pérenne sur le matériel technique, notamment de pointe, qui renforcera notre ancrage en vue des jeux Olympiques de 2024. Il ne s'agit pas simplement du déménagement du laboratoire à l'université, qui est certes important ; il convient de garantir les meilleures conditions de travail possible. C'est pourquoi je poserai de nouveau la question cet après-midi en séance, et je me positionnerai en fonction de la réponse.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 1 rectifié bis.

La commission a donné les avis suivants aux amendements de séance :

Article unique

Auteur

Avis de la commission

M. KERN

2 rect. ter

Sagesse

M. LOZACH

3 rect.

Sagesse

M. SAVIN

1 rect. bis

Sagesse

La réunion est close à 14 h 10.

Mercredi 17 février 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, la proposition de loi déposée par notre collègue Dominique Vérien le 15 mars 2019 visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine.

Lors de sa réunion du 20 janvier dernier, la Conférence des présidents a accepté que ce texte soit, comme en octobre 2019, intégralement examiné selon la procédure de législation en commission prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat, en vertu de laquelle le droit d'amendement s'exerce uniquement en commission.

La séance plénière, programmée mardi 2 mars prochain à 14 heures 30, sera par conséquent réservée aux explications de vote et au vote du texte que nous allons élaborer.

Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à l'ensemble des sénateurs, mais que seuls les membres de la commission de la culture sont autorisés à prendre part aux votes. Elle fait l'objet d'une captation audiovisuelle diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat.

Je vous propose d'ouvrir sans attendre la discussion générale en donnant la parole successivement à Mme Dominique Vérien, auteure de la proposition de loi, à Mme Sabine Drexler, rapporteur de la commission, et à Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.

Mme Dominique Vérien, auteure de la proposition de loi. - Je suis très heureuse d'être de nouveau parmi vous pour défendre ce texte que nous avions déjà examiné ensemble. Il aurait dû normalement finir ici son parcours par une simple adoption conforme, mais l'Assemblée nationale a laissé passer une petite coquille qu'il nous faut aujourd'hui corriger.

L'article 1er visait à étendre à 20 000 habitants le seuil d'attribution du label de la Fondation du patrimoine, qui était jusqu'à présent limité aux communes rurales. En raison du petit blocage légistique que j'ai évoqué, nous n'avons pas pu adopter aussi rapidement que nous l'aurions souhaité, notamment pour accompagner le programme « Petites villes de demain », cette mesure phare du texte. Votre prédécesseur, madame la ministre, nous a proposé, et je l'en remercie, de l'intégrer dans le projet de loi de finances rectificative cet été pour qu'elle entre plus vite en vigueur. Voilà pourquoi cet article 1er sera supprimé.

Cette proposition de loi est malgré tout utile puisqu'elle modernise le conseil d'administration de la Fondation, qui l'attend avec impatience. Pour autant, il lui faudra patienter jusqu'à la deuxième lecture du texte à l'Assemblée nationale. J'espère qu'elle interviendra rapidement et que nous ne serons pas obligés d'attendre la prochaine session parlementaire.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage au travail de notre collègue Dominique Vérien, qui est à l'initiative de cette proposition de loi. Depuis sa création en 1996, la Fondation du patrimoine est peu à peu devenue l'un des principaux acteurs de la protection du patrimoine, au point de s'imposer comme le partenaire privilégié de l'État et des collectivités territoriales dans ce domaine. Ses missions se sont considérablement étoffées à mesure que s'est renforcé l'engouement des Français pour leur patrimoine et que sa préservation, sa valorisation et sa transmission aux générations futures sont devenues un véritable enjeu de politique publique.

Depuis 2013, la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations pour rendre l'action de la Fondation plus efficace sur l'ensemble des territoires. Cette proposition de loi traduit plusieurs de ces préconisations. Elle vise trois objectifs principaux.

Premièrement, elle tend à réformer les conditions de délivrance du label pour couvrir une diversité de patrimoine plus importante sur une plus large partie du territoire : les parcs et jardins seront désormais éligibles, et la labellisation pourra s'étendre aux immeubles situés dans des communes allant jusqu'à 20 000 habitants. Deuxièmement, elle vise à rendre le conseil d'administration plus opérationnel. Troisièmement, elle a pour objet de donner de nouvelles marges de manoeuvre financières à la Fondation.

Vous le savez, l'ADN de la Fondation, c'est la protection du « petit patrimoine », aussi appelé patrimoine de proximité, celui qui ne bénéficie pas du soutien de l'État parce qu'il n'est pas protégé au titre des monuments historiques, mais qui mérite d'être conservé parce qu'il contribue à donner à nos territoires leur cachet et leur identité. Jean-Pierre Leleux, qui était le rapporteur de cette proposition de loi en première lecture, avait été particulièrement vigilant à ce que cette proposition de loi ne conduise pas la Fondation à s'écarter de son coeur de métier en la poussant à se spécialiser peu à peu dans la rénovation urbaine. Il avait aussi cherché à rapprocher le fonctionnement de la Fondation des règles classiques des fondations reconnues d'utilité publique.

Nos collègues députés ont totalement souscrit à ces orientations. C'est pourquoi j'estime que le texte résultant des travaux de l'Assemblée nationale constitue, sur le fond, un excellent compromis.

Sur les huit articles que comptait la proposition de loi à l'issue de son examen par le Sénat en première lecture, trois ont été approuvés par les députés sans modification. Il s'agit de l'article 2 relatif à l'extension du label aux parcs et jardins, dont les dispositions avaient été intégrées par le Sénat à l'article 1er lors de son examen en première lecture : les députés ont maintenu sa suppression. L'Assemblée nationale a également adopté dans des termes identiques l'article 4 autorisant la Fondation à bénéficier de dotations en actions ou parts sociales d'entreprises, et l'article 6 retirant à la Fondation ses prérogatives de puissance publique. Ces trois articles ne sont donc plus en discussion au stade de la deuxième lecture.

Deux autres articles ont fait l'objet de modifications exclusivement rédactionnelles. Il s'agit de l'article 3, relatif à la composition du conseil d'administration de la Fondation, et de l'article 6 bis, inséré par le Sénat en première lecture pour faciliter le contrôle par le Parlement de la Fondation dans la perspective de la suppression des sièges attribués à des parlementaires au sein de son conseil d'administration. Ces modifications n'altèrent nullement l'esprit des dispositions adoptées par le Sénat en première lecture et ne soulèvent aucune difficulté particulière.

L'article 1er relatif aux conditions d'octroi du label a été complété par les députés par des dispositions qui s'inscrivent dans la droite ligne des préoccupations exprimées par le Sénat en première lecture. Soucieuse que la Fondation ne délaisse pas sa mission en matière de défense du patrimoine de proximité, l'Assemblée nationale a jugé utile de préciser que seule la labellisation des immeubles non habitables « caractéristiques du patrimoine rural » échappait à toute condition de périmètre géographique. Elle a souhaité également étendre le bénéfice des avantages fiscaux associés au label aux propriétaires qui s'engageraient à rendre leur bien accessible au public lorsque celui-ci ne serait pas visible de la voie publique. Il n'y a pas lieu, à mon sens, de revenir sur ces modifications.

Les députés ont également inséré un nouvel article, l'article 1er bis, qui vise à remplacer dans l'un des articles du chapitre du code du patrimoine consacré à la Fondation une terminologie obsolète faisant référence aux immeubles inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Sur le fond, l'appellation « inventaire supplémentaire » ayant été abandonnée depuis 2005, cette modification est tout à fait heureuse.

L'article 7, qui mettait en place un gage pour compenser les conséquences financières susceptibles de résulter pour l'État de l'extension des conditions d'octroi du label, a été supprimé par les députés après avoir obtenu l'accord du Gouvernement pour lever ce gage. Cette suppression manifeste l'adhésion du Gouvernement aux objectifs visés par la présente proposition de loi. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Reste la question de l'article 5, qui a été supprimé par les députés en raison du risque d'inconstitutionnalité qu'il soulève. Cet article mettait en place un mécanisme à portée rétroactive facilitant la réaffectation, par la Fondation, à un autre projet, des dons devenus sans objet, soit parce que le projet pour lequel ils avaient été récoltés serait devenu caduc, soit parce qu'il aurait déjà été intégralement financé. Il constituait un enjeu important pour la Fondation, qui espérait ainsi pouvoir réinjecter dans différents projets quelque 10 millions d'euros qui sont immobilisés dans ses caisses faute d'avoir obtenu l'accord du porteur de projet pour leur réaffectation.

Le Sénat était parfaitement conscient des fragilités juridiques de ce dispositif et la suppression de cet article par les députés n'est donc pas vraiment une surprise. Jean-Pierre Leleux espérait que le Gouvernement serait en mesure de proposer une rédaction alternative au moment de l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale, mais il semble que la Chancellerie ait estimé qu'aucune solution législative n'était possible.

En effet, l'intérêt de ce dispositif pour la Fondation réside exclusivement dans sa portée rétroactive. Depuis 2014, les conventions qu'elle signe avec les porteurs de projet avant de lancer une souscription à leur bénéfice comportent des clauses prévoyant des possibilités de réaffectation des dons ainsi que leurs modalités. Quant aux donateurs, ils ont toujours consenti à la réaffectation de leurs dons, une mention en ce sens figurant sur les bulletins de souscription émis par la Fondation. L'objet de l'article 5 était donc avant tout de faciliter la gestion du « stock » de dons qu'elle ne peut pas utiliser. À partir du moment où il est impossible de mettre en place un mécanisme à portée rétroactive, l'article perd tout son sens. C'est pourquoi je vous propose d'en maintenir la suppression.

Nos discussions autour de cet article n'auront toutefois pas été vaines puisque la Fondation m'a indiqué qu'un de ses bénévoles s'était porté volontaire pour contacter tous les porteurs de projet dont les dons devaient être réaffectés afin de se mettre d'accord avec eux sur le projet qui pourrait leur convenir. La Fondation a bon espoir que la situation se règle à plus ou moins long terme.

C'est une excellente nouvelle, car même si le texte de notre collègue Dominique Vérien est antérieur à la crise sanitaire ces sommes, comme l'extension des conditions de délivrance du label, devraient être particulièrement utiles pour permettre à la Fondation du patrimoine de participer plus efficacement à la relance du secteur des patrimoines. Il est important pour les entreprises de restauration du patrimoine situées sur l'ensemble de nos territoires de retrouver de l'activité pour surmonter les pertes qu'elles ont enregistrées l'an passé. Les souscriptions et le label de la Fondation peuvent être des instruments de la relance, en complément des crédits consacrés par l'État aux monuments historiques dans le cadre du budget. Il s'agit donc d'une étape importante pour la Fondation.

Malheureusement, nous ne serons pas en mesure d'adopter définitivement cette proposition de loi à ce stade. Il y manque quelques coordinations légistiques, pour lesquelles je vous proposerai dans quelques instants des amendements. L'article 1er est devenu sans objet dans la mesure où ses dispositions ont été intégrées à la troisième loi de finances rectificative en juillet dernier et sont déjà entrées en vigueur. Il nous faut donc le supprimer. De même, l'article 1er bis n'a remplacé qu'une seule des deux références à l'« inventaire supplémentaire des monuments historiques » dans l'article L. 143-2-1 du code du patrimoine et il nous faut donc y revenir pour garantir la cohérence de la rédaction de cet article.

J'espère que vous souscrirez à ces modifications formelles qui retardent certes l'adoption de ce texte, mais font partie de notre rôle de législateur, garant de l'intelligibilité de la loi.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - Le patrimoine touche à ce que nous sommes, il est une part de notre histoire, de notre mémoire, de notre identité, de notre culture commune. C'est également un fort levier de croissance, d'emplois, d'attractivité de nos territoires. Il nous incombe donc de le protéger, de le restaurer, de le valoriser. C'est le sens des crédits importants qui sont prévus dans la loi de finances et dans le plan de relance pour l'année 2021.

Je sais que votre commission est très engagée sur ces enjeux. Le ministère de la culture contribue depuis plus de soixante ans à cette préservation du patrimoine. Il n'est pas le seul. Il a su, au fil des années, se doter d'outils et de partenaires essentiels parmi lesquels figurent les collectivités territoriales, mais aussi les fondations.

La Fondation du patrimoine est un partenaire très important de mon ministère depuis sa création en 1996. Elle a su, au fil des ans, développer son action en engageant des campagnes de souscriptions publiques, de financements participatifs, en mobilisant le mécénat d'entreprise ou en délivrant son propre label.

Dès sa création, l'État lui a confié la mission de délivrer un label en faveur du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques, label qui donne droit à un régime de déductions fiscales au titre de l'impôt sur le revenu. La Fondation a aussi contribué à l'initiative du Loto du patrimoine - souhaitée par le Président de la République - dont le succès ne se dément pas et dont elle continue à assurer le pilotage, en lien avec la mission pour le patrimoine qui a été confiée à Stéphane Bern et les directions régionales des affaires culturelles.

La proposition de loi que vous examinez aujourd'hui en deuxième lecture s'inscrit dans la lignée des recommandations du rapport de la Cour des comptes de décembre 2018. Les sages formulaient alors une série de remarques, dont le réexamen du dispositif de label pour le rendre plus efficient et la simplification de la composition du conseil d'administration de la Fondation.

Je salue le travail de mon prédécesseur, Franck Riester, mais également celui du Sénat. Votre travail en première lecture, puis celui de l'Assemblée nationale, a permis de préciser la rédaction du texte.

L'article 1er permet d'élargir le champ d'application du label, qui peut ainsi être délivré à des immeubles situés dans des sites patrimoniaux remarquables, dans des sites classés par le code de l'environnement et dans des zones rurales, bourgs et petites villes de moins de 20 000 habitants. C'est un article devenu sans objet, les conditions de délivrance du label ayant été modifiées par l'article 7 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, promulguée en juillet dernier. Les mesures nouvelles concernant le label sont d'application directe, à l'exception de la notion nouvelle d'accessibilité au public, qui nécessite une précision au niveau réglementaire. Celle-ci est en cours d'examen entre mes services, ceux du ministère de l'économie, des finances et de la relance et la Fondation du patrimoine.

L'article 3 est relatif à la composition du conseil d'administration de la Fondation du Patrimoine. Il permet de le rapprocher du droit commun des fondations reconnues d'utilité publique. Vous êtes arrivés, sur ce point, à une situation d'équilibre. Cela se manifeste par la réduction de vingt-cinq à seize membres et par l'énumération de plusieurs catégories au sein du conseil d'administration : représentants des fondateurs, des mécènes et des donateurs, personnalités qualifiées, représentants des collectivités territoriales et représentant des associations nationales de protection et de mise en valeur du patrimoine.

L'article 5 concernait la possibilité pour la Fondation de réaffecter des dons devenus sans objet en raison de la caducité des projets ou de leur financement en intégralité. Ce point avait suscité des débats fournis, et vous n'ignorez pas les réticences qui avaient alors été exprimées par le Gouvernement. Nous nous réjouissons collectivement que la Fondation du patrimoine ait pu trouver une solution élégante pour la réaffectation de ces dons.

La Fondation du patrimoine a vocation à compléter l'action du ministère de la culture avec ambition et efficacité. Je me félicite de votre initiative pour adapter son organisation et son label. Sous réserve de l'adoption des amendements du rapporteur, qui permettent de clarifier le texte, le Gouvernement est favorable à l'adoption de cette proposition de loi. Au-delà, soyez assurés de mon entière mobilisation pour que le ministère de la culture remplisse pleinement sa mission de préservation, d'accompagnement et de valorisation de notre patrimoine.

Mme Marie-Pierre Monier. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain réitère son soutien en faveur de cette proposition de loi, qui donne un nouveau souffle à la Fondation du patrimoine. Elle a fait l'objet d'un travail collectif de qualité dans les deux assemblées. La reconnaissance de la Fondation du patrimoine comme acteur-clé à mobiliser aux côtés de l'État et des collectivités territoriales pour soutenir la reprise de l'activité dans le secteur du patrimoine a conduit à une adoption anticipée des dispositions prévues à l'article 1er dans le cadre de la loi de finances rectificative de juillet dernier. C'est une bonne chose, même si ce texte, amputé de l'article 1er qui en constituait la pierre angulaire, apparaît à présent moins substantiel.

Gardons cependant vivaces à l'esprit les discussions que nous avions eues à l'époque sur l'enjeu de maintenir la mission première de la Fondation du patrimoine, à savoir la protection et la valorisation d'un patrimoine rural, voire hyper-rural. Nous resterons bien sûr très vigilants sur les ressources financières allouées à l'avenir à ce dispositif de labellisation élargi. J'ai déposé un amendement à l'article 1er bis, qui rejoint celui de la commission. Il vise à compléter le dispositif prévu par les députés.

Le maintien de la suppression de l'article 5 est un parti pris de bon sens. J'avais alerté en première lecture sur le risque d'une censure de cet article par le Conseil constitutionnel. Toutefois, si les représentants de la Fondation du patrimoine auditionnés ont renoncé à son maintien, ils nous ont également alertés sur le travail d'ampleur que représentait pour eux la recherche des porteurs de projet dans le cadre de la réaffectation des dons. Un bénévole devra peut-être y travailler pendant dix ans. En tout état de cause, nous voterons cette proposition de loi.

M. Max Brisson. - Je salue, au nom du groupe Les Républicains, le consensus qui, peu à peu, s'est forgé sur ce texte et ses objectifs. La Fondation du patrimoine, qui défend le petit patrimoine non protégé, rural notamment, a été créée en 1996 à la suite des recommandations du sénateur Jean-Paul Hugot. Il s'agissait à l'origine de compléter l'action de l'État en mobilisant le secteur privé. Depuis vingt-cinq ans, la Fondation s'est installée dans le paysage par son action, par ses campagnes de souscriptions publiques, par ses collectes, par sa mobilisation du mécénat d'entreprise et par la délivrance de son propre label. Incontestablement, elle a permis de compenser en partie la disparition de la réserve parlementaire.

Le texte de Dominique Vérien, que je salue, s'appuie sur les recommandations de la Cour des comptes afin de rendre la Fondation plus efficace, notamment en ce qui concerne le label. Notre commission a joué un rôle important en première lecture - je remercie Jean-Pierre Leleux de son travail - en ouvrant la possibilité d'attribuer le label de la Fondation du patrimoine aux immeubles non bâtis tels que les parcs et jardins, et en clarifiant le champ géographique du label - zones rurales, bourgs et petites villes de moins de 20 000 habitants, sites patrimoniaux remarquables et sites classés au titre du code de l'environnement.

Par souci d'efficacité, nous n'avons pas hésité à supprimer la présence de parlementaires au sein du conseil d'administration de la Fondation, le nombre élevé de membres nuisant à l'organisation des débats et aux prises de décisions. Les députés nous ont suivis en adoptant largement les propositions du Sénat. Au-delà de la suppression de l'article 5, qui présentait des fragilités juridiques, nous nous réjouissons du travail entre les deux chambres. Le groupe Les Républicains ne voit aucun obstacle à l'adoption de cette proposition de loi, qui apporte une nouvelle pierre à la sauvegarde de notre patrimoine local.

Mme Catherine Dumas. - Comme Max Brisson vient de le rappeler, le Sénat a toujours été très attaché au patrimoine. Nous ne pouvons qu'être satisfaits de l'examen de ce texte. On parle souvent du patrimoine matériel, mais la commission a confié à ma collègue Marie-Pierre Monier et moi-même un rapport sur le patrimoine immatériel. J'espère que nous pourrons en discuter ultérieurement, car les deux champs sont très proches. L'an dernier, la Fondation a lancé une grande campagne de communication pour inciter les Français aux dons. Elle doit publier prochainement une étude montrant que 1 euro donné à la Fondation permet de générer 21 euros en retombées économiques directes ou indirectes. Quand cette étude sera-t-elle disponible ?

Mme Monique de Marco. - Je suis extrêmement contente de ce toilettage. La Fondation est considérée comme une réussite. Je me félicite que l'article 3 fasse passer de vingt-cinq à seize les membres du conseil d'administration, ce qui permet de donner plus de poids aux structures engagées actuellement dans la Fondation. Cela permettra également de lutter contre l'absentéisme. En revanche, ayant été alertée tardivement, je n'ai pas pu déposer d'amendement sur l'article 6, ce que je regrette. J'aurais en effet souhaité que la Fondation ait également un rôle de défense du patrimoine naturel. La Fondation n'a jamais joué de rôle en matière de gestion de site, comme le peuvent le faire les conservatoires d'espaces naturels. Il aurait été intéressant de se pencher sur cette question, au-delà des parcs et jardins. Nous voterons quoi qu'il en soit les amendements qui seront présentés.

M. Laurent Lafon, président. - N'ayez pas de regrets au sujet de l'article 6 : il a été voté conforme par l'Assemblée nationale et est soumis à la règle de l'entonnoir.

M. Jean-Pierre Decool. - Je me félicite de l'opportunité que représente cette proposition de loi. Je souligne les avancées proposées tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale. Je pense, notamment, à la valorisation du patrimoine rural et à l'assouplissement des conditions d'octroi du label à travers l'engagement du propriétaire à rendre son bien accessible au public. Je me réjouis que ces dispositions aient été intégrées au projet de loi de finances rectificative de juillet dernier. J'aimerais également témoigner ici de l'engagement de la Fondation du patrimoine dans le département du Nord, notamment dans la Flandre française. Toutefois, je regrette la suppression de l'article 5. La Fondation du patrimoine semble détenir près de 10 millions d'euros immobilisés : un nombre considérable de projets pourraient être financés et toute une partie de notre patrimoine pourrait être préservée. Vous l'aurez compris, je suis favorable à une réécriture de cet article.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Effectivement, comme l'a souligné Mme Dumas, la Fondation du patrimoine doit nous remettre une étude attestant du fait que 1 euro de don rapporterait 21 euros de retombées économiques, mais nous n'avons pas encore de date à vous communiquer quant à la remise du rapport.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION

Article 1er

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - L'amendement COM-2 vise à supprimer l'article 1er, tout simplement parce que ses dispositions ont déjà été adoptées en juillet dernier, dans des termes absolument identiques, dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020. L'article 1er n'a donc plus aucune raison d'être. Le Gouvernement avait jugé préférable d'intégrer la réforme du label à la LFR3 plutôt que d'attendre le terme de notre navette sur la présente proposition de loi pour ne pas retarder l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, susceptibles de contribuer à la relance du secteur des patrimoines.

La Fondation du patrimoine m'a d'ailleurs indiqué avoir accordé depuis août dernier plus de quatre-vingts labels à des immeubles qui n'y étaient pas éligibles avant.

Madame la ministre, vous nous avez indiqué que des dispositions réglementaires seraient prises pour faciliter l'application de cette réforme, bien que la loi ne conditionne pas leur entrée en vigueur à la publication d'un décret. Nous jugeons très important que ce nouveau dispositif puisse trouver à s'appliquer, dans sa globalité, au plus vite.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Le Gouvernement est favorable à cet amendement. Comme l'a souligné Mme la rapporteur, nous nous employons à réaliser au mieux le travail réglementaire. Je remercie Max Brisson d'avoir évoqué le souvenir de mon ami Jean-Paul Hugot, sénateur de Maine-et-Loire et maire de Saumur.

L'amendement COM-2 est adopté et l'article 1er est supprimé.

Article 1er bis (nouveau)

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à compléter le dispositif prévu par les députés, destiné à remplacer la référence obsolète aux immeubles inscrits à l'inventaire supplémentaire au paragraphe I de l'article L. 143-2-1 du code du patrimoine. Comme Mme Monier l'a également remarqué, cette terminologie figure aussi au III du même article, et il nous faut donc procéder à cette coordination pour que sa rédaction soit cohérente et intelligible.

Mon amendement va un peu plus loin que l'amendement COM-1 présenté par Mme Monier dans la mesure où il propose également de saisir cette occasion pour nettoyer toutes les références à l'inventaire supplémentaire qui subsistent dans les parties législatives de différents codes.

L'adoption de mon amendement fera tomber celui de Mme Monier, mais je pense que celle-ci trouvera parfaitement satisfaction avec mon amendement.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Le Gouvernement est favorable à l'amendement COM-3.

L'amendement COM-3 est adopté ; l'amendement COM-1 devient sans objet.

L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

L'article 3 est adopté sans modification.

Article 5 (Supprimé)

L'article 5 demeure supprimé.

Article 6 bis

L'article 6 bis est adopté sans modification.

Article 7 (Supprimé)

L'article 7 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Laurent Lafon, président. - Les explications de vote et le vote en séance publique de cette proposition de loi auront lieu le mardi 2 mars à 14 h 30.

Le sort des amendements adoptés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme DREXLER, rapporteur

2

Suppression de l'article, devenu sans objet

Adopté

Article 1er bis (nouveau)

Mme DREXLER, rapporteur

3

Coordination à l'article L. 143-2-1 du code du patrimoine et dans la partie législative de plusieurs codes

Adopté

Article 1er bis (nouveau)

Mme MONIER

1

Coordination à l'article L. 143-2-1 du code du patrimoine

Satisfait ou sans objet

La réunion est close à 14 h 40.

- Présidence de MM. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi confortant les principes de la République - Audition de Mme Dominique Schnapper, sociologue, présidente du Conseil des sages de la laïcité

M. François-Noël Buffet, président. - Nous souhaitons la bienvenue à Mme Dominique Schnapper, sociologue, présidente du Conseil des sages de la laïcité. La particularité de cette audition dans le cadre du projet de loi confortant le respect des principes de la République, est qu'elle est commune à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, ainsi qu'à la commission des lois du Sénat. La commission des lois a délégué les articles correspondant à l'éducation à la commission compétente du Sénat.

Après votre propos liminaire, nos rapporteurs, Stéphane Piednoir, Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien, vous poseront des questions. Je rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

M. Laurent Lafon, président. - Nous sommes effectivement très heureux, madame, de vous accueillir dans le cadre de ces travaux préparatoires à l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République que nous aurons à examiner en séance dans quelques semaines. Je profite de cette occasion pour remercier le président Buffet et la commission des lois d'avoir accepté de nous déléguer sur le fond l'examen des dispositions de ce texte consacrées, notamment, à l'éducation. C'est d'ailleurs de cela dont nous allons parler dans quelques instants.

En janvier 2018, le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a souhaité installer ce Conseil des sages à ses côtés, composé d'une quinzaine d'experts d'horizons différents et chargé de préciser la position de l'institution scolaire en matière de laïcité et de fait religieux. Depuis lors, ce comité ne se contente pas de réfléchir aux rapports parfois difficiles qu'entretiennent le religieux et le politique au sein de la communauté éducative, il veille aussi à éclairer de manière pragmatique les acteurs de l'éducation nationale en matière de laïcité. Vous avez ainsi créé, en collaboration avec les services de l'éducation nationale, un vade-mecum destiné à apporter des réponses concrètes aux personnels éducatifs directement confrontés au fait religieux dans l'exercice de leurs fonctions.

Vous vous rendez aussi sur le terrain pour former, études de cas à l'appui, les personnels de l'éducation nationale aux questions de la laïcité. Au regard de la diversité de ces actions et de votre connaissance de ce qui se passe sur le terrain, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous dresser un rapide bilan de l'activité de ce Conseil au cours des trois années écoulées. Nous souhaiterions également que vous nous précisiez le regard que vous portez sur l'évolution du nombre et la nature des atteintes au principe de laïcité constatées dans les établissements scolaires au cours de la même période.

Mme Dominique Schnapper, sociologue, présidente du Conseil des sages de la laïcité. - En tant que sociologue, je ne pense pas que ce projet de loi marque une évolution de la conception française de la laïcité, tout comme je ne pense pas qu'il risque de porter atteinte à la liberté du culte.

La loi de 1905 a été conçue pour une Église catholique ayant le statut de puissance politique, l'Église unique organisant majoritairement la vie collective en France. C'est bien contre ce pouvoir politique - bien que certains aient été contre l'Église elle-même - que la loi a été votée et a reçu l'appui des religions minoritaires de l'époque qu'étaient le protestantisme et le judaïsme. Le grand rabbin vous a d'ailleurs expliqué toute l'adhésion passionnée des juifs aux règles de la laïcité. Une passion que les protestants ont partagée à l'époque, mais qui, maintenant, s'est transformée en critique.

La société est, aujourd'hui, bien plus diverse par le degré de pratique et par un éclatement des croyances et des organisations religieuses. Elle est, en somme, moins religieuse dans l'ensemble, même si elle comprend des mouvements de retour, éventuellement extrémistes. Enfin, il faut prendre en compte cette nouvelle donnée qu'est la présence d'une forte proportion de la population musulmane, de l'ordre de 10 %.

Le problème est l'islam politique plutôt que l'islam lui-même, encore que certains islamologues soient plus nuancés en matière de rapport entre islam et islamisme. Je pense qu'un islam de type religieux impose à la loi de 1905 des adaptations s'agissant des lieux de culte, des fêtes et du régime alimentaire. Je suis convaincue que ces problèmes peuvent être réglés par une adaptation de la loi de 1905. Le cas des usines Renault est souvent pris en exemple pour son importation de populations musulmanes et son adaptation à des demandes purement religieuses comme l'ouverture de salles de prière. La République a, d'ailleurs, toujours mis en place cette adaptation aux conditions des gens, comme elle s'est adaptée à la Moselle ou à l'Alsace, et comme elle s'est adaptée dans les années trente rue des Rosiers, à Paris, où le jour de repos était non pas le jeudi, mais le samedi, pour tenir compte du shabbat.

Le problème est qu'il y a, désormais, derrière ces revendications au nom d'une religion, un véritable projet politique contestataire des valeurs démocratiques. L'an 2000 a constitué un moment charnière dans cette évolution. A paru, en 2002, le livre Les territoires perdus de la République, tandis qu'en 2004, Jean-Pierre Obin découvrait le départ des enfants juifs de certains établissements scolaires qui ne pouvaient plus assurer leur sécurité. Son rapport a été très soigneusement mis de côté et la publication par vingt intellectuels, l'année suivante, d'un commentaire du rapport Obin n'a eu aucun écho. Il y avait donc, déjà, un changement de ce qui se présentait comme des revendications religieuses et qui étaient des revendications politiques, marquées par de l'antisémitisme. Aujourd'hui, nous connaissons bien le phénomène grâce aux travaux des spécialistes de la question, depuis Gilles Kepel jusqu'à Hugo Micheron et Bernard Rougier.

Les différentes dispositions de ce projet de loi me paraissent répondre à un problème politique, et je me suis réjouie du fait que le Président de la République n'ait pas remis en question la loi de 1905, car il ne s'agit effectivement pas d'un problème religieux. J'ai apprécié le nouveau titre positif du projet de loi, qui rappelle que la laïcité est un régime de liberté. Par ailleurs, faire passer les associations de loi 1901 sur le régime de la loi de 1905 me semble naturel. Il est normal, non seulement de subordonner les subventions publiques aux associations à la signature d'une charte de la laïcité, mais, en outre, même sans subvention, de leur demander de respecter les lois communes. À ce titre, vous aurez remarqué que les trois associations musulmanes ayant refusé de signer la charte sont turques, ce qui me conforte dans l'opinion que le problème est bien politique et non religieux. Enfin, que ces associations rendent des comptes sur leur financement étranger ne me paraît, ainsi, nullement scandaleux.

Le problème de l'enseignement familial a été largement débattu et, à titre personnel, je regrette le passage du contrôle a posteriori à l'autorisation préalable. Celle-ci constitue, néanmoins, une adaptation à une situation objective, notamment illustrée par les remontées du terrain. On observe, désormais, des pères qui, amenant leurs petites filles de 3 ans à l'école, donnent comme conditions qu'elles ne soient pas assises à côté d'un petit garçon. On m'a également cité le cas d'un père restant derrière la grille pour vérifier que, pendant la récréation, sa fille ne joue pas avec des petits garçons. L'islamisme extrémiste remet donc en question nos valeurs collectives - la démocratie, l'égalité hommes-femmes - ainsi que la primauté de la loi républicaine sur la loi religieuse.

Vous me demandez de décrire nos activités. Je rappelle que le Conseil des sages de la laïcité dépend du ministère de l'éducation nationale. C'est d'ailleurs le ministre qui en a choisi les membres. Notre rôle devient tellement large que nous devons recruter. Nous n'avons pas essayé de faire un nouveau texte sur la laïcité, thème d'ores et déjà largement étudié, mais de produire un document susceptible d'apporter un certain nombre de solutions. Nous sommes donc très soucieux d'être en liaison avec les services du ministère ainsi qu'avec les référents laïcité nommés dans chaque académie. Nous sommes très souvent saisis et recevons de nombreux témoignages d'enseignants, même si nous n'avons eu connaissance du cas de Samuel Paty que dans la presse. À cet égard, il est frappant de constater que le problème se déplace vers l'école primaire, alors que le collège était jusqu'alors au coeur de la contestation. Il y a désormais une poussée organisée, notamment avec des avocats qui cherchent à entrer dans les établissements. Cela commence très tôt, dès la maternelle.

Nous avons activement participé à la rédaction des textes par lesquels nous essayons de préciser la définition intellectuelle de la laïcité ainsi que les conséquences pratiques de ses principes dans la gestion des établissements. Au ministère, un vade-mecum de la laïcité a recueilli un ensemble de textes et d'études de cas. Nous y avons beaucoup travaillé. Il se nourrit d'ailleurs régulièrement des remontées du terrain et des critiques, car de nouveaux problèmes apparaissent - je pense notamment à la présence d'avocats auprès des parents d'élèves. Nous avons également aidé à la rédaction d'un vade-mecum pour lutter contre le racisme et l'antisémitisme.

Vous m'avez posé la question du sport qui, effectivement, fait désormais partie du périmètre de M. Blanquer. Nous sommes donc en train de rédiger un nouveau vade-mecum pour le monde sportif qui, pour le dire en termes modérés, ne sait pas très bien ce qu'est la laïcité. Par ailleurs, nous avons fait quelques conférences de formation pour le service civique. Enfin, le ministre nous a demandé un certain nombre de notes, par exemple sur l'enseignement laïque des faits religieux. Nous avons également pour objectif de participer à la formation des enseignants, tant dans le recrutement que durant la formation continue. J'ai été extrêmement frappée, en allant parler à Poitiers devant les enseignants, les chefs d'établissement et les inspecteurs, que mes propos, tout compte fait assez plats, aient été écoutés avec beaucoup d'intérêt, mais avec grand étonnement. Les trentenaires d'aujourd'hui semblent découvrir ce qui allait de soi pour la génération de mes enfants en matière de laïcité. Les études de cas semblent donc être très appréciées.

Enfin, nous tentons de soutenir, à notre mesure, tous ceux qui nous transmettent des témoignages ou nous demandent des conseils, ainsi que ceux qui essayent de comprendre et de résister. Un de nos membres fait d'ailleurs partie de la mission pour l'ensemble de la fonction publique qu'a organisée la ministre de la fonction publique pour la questionde la laïcité. Vous m'avez interrogée sur ce point, notre lien est institutionnel. Nous avons jugé utile, au terme de trois années de travail, de faire profiter l'ensemble de la fonction publique de l'expérience que nous avions accumulée, d'autant que certains ministères, comme celui de la santé, rencontrent d'importants problèmes.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Comme vous l'avez rappelé, ce texte ne modifie pas la laïcité, même si celle-ci a évolué dans la société française. Innée pour une génération d'enseignants, elle l'est beaucoup moins aujourd'hui. L'islam a parfois laissé place à un islamisme rampant qui nous inquiète, notamment via des demandes de plus en plus exubérantes, qu'il s'agisse d'alimentation ou de dispenses de pratiques sportives, notamment pour la piscine.

La nécessité de ce vade-mecum s'est imposée, mais est-ce suffisant ? Doit-on faire une loi à partir de certains exemples constatés ? Avons-nous d'autres moyens qu'un texte sur l'instruction en famille pour sanctionner ces comportements ? Un enseignant sur deux reconnaît s'être autocensuré : cela en dit long sur la peur qui a gagné le corps professoral et sur la liberté pédagogique largement entamée. Le vade-mecum répond-il à ces dérives ? Cette loi en préparation permettra-t-elle d'entraver ces dérives ? Je vous souhaite également bon courage pour votre travail sur le sport, car il s'agit d'un chantier extrêmement vaste et complexe.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - La laïcité est, pour moi, émancipatrice et protectrice. Or ce projet de loi ne parle pas de laïcité, ce qui me paraît regrettable. D'ailleurs, dans l'article instaurant un « contrat d'engagement républicain » aux associations recevant des subventions, il n'est pas fait non plus mention de la laïcité. Je le redis, celle-ci est pourtant indispensable à l'école.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Nous avons eu un retour d'associations et d'enseignants nous disant que leur formation en matière de laïcité est indigente, les grands principes étant récités de manière candide sans que les problèmes techniques et pratiques soient réellement soulevés.

Je m'adresse ensuite à la sociologue que vous êtes. Vous avez parlé, dans un entretien, de l'affaiblissement de la dimension civique, ainsi que de la dissolution du sentiment national et patriotique qui laisse place aux identifications particulières, notamment religieuses, régionales ou ethniques. À cet égard, comment pourrait-on faire de nouveau Nation ?

Enfin, l'inégalité hommes-femmes n'est pas seulement portée par l'islam politique, mais aussi, largement, par l'islam religieux. Comment lutter contre cette conception qui vient perturber nos relations sociales en dehors même de tout lieu de culte ?

M. Max Brisson. - En ce qui concerne la suppression de l'enseignement à domicile prévue par l'article 21 de ce projet de loi, vous la regrettez tout en la trouvant justifiée au vu de la situation actuelle. Vous avez cité l'exemple d'une cour d'école. Pouvez-vous quantifier ce phénomène, ce que le Gouvernement n'a pas pu faire jusqu'à présent ? Pouvez-vous nous dire en quoi la suppression de l'enseignement à domicile est une nécessité pour lutter contre l'islamisme ?

Mme Gisèle Jourda. - Ma question est quelque peu technique. S'il faut clarifier la question de la laïcité à l'école et dans le milieu du sport, il existe des vade-mecum publiés par l'Observatoire de la laïcité. Comment s'articuleront vos travaux ? N'y a-t-il pas un risque de multiplication des publications officielles sur le sujet ?

Mme Dominique Schnapper. - Une loi pourra-t-elle suffire ? Par définition, une loi est toujours limitée, elle ne résoudra pas tous les problèmes liés aux atteintes à la laïcité, c'est-à-dire à la contestation des principes démocratiques. Mais la loi donne des instruments juridiques à ceux qui veulent lutter. Il ne faut pas négliger la force du droit ; d'ailleurs, ceux qui mettent en cause la laïcité entendent s'appuyer sur des arguments juridiques.

Nous travaillons avec l'Ordre des médecins et le ministère de l'éducation nationale pour trouver les moyens de contrôler les certificats médicaux de complaisance pour la piscine, qui pourraient être contrôlés par le médecin scolaire, tout en respectant le secret médical.

Vous avez raison, la laïcité a évolué avec la société, même si ses principes n'ont pas changé. J'ai découvert le monde sportif. Merci pour vos encouragements sur le sujet ! Il faut clarifier les choses pour parvenir à penser juste et aider ainsi ceux qui résistent. Il est important que les enseignants se sentent soutenus pas leur hiérarchie. Beaucoup se sentent isolés. Il faut leur donner les outils intellectuels et faciliter les travaux collectifs.

Oui, la laïcité est protectrice et émancipatrice, même si le mot ne figure pas dans la loi de 1905. Elle est la forme française, héritée de l'histoire, de la séparation du politique et du religieux, qui est constitutive de la démocratie et la distingue des autres régimes.

Je crains que la formation à la laïcité ne tourne au prêchi-prêcha. Nous préconisons plutôt de travailler sur des cas précis. À Poitiers, où nous intervenons régulièrement, on observe ainsi que les ateliers consacrés à des cas concrets ont beaucoup plus de succès que la conférence inaugurale.

L'inégalité entre les hommes et les femmes est un problème central. Toutes les religions ont été fondées sur ce que l'on appelle, par politesse, la « complémentarité » entre les sexes : en fait, l'inégalité de statut entre les hommes et les femmes. Si la population musulmane tend à se rapprocher de la population française dans ses goûts et pratiques avec le temps, cette question reste un noyau dur. Les autres religions ne sont pas à l'abri. Dans le judaïsme, il a fallu l'action des mouvements libéraux pour que les femmes ne soient plus obligées dans les synagogues d'assister aux cérémonies à l'étage, au-dessus des hommes. Encore faut-il toutefois que la constitution des mouvements libéraux soit possible... Le Coran a été rédigé à une époque donnée. Il faut que les musulmans acceptent de travailler sur sa réinterprétation. C'est la perspective proposée par Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l'Islam de France, qui explique que le voile n'a rien d'islamique et qui prône une réinterprétation du Coran à des fins spirituelles.

Républicaine et libérale, je pense qu'il est préférable de laisser la liberté aux parents de préférer l'instruction à domicile, dès lors qu'ils acceptent les contrôles de l'éducation nationale. Le problème est qu'une partie des filles ne sont plus instruites du tout, au nom de la liberté de l'enseignement en famille. C'est pourquoi je pense qu'il est justifié que ce régime fasse l'objet d'une demande afin que l'enseignement en famille ne soit pas simplement un moyen de faire échapper les filles au programme et aux valeurs de l'enseignement public. Mais je regrette effectivement que l'on soit dans cette situation.

M. Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, fait en effet partie du Conseil des sages. Nous travaillons ensemble sans aucun problème, même si nous n'avons pas tout à fait les mêmes conceptions. Il ne m'est arrivé qu'à une seule reprise de devoir transmettre un texte au Gouvernement en indiquant son désaccord.

Mme Muriel Jourda. - Votre réponse m'inquiète. Il se peut que cohabitent deux types de vade-mecum, qui seraient tous subventionnés par le ministère. Comment fera-t-on pour savoir celui qui devra être appliqué, alors que de nombreux guides existent déjà ? J'ai le sentiment que vous n'avez pas la même position...

Mme Dominique Schnapper. - En effet, l'Observatoire de la laïcité sera remis en question à partir du 1er avril. Nous verrons ce qui se passe à ce moment-là. Il est clair que la position de l'Observatoire et celle du ministère de l'éducation nationale ne sont pas identiques. Il appartiendra au Président de la République de trancher.

M. Pierre Ouzoulias. - Que pensez-vous, en tant que sociologue, de la remise en question de la dimension humaniste, universelle de la laïcité héritée de la philosophie des Lumières et de la Révolution française ? On considère souvent que cette révision nous vient des États-Unis, mais ne pensez-vous pas que l'on en trouve les prémices dans la sociologie française de la fin des années soixante-dix, notamment dans la pensée de Michel Foucault, où l'on sent déjà une remise en question du caractère universel de la citoyenneté ?

Vous avez fourni une admirable définition de la laïcité, dans votre article La République face au communautarisme, paru en 2004, où vous écrivez que « le rôle premier de l'État reste d'organiser l'unité de l'espace politique commun, qui permet d'intégrer par l'abstraction et l'égalité formelle de la citoyenneté tous les individus, quelles que soient leurs origines sociales, religieuses, régionales ou nationales ». Je n'ai rien à ajouter !

À la fin de l'article, vous écrivez : « Une société démocratique implique que, par-delà ses fidélités particulières légitimes, chacun puisse aussi rencontrer et reconnaître l'Autre, au nom des valeurs universelles de la citoyenneté. Le "communautarisme" devrait rester laissé à la liberté et à l'initiative des individus, encouragé par une application souple de la citoyenneté républicaine. Cela est conforme à la fois à la tradition de l'intégration française et à la légitimité des sociétés modernes, qui reposent sur l'universalité des droits du citoyen et de la protection de l'État-providence. » Qu'entendez-vous par l'expression « une application souple de la citoyenneté » ?

Mme Laurence Harribey. - Selon vous, le texte ne met pas en cause notre conception de la laïcité et ne porte pas atteinte à la liberté du culte. Si le texte est muet sur la laïcité, plusieurs dispositions sont problématiques quant à la liberté de culte. Ainsi, l'article 26 prévoit-il la consultation systématique d'un organe délibérant, sauf pour le recrutement des ministres du culte quand ils ne dépendent pas de l'association. N'est-ce pas mettre le doigt dans l'engrenage qui consiste à définir dans la loi l'exercice du culte ? Cet article peut, en outre, être facilement contourné par le recours à des intervenants occasionnels ou l'absence de nomination de ministre du culte. Si l'on combine l'article 6 et l'article 33 sur le régime des subventions, comment peut-on vraiment différencier ce qui relève de l'associatif de ce qui relève du cultuel ? Ne fallait-il pas mieux distinguer un régime relevant de la loi de 1905 et un régime relevant de la loi de 1901 pour ce qui concerne la pratique associative ouverte sur la société ? Dans de nombreuses associations, la frontière entre l'associatif et le cultuel est très ténue et les associations devront tenir une double comptabilité, avoir recours à des rescrits, etc.

M. Jacques Grosperrin. - La laïcité s'est imposée comme une démarche de liberté. Certains ont parlé pendant longtemps de laïcité ouverte ou fermée, conservatrice ou progressiste, il n'y a en réalité qu'une laïcité, qui est acceptée ou qui n'est pas acceptée. Elle contribue à faire partager les valeurs de la République dans les établissements scolaires. Il est important de laisser la liberté aux familles de recourir, ou non, à l'instruction en famille.

Le « séparatisme » n'est pas un gros mot. Ferdinand Buisson l'a utilisé pour exprimer le religieux. L'originalité de l'école publique, c'est qu'elle n'appartient à personne, mais à tous. Il expliquait qu'il recherchait la fraternité nationale et, dans son article sur la foi laïque, il voulait lutter non contre la foi, mais contre la haine. On en revient au temps du rapport Obin de 2002, comme vous l'avez dit tout à l'heure, car on n'ose pas parler du séparatisme islamique. Si on n'est pas capable de nommer les problèmes, on court le risque d'amalgames, car le problème n'est pas celui de la religion à l'école.

M. Thomas Dossus. - Ce texte est large et remet en cause certains équilibres, comme celui sur l'instruction en famille. Vous avez dit que beaucoup de filles n'étaient plus instruites, mais sans fournir de chiffres ; il est dès lors compliqué de toucher aussi fortement aux équilibres existants, sans données objectives. Produisez-vous des données chiffrées permettant d'apprécier si ce texte apporte une réponse proportionnée à des problèmes, ou s'il est trop large ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Cette audition nous permet de parler du fond, la laïcité, et non simplement du texte. Je goûte peu les législations d'émotion, dont fait partie ce texte. En matière de laïcité, je ne peux que recommander le Dictionnaire amoureux de la laïcité, d'Henri Peña-Ruiz, philosophe qui, étrangement, ne fait pas partie de ce Conseil des sages de la laïcité, dont on aimerait savoir comment les membres ont été désignés. Il dit que les religions ne sont pas dangereuses si elles n'engagent que les croyants. Elles le deviennent si elles prétendent dicter la loi commune. Ne pensez-vous pas que ce texte n'est pas justement un retournement de tout cela ?

Mme Catherine Belrhiti. - Vous avez mis l'accent sur la formation des enseignants. Mais les directions des établissements sont-elles aussi formées ? Les enseignants se plaignent de ne pas être soutenus.

Mme Dominique Schnapper. - Monsieur Ouzoulias, en vous écoutant, je me suis rendu compte que j'avais mal employé le terme « communautarisme » dans la seconde citation et qu'il aurait mieux valu employer le mot « communautaire ».

La laïcité est un héritage des Lumières et était portée, traditionnellement, par la gauche républicaine. Aujourd'hui, celle-ci se divise entre ceux qui prolongent cette tradition et ceux qui préfèrent l'identitarisme. C'est une des expressions de la crise de la pensée de gauche. La théorie de la déconstruction nous revient des États-Unis, alors qu'ils l'ont empruntée à la France. Cette théorie remet en question l'héritage des Lumières. Mais, fondamentalement, je crois que, d'un point de vue politique, c'est ce dernier qui est à la fois juste et utile. Tout est affaire de construction sociale, l'essentiel est que celle-ci soit convenable !

Par application souple, j'entendais la possibilité pragmatique de glisser le jour de repos du jeudi au samedi, si la grande majorité des enfants est de confession juive. De même, la République a une liste de fêtes susceptibles d'être accordées, pourvu que le service ne soit pas remis en question. Nos fêtes sont héritées globalement de la tradition chrétienne. Il ne faut pas craindre une remise en question de la laïcité si on célèbre des fêtes d'autres religions ou si on fête le Nouvel An chinois, tant que le principe fondamental de la séparation entre le politique et le religieux est maintenu. On sait qu'il existe une collaboration entre l'État et les Eglises. Il faut en tenir compte tant que les principes communs ne sont pas remis en cause. Ce n'est pas parce que la Moselle et l'Alsace ont un régime spécifique en raison de l'histoire que la laïcité est menacée en France !

Je n'ai pas de réponse sur le problème de l'article 26, ni sur les questions relatives aux articles 6 et 33. Je n'ai pas examiné le texte d'assez près. En tous cas, comme à vous, l'idée que la laïcité puisse être soit ouverte, soit fermée, soit généreuse, soit raide, me paraît absurde : introduire un adjectif me semble contraire à ce qu'est la laïcité en elle-même ! Sur l'enseignement en famille, beaucoup dépendra des modalités d'application du dispositif proposé : l'autorisation préalable et les contrôles doivent être mis en oeuvre de façon intelligente.

Le mot « séparatisme », dans le titre, ne me pose problème que parce qu'il sonne négatif : à la lutte contre le séparatisme, je préférerais un texte pour la liberté ou pour le renforcement des principes républicains. Je n'ai pas de réticence à l'égard du terme lui-même, mais d'un intitulé défini négativement. Le séparatisme, c'est le moment où la loi particulière déclare primer sur la loi commune. C'est en somme le communautarisme : quand la loi de la communauté - parfaitement légitime en elle-même - prime sur la loi républicaine. Je n'aurais donc pas dû utiliser le terme de communautarisme dans la citation que vous avez rappelée. Les liens communautaires rapprochent ceux qui partagent une même origine historique, les mêmes convictions politiques, les mêmes croyances religieuses. C'est naturel, évident et souhaitable dès lors que ces liens s'inscrivent à l'intérieur de la loi commune.

M. Jacques Grosperrin. - Le mot lui-même vous choque-t-il ?

Mme Dominique Schnapper. - Non, à condition de préciser qu'il ne concerne qu'une partie de l'islam, qui déclare que la loi religieuse est supérieure à la loi de la République. Évidemment, parler de séparatistes musulmans est un peu embarrassant...

Vous avez évoqué les données quantitatives. Nous savons qu'il y a des dérives. Comme sociologue, j'ai à la fois beaucoup de respect pour les chiffres et beaucoup de réticences à leur égard. L'évaluation du nombre d'atteintes à la laïcité suppose que le professeur accepte de les signaler, que le chef d'établissement accepte de les transmettre à l'inspecteur qui, ensuite, accepte de les signaler au rectorat qui, lui, les transmettra au ministère de l'éducation nationale... Bref, on ne sait pas au juste ce que mesurent ces chiffres. Quand les professeurs sont découragés, ils ne signalent plus : ils considèrent que cela ne sert à rien, et que cela les expose à des ennuis. Les chiffres sur les atteintes à la laïcité sont donc à prendre avec énormément de précautions.

L'Observatoire de la laïcité dit régulièrement que le nombre d'atteintes est faible et plafonne à 800 ou 900. En fait, on ne sait pas si le phénomène est marginal ou assez répandu pour justifier les interventions. Certes, il est sûrement minoritaire par rapport à la population concernée. Mais on sait depuis longtemps que les minorités actives ont parfois un pouvoir politique qui n'est pas proportionnel à leur répartition statistique : Hitler n'a jamais eu une majorité dans une élection. En tous cas, le quantitatif n'a que peu de sens. Certains épisodes, dans certains quartiers, peuvent avoir un sens politique qui dépasse de beaucoup leur représentation. Certes, la population musulmane, en majorité, accepte les lois républicaines. Cela n'enlève rien au problème politique que pose une minorité soutenue par l'extérieur. Nous devons donc prendre des décisions sans être tout à fait sûrs de la manière dont il faut les prendre.

Je ne sais pas pourquoi M. Henri Peña-Ruiz ne siège pas au Conseil. M. Blanquer l'a constitué sans me demander mon avis. Il est vrai que j'ai formulé quelques suggestions, qu'il a trouvées excellentes, mais dont il n'a pas tenu compte. Mme Catherine Kintzler y siège, qui est très proche de M. Henri Peña-Ruiz.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Nous les avons auditionnés ensemble.

Mme Dominique Schnapper. - La laïcité, c'est comme le reste : il y a toutes les familles ! Celle de M. Henri Peña-Ruiz est représentée par Mme Catherine Kintzler. Comme il fallait nourrir le Conseil, les quatre personnes que j'ai proposées au ministre ont finalement été acceptées. Mais je n'ai pas eu mon mot à dire sur la composition d'origine.

À Poitiers, nous faisons beaucoup d'enseignement pour les chefs d'établissement et les inspecteurs. Le rôle des premiers est primordial. Ils ont besoin à la fois d'outils intellectuels pour comprendre le problème et de se sentir soutenus dans leurs décisions. Ce sont eux que nous visons en particulier.

M. François-Noël Buffet, président. - Vos explications nourriront nos débats. Les rapports seront examinés le 16 mars en commission de la culture et le 17 mars en commission des lois, et l'examen du texte en séance publique débutera le 30 mars.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 45.