« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)


VII. JANINE ROZIER

Sans la parité, je ne serai pas là à m'exprimer devant vous. On m'a demandé de rendre témoignage de mon engagement politique. Je vais essayer de le résumer.

J'étais donc une mère de famille de quatre enfants qui s'occupait de ses enfants, qui habitait dans une commune rurale gérée par de vieux messieurs qui ne faisaient rien du tout, notamment pour les enfants et les familles. Alors je me suis dit que je parlais plusieurs langues, que j'étais clerc de notaire, que peut-être je pouvais faire quelque chose. En 1971, l'ancien maire n'ayant pas été réélu, il y a eu une crise municipale difficile. Tous les hommes élus se sont battus. Personne ne voulait être maire. On nous a mis sous délégation de la préfecture, bref... J'ai été sollicitée par une liste et tout le monde a été élu. C'était une liste composée de 10 hommes et moi, et je n'avais jamais assisté à une réunion de Conseil... J'ai accepté d'être maire. J'ai fait face et fait mon apprentissage sur le tas et pendant 5 mandats.

J'ai donc été trente ans maire. D'une commune qui comptait 900 habitants en 1971 (elle en a maintenant 3 500). À chaque mandat, j'ai fait entrer des femmes dans mon équipe et je trouve que les femmes sont très efficaces, qu'elles sont sérieuses et compétentes. Quand on leur donne un dossier, elles le mènent jusqu'au bout et cela a toujours été un plaisir de travailler avec des femmes.

En 1975, le Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, avait invité les femmes maires à fêter le 30 e anniversaire du vote des femmes. Nous n'étions que 2% de femmes maires en France. Et c'est peut-être là que je me suis dit qu'il fallait faire en sorte qu'il y ait davantage de femmes en politique.

Vous savez qu'à la suite du changement de gouvernement de 1981, de nouveaux cantons ont été créés. Dans le département où j'habite, il a été créé 5 nouveaux cantons dont un dans lequel était ma commune, qui était un canton dont on disait qu'il était « rouge » et il y avait beaucoup de candidats de gauche. Je n'avais aucun engagement politique à l'époque, je gérais seulement ma commune. Je me suis présentée et j'ai été élue.

Je pense avoir été élue parce que j'ai insisté dans ma profession de foi sur le fait qu'il fallait aussi élire des femmes.

Je dois dire que c'est extrêmement difficile, une élection cantonale, parce qu'on est tout seul. Quand ce sont les municipales, les législatives ou les régionales, on est dans une liste, mais aux cantonales, on se présente seul. Il faut afficher sa figure partout, il faut tenir des meetings, il faut dire « je suis la meilleure ». C'est très difficile de faire une campagne cantonale quand on est une femme, qu'on se trouve face à des militants extrêmement motivés, voire violents.

J'ai été 19 ans conseillère générale, seule femme avec quarante hommes. J'ai fait entendre la voix des femmes. Nous avons des choses à dire. Nous sommes de plain-pied dans la vie de tous les jours. Nous avons une autre façon de voir les choses et tendance à les juger avec le coeur.

Et en 2001, aux sénatoriales, grâce à la proportionnelle et à la parité, j'ai fait partie d'une liste « chabada ». J'étais la deuxième et j'ai été élue. Il s'avère que les deux autres sénateurs sont des hommes très connus, qui travaillent beaucoup, qui font beaucoup de choses, qui sont brillants. Il faut donc que j'existe.

Depuis mon arrivée au Sénat, à la commission des Affaires sociales, je me suis investie dans tous les problèmes qui touchent à la famille. Au titre de la Délégation aux droits des femmes, j'ai travaillé sur la loi relative à l'autorité parentale puis celle relative au divorce. Parce que je trouve que c'est un moyen de défendre la cause des femmes qui sont souvent victimes dans ces conflits familiaux surtout au travers de leurs enfants.

Je vais rapidement arriver à mes conclusions qui vont sans doute vous paraître terre à terre parce que les autres intervenantes ont toutes parlé de la loi, du Conseil constitutionnel, etc... et que moi, je vais parler des problèmes de tous les jours et dire que c'est très difficile pour une femme de s'engager en politique. Il y a des handicaps partout. Tout à l'heure, Madame Ameline, notre ministre, a dit que les jeunes femmes diplômées voulaient d'abord et surtout faire des enfants, et que c'était l'exception française.

Mais quand une jeune femme fait des enfants, il faut qu'elle porte le quotidien : son emploi, les maladies infantiles, les jours de grève à l'école, tout ce qu'il y a autour du quotidien et, à l'heure de son déjeuner, elle fait les courses pour assurer l'intendance de la famille. Comment veut-on qu'elle trouve encore le temps de s'engager dans la vie associative ou dans un conseil municipal, Donc, il y a là un handicap très sérieux, si on veut être à la fois une femme et une femme élue.

L'engagement politique, que qu'il soit est forcément (à partir du moment où on forme un couple) un engagement du couple. Il y a beaucoup de sacrifices à faire, beaucoup de couleuvres à avaler, et c'est quand même mieux quand on les avale à deux.

Vous vouliez connaître mon parcours d'élue. Je vous l'ai donné même si c'est d'une façon un peu lapidaire.

Pour ce qui est de mon avis sur une parité obligatoire, et instaurée, ce serait trop long à expliquer... Je dirai seulement qu'hommes et femmes sont complémentaires et que cette complémentarité est une richesse.

Le jour où les hommes auront compris que c'est une richesse, peut-être ne nous laisseront-ils pas seulement « les terres de mission » comme l'a dit Mme Pourtaud.

Il reste aux femmes à réussir à être à la fois l'âme de la maison, l'éducatrice des enfants et l'élue de terrain. Elles savent le faire quand les hommes leur laissent une petite place... .

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