AFFAIRES CULTURELLES

Table des matières


Mercredi 2 juin 1999

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. -

Espace - Orientation de la politique spatiale - Audition de M. Alain Bensoussan, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

La commission a entendu M. Alain Bensoussan, président du Centre national d'études spatiales (CNES), sur les orientations de la politique spatiale.

M. Alain Bensoussan a évoqué en premier lieu les enjeux du secteur spatial dans une perspective internationale. Il a souligné que ce secteur, dans lequel la France occupe la troisième place, connaît de profondes mutations. Si la période de compétition entre les Etats-Unis et l'Union soviétique pour la prééminence stratégique est révolue, le secteur spatial demeure caractérisé par d'importants financements publics. En effet, la part du chiffre d'affaires de l'industrie spatiale provenant de contrats publics est de 70 % aux Etats-Unis et de 60  % en Europe comme au Japon.

Les Etats-Unis occupent une place prédominante dans ce secteur auquel ils consacrent un effort financier considérable : les crédits fédéraux affectés à la politique spatiale représentent environ 24 milliards d'euros, soit 5 à 6 fois plus que l'ensemble des dépenses correspondantes des Etats européens. M. Alain Bensoussan a fait observer qu'un tel écart constituait un handicap pour l'Europe et qu'à ce titre il ne pouvait laisser indifférent.

Il a souligné que le secteur spatial, qui a longtemps été dominé par des considérations d'ordre militaire, est désormais de plus en plus soumis à des impératifs économiques et commerciaux en raison de l'importance prise par les applications civiles des technologies spatiales en matière de téléphonie, de navigation par satellite, d'observation de la terre ou encore de transmission de données. D'importants capitaux privés y sont investis. Ainsi, en 1997, 6 milliards de dollars ont été levés aux Etats-Unis sur les marchés financiers pour le secteur spatial. Le rôle des Etats, s'il est toujours essentiel, est donc appelé à évoluer.

Le secteur spatial, comme celui de l'aéronautique, est dominé par la rivalité entre les Etats-Unis et l'Europe, le Japon n'occupant qu'une place modeste. Les restructurations industrielles en cours ont pour seule finalité de renforcer les entreprises européennes et américaines pour leur permettre d'atteindre la taille critique dans un contexte de concurrence économique accrue mais n'ont pas pour effet de créer des interactions entre ces deux pôles.

M. Alain Bensoussan a souligné que le secteur spatial devenait de plus en plus européen sur le plan industriel mais également en matière de financements publics. En effet, l'Union européenne, qui n'avait pas jusqu'ici de compétences en ce domaine, lié traditionnellement à la politique de défense, est amenée à jouer un rôle de plus en plus actif, notamment en participant au financement du programme européen de navigation par satellite Galiléo. Néanmoins, l'Agence spatiale européenne (ESA) demeure un acteur dominant. Créée en 1973, elle regroupe l'ensemble des pays de l'Union européenne, à l'exception de la Grèce, du Luxembourg et du Portugal, ainsi que la Norvège, la Suisse, et le Canada qui bénéficie du statut d'Etat associé. Le budget de l'ESA, qui s'élève à 2,3 milliards d'euros, est financé à 30 % par la France. La France, qui est le premier pays contributeur, devant l'Allemagne et l'Italie, fait donc figure de " bon élève " de l'Europe spatiale.

M. Alain Bensoussan a ensuite présenté les activités du CNES. S'inscrivant dans le cadre de la politique d'indépendance stratégique conduite par le général de Gaulle, le CNES, créé en 1961, a pour mission de proposer des orientations pour la politique spatiale mais également de contribuer à leur réalisation. La nouvelle donne économique conduit désormais le CNES à s'orienter vers un rôle de partenaire industriel. Le budget du CNES, qui comprend la participation de la France à l'ESA, s'élève à 1,7 milliard d'euros, soit 1,4 milliard d'euros de subventions inscrites au budget de l'Etat et 0,3 milliard d'euros provenant de contrats avec le ministère de la défense.

Les activités du CNES concernent les différents aspects de la politique spatiale. Le CNES réalise le programme Ariane, lancé après l'échec du premier projet de lanceur européen Europa. Ce programme est un succès commercial ; en effet, ses parts de marché représentent la moitié du marché des lanceurs alors que les Etats-Unis n'en détiennent que 30 %. Le satellite d'observation de la terre Spot fournit des services dont la qualité est largement reconnue. Par ailleurs, le CNES conduit un programme scientifique dans le cadre d'un partenariat international. Enfin, grâce aux applications civiles du satellite Hélios conçu initialement pour le ministère de la défense, le CNES a permis à la France d'être le seul pays européen à mener à bien un programme dual en matière spatiale.

Enfin, M. Alain Bensoussan a commenté les conclusions de la conférence des ministres chargés de l'espace des pays de l'ESA qui s'est tenue à Bruxelles les 11 et 12 mai dernier. Après avoir rappelé que la précédente conférence ministérielle s'était réunie en 1995 à Toulouse, il a souligné l'importance de cette réunion au cours de laquelle a été adopté un programme de 4 milliards d'euros.

En matière de lanceurs, a été affirmée la volonté de conserver l'avance européenne en permettant l'évolution d'Ariane 5 vers la mise en place du lanceur Ariane 5 Plus offrant une charge utile plus importante et en lançant des travaux sur un futur lanceur réutilisable, décisions qui correspondaient aux souhaits de la France.

Deux programmes d'observation de la terre ont été adoptés, l'un à vocation scientifique et l'autre d'application.

Dans le domaine des systèmes de navigation par satellite, M. Alain Bensoussan a rappelé que les américains mettaient à disposition à titre gratuit les services de leur système, le " global positioning system " (GPS), conçu à l'origine à des fins militaires et source de nombreuses applications civiles. Il a fait observer que cette politique, proche de celle adoptée pour favoriser le développement d'Internet, avait pour effet de décourager toute initiative concurrente et d'assurer la domination technologique américaine. Soulignant les risques induits par le monopole détenu par les Etats-Unis en ce domaine, il a estimé nécessaire que l'Europe se dote d'un système comparable. A ce titre, il s'est félicité que le programme Galileo ait été approuvé par la dernière conférence interministérielle de l'ESA. Ce projet de constellation européenne, qui devrait être financé à parité par l'ESA et l'Union européenne, rencontre un vif succès. En effet, le programme de définition de la constellation a été souscrit par les Etats membres de l'ESA au-delà des prévisions initiales.

Les ministres ont également décidé que les engagements relatifs à la station spatiale internationale pris antérieurement seront tenus en dépit du moindre intérêt présenté désormais par ce projet.

Enfin, une modification du processus de décision au sein de l'agence a été envisagée, afin notamment de tenir compte du rôle croissant joué par l'Union européenne dans le financement des programmes qu'elle met en oeuvre.

En conclusion, M. Alain Bensoussan a souligné la nécessité de procéder à une restructuration des organismes publics participant à la politique spatiale qui apparaissent trop encore comme le produit de l'histoire de chaque pays européen.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Pierre Laffitte a félicité M. Alain Bensoussan pour la clarté et la précision de son exposé. Il a souligné l'enjeu stratégique essentiel que constitue la politique spatiale pour l'Europe, qui ne peut s'en tenir à son effort actuel, plus de cinq fois inférieur à l'effort américain, si elle veut être compétitive et assurer son indépendance, notamment son indépendance stratégique. Il s'est ainsi fait l'écho des inquiétudes qu'inspirent le monopole américain de système de navigation et ses effets induits.

Il a salué les orientations définies à Bruxelles et la volonté du ministre de la défense de renforcer les moyens consacrés à la politique spatiale, mais a souhaité une démarche commune de tous les Parlements européens tendant à inciter la Commission européenne à développer tous les aspects de la politique spatiale. Il a rappelé que les applications civiles des technologies spatiales représentaient un marché considérable, notamment dans les domaines des télécommunications et de l'observation terrestre.

M. Pierre Laffitte a estimé que si les décisions prises lors de la conférence interministérielle de Bruxelles allaient dans le bon sens, l'effort financier consenti était encore insuffisant et ne permettait pas de rattraper le retard pris par l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis.

Il a ensuite indiqué qu'un groupe d'études sur la politique spatiale française et européenne avait été constitué, et que M. Henri Revol préparait un rapport sur la politique spatiale française pour l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Mme Hélène Luc a également déploré le retard européen et a demandé si les vols habités étaient appelés à se développer.

M. Adrien Gouteyron, président, a demandé des précisions sur la participation européenne au projet de station spatiale internationale. Rappelant que l'ESA était une agence de coopération interétatique, il a voulu savoir comment s'organiseraient les rapports entre l'ESA et l'Union européenne pour la question du programme Galiléo. Il a souhaité connaître le montant des crédits qui seront alloués au développement de ce programme. Il a enfin posé une question sur l'importance de la base française de lancement de Kourou pour la politique spatiale européenne.

M. James Bordas a demandé des précisions sur le lanceur Ariane 5 Plus, et sur les coopérations qu'Alcatel développait en Russie.

Reprenant la parole, M. Pierre Laffitte a indiqué avoir constaté une réelle volonté des industriels russes de coopérer avec la France. Il a estimé qu'il était important d'associer la Russie au développement du système Galiléo afin de bénéficier de son expérience dans ce domaine.

M. Jean Bernard a souhaité savoir si l'on entraînait encore en France de futurs astronautes appelés à participer à des vols habités.

En réponse aux intervenants, M. Alain Bensoussan a apporté les précisions suivantes :

- dans le cadre du groupe parlementaire sur l'espace, des parlementaires anglais, italiens, allemands et français ont été sensibilisés aux enjeux de la politique spatiale ;

- les vols habités ont constitué, depuis le départ, un élément clé de la politique spatiale américaine. Ils ont été un élément très important de la compétition entre les Etats-Unis et l'URSS, et ils ont aussi, en tant que grande aventure humaine, exercé une certaine fascination sur le grand public. Ces programmes sont cependant très coûteux et les vols habités ne seront probablement plus organisés que dans le cadre du programme de station spatiale internationale. Les pays européens participeront au financement de ce programme à hauteur de 8 %, soit près de 70 milliards de dollars ;

- il y aura des astronautes européens à bord de la station spatiale internationale, mais ils seront vraisemblablement entraînés aux Etats-Unis ;

- l'Union européenne n'est pas appelée à s'intéresser à tous les aspects des activités menées par l'ESA, qui devrait notamment rester seule compétente dans des domaines comme la science spatiale, ou la gestion de la participation européenne à la station spatiale internationale. En revanche, l'Union européenne s'intéresse aux aspects économiques de la politique spatiale, et le projet Galiléo est de sa compétence en tant qu'il constitue une infrastructure de transport. L'ESA jouera sans doute le rôle de maître d'oeuvre de ce projet, pour ce qui concerne la réalisation de la constellation satellitaire ;

- les crédits destinés au programme Galiléo devaient s'élever à 80 millions d'euros, alloués à parité par l'ESA et l'Union européenne, pour la phase de définition du programme allant jusqu'à 2000. Ces prévisions seront largement dépassées, la contribution de l'ESA s'élèvera à 60 millions d'euros, l'apport de l'Union européenne devrait être équivalent. Le montant total des crédits disponibles jusqu'à la fin de l'an 2000 atteindrait donc 100 à 120 millions d'euros ;

- Ariane 5 représente une nouvelle génération de lanceur. Elle offre une charge utile de 6 tonnes qui ne lui permet pas d'atteindre son seuil de rentabilité, c'est-à-dire deux mises en orbite à chaque lancement. En effet, les satellites de télécommunications qu'elle a vocation à placer en orbite géostationnaire pèsent en moyenne 5,5 tonnes chacun. Le programme de développement Ariane 5 Plus doit permettre d'élever la capacité de charge utile du lanceur à 9 tonnes dès 2001, puis 11 tonnes en 2006. Enfin, un programme de recherche a été mis en place tendant à développer les capacités du lanceur afin qu'il puisse mettre en orbite basse des constellations de satellites ;

- Alcatel tend à prendre place sur le marché russe des satellites de télécommunications. Dans le cadre de la société STARSEM, Alcatel, en partenariat avec Arianespace, commercialise déjà avec succès le lanceur Soyouz et cherche à développer diverses applications civiles ;

- la Russie a mis en place un système de navigation, le Glonass, concurrent du GPS, et serait disposée à coopérer avec l'Europe dans la mise en place du système Galiléo ;

- la proximité de l'équateur assure un réel avantage au centre de lancement de Kourou. L'initiative prise par la société Boeing de créer une base de lancement mobile située près de l'équateur souligne l'intérêt de cette position stratégique. Aucune alternative n'étant envisageable en Europe, la pérennité du centre de Kourou est essentielle au développement de la politique spatiale européenne. Cet enjeu doit être pris en compte dans la définition de la politique de développement de la Guyane.

Mission d'information à l'étranger - Liban, Syrie et Jordanie - Communication

Au cours de la même réunion, la commission, sur la proposition de M. Adrien Gouteyron, président, a décidé de demander l'autorisation d'organiser pendant l'intersession une mission d'information sur les relations culturelles, scientifiques et techniques de la France avec le Liban, la Syrie et la Jordanie.