AFFAIRES CULTURELLES

Table des matières


Mercredi 9 juin 1999

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. -

Audition de M. Eric Giuily, président-directeur général de l'Agence France-Presse

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Eric Giuily, président-directeur général de l'Agence France-Presse (AFP).

M. Eric Giuily a présenté en premier lieu sa vision de la situation de l'agence à l'heure actuelle.

Il a estimé que celle-ci vivait depuis de nombreuses années dans un paradoxe permanent : on annonce son déclin mais elle perdure et tend même à se consolider en dépit de faiblesses évidentes. Un constat identique avait inspiré l'élaboration d'un plan de développement dès 1981 : c'est le gage d'une indéniable stabilité.

A partir de cette constatation, M. Eric Giuily a esquissé le bilan de la décennie écoulée, faite de réformes réelles mais inachevées.

L'AFP a admis les réalités financières et managériales mais reste dans une situation économique insatisfaisante. La marge d'autofinancement est passée de 24 millions de francs en 1990 à 140 millions de francs en 1995 pour redescendre à 100 millions de francs en 1998. L'autofinancement de l'agence représente 11 % de son chiffre d'affaires.

Un développement a été amorcé sur les marchés internationaux : de 1990 à 1995, le chiffre d'affaires correspondant a augmenté de 50 %.

Cependant, on constate à partir de 1995 une stagnation de la relance commerciale, en raison spécialement de l'effritement de certains marchés traditionnels, en particulier celui de la presse française, dont le nombre des titres régresse. Des efforts de relance ont eu lieu en 1996, en direction de l'Amérique latine entre autres. Il n'en reste pas moins que de 1996 à 1998, le développement escompté n'a pas eu lieu, la marge d'autofinancement s'est dégradée et les charges de personnel, représentant 60 % des charges globales en 1995, sont passées à 65 % de celles-ci en 1998.

Actuellement, les positions de marché de l'AFP restent importantes : elle est la première agence de presse francophone et arabophone, la première en Asie, et compte parmi les trois premières agences de presse présentes dans la plupart des pays européens ; elle a, en outre, repris son développement en Amérique du Sud et s'est séparée de l'agence Associated press en Amérique du Nord où elle a fortement développé sa position dans le secteur de la photo ; le chiffre d'affaires sur les marchés internationaux est passé de 18 % du chiffre d'affaires total en 1990 à 28 % en 1999.

M. Eric Giuily a conclu ces observations en estimant que l'AFP n'avait pas su évoluer vers d'autres métiers à l'instar de nombre de ses concurrents. Elle ne s'est pas tournée vers l'information financière comme Reuter, ni vers le secteur des images animées comme Associated press. Ses tentatives d'aller au-delà de ses métiers traditionnels n'ont guère donné de résultats.

En ce qui concerne les causes de cette situation, M. Eric Giuily a estimé que l'agence ne disposait pas d'un " management " efficace. Elle souffre en outre de cloisonnements très forts : entre journalistes et autres métiers, entre directions, sans compter les clivages syndicaux. Une culture d'entreprise très prégnante rend les changements lents et coûteux. C'est ainsi que la décentralisation amorcée au milieu des années 1980 n'est pas encore achevée. La direction générale reste donc engorgée par une centralisation très forte.

Par ailleurs, le poids des " us et coutumes " de l'entreprise et la pratique très développée du consensus font obstacle au changement.

En définitive, l'agence a du mal à définir un projet collectif et à se forger une vision de son devenir. Elle vit une crise permanente que le renouvellement de son président tous les trois ans porte à son paroxysme.

Enfin, l'AFP ne sait pas " se vendre " bien qu'elle dispose d'un service commercial d'une cinquantaine de personnes.

L'absence d'actionnaires, qui nourrit une culture d'institution publique, ne favorise pas l'évolution de cette situation.

A partir de ce constat global, M. Eric Giuily a indiqué que l'action qu'il entend lancer au cours des prochaines années s'inscrivait dans le cadre de la plate-forme stratégique que le conseil d'administration avait adoptée le 2 février dernier avant la désignation du nouveau président.

Cette plate-forme implique une modification de l'organisation de l'agence. C'est ainsi qu'ont été nommés deux directeurs généraux adjoints et un directeur de la communication, et que le recrutement d'un directeur commercial est en cours, sa mission étant de mettre en place un service de marketing efficace.

La plate-forme implique aussi la modification des modes de gestion. La collégialité des décisions sera renforcée, ainsi que la transparence et la continuité de l'action. Une forte décentralisation est nécessaire, de même que le renforcement de l'autorité de la hiérarchie intermédiaire qui sera, en contrepartie, soumise au principe du " reporting ". Des objectifs seront ainsi fixés à chaque niveau hiérarchique, les résultats étant périodiquement analysés en vue des corrections à effectuer. Tout ceci s'inscrit difficilement dans la culture actuelle dans l'entreprise.

Pour faire passer ces intentions dans les faits, la définition d'un projet est nécessaire. Ce sera le plan stratégique 2000-2005 prévu par la plate-forme du 2 février.

Son objectif sera de faire de l'institution AFP une véritable entreprise. Un calendrier de travail en trois phases a été élaboré. Un rapport d'étape sur le plan stratégique, préparé par des groupes de travail et soumis au comité d'entreprise ainsi qu'aux syndicats, sera examiné par le conseil d'administration du 24 juin prochain. Un projet de plan devra être présenté le 24 septembre, et le plan définitif entériné le 8 novembre.

Indiquant que ce plan serait défini selon une procédure fondée sur la concertation, M. Eric Giuily a évoqué la problématique dont il devrait tenir compte. Le problème majeur est celui de l'augmentation des charges, plus rapide que celle du chiffre d'affaires, spécialement en raison de la rotation très faible et de l'ancienneté moyenne, supérieure à vingt ans, du personnel, ce qui donne à la pyramide des âges de l'agence un profil très défavorable : 0,5 % seulement du personnel a moins de vingt-cinq ans.

Il est alors nécessaire de trouver des revenus supplémentaires sur les nouveaux marchés ou sur les marchés internationaux. On peut penser à la photo, ou au multimédia dans la mesure où l'agence brasse une masse énorme d'informations très faiblement utilisée (sur les 1.600 dépêches quotidiennes, environ une quinzaine est utilisée par la presse). Il devrait être possible de mobiliser cette ressource au profit d'autres clients demandeurs d'une information ciblée. Ceci implique cependant la création de services nouveaux que l'agence n'a pas, en l'état, les moyens de financer. Elle ne dispose en effet actuellement, sur sa marge d'autofinancement, que de quelque vingt millions de francs pour financer son développement.

Pourtant, l'idée de cibler l'information est intéressante, et la fiabilité de l'AFP ainsi que sa capacité de hiérarchiser l'information apparaissent comme un atout indéniable. Par ailleurs, on ne saurait considérer l'information gratuite disponible sur Internet comme une concurrence sérieuse dans la mesure où cette information n'est ni sûre, ni classée.

Il faut cependant observer que les marchés multimédia sont aléatoires, et que la culture d'entreprise de l'AFP n'est pas adaptée à leurs exigences.

M. Eric Giuily a observé que l'AFP n'avait au maximum que trois ans pour prendre des parts significatives du marché du multimédia. Il sera nécessaire de rechercher des partenariats. Cette recherche conduira à s'interroger sur le statut de l'AFP, en particulier sur l'absence d'actionnaires, et, si l'idée d'un conseil d'administration composé de clients était conservée, à s'interroger sur la composition de l'actuel conseil, qui reflète mal la clientèle actuelle.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Louis de Broissia a demandé si la responsabilité de l'AFP comme diffuseur, et celle de son président comme directeur de la publication, ne seraient pas susceptibles d'être engagées à l'avenir dans la perspective du développement dans le multimédia et de l'abandon consécutif de la spécialisation dans des activités de " grossiste " .

M. Jean-Paul Hugot a demandé si l'AFP allait s'adresser à l'avenir directement aux utilisateurs individuels.

M. Jacques Legendre a demandé quel était le rôle de l'agence en matière de francophonie.

Mme Danièle Pourtaud s'est aussi enquise de l'évolution de l'AFP vers la fourniture directe de prestations à des utilisateurs finaux, notamment à l'international. Elle a noté que certains clients traditionnels de l'agence, tels que TV5 et RFI, se lançaient dans la publication d'informations sur Internet et a demandé s'ils apparaissaient comme des partenaires ou des concurrents sur ce créneau.

Elle a d'autre part demandé quelle était la position de l'AFP en ce qui concerne la rémunération des journalistes pour l'utilisation de leur production sur de nouveaux supports.

M. Ivan Renar a demandé quelles étaient les forces et les faiblesses rédactionnelles de l'agence, et quelle serait la composition idéale de son conseil d'administration.

M. André Maman a remarqué que les difficultés de l'agence reflétaient les maux traditionnels de la société française et s'est inquiété de la possibilité réelle d'opérer un changement profond compte tenu, en particulier, du bref laps de temps disponible.

Mme Hélène Luc a noté que le personnel de l'AFP était très attaché à l'entreprise et a souhaité approfondir les raisons pour lesquelles les changements avaient échoué jusqu'à présent. Elle a rappelé qu'une agence d'information spécialisée dans les questions d'éducation venait d'être créée, et a demandé ce qui expliquait que l'AFP ne propose pas un service équivalent. Elle a enfin souhaité savoir si le président Giuily entendait obtenir la modification de la composition du conseil d'administration.

En réponse à ces interventions, M. Eric Giuily a apporté les précisions suivantes :

- les atouts de l'AFP ne sont pas négligeables. Ses positions de marché, en particulier, restent solides ;

- l'agence ne doit pas chercher à s'éloigner de sa vocation de grossiste ou semi-grossiste. Il y a eu quelques tentatives d'expérimenter, par l'intermédiaire de partenaires extérieurs, la commercialisation d'informations à l'unité. On ne peut considérer comme de la vente au détail la fourniture de contenus destinés à un service intranet d'entreprise ;

- la composition actuelle du conseil d'administration ne reflète pas l'activité de l'agence. Par ailleurs, les règles de gestion sont extrêmement contraignantes. La nécessité, par exemple, de présenter un budget en équilibre est inadaptée aux lois économiques qui régissent le secteur de l'information ;

- l'agence cherchera à développer son activité de grossiste en exploitant le label de qualité que personne ne lui conteste, la fiabilité de ses informations et sa capacité de les hiérarchiser afin de les rendre mieux accessibles au public. Telle est sa mission permanente. Sa mission nouvelle et supplémentaire sera la fourniture de contenus ciblés ;

- en ce qui concerne la francophonie, il appartient à l'Etat de prendre clairement position sur la vocation de l'agence. En tant que client, il peut être attaché à la possibilité de disposer de dépêches issues d'une entreprise de culture européenne et française. En tant qu'autorité publique, il peut souhaiter que l'AFP contribue au rayonnement de la langue française et de la francophonie, et il l'utilise comme instrument de transfert d'une aide financière indirecte à la presse écrite. Si l'Etat souhaite une agence purement francophone, cela coûte 1,5 milliard de francs, dont il prend 6 millions de francs à sa charge, et la clientèle n'apportera pas la différence. Il faut cependant tenir compte du fait qu'il est nécessaire d'émettre dans d'autres langues que le français pour élargir la clientèle internationale. Au demeurant, cette activité, qui suscite certes des surcoûts, participe au maintien de la présence française dans le monde ;

- les synergies avec d'autres acteurs publics ne s'imposent pas nécessairement en matière de partenariat sur les nouveaux marchés, dans la mesure où ces entreprises font face aux mêmes problèmes d'organisation que l'AFP ;

- en ce qui concerne la qualité rédactionnelle des dépêches, il existe un savoir-faire indéniable, mais l'Agence manque de spécialistes dans certains secteurs : les sciences, la technologie, la santé. Elle fonctionne en effet comme une organisation généraliste qui compense la faible rotation de son personnel par des solutions de mobilité interne d'efficacité limitée. C'est ce qui explique largement que l'accent soit mis sur le créneau institutionnel, politique et international alors que les domaines faisant appel à des compétences plus " pointues " sont un peu délaissés. C'est la raison pour laquelle des agences spécialisées se créent ;

- l'AFP dispose incontestablement d'une marge d'action dans la mesure où, contrairement à une entité comme la société française de production (SFP), elle répond à un besoin non satisfait par ailleurs. Un processus de transformation profonde en partenariat avec des entreprises qui croient aux atouts de l'AFP est possible, à condition d'obtenir le consensus du personnel, du conseil d'administration et de l'Etat sur cette vision. Dans le cas contraire, on peut s'attendre à ce que l'AFP poursuive encore longtemps une existence précaire ;

- en ce qui concerne les droits d'auteur des journalistes, la notion de première publication n'a pas de sens pour l'AFP. Les dépêches ne sont pas signées, remaniées à de nombreuses étapes, et utilisées déjà sur de multiples supports. La rémunération des journalistes correspond à ces multiples publications. Il n'est cependant pas sûr que cette interprétation, la seule qui permette le développement de l'AFP dans le multimédia, soit partagée par les pouvoirs publics.

Justice - Protection de la prescription d'innocence et des droits des victimes - Examen du rapport pour avis

La commission a ensuite examiné le rapport pour avis de M. Louis de Broissia sur le projet de loi n° 291 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (chapitre IV du titre Ier et chapitre premier du titre II).

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, a rappelé que certaines dispositions du projet de loi, figurant au chapitre IV du titre Ier ainsi qu'au chapitre 1er du titre II, intéressaient le droit de la presse et celui de la communication audiovisuelle.

Il a noté que les relations de la justice et de la presse ne seront sans doute jamais faciles. En effet, leurs méthodes diffèrent : formalisme de procédures destinées à permettre de cerner la vérité au plus près d'un côté, grande liberté d'action de l'autre. Leurs objectifs diffèrent aussi : rendre la justice et contribuer au fonctionnement de l'Etat de droit pour la justice, animer l'espace public démocratique et intéresser les lecteurs pour la presse. Avec la place croissante des affaires pénales dans la presse, et les stratégies diverses parfois développées en direction de la presse par le monde judiciaire, ces contradictions ont tendance à s'accentuer.

Les conséquences de cette situation sont connues : la présomption d'innocence, proclamée par la Déclaration des droits de l'homme de 1789, est trop souvent bafouée, non sans dommages parfois irréparables pour les personnes.

A ceci s'ajoutent les problèmes que le traitement médiatique des affaires pénales pose parfois au regard des droits des victimes et du respect qui leur est dû.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, a souligné qu'il était justifié de tenter marquer de façon plus claire, dans ces différents domaines, le rôle, les responsabilités et les limites de la presse et de la justice.

Le projet de loi ne lui a pas semblé y parvenir de façon véritablement satisfaisante.

Il a noté, en particulier, que la liberté de l'information, qui constitue à ses yeux une référence incontournable, n'était pas évoquée dans ce texte, sinon peut-être, de façon très allusive, à l'article 24 relatif à la possibilité de faire appel d'une décision prise en référé limitant la " diffusion de l'information ". La différence d'approche avec celle de la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, qui consacrait son titre V au " respect de la présomption d'innocence et des garanties de la liberté de l'information ", lui est apparue symptomatique et regrettable.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, a ensuite noté que le souvenir d'incidents récents plus ou moins significatifs des pratiques de la presse dans le traitement des affaires judiciaires d'une part, et, d'autre part, le " pillage " de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, avaient tenu lieu d'inspiration aux auteurs du projet de loi.

Il a insisté sur le fait que le chapitre Ier du titre II a été largement bâti, avec l'actif relais de l'Assemblée nationale, grâce au transfert dans le code pénal d'un certain nombre de dispositions figurant actuellement dans la loi de 1881, en parfaite méconnaissance de la signification emblématique de ce grand texte fondateur de nos liberté publiques. Il a noté à titre d'exemple que l'article 26 transposait la substance des troisième et quatrième alinéas de l'article 38, ainsi que de l'article 39 quinquies de la loi de 1881. Il a aussi rappelé que l'article 27 ter reprenait les dispositions des articles 39 bis et 39 ter de la même loi.

Il s'est interrogé sur la signification de ces transferts, dans la mesure où l'on entend parfois avancer l'idée que le régime dérogatoire de répression pénale des infractions de presse mis en place par le législateur de 1881 accorde aux médias des avantages excessifs, et il a affirmé son attachement à l'intégrité du " bloc juridique " que le droit de la presse constitue encore dans une large mesure, dans la tradition de la démocratie française.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, a ensuite mis en évidence les défauts de cohérence qui atteignent la substance du projet de loi.

Les dispositions examinées par la commission articulent trois notions deux à deux : la présomption d'innocence et la liberté de l'information d'une part, les droits des victimes d'infractions pénales et la liberté de l'information de l'autre. Une quatrième notion, la dignité de la personne humaine, surgit cependant inopinément, ce qui nuit à la cohérence de mesures proposées.

Le port des menottes, par exemple, porte sans doute plus gravement atteinte à la dignité de la personne qu'à la présomption d'innocence. Or seule la protection de l'image des personnes présumées innocentes, c'est-à-dire non condamnées, est prévue par le projet de loi, en son article 22. Après une première condamnation, même non définitive, tout devient possible. Ainsi la focalisation du texte sur la présomption d'innocence a-t-elle conduit le Gouvernement à élaborer un dispositif critiquable au regard du respect de la dignité humaine, que la commission ne pourrait élargir qu'en modifiant l'objet-même du projet de loi, en quittant le terrain qui a motivé sa saisine pour avis, -celui de la conciliation entre la liberté d'expression et la présomption d'innocence- ce qui n'apparaît guère souhaitable.

Dans le même ordre d'idées, M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, a aussi relevé que la publication d'images de victimes, régie par l'article 26, posait en réalité problème au regard des atteintes qu'elle peut porter à la dignité et aux droits de la personne livrée à la curiosité publique, et non en fonction de la nature de l'événement -crime, délit, catastrophe, fait de guerre- qui fait de quelqu'un une victime. Le projet de loi ne protège cependant que les victimes de crimes et de délits, pérennisant ainsi - puisqu'il modifie en fait légèrement la portée d'une disposition qui figure actuellement dans la loi de 1881 - une discrimination peu admissible entre des catégories de personnes dont la dignité et l'affliction sont identiques.

Une fois encore, le choix de légiférer sur un créneau très étroit dans des matières posant des problèmes de principes très généraux, a conduit à des solutions contestables.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, a achevé son exposé introductif en revenant sur la question de la conciliation des principes de liberté de l'information, de présomption d'innocence et de protection des victimes.

Rappelant que selon certaines interprétations, la liberté d'expression n'était pas un droit absolu, contrairement à la présomption d'innocence, estimant que cette logique avait implicitement inspiré la rédaction du projet de loi, notant qu'elle débouchait sur l'idée de rendre à la présomption d'innocence toute sa place, fût-ce au détriment de la liberté de l'information, relevant qu'il devenait alors tentant de contourner les avantages de procédure que la loi de 1881 accorde à la presse, en intégrant les délits de presse dans le code pénal, et qu'il devenait imaginable de créer de nouvelles limitations à la liberté de publications dans les domaines liés plus ou moins à l'objectif de protection de la présomption d'innocence, M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, a indiqué que telle n'était pas la démarche qu'il allait proposer à la commission.

Sans réduire la portée de la présomption d'innocence, proclamée par l'article IX de la Déclaration des droits de 1789 et indispensable à l'organisation d'une défense équitable, il est possible de ne pas y voir un droit absolu. De bons auteurs notent d'ailleurs que la présomption d'innocence est historiquement un principe de procédure obligeant la personne chargée d'instruire un dossier pénal à rapporter la preuve de l'infraction avant la phase du jugement. La transformation de la présomption d'innocence en " l'un des droits de l'homme les plus capitaux ", pour reprendre l'expression d'un juriste, est un phénomène récent dont la mise en oeuvre ne doit pas porter atteinte à des principes plus traditionnels du régime français des libertés publiques.

Dans ces conditions, il est possible de considérer que la conciliation de la présomption d'innocence et de la liberté de l'information passe par la mise en oeuvre de cette liberté dans son acception la plus large. Elle comporte en effet des droits et des limites, qu'il appartient au législateur de fixer en fonction des objectifs énumérés par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme. Au nombre de ces limites, se trouvent manifestement les objectifs actuels de la présomption d'innocence : la protection des droits d'autrui et la garantie de l'impartialité du pouvoir judiciaire. C'est donc à partir d'une compréhension globale de la problématique de la liberté de l'information qu'il convient d'examiner les relations de la presse et de la justice, démarche que M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, a proposé à la commission d'adopter en examinant le projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes.

La commission a ensuite abordé l'examen des articles.

Un débat a eu lieu sur l'article premier (article 226-30-1 nouveau du code pénal - interdiction de publier l'image d'une personne portant des menottes et de réaliser ou diffuser un sondage sur la culpabilité d'une personne mise en cause).

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis, s'est interrogé sur l'utilité d'interdire la réalisation de sondages -qui n'a pas d'intérêt s'ils ne peuvent être publiés- et a noté qu'il paraissait nécessaire d'interdire également de montrer des personnes innocentes placées en détention. Il a d'autre part jugé logique d'insérer les dispositions de l'article dans la loi de 1881 et d'harmoniser leur rédaction avec celle de cette loi.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé que l'interdiction de réaliser un sondage sur la culpabilité justifiait l'insertion de ce texte dans le code pénal et a jugé nécessaire d'étendre l'interdiction de publier des images du port des menottes à toutes les personnes concernées, y compris quand elles sont condamnées.

Tout en convenant que l'interdiction de réaliser des sondages serait difficile à faire respecter, M. Serge Lepeltier s'est prononcé en faveur de cette interdiction, notant qu'il serait possible à la presse, sans les publier, d'utiliser de tels sondages pour présenter des affaires en tenant compte de l'opinion supposée du public.

Mme Danièle Pourtaud a estimé que l'emploi du terme " diffuser " était justifié par l'intention d'inclure les nouveaux supports de l'information dans le champ d'application de l'interdiction concernant les images du port de menottes ou d'entraves.

M. Jean-Paul Hugot a noté qu'une extension de l'interdiction de diffuser des images de personnes menottées au-delà de la première condamnation ferait sortir le projet de loi de la logique de la présomption d'innocence.

A l'issue de ce débat, après avoir reçu les explications de son rapporteur pour avis, la commission a adopté un amendement proposant une nouvelle rédaction de l'article 26 et tendant à :

- inscrire les dispositions proposées dans la loi de 1881 ;

- préciser leur rédaction et l'harmoniser avec celle de la loi de 1881 en se référant à la notion de publication plutôt qu'à celle de diffusion ;

- interdire la publication d'images de personnes en détention provisoire ;

- maintenir l'interdiction de réaliser des sondages sur la culpabilité ;

- étendre l'interdiction à la publication de commentaires de tels sondages ainsi qu'à la réalisation, la publication et le commentaire des autres formes de consultation du public ;

- prohiber enfin la publication de données permettant d'accéder aux résultats de ces sondages ou de ces consultations.

A l'article 22 bis (article 803 du code pénal - photographie ou enregistrement audiovisuel des personnes menottées ou entravées), la commission a adopté un amendement proposant pour cet article une nouvelle rédaction qui insiste sur l'obligation d'éviter le port des menottes aux personnes présumées innocentes et aux mineurs.

A l'article 23 (article 13 de la loi du 29 juillet 1881 et article 6 de la loi du 29 juillet 1992 - exercice du droit de réponse), après un débat au cours duquel M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé inopportun de réduire à trois mois le délai de demande d'exercice du droit de réponse dans la presse écrite, la commission a adopté un amendement proposant une nouvelle rédaction de cet article afin de porter uniformément à trois mois le délai ouvert aux personnes souhaitant exercer le droit de réponse dans la presse écrite ou dans un service de communication audiovisuelle.

A l'article 25 (articles 11, 177-1, 199, 212-1 et 803 du code de procédure pénale - publicité de l'instruction pénale, insertion forcée à la suite d'une décision de non-lieu, photographie ou enregistrement audiovisuel de personnes menottées ou entravées), après un débat auquel ont participé, outre le président et le rapporteur pour avis, MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Serge Lepeltier, la commission a adopté un amendement restreignant à la rectification d'informations inexactes et recentrant sur le souci d'assurer le respect de la présomption d'innocence l'usage des communiqués des procureurs de la République visées au paragraphe Ier de cet article.

A l'article 26 (article 226-30-2 nouveau du code pénal - reproduction des circonstances d'un crime ou d'un délit, portant atteinte à la dignité de la victime), après un débat au cours duquel M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé inopportun de maintenir le texte actuel de l'article 38, alinéas 3 et 4, de la loi du 29 juillet 1881, la commission a adopté un amendement ayant pour objet :

- de supprimer les dispositions relatives à la publication des circonstances d'un crime ou d'un délit, proposées pour l'article 226-30-2 nouveau du code pénal et de maintenir en vigueur les alinéas 3 et 4 de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 ;

- de réintégrer dans la loi de 1881, dans une rédaction plus précise que celle proposée, les dispositions relatives à la communication de l'identité d'une victime d'agression ou d'atteinte sexuelles.

A l'article 27 (article 227-24-1 nouveau du code pénal - interdiction de publier des renseignements sur l'identité d'un mineur victime d'une infraction), la commission a adopté un amendement proposant une nouvelle rédaction ayant pour objet :

- de regrouper en un seul article les dispositions relatives à la publication d'informations concernant des mineurs proposées par l'article 27 et par l'article 27 ter (nouveau) ;

- d'insérer ou de maintenir l'ensemble de ces dispositions dans la loi de 1881 ;

- d'harmoniser la rédaction de cet article avec celle proposée, à l'article 26, pour l'article 39 quinquies de cette loi.

A l'article 27 ter nouveau (article 227-24-2 nouveau du code pénal - diffusion de renseignements concernant l'identité d'un mineur fugueur ou d'un mineur qui s'est suicidé), la commission a adopté un amendement de suppression de cet article en conséquence de l'amendement adopté à l'article 27.

Après avoir adopté les amendements proposés par son rapporteur pour avis, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des dispositions du chapitre IV du titre Ier et chapitre premier du titre II du projet de loi ainsi modifiées.

Nomination de rapporteurs

Au cours de la même réunion, la commission a nommé M. Jean-Paul Hugot, rapporteur du projet de loi n° 292 (1998-1999) modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication.

Elle a enfin décidé de surseoir à la nomination d'un rapporteur sur la proposition de loi n° 374 (1998-1999), de M. Ivan Renar et plusieurs membres du groupe communiste républicain et citoyen, relative à l'organisation de l'archéologie, jusqu'à la transmission du projet de loi n° 1575 (A.N.) relatif à l'archéologie préventive, et de joindre l'examen de ces deux textes.

Audition de M. Alain Bensoussan, président du Centre national d'études spatiales - Erratum

Erratum à l'audition de M. Alain Bensoussan, président du Centre national d'études spatiales.

Au bulletin n° 30 du samedi 5 juin 1999, p. 4379, au lieu de : " Dans le cadre de la société Starsem, Alcatel, en partenariat avec Arianespace, commercialise déjà avec succès le lanceur Soyouz et cherche à développer diverses applications civiles ; ... ", lire : " Dans le cadre de la société Starsem, Aerospatiale, en partenariat avec Arianespace, commercialise déjà avec succès le lanceur Soyouz ; ... "