Table des matières




Mardi 28 mai 2002

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Audition de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication

La commission a d'abord entendu M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

M. Jacques Valade, président
, a ouvert la réunion en souhaitant la bienvenue à M. Jean-Jacques Aillagon. Il a informé la commission que certains commissaires appartenant aux groupes socialiste et communiste républicain et citoyen lui avaient fait part de leur intention de ne pas participer aux auditions de ministres avant la reprise des travaux parlementaires après les élections législatives : il a pris acte de leur décision, tout en la regrettant. Il lui a, au contraire, paru opportun de mettre à profit le « temps de latence » actuel pour recevoir certains des nouveaux ministres, en particulier ceux qui ne sont pas issus du monde politique, afin de leur permettre d'exposer à la commission leurs premières orientations.

Avant de donner la parole au ministre, M. Jacques Valade, président, a évoqué les excellents rapports qu'il avait entretenus avec la commission, lorsqu'il assurait la présidence du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, et noté que les sénateurs avaient apprécié la politique d'ouverture et d'échanges entre le Musée national d'art moderne et les autres musées qu'il avait fait prévaloir. Rappelant que la culture et la communication occupaient une place éminente parmi les préoccupations de la commission, il a indiqué au ministre qu'elle avait mis en place deux missions d'information consacrées à l'exploitation cinématographique et à la gestion des collections des musées.

Remerciant le président de ses propos de bienvenue, M. Jean-Jacques Aillagon a exprimé son souhait de développer des relations étroites avec la commission, dont il appréciait la qualité du travail législatif, et avec le Sénat, dont les représentants dans les instances dirigeantes du Centre Georges Pompidou lui avaient toujours apporté un concours précieux.

Il a indiqué que depuis sa prise de fonctions il avait eu à coeur d'effectuer plusieurs déplacements sur le terrain, où se trouvent les acteurs de la vie culturelle, dont il a souligné la richesse, notant qu'elle ne se limitait pas à Paris, les collectivités locales en étant devenues les principaux promoteurs.

Il a mentionné, parmi les dossiers ayant sollicité son attention depuis son arrivée au ministère, le problème de l'avenir du financement de la production cinématographique, dont il avait pu s'entretenir à Cannes avec les représentants de l'ensemble de la profession, les difficultés de Canal Plus et de Vivendi ainsi que plusieurs questions intéressant la télévision. Il a, en particulier, été amené à aborder le lancement de la télévision numérique de terre et à poser, sans ambages, le problème de la spécificité de l'audiovisuel public.

Il a indiqué que, très sollicité par les dossiers de la communication, dont les enjeux économiques et commerciaux aussi bien que culturels sont importants, il n'en était pas moins très attaché à l'association de ce secteur avec celui de la culture dans les structures ministérielles. Il a illustré son propos en rappelant la nécessaire participation de l'audiovisuel public à la politique culturelle et l'importante contribution financière apportée par la télévision au cinéma. Celui-ci est le point de rencontre emblématique entre la logique de la culture et celle de la communication.

Conformément au souci du Premier ministre de privilégier la réflexion et l'écoute pour mesurer les attentes du corps social, il a fait part de son souhait de promouvoir un ministère de la culture attentif et ouvert, dont la qualité des relations avec les collectivités locales, les grands établissements mais également les industries culturelles doit être améliorée afin d'en faire un ministère de service et non l'instrument d'un projet politique conçu a priori. Il a exprimé sa volonté de libérer les initiatives pour que la culture devienne l'affaire de tous mais également pour accroître le rayonnement international de la France et donner une réalité plus sensible au concept de diversité culturelle.

Revenant aux problèmes de la communication audiovisuelle, M. Jean-Jacques Aillagon a estimé indispensable que les programmes de la télévision publique revêtent une « autre couleur ». La télévision publique, qui constitue avec l'école le support le plus efficace de l'accès des jeunes à la culture, doit poursuivre des objectifs ambitieux en matière de qualité et de diversité de l'information et du débat, ainsi qu'en matière de diffusion culturelle, à l'image de ce que la radio publique tente de faire non sans succès.

Il a indiqué qu'il avait exprimé au président de France Télévisions, dans le respect des responsabilités rédactionnelles des chaînes et de la compétence du CSA, son souci que la télévision de service public fasse un effort supplémentaire pour atteindre ces objectifs.

M. Jean-Jacques Aillagon a fait part de sa volonté de renforcer l'autonomie des grands établissements afin de les libérer d'une tutelle infantilisante incapable d'assurer son rôle d'orientation et d'impulsion, d'engager un dialogue sur le long terme et de leur donner plus de responsabilité. A cet égard, il a estimé nécessaire de promouvoir une réforme des statuts de l'établissement public du musée du Louvre pour renforcer l'autorité de la direction sur les différents départements qui le constituent. Mais il a fait observer que l'autonomie ne signifiait pas l'indépendance. Les missions des grands établissements doivent être réaffirmées afin d'en faire les agents d'une véritable décentralisation, à l'image de ce que s'efforce de pratiquer le Centre d'art et de culture Georges Pompidou en matière de dépôts, de prêts d'oeuvres comme de production d'expositions hors les murs. Leur image très forte doit constituer, en outre, un moyen de renforcer l'influence internationale de la France, notamment par le rôle qu'ils ont à jouer dans la formation des élites des pays en voie de développement.

En ce qui concerne les relations avec les collectivités locales, M. Jean-Jacques Aillagon a déclaré que serait engagée, dans deux régions françaises, une expérience de « remise à plat » complète de leurs relations avec le ministère, dans la perspective d'une redéfinition des rapports entre l'Etat et les régions.

Soulignant l'enjeu culturel et économique de l'accès au marché des produits des industries culturelles, il a souhaité promouvoir rapidement une diminution significative de la TVA sur le disque.

En conclusion de son propos, le ministre a considéré nécessaire de veiller à ce que le ministère dispose des moyens nécessaires. Rappelant l'engagement du président de la République de sanctuariser le budget de la culture, et les effets catastrophiques de la régulation budgétaire de l'été 1997, il a déclaré que la réalité des dotations budgétaires serait un des critères de la crédibilité de son action.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Ivan Renar, approuvant les propos tenus par le ministre en matière d'aménagement culturel du territoire, a rappelé l'existence de profondes inégalités entre les régions et l'engagement dans l'action culturelle de certaines d'entre elles en l'absence même de compétences propres. Soulignant l'importance de l'effort fourni en ce domaine par la région Nord-Pas-de-Calais, il a souhaité qu'elle soit incluse dans l'expérience menée sur les rapports entre l'Etat et les régions.

Il a demandé pour quelles raisons le ministre avait proposé de reporter le lancement de la télévision numérique de terre, rappelant que le Nord-Pas-de-Calais construisait un partenariat dans ce domaine avec la future chaîne des régions créée par France Télévisions.

Il a approuvé le lancement d'un débat sur l'exécution des missions de la télévision publique, notant que l'existence de la chaîne Arte ne devait pas exonérer les autres chaînes de leurs responsabilités en matière de diffusion culturelle.

Il a ensuite interrogé le ministre sur la date de publication des décrets d'application de la loi créant les établissements publics de coopération culturelle ; sur la portée de la notion de « sanctuarisation » du budget de la culture et sur ses intentions concernant l'avenir du régime d'indemnisation du chômage des intermittents du spectacle.

Après avoir rappelé l'importance des actions de proximité pour la diffusion de la culture scientifique et technique, M. Pierre Laffitte a estimé nécessaire d'infléchir en ce sens l'action de la cité des sciences et de l'industrie.

Il s'est déclaré en accord avec la position du ministre sur le lancement du numérique de terre, estimant imprudent d'engager sans précaution des investissements d'infrastructures très coûteux, alors que la télévision numérique peut utiliser le support d'internet avec des financements beaucoup plus modestes.

M. Louis Duvernois, rappelant que, parmi les cinq principaux Etats, la France était la seule à ne pas disposer d'une chaîne internationale d'information et notant que TV5 était seulement la chaîne de la francophonie et non pas la « voix de la France », a demandé ce qu'il en était du projet, évoqué par le président de la République au cours de la campagne électorale, de création d'une chaîne internationale française d'information.

M. Jack Ralite a estimé nécessaire que l'Etat fasse preuve de fermeté afin que les difficultés financières du groupe Vivendi Universal ne remettent pas en cause l'avenir des industries culturelles. La France doit réaffirmer au niveau international son attachement à la culture. Alors que se manifeste une poussée populiste, il convient de rappeler que la liberté de création ne se négocie pas. Évoquant la préparation de l'exposition « Images 2004 » en Seine-Saint-Denis, il a estimé nécessaire que l'Etat apporte son soutien à des projets de cette nature, qui sont de grande qualité culturelle.

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis du budget de la culture, s'est inquiété de l'évolution des crédits du patrimoine, citant en particulier la suppression de la ligne budgétaire individualisant les crédits consacrés au patrimoine non protégé, et des budgets d'acquisition des musées.

M. Ambroise Dupont a interrogé le ministre sur sa conception de la décentralisation culturelle en matière patrimoniale, soulignant qu'en ce domaine les spécificités locales devraient être prises en compte.

En réponse à ces questions, M. Jean-Jacques Aillagon a apporté les indications suivantes :

- les lacunes de l'action menée par la cité des sciences et de l'industrie dans les régions traduisent le manque d'intérêt du ministère en matière de diffusion de la culture scientifique. La politique doit être conduite en ce domaine à Paris comme en régions. Certaines institutions en province sont dans une situation d'abandon préoccupante ;

- deux projets importants sont prévus en 2004, celui concernant Lille, capitale culturelle de l'Europe, et celui de la Plaine-Saint-Denis, qu'il convient d'expertiser notamment sur ses aspects financiers, dans la mesure où l'Etat s'est déjà beaucoup engagé sur le premier ;

- le dossier de la chaîne française internationale d'information relève de la compétence conjointe du ministère des affaires étrangères et de celui de la culture et de la communication. Deux opérateurs ont manifesté leur intérêt pour ce projet : France Télévisions et RFI, qui fait état de la force de son réseau international de correspondants. Il convient d'éviter une concurrence inopportune entre ces deux entreprises afin de réaliser, à l'image de ce que représente l'Agence France Presse dans son domaine, un instrument efficace de l'influence et du rayonnement international de la France ;

- le débat entre création et patrimoine est dépassé. Un des fondements de l'action du ministère est de conduire une politique ambitieuse des patrimoines, qui doit s'appuyer sur les collectivités locales. Les expériences de décentralisation culturelle lancées dans ce domaine, par exemple en matière d'inventaire, seront poursuivies. Cependant, l'Etat doit continuer à exercer des prérogatives régaliennes, en particulier à travers le classement, même si de nouvelles formes de protection, définies au niveau local, peuvent être mises en place ;

- les partenaires sociaux sont les garants du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Le maintien de ce régime qui assure la stabilité de leurs conditions d'existence est très important. Cependant, il est nécessaire de remédier à certains abus.

Audition de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire et de M. François Loos, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire et de M. François Loos, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche.

M. Jacques Valade, président, a remercié les trois nouveaux ministres d'avoir accepté ce premier échange de vues et a rappelé que l'éducation et la recherche étaient au coeur de la compétence de la commission, qui a constitué deux missions d'information qui travaillent actuellement sur le patrimoine immobilier universitaire et sur la diffusion de la culture scientifique.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, a indiqué que la lutte contre la fracture scolaire constituait l'une des priorités du Gouvernement et que six chantiers seraient engagés pour atteindre cet objectif :

- la lutte contre l'illettrisme : la gravité de ce phénomène est attestée par la comparaison entre les performances des élèves présentés au certificat d'études dans les années 20 et ceux d'un échantillon représentatif de collégiens de classe de cinquième d'aujourd'hui confrontés à la même dictée. Le ministre a indiqué que les élèves de cours préparatoire en situation de grande difficulté au regard de l'apprentissage du français l'étaient également dans toutes les autres disciplines et que rien n'avait été fait depuis dix ans pour remédier à cette situation ;

- la revalorisation de l'enseignement professionnel : rappelant que 150.000 collégiens sortaient chaque année du système éducatif sans diplôme ou qualification, il a noté qu'aucune amélioration n'avait été constatée en ce domaine depuis 1994, et qu'une revalorisation de l'enseignement professionnel supposait une meilleure articulation entre ce dernier et l'enseignement général ;

- la lutte contre la violence scolaire et la restauration de l'autorité dans les établissements ;

- la recherche d'une déconcentration accrue et d'une plus grande autonomie des établissements ;

- la réduction de l'échec dans les premiers cycles universitaires, notamment par une remise à niveau des étudiants dans le domaine de la culture générale ;

- un renforcement de l'attractivité des enseignements scientifiques qui pâtissent d'une désaffection des étudiants, en France comme d'ailleurs dans d'autres grands pays occidentaux.

M. Luc Ferry a estimé que ces six chantiers, auxquels il convient d'ailleurs d'ajouter la question de l'encadrement des établissements et du pilotage du système éducatif, constituaient déjà des objectifs très ambitieux.

Développant tout d'abord les actions prévues dans le cadre de la lutte contre la violence scolaire, M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, a indiqué qu'il conviendrait, à ce titre, d'écarter d'abord du système scolaire les élèves -peu nombreux- en situation de quasi-délinquance, de renforcer le dispositif des classes relais, dont le nombre devrait être doublé en deux ans, et qui ont vocation à accueillir temporairement des élèves en situation de rupture scolaire autour de projets pédagogiques spécifiques bénéficiant d'un encadrement renforcé.

Il a également précisé que les capacités du dispositif dit de l'école ouverte devraient être doublées, afin d'accueillir hors des périodes scolaires des élèves qui seraient autrement livrés à eux-mêmes en leur offrant des activités diversifiées, et il a estimé que le retour à la paix scolaire était un objectif prioritaire.

Il a ajouté que la lutte contre l'illettrisme passait aussi par un développement des nouvelles technologies dès l'école primaire, que l'action internationale du ministère serait encouragée par une politique de coopération au niveau européen, mais aussi par des accords bilatéraux avec les pays africains, que les dispositifs territoriaux comme les contrats de ville ou les contrats locaux de sécurité, qui associent les collectivités locales et l'éducation nationale, seraient aménagés et simplifiés et qu'une réflexion serait engagée sur un statut des écoles du premier degré.

M. François Loos, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, a précisé que la tâche qui lui était impartie consistait tout à la fois à encourager les jeunes à se diriger vers les métiers de la recherche et à renouer le dialogue entre la Nation et ses chercheurs.

Il a d'abord insisté sur la nécessité de relancer les actions consacrées au développement de la culture scientifique et technique dans notre pays et s'est également prononcé en faveur du réexamen des dispositifs d'aide aux chercheurs. Après avoir déploré la faiblesse actuelle du montant des allocations de recherche, il a souhaité l'harmonisation européenne de ces aides. S'inquiétant enfin de l'ampleur de la fuite des cerveaux qui touche notre pays, il a indiqué que seules des mesures destinées à réconcilier les jeunes et la science permettraient d'enrayer durablement ce phénomène.

M. François Loos a ensuite exposé ses intentions en matière d'orientation des actions de recherche. Après avoir précisé qu'au niveau international la recherche était désormais divisée en cinq secteurs distincts (sciences de l'univers ; nanosciences et nanotechnologies ; environnement, énergie et développement durable ; information et communication ; sciences du vivant), il a souligné la place grandissante prise par les questions scientifiques dans notre société. Les progrès de la génomique et la recherche de nouvelles sources d'énergie notamment, loin d'être cantonnés au domaine scientifique, sont devenus de véritables problèmes de société. Cette nouvelle situation rend indispensable une présence plus dynamique de la recherche française dans ces domaines.

Le ministre a rappelé que le repositionnement de la recherche nationale était par ailleurs rendu nécessaire par les modalités d'attribution des crédits européens. En effet, le budget européen de recherche et développement est réparti en fonction de l'existence, dans chaque Etat membre, de réseaux de recherche et d'excellence. Le renforcement des réseaux nationaux grâce à la redéfinition de nos efforts de recherche permettrait donc d'accroître la compétitivité de notre pays et d'améliorer le « taux de retour » de la France dans ce domaine.

M. François Loos a enfin précisé que son action s'attacherait à résoudre les problèmes de « vie à l'université ». Il a souligné la nécessité d'assurer une gestion prévisionnelle des effectifs tant au niveau des étudiants qu'au niveau des enseignants-chercheurs. Après avoir reconnu que des efforts avaient déjà été engagés en ce domaine par les gouvernements précédents, il a déploré que toutes les conclusions n'en aient pas été tirées. Compte tenu du départ en retraite d'un nombre important de chercheurs dans les années à venir, il a estimé que le recours à ce type de gestion était indispensable pour assurer efficacement l'adéquation des orientations nationales et des souhaits d'orientation des étudiants.

Un large débat s'est ensuite engagé.

M. Michel Guerry s'est enquis des mesures envisagées pour inciter les professeurs chevronnés à enseigner dans les établissements scolaires les plus difficiles.

Rappelant l'importance des activités sportives dans sa ville, M. Bernard Murat s'est inquiété des conséquences de la partition intervenue au plan ministériel entre la jeunesse et les sports et a estimé souhaitable de clarifier sur le terrain les responsabilités en ce domaine.

M. Ivan Renar a souhaité obtenir des précisions sur les orientations qui seront retenues par le Gouvernement pour rétablir l'« ascenseur social », notamment en direction des jeunes sans qualification, et sur la poursuite de la politique engagée en faveur du lycée des métiers.

Il a estimé que l'illettrisme était principalement à l'origine de l'exclusion sociale. Notant que le développement de la sensibilisation des élèves à la culture et de leurs contacts avec l'art et les artistes étaient aussi de nature à réduire le phénomène de la violence scolaire et à faciliter la compréhension de la valeur du travail, il s'est demandé si les expériences engagées en ce domaine par les deux ministères concernés seraient poursuivies.

Il a rappelé qu'une mission d'information de la commission des affaires culturelles du Sénat sur l'orientation des étudiants avait proposé un certain nombre de mesures intéressantes pour réduire l'échec universitaire dans les premiers cycles et a souhaité que la politique d'aménagement du territoire en matière de recherche soit infléchie, afin que des régions importantes, comme celle du Nord - Pas-de-Calais, n'en soient pas exclues.

Il a enfin exprimé sa préoccupation concernant un développement insuffisant de la culture scientifique, alors que les lois de 1982 sur la recherche et de 1984 sur l'enseignement supérieur stipulaient que les établissements avaient vocation à participer à la vulgarisation scientifique, et il a constaté que la progression de l'irrationnel résultait pour une large part d'un manque de culture scientifique et d'esprit critique des citoyens.

M. Jacques Valade, président, a souligné que les conclusions de la mission d'information de la commission chargée d'étudier le patrimoine immobilier universitaire seraient en temps utile portées à la connaissance du Gouvernement. Au sujet de la « fracture scolaire », il s'est par ailleurs interrogé sur les conséquences de la scolarité obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans pour des élèves qui sont en situation d'échec ou de refus scolaire.

Après avoir manifesté son accord avec les priorités présentées, notamment pour lutter contre l'illettrisme et les violences scolaires, M. Philippe Richert, rapporteur pour avis du budget de l'enseignement scolaire, a rappelé que la commission s'était récemment interrogée sur la pertinence de l'approche interdisciplinaire retenue par les nouveaux programmes du primaire pour l'enseignement du français et s'est demandé si cette approche répondait véritablement aux besoins des élèves en difficulté.

Il a par ailleurs exprimé la crainte que le développement de l'apprentissage des langues étrangères et des enseignements artistiques dans le premier degré, dans le cadre d'un horaire hebdomadaire nécessairement contraint, s'effectue au détriment de l'acquisition des fondamentaux.

En ce qui concerne la lutte contre la violence scolaire, il a rappelé l'efficacité aujourd'hui relative du dispositif des classes-relais et a estimé que le doublement de ces classes devrait s'accompagner d'un fonctionnement plus satisfaisant.

Il a enfin demandé des précisions sur le maintien et le développement de la politique engagée en faveur de l'internat dans les collèges.

M. Louis Duvernois s'est félicité de la priorité accordée aux actions internationales, en rappelant toutefois que le conseil supérieur des français de l'étranger souhaitait que l'agence pour l'enseignement français à l'étranger, qui a la responsabilité de quelque 400 établissements, soit placée sous la double tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'éducation nationale.

Il s'est également inquiété de l'application des décisions prises pour permettre à nos universités de valider des formations acquises par les étudiants français dans des universités étrangères.

M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis du budget de la recherche, a mis l'accent sur les problèmes de l'innovation et du développement d'une culture de l'innovation dans notre pays en évoquant le rôle en ce domaine des méthodes pédagogiques, comme celles introduites notamment par Célestin Freinet, et plus récemment par Georges Charpak (« la main à la pâte ») pour les jeunes enfants.

Après avoir souligné le rôle fondamental joué par l'innovation dans les économies occidentales, il s'est inquiété du retard pris, en ce domaine, par la France et par l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis. Il a pourtant rappelé que la France disposait des outils nécessaires pour développer à la fois l'esprit d'innovation et l'attrait des disciplines scientifiques chez les jeunes : la visite des technopôles et des centres de recherche nationaux fait ainsi chaque année naître des vocations parmi les jeunes tandis que l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR) et la loi sur l'innovation constituent autant d'outils mobilisables pour le développement de l'innovation. S'appuyant sur l'exemple des structures décentralisées de l'ANVAR, il a souligné que la mise en place d'une politique audacieuse de l'innovation répondrait parfaitement au souhait du Gouvernement de prendre en compte la « France d'en bas ».

Il a enfin souhaité la création d'une « université sans murs » qui mettrait en relation les pôles innovateurs à l'échelle nationale, voire européenne : une telle initiative permettrait d'accroître l'attractivité du territoire national et d'attirer, ou de retenir, les spécialistes les plus imaginatifs et les plus compétents.

M. Pierre Martin est revenu sur la comparaison effectuée entre les résultats des élèves au certificat d'études, dans les années 20, et ceux des élèves d'aujourd'hui, qui n'est pas à l'avantage de ces derniers en dépit d'une scolarisation beaucoup plus précoce.

Il a souligné la nécessité de redonner une véritable autorité aux maîtres et de restaurer le prestige de la fonction enseignante.

Il a par ailleurs regretté l'absence d'une véritable politique de l'école en milieu rural et a souhaité un développement des regroupements pédagogiques pour offrir un enseignement de qualité à l'ensemble des élèves.

Rappelant enfin que tous les ministres de l'éducation nationale avaient le souci d'attacher leur nom à une réforme, il s'est interrogé sur le bien-fondé de certaines initiatives proposées dans le passé et a souligné la nécessaire continuité des actions entreprises, qu'il s'agisse de la lutte contre l'illettrisme ou de l'aménagement des rythmes scolaires, dont les dispositifs se sont succédé au cours des années récentes sans toujours tenir compte de l'avis de tous les acteurs concernés.

M. Jean-Claude Carle est convenu de la nécessité de revaloriser l'enseignement professionnel, notamment en adaptant de manière plus satisfaisante l'offre de formations aux besoins de l'économie.

Il a constaté que toutes les tentatives engagées en ce sens jusqu'à ce jour avaient échoué parce que notre société continuait de privilégier l'abstraction au détriment de l'intelligence manuelle, ce qui fait obstacle à une orientation librement choisie par les élèves vers l'enseignement professionnel.

Répondant à ces interventions, M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, a notamment apporté les précisions suivantes :

- le regroupement ministériel de la jeunesse et de l'éducation nationale devrait permettre, à tous les niveaux du ministère, d'adresser aux jeunes un message de reconnaissance et de respect très différent de la « démagogie jeuniste » entretenue depuis trente ans ; au plan local, les centres régionaux d'éducation physique et sportive relèveront du ministère des sports tandis que les directions de la jeunesse et des sports seront placées sous la tutelle des deux ministères ;

- le sport, qui emprunte à bien des égards à l'idée républicaine, a un rôle important à jouer dans la valorisation des engagements républicains, qu'il s'agisse de l'égalité des chances, du respect des règles et de la canalisation des énergies ;

- le rétablissement de l'« ascenseur social » et la revalorisation de l'enseignement professionnel constituent des priorités qui se heurtent cependant, pour des raisons historiques, à de grandes difficultés : la conjonction de deux réformes, excellentes dans leur principe, a conduit en effet à envisager l'allongement de la scolarité obligatoire à 16 ans dans le seul cadre du collège unique ; dans ces conditions, les élèves n'avaient aucune raison de s'orienter vers l'enseignement professionnel, sinon par défaut, compte tenu du contenu « peu enthousiasmant » des enseignements technologiques proposés au collège ;

- il convient ainsi de revaloriser sans démagogie l'enseignement professionnel -qui n'est plus aujourd'hui ce qu'il était au début des années 80- en le déconnectant de l'échec scolaire et en développant le concept de lycée des métiers qui permet de diversifier le lycée professionnel, du CAP jusqu'aux licences professionnelles. Dans le même temps, le collège unique dont les parcours ont déjà fait l'objet d'un début de diversification avec les itinéraires de découverte, devra être maintenu en accordant toutefois une place plus importante aux mesures concrètes de rattrapage scolaire, notamment en direction des élèves les plus en difficulté : l'implantation de classes de troisième en lycée professionnel, accueillant des élèves conservant leur statut de collégien, et le développement de classes de quatrième autorisant des formations professionnelles en alternance, aussi bien au collège qu'en lycée professionnel ou en entreprise, participent de ce souci d'aménager la filière générale du collège ;

- le phénomène de l'illettrisme a été dissimulé depuis dix ans et a été hâtivement attribué à des causes telles que la massification de l'enseignement scolaire, la méthode globale de lecture aujourd'hui abandonnée, l'insuffisance de moyens et la concurrence de l'écrit et de l'écran : en fait, l'horaire consacré à la lecture et à l'écriture pendant le temps scolaire varie dans une proportion de un à quatre selon les enseignants et 80 % des élèves qui éprouvent de graves difficultés de lecture en cours préparatoire ne rattrapent jamais leur retard ; alors que les élèves de CP n'écrivent aujourd'hui, dans la réalité, que quelques lignes au cours de la journée scolaire, il convient d'imposer un horaire de deux heures et demie consacré chaque jour à la lecture et à l'écriture dans toutes les disciplines, et pas seulement en français ;

- le traitement des élèves en grande difficulté passe aussi par un dédoublement des classes de CP et par des actions de remédiation, notamment en matière de lecture, utilisant largement les nouvelles technologies.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, a pour sa part apporté les précisions suivantes :

- l'affectation des enseignants dans les réseaux d'éducation prioritaire et dans les établissements sensibles s'effectue sur la base du volontariat : la mise en place de primes spécifiques et d'une bonification indiciaire contribue déjà à encourager les vocations mais le volant insuffisant des volontaires conduit à recourir à des professeurs débutants ou à des non titulaires, le ministère de l'éducation nationale ayant une capacité insuffisante pour gérer ses ressources humaines ; si la qualification universitaire des jeunes enseignants est souvent excellente, ils n'ont qu'une expérience pédagogique trop faible et ne sont pas convenablement préparés pour affronter des classes difficiles ;

- le développement des activités culturelles et artistiques à l'école est en effet susceptible de contribuer à réduire le phénomène de la violence en milieu scolaire, comme en témoignent l'implantation de classes à projet artistique et culturel dans les lycées professionnels, ainsi que certaines initiatives menées dans le domaine musical dans la région Nord - Pas-de-Calais et par l'Opéra de Paris ;

- le calendrier de réalisation du projet de généralisation de l'enseignement des langues vivantes dans le primaire devra être revu et celles-ci ne seront proposées à la rentrée prochaine que dans quelques académies pour la classe de CE2 :

- des expériences intéressantes ont été engagées en faveur du développement des internats au collège et il conviendra d'analyser comment elles ont été réalisées et financées pour savoir si elles pourront être développées ;

- conformément aux souhaits exprimés par le Premier ministre, l'action internationale du ministère devrait être développée afin d'exporter notre modèle éducatif, en particulier sous forme d'ingénierie éducative, et se traduira par des accords bilatéraux, notamment avec l'Allemagne ; il serait par ailleurs souhaitable que l'éducation nationale engage un dialogue avec le ministère des affaires étrangères pour renforcer les moyens de l'agence pour l'enseignement du français à l'étranger ;

- la disparition des écoles en milieu rural pose aussi des problèmes en milieu urbain, où les écoles doivent accueillir une population d'élèves croissante et « volatile ». Leur maintien est subordonné à l'existence et à une juste répartition des postes d'enseignants entre les villes et la campagne, compte tenu de l'évolution respective de leur population.

M. François Loos, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, a indiqué pour sa part que les deux décrets qui autorisent les universités à valider des formations acquises à l'étranger posaient trois problèmes : la définition de leurs modalités d'évaluation, les conséquences financières de l'abandon éventuel par les écoles d'ingénieur de leurs propres mastaires au profit du diplôme équivalent européen et la mise en place d'un système d'accréditation actuellement non défini. Il s'est engagé à trouver une solution sur ces trois points dans les six mois à venir en concertation avec les responsables des établissements concernés.