Table des matières




Mardi 1er octobre 2002

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Culture - Rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforcement de la protection sociale des auteurs - Audition de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication

La commission a entendu M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi n° 271 (2001-2002) relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs.

M. Jacques Valade, président
, a rappelé à titre liminaire que le projet de loi, déposé par le précédent Gouvernement, marquait l'aboutissement d'une concertation amorcée depuis de nombreuses années et menée par plusieurs ministres successifs de la culture : M. Philippe Douste-Blazy, Mme Catherine Trautmann et Mme Catherine Tasca. Il a observé que les exigences du calendrier d'examen de ce texte imposaient d'entendre le ministre le jour même de la présentation par le rapporteur de ses conclusions.

M. Jean-Jacques Aillagon a souligné que la question de la mise en oeuvre d'un droit de prêt en bibliothèque avait suscité un large débat au sein de l'opinion publique comme des professionnels du livre. Le long travail de concertation engagé par le ministère de la culture a permis de réduire les antagonismes et de bâtir un compromis auquel se sont ralliés les auteurs, les bibliothécaires, les éditeurs, les libraires, mais également les élus locaux.

Le développement du réseau de la lecture publique au cours des vingt dernières années et l'accroissement du nombre de prêts ont posé avec acuité la question de la rémunération des auteurs pour ce mode de diffusion de leurs oeuvres.

Le droit exclusif de l'auteur à autoriser le prêt de ses oeuvres, dont le principe est inscrit dans la loi française depuis 1957 et qui a été réaffirmé par la directive 92/100/CEE du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle, n'est pas appliqué. Afin de remédier à ce paradoxe, le Gouvernement a souhaité recourir à la possibilité ouverte par la directive de déroger au droit exclusif de l'auteur en lui garantissant, en contrepartie, une rémunération.

Le dispositif du projet de loi poursuit trois objectifs :

- mettre en oeuvre le droit des auteurs à une légitime rémunération au titre du prêt ;

- conforter l'action des bibliothèques pour favoriser l'accès de tous au livre ;

- associer le droit de prêt aux équilibres de la chaîne économique du livre et tout particulièrement à l'amélioration de la situation économique des libraires.

Le ministre a indiqué qu'avait été écarté le paiement à l'acte par l'usager dans le souci, partagé par de nombreux maires et conseils généraux, de ne pas remettre en cause le succès rencontré auprès du public par les bibliothèques. Pour autant, la charge de la rémunération au titre du prêt n'incombe pas aux seules collectivités territoriales mais repose également sur l'Etat, dans la perspective d'un renforcement de sa responsabilité dans la conduite de la politique en faveur du livre et de la lecture.

Le projet de loi s'articule en cinq points.

Il tend à assurer une sécurité juridique, d'une part aux auteurs en leur assurant une rémunération et, d'autre part, aux bibliothèques en garantissant leur droit de prêter.

Il prévoit d'instaurer un « prêt payé » d'avance, en amont de l'emprunt, financé conjointement par l'Etat et les collectivités territoriales. La rémunération est assise, d'une part, sur un prélèvement de 6 % versé par les fournisseurs sur le prix public des livres vendus aux bibliothèques de prêt et, d'autre part, sur une contribution forfaitaire annuelle payée par l'Etat par usager inscrit dans ces bibliothèques, dont le montant sera de 1,5 euro, un tarif moindre de un euro étant retenu pour les bibliothèques de l'enseignement supérieur. Des dispositions transitoires sont prévues afin de permettre une application progressive de la loi.

Afin de renforcer la situation économique des libraires, dont le rôle culturel est essentiel, le projet propose de modifier la loi de 1981 pour plafonner les rabais consentis sur les achats de livres réalisés par les collectivités à 12 % la première année d'application du dispositif, puis à 9 %. Le ministre a souligné qu'au moment où la lecture publique accusait un grand retard, la loi de 1981 avait apporté un soutien non négligeable aux collectivités territoriales en leur permettant de bénéficier de rabais dérogatoires pour développer les fonds de leurs bibliothèques. Désormais, l'effort de remise à niveau ayant été accompli, la part croissante des grossistes sur ce marché et l'inflation des rabais consentis aux collectivités qui en résulte pénalisent gravement les libraires de proximité.

Le ministre s'est déclaré persuadé que les libraires seraient les principaux bénéficiaires du plafonnement des rabais, qui n'a pas pour objet d'interdire aux grossistes l'accès au marché des bibliothèques. La concurrence entre les fournisseurs s'exercera sur le « mieux-disant » et non plus uniquement sur le « moins-disant ». Les libraires devront faire reconnaître la plus-value qu'ils sont en mesure d'apporter aux bibliothèques.

M. Jean-Jacques Aillagon a ensuite précisé que les ressources dégagées par le prêt payé, évaluées à 22 millions d'euros, feraient l'objet d'une double affectation.

Une partie sera consacrée au versement de droits d'auteur en fonction des exemplaires achetés pour les bibliothèques -et non du nombre de prêts- afin d'encourager la diversité de la production éditoriale. Les droits seront répartis à parts égales entre les auteurs et les éditeurs. Cette répartition conforme aux règles de la profession est le garant de l'efficacité du dispositif. Si l'auteur est au centre des préoccupations du Gouvernement, ce n'est pas en opposition à son éditeur, mais à ses côtés. Sans auteur, l'oeuvre n'existe pas, sans éditeur, c'est le livre qui n'existe pas.

La seconde part de la rémunération sera affectée au financement d'un régime de retraite complémentaire au bénéfice des écrivains et des traducteurs selon un mécanisme de mutualisation, qui a fait l'unanimité. En accroissant la protection sociale des auteurs qui se consacrent à titre principal à l'écriture et en leur permettant de bénéficier de retraites convenables, le Gouvernement poursuit également un objectif culturel.

M. Jean-Jacques Aillagon a déclaré que, face aux incertitudes que faisaient peser l'internationalisation et l'homogénéisation des productions culturelles, et face à l'influence de plus en plus grande de l'image et du divertissement, la défense et la promotion de la création sont un combat quotidien. Le projet de loi donne l'occasion de donner un sens à la mission de régulation qui incombe en ce domaine à la puissance publique.

En guise de conclusion, le ministre a souligné que l'affirmation du droit des auteurs, l'amélioration de leurs conditions d'existence et le soutien au réseau des librairies constituaient les principaux objectifs du projet de loi.

Un débat s'est alors engagé.

M. Daniel Eckenspieller, rapporteur, s'est interrogé sur la date à laquelle pourrait entrer en vigueur la loi et sur les mesures financières prévues pour permettre son application.

Il a souhaité savoir si les estimations réalisées sur les sommes nécessaires à la prise en charge par le droit de prêt d'une partie des cotisations dues par les écrivains et traducteurs au titre de l'assurance vieillesse-complémentaire prenaient en compte le coût de la validation des carrières de ces nouveaux affiliés.

Enfin, il s'est demandé dans quelle mesure le plafonnement des rabais ne permettrait pas aux grossistes, en améliorant leurs marges, d'offrir aux collectivités des services qui restaureront leur avantage concurrentiel face aux libraires traditionnels.

M. Ivan Renar, évoquant la place centrale qu'occupent les collectivités territoriales au sein du dispositif de la lecture publique, a souligné que le projet de loi leur imposait un effort supplémentaire. Il s'est demandé si les bibliothèques universitaires ne pourraient pas être dispensées du « prêt payé à l'achat ». Il a souhaité connaître la position du ministre sur la proposition, formulée par le rapport sur le droit de prêt remis au ministre de la culture en 1998 par M. Jean-Marie Borzeix, de créer un fonds spécial destiné à soutenir les secteurs en difficulté de l'édition. Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité de prévoir un mécanisme de répartition de la rémunération plus favorable aux auteurs.

Mme Marie-Christine Blandin a observé que le projet de loi, qui imposait des charges nouvelles aux collectivités locales, intervenait dans un contexte où les élus s'interrogeaient sur les projets de décentralisation et craignaient des transferts de compétence sans compensation financière. A cet égard, elle a estimé souhaitable que l'Etat soutienne les efforts des collectivités territoriales pour accroître les budgets d'acquisition de leurs bibliothèques. Elle s'est demandé si les écrivains qui n'exercent pas à titre principal leur activité d'auteur ne seraient pas les perdants du mécanisme proposé par le projet de loi. A ce titre, elle a considéré comme nécessaire que puisse être dressé un bilan de son application.

Après avoir rappelé que le développement de la consultation électronique fragilisait considérablement le secteur de l'édition scientifique, M. Pierre Laffitte a souhaité savoir si la consultation en bibliothèque entrait dans le champ du projet de loi.

M. Jack Ralite a considéré que le projet de loi établissait un équilibre entre les auteurs et les éditeurs, dont la situation n'était pas toujours florissante. Il a souligné que dans un contexte budgétaire tendu, l'accroissement des crédits d'acquisition des collectivités territoriales pouvait poser problème.

Il s'est félicité qu'à travers le projet de loi, le Gouvernement assume sa responsabilité publique dans un domaine qui relève du secteur privé en rétablissant les conditions de concurrence dans le secteur de la librairie entre les grossistes et les petits libraires.

Il a estimé que cette préoccupation devait également trouver son application face aux risques économiques, sociaux et culturels que représentait le démantèlement de la branche édition du groupe Vivendi Universal. Cet événement doit faire l'objet d'un débat public. C'est dans cette perspective que le groupe communiste républicain et citoyen a déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics par le groupe Vivendi Universal et sur le devenir des entreprises dudit groupe exerçant des missions de service public.

M. Jacques Valade, président, en prenant bien volontiers acte des préoccupations de M. Jack Ralite, a évoqué les propos tenus, lors de la Conférence des présidents, par le président de la commission des finances sur la recevabilité de la proposition de résolution du groupe communiste républicain et citoyen. Il a estimé que si, dans le cadre de ses compétences, la commission des affaires culturelles ne pouvait se désintéresser des questions essentielles que sont la défense de l'exception culturelle et la diffusion de la création française, il ne lui appartenait pas d'examiner la situation du groupe Vivendi Universal.

En réponse aux intervenants, le ministre a apporté les réponses suivantes :

- les questions de la date d'entrée en vigueur de la loi et des conditions de financement du dispositif sont liées. Une mesure nouvelle de 5,6 millions d'euros a été inscrite à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2003. Compte tenu des dispositions transitoires qui prévoient une application progressive de la loi, ces crédits sont suffisants pour permettre son entrée en vigueur dès le milieu de l'année 2003. Il y aura lieu de prévoir pour 2004 une enveloppe supplémentaire pour assurer l'application du dispositif en année pleine ;

- compte tenu du très faible nombre des bénéficiaires potentiels, le montant des cotisations perçues au titre de la retraite complémentaire des écrivains et traducteurs, évalué pour 2003 à 4,2 millions d'euros, sera très supérieur à celui des prestations servies, environ 365.000 euros. Cette situation d'équilibre très positif permettra de prendre en charge le coût des entrées tardives dans le régime ;

- la pérennité du réseau des librairies indépendantes constitue aux côtés des bibliothèques un atout culturel essentiel, notamment dans les villes petites et moyennes. Le Gouvernement a le devoir de soutenir ce réseau. La loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dispositif qui a été imité par d'autres pays européens, poursuivait cet objectif. Les libraires se trouvent dans une situation très délicate dans la mesure où les plus petits d'entre eux ne peuvent pas consentir des rabais aussi importants que les grossistes qui travaillent sur des quantités importantes. Cette concurrence inégale s'est traduite par l'érosion de la viabilité économique de l'activité des premiers. En égalisant les marges, le projet de loi, s'il ne défavorise pas les grossistes, permet aux libraires de survivre. Le plafonnement des rabais permettra, par ailleurs, de rétablir une situation d'égalité entre les communes, les plus importantes d'entre elles bénéficiant de remises supérieures à celles consenties par les fournisseurs aux petites communes ;

- le projet de loi donne satisfaction aux éditeurs, aux auteurs et aux bibliothécaires, dont les positions ont longtemps été antagonistes, tout en répondant aux attentes économiques du secteur du livre. Il s'agit d'un texte de paix culturelle, qui repose sur un équilibre, notamment fondé sur la répartition de la rémunération, élaboré et soutenu par l'ensemble des partenaires concernés ;

- le dispositif impose une charge financière directe à l'Etat et aux fournisseurs et, à travers le plafonnement des rabais, pourrait avoir un contrecoup sur les collectivités territoriales. De deux choses l'une, soit les budgets d'achat des bibliothèques seront reconduits et on constatera une baisse corrélative des acquisitions, soit les dotations seront augmentées. Les collectivités locales doivent prendre en considération l'intérêt culturel que représente la vitalité du réseau des librairies indépendantes tandis que celles-ci devront travailler à améliorer les relations qu'elles entretiennent avec les bibliothèques. La prise en charge par l'Etat de la contribution forfaitaire l'amènera à être directement comptable de la vitalité des bibliothèques. La dotation globale de décentralisation permet par ailleurs d'accompagner l'effort des collectivités territoriales en faveur de leurs bibliothèques par un soutien aux projets d'investissement et une aide au fonctionnement, qui pourrait être plus particulièrement axée sur les bibliothèques qui accroissent leurs budgets d'acquisition ;

- la consultation des livres dans les bibliothèques n'entre pas dans le champ du projet de loi. Les éditeurs et les auteurs ne revendiquent au demeurant aucun droit pour cet usage, dont ils mesurent l'importance. Offrir des fonds les plus documentés possibles à la consultation constitue une des missions fondamentales des bibliothèques universitaires. Il appartient de soutenir, par le biais du Centre national du livre ou des organismes de recherche, l'édition scientifique dont la situation est de plus en plus tendue en raison du rétrécissement de ses marchés ;

- le Gouvernement, dans les limites de ses compétences et de ses capacités d'intervention, demeure attentif au sort du groupe Vivendi Universal.

Culture - Rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforcement de la protection sociale des auteurs - Examen du rapport

Puis, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Daniel Eckenspieller sur le projet de loi n° 271 (2001-2002) relatif à la rémunération au titre du prêt enbibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs.

Le rapporteur a indiqué que le projet de loi proposait un dispositif équilibré recueillant l'assentiment des éditeurs, des auteurs et des bibliothécaires, qui permettait de concilier deux objectifs également légitimes : l'affirmation de la mission de service public des bibliothèques et le respect des droits des auteurs.

La directive communautaire du 19 novembre 1992, en affirmant le droit exclusif de l'auteur à autoriser ou à interdire le prêt d'exemplaires de son oeuvre par des bibliothèques ne dit rien d'autre que le droit français.

En revanche, l'intervention de ce texte a mis en lumière qu'en pratique, le droit de prêt n'était pas exercé et ne donnait lieu à aucune rémunération. Cette singularité est apparue d'autant moins légitime que l'article 5 de la directive ouvrait la possibilité pour les Etats de déroger au droit exclusif pour le prêt public à condition que les auteurs obtiennent une rémunération à ce titre.

Le dispositif proposé par le projet de loi recourt à cette possibilité en créant un régime de licence légale : l'auteur ne peut s'opposer au prêt de son oeuvre par des bibliothèques mais, en contrepartie, perçoit une rémunération. Ce mécanisme, légitime au regard de la mission de service public exercée par les bibliothèques, vise à conforter leur rôle éducatif et culturel, objectif qui a conduit le Gouvernement à faire assumer la charge de la rémunération, non pas à l'usager, mais aux collectivités afin de ne pas remettre en cause l'accès du plus grand nombre au livre.

Le rapporteur a rappelé que la rémunération était financée, d'une part par l'Etat sur la base d'une contribution forfaitaire annuelle versée à raison du nombre d'inscrits dans les bibliothèques accueillant du public pour le prêt, quel que soit leur statut, à l'exception des bibliothèques scolaires et, d'autre part, sur un prélèvement de 6 % à la charge des fournisseurs sur le prix public des livres achetés pour le prêt par ces bibliothèques.

M. Daniel Eckenspieller a observé que la charge effective de ce prélèvement dépendrait en pratique de la capacité des fournisseurs à récupérer son montant grâce à l'accroissement de leurs marges consécutif au plafonnement des rabais qu'ils consentent sur les achats de livres. En effet, le projet de loi propose de fixer à 12 %, pour la première année d'application de la loi, puis à 9 % le montant maximal de ces rabais. Cette mesure vise à permettre aux libraires, concurrencés de plus en plus durement par les grossistes, d'accéder à un marché vital pour leur survie, dont ils sont pour l'heure évincés en raison de l'inflation des remises.

Il a indiqué que ce plafonnement qui entraînerait un surcoût de 22,5 millions d'euros, dont près de 17 millions d'euros pour les seules collectivités territoriales, risquait de se traduire par un recul en volume des acquisitions des bibliothèques. Par ailleurs, après avoir observé que les principaux bénéficiaires de cette mesure seraient vraisemblablement les grossistes, et non les libraires indépendants, peu armés pour se plier aux contraintes administratives des procédures de marchés publics, le rapporteur a estimé nécessaire d'être attentif aux résultats effectifs de son application.

M. Daniel Eckenspieller, rapporteur, a indiqué que les sommes collectées au titre du droit de prêt, soit 22,4 millions d'euros, seraient réparties selon des modalités très éloignées de la conception française du droit d'auteur.

A l'image de ce qui se pratique dans bon nombre de pays européens, la mise en oeuvre du droit de prêt permettra de renforcer la protection sociale des auteurs, et en particulier des écrivains et des traducteurs qui, jusqu'à ce jour, ne bénéficiaient pas d'un régime d'assurance vieillesse complémentaire. Une part des sommes perçues sera affectée à la prise en charge d'une fraction au plus égale à 50 % des cotisations dues par ces derniers au titre de l'un des régimes existants pour les artistes auteurs dans le cadre de l'assurance vieillesse complémentaire des professions libérales auquel ils seront rattachés.

Le coût de ce mécanisme pèsera sur deux catégories d'auteurs, qui ne bénéficieront pas de ce dispositif et se verront privés de la part de rémunération correspondante : d'une part, ceux qui n'exercent leur activité créatrice qu'à titre accessoire et bénéficient d'une assurance vieillesse complémentaire au titre de leur activité principale, d'autre part, les artistes-auteurs -photographes ou illustrateurs- tirant la majorité de leurs revenus de leur activité créatrice mais qui bénéficient d'ores et déjà de régimes de retraite complémentaire. La légitimité de la charge qui est imposée à ces deux catégories d'auteurs au titre de la solidarité est discutable à bien des égards, notamment pour les seconds si l'on tient compte de la faiblesse des retraites complémentaires servies et du coût des cotisations qui leur sont imposées.

Le rapporteur a observé que le montant exact de ce « prélèvement social » sur la rémunération perçue au titre du droit de prêt n'avait pas été évalué avec précision, notamment en ce qui concerne les conditions de financement de la validation des carrières des affiliés entrant dans le régime.

Une fois soustraites les sommes affectées au financement de ce mécanisme complexe, le montant restant sera réparti entre les auteurs et les éditeurs à parts égales non pas en fonction du nombre de fois où les oeuvres sont empruntées mais à raison du nombre d'exemplaires acquis par les bibliothèques. Ce dernier critère, favorable aux auteurs les moins diffusés dans les circuits commerciaux, et qui permet par ailleurs de ne pas imposer de trop lourdes sujétions administratives aux bibliothèques, est toutefois très éloigné du principe d'une rémunération proportionnelle.

M. Daniel Eckenspieller, rapporteur, a souligné qu'en dépit de sa relative complexité, le projet de loi présentait le double mérite d'avoir fait prendre conscience aux auteurs et aux éditeurs de leur communauté d'intérêts et de remédier à une singularité française qui consistait à reconnaître aux auteurs un droit qui restait lettre morte.

Il a indiqué que ces propositions viseraient à apporter des améliorations rédactionnelles destinées à éviter des difficultés d'application mais également à assurer la cohérence du dispositif avec les principes du droit de la propriété intellectuelle.

A cet égard, le projet de loi comporte une ambiguïté fâcheuse en reconnaissant à égalité à l'auteur et à l'éditeur un droit à rémunération. Outre le fait que la rédaction du projet de loi qui fait référence à « l'éditeur ayant droit de l'auteur » pourrait laisser penser que le droit de prêt peut être cédé par l'auteur à l'éditeur, ce qu'exclut le mécanisme de licence légale, le dispositif laisse supposer que l'éditeur se voit attribuer un droit propre, comparable à un droit voisin. Or cela ne correspond aux intentions ni du Gouvernement ni des éditeurs.

Le rapporteur a estimé nécessaire de préciser que seul l'auteur détient un droit à rémunération. Certes, il est parfaitement légitime qu'une part de la rémunération bénéficie à l'éditeur, qui assume conjointement avec l'auteur le risque financier de l'exploitation de l'oeuvre. Le partage de la rémunération entre l'auteur et l'éditeur doit donc être réglé dans le cadre contractuel. Il paraît toutefois nécessaire, pour garantir les intérêts de l'auteur, de prévoir que la part revenant à l'éditeur ne peut excéder la moitié du montant total de la rémunération.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Mme Danièle Pourtaud s'est inquiétée des conséquences d'un partage conventionnel entre auteurs et éditeurs de la rémunération perçue au titre du prêt en bibliothèque pour les oeuvres dont les contrats d'édition ont été négociés avant l'entrée en vigueur de la loi.

Par ailleurs, elle s'est interrogée sur la possibilité pour les auteurs étrangers de bénéficier de la rémunération au titre du prêt en bibliothèque. Elle a souligné que le projet de loi procédait d'un compromis entre les auteurs et les éditeurs, dont il convenait autant que possible de ne pas remettre en cause les termes.

M. Daniel Eckenspieller, rapporteur, a indiqué que, pour les oeuvres déjà éditées, la répartition de la rémunération perçue au titre du prêt en bibliothèque pourrait faire l'objet d'un avenant au contrat d'édition ou d'un nouveau contrat.

Les auteurs étrangers bénéficieront des dispositions du projet de loi dans la mesure où la législation de leur pays d'origine reconnaît le droit de prêt conformément au principe de réciprocité.

Il a par ailleurs fait observer qu'il convenait de relativiser l'importance des sommes susceptibles d'être réparties entre les auteurs et les éditeurs au titre du prêt en bibliothèque, rappelant à cet égard que le chiffre d'affaires de l'édition s'élevait à 2,35 milliards d'euros.

La commission a ensuite procédé à l'examen des articles.

A l'article premier (rémunération au titre du prêt en bibliothèque et modalités de sa répartition), outre des amendements de coordination, la commission a adopté :

- un amendement visant à insérer le dispositif proposé par le projet de loi pour compléter le code de la propriété intellectuelle (CPI) au sein d'un chapitre III (nouveau) qui viendrait compléter le titre III du livre premier relatif à l'exploitation des droits ;

- un amendement tendant à une nouvelle rédaction du texte proposé pour l'article L. 351-1 (nouveau) du CPI afin, d'une part, de définir le champ d'application du régime de licence légale par référence aux oeuvres ayant fait l'objet d'un contrat d'édition en vue de leur publication et de leur diffusion sous forme de livre et, d'autre part, de prévoir que le partage entre l'auteur et l'éditeur de la rémunération perçue au titre du prêt en bibliothèque sera opéré par convention, la part revenant à l'éditeur ne pouvant excéder la moitié du montant de cette rémunération ;

- un amendement visant à une nouvelle rédaction de l'article L. 351-2 (nouveau) du CPI afin de préciser les critères d'octroi de l'agrément des sociétés appelées à percevoir la rémunération au titre du droit de prêt ;

- un amendement clarifiant la rédaction du deuxième alinéa du même texte afin de préciser les modalités de calcul de la contribution versée par l'Etat. En réponse à Mme Danièle Pourtaud, le rapporteur a indiqué que l'Etat acquitterait une contribution annuelle par usager inscrit, le nombre total des usagers à prendre en compte pouvant, pour certaines bibliothèques, faire l'objet d'une estimation forfaitaire ;

- un amendement proposant une nouvelle rédaction du texte proposé pour l'article L. 351-4 (nouveau) du CPI afin notamment, d'une part, de préciser que les bibliothèques fourniront à la ou aux sociétés de perception les informations leur permettant de calculer le montant du prélèvement sur le prix des livres achetés pour le prêt et, d'autre part, de supprimer la disposition précisant que les sommes perçues au titre du droit de prêt ne peuvent financer plus de la moitié des cotisations dues par les écrivains et traducteurs au titre de l'assurance vieillesse complémentaire, précision qui a mieux sa place à l'article L. 382-12 du code de la sécurité sociale ;

- un amendement tendant à harmoniser le montant de la peine d'amende prévue en cas de non-versement de la rémunération au titre du droit de prêt en bibliothèque avec celui retenu pour les autres infractions définies à l'article L. 335-4 du CPI ;

A l'article 2 (affiliation des écrivains et traducteurs à un régime de retraite complémentaire), la commission a adopté un amendement tendant à une nouvelle rédaction du second alinéa du texte proposé pour l'article L. 382-12 du code de la sécurité sociale, afin de préciser les catégories de personnes qui bénéficieront du rattachement à un des régimes existants pour les artistes-auteurs dans le cadre de l'assurance vieillesse des professions libérales et de faire figurer dans cet article la disposition précisant que la fraction des cotisations qui sera financée par la rémunération perçue au titre du droit de prêt ne peut excéder la moitié de leur montant total.

A l'article 3 (régime complémentaire d'assurance vieillesse des auteurs affiliés au régime d'assurance vieillesse de Saint-Pierre-et-Miquelon), la commission a adopté un amendement de coordination.

A l'article 4 (plafonnement des rabais sur le prix public de vente des livres), la commission a adopté un amendement tendant à une nouvelle rédaction de l'article 3 de la loi du 10 août 1981 sur le prix du livre afin de préciser les catégories d'achats susceptibles de bénéficier de rabais supérieurs à 5 % du prix de vente au public.

La commission a adopté une nouvelle rédaction de l'article 5 (dispositions transitoires) visant à préciser les conditions d'entrée en vigueur de la loi afin de tenir compte du calendrier probable de son adoption par le Parlement.

La commission a ensuite adopté le projet de loi ainsi modifié.

Projet de loi de finances pour 2003 - Nomination des rapporteurs pour avis

Au cours de la même réunion, la commission a procédé à la désignation des ses rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2003, chargés de participer, avec voix consultative, aux travaux de la commission des finances, en application de l'article 18, alinéa 4, du Règlement du Sénat.

Ont été nommés :

- M. Philippe Nachbar Culture

- M. Marcel Vidal Cinéma - Théâtre dramatique

- M. Ambroise Dupont Ecologie et développement durable

- M. Philippe Richert Enseignement scolaire

- M. Jean-Léonce Dupont Enseignement supérieur

- Mme Annie David Enseignement technologique et professionnel

- Mme Françoise Férat Enseignement agricole

- M. Pierre Laffitte Recherche et nouvelles technologies

- M. Bernard Murat Sports

- M. Louis de Broissia Communication audiovisuelle

- M. Louis de Broissia Presse écrite

- Mme Danièle Pourtaud Relations culturelles extérieures

- M. Jacques Legendre Francophonie

La commission a en outre décidé de consacrer un avis budgétaire à l'examen des crédits de la jeunesse, dont le rapporteur sera désigné ultérieurement.