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Mardi 3 décembre 2002

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Audiovisuel - Télévision numérique de terre - Audition de M. Michel Boyon, conseiller d'Etat

La commission a entendu M. Michel Boyon, conseiller d'Etat, sur le rapport qu'il a établi à la demande du Premier ministre sur la Télévision numérique de terre (TNT).

Accueillant M. Michel Boyon, dont il a rappelé que les membres de la commission le connaissaient aussi en tant que Président du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, M. Jacques Valade, président, a souligné la qualité de son rapport, auquel se sont référés de nombreux intervenants dans le récent débat budgétaire sur les crédits de la communication et qui a le grand mérite d'avoir recalé le calendrier envisageable pour le lancement de la TNT et défini les conditions de son succès.

Notant que la TNT et les interrogations qu'elle suscitait avaient déjà dominé, il y a près d'un an, les débats de la « journée thématique » que la commission avait consacré aux nouvelles télévisions, il a relevé que les membres de la commission auraient sans doute de nombreuses questions à poser, tant sur les aspects techniques du projet -le réaménagement des fréquences, la question de l'achèvement de la couverture du territoire et du basculement de l'analogique au numérique- que sur ses aspects économiques -la rentabilité des services, le choix des opérateurs, la distribution, le périmètre du service public.

Remerciant le président Jacques Valade de son accueil, M. Michel Boyon a introduit son propos en indiquant que la mission qui lui avait été confiée procédait de deux séries de demandes : celles des membres du nouveau Gouvernement en charge des finances, du budget, de la culture et de la communication, qui estimaient que le traitement du dossier de la TNT, qui avait déjà fait l'objet de quelques pré-décisions, appelait des compléments d'information juridique, technique et économique et celles du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui souhaitait avoir des éclaircissements sur plusieurs questions relevant de la compétence du Gouvernement avant de procéder à l'attribution des fréquences.

Il a noté qu'en dépit de la brièveté des délais dont il avait disposé, il avait eu la satisfaction de constater un certain rapprochement des points de vue des différents protagonistes. En effet, alors que le dossier de la TNT avait souffert d'une grande sous- information des parties intéressées, qui avaient accompli chacune dans leur sphère d'intervention un travail de qualité, mais sans pouvoir accéder à une perception d'ensemble des réalités et de l'environnement de la TNT, le « dialogue itératif » qui s'est établi à l'occasion de sa mission a permis une meilleure prise de conscience des problèmes et une appréciation plus sereine du dossier : la TNT n'apparaît plus comme un gadget ni comme un épouvantail, et ses avantages comme ses inconvénients ont pu être relativisés.

Ce climat apaisé a permis la prise de décisions rapides : le rapport, remis au Premier ministre le 18 octobre, a été, à sa demande, présenté à la presse le même jour, le Gouvernement a décidé le 21 octobre d'en suivre les recommandations et le CSA a publié dès le 23 la liste des candidats retenus, respectant ainsi, en dépit des retards imputables à la publication tardive des décrets d'application, le calendrier très serré qui avait été prévu.

M. Michel Boyon a exposé à la commission qu'il avait acquis la conviction que le passage au numérique était irréversible. Notant que la diffusion ne pouvait rester l'unique maillon analogique de la chaîne de l'audiovisuel, dont la numérisation est en voie depuis plusieurs années -bien qu'elle n'ait pas progressé jusqu'aux équipements de réception- il a estimé que, même s'il fallait relativiser les avantages de la TNT en termes de qualité de l'image ou d'élargissement de l'offre de programmes, deux raisons de fond rendraient sans doute le numérique inéluctable : il permet en effet, d'une part, une baisse spectaculaire des coûts de diffusion, en divisant par 6 ou par 8 des charges qui représentent actuellement 20 à 25 % des dépenses des opérateurs -ce qui autorise à espérer que le passage au numérique accroîtra les budgets consacrés à la programmation- et, d'autre part, une meilleure gestion du spectre en dégageant des fréquences pour d'autres usages -téléphonie mobile ou transport de données. Même si ce dernier avantage paraît aujourd'hui moins important qu'en 2000, à l'époque de la « bulle Internet » et de l'euphorie sur l'UMTS, il n'en reste pas moins que les fréquences sont une ressource rare dont il importe d'assurer la meilleure gestion possible.

Le passage au numérique paraît donc inévitable -et est également perçu comme tel dans les pays étrangers. L'Etat ne peut par conséquent s'en désintéresser, notamment parce qu'il lui appartiendra de décider du moment de l'arrêt des émissions en analogique.

Soulignant que le contexte économique et financier est aujourd'hui nettement moins favorable qu'en 2000, et que le secteur audiovisuel est fragile, comme en témoignent la difficulté du câble et du satellite à trouver leur équilibre, la situation de Canal Plus, le problème du financement futur du service public, M. Michel Boyon a rappelé les trois solutions qui pouvaient être envisagées et que proposait son rapport.

La première était l'abandon pur et simple du projet, option qui devait être écartée en raison de la nécessité de passer au numérique pour optimiser l'usage des fréquences.

La deuxième était la refonte du projet, que pouvaient justifier les faiblesses du dispositif de la loi du 1er août 2000, et en particulier le fait que les autorisations sont données aux chaînes et non à des distributeurs commerciaux. Cependant, cette option aurait imposé d'interrompre le processus engagé par le CSA, et risqué d'exiger de très longs délais.

Restait en conséquence la troisième option, retenue par le Gouvernement, qui consiste à « accompagner » le projet et à donner sa chance à la TNT, sachant qu'il n'y a pas de « vérité technologique » permettant d'avoir une certitude sur son échec ou sa réussite, cette dernière devant dépendre largement de l'initiative privée et du marché.

M. Michel Boyon a indiqué qu'il s'était efforcé, dans son rapport, de recenser les six conditions susceptibles de déterminer le succès de la TNT :

- l'attrait de l'offre de programmes : à cet égard, le CSA a fait un choix équilibré entre l'offre payante et l'offre gratuite, entre les opérateurs historiques et les nouveaux entrants et a aussi joué la sécurité en retenant des projets de chaîne payante soutenus par des opérateurs ayant une certaine surface financière ;

- le règlement des problèmes techniques liés à la mise en place des émetteurs numériques et au réaménagement des fréquences analogiques nécessaires pour permettre aux nouveaux programmes d'être diffusés et aux anciens d'être encore reçus. Ce réaménagement concernera environ 1.500 fréquences, et 800.000 à 2 millions de foyers, obligeant les téléspectateurs à retrouver les bonnes fréquences sur leur poste et, si celui-ci est un peu ancien, à faire appel à un professionnel. C'est une opération qui sera irritante et gênante pour les personnes concernées, mais qui n'est pas très compliquée et parfaitement possible à réaliser. Le coût du réaménagement des fréquences devra être à la charge des éditeurs. L'Etat a cependant accepté, retenant une des suggestions du rapport, de participer à son pré-financement : la loi de finances rectificative pour 2002 pose le principe de ce pré-financement, qui sera assuré par l'intermédiaire du fonds de réaménagement du spectre ;

- la troisième condition est que les industriels s'engagent à mettre à la disposition du public les équipements -téléviseur numérique intégré ou décodeur- permettant de recevoir la TNT à un prix raisonnable, ce qui paraît possible si l'on se réfère aux prix des décodeurs en Grande-Bretagne, qui est compris entre 130 et 150 euros ;

- la mise en place de la distribution des programmes payants est sans doute une des conditions qui sera la plus difficile à remplir. La situation de Canal Plus a évolué et il pourra lui être difficile d'investir 3 à 500 millions d'euros dans la distribution de la TNT, surtout si le groupe a désormais d'autres priorités. Quant à TPS, ses actionnaires ont manifesté une certaine hostilité de principe à l'égard de la TNT, même s'ils ont été candidats à l'attribution de canaux. On peut aussi imaginer d'autres distributeurs potentiels n'appartenant pas au secteur de l'audiovisuel, mais ayant une expérience dans la distribution d'abonnements et de matériels, comme les opérateurs de téléphonie mobile ; il reste que la question de la distribution est une des grandes inconnues de la période qui s'annonce ;

- la garantie du développement de la production : la TNT inquiète beaucoup les producteurs de cinéma qui y voient un risque de déstabilisation de Canal Plus ;

- enfin, le manque de dialogue entre les protagonistes a beaucoup nui à l'image de la TNT : il est donc indispensable de mettre en place un lieu de dialogue et de coordination entre toutes les parties intéressées.

Notant que la réunion de ces conditions dépendrait pour l'essentiel d'initiatives privées, l'Etat gardant cependant la responsabilité de l'arrêt de l'analogique et des solutions à trouver pour assurer la couverture du territoire en TNT, M. Michel Boyon a souhaité conclure son propos en revenant sur la question du calendrier. Il a insisté sur le fait que le calendrier qu'il proposait était un calendrier du « raisonnable », du « possible », qui ne pourra être tenu qu'en l'absence de dérapage. A cet égard, la constitution des multiplexes pourra constituer un écueil : elle sera sans doute difficile à réaliser dans les six premiers mois de 2003 et, si des problèmes se présentent, ils risquent de coûter très cher en délais.

Il a enfin rappelé que si la diffusion en TNT débutait en 2004, elle ne couvrirait alors que 40 % de la population, ce taux pouvant atteindre 50 % à l'été 2005, et qu'il faudrait attendre 2008 pour espérer couvrir 80 à 85 % de la population.

Un débat a suivi.

Félicitant M. Michel Boyon pour la clarté de ses analyses, M. Pierre Laffitte lui a posé une question sur la concurrence que l'Internet à haut débit pouvait faire à la TNT et s'est interrogé sur la possibilité de couvrir plus de 50 % de la population en 2005.

M. André Vallet a demandé des précisions sur les expériences étrangères de lancement de la TNT et sur la possibilité technique d'assurer une bonne réception de programmes locaux en TNT.

Mme Danièle Pourtaud s'est étonnée que M. Michel Boyon n'ait pas évoqué une seule fois dans son exposé le secteur public alors que son rapport portait des jugements très sévères sur les projets élaborés par France Télévisions.

Elle a regretté qu'il n'ait pas mentionné l'enjeu principal de la TNT : offrir 15 ou 16 chaînes gratuites aux quelque 80 % de Français qui ne peuvent pas ou ne veulent pas payer pour accéder à une offre élargie de programmes. Défendant les trois projets de chaînes numériques publiques, elle a relevé qu'il n'existait actuellement aucune chaîne d'information continue gratuite, insisté sur l'importance du projet de chaînes régionales et noté qu'une chaîne de rediffusion pourrait offrir une « seconde fenêtre » aux meilleurs programmes nationaux, soulignant que le rapport de M. Michel Boyon n'ouvrait en revanche qu'une seule perspective, celle de la création d'une chaîne destinée aux jeunes.

Sur le problème de la distribution, elle a considéré que les distributeurs devraient être choisis en dehors du secteur de l'audiovisuel.

Elle a enfin suggéré, pour permettre la mise au point de projets de chaînes locales et de proximité, et notamment de chaînes associatives, que le CSA n'ouvre pas les appels à candidatures simultanément pour les trois canaux locaux.

M. Marcel Vidal, contestant les positions prises par le ministre de la culture et de la communication lors des débats budgétaires au Sénat, a considéré que la TNT devait offrir au service public une chance de prospérer et de se développer.

Il a demandé si le report à la fin de 2004 du démarrage de la TNT ne risquait pas de faire prendre à la France un retard « culturel » vis-à-vis des pays où la TNT était déjà disponible.

M. Jacques Valade, président, a demandé si les industriels étaient aujourd'hui en mesure de fournir au public les équipements nécessaires à la réception de la TNT.

En réponse à ces interventions, M. Michel Boyon a notamment apporté les précisions suivantes :

- il est difficile de formuler un jugement comparatif entre la TNT et l'ADSL, d'autant « qu'affirmer une vérité technologique est toujours périlleux ». TF1 poursuit des expériences sur l'ADSL, Alcatel mène par ailleurs des recherches tendant à combiner les deux modes de diffusion. On peut cependant relever que la transmission de programmes par ADSL souffre actuellement d'un handicap important : elle ne permet pas de regarder un programme tout en en enregistrant un autre ;

- les délais nécessaires pour étendre la couverture en TNT tiennent essentiellement au temps nécessaire au CSA pour établir les plans de fréquences. Le CSA a choisi de partir du plan actuel des fréquences de diffusion analogique. S'il peut paraître logique d'utiliser les 110 points hauts de Télédiffusion de France (TDF), ce choix rend difficile l'introduction de la concurrence dans la diffusion de la télévision, et donne à TDF un atout majeur pour maintenir son monopole. Pour accélérer le processus de réaménagement des fréquences, qui exige un travail minutieux, il serait souhaitable que le CSA puisse disposer de moyens en personnel supplémentaires, qui n'auraient d'ailleurs pas besoin d'être considérables ;

- il ne faut pas sous-estimer le problème que pose le monopole de TDF, car l'absence de concurrence a pour conséquence de renchérir le coût de la diffusion. Il existe à l'heure actuelle deux autres candidats à la diffusion de la TNT : Towercast, qui appartient au groupe NRJ et assure 30 % de la diffusion de la radio et la société Antalys, qui loue des emplacements sur les sites de diffusion déjà existants pour pouvoir installer des émetteurs numériques entretenus par des prestataires de service ;

- deux pays européens ont connu des échecs dans le lancement de la TNT, pour des raisons qui ne paraissent pas transposables à la France. En Grande-Bretagne, la volonté de créer par la TNT une concurrence à la télévision satellitaire du groupe Murdoch, B-Sky-B, a conduit à une guerre des prix et s'est soldée par la faillite de l'opérateur de TNT On Digital, qui avait pourtant rencontré, avec 1,2 million d'abonnements, un succès commercial. En Espagne, le semi-échec de la TNT est imputable à l'insuffisance de l'offre de programmes. De nombreux autres pays développent aussi la numérisation de l'offre télévisuelle, qui aux Etat-Unis et en Australie est liée à la haute définition. Deux expériences sont à signaler : à Berlin, l'arrêt des émissions analogiques est prévue en mars prochain. Même si l'expérience est réalisée à l'échelle d'une agglomération et si près de 92 % des téléspectateurs sont câblés, il sera intéressant de voir comment vont réagir les 8 % à 9 % de téléspectateurs contraints de s'équiper avant cette échéance pour continuer à recevoir la télévision. Aux États-Unis, c'est la voie de la normalisation qui a été choisie pour hâter l'équipement en numérique en fixant des dates limites pour la production de postes analogiques ;

- trois canaux ont été réservés aux chaînes locales, ce qui permet théoriquement, à partir de 110 points hauts, de diffuser 330 chaînes. Mais il ne faut pas sous-estimer le problème technique que pose l'aménagement des fréquences pour permettre la diffusion des programmes de proximité que demande le public, à l'échelle d'une agglomération ou d'un pays, alors que les émetteurs situés sur certains points hauts peuvent arroser plusieurs régions. Il faudra donc procéder avec prudence si on ne veut pas « geler » la situation et empêcher la réalisation, à l'avenir, de projets qui ne peuvent tous être connus pour l'instant ;

- en ce qui concerne le service public, le rapport se limite à envisager son éventuelle place sur la TNT. Il souligne, faisant écho aux nombreuses interrogations soulevées au cours des auditions, qu'il convient de clarifier ce que l'on attend des actuelles chaînes publiques avant de réfléchir à des projets nouveaux, et mettre à profit le temps nécessaire au lancement de la TNT. Cela dit, il est vrai que les projets prévus peuvent appeler certaines observations. Le projet de 8 chaînes régionales, par exemple, quel que soit son intérêt, ne répondra pas du tout à la demande de programmes de proximité, sauf à multiplier les décrochages, ce qui aurait un coût exorbitant. En ce qui concerne l'information continue, on peut être d'avis que la télévision publique a, contrairement à la radio, « raté le coche » ; par ailleurs, le projet préparé par France Télévisions, quel que soit sa qualité, n'est pas fondamentalement différent des chaînes existantes. Il faut aussi tenir compte du projet de chaîne d'information internationale, qui pourrait être diffusée sur le territoire national. Enfin, on peut regretter que n'ait pas été retenu par le précédent Gouvernement le projet proposé par France Télévisions de création d'une chaîne destinée à la jeunesse, qui aurait pu être un vrai projet de service public ;

- à moins qu'une révolution technologique n'impose un autre support, le délai de deux ans nécessaire au lancement effectif de la TNT ne paraît pas poser de problèmes majeurs. Ce qui est plus inquiétant, c'est le fait que, dans deux ans, seulement 40 % de la population seront couverts par la TNT, ce qui pourrait décourager les candidats éventuels à la distribution de l'offre payante ;

- les industriels sont prêts à fournir les équipements nécessaires à la réception de la TNT dans un délai de six mois. Cependant, le succès commercial remarquable que connaissent actuellement le DVD et le « home cinéma »peut ne pas les inciter à développer dans l'immédiat leur offre sur ce marché.

Nomination de rapporteurs

Au cours de la même réunion, la commission a nommé M. André Vallet rapporteur des propositions de loi n° 31 rectifié (2002-2003), présentée par M. André Vallet, tendant à instituer une journée de réflexion sur les dates choisies pour les commémorations nationales, et n° 50 (2002-2003), présentée par M. Joseph Ostermann et plusieurs de ses collègues, tendant à instituer une journée nationale unique du souvenir.