III. RAPPORT SÉNAT N° 107 (2011-2012) TOME III

Commentaire : le présent article tend à remplacer l'actuel régime d'abattements pour durée de détention sur les plus-values de cessions de titres de sociétés, d'un tiers par année au-delà de la cinquième, en un nouveau système de report d'imposition : au bout de huit années de détention, l'imposition des plus-values mobilières pourrait être reportée, voire exonérées cinq ans plus tard si certaines conditions sont respectées.

I. LE DROIT EXISTANT

Aux termes de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, créé par la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005), un abattement peut s'appliquer aux plus-values de cessions de titre de sociétés au-delà d'une certaine durée de détention .

Ainsi, les plus-values retirées des cessions à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts sont réduites d'un abattement d'un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième , ce qui entraîne donc une exonération totale au bout de huit ans , lorsque les conditions suivantes sont remplies :

- la durée et le caractère continu de la détention des titres ou droits cédés doivent pouvoir être justifiés par le contribuable ;

- la société dont les actions, parts ou droits sont cédés est passible de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent ou soumise sur option à cet impôt ; elle exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier, ou a pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées. Cette condition s'apprécie de manière continue pendant les cinq années précédant la cession ; enfin, elle a son siège social dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale.

Il est à noter qu'en cas de cession de titres ou droits appartenant à une série de titres ou droits de même nature, acquis ou souscrits à des dates différentes, les titres ou droits cédés sont ceux acquis ou souscrits aux dates les plus anciennes.

Enfin, pour les titres ou droits acquis ou souscrits avant le 1 er janvier 2006, à partir du 1 er janvier 2006, la date d'acquisition est réputée être le 1 er janvier 2006 pour l'application de ces dispositions. Du fait de ces dispositions « anti-aubaine », les premiers abattements d'un tiers trouveront à s'appliquer à compter de 2012 et les premières exonérations totales à compter de 2014 .

Ce dispositif n'a donc pas encore produit d'effet budgétaire. Son coût financier à venir demeure donc incertain mais il est généralement estimé aux alentours d' un milliard d'euros en année pleine, à partir de 2014.

II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article a été introduit par l'Assemblée nationale, à l'initiative de notre collègue député Gilles Carrez, rapporteur général du budget, avec l'avis favorable du Gouvernement.

Il tend à :

- supprimer le système actuel d'abattement par tiers au-delà de la cinquième année de détention ;

- et à instaurer, à sa place, un mécanisme de report d'imposition sous condition de remploi d'une fraction de la plus-value. Au bout de cinq années supplémentaires, ce report peut se transformer en exonération pure et simple des plus-values réalisées .

A. LE REPORT D'IMPOSITION ET LES CONDITIONS À REMPLIR POUR EN BÉNÉFICIER

Tout d'abord, le A du I du présent article tend à modifier le 1 du I de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, de façon à transformer l'abattement d'un tiers applicable au plus-values de cessions à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits démembrés pour chaque année de détention au-delà de la cinquième en un report d'imposition sur ces mêmes plus-values .

Il est prévu que le report soit conditionné à la condition que le contribuable en fasse la demande et déclare le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170 du même code, régissant la déclaration des revenus.

1. Les conditions à remplir pour bénéficier du report d'imposition

Le B du I propose (outre quelques coordinations détaillées ci-après) de réviser les conditions d'octroi de l'avantage fiscal au titre de la détention longue d'actions ou de titres de sociétés (II de l'article 150-0 D bis précité).

a) Les conditions relatives aux titres ou droits de sociétés cédés

Ainsi, le report d'imposition ne trouverait à s'appliquer que si :

- les titres ou droits cédés ont été détenus de manière continue depuis plus de huit ans . Dans le régime actuel, les abattements s'appliquent à partir de la sixième année de détention, mais les députés se sont alignés sur la durée actuellement nécessaire pour bénéficier d'une exonération complète de plus-value ;

- et les titres ou droits détenus par le cédant, directement ou par personne interposée ou par l'intermédiaire du conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs, ont représenté , de manière continue pendant les huit années précédant la cession, au moins 10 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés . Il s'agit là d'une condition entièrement nouvelle, d'ailleurs substantielle, par rapport au droit existant.

b) Les conditions de remploi du produit de la cession

De plus, le présent article introduit une nouvelle exigence relative au remploi des sommes retirées de la cession des titres ou droits précités.

Il est ainsi proposé d'ajouter un 3° au II de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, aux termes duquel, pour bénéficier du report d'imposition, il serait nécessaire de respecter les conditions suivantes :

- le produit de la cession des titres ou droits devrait être investi , dans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux , dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société ;

- la société bénéficiaire de l'apport devrait être passible de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent ou soumise sur option à cet impôt, et avoir son siège social dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale ;

- cette même société devrait (à l'instar de la société de la société dont les titres ou droits sont cédés) exercer une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière , à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier, ou avoir pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées ;

- les titres représentatifs de l'apport en numéraire devraient être entièrement libérés au moment de la souscription ou de l'augmentation de capital ou, au plus tard, à l'issue du délai de trente-six mois précité, et représenter au moins 5 % des droits de vote et des droits dans les bénéfices sociaux de la société ;

- les titres représentatifs de l'apport en numéraire devraient être détenus directement et en pleine propriété par le contribuable pendant au moins cinq ans . A cet égard, il est précisé que, lorsque les titres font l'objet d'une transmission, d'un rachat ou d'une annulation ou, si cet événement est antérieur, lorsque le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France, le report d'imposition serait remis en cause ;

- le contribuable, son conjoint, leurs ascendants et descendants ou leurs frères et soeurs ne devraient pas être associés de la société bénéficiaire de l'apport préalablement à l'opération d'apport, ni y exercer les fonctions de gérant, d'associé en nom d'une société de personnes, de président, de directeur général, de président du conseil de surveillance ou de membre du directoire d'une société par actions depuis sa création et pendant une période de cinq ans suivant la date de réalisation de l'apport ;

- enfin, la société bénéficiaire de l'apport ne devrait pas avoir procédé à un remboursement d'apport au bénéfice du cédant, de son conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs au cours des douze mois précédant le remploi du produit de la cession.

2. La remise en cause du report d'imposition

Le III de l'article 150-0 D bis précité qui résulterait du C du I définit les conditions dans lesquelles le report d'imposition pourrait être remis en cause.

Tout d'abord, celui-ci serait exclusif des réductions d'impôt sur le revenu (dite Madelin ) et d'impôt de solidarité sur la fortune (dite ISF-PME ) au titre des souscriptions au capital des PME, définies respectivement aux articles 199 terdecies -0 A et 885-0 V bis .

De plus, le non-respect de l'une des conditions énumérées ci-dessus entraînerait l'exigibilité immédiate de l'impôt sur la plus-value , sans préjudice de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du CGI décompté de la date à laquelle cet impôt aurait dû être acquitté.

Cependant, l'imposition de la plus-value antérieurement reportée pourrait, à la demande du contribuable, être reportée de nouveau au cas où les titres souscrits pour respecter la condition de remploi feraient l'objet d'une opération d'échange. Dans cette hypothèse, le délai de cinq ans serait apprécié à compter de la date de souscription des titres échangés.

3. La transformation du report d'imposition en exonération des plus-values

Le C du I prévoit également l'insertion d'un nouveau paragraphe III bis au sein du même article 150-0 D bis prévoyant la transformation, au bout de cinq années de détention des titres ayant fait l'objet de l'apport (pour respecter la condition de remploi), du report d'imposition en une exonération de la plus-value .

Cependant, cette exonération serait applicable avant l'expiration du délai de cinq ans en cas de licenciement, d'invalidité, du décès du contribuable ou de l'un des époux soumis à imposition commune ou en cas de liquidation judiciaire de la société ayant fait l'objet de l'apport.

A l'inverse, l'exonération ne s'appliquerait pas en cas de remboursement des apports avant la dixième année suivant celle de l'apport en numéraire.

4. La coordination rédactionnelle

Par ailleurs, plusieurs alinéas du présent article ne sont que de coordination. Ils visent à ce que la rédaction des articles du code général des impôts et du code de la sécurité sociale qui mentionnent l'abattement d'un tiers au-delà de la cinquième de détention soit adaptée au nouveau régime proposé. Il s'agit :

- du 2° du A du I , pour ce qui concerne le 2 du I de l'article 150-0 D bis du code général des impôts lui-même;

- du 1° du B du I et du 3° du B du I , pour le II du même article ;

- du 1° du D du I , pour le V du même article ;

- du II , pour l'article 150-0 D ter du même code ;

- du III , pour l'article 167 bis du même code ;

- du IV , pour les articles 170 et 1417 du même code ;

- et du V , pour l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.

B. L'ENTRÉE EN VIGUEUR DES NOUVELLES DISPOSITIONS

Lorsque le Parlement a adopté l'article 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005), à l'origine de l'abattement existant, il a veillé à ce que les actions déjà détenues à cette date par les contribuables soient considérées comme acquises à la date du 1 er janvier 2006 . Il s'agissait alors de ne pas créer un effet d'aubaine trop marqué, le dispositif s'appliquant donc aux cessions réalisées à compter du 1 er janvier 2012.

Pour l'entrée en vigueur du nouveau régime, l'Assemblée nationale a supprimé toute référence à la date du 1 er janvier 2006 ( 2° à 4° du D du I du présent article).

En conséquence, les titres détenus depuis plus de huit ans à compter de la promulgation du présent projet de loi de finances pourraient bénéficier du report d'imposition en cas de remploi de la plus-value dans les conditions prédéfinies. L'Assemblée nationale a sans doute considéré que l'attente de six années depuis la publication de la loi n° 2005-1720 précitée constitue un délai suffisant pour prévenir tout effet d'aubaine.

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Le rendement pour l'Etat de ces dispositions serait estimé à 850 millions d'euros , le coût de ce régime étant évalué, en rythme de croisière, à 150 millions d'euros, au lieu d'un milliard d'euros dans le cadre actuel. Interrogé par votre rapporteure générale, le Gouvernement n'a apporté aucune réponse permettant de confirmer ou d'infirmer ces chiffres .

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le présent article traduit les interrogations que la commission des finances de l'Assemblée nationale exprime depuis plus d'un an au sujet du grignotage d'assiette qui pourrait résulter de l'application des abattements précités. Ainsi, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, notre collègue député Gilles Carrez, rapporteur général du budget, avait introduit un report de trois ans de l'entrée en vigueur de ce dispositif, supprimé ensuite par le Sénat 1 ( * ) .

De fait, comme votre rapporteure générale l'a souligné dans le tome II du présent rapport 2 ( * ) , la rédaction actuelle de l'article 150-0 D bis du code général des impôts organise l'évaporation, à compter de 2014, d'un milliard d'euros de recettes fiscales .

De ce point de vue, l'Assemblée nationale s'est arrêtée au milieu du gué, en proposant une solution ambiguë.

A. UNE SUPPRESSION DE L'AVANTAGE FISCAL POUR LA GRANDE MAJORITÉ DES DÉTENTEURS D'ACTIONS

Tout d'abord, comme le chiffrage de la mesure l'indique, le dispositif proposé revient à supprimer l'avantage fiscal attendu depuis fin 2005 pour la grande majorité des détenteurs d'actions intéressés.

En pratique, seuls les contribuables détenant au moins 10 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés pourront bénéficier de la nouvelle niche .

C'est ce facteur qui explique une grande partie de la diminution de plus de 80 % du coût prévisible du mécanisme voté par l'Assemblée nationale par rapport au droit existant. Par définition, cela pénalisera, en premier lieu, les petits actionnaires, notamment ceux qui ont investi dans des sociétés cotées.

B. LE MAINTIEN D'UN DISPOSITIF COMPLEXE OUVRANT LA PORTE À DES SCHÉMAS D'OPTIMISATION FISCALE

Pour autant, bien que partant de l'intuition juste selon laquelle les pouvoirs publics ont commis une erreur en permettant, fin 2005, un tel mitage d'assiette fiscale, l'Assemblée n'est pas allée au bout de sa logique puisqu'elle propose d' inscrire dans le droit un nouveau dispositif de contournement de l'impôt , particulièrement complexe.

Il est, en effet, très probable que des cabinets spécialisés sauront monter des structures de défiscalisation pour les contribuables désireux de réinvestir la plus-value retirée de la cession de leurs titres, dans les conditions prévues par la nouvelle rédaction de l'article 150-0 D bis . Des holdings dont les intéressés pourront détenir au moins 5 % du capital risquent ainsi d'apparaître et de vider la notion de remploi d'une grande partie de sa substance.

Au total, le système proposé par le présent article risque d'accentuer les inégalités entre les petits actionnaires et les grands investisseurs, seuls capables d'échapper à la taxation de leurs plus-values .

C. UNE SUPPRESSION PURE ET SIMPLE APPARAÎT COMME LA MEILLEURE SOLUTION

Pour toutes ces raisons, il est préférable de supprimer purement et simplement le système d'abattement pour durée de détention des titres et droits de sociétés .

En effet, comme indiqué dans le tome II du présent rapport, il n'est pas légitime de maintenir un dispositif qui va permettre la soustraction à l'impôt de gains conséquents et massivement concentrés sur les plus favorisés, le régime de taxation des plus-values financières étant déjà suffisamment incitatif pour orienter vers ce type de support les épargnants qui le peuvent.

Il est également douteux que la suppression de l'abattement détourne des placements en actions ceux qui peuvent se permettre de diversifier leur portefeuille , c'est-à-dire les personnes les plus aisées, notamment parce ces placements sont généralement considérés comme les plus profitables sur le long terme, ce qui est le premier critère d'appréciation des épargnants qui ont un horizon long.

C'est pourquoi votre rapporteure générale propose de modifier le présent article afin d'abroger l'article 150-0 D bis du code général des impôts .

Décision de la commission : votre commission des finances vous propose


* 1 Voir le rapport Assemblée nationale n° 2857, Tome II (XIII ème législature), commentaire de l'article 3, le compte-rendu des débats de l'Assemblée nationale (deuxième séance du 21 octobre 2010) et le rapport Sénat n° 111, Tome II (2010-2011).

* 2 Commentaire de l'article additionnel après l'article 3 relatif à la suppression des abattements pour durée de détention sur les plus-values de cessions de titres de sociétés.