ARTICLE 47 BIS (DEVENU ARTICLE 92 DE LA LOI DE FINANCES POUR 2012)
TAUX RÉDUIT DE TAXE POIDS LOURDS DANS LA RÉGION BRETAGNE

I. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE (3ÈME SÉANCE DU MARDI 15 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 47

Mme la présidente. L'amendement n° 663 présenté par M. Méhaignerie et M. Le Fur, est ainsi libellé :

Après l'article 47, insérer l'article suivant :

I. - Le 2 de l'article 275 du code des douanes est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La minoration des taux kilométriques prévue au premier alinéa est portée à 40 % pour les régions qui ne disposent pas d'autoroute dont l'usage fait l'objet d'un péage, conformément aux dispositions de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière.»

II. - La perte de recettes pour l'Agence de financement des infrastructures de transport de France est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie. J'ai déposé cet amendement avec quelques collègues, dont Marc Le Fur, ici présent. Notre Assemblée a voté l'écotaxe alors que Jean-Louis Borloo était ministre de l'écologie, si mes souvenirs sont bons. En raison du poids considérable de l'agroalimentaire dans leur économie et de leur situation périphérique, certaines régions, qui ont financé elles-mêmes une partie de leur réseau autoroutier, ont des charges extrêmement lourdes, sans rapport avec leur richesse et leur PIB. Aussi Jean-Louis Borloo avait-il été convaincu qu'il fallait légèrement amender la disposition, décision confirmée par le Premier ministre lors d'une visite en Bretagne. Je vous demande donc de concrétiser cet engagement pris à la fois par le ministre de l'époque et par le Premier ministre. La taxe et l'éco-taxe représentent un poids très lourd par rapport à la richesse de la Bretagne, mais cela peut être vrai pour d'autres régions françaises périphériques.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général . J'étais plutôt favorable à cet amendement. J'ai ainsi pu rappeler que les transports agroalimentaires étaient très développés en Bretagne et qu'il fallait peut-être prendre cette particularité en considération, mais la commission ne m'a pas suivi, estimant que nous avions déjà fait un gros effort pour la périphéricité bretonne.

Lorsque j'ai fait remarquer qu'il n'y avait pas, en Bretagne, d'autoroutes à péage et que toutes les autoroutes bretonnes, qui sont d'excellente qualité, allaient être assujetties à la taxe, il m'a été répondu qu'on ne pouvait pas multiplier les avantages : puisque les Bretons avaient la chance d'éviter les péages autoroutiers, on n'allait pas de surcroît leur diviser la taxe par deux !

M. Pierre Méhaignerie. Mais ce réseau autoroutier, c'est nous qui l'avons payé !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Il s'agit de mieux prendre en compte les effets économiques de la taxe poids lourds. Le dispositif créant cette taxe prévoit déjà une minoration de taux plus importante pour les régions dites périphériques, qui ne disposent pas d'autoroutes à péage. L'amendement prévoit de porter cette minoration de 25 à 40 % pour la région bretonne. Le Gouvernement s'en remettra à la sagesse de l'Assemblée sur ce point, reconnaissant que, en effet, la Bretagne est la plus périphérique des régions périphériques.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. La taxe poids lourds devait entrer en vigueur en 2012. À la suite des aventures qu'elle a pu connaître, d'abord devant la justice, puis devant le Conseil d'État, et aujourd'hui devant la Commission nationale de lutte contre la non-transparence, la corruption et la concussion , tout indique que ce ne sera pas possible. De très lourds soupçons pèsent en effet sur le processus décisionnel ayant abouti au choix d'un opérateur italien.

M. Michel Bouvard. Autostrade.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. J'ai parlé d'un opérateur italien ; vous dites « Autostrade ». Cela ne me paraît pas complètement contradictoire !

M. Michel Bouvard. Ce sont en tout état de cause des gens sérieux !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Tout indique donc que la taxe ne sera pas perçue en 2012. Nous avons tout à l'heure entendu le rapporteur général, applaudi par la plupart de nos collègues, notamment par ses amis de l'UMP, prononcer un vibrant plaidoyer en faveur de la protection de la ressource fiscale. Si, dans sa sagesse, l'Assemblée nationale décide d'adopter cet amendement avant même qu'une taxe n'entre en vigueur, elle aura déjà décidé de d'alléger celle-ci... (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je remercie le Gouvernement pour son soutien, et le rapporteur général pour son soutien personnel. Cet amendement est très important pour une certaine région française. Il ne vous a pas échappé, mes chers collègues, que la Bretagne est une presqu'île, qui se trouve à l'extrême occident non seulement de la France, mais de l'Europe. (Sourires.) Or il lui faut envoyer diverses marchandises vers les lieux de consommation et il est donc indispensable que sa périphéricité soit prise en compte. Cette prise en compte, d'ailleurs très partielle, puisqu'il ne s'agit que de 40 %, est indispensable, car il n'existe pas aujourd'hui d'alternative au transport routier - voyez ce qui se passe partout avec le fret.

C'est d'autant plus important qu'il s'agit de produits agroalimentaires pour lesquels des délais très exigeants doivent être respectés. La marée quitte Douarnenez à deux ou trois heures du matin ; il faut qu'elle soit sur les étals, dans l'agglomération parisienne, en début de matinée. Il est donc absolument indispensable que ce type de transport soit préservé.

Nous sommes entièrement d'accord avec l'économie générale de l'écotaxe, mais cette dernière n'est tolérable que dans la mesure où la périphéricité est prise en compte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet.

M. Jean-Paul Chanteguet. Peut-être convient-il de rappeler un objectif important du Grenelle : faire passer, d'ici à 2020, le transport non routier et non aérien de 14 % à 25 %. La mise en place de l'éco-redevance poids lourds est l'un des moyens de favoriser ce report modal. Elle a été acceptée et votée par cette majorité, qui, aujourd'hui, nous propose de la réduire de 40 %, alors que la loi ne prévoyait que 25 %, pour les départements périphériques. Nous sommes en train de vider le texte de toute sa substance.

M. Marc Le Fur. Pas du tout !

M. Jean-Paul Chanteguet. Il est vrai qu'avant même que la majorité ne vote cet amendement, le Premier ministre avait annoncé, pour les départements périphériques, une baisse de 40 % au lieu de 25 %.

Sachant par ailleurs que la perte de recettes serait compensée par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France perdrait, en raison de cette baisse de 25 à 40 %, 200 millions d'euros, sur une recette de 1,3 milliard d'euros. Nous sommes contre cette disposition.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. La taxe poids lourds a été instaurée dans notre pays, sur la recommandation de l'Union européenne, pour contribuer au report modal et favoriser le financement de nouvelles infrastructures, mais la modulation de cette taxe est cohérente, car, pour qu'il y ait report modal, il faut qu'il y ait des infrastructures adaptées. Sur une partie du territoire, grâce à la création de nouvelles lignes TGV, qui ont libéré d'anciennes lignes ferroviaires, et grâce à des itinéraires fluviaux, on peut assurer le report modal. Mais soyons réalistes - et ce n'est pas faire injure à la Bretagne que de le reconnaître -, le réseau ferré breton est dans un état déplorable, nombre de lignes ne permettant plus d'assurer la régularité du trafic pour les voyageurs comme, dans le respect des exigences de la clientèle du fret, pour les marchandises.

Dans d'autres régions, la Commission européenne a autorisé des majorations de taxation. Il est ainsi prévu que l'on instaure un jour une taxe alpine majorant les contributions des poids lourds qui franchissent les Alpes, pour financer les nouvelles infrastructures. Il n'est donc pas illogique de prévoir des modulations ailleurs sur le territoire.

Lorsque le Premier ministre dit que, pour les régions périphériques, l'éloignement doit être pris en compte, c'est cohérent. L'un des buts de cette taxe est de faire contribuer au financement et à l'entretien des infrastructures tout le trafic de transit étranger qui traverse la France, capte des clientèles avec le cabotage et ne paye pas de contribution sur les autoroutes. Or on sait très bien que, en Bretagne, le trafic est principalement franco-français et qu'il y a peu de transit étranger. Ce sont donc principalement les transporteurs nationaux, ceux qui participent à la desserte du territoire, que nous taxerons. C'est pourquoi je suis plutôt favorable à la position défendue par les élus bretons.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie . Je voudrais convaincre le président Cahuzac et certains de mes collègues. Il y a cinquante ans, la Bretagne était une région très pauvre. Elle s'est battue et elle fournit aujourd'hui 50 % de la production porcine et de la production de poulets. Est-il sain et normal, alors qu'elle a déjà le handicap d'être une région périphérique, de lui faire payer 10, 12 ou 13 % du coût total de cette taxe ? Si vous habitiez cette région, la justice vous dicterait d'adopter cette position. Je remercie donc mon collègue Bouvard d'avoir pris en compte cet élément. Nous subissons l'écotaxe, même si je ne suis pas sûr que celle-ci soit la meilleure des solutions. Mais il faut rétablir la justice. Les ouvriers du transport et l'ensemble des entreprises du secteur font de cet élément un symbole fort de notre volonté de poursuivre notre développement économique. Merci de l'avoir compris.

Mme la présidente. Madame la ministre, levez-vous le gage ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Oui, madame la présidente.

(L'amendement n° 663, modifié par la suppression du gage, est adopté.)