ARTICLE  47 VICIES (NOUVEAU) : REMBOURSEMENT DU CIR EN CAS DE DÉLOCALISATION DES ACTIVITÉS DE RECHERCHE

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU LUNDI 5 DÉCEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 47 octodecies

M. le président. L'amendement n° II-182 rectifié, présenté par M. Daunis, au nom de la commission de l'économie, est ainsi libellé :

Après l'article 47 octodecies

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le III bis de l'article 244 quater B du code général des impôts, il est inséré un III ter ainsi rédigé :

« III ter . - Le bénéfice du crédit d'impôt est soumis à la conclusion par l'entreprise éligible d'une convention avec l'État par laquelle elle s'engage à maintenir l'intégralité de l'activité de recherche en constituant l'assiette sur le territoire national ou communautaire. Cet engagement vaut pour les trois années suivant l'année fiscale au cours de laquelle elle bénéficie du crédit d'impôt.

« En cas de non-respect de cet engagement, l'entreprise rembourse les sommes perçues au titre du crédit d'impôt au titre des deux années précédentes. »

La parole est à M. Marc Daunis, rapporteur pour avis.

M. Marc Daunis, rapporteur pour avis. Le crédit d'impôt recherche ne peut empêcher la délocalisation des centres de recherche privés dans les pays de l'Union européenne. Dans l'arrêt dit « Fournier » du 10 mars 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a rappelé que « l'article 49 CE s'oppose à une réglementation d'un État membre qui réserve aux seules opérations de recherche réalisées sur le territoire de cet État membre le bénéfice d'un crédit d'impôt recherche ».

A minima , et au regard des sommes considérables investies dans le crédit d'impôt recherche - 5,27 milliards d'euros -, il est néanmoins souhaitable de faire de ce dispositif fiscal un outil de maintien de la recherche et développement menée par les entreprises sur le territoire européen.

Cet amendement vise à préciser que « le bénéfice du crédit d'impôt est soumis à la conclusion par l'entreprise éligible d'une convention avec l'État par laquelle elle s'engage à maintenir l'intégralité de l'activité de recherche en constituant l'assiette sur le territoire national ou communautaire. Cet engagement vaut pour les trois années suivant l'année fiscale au cours de laquelle elle bénéficie du crédit d'impôt ». En cas de non-respect de cet engagement, l'entreprise remboursera les sommes perçues au titre du crédit d'impôt recherche pour les deux derniers exercices fiscaux.

Nous déplorons tous les délocalisations d'entreprises vers des pays émergents ou des continents dont on pensait qu'ils étaient devenus l'atelier du monde : nous constatons qu'elles ont coûté très cher. Or, aujourd'hui, ce phénomène ne concerne plus seulement les lieux de fabrication : nous sommes confrontés au même mouvement concernant les centres de recherche et développement. Si nous ne mettons pas en place quelques éléments pour protéger cette activité par des investissements publics, nous allons alimenter par l'impôt des délocalisations vers différentes parties du monde. Cet amendement vise à limiter de telles dérives dans les années à venir.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La commission émet un avis favorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, rapporteur pour avis, pour explication de vote.

M. Marc Daunis, rapporteur pour avis. L'avis défavorable que vient d'émettre le Gouvernement m'étonne.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de ce qui s'est passé dans les Alpes-Maritimes, au coeur de la technopole de Sophia Antipolis, un cas que Christian Estrosi, alors ministre chargé de l'industrie, et moi-même connaissons très bien. En 2006, le grand groupe indien Wipro Technologies rachète une start-up locale, NewLogic. Au mois de mai 2009, il perçoit 5,2 millions d'euros de fonds publics au titre du crédit d'impôt recherche pour la recherche et développement effectuée au sein de cette entreprise. Au mois de juin de la même année, il annonce la fermeture de l'entreprise pour laquelle cette somme vient de lui être versée, et en septembre 2009, 61 salariés sont licenciés !

À l'époque, M. Christian Estrosi n'avait pas de mots assez durs pour qualifier l'attitude des dirigeants de Wipro Technologies, les traitant même, dans la presse, de « patrons voyous », ce que je ne me serais jamais permis de faire !

Lors d'une conférence de presse organisée plus tard par ses soins, le ministre annonça, en présence du patron de l'entreprise, que ce dernier s'engageait à rembourser non pas 5 millions d'euros, comme je le réclamais pour ma part, mais 8, et même vraisemblablement 10 millions d'euros, au titre du plan de sauvegarde de l'emploi, le PSE, développé pour l'entreprise.

Faisant partie du comité de suivi, j'ai demandé quelle avait été la somme réellement versée : madame la ministre, le montant versé s'est élevé non pas à 10 millions, à 8 millions, à 5 millions ou même à 1 million d'euros, mais à 360 000 euros ! Telle est la somme payée par l'entreprise ayant licencié 61 salariés, un mois après avoir touché 5 millions d'euros au titre du crédit d'impôt recherche. Pis encore, elle a bénéficié de cet argent, pendant trois ans, pour doubler ses équipes de recherche-développement en Inde.

Voilà des pratiques que nous devons combattre !

Madame la ministre, vous savez fort bien que nous allons assister au développement de ce que l'on nomme « l'open innovation ». Nous serons alors confrontés à l'internationalisation des centres de recherche.

L'exemple de ce qui est en train de se produire dans le secteur automobile devrait vous alerter. Aussi, je suis vraiment très étonné que vous émettiez un avis défavorable sur ce simple amendement visant à limiter les appétits de certains, à l'échelon européen.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Monsieur Daunis, il y a 71 projets d'investissement d'entreprises étrangères en France, grâce au crédit d'impôt recherche. On n'en a jamais eu autant !

Ne demandons pas à ces investisseurs souhaitant mettre en place un centre de recherche-développement en France de concentrer toutes leurs activités en ce domaine dans notre pays. C'est impossible !

Le crédit d'impôt recherche est annuel : chaque année, il est calculé sur la part des dépenses de l'entreprise réalisées en France. À mon sens, il s'agit bien d'une dépense fiscale, dont l'objectif est de faire venir des centres de recherche et développement sur notre territoire et de les garder.

Si nous n'avions pas mis en place ce dispositif il y a cinq ans, toute une partie du secteur industriel serait d'ores et déjà partie.

M. Marc Daunis , rapporteur pour avis. Ce n'est pas l'objet de l'amendement. Je vous invite à le relire.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini , président de la commission des finances. La réforme, qui a simplifié et potentialisé le crédit d'impôt recherche, a rendu notre pays attractif pour les entreprises, même si, bien entendu, il faut toujours être attentif à chaque situation.

L'an dernier, nous nous étions beaucoup interrogés sur la tranche supérieure de ce dispositif, et nous avions été convaincus par le Gouvernement de voter en faveur du statu quo.

S'agissant des grands groupes, sans doute est-il souhaitable qu'une démarche négociée et contractuelle puisse avoir lieu, de sorte que les pouvoirs publics sachent quels sont les thèmes des recherches menées et la localisation des centres.

On ne peut évidemment pas prétendre obtenir d'une entreprise qu'elle s'engage à localiser en France toute son activité de recherche.

M. Marc Daunis, rapporteur pour avis. Mais non !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Au moins faut-il avoir une vision des objectifs fixés et de la localisation des moyens, ce qui est certainement tout à fait compatible avec la législation actuelle. À mon sens, celle-ci a simplement besoin d'être précisée, concernant la bonne organisation de cette procédure concertée ; je crois qu'il n'y a pas lieu d'en faire davantage.

Au demeurant, les grands groupes seraient, au moins pour bon nombre d'entre eux, prêts à entrer dans une telle démarche, de nature à préserver et à pérenniser cet outil particulièrement essentiel pour la compétitivité du « site France ».

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-182 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 47 octodecies .