III. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE (2ÈME SÉANCE DU VENDREDI 4 NOVEMBRE 2011)

Article 63

Mme la présidente. L'amendement n° 323 présenté par M. Gille, M. Liebgott, Mme Iborra, M. Sirugue, M. Issindou, M. Juanico, M. Lebreton, M. Marsac, M. Manscour, Mme Girardin, Mme Jeanny Marc et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

Mme Monique Iborra. Nous en avons déjà parlé ce matin. Le Fonds de sécurisation des parcours professionnels, créé par la loi du 24 novembre 2009 et géré paritairement par les partenaires sociaux, est chargé en principe de recueillir un pourcentage de la participation des employeurs à la formation professionnelle, ainsi que les excédents des organismes paritaires collecteurs agréés au titre de la professionnalisation et du congé individuel de formation, afin de financer les missions de formation et de qualification des demandeurs d'emploi et des salariés peu qualifiés.

Il s'agit donc d'intervenir sur la formation des publics les plus éloignés de la formation et de l'emploi.

Pour la deuxième année consécutive, l'État ponctionne 600 millions d'euros sur ce fonds. Madame la ministre, je vous repose la question à laquelle vous n'avez pas répondu ce matin : ce fonds doit-il continuer à être alimenté et a-t-il encore quelque pertinence si vous maintenez vos ponctions année après année ?

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert, rapporteur spécial.

M. Christian Eckert, rapporteur spécial . Cet article 63 est proprement scandaleux, je le répète à l'intention de ceux qui n'étaient pas là ce matin.

Il existe un Fonds de sécurisation des parcours professionnels, alimenté par une cotisation obligatoire des entreprises, équivalant à quelque 10 % du montant de la taxe d'apprentissage. Or, voici que le Gouvernement veut en ponctionner 300 millions pour financer des politiques qui relèvent de sa propre compétence.

Mes chers collègues, est-ce là respecter l'esprit de responsabilisation de celui qui lève l'impôt et de celui qui l'utilise ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Mais oui !

M. Christian Eckert, rapporteur spécial. Vous nous parlez de LOLF, de responsabilisation, de lisibilité, mes chers collègues, et voici que vous dévoyez complètement un dispositif qui devrait être géré par les seuls partenaires sociaux.

Vous leur laissez la responsabilité de prélever des cotisations obligatoires - un impôt indirect, à mon avis - et vous leur piquez ensuite 300 millions pour boucher les trous et compléter les crédits que vous n'êtes pas fichus de financer, alors qu'il s'agit de politiques relevant de la responsabilité de l'État.

Je maintiens que ce dispositif frise l'inconstitutionnalité. Je profite de la présence du président de la commission des lois, souvent attentif à ce genre de dispositions, pour souligner que, d'une part, cette ponction n'est pas la première, et que, d'autre part, elle porte sur 300 millions d'euros.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nadine Morano, ministre. Ayant déjà donné l'explication tout à l'heure, je me contenterai de dire que le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.

M. Jean-Patrick Gille. Il est dommage que ce sujet arrive si tard car, comme le disait notre collègue Eckert, c'est une grosse pomme de discorde entre vous et les partenaires sociaux, patronat et salariat confondus.

Sachant que l'enveloppe correspondant à l'obligation légale de formation représente 5 à 6 milliards d'euros, les partenaires sociaux s'étaient mis d'accord, dans le cadre d'un accord interprofessionnel national, pour en consacrer 5 à 13 % à l'alimentation d'un fonds mutualisé, afin que la formation financée par les entreprises soit réorientée vers les salariés qui en ont le plus besoin. C'est ainsi que près d'un milliard d'euros - ils avaient fixé le taux à 13 % pour la première année - devait bénéficier aux personnes les plus en difficulté.

C'était une grande avancée sociale : les entreprises qui cotisent s'étaient mises d'accord avec les syndicats de salariés pour financer la formation des demandeurs d'emploi et non pas seulement celle de leurs propres salariés.

Le Gouvernement a décidé de prélever 300 millions d'euros chaque année sur ce fonds mutualisé, alors qu'au départ il était prévu qu'il l'abonde. Non seulement il ne l'abonde pas, mais il le ponctionne. C'est un premier problème.

Deuxième problème : Mme la ministre nous explique qu'il y avait de la trésorerie disponible et que le Gouvernement l'a donc prise. C'était vrai la première année : le montant des cotisations s'est élevé à un milliard d'euros environ, qui n'a pas été dépensé tout de suite, car il fallait un peu de temps pour la mise en route, mais le Fonds a pris des engagements.

Les partenaires sociaux, fâchés de la ponction, ont décidé de ne plus mutualiser que 10 %, soit 650 millions d'euros par an. De ce montant, il faut déduire 300 à 400 millions d'euros qui servent à la péréquation pour financer les contrats de professionnalisation pour les jeunes - et à présent les moins jeunes. Nous avons tous dit que c'était une excellente chose. Il ne reste donc que 300 millions, et c'est l'État qui les prend.

Le Fonds ne peut plus fonctionner ni se fixer de priorités. Il a encore un peu de trésorerie. Ses dirigeants - le MEDEF, la CGT et le directeur général - que nous avons rencontrés, nous ont donné leur plan de trésorerie : à la fin de l'année, au mois de décembre, le Fonds sera en déficit de plus de 200 millions d'euros.

Troisième manipulation : le Gouvernement déplace, transfère ses déficits vers un fonds paritaire dont il a pourtant soutenu la création. Cela lui permet d'échapper aux contraintes européennes en matière d'endettement public, mais cela signifie qu'il met en déficit une structure qui a été créée. On peut donc s'interroger sur l'utilité de ce fonds.

Mes chers collègues, je vous invite à bloquer cette situation.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer, rapporteur pour avis.

M. Francis Vercamer, rapporteur pour avis. Je dois avouer que cet article me pose problème. La loi sur la formation professionnelle a été adoptée récemment, j'étais dans l'hémicycle. Gérard Cherpion en était le rapporteur, et il est intervenu assez vertement en commission des affaires sociales contre ce prélèvement annuel de 300 millions d'euros sur un fonds destiné aux personnes les plus défavorisées et qui n'ont pas accès aux formations.

M. Christian Eckert, rapporteur spécial. Encore un gauchiste, ce Cherpion !

M. Francis Vercamer, rapporteur pour avis. Sachant que ceux qui n'ont pas accès aux formations s'insèrent difficilement dans la vie professionnelle, les partenaires sociaux, par un accord professionnel national, ont créé ce fonds afin que les personnes les plus éloignées de l'emploi puissent accéder à des formations professionnelles financées.

Si l'on arrive à prélever 300 millions d'euros par an, c'est que ce fonds ne sert pas. Pourquoi ne sert-il pas ? Il serait intéressant que le Gouvernement se penche sur cette question. Si les partenaires sociaux se sont mis d'accord pour le créer et le doter de financements, et si l'on considère que les personnes les plus éloignées de l'emploi doivent accéder à la formation, comment se fait-il que l'on n'y recoure pas, ou pas assez ?

Il faut trouver la réponse, car prélever chaque année sur les moyens destinés aux plus défavorisés n'est pas digne d'une société comme la nôtre.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard, rapporteur pour avis.

M. Arnaud Richard, rapporteur pour avis . Pour aller dans le même sens que mon collègue qui vient de s'exprimer, je confirme que Gérard Cherpion, en commission, a durement critiqué cette disposition.

Dans le questionnaire budgétaire, il nous a été répondu que cette ponction de 300 millions d'euros ne mettait pas à mal la trésorerie du fonds.

Mme Nadine Morano, ministre. Je l'ai redit tout à l'heure !

M. Arnaud Richard, rapporteur spécial . Pouvons-nous avoir une réponse plus précise ? Notre collègue Jean-Patrick Gille nous annonce en effet un déficit de trésorerie. Je voudrais donc être certain, avant que l'on ne passe au vote, que le prélèvement ne mettra pas le fonds en déficit.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert, rapporteur spécial.

M. Christian Eckert, rapporteur spécial . Vous me permettrez d'apporter quelques éléments de réponse à M. Richard puisque, l'affaire n'étant pas anodine, nous avons pris soin de rencontrer les gestionnaires du Fonds, comme Jean-Patrick Gille vient de le rappeler.

Ce fonds est présidé par le MEDEF, repaire de gauchistes bien connus et tout aussi réactionnaire que les socialistes, mais géré de façon paritaire. Ses dirigeants nous ont communiqué le plan de trésorerie. Certaines actions engagées ne sont pas encore payées mais, dans un souci de bonne gestion, elles n'en doivent être pas moins provisionnées, sauf à faire de la cavalerie.

Vous obligez actuellement les partenaires sociaux à faire de la cavalerie en prélevant de quoi couvrir vos propre déficiences budgétaires. Lors de cette rencontre, les dirigeants nous ont fait la liste de leurs actions ; nous tenons les rapports à votre disposition. Ce qui est affirmé un peu vite par le Gouvernement n'est pas la vérité.

(L'amendement n° 323 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 328 présenté par M. Eckert, est ainsi libellé :

I. - Rédiger ainsi le début de l'alinéa 1 :

« I. - Pour l'année 2012, sont institués trois... ( le reste sans changement ) ».

II. - En conséquence, à la fin de l'alinéa 6, substituer au mot :

« établis »,

le mot :

« institués ».

La parole est à M. Christian Eckert, rapporteur spécial, pour présenter l'amendement n° 328.

M. Christian Eckert, rapporteur spécial. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.

(L'amendement n° 328, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 322 présenté par M. Gille, M. Liebgott, Mme Iborra, M. Sirugue, M. Issindou, M. Juanico, M. Lebreton, M. Marsac, M. Manscour, Mme Girardin, Mme Jeanny Marc et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, est ainsi libellé :

I. - À l'alinéa 1, substituer au mot :

« trois »

le mot :

« deux ».

II. - En conséquence, supprimer l'alinéa 4.

La parole est à M. Jean-Patrick Gille, pour présenter l'amendement n° 322.

M. Jean-Patrick Gille. Il porte aussi sur cette histoire de fonds paritaire.

Francis Vercamer vient de le rappeler, nous avions bien vu le sujet lors du vote de loi sur la formation professionnelle : il existait déjà un fonds de péréquation, qui ne concernait que les contrats de professionnalisation, et le Gouvernement avait déjà pris l'habitude de le ponctionner un peu chaque année.

Nous avions donc repéré le sujet. Quant au Gouvernement, il avait bien perçu le risque d'être accusé d'employer un procédé anticonstitutionnel, d'où la création d'un autre fonds. Le sénateur Jean-Claude Carle avait prévu un amendement interdisant toute ponction. Nous en avions débattu lors de l'examen du projet de loi de finances l'an dernier, puisqu'un article remettait en cause cette interdiction de le ponctionner.

Aujourd'hui, on peut se demander si le Gouvernement n'a pas uniquement soutenu la création du Fonds pour disposer d'une réserve dans laquelle il puisse puiser régulièrement. Car nous avons une difficulté : on nous propose de ne pas faire la ponction, mais si nous ne la faisons pas, l'argent prévu pour Pôle Emploi et pour l'AFPA ne peut être versé.

Je vous propose donc un amendement de repli, qui tendrait à maintenir la ponction mais en la limitant à 100 millions, afin de pouvoir tenir les engagements pris auprès de Pôle Emploi et de l'AFPA. Les 200 autres millions, en effet, devaient couvrir une charge qui incombe normalement à l'État, à savoir l'indemnisation des personnes en formation dans des dispositifs d'État.

Mme Nadine Morano, ministre. C'est n'importe quoi !

M. Jean-Patrick Gille. Je vous propose, de manière raisonnable, de limiter la ponction opérée par l'État à 100 millions.

Enfin, nous avions déposé un amendement par lequel nous demandions un rapport sur le fonctionnement du Fonds et sur son utilité, et nous ne comprenons pas que l'article 40 lui ait été opposé, car il ne coûtait rien et n'était pas non plus un cavalier : nous sommes bien dans un débat budgétaire, où l'on voit comment État fait les poches de ses partenaires pour assurer ses fins de mois !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur spécial . Avis favorable - à titre personnel car l'amendement n'a pas été examiné.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard, rapporteur pour avis.

M. Arnaud Richard, rapporteur pour avis . J'ai peine à comprendre la cohérence de M. Gille, qui devient vert de rage lorsqu'on parle d'une ponction de 300 millions et ne l'est plus, ou moins, s'il ne s'agit que de 100 millions. Comment peut-on être ulcéré à 300 millions et proposer soi-même 100 millions ? Je ne comprends pas ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Gille !

M. Jean-Patrick Gille. Je ne suis pas vert de rage, ce n'est pas mon tempérament. J'essaie simplement de souligner le vrai problème que cet article pose, au-delà du Fonds, quant au fonctionnement même de l'État. La difficulté est inextricable, car la ponction n'est pas acceptable, mais la refuser, c'est priver de crédits Pôle Emploi et l'AFPA, alors que je me suis justement battu pour leur obtenir des crédits supplémentaires.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous l'avons bien compris. Passons au vote !

M. Jean-Patrick Gille. Ce débat est, à mon sens, nécessaire, et cette question du fonctionnement, de la pertinence et de l'utilité du Fonds paritaire doit être posée, tout comme celle du respect des partenaires sociaux. Mais j'ai bien conscience qu'il est un peu tard pour le faire maintenant.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nadine Morano, ministre. Je garderai la même couleur que M. Richard, et je dirai défavorable.

(L'amendement n° 322 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 329 présenté par M. Eckert, est ainsi libellé :

Supprimer l'alinéa 3.

La parole est à M. Christian Eckert, rapporteur spécial, pour soutenir l'amendement n° 329.

M. Christian Eckert, rapporteur spécial . Compte tenu de l'évolution du débat et des amendements précédents, je le retire.

(L'amendement n° 329 est retiré.)

(L'article 63 est adopté.)