IV. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU VENDREDI 2 DÉCEMBRE 2011)

Article 64 quinquies (nouveau)

Mme la présidente. « Art. 64 quinquies . - Est autorisée la cession par l'État des bois et forêts composant le domaine de Souzy-la-Briche, objet des actes de donation des 22 mai 1969, 12 avril 1972 et 19 décembre 1975.

Mme la présidente. L'amendement n° II-38, présenté par MM. Dallier et de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L'article 64 quinquies a pour objet d'autoriser la cession par l'État des bois et forêts composant le domaine de Souzy-la-Briche, situé dans l'Essonne.

La commission des finances a examiné de près la cession de ce bien immobilier qui avait fait l'objet de plusieurs actes de donation, en 1969, 1972 ou encore en 1975. D'abord affecté au Président de la République, le domaine avait été mis en 2007 à la disposition du Premier ministre. N'étant pas utilisé, il avait depuis été mis en location.

L'entretien de ce domaine est relativement coûteux pour l'État et, compte tenu de l'état des finances publiques, il est concevable que sa cession puisse contribuer, comme l'a dit M. le ministre, à réduire les déficits. D'après les informations que la commission des finances a recueillies, le produit de la vente pourrait ainsi s'établir à 4,5 millions d'euros, ce qui, par ces temps de disette budgétaire, n'est en effet pas négligeable.

En 2009, à la suite du contrôle qu'elle avait effectué sur les comptes et la gestion des services de la présidence de la République au titre de l'année 2008, la Cour des comptes avait d'ailleurs mis en exergue le coût afférant à l'entretien de ce domaine, qui, je l'ai dit, sert très peu. On peut donc estimer que la cession est utile, voire nécessaire.

Je donne en tout cas un bon point au Gouvernement dans la mesure où il passe par la loi.

En tant que rapporteur spécial pour la gestion du patrimoine immobilier de l'État, j'ai eu précédemment à connaître d'une cession qui a fait polémique, celle de l'hippodrome de Compiègne (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) à propos de laquelle j'ai fait un rapport, adopté par la commission des finances. C'est ce précédent qui a conduit celle-ci à vouloir obtenir davantage d'informations sur la cession du domaine de Souzy-la-Briche.

Dont acte, cette fois le Gouvernement utilise la voie législative, mais cela n'avait pas été le cas pour l'hippodrome de Compiègne, raison pour laquelle la commission des finances s'était penchée sur les conditions de la cession et, surtout, avait tenu à vérifier que le droit avait été respecté.

M. Jean-Jacques Mirassou. Dura lex, sed lex !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous avions alors constaté que le Gouvernement avait exploité une faille juridique, une divergence existant à l'époque entre la doctrine et la jurisprudence, pour se dispenser d'une loi.

En l'espèce, ce n'est pas un reproche qui peut lui être fait, mais je rappelle qu'il s'agit d'une donation à l'origine : ce sont sans doute les donateurs qui ont exigé que l'on passe par la loi.

M. François Sauvadet, ministre. Non, c'est le Gouvernement qui l'a voulu !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La situation est donc un peu différente que dans l'affaire de Compiègne, ce qui explique que l'on en discute ce matin.

Si nous connaissons l'estimation du domaine de Souzy-la-Briche qu'a réalisée France domaines, nous ignorons en revanche dans quelles conditions s'effectue cette cession. Par conséquent, dans la mesure où elle ne dispose pas d'éléments suffisants lui permettant de se prononcer de manière éclairée, la commission des finances a déposé cet amendement de suppression de l'article 64 quinquies .

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Sauvadet, ministre. J'entends bien les arguments qui sont avancés. Cependant, j'ai surtout relevé que, sur ce dossier, le positif l'emportait sur le négatif. Madame la rapporteure générale, vous avez observé vous-même que le Gouvernement avait choisi la bonne méthode en décidant d'agir par voie législative. À vous croire, ce seraient les ayants droit qui auraient imposé ce recours à la loi. Non ! Quand les cessions concernent des biens dont la superficie excède 150 hectares - le domaine de Souzy-la-Briche en compte 280 -, c'est la loi qui nous impose de procéder ainsi.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Et Compiègne ?

M. François Sauvadet, ministre. Il nous faut aujourd'hui répondre à cette question : l'État doit-il continuer à conserver des biens dont la Cour des comptes a pointé l'entretien coûteux ou procéder à leur cession ?

M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n'est pas la question ! La question, c'est : Comment on cède ?

M. François Sauvadet, ministre. J'y viens ! Cette cession se fera dans le cadre d'un appel d'offres, France Domaines fixera un prix minimal, qui constituera le prix de réserve. Il s'agit là d'une procédure tout à fait transparente, qui ne peut faire l'objet d'aucune suspicion.

M. Jean-Jacques Mirassou. Et Chantilly ?

M. François Sauvadet, ministre. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, peut-on se permettre d'attendre ? Pensez-vous véritablement que nos compatriotes comprendraient que, au motif que vous vous interrogez sur les conditions de cette cession et alors que je viens de vous apporter toutes les assurances en la matière, leur argent serve à continuer à entretenir un bien dont l'État n'a plus l'utilité ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'en appelle à votre responsabilité.

M. Jean-Jacques Mirassou. Allons, allons !

M. François Sauvadet, ministre. Madame la rapporteure générale, dans cette affaire, le chat se mord la queue, si vous me permettez cette expression populaire. Sans l'adoption de cet article, nous ne pouvons procéder à la cession de ce domaine, nous ne pouvons engager le dialogue avec les ayants droit. Je vous le répète, n'ayez aucune crainte : toutes les garanties vous sont apportées ! A l'heure où nous demandons des efforts aux Français, donnez à l'État la possibilité de se séparer de biens dont il n'a plus l'utilité !

J'en appelle donc à un sursaut de sagesse de la part du Sénat. Je ne doute pas que la Haute Assemblée sera à la hauteur de sa légendaire réputation. (Sourires ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. Jean-Jacques Mirassou. La flagornerie ne marche pas !

M. François Sauvadet, ministre. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. La commission des finances s'est interrogée sur les conditions de cession du domaine de Souzy-la-Briche. Le ministre a apporté des éléments de réponse satisfaisants : cette vente fera l'objet d'un appel d'offres et France domaines en assurera sans doute la publicité.

Je souhaite insister sur deux points.

D'une part, l'entretien de ce domaine a un coût pour le budget de l'État, de l'ordre de plusieurs dizaines de milliers d'euros par an : il a même atteint 200 000 euros avant que l'on ne parvienne à réduire les frais, de gardiennage notamment.

D'autre part, dans la mesure où il n'est pas utilisé, ce bien se dégrade.

M. François Sauvadet, ministre. Bien sûr !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. Je me suis intéressé de près à cette question en tant que rapporteur spécial et je sais qu'il y a des problèmes d'humidité, de fuite. Si nous attendons, le bien risque de ne plus valoir grand-chose ! Par conséquent, retarder cette cession, c'est s'exposer à vendre ce bien dans des conditions moins favorables que celles d'aujourd'hui.

M. François Sauvadet, ministre. Oui !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. M. le ministre l'a rappelé, toutes les garanties sont réunies en termes de transparence et de publicité ; mon collègue rapporteur spécial et moi-même y veillerons. Par conséquent, je ne vois pas aujourd'hui ce qui s'oppose à cette cession, sinon peut-être le souvenir de la façon dont se déroulait à une certaine époque ce type de transaction. Mais on ne reviendra pas sur le cheval turkmène ou d'autres épisodes...

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. Pas de nostalgie !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur spécial. En termes budgétaires, compte tenu du coût de l'entretien de ce bien et d'une déperdition de sa valeur, nous avons tout intérêt à le céder dans les meilleures conditions, c'est-à-dire le plus vite possible.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Si nous nous intéressons autant aux conditions de cession de ce bien, c'est parce que celui-ci est composé de différents éléments : on y trouve des bois et forêts, des dépendances, une maison de maître, etc. Je ne peux me prononcer sur la beauté du bâtiment principal, la commission des finances n'ayant pas pu s'y rendre. Pour ma part, j'étais allée à Compiègne, mais le temps me manque désormais. Cependant, je ne doute pas que nos deux rapporteurs spéciaux qui sont tout à fait vaillants examineront tout cela de près.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. Nous sommes un peu occupés en ce moment ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Les ayants droit sont en droit - sans jeu de mots - de demander un remploi des sommes qui tomberaient dans l'escarcelle de l'État, conformément à leurs souhaits. C'est bien ce qui s'était passé dans l'affaire de Compiègne : lors de la vente, France Domaines avait fixé à l'acquéreur des conditions de remploi des sommes. C'est important. Or, sur cette matière, nous ignorons tout des conditions que les ayants droit du domaine de Souzy-la-Briche ont posées.

J'en viens à la partie bois et forêts. Monsieur le ministre, vous savez très bien que le patrimoine forestier doit être reconstitué. À Compiègne, cela a fait l'objet d'un différend entre le ministère de l'agriculture et celui du budget, le premier ayant exigé cette reconstitution, à une échelle géographique pertinente, qui a bloqué l'affaire pendant plusieurs années.

Je rappelle que l'Office national des forêts a son mot à dire. Or j'ignore dans quelles conditions il a été consulté. Beaucoup a été fait, sans doute. Je fais confiance à l'administration et ce n'est pas moi qui critiquerai systématiquement la fonction publique dont vous avez la responsabilité en tant que ministre. Toujours est-il qu'il ne paraît pas urgent d'accepter cette cession.

D'autres textes financiers seront soumis au Sénat d'ici à la fin de l'année : un projet de loi de finances rectificative est prévu et, compte tenu de l'état de nos finances et de la crise de la zone euro, il nous faudra peut-être en examiner un autre avant l'élection présidentielle. Vous pourrez alors nous donner tous les éléments d'information nécessaires, monsieur le ministre.

Le débat que nous avons ce matin est utile en ce qu'il améliore la connaissance de la commission des finances. Toutefois, cela ne suffira pas à le solder.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Sauvadet, ministre. Je comprends bien les préoccupations que vous exprimez sur les conditions de cession, madame la rapporteure générale. Pour autant, nous ne pouvons pas rester dans cette situation de quasi- blocage, avec un bien que l'État a sur les bras, qui lui coûte cher et dont il doit se séparer. Personne ne conteste ce point. L'opportunité de la vente n'est pas en jeu.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce n'est pas cela le problème !

M. François Sauvadet, ministre. Personne ne conteste non plus les conditions de transparence dans lesquels s'établira cette cession. J'ai indiqué qu'un appel d'offres aura lieu et qu'un prix minimum, que vous avez d'ailleurs dévoilé prématurément, sera fixé. Les ayants droit nous demandent d'être habilités à procéder à cette cession avant d'engager toute négociation ; vous n'ignorez rien de la nature de ces échanges, puisque c'est un bien qui avait été donné à l'État. Tel est l'objet de l'article 64 quinquies . Il va de soi que le Gouvernement reviendra ensuite devant la Haute Assemblée et la commission des finances pour indiquer le périmètre, les conditions, etc.

Il est temps de sortir de cette situation.

N'en doutez pas : le Gouvernement est résolu à préserver les intérêts de l'État et à faire en sorte que les conditions de transparence autour de cette cession soient pleinement garanties. J'en prends l'engagement devant vous. De grâce, mesdames, messieurs les sénateurs, ne repoussez pas à demain ce que la situation exige que nous fassions aujourd'hui.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On aurait pu le faire hier !

M. François Sauvadet, ministre. On aurait pu le faire avant-hier, et même avant ! Laissons l'Histoire de côté. Je me garderai bien de me hasarder sur ce terrain ; je reste prudemment à ma place et vous demande simplement d'habiliter le Gouvernement pour qu'il puisse engager la discussion avec les ayants droits.

J'en appelle à votre esprit de responsabilité. Je sais, madame la rapporteure générale, que vous en avez toujours été animée. Nous l'avons en partage.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° II-38.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'article 64 quinquies est supprimé.