MM. Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier, rapporteurs spéciaux

II. LES PRODUITS DE CESSIONS : UN ENJEU MAJEUR QUI NE DOIT PAS ÊTRE SACRIFIÉ SUR L'AUTEL DU COURT TERME

A. DES PRODUITS DE CESSIONS EN BAISSE... MAIS SURÉVALUÉS ?

Au titre de l'exercice 2014, le montant prévisionnel des cessions est évalué à 470 millions d'euros . Cette prévision est conforme à la baisse des produits de cession enregistrée depuis deux ans, notamment en raison du recul du marché immobilier en 2012 et 2013.

Parmi ces projets de cessions, 202 portent sur des biens d'une valeur estimée à plus d'un million d'euros 44 ( * ) .

La baisse du montant des cessions attendues s'explique avant tout par deux facteurs : d'une part, la baisse du nombre et de l'importance des opérations prévues ; d'autre part, la baisse des prix du marché .

Produits des cessions immobilières de l'Etat

(en millions d'euros)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Prévisions

600

439

500

600

1 400

900

400

500

530

470

Réalisations

634

798

820

395

475

592

597

547

Écart

+ 34

+ 359

+ 320

- 205

- 925

- 308

+ 197

+ 47

Source : projets annuels de performances et rapports annuels de performances successifs

En 2013, les prévisions de cessions s'élèvent à 530 millions d'euros. Au 30 septembre 2013, 52 % des prévisions avaient été réalisées, soit 275 millions d'euros. Parmi les biens cédés, 28 l'ont été pour un montant supérieur à un million d'euros 45 ( * ) .

En 2012, les cessions ont atteint 547 millions d'euros, dont 32 % réalisées par le ministère de la défense, 14 % par le ministère de l'écologie, et 11 % par le ministère de l'éducation nationale 46 ( * ) .

Toutefois, la baisse des recettes attendue en 2014 ne saurait exclure une surévaluation de celles-ci . Vos rapporteurs spéciaux constatent en effet que les produits de cessions du compte d'affectation font régulièrement l'objet d'estimations très optimistes en début d'année. Ils seront donc très vigilants quant à la pertinence des évaluations proposées dans le présent projet de loi de finances.

Des précautions sont naturellement prises à cet égard. La performance du programme est ainsi jugée en fonction de la capacité de France Domaine à évaluer les biens à leur juste valeur vénale :

- un premier indicateur mesure la « moyenne pondérée des écarts relatifs entre prix de cession et estimation domaniale ». A cet égard, la cible de 0,02 % d'écart entre prix de cession et estimation, qui contraste avec l'objectif de 0,15 % en 2013, ne doit pas être prise pour un excès de zèle : c'est en fait la méthodologie qui a changé, les résultats étant maintenant pondérés en fonction de l'importance des cessions 47 ( * ) .

- un second indicateur mesure l'« écart type des écarts relatifs entre le prix de cession et l'estimation domaniale ». On constate ici une modération des ambitions, la cible à horizon 2015 étant désormais de 0,40, contre 0,28 dans le projet annuel de performances annexé au PLF pour 2013.

Les prévisions de recettes sont établies à partir de l'outil de suivi des cessions (OSC), qui est pleinement opérationnel depuis cette année. Celui-ci inclut un « système de pondération [qui] repose sur une analyse intrinsèque du bien, avec une grille de cotation distinguant les biens dits "faciles" à vendre, les biens "difficiles" et les biens "très difficiles" . Ce mécanisme conduit ainsi à "redresser" les résultats bruts de l'OSC pour obtenir des résultats nets, fiabilisés 48 ( * ) ».

B. LE RISQUE PERSISTANT D'UNE POLITIQUE À COURTE VUE

1. Des ventes à vil prix ?

Une surévaluation des recettes pourrait aussi suggérer - et c'est plus grave - une vente de certains biens à un prix inférieur à leur valeur réelle , afin de réaliser des économies budgétaires immédiates.

Vos rapporteurs spéciaux, qui déplorent que très peu d'informations pertinentes soient disponibles pour juger du bien-fondé d'un prix de cession, s'inquiètent particulièrement de ce risque dans le contexte actuel. Or la nécessité de contribuer au désendettement ne doit pas conduire l'Etat à céder ses biens à vil prix .

Cette préoccupation de vos rapporteurs spéciaux vaut d'abord pour l'immobilier de prestige , et notamment les immeubles historiques situés au centre de Paris. L'Etat a par exemple annoncé la vente de l'ensemble de Penthemont , soit 12 438 m² occupés par le ministère de la défense jusqu'en 2016 et composés d'un ancien couvent et d'un ancien bâtiment militaire, entre la rue de Bellechasse et la rue de Grenelle dans le 7 ème arrondissement de Paris. Vos rapporteurs spéciaux seront très vigilants quant aux conditions de cessions d'un ensemble de ce type . Les mêmes questions se posent, par exemple, pour la vente de l'Hôtel de Brienne prévue - mais reportée - depuis plusieurs années.

2. Des recettes immédiates contre des charges permanentes ?

Plus fondamentalement, vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur les fondements mêmes de la politique immobilière de l'Etat . Celle-ci apparaît en effet de plus en plus victime d'une logique à courte vue , consistant pour à vendre pour générer des recettes immédiates, quitte à supporter des charges locatives pérennes par la suite.

Le cas de l'immobilier du ministère des affaires étrangères , auquel s'est récemment intéressée votre commission des finances 49 ( * ) , en fournit un exemple éclairant. Ainsi, la vente de la résidence du consul de France à Hong Kong a rapporté 52 millions d'euros en juin 2011, dont 18 millions d'euros réinvesti dans l'achat d'un immeuble à Shanghai. Mais l'achat d'une nouvelle résidence à Hong Kong étant apparu trop onéreux dans le contexte actuel, le ministère s'est résolu à louer... la même résidence qu'il venait de céder ! De propriétaire, l'administration est devenue locataire du même lieu pour deux années, dans une ville où les loyers ne sont de surcroît pas garantis.

La mise en vente de la résidence de l'ambassadeur de France auprès de l'ONU à New York , à un prix estimé à 30 millions d'euros, débouchera-t-elle sur une même erreur ?

3. Le désendettement et la construction de logements sociaux : deux politiques contradictoires

Enfin, vos rapporteurs spéciaux estiment que la volonté de faire contribuer les cessions immobilières au désendettement de l'Etat se heurte frontalement aux objectifs poursuivis par la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement 50 ( * ) . En effet, l'Etat est autorisé à céder des terrains de son domaine privé à un prix inférieur à leur valeur vénale, lorsque ces terrains sont en partie destinés à la construction de logements 51 ( * ) . Or l'article 3 de la loi du 18 janvier 2013 prévoit que « pour la part du programme destinée aux logements sociaux [...] , la décote ainsi consentie peut atteindre 100 % de la valeur vénale du terrain ». En d'autres termes, la cession peut aller jusqu'à la gratuité s'il s'agit de construire des logements sociaux. Parmi les biens concernés figure par exemple la caserne de Reuilly, cédée à la ville de Paris le 9 juillet 2013 pour 40 millions d'euros, contre une estimation précédente de 64,5 millions d'euros. Entre 400 et 500 logements sociaux devraient être construits.

Vos rapporteurs spéciaux voient là une contradiction majeure entre deux volets de la politique actuellement menée par le Gouvernement , entre lesquels il importe de choisir au plus vite, au risque de n'obtenir des résultats dans aucun des deux.

C. UNE ABSENCE DE RÉELLE CONTRIBUTION AU DÉSENDETTEMENT DE L'ETAT EN 2014

1. Une contribution inférieure à l'objectif de 30 %

En vertu de la loi de finances initiale pour 2011 (cf. supra ), le taux de contribution au désendettement devrait être de 30 % du produit attendu des cessions, soit 141 millions d'euros.

Cependant, le taux de contribution effectif ne devrait être que de 17 % en 2014, soit 80 millions d'euros portés par le programme 721. Cette différence s'explique par les exonérations dont bénéficient certaines cessions . En effet, la contribution ne s'applique pas :

- aux produits de cessions des immeubles mis à disposition du ministère de la défense, et aux immeubles situés à l'étranger 52 ( * ) , jusqu'au 31 décembre 2014 ;

- aux biens des établissements d'enseignement supérieur ayant demandé à bénéficier de la dévolution de leur patrimoine ;

- aux biens situés dans le périmètre de l'opération nationale d'aménagement du plateau de Saclay ;

- aux produits de cessions des immeubles occupés par la direction générale de l'aviation civile (DGAC), lesquels sont affectés au désendettement du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».

Vos rapporteurs spéciaux estiment qu' il s'agit là d'un effort insuffisant , même s'ils se félicitent de la hausse par rapport au taux effectif de 15 % prévu en 2013 et de 12,4 % constaté en 2012.

2. Une contribution purement formelle en 2014

Pour 2014, il est prévu un déséquilibre du compte de 80 millions, rigoureusement égal aux crédits du programme 721 « Contribution au désendettement de l'Etat ». En d'autres termes, le transfert de 80 millions d'euros au budget général sous forme de recettes non fiscales destinées au désendettement relève d'un artifice comptable .

Comme l'ont déjà montré vos rapporteurs spéciaux lors de l'examen des précédents projets de loi de finances, ce déséquilibre ne traduit pas nécessairement une anticipation de dégradation du solde, mais un changement méthodologique qui va dans le sens de plus de réalisme . En effet, jusqu'en 2012, le CAS était considéré comme soumis à une stricte annualité, les recettes d'une année servant à financer les dépenses de cette même année. Le taux de rétrocession, alors de 15 %, était donc mécaniquement appliqué aux prévisions de recettes, les dépenses immobilières étaient par construction égales aux 85 % restants.

Toutefois, la réalité est bien différente. Les dépenses immobilières obéissent à une logique propre, très largement pluriannuelle , de sorte que celles-ci peuvent être, une année donnée, tantôt inférieures et tantôt supérieures au solde. A la fin, les ministères sont bien censés rétrocéder les montants correspondants à leurs cessions.

Cependant, la répétition sur plusieurs années de cette logique constitue un dévoiement de la vocation du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » . Vos rapporteurs spéciaux s'inquiètent donc de voir se perpétuer une contribution purement fictive des produits de cessions au désendettement de l'Etat.


* 44 Source : questionnaire budgétaire.

* 45 Source : questionnaire budgétaire.

* 46 Source : questionnaire budgétaire.

* 47 De plus, les cessions aux collectivités locales et les cessions auxquelles une décote est appliquée en vertu de la loi du 18 janvier 2013 (cf. infra ), pour lesquelles la valeur estimée est par construction égale au prix de vente, sont dorénavant exclues du calcul de cet indicateur et du suivant.

* 48 Source : questionnaire budgétaire.

* 49 Cf. audition de Nathalie Morin, chef du service France Domaine, et de Yves Saint-Geours, directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères, le 5 juin 2013, par la commission des finances du Sénat.

* 50 Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

* 51 Article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques.

* 52 Qu'il s'agisse ou non de biens affectés au ministère des affaires étrangères.