MM. Georges PATIENT et Eric DOLIGÉ, rapporteurs spéciaux

II. LE DISPOSITIF D'AIDE AU FRET

Les surcoûts précités font l'objet d'une compensation financière, à travers deux dispositifs, qui peuvent se cumuler :

- au plan communautaire , il s'agit de l'allocation spécifique de compensation des surcoûts liés aux handicaps des régions ultrapériphériques, prévue au titre du Fonds européen de développement régional (Feder) ; ce soutien est plafonné à 50 % des dépenses engagées ;

- au plan national , il s'agit de l'aide au fret, instituée par l'article 24 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodeom), complété par le décret n° 2010-1687 du 29 décembre 2010.

L'aide au fret concerne à la fois les produits, destinés à entrer dans un cycle de production (intrants), provenant de l'Union européenne et à destination des départements ou collectivités ultramarines, que les exportations vers l'Union européenne après un cycle de production dans ces territoires (extrants).

Son bénéfice est ouvert aux entreprises situées dans les DOM, à Saint-Barthélemy et à Saint Martin, sauf pour celles des secteurs de l'industrie automobile, des fibres synthétiques, de la sidérurgie, de l'industrie charbonnière ainsi que du secteur de la pêche. Les entreprises établies à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna peuvent également en bénéficier, quelle que soit leur activité.

Les productions qui ne peuvent pas être délocalisées, comme par exemple les produits d'extraction, ne sont pas éligibles à l'aide au fret. Les produits agricoles en sont également exclus (sucre et banane notamment).

La base éligible de l'aide est égale au coût prévisionnel annuel hors taxes des dépenses de transport maritime ou aérien le plus économique, en incluant les assurances, les frais de manutention et de stockage temporaire avant enlèvement.

L'aide est accordée sur justification des frais effectifs.

Il existe néanmoins une limite à son montant : celui-ci ne peut avoir pour effet de porter le niveau de compensation des coûts de transport au-delà de 75 % de la base éligible , en tenant compte des aides du Feder. En d'autres termes, le soutien de l'État se situe à 25 % maximum.

Les collectivités territoriales, en revanche, peuvent compléter cette aide au-delà de la limite de 75 %, mais seule La Réunion a mis en place une aide complémentaire, qui permet d'atteindre le seuil de 85 %.

III. UN DISPOSITIF QUI N'A PAS ENCORE DONNÉ TOUTE SA MESURE

A. UN DISPOSITIF MOINS UTILISÉ QUE PRÉVU DU FAIT DE LA COMPLEXITÉ DES PROCÉDURES

1. Une exécution largement inférieure aux prévisions de 2009

Avec un surcoût total estimé à 76 millions d'euros, on obtient un « potentiel d'aide étatique » de 19 millions d'euros (25 %). Compte tenu de la croissance économique depuis 2006, on peut estimer que ce montant est même supérieur.

Le tableau ci-dessous retrace les crédits inscrits en loi de finances initiale au titre de l'aide au fret.

Crédits inscrits en LFI (AE = CP)

(en millions d'euros)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

27

27

25

17(*)

6

6

* dont rénovation hôtelière

Source : Documents budgétaires

On observe une baisse très importante, puisqu' en quelques années les crédits ont été divisés par 4,5 .

Interrogée par vos rapporteurs spéciaux sur ce décalage entre les montants initialement prévus et l'exécution, l'administration a expliqué que tout d'abord, la montée en puissance avait été lente .

Il faut en effet rappeler que l'aide, inscrite dans la loi en mai 2009, n'a été opérationnelle qu'en 2011, le décret d'application ayant été publié en décembre 2010.

La première année d'application - 2011 donc - les AE exécutées se sont élevées à 7 millions d'euros environ et les CP à 4 millions d'euros. On reste donc très éloigné des 25 millions d'euros inscrits en loi de finances.

Cependant, en 2012, le montant exécuté n'a pas été sensiblement plus proche du montant initialement prévu (10 millions d'euros en AE et 4,5 millions en CP). La lenteur de la montée en puissance n'explique donc pas à elle seule ce faible montant.

2. La nécessité de mettre en place des procédures simplifiées

Vos rapporteurs spéciaux se sont penchés sur les conditions dans lesquelles est mise en oeuvre l'aide au fret, dans les différents territoires.

En effet, l'une des causes expliquant un recours à cette aide inférieur aux prévisions initiales est la complexité administrative du dispositif.

D'après les informations recueillies par vos rapporteurs spéciaux, plus de la moitié des entreprises ultramarines ont rencontré des difficultés dans la constitution de leur dossier . De même, la délégation générale à l'outre-mer note que « des entreprises ne disposant pas de ressources et de compétences en interne pour monter un dossier de subvention ne font pas l'effort de s'approprier le dispositif et d'en mesurer ses avantages et inconvénients ».

Vos rapporteurs spéciaux ont relevé que La Réunion a mis en place un dispositif de guichet unique : la demande de subvention est déposée auprès de la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE), qui l'instruit au regard des critères d'éligibilité au Feder (qui sont identiques) avant de l'adresser au préfet de région pour engagement juridique et paiement. Lorsque l'aide est supérieure à 50 000 euros, un visa préalable du contrôleur financier en région est nécessaire.

À titre de comparaison, dans les autres territoires, jusqu'à trois services différents peuvent intervenir dans l'instruction administrative.

Vos rapporteurs spéciaux appellent donc les autorités compétentes à mettre en place des procédures plus simples, pouvant notamment s'inspirer du guichet unique mis en place à La Réunion.

B. UN NIVEAU DES CRÉDITS QUI POURRAIT S'AVÉRER INSUFFISANT

Étant donnée l'évolution des crédits inscrits en loi de finances initiale, vos rapporteurs spéciaux se sont demandés s'il existait, désormais, un risque que ceux-ci soient insuffisants.

Les crédits de l'aide au fret sont portés par l'action 01 « Soutien aux entreprises » du programme 138 « Emploi outre-mer ». Entre 2011 et 2013, ils n'étaient pas distingués de ceux consacrés aux aides à la rénovation hôtelière. La répartition était ensuite décidée en gestion par le responsable de programme, au regard des besoins exprimés par les préfectures. On s'intéressera donc à l'exécution de ces deux aides, retracées dans les tableaux ci-dessous.

Exécution des crédits consacrés à l'aide au fret

(en millions d'euros)

2011

2012

AE

CP

AE

CP

Guadeloupe

2,00

0,37

2,12

1,45

Guyane

0,47

0,00

0,95

0,31

Martinique

0,00

0,00

2,72

1,04

La Réunion

4,46

3,34

3,90

1,56

Mayotte

0,05

0,05

0,17

0,17

Saint-Pierre-et-Miquelon

0,00

0,00

0,03

0,03

Total

6,98

3,76

9,89

4,56

Source : Délégation générale à l'outre-mer

Exécution des crédits consacrés à la rénovation hôtelière

(en millions d'euros)

2011

2012

AE

CP

AE

CP

Total

6,40

1,78

1,86

2,79

Source : Délégation générale à l'outre-mer

On observe donc qu'en 2011, le total des AE consommées sur ces deux aides s'élevait à plus de 13 millions d'euros et à près de 12 millions d'euros en 2012. En CP, ce total s'élevait respectivement à 5,5 millions d'euros et à 7,4 millions d'euros.

Or, en 2013, seulement 9 millions d'euros ont été inscrits en loi de finances (AE = CP), dont 6 millions finalement consacrés à l'aide au fret. Il en est de même pour 2014.

Dès lors, vos rapporteurs spéciaux s'inquiètent que les crédits inscrits puissent se révéler désormais insuffisants, au regard des besoins.

C. UNE AIDE UTILISÉE AVANT TOUT POUR SAUVER DES EMPLOIS PLUTÔT QUE POUR EN CRÉER

Enfin, vos rapporteurs spéciaux se sont intéressés à la façon dont les entreprises utilisaient cette aide. Les données ci-dessous sont issues d'une enquête réalisée auprès des entreprises. Les chiffres correspondent aux pourcentages des réponses, et non aux pourcentages des montants.

Utilisation de l'aide au fret

(pourcentage des utilisateurs)

Investissements productifs

17,5 %

Mise au point de nouveaux produits

4,4 %

Création d'emplois

6,1 %

Baisse ou maintien des prix

37,7 %

Trésorerie

21,1 %

Recherche de nouveaux marchés

10,5 %

Autre

2,6 %

Source : Délégation général à l'outre-mer

Il en ressort que, du fait de la concurrence à laquelle elles sont confrontées, les entreprises bénéficiaires de l'aide au fret privilégient la réduction ou le maintien des prix de leur production (38 %) ou les investissements productifs (18 %) - qui permettent à terme d'abaisser les coûts -, plutôt que la création d'emplois (6 %).

L'aide est également utilisée pour augmenter leur trésorerie (21 %), dans un contexte où les entreprises ultramarines ont traditionnellement des difficultés à accéder au crédit bancaire.