Travaux de la commission des lois



- Présidence de M. René Garrec, président.

Etrangers - Conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-René Lecerf, sur la proposition de loi n° 360 (2003-2004), adoptée par l'Assemblée nationale relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a expliqué que, sans remettre en cause la récente réforme des mesures d'éloignement opérée par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, la proposition de loi permettait de combler un vide juridique en offrant un moyen de lutter efficacement contre le comportement de tout étranger portant atteinte aux valeurs de la République.

Il a rappelé que la loi du 26 novembre 2003 avait créé une protection quasi absolue contre les mesures d'expulsion pour les étrangers ayant les liens familiaux, sociaux et culturels les plus forts avec la France. Il a ajouté que si une protection existait déjà pour certains étrangers depuis la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France et qu'elle avait été maintenue par la loi du 26 novembre 2003, elle n'était toutefois que relative, dans la mesure où l'étranger bénéficiant de cette protection pouvait néanmoins faire l'objet d'une mesure d'éloignement s'il avait été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans, ou si son expulsion constituait une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique.

Après avoir mentionné les catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection absolue contre l'expulsion, M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a signalé qu'une protection identique avait également été instaurée pour les peines d'interdiction du territoire français.

Il a ensuite expliqué que, seuls, les étrangers mineurs de 18 ans disposaient d'une protection véritablement absolue, le législateur ayant, pour les autres, assorti leur protection de quelques exceptions lorsque leur comportement remettrait en cause la sincérité de leur attachement à la République française.

Il a indiqué que les étrangers protégés pouvaient en effet être éloignés lorsque leurs comportements, soit sont de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou liés à des activités terroristes, soit constituent des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes. Il a ensuite précisé que l'étranger bénéficiant d'une protection absolue, parce qu'il a un conjoint français, ou l'étranger résidant en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ou un enfant français mineur, peut néanmoins être éloigné lorsque son expulsion résulte de faits qu'il a commis à l'encontre de son conjoint ou de ses enfants.

Il a ajouté qu'une mesure d'expulsion prise contre un étranger protégé devait être prise par le ministre de l'intérieur et qu'elle pouvait uniquement être prononcée lorsqu'elle constituait une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique, avant de relever que le nombre d'arrêtés ministériels d'expulsion pris chaque année ne cessait de diminuer depuis 2002.

Il a ensuite estimé nécessaire de modifier le champ d'application des exceptions à la protection quasi absolue, dans la mesure où l'exception basée sur la discrimination était limitée à celle en raison de l'origine ou de la religion.

Après avoir rappelé les circonstances de l'expulsion de M. Abdelkader Bouziane, imam de Vénissieux, et de son retour en France qui avait particulièrement choqué les Français du fait des propos portant fortement atteinte au statut de la femme tenus par cet étranger dans une revue lyonnaise, M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a expliqué que cet étranger n'aurait pu être expulsé du fait de ses seuls propos publics pourtant particulièrement discriminatoires.

Constatant la faille du dispositif prévu par la récente loi du 26 novembre 2003, il a indiqué que MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer avaient opportunément déposé une proposition de loi devant l'Assemblée nationale tendant à exclure de la protection absolue un étranger ayant commis tout acte de provocation explicite et délibéré à la discrimination, à la haine ou à la violence, quel qu'en soit le motif.

Il a affirmé que cette nouvelle rédaction permettrait de lutter efficacement contre ceux qui, par leurs comportements, leurs propos ou leurs écrits portaient atteinte aux valeurs fondamentales de la République et à la cohésion sociale.

Après avoir relevé que le projet de loi réformant le droit des étrangers en Allemagne prévoyait également des mesures facilitant l'expulsion d'étrangers considérés, du fait de leurs propos, comme particulièrement dangereux pour l'ordre public, M. Jean-René Lecerf, rapporteur,a indiqué que, bien que la rédaction prévue par la proposition de loi élargisse incontestablement le champ des exceptions à la protection quasi absolue, l'expulsion des étrangers protégés demeurerait exceptionnelle.

Il a en effet précisé que, seule, une provocation explicite et délibérée pourra permettre au ministre de prendre une mesure d'expulsion contre un étranger bénéficiant d'une protection absolue. Il a rappelé que conformément au droit en vigueur l'expulsion sera uniquement prononcée si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et après que l'étranger en aura été préalablement informé et qu'il aura été entendu par la commission d'expulsion qui devrait rendre un avis motivé au ministre de l'intérieur. Il a enfin confirmé que ces mesures d'expulsion pourraient être contestées devant le juge administratif, qui exercerait, comme pour toute mesure de police administrative, un contrôle approfondi.

Après avoir estimé que la loi du 26 novembre 2003 avait déjà fourni à l'administration un arsenal juridique considérable pour éloigner les étrangers, M. Robert Bret a regretté que la proposition de loi ait été prise en réaction au jugement du tribunal administratif ayant suspendu l'exécution de l'arrêté d'expulsion de M. Abdelkader Bouziane et alors que le Conseil d'Etat ne s'est pas encore prononcé en cassation.

Il a considéré qu'aucun vide juridique n'existait en réalité, des dispositions pénales permettant déjà de condamner M. Abdelkader Bouziane pour ses propos particulièrement discriminatoires envers les femmes. Il a craint que le texte proposé ne remette en cause la récente réforme des mesures d'éloignement, qui permet de limiter les cas de « double peine ».

Rappelant que le communautarisme ne cessait de se développer en France, de nombreuses difficultés étant d'ailleurs attendues lors de la rentrée scolaire prochaine, il a affirmé que le dispositif proposé par la proposition de loi risquait d'être dangereux et de susciter beaucoup d'inconvénients.

Après avoir estimé que ce texte était une loi de circonstance, M. Charles Gautier a indiqué que l'exécution de l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. Abdelkader Bouziane avait été suspendue du fait de l'insuffisance d'éléments apportés par les services de police pour justifier l'éloignement de cet étranger protégé. Il a affirmé que le dispositif proposé ne permettrait pas de lutter efficacement contre l'intégrisme, rappelant que des Français étaient également en cause dans la diffusion de telles thèses.

S'inscrivant en faux contre le qualificatif de texte de circonstance, M. Christian Cointat a indiqué que le cas de M. Abdelkader Bouziane avait uniquement permis de mettre en évidence un vide juridique qu'il convenait de combler par l'adoption de cette proposition de loi.

Après avoir affirmé que les dispositions législatives actuelles ne permettaient pas d'expulser les étrangers bénéficiant d'une protection absolue et ayant commis des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence pour d'autres motifs que l'origine ou la religion de personnes, M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a indiqué que tous les députés intervenus lors de l'examen de cette proposition de loi par l'Assemblée nationale avaient estimé intolérable le maintien de M. Abdelkader Bouziane sur le territoire français.

Il a également fait observer que ce texte ne remettrait pas en cause le jugement du tribunal administratif ayant suspendu l'exécution de l'arrêté d'expulsion visant M. Abdelkader Bouziane, cette mesure étant principalement fondée sur ses liens avec des activités terroristes.

Il a informé la commission du fait que le Gouvernement, qui avait dans un premier temps envisagé de faire du Conseil d'Etat le seul juge des arrêtés ministériels d'expulsion, avait finalement décidé de confier en premier ressort ce contentieux au tribunal administratif de Paris.

Après avoir rappelé qu'une mesure d'expulsion n'était pas une sanction pénale, mais une mesure préventive de police administrative, il a affirmé que la proposition de loi permettrait de lutter efficacement contre les étrangers qui, par leurs propos, pouvaient inciter d'autres personnes à commettre des actes de discrimination, de haine ou de violence. Il a estimé que, loin de remettre en cause la réforme récente des mesures d'éloignement qui avait limité les cas de « double peine », elle était susceptible d'éviter qu'elle ne soit remise en cause en offrant les moyens d'éloigner des étrangers dont le maintien en France pourraient ne pas être compris par les Français.

Il a précisé que la rédaction proposée permettrait de viser tous les appels à la discrimination, à la haine ou à la violence, que le motif soit par exemple l'origine, la religion, le sexe, les convictions politiques ou les orientations sexuelles d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminé.

Concédant à M. Charles Gautier que la proposition de loi ne permettait pas de résoudre tous les problèmes de l'intégrisme en France, il a jugé que des solutions efficaces pourraient être trouvées par ailleurs en matière pénale.

La commission a proposé d'adopter la proposition de loi sans modification.