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Mercredi 17 juin 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Économie, finances et fiscalité

État de la transposition de la directive « services »
Rapport d'information de M. Jean Bizet

M. Jean Bizet. - En février 2008, je vous avais présenté un premier rapport d'information sur la transposition de la « directive services », qui, je vous le rappelle, doit intervenir au 28 décembre prochain. A bientôt six mois de l'échéance, j'ai souhaité refaire le point dans un deuxième rapport. J'ai pu constater que d'importants efforts avaient été réalisés depuis la publication de mon précédent rapport.

La transposition de la « directive services » sera progressive. En effet, compte tenu de l'ampleur des travaux que requiert une transposition complète et définitive de ce texte, une approche réaliste, d'ailleurs partagée par la Commission européenne et les États membres, doit prévaloir.

La Commission continue d'entretenir des liens étroits avec les États membres et de leur apporter son soutien dans l'exercice de transposition. Elle exerce aussi une pression sur eux afin de les inciter à transposer dans les délais impartis. Elle a ainsi d'ores et déjà indiqué qu'elle ne ferait pas preuve d'une indulgence particulière pour déclencher les procédures d'infraction.

D'une manière générale, la Commission estime que l'ensemble des États membres fournissent d'importants efforts pour transposer la directive, même si elle constate que certains d'entre eux ne consacrent à cet exercice que peu de ressources administratives. Elle considère ainsi que l'échéance du 28 décembre 2009 sera respectée par la plupart des États membres, dont la France.

Notre pays, situé, selon la Commission, dans une « bonne moyenne », a bien progressé sur plusieurs aspects, en particulier les guichets uniques. De même, le screening, c'est-à-dire le passage en revue de la législation au regard des dispositions de la directive, a réellement avancé, même si cet exercice n'est pas complètement terminé, les discussions se poursuivant avec les différents ministères compétents sur certains points. Sans doute ce travail de screening aurait-il mérité d'être davantage connu par les différentes parties prenantes à la transposition, comme c'est le cas au Royaume-Uni, où un site Internet dédié dresse la liste des dispositions législatives et réglementaires qui devront être modifiées pour être conformes à la directive. De même, après un certain attentisme en la matière, les professionnels sont désormais impliqués dans la préparation de la transposition, même si ni les collectivités territoriales, ni les partenaires sociaux, ne le sont suffisamment.

Comme je l'indiquais à l'instant, la transposition sera graduelle. Aucun État membre n'aura transposé la « directive services » de façon complète et définitive le 28 décembre prochain. La transposition portera d'abord sur les principaux aspects du texte, puis sera progressivement améliorée. Il me paraît important que la qualité de la transposition soit appréciée de façon pragmatique afin d'écarter le risque d'une transposition bâclée.

Je voudrais également insister sur le fait que, depuis mon précédent rapport, le contexte a profondément évolué. Il est aujourd'hui beaucoup moins porteur, et pas seulement en France. Il est à craindre que la crise financière, puis économique, qui a éclaté à l'automne 2008, ne relègue la transposition de la « directive services » au second rang des priorités de bien des États membres. Or, il est indispensable que les gouvernements gardent à l'esprit que la transposition de ce texte fait partie des réformes structurelles qui, précisément, permettront de sortir de la crise. De ce point de vue, je me félicite que le gouvernement français ait récemment annoncé la poursuite de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

J'en viens maintenant aux modalités de transposition qui ont été retenues dans notre pays. Le gouvernement a abandonné l'objectif, qu'il avait initialement envisagé, d'une transposition par une loi-cadre. D'autres États membres ont fait le choix inverse, en particulier le Royaume-Uni, l'Espagne, les Pays-Bas ou la République tchèque. Une loi-cadre ne paraît pas le véhicule législatif idéal pour transposer une directive aussi technique. En outre, elle pourrait servir d' « épouvantail » à tous ceux qui seraient tentés d'instrumentaliser cet exercice à des fins électorales.

Le gouvernement a également écarté le recours aux ordonnances de l'article 38 de la Constitution pour transposer la directive. Il convient toutefois de rester vigilant en la matière. En effet, le gouvernement avait inclus, dans le projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, une disposition l'autorisant à prendre par ordonnance toutes mesures législatives réformant les conditions de création, d'organisation et de fonctionnement des laboratoires de biologie médicale et visant, notamment, à assouplir les règles relatives à la détention du capital des laboratoires. Cette disposition a finalement été supprimée par le Parlement, mais on voit là le souhait du gouvernement de permettre une mesure de transposition sectorielle par ordonnance.

L'abandon par le gouvernement d'une loi-cadre de transposition conduit en effet à instiller plusieurs dispositions de nature technique dans différents projets ou propositions de loi. Cette méthode est sans doute moins lisible, mais la « technicisation » de la transposition permet d'éviter l'apparition de polémiques stériles. Je me permets de vous renvoyer à mon rapport écrit, qui recense les différentes mesures de transposition déjà prises ou en cours d'examen. Vous pourrez constater que ces différentes mesures restent pour l'instant ponctuelles. Des incertitudes demeurent donc quant à la capacité du gouvernement de faire voter suffisamment de dispositions législatives de transposition d'ici la fin de l'année.

Les enjeux de la transposition de la « directive services » sont très importants, tant sur le plan économique qu'administratif. Il est également essentiel de les faire connaître, d'autant plus que les professionnels sont demandeurs d'informations. Une campagne de communication appropriée devrait donc être programmée. La Commission a prévu de vulgariser les bénéfices attendus de la directive et devrait engager une campagne de communication déclinée en fonction des différents publics visés. Néanmoins, il me semble qu'une telle campagne devrait, eu égard au principe de subsidiarité, relever pour l'essentiel des États membres. Or, à ma connaissance, en France, aucune campagne d'information générale n'est pour l'instant programmée par le gouvernement, à l'exception d'une communication sur les guichets uniques en direction des professionnels. D'autres États membres, le Royaume-Uni notamment, devraient au contraire engager une importante campagne de communication en la matière.

Je terminerai en évoquant les guichets uniques, qui constituent un volet important de la « directive services », sans doute son aspect le plus novateur et aussi le plus concret. Leur bon fonctionnement permettra de se prononcer sur le succès de la directive et d'en tirer toutes les opportunités. Or, si la situation est contrastée selon les États membres, notre pays a connu des avancées significatives dans la mise en place des guichets uniques depuis mon précédent rapport. La loi de modernisation de l'économie d'août 2008 a confié aux centres de formalités des entreprises (CFE) les missions incombant aux guichets uniques. La tâche est certes rendue plus complexe par l'existence de sept réseaux de CFE, la compétence catégorielle des CFE dépendant de la forme juridique et des activités de l'entreprise. Par exemple, les commerçants doivent s'adresser aux chambres de commerce et d'industrie, les artisans aux chambres de métiers et de l'artisanat, les professions libérales aux URSSAF, etc.

En décembre 2008, le Premier ministre a fait un discours dans lequel il a exposé le caractère ambitieux des guichets uniques français. Ces guichets devront avoir une dimension à la fois électronique et physique et permettre d'obtenir des informations et d'effectuer des formalités administratives. Dans d'autres États membres, les guichets uniques auront une dimension exclusivement électronique ou se limiteront à fournir des informations. Le secrétaire d'État en charge des services a présenté les orientations du développement des guichets uniques en février dernier. Il a annoncé la conduite de toute une série d'expérimentations relatives aux points de contact physiques et a précisé les modalités de fonctionnement du portail Internet, qui devrait fournir trois types de services :

1°) permettre la création d'entreprises de façon dématérialisée, en accomplissant en ligne l'ensemble des formalités administratives nécessaires. L'application informatique requise sera développée par un groupement d'intérêt public créé à cet effet ;

2°) délivrer des informations, sous forme de fiches destinées aux professions concernées, ainsi que les différentes pièces constitutives du dossier grâce à des formulaires disponibles sur Internet. Ces différentes informations seront à terme traduites en anglais ;

3°) effectuer des procédures administratives en ligne grâce à leur dématérialisation.

Les deux premiers services seront opérationnels à la fin de l'année, tandis que le troisième, d'une ampleur considérable, illustre le caractère graduel de la transposition.

On peut espérer que les futurs guichets uniques électroniques profitent de la dynamique du statut de l'entrepreneur individuel, communément appelé auto-entrepreneur, institué par la loi de modernisation de l'économie, en vigueur depuis le début de l'année. En effet, au premier trimestre de cette année, 80 % des 135 000 auto-entrepreneurs se sont enregistrés par Internet. Ces chiffres traduisent à la fois les attentes en matière de formalités administratives simplifiées, offertes par ce statut, et une certaine familiarité des nouvelles technologies. Ils laissent présager le succès des guichets uniques.

Je voudrais conclure en insistant sur l'importance de la période qui s'ouvrira après le 28 décembre 2009. L'année 2010 sera l'occasion de mesurer les premiers effets du texte. Surtout, la directive a prévu une procédure d'évaluation mutuelle qui a pour objectif d'inciter les États membres à coopérer dans la transposition de la directive. Il ne faudrait pas, en effet, qu'un retard trop important de certains États membres introduise une distorsion de concurrence qui pénaliserait les États les plus avancés dont les prestataires de services ne pourraient bénéficier d'une bonne transposition de la directive à l'étranger, contrairement aux ressortissants de l'État retardataire.

Au terme de la procédure d'évaluation mutuelle, il n'est pas inenvisageable que certains secteurs aujourd'hui exclus du champ de la directive y soient à l'avenir réintégrés, à la demande des professionnels eux-mêmes qui trouveraient finalement un intérêt objectif à être couverts par les dispositions du texte, certaines des exclusions actuelles ayant des justifications plus politiques qu'économiques.

M. Hubert Haenel. - Quel est le lien entre la révision générale des politiques publiques et la « directive services » ?

M. Jean Bizet. - Toutes les deux ont notamment pour objectif la simplification administrative.

Mme Catherine Tasca. - Je remercie le rapporteur de nous avoir présenté un second rapport d'information sur ce sujet car je partage son souci d'assurer le suivi des rapports d'information. Il me semble que l'on peut adhérer à la démarche pragmatique et graduelle retenue par le Gouvernement pour transposer la « directive services ». Pour autant, cette méthode pose un problème de clarté du calendrier. Que se passera-t-il en effet après le 28 décembre 2009 ? Je me demande si le Gouvernement ne prend pas le risque d'un retard dans la transposition. De manière plus générale, cette méthode conduit à perdre de vue l'objectif d'ensemble du texte. L'absence de loi-cadre de transposition et le choix d'introduire des dispositions sectorielles dans différents textes législatifs font manquer une occasion de pédagogie en matière européenne.

Par ailleurs, je regrette l'insuffisante implication des collectivités territoriales et des partenaires sociaux dans cet exercice de transposition. Il me semble que le rapport devrait insister sur ce point.

M. Hubert Haenel. - Nous avons intérêt à utiliser l'opportunité des semaines de contrôle pour évoquer les différentes questions soulevées par Catherine Tasca, par exemple lors d'une séance du mois d'octobre. Par ailleurs, j'estime qu'il serait inconcevable de transposer une directive aussi importante que celle-ci par voie d'ordonnance.

M. Pierre Fauchon. - Je voulais savoir si l'on dispose d'informations sur les services qui seront le plus concernés par la directive.

M. Michel Billout. - Une loi-cadre aurait été sans doute nécessaire pour transposer la « directive services » car la méthode retenue par le Gouvernement, qui consiste à transposer ce texte par « morceaux », constitue un déni de démocratie.

M. Simon Sutour. - Il n'est pas inutile de rappeler que, il y a quelques années, la France était un des plus mauvais élèves dans le tableau que dressait la Commission européenne de la transposition des directives par les États membres. Beaucoup de directives ont été tardivement transposées dans notre pays, parfois avec presque 10 ans de retard. Il me semble que ce problème devrait être soulevé au Sénat.

M. Hubert Haenel. - Nous allons effectivement aborder la question générale de la transposition des directives en France. Je rappelle, à titre d'exemple, que notre pays risque d'être condamné en matière de transports et, par conséquent, de devoir payer une forte astreinte. Les modalités de transposition des directives posent un problème de contrôle parlementaire et donc de démocratie.

M. Jean Bizet. - Je partage tout à fait votre souhait d'interroger le Gouvernement sur la transposition des directives.

En ce qui concerne la « directive services », il me semble que la polémique du « plombier polonais » est maintenant derrière nous. Le Gouvernement a toutefois souhaité éviter à tout prix de rouvrir ce débat et a donc fait le choix d'une transposition sectorielle. Nous devons toutefois rester vigilants car il demeure tenté de transposer certaines dispositions de la directive par voie d'ordonnance. Certains États membres ont mieux associé les collectivités territoriales et les partenaires sociaux à la transposition ; le Royaume-Uni, par exemple, a mis en place un site web destiné à recueillir leurs avis. La transposition de la « directive services » mériterait un effort en matière de communication car elle est parfois l'occasion de certaines confusions. Par exemple, les évolutions à venir de la profession de notaire ne sont pas directement liées à la « directive services », et le récent rapport de Maître Darrois n'est pas une conséquence logique de la transposition. A priori, l'ensemble des services sont concernés par la directive, à l'exception des exclusions prévues par le texte, par exemple pour les services financiers ou les services de soins de santé. Les activités concurrentielles des professions réglementées sont également concernées.

Mme Catherine Tasca. - La campagne de communication en direction des collectivités territoriales et des partenaires sociaux ne devrait pas se limiter à donner des informations, mais devrait également avoir pour but de susciter des réactions. De ce point de vue, la mise en place d'un site Internet dédié me semble une bonne idée.

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À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le n° 473 et disponible à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html