Mercredi 21 mai 2014

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Désignation d'un rapporteur

La commission désigne tout d'abord M. Gérard Miquel rapporteur sur la proposition de loi n° 496 (2013-2014) de Mme Aline Archimbaud et plusieurs de ses collègues relative à la nocivité du diesel pour la santé.

Réforme ferroviaire - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur

La commission demande ensuite à se saisir pour avis du projet de loi n° 1468 (AN - XIVe législature) portant réforme ferroviaire et nomme M. François Patriat rapporteur pour avis, sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission.

Situation économique et financière de l'Autriche, de la Hongrie et de la Slovaquie - Communication de M. Philippe Marini

Puis la commission entend une communication de M. Philippe Marini, président, sur la situation économique et financière de l'Autriche, de la Hongrie et de la Slovaquie.

M. Philippe Marini, président. - La communication de ce jour a pour objet de partager avec les membres de la commission quelques éléments de réflexion issus de trois missions réalisées au cours des derniers mois, en Hongrie, en septembre 2013, puis en Autriche et en Slovaquie en février dernier.

Comme les missions précédentes, ces déplacements ont consisté en des réunions de travail avec les principaux acteurs politiques et économiques de ces pays : membres du Gouvernement, responsables des commissions des finances et des groupes parlementaires - issus aussi bien de la majorité que de l'opposition -, gouverneurs des banques centrales, dirigeants d'entreprises et, en particulier, des principaux établissements bancaires, représentants de la communauté d'affaires française, notamment.

Ces rencontres offrent une vision plus fine de la situation économique et financière de ces États et constituent des compléments essentiels aux informations publiées par les institutions européennes et par les pays eux-mêmes. Ceci démontre que les relations bilatérales conservent toute leur pertinence au sein de l'Union européenne.

La Hongrie compte de nombreux atouts. Cet État de 10 millions d'habitants bénéficie d'une situation géographique avantageuse et d'un système de formation performant qui lui permet de disposer d'une main d'oeuvre de qualité.

Par ailleurs, en juin 2013, le Conseil de l'Union européenne a décidé de mettre fin à la procédure de déficit excessif (PDE) engagée à l'encontre de la Hongrie en 2004 : en 2012, son déficit public a été inférieur à 2 % du produit intérieur brut (PIB) et celui-ci devrait approcher 2,5 % du PIB en 2013. Les dirigeants politiques hongrois ont clairement exprimé leur volonté de stabiliser le déficit public en deçà de 3 % du PIB, et ce, je cite le président du principal groupe du Parlement hongrois, « non pas pour satisfaire Bruxelles, mais parce que la stabilité de l'Union européenne repose sur l'effort des différents pays ».

Pour autant, la Hongrie présente d'importantes fragilités. Après avoir renoué avec la croissance en 2010 et 2011, le pays a connu un recul de son PIB de 1,7 % en 2012 et l'activité économique devrait progresser d'environ 1 % en 2013. La Hongrie est l'État membre du Groupe de Visegrád - également composé de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovaquie - qui affiche les performances économiques les plus faibles. Néanmoins, la situation économique hongroise tend à s'améliorer depuis le début de l'année 2014 et il n'est pas exclu que le positionnement relatif de la Hongrie au sein de ce groupe évolue.

En tout état de cause, pour ce qui est de l'année 2013, l'atonie de l'activité économique était imputable à la faiblesse de la croissance de la consommation et de l'investissement, notamment étranger, qui connaissait deux origines principales. Tout d'abord, le niveau élevé d'endettement du secteur privé, qui excède 130 % du PIB, contraignant les ménages et les entreprises à réduire leur taux d'endettement et donc à diminuer leur consommation et leurs investissements. Il faut noter que le niveau d'endettement du secteur privé a été artificiellement accru par la baisse du taux de change du Forint, dans la mesure où nombre de ménages et d'entreprises avaient contracté des emprunts en devises étrangères. Si cela n'est pas propre à la Hongrie, ceci constitue une caractéristique forte de la situation hongroise actuelle.

L'endettement en devises représente l'un des enjeux sociaux les plus sérieux auxquels le pays est actuellement confronté. Depuis 2011, le Gouvernement hongrois a proposé plusieurs mesures afin d'alléger le poids de la dette des ménages : remboursement anticipé des emprunts, fixation du taux de change sur la base duquel les prêts sont remboursés, annulation d'une part de la dette existante, etc. Pour autant cette question n'est pas définitivement réglée à ce jour, en particulier pour les ménages les plus modestes et continue à peser sur le bilan des banques ; ainsi, en 2013, les prêts non performants représentaient près de 20 % des prêts accordés aux ménages hongrois. En bref, sortir de cette situation sera une entreprise longue et difficile.

Ensuite, la situation économique hongroise est marquée par la faiblesse des investissements, qui s'explique par le désendettement des ménages et des entreprises, la plus grande réserve des banques à accorder du crédit en raison de l'accroissement des risques associés aux prêts et au recul des investissements directs étrangers (IDE).

Selon les milieux d'affaires, le principal motif de la baisse des investissements directs étrangers (IDE) réside dans l'instabilité législative et réglementaire. En effet, l'actuel parti au pouvoir a profité, au cours de la dernière législature, de sa position majoritaire pour mener une activité législative intense. Au moment de mon déplacement, 712 lois avaient été adoptées par le Parlement depuis l'arrivée au pouvoir du Fidesz en 2010, soit en deux ans et demi ! Nous pourrions presque parler d'un Parlement stakhanoviste... Il m'a été indiqué que la Constitution hongroise permettait, dans certains cas, un examen particulièrement rapide des textes par le Parlement ; ainsi, la « procédure exceptionnelle », qui ne peut être utilisée que six fois au cours d'une session et doit être validée par deux tiers des parlementaires présents, permet l'examen et l'adoption d'une loi en deux jours seulement.

En outre, certaines des personnes rencontrées ont affirmé que les impositions sectorielles créées à l'initiative du Gouvernement, comme par exemple la taxe temporaire sur les banques, avaient contribué à une désaffection des investisseurs. Il convient de rappeler la forte présence des entreprises multinationales dans les principaux secteurs économiques hongrois ; aussi les autorités hongroises ont-elles souhaité solliciter ces investisseurs étrangers.

La création de ces impositions ne peut se comprendre que dans le cadre des politiques non orthodoxes développées jusqu'à présent. Tant les membres du Gouvernement que ceux du Parlement ont précisé que la stratégie retenue consistait à éviter un coût social élevé et une baisse des revenus, en particulier pour la classe moyenne qui est très endettée, et donc à faire reposer la consolidation budgétaire sur les plus grandes entreprises. Au total, il s'agissait d'assurer l'acceptabilité sociale de l'ajustement des finances publiques en le faisant substantiellement reposer sur les entreprises, notamment étrangères.

Parmi les différentes mesures non orthodoxes adoptées, mon attention a été retenue par le « système de travaux d'intérêt général », qui consiste à donner un emploi rémunéré par le secteur public aux personnes aptes à travailler mais sans emploi. Les chômeurs concernés sont généralement employés par des entreprises privées, sélectionnées par les collectivités, et contribuent à l'activité commerciale ordinaire de celles-ci. Il ne s'agit donc pas d'ateliers publics, mais bel et bien de sous-traitants des collectivités. Depuis sa mise en place, ce système a bénéficié à 500 000 individus et concernerait aujourd'hui 300 000 personnes ; celui-ci constitue une préoccupation de premier ordre des parlementaires hongrois qui voient fonctionner ce dispositif dans leurs collectivités. Il m'a été précisé que ce programme évoluait progressivement vers la formation des demandeurs d'emplois. Quoi qu'il en soit, il fait peu de doute que le « système de travaux d'intérêt général » ait largement contribué à stabiliser le taux de chômage en Hongrie - qui s'élève à 11 % de la population active, environ.

Pour conclure ce développement sur la Hongrie, il convient d'aborder la question des perspectives européennes du pays. Sur ce point, il m'a été clairement indiqué qu'il n'était pas prévu que la Hongrie intègre la zone euro dans l'immédiat ; le gouverneur de la banque centrale a précisé que cette intégration ne pourrait avoir lieu avant que le PIB par tête hongrois ait rejoint la moyenne européenne - ce qui reporte l'entrée du pays dans la zone euro à un terme indéterminé.

Mon déplacement en Autriche s'est, quant à lui, déroulé dans des circonstances particulières : le lendemain de mon arrivée, un règlement de la situation de la banque Hypo Alp Adria (HAA) était proposé par le Gouvernement, consistant en la création d'une structure de défaisance - ou bad bank - pour accueillir les actifs non performants de cette institution.

Cette banque avait dû être nationalisée en 2009 afin de lui éviter la faillite ; celle-ci avait été fragilisée, notamment en raison de sa forte présence dans les pays des Balkans qui ont été durement affectés par la crise économique. En dépit des recapitalisations opérées par l'État autrichien, la situation de la banque n'a pu être stabilisée, appelant donc un règlement définitif de la situation de Hypo Alp Adria.

Cependant, lors de mon déplacement, la solution préconisée par le Gouvernement était débattue, dès lors que la création d'une structure de défaisance ferait reposer le coût de la liquidation sur l'État autrichien et, donc, sur les contribuables - ce qui semblait être difficilement accepté par l'opinion publique. Pour autant, en raison de la tradition politique consensuelle autrichienne - très différente de celle de la Hongrie ! -, tout ceci reste sans réelle conséquence politique. Le secteur financier estimait, quant à lui, qu'une faillite pure et simple dégraderait l'image de l'Autriche auprès des investisseurs internationaux.

La structure de défaisance devrait, selon les dernières informations disponibles, être créée en septembre prochain. Reste maintenant à savoir dans quelle mesure le règlement du cas de Hypo Alp Adria pèsera sur la dette et le déficit publics autrichiens car, en effet, les montants en jeu sont considérables.

Pour autant, l'Autriche présente, globalement, une situation économique solide et affiche le plus faible taux de chômage de l'Union européenne ; celui-ci s'élèverait à 4,7 % en 2013 et 2014 - il faut dire que le marché du travail autrichien repose sur l'association d'un droit du travail flexible et d'un système de formation professionnelle des jeunes particulièrement efficace, qui s'inscrit dans la tradition austro-hongroise. En outre, selon la Commission européenne, le PIB autrichien connaîtrait un rebond en 2014, de 1,8 %, après un léger ralentissement en 2012 et 2013.

En matière budgétaire, le déficit public s'est établi à 2,5 % du PIB en 2012, bénéficiant d'une croissance économique plus dynamique que prévu et d'un service de la dette moins élevé qu'anticipé, en dépit du versement d'aides importantes - environ 0,9 % du PIB - au secteur bancaire nationalisé. S'agissant des années 2013 et 2014, le gouvernement autrichien anticipe un déficit public de respectivement 2,3 % du PIB et de 1,5 % du PIB.

Les efforts de redressement des finances publiques sont portés par un programme de mesures de consolidation budgétaire sur la période 2012-2016 qui comprend, notamment, une réforme du système de retraites, la suppression de dispositifs de retraite anticipée, ou encore la réduction des conditions d'accès à certaines prestations sociales.

L'Autriche a, par ailleurs, renforcé son cadre budgétaire en adoptant, à la fin de l'année 2011, une règle d'or sous la forme d'un frein à la dette - sujet que j'ai examiné avec un grand intérêt. En application de cette règle, le déficit structurel est limité à 0,35 % du PIB pour l'État fédéral et à 0,1 % du PIB pour les Länder et les collectivités locales à partir de 2017. Ce cadre est intégré dans un « pacte » liant les Länder, les communes ainsi que l'État fédéral, qui décline des cibles budgétaires contraignantes à ces différents niveaux. Cela m'a été expliqué avec soin par le directeur du budget, qui constitue une véritable autorité en Autriche.

Enfin, cette mission m'a permis d'aborder la question du secret bancaire et de la coopération fiscale internationale. Lors de ma visite, les autorités autrichiennes ont montré des signes de « résistance » en ce qui concerne la révision de la directive « épargne », estimant que la levée du secret bancaire et l'échange automatique d'information ne devaient pas porter préjudice à l'Autriche et, donc, n'intervenir que s'ils concernaient également le Lichtenstein, Saint-Marin et Monaco. Nous savons désormais que l'Autriche a accepté, il y a quelques semaines, une évolution de la directive « épargne ». Les positions se sont donc assouplies depuis février dernier.

Mes interlocuteurs ont, en outre, dressé un bilan éclairant de la mise en oeuvre des accords « Rubik » avec la Suisse. Dans ce cadre, l'Autriche a perçu un milliard d'euros au titre de la liquidation du passé et les avoirs des contribuables souhaitant conserver l'anonymat donnent lieu à un prélèvement de 25 %, soit le taux d'imposition autrichien de tels revenus.

J'en viens maintenant à la Slovaquie. Cette dernière figure parmi les « petits » pays de l'Union européenne, qu'elle a intégrée en 2004, puisqu'elle compte un peu plus de cinq millions d'habitants. Surtout, il s'agit d'un État « jeune », issu de la scission de la Tchécoslovaquie en 1993. Aussi, chacun s'interrogeait sur la viabilité économique d'une Slovaquie indépendante. Toutefois, celle-ci nous a surpris ; force est de constater que ce pays est parvenu à prospérer et que celui-ci affiche des performances économiques relativement satisfaisantes, voire supérieures à celles de la République tchèque. En dépit de la crise, la Slovaquie a affiché un taux de croissance moyen de son PIB de 5,3 % sur la période 2005-2009.

L'économie slovaque s'est fortement redressée après la crise économique : après avoir décliné entre 2007 et 2009, le PIB a rebondi de 4,4 % en 2010. Bien que moins dynamique actuellement, en raison, notamment, de l'atonie de l'activité mondiale et de la dépendance de la Slovaquie aux exportations, le PIB croîtrait malgré tout de 1 % en 2013 et de 2,8 % en 2014.

Pour autant, les créations d'emplois restent faibles dans un environnement marqué par un taux de chômage élevé. Aussi, je tiens à souligner les forts contrastes qui existent dans cette zone danubienne, entre des pays pourtant si proches géographiquement ; alors que l'Autriche affiche un taux de chômage inférieur à 5 %, que la Hongrie compte environ 11 % de chômeurs, le taux de chômage de la Slovaquie est de 14,5 % en 2013 !

En ce qui concerne la situation budgétaire slovaque, il convient de noter que la Slovaquie fait l'objet d'une procédure de déficit excessif (PDE) depuis 2009. Le déficit public du pays s'élevait, en 2012, à 4,5 % du PIB. Le projet de plan budgétaire présenté à l'automne dernier à la Commission européenne prévoyait un déficit de 3 % du PIB en 2013 et de 2,8 % en 2014. Les données qui seront publiées dans les semaines à venir nous indiqueront si les promesses ont été tenues.

En tout état de cause, le gouvernement slovaque a élaboré, en mars 2012, un programme de consolidation budgétaire qui repose sur trois piliers. Vient, tout d'abord, l'augmentation des taux d'imposition sur les revenus des personnes physiques aisées et sur les sociétés à partir de janvier 2013 ; par ailleurs, des prélèvements spécifiques ont été institués sur les entreprises réglementées et les banques. Ensuite, une réforme de l'administration publique a été engagée. Enfin, un plan de lutte contre la fraude a été défini. À cet égard, des initiatives originales ont été prises afin de lutter contre la fraude à la TVA : chaque ticket de caisse remis lors d'un achat permet au consommateur de participer à une loterie organisée par l'État, afin d'inciter celui-ci à contrôler que le commerçant déclare bien ses ventes à l'administration fiscale...

M. Philippe Dallier. - Et que gagne-t-on ?

M. Philippe Marini, président. - Il peut s'agir d'automobiles ! Cela montre bien que des idées originales et concrètes peuvent être glanées dans d'autres pays... En outre, la Slovaquie s'est dotée, en 2011, d'une « règle d'endettement » qui définit des procédures prévoyant la mise en oeuvre de mesures de redressement lorsque le niveau d'endettement public dépasse les plafonds prévus. À titre d'exemple, la loi sur la responsabilité budgétaire prévoit que le Gouvernement doit présenter au Parlement un budget équilibré lorsque la dette publique représente entre 57 % et 60 % du PIB ; même, lorsque le seuil de 60 % du PIB est dépassé, le Gouvernement doit demander au Parlement un vote de confiance.

Par ailleurs, un Conseil de responsabilité budgétaire a été créé afin, notamment, de surveiller le respect de la trajectoire budgétaire et d'évaluer l'incidence des réformes structurelles sur les finances publiques. Ses membres sont nommés par le Parlement. Il s'agit de l'équivalent de notre Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Il est intéressant de relever que, pour la première fois cette année, le respect de la trajectoire de solde structurel de la Slovaquie sera contrôlé.

À ce titre, le Conseil de responsabilité budgétaire - qui dispose de ressources intellectuelles de grande qualité - s'est attaché à évaluer le PIB potentiel slovaque, permettant de calculer le solde structurel, et a souligné la difficulté d'estimer une telle donnée ; ses travaux sur ce sujet ont été regroupés dans une publication intitulée avec humour « Trouver le Yeti ». Ceci nous rappelle immanquablement que notre Haut Conseil des finances publiques (HCFP) devra lui-même contrôler l'estimation du PIB potentiel de la France lors de la prochaine loi de programmation des finances publiques et que la tâche sera difficile...

L'un des membres du Conseil de responsabilité budgétaire m'a indiqué que celui-ci avait pris l'initiative de réunir les organismes équivalents des différents États européens ; il me semble qu'une telle démarche doit être encouragée de manière à favoriser une convergence des méthodes de travail.

Enfin, le gouverneur de la banque centrale m'a fait savoir qu'il était difficile d'évaluer l'impact positif - ou négatif - de l'introduction en Slovaquie de l'euro en 2009, dès lors que celle-ci a été concomitante à l'éclatement de la crise économique. Pour autant, il a souligné que de nombreux investisseurs étrangers avaient choisi la Slovaquie en raison de son appartenance à la zone euro, venant ainsi renforcer le potentiel productif du pays.

Ainsi se concluent ces quelques notes de voyage qui permettent d'appréhender la réalité d'autres États membres de l'Union européenne et, surtout, soulignent les différences de situation qui existent entre les pays. À ces trois pays visités correspondent trois situations économiques différentes et trois systèmes politiques distincts ; alors que la Slovaquie est gouvernée par la social-démocratie, une droite que l'on pourrait qualifier de « conviction » est au pouvoir en Hongrie et l'Autriche affiche un système consortial.

M. François Marc, rapporteur général. - Je tiens à remercier le président de cette analyse détaillée de la situation économique et financière de ces trois États que sont l'Autriche, la Hongrie et la Slovaquie. Certaines initiatives de nos voisins méritent d'être regardées de plus près. Le « système de travail d'intérêt général » hongrois a été mentionné ; il s'agit certes d'une initiative originale mais néanmoins débattue...

Je souhaiterais surtout dire quelques mots sur l'euro. Un récent déplacement en Lettonie m'a permis de constater que l'introduction de l'euro dans cet État européen avait été une véritable réussite. Au fond, en indiquant ne pas souhaiter entrer immédiatement dans la zone euro, le Gouvernement hongrois s'inscrit dans un discours de défiance à l'égard de l'euro qui tend à se développer dans le contexte actuel - ce qui doit nous inquiéter. Pour autant, je tiens à rappeler que, quand bien même elle le souhaiterait, la Hongrie ne pourrait intégrer la zone euro à ce jour : elle ne remplit pas les critères requis. Je pense en particulier à la situation de ses finances publiques.

En tout état de cause, les travaux du président sont utiles pour nos propres analyses. L'examen de trois pays présentant de telles différences en termes de performances économiques ne peut que constituer une source de réflexion intéressante.

Mme Nicole Bricq. - Je me réjouis que le président ait exercé un droit de suite en se rendant en Autriche ; j'y avais moi-même effectué un déplacement en 2012, lorsque j'étais rapporteure générale. À cette occasion, il m'avait été indiqué que le secret bancaire constituait un élément « identitaire » en Autriche... À l'époque, ce sujet était encore peu discuté, mis à part par la France qui demande depuis longtemps une révision de la directive « épargne ». Il semble, en effet, que les choses aient évolué depuis lors ; pour autant, nous devrons être attentifs à l'évolution concrète de la situation en Autriche, mais aussi au Luxembourg.

L'Autriche fait souvent l'objet d'une attention limitée en France, étant tout à la fois trop proche et trop loin. Néanmoins, ce pays doit retenir tout notre intérêt ; c'est, par exemple, l'un des grands opposants de la France sur la question du nucléaire au sein des Conseil de l'Union européenne...

M. Philippe Marini, président. - Je rappelle que mon déplacement en Autriche avait été précédé, en juillet 2013, d'une audition portant sur les questions de secret bancaire et d'évolution de la directive « épargne » à laquelle l'ambassadrice d'Autriche en France, Ursula Plassnik, avait participé.

Mme Nicole Bricq. - Lors de mon déplacement en Autriche, j'avais également pu constater que les investisseurs russes avaient pris de nombreuses participations dans les établissements bancaires autrichiens. Ceci est aussi un point qui mérite d'être examiné.

M. Philippe Marini, président. - C'est, en effet, une question essentielle qui concerne l'ensemble de l'Europe centrale et orientale.

Mme Michèle André. - Avez-vous abordé, lors de vos déplacements dans ces trois pays, la question des travailleurs détachés ? Ce point nous préoccupe tout particulièrement.

M. Philippe Marini, président. - Cette question n'a pas été traitée, mais je pense que nous gagnerions à mieux exploiter les informations en provenance de nos services économiques à l'étranger.

La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Marini, président.

Projet d'opérateur national de paye (ONP) - Audition conjointe de M. Olivier Bourges, directeur général adjoint à la direction générale des finances publiques (DGFiP), Mme Marie-Anne Lévêque, directrice générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), M. Jacques Marzin, directeur de la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (DISIC) et de Mme Valérie Metrich-Hecquet, secrétaire générale du ministère de l'agriculture

La commission procède enfin à l'audition conjointe sur le projet d'opérateur national de paye (ONP) de M. Olivier Bourges, directeur général adjoint à la direction générale des finances publiques (DGFiP), Mme Marie-Anne Lévêque, directrice générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), M. Jacques Marzin, directeur de la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (DISIC) et de Mme Valérie Metrich-Hecquet, secrétaire générale du ministère de l'agriculture.

M. Philippe Marini, président. - L'audition conjointe de ce jour est relative à l'opérateur national de paye (ONP), dont l'enjeu n'est pas mince. Le 10 mars dernier, le Gouvernement annonçait l'abandon de l'essentiel du projet de l'opérateur national de paye, chantier informatique lancé en 2007 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). L'ambition de mettre en place un système de paye unifié et harmonisé pour tous les agents de l'Etat s'est heurtée, semble-t-il, à la complexité technique de l'entreprise, et à d'importants dépassements de coûts et de délais. L'ONP connaît ainsi le même sort que Louvois, logiciel de paye des armées auquel nous nous sommes intéressés récemment : y a-t-il une fatalité en ce domaine ?

Fondamentalement, la question que nous nous posons est la suivante : n'est-il pas illusoire de vouloir simplifier l'aval - c'est-à-dire la paye - alors que le problème est d'abord en amont - la complexité des règles de notre système de rémunération ? Ceci conduit à se demander si l'abandon du chantier de l'ONP, essentiellement pour des raisons techniques et financières, implique par là même l'abandon des principes qui en sont à l'origine - centralisation, simplification, harmonisation.

Pour nous aider à comprendre les enjeux de cette décision qui fut sans nul doute difficile à prendre, nous allons d'abord donner la parole à Jacques Marzin, directeur interministériel des systèmes d'information et de communication (DISIC), auteur du rapport qui a conduit le Premier ministre à décider l'arrêt de l'ONP. Vous avez la vision la plus globale du sujet. Y a-t-il eu un problème technique ou une défaillance dans la direction du programme ? Un défaut de suivi ou un défaut de volonté ? Où se situent les responsabilités ? Avez-vous des éléments à nous communiquer sur le coût, sur l'abondance du lait renversé dans cette affaire ? Y a-t-il, avec Louvois puis l'ONP, une fatalité ? Les causes de l'échec sont-elles inéluctables ?

M. Jacques Marzin, directeur interministériel des systèmes d'information et de communication (DISIC). - Je vais tenter de résumer un sujet d'une extrême complexité. La DISIC, créée le 21 février 2011 et placée sous l'autorité du Premier ministre, a été rattachée au Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) lors de sa création en octobre 2012. Ses missions sont d'orienter, d'animer et de coordonner toutes les actions des administrations d'Etat en matière de systèmes d'information (SI), et de piloter les nombreuses mutualisations. Une part importante de la mission de la DISIC vise à sécuriser les grands projets informatiques, et c'est à ce titre que nous sommes, très tôt, intervenus sur le projet ONP.

En guise d'historique, je rappellerai que l'ONP a été créé en 2007 à la suite de nombreux travaux menés dès 2002 par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) avec le soutien de l'Agence pour le développement de l'administration électronique (Adaé), qui a précédé la DISIC. Ces travaux ont d'abord exploré la possibilité d'un seul système d'information des ressources humaines (SIRH) uniforme pour l'ensemble des ministères, et d'un seul calculateur automatique de la paye. En 2006, l'objectif d'un SIRH commun a été abandonné pour centrer l'effort sur le calculateur de la paye, dont la création et la mise en oeuvre a été confiée à l'ONP. La mission de l'ONP était aussi de mettre en place un pilotage de la masse salariale et des effectifs de la fonction publique d'État, et de développer les « référentiels » communs à tous les SIRH ministériels en vue du raccordement au calculateur de la paye. La DISIC est intervenue dès le printemps 2012 pour appuyer le ministère de l'agriculture, pilote de l'opération, afin que le raccordement puisse fonctionner.

Des difficultés sont apparues dans plusieurs ministères concernant le raccordement de leur SIRH au calculateur national, qui ont débouché sur des annonces de décalage temporel et nous ont conduit à alerter les autorités sur des risques supplémentaires qui n'avaient pas été identifiés jusqu'ici. Il était nécessaire de s'intéresser à l'opération dans sa globalité. Une mission a été confiée à l'Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEIET), puis j'ai commandé une revue indépendante pour s'intéresser aux aspects techniques de l'opération. Ces missions ont identifié de façon convergente plusieurs difficultés, notamment l'extrême complexité du système et l'ambitieux niveau de qualité attendu des SIRH en vue du raccordement. Des surcoûts allaient inévitablement apparaître du fait de l'allongement des travaux nécessaires au raccordement. Aucune de ces missions d'exploration n'a cependant statué sur l'arrêt du projet. Seules ont été émises des pistes et des recommandations en faveur d'un itinéraire un tout petit peu moins ambitieux, plus progressif, sans remettre en cause les fondamentaux du projet et l'existence du calculateur central.

C'est la raison pour laquelle le Premier ministre m'a mandaté pour conduire des travaux de « refondation » qui nous ont permis d'explorer toutes ces voies techniques et d'en dégager les coûts et de construire de nouveaux plans-projets soumis en décembre dernier. Nous avons travaillé avec tous les ministères, avec toutes les directions parties prenantes et avec l'ONP, dans un allant collectif sans faille, avec la participation extrêmement active de tous les acteurs, et nous n'avons pas douté, jusqu'à la consolidation des éléments de délais et de coûts, que nous puissions trouver une solution qui nous permette de poursuivre le projet.

À l'issue de ce travail, au début du mois de décembre, nous avons fait trois constats difficiles.

Premièrement, la durée du projet : celui-ci devait se terminer en 2016, mais il mais il est apparu qu'il n'aurait pas pu être achevé avant 2023. Or cet horizon 2023 est soumis à des aléas. La priorité est en effet de réparer le logiciel Louvois du ministère de la défense et non pas d'améliorer les SIRH des autres ministères en vue de leur raccordement. Par ailleurs, le ministère de l'éducation nationale est engagé dans un projet d'une très grande complexité sur des masses financières et des populations extrêmement importantes, et dont le calendrier en vue de la « bascule » a dû être révisé pour être plus raisonnable, et forcément plus long. Bref : un projet interministériel dont la durée est prolongée de sept ou huit ans devient un objet dont la bonne fin est extrêmement aléatoire. Ce constat vaut pour tous les projets de systèmes d'information, ne serait-ce que parce que, pendant ce temps, le droit continue à évoluer, la simplification continue de progresser. Tout cela rend les coûts et les délais très incertains.

Deuxièmement, le coût : nous avons pour la première fois consolidé l'ensemble des projets - le calculateur et les SIRH. Nous avons pu constater que même en poussant jusqu'à l'horizon 2034, nous arrivions à une rentabilité extrêmement négative, qui s'établit à un milliard d'euros au minimum. Et cet horizon est plus long que les quinze ou vingt ans que nous prenons habituellement comme référence pour un système informatique de paye.

M. Philippe Marini, président. - D'après les éléments que vous m'avez communiqués, le total des coûts pris en charge par l'État de 2009 à fin 2013 s'élèverait à 286 516 215 euros. Vous vous êtes livré à une comparaison entre une hypothèse de poursuite et une hypothèse d'arrêt du projet, dont il résulte que le scénario de poursuite est beaucoup plus cher que le scénario d'arrêt. Peut-on alors dire qu'il aurait été possible de ne rien faire, de ne pas dépenser le moindre euro, et que les fonctionnaires auraient continué à être payés ?

M. Jacques Marzin, directeur interministériel des systèmes d'information et de communication (DISIC). - Les chiffres que vous citez concernent le coût du seul ONP. Lorsque je parle d'un milliard d'euros, j'intègre non seulement l'ONP mais aussi l'adaptation des huit SIRH ministériels en vue de leur raccordement à l'ONP, car ces sujets ne peuvent être traités l'un sans l'autre. Nous avons travaillé sur le périmètre global de l'écosystème, sans lequel l'ONP n'est rien et ne sert à rien. L'un des défauts originels du projet est que l'on s'est concentré sur un chiffrage très minutieux de la construction du calculateur, mais que l'on s'est insuffisamment préoccupé de la coordination de l'ensemble des SIRH ministériels. C'est ce qui a motivé ma mission : alors que l'ONP avait quasiment achevé son calculateur conformément aux spécifications, on constatait que le ministère de l'agriculture, qui était pilote, ne parvenait pas à se raccorder au calculateur pour liquider la paye.

Aurait-il pour autant mieux valu ne rien faire ? Certainement pas. Les ambitions du projet, les objectifs d'homogénéisation des pratiques, de rationalisation de la chaîne SIRH-Paye et de simplification réglementaire sont et restent prégnantes. Je ne pense pas du tout qu'en ne faisant rien, nous serions allés dans la bonne direction pour pérenniser le calcul de la paye. Par ailleurs, les outils aujourd'hui utilisés par la DGFiP sont des outils certes efficaces, mais extrêmement anciens, conçus dans les années 1970 à partir de technologies pour certaines abandonnées par leurs éditeurs, et qui un jour ou l'autre seront frappés d'une obsolescence technique. Il était donc impensable de ne pas se préoccuper de leur remplacement.

Le critère de la valeur actuelle nette que j'ai utilisé est employé de façon systématique dans tous nos projets. Il est de plus en plus difficile, pour l'État comme pour toute organisation, de lancer des projets qui ne trouvent pas leur équilibre entre les coûts et les bénéfices attendus.

M. Jacques Marzin. - Le troisième élément que je souhaite évoquer porte sur les difficultés techniques qui demeurent. Le projet ONP a consisté à faire vivre un système de paye nouveau et à le maintenir à côté de huit SIRH de conception différente et de fonctionnement différents. Deux ministères notamment fonctionnaient avec des solutions techniques développées en interne. Il existe donc une véritable complexité technique à coordonner cet ensemble dans la durée afin d'éviter les aléas de paye.

Dans une certaine mesure, il est possible de faire un parallèle avec le logiciel de paye Louvois. Il s'agit là de l'accident industriel d'un logiciel en production qui se traduit aujourd'hui par des défauts dans le calcul de la paye des militaires de l'armée de terre, en particulier de ceux qui sont en opérations extérieures (OPEX). Louvois nous rappelle que la paye d'un fonctionnaire, en particulier d'un fonctionnaire actif sur des territoires extérieurs, est complexe - et elle le restera d'ailleurs pour ces derniers, car la participation à des OPEX fait l'objet d'une réglementation extrêmement compliquée. Une grande vigilance est par conséquent nécessaire lors de la mise en place de nouveaux systèmes de paye. L'expérience du ministère de la défense avec Louvois démontre qu'une fois les dysfonctionnements constatés, il est difficile et très long de les régler. Le seul parallèle que l'on puisse réaliser entre ONP et Louvois, c'est qu'il s'agit de deux objets techniques inadaptés.

La grande différence, à l'inverse, c'est que je préconise d'arrêter le projet de calculateur unique de la paye avant que l'on ne constate des dysfonctionnements dans la paye des fonctionnaires. J'ai en effet proposé le scénario qui m'est apparu comme le plus raisonnable, à savoir d'arrêter le raccordement des SIRH ministériels au SI-Paye. Il s'agit de trouver une autre manière de moderniser la chaîne SIRH-paye, à ambitions inchangées.

Dans ce projet tel que je l'ai trouvé, tout le monde était focalisé sur la paye et le raccordement à l'ONP et fort peu sur la gestion des ressources humaines en amont. Il m'a semblé, en tant que technicien, que c'était là prendre le problème dans le mauvais sens. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé au Premier ministre de ne pas remettre en cause l'ambition qui sous-tend l'ONP et de poursuivre la simplification du système. J'ai indiqué que ce que le raccordement représenterait plutôt une entrave à l'évolution des réglementations par une complexification longue de l'écosystème technique de l'État. Pendant dix ans, on aurait eu concomitamment l'application PAY à faire tourner pour l'Éducation nationale, Louvois pour les militaires, et le nouveau système ONP.

Ce que l'on a maintenu en revanche, c'est la nécessité d'une coopération interministérielle globale.

M. Philippe Marini, président. - La parole est maintenant à Marie-Anne Lévêque, directrice générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) au ministère chargé de la fonction publique, qui a une vision horizontale sur ces questions de gestion des ressources humaines, des corps et des carrières. Nous aimerions notamment savoir si l'argent engagé dans le projet ONP - Jacques Marzin évoquait le chiffre de 286 millions d'euros - est en totalité perdu, ou si une contrepartie est possible. En d'autres termes, s'agit-il d'une perte sèche ? Quel aurait été le minimum à dépenser afin que le système fonctionne et que chaque fonctionnaire soit payé en vertu de la réglementation existante ? Enfin, une question parmi d'autres : Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, a invoqué le 16 mai dernier les dysfonctionnements de l'ONP pour expliquer le report, quatre mois avant l'échéance, de la prochaine rentrée scolaire ? Que pensez-vous de cette explication ?

Mme Marie-Anne Lévêque, directrice générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP). - Je ne me risquerai pas à répondre à la place du ministre de l'Éducation nationale au sujet du report de la rentrée scolaire. La DGAFP exerce en réalité trois missions, qui la relient toutes au programme ONP. Tout d'abord, la modernisation, la professionnalisation et la recherche d'une plus grande efficacité en matière de gestion des ressources humaines dans l'ensemble de la fonction publique, en particulier dans les ministères, notamment en termes de promotion de la mobilité, de dématérialisation du dossier des fonctionnaires, etc. Notre deuxième mission est réglementaire et très liée au projet ONP : nous sommes les rédacteurs des règles statutaires et indemnitaires qui alimentent donc la paye de l'ensemble des fonctionnaires. Nous vérifions, en lien avec la direction du budget, la régularité et l'équité des règles qu'édictent les ministères. La dernière mission d'importance de la DGAFP est un service statistique ministériel qui produit, en lien avec l'INSEE, les données relatives à l'emploi public et aux rémunérations.

La genèse du programme ONP remonte à la fin des années 1990 et au début des années 2000, avec deux étapes majeures. En 1998 et 1999 sont tout d'abord parus deux rapports particuliers de la Cour des comptes sur la gestion des personnels de l'État, qui faisaient état de modalités de paye et de gestion des agents publics peu satisfaisantes, d'un manque de transparence sur les règles de paye, et d'une insuffisante connaissance de l'emploi public et des rémunérations. L'adoption de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2001 est la deuxième étape. Les ministères ont alors préparé le basculement dans le nouveau cadre budgétaire qui est entré en vigueur en 2006. Les principes de la LOLF sont les suivants : masse salariale, fongibilité asymétrique, emplois en équivalents temps plein travaillé (ETPT). Ils ont conduit à un renouvellement très substantiel des règles de pilotage budgétaire des emplois et de la masse salariale au sein des ministères. Ces deux éléments ont justifié la promotion par les ministères et les directions interministérielles de la modernisation de leurs outils. C'est dans ce contexte que l'un de mes prédécesseurs à la DGAFP a lancé les travaux qui ont préfiguré l'ONP. Il a promu l'idée d'un SIRH commun à tous les ministères permettant de disposer a minima d'un noyau commun en vue d'un pilotage de la masse salariale et des rémunérations, répondant ainsi aux nécessités de la LOLF et aux critiques formulées par la Cour des comptes.

En 2005, l'inspection générale des finances (IGF) a par ailleurs produit un rapport très complet sur la gestion administrative et la paye dans les ministères. Ce rapport formulait deux principaux constats : d'une part, l'obsolescence technique de l'application PAY toujours en place aujourd'hui et, d'autre part, la nécessité pour succéder à cette application de mettre en place un SIRH interopérable avec un calculateur de paye, ce qui a conforté l'idée d'un modèle le plus intégré possible.

En 2007, le Gouvernement de l'époque arbitre et valide le modèle avec une réserve importante : il ne suit pas la préconisation d'un noyau commun à tous les ministères pour que l'ensemble du système fonctionne. Pour des raisons qui ne sont pas toutes illégitimes, le choix a été fait de laisser les ministères développer et moderniser leurs SIRH, le cas échéant avec des technologies différentes, voire spécifiques, en leur demandant simplement de se conformer aux exigences d'un noyau permettant ensuite le raccordement au calculateur de paye. C'est ainsi que l'ONP a été créé en 2007 et rattaché, d'une part, à la DGFiP et, d'autre part, à la DGAFP. Cette dernière s'est vu confier cette mission en raison de son rôle réglementaire et des travaux qu'elle avait menés pour développer un SIRH interministériel. La DGAFP a donc suivi l'ensemble du programme. Elle a établi la documentation du « noyau », c'est-à-dire la mise à plat des règles de gestion générant des mouvements en paye, les positions statutaires des agents, les règles et grilles indiciaires, etc. Elle a également conçu le futur système d'information décisionnel destiné à permettre la mise en place du nouveau système.

Je reviens sur les différents audits diligentés sur l'ONP. Aucun des rapports n'a jamais mis en cause les objectifs initiaux du programme, à savoir garantir une paye sécurisée et réactive, la qualité réglementaire et comptable, l'amélioration du service rendu aux agents et enfin l'amélioration pour les employeurs du pilotage de la masse salariale. Parmi les éléments de constat, on peut relever la complexité des systèmes de gestion des ministères et l'hétérogénéité des organisations ministérielles. Je citerai notamment celle du ministère de l'éducation nationale dont le SIRH est très complexe et très différent de celui du ministère de l'intérieur... Par ailleurs, nous faisons face à la complexité des règles de paye puisqu'il existe 1 700 régimes indemnitaires différents dans la fonction publique, sachant que 500 de ces régimes représentent 0,15 % de la dépense de primes. Il existe une multiplicité de petits régimes dont la justification est douteuse.

Certains acquis du programme ONP sont tout de même à relever, et certaines réformes importantes ont été engagées pour simplifier les règles de paye. Premièrement, dans le cadre du programme, les règles ont été identifiées et les écarts au droit ont été corrigés dans un certain nombre de cas. De ce point de vue-là, le programme ne peut être considéré comme totalement vain dans la mesure où il a permis de « remettre d'équerre » l'ensemble des règles de paye, dont certaines étaient d'une régularité douteuse. Des chantiers de simplification et d'harmonisation entre les ministères ont également été menés. J'en citerai trois. Le premier concerne la délégation de la gestion de l'indemnisation chômage, jusqu'alors de la responsabilité des ministères, à Pôle emploi ; ce chantier a généré des gains indiscutables d'efficacité et de productivité. Deuxièmement, le projet ONP a été l'occasion d'une harmonisation, par un décret de 2010, des règles complexes du régime des primes en cas de congés. Par exemple, en cas de congé maladie ou de congé maternité, les règles divergeaient entre ministères mais les pratiques différaient également au sein d'un même ministère selon que l'on travaillait dans tel ou tel service déconcentré. Dernier point, dans le cadre de l'ONP, tout le système indemnitaire des jurys de concours a été simplifié.

Enfin, même si ce n'est pas l'ONP qui a justifié seul ces réformes, je parlerai de quelques avancées intervenues entre 2005 et 2014. Nous sommes parvenus à passer de 1 000 corps - qui sont autant de statuts particuliers de la fonction publique - à 345 corps aujourd'hui. Cet effort a permis de simplifier la gestion des ressources humaines même s'il subsiste des corps aux effectifs très faibles, composés parfois de seulement quinze agents - ce qui suscite des interrogations en matière de rationalisation. Par ailleurs, le régime indemnitaire est en cours de simplification avec notamment la « prime de fonction et de résultat », à laquelle succédera un nouveau régime indemnitaire de référence pour l'ensemble des ministères à l'horizon 2017.

Personne ne conteste les difficultés intervenues lors de la mise en place du programme ONP. Il existe néanmoins un certain nombre d'acquis en termes de simplification réglementaire qu'il convient de poursuivre. Le programme a permis la mise en place d'une offre SIRH commune à un certain nombre de ministères qui semble solide techniquement. Le bilan de l'ONP doit donc être nuancé notamment sous l'angle des ressources humaines.

M. Philippe Marini, président. - À vous entendre, les 286 millions d'euros n'auraient donc pas été dépensés en totalité en pure perte. Il reste maintenant à savoir ce que valent les améliorations techniques et les simplifications que vous avez évoquées. Sur ce point, je crains que nous ne restions sur notre faim.

Encore une fois nous nous interrogeons en notre qualité de membres de la commission des finances du Sénat. Nous ne sommes pas une commission d'enquête cherchant à établir des responsabilités - peut-être d'ailleurs serait-il un jour utile d'approfondir les recherches dans le cadre d'une commission d'enquête, les montants en jeu étant bien supérieurs à ceux d'autres sujets traités par de telles commissions qui sont, eux, très médiatiques. Le sujet du jour est celui de la bonne gestion des deniers publics d'un point de vue macro-budgétaire. À cet égard, quelle est l'analyse de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ?

M. Olivier Bourges, directeur général adjoint à la direction générale des finances publiques. - Il convient d'abord de rappeler brièvement les missions de la DGFiP dans ce domaine : liquider l'ensemble des rémunérations dues aux agents de l'État - sauf les militaires qui bénéficient d'une organisation qui leur est propre.

Concrètement, 30 services employant 700 agents sont répartis sur l'ensemble du territoire français pour opérer la liquidation et procéder aux déclarations fiscales et sociales. Les applications informatiques pour la paye sont anciennes : elles ont été conçues et développées dans les années 1970, les agents à l'étranger faisant l'objet d'une application spécifique. Le langage COBOL dans lequel ces applications ont été rédigées est en voie d'obsolescence et doit être changé. La création de l'ONP visait aussi à traiter ce sujet, dans le cadre d'un système interopérable permettant de disposer de fonctionnalités enrichies.

La DGFiP a participé aux travaux sur le calculateur de paye, en tant que contributeur à la maîtrise d'ouvrage du système d'information, le « SI-Paye ». La DGFiP a ainsi participé au début du déploiement du SI-Paye, étant notamment chargé d'en assurer l'exploitation dès sa mise en production. Enfin, nous avons profondément modifié l'assignation comptable. Le chantier de l'ONP a été l'occasion de moderniser, de rationaliser et de réorganiser une partie de notre fonctionnement.

Des conséquences devront être tirées par la DGFiP de la réorientation du programme. Il faudra réécrire l'application PAY, dont le langage actuel est en voie d'obsolescence, suivant l'un des objectifs premiers qui nous a été fixé par le Premier ministre. Des tests ont d'ores et déjà été effectués il y a quelques mois, et l'une des modalités s'est avérée opérationnelle. Nous savons réécrire l'application à iso-fonctionnalités - c'est-à-dire en reprenant les mêmes fonctionnalités que celles qui existent aujourd'hui - du langage COBOL au langage JAVA. À court terme, il n'y aura pas d'enrichissement des fonctionnalités de l'application ; nous y réfléchirons dans un deuxième temps afin notamment d'offrir à la direction du budget la capacité de mieux piloter la masse salariale. Enfin, nous travaillons à la dématérialisation des bulletins de paye. Il est clair qu'un important travail reste à accomplir. Mais, à très court terme, le rôle de la DGFiP est de réécrire le programme de paye dans un langage moderne qui soit maintenable.

M. Philippe Marini, président. - La parole est maintenant à Valérie Metrich-Hecquet, secrétaire générale du ministère de l'agriculture, qui a été le pilote de l'opération.

Mme Valérie Metrich-Hecquet, secrétaire générale du ministère de l'agriculture. - Je vais m'attacher à décrire pourquoi le ministère de l'agriculture a été retenu comme pilote en février 2010, et quelles conséquences peuvent en être tirées. D'autres ministères - intérieur, éducation nationale pour partie, écologie et développement durable - avaient aussi été désignés comme pilotes, mais le ministère de l'agriculture est celui qui est resté. Nous serons donc le dernier pilote du projet.

M. Philippe Marini, président. - Le dernier pilote dans l'avion !

M. Francis Delattre. - C'est un aveu !

Mme Valérie Metrich-Hecquet. - Deux raisons expliquent le choix de notre ministère. D'une part, c'est un petit ministère, au sens où le volume de dossiers est assez faible en termes d'agents payés et d'agents gérés - en outre, les régimes indemnitaires, bien que multiples, sont moins complexes que pour la moyenne des ministères -, et son périmètre est homogène et stable depuis le Gouvernement Gambetta. D'autre part, à la fin des années 1980, le ministère de l'agriculture a pris la décision de centraliser la gestion administrative et la paye de ses agents. Il disposait donc d'un SIRH unique qui effectuait à la fois la gestion administrative des agents et la pré-liquidation de la paye. Cette organisation historique correspondait aux principes du programme ONP, qui avait par ailleurs défini des cibles déjà proches de la situation constatée au ministère de l'agriculture - par exemple, le ratio de 350 à 400 agents gérés par gestionnaire, avant même le commencement des opérations ONP. Par ailleurs, le ministère de l'agriculture avait réfléchi dès 2006 à la modernisation de son outil RH, en jugeant de manière pragmatique qu'il serait opportun d'y intégrer les préoccupations futures de raccordement à l'outil Paye.

Les difficultés rencontrées ont d'abord été liées au choix de concilier les objectifs d'un système en cours de production - en clair, de continuer à payer tous les agents en fin de mois - avec les objectifs d'intégration dans un système en cours conception.

Quel est le bilan coûts-avantages du dispositif ? Le coût induit pour le ministère de l'agriculture s'élève à 9 millions d'euros sur l'ensemble de la période 2007-2014, ce qui est à la fois peu et beaucoup. Les emplois équivalents temps plein (ETP) mobilisés atteignent 35 ETP entre 2007 et 2014, soit 5 ETP mobilisés spécifiquement sur toute la période. Le vrai gain est que la tentative de raccordement au SI-Paye de l'ONP a permis de révéler les insuffisances dans la qualité des données ainsi que le manque de sécurisation du processus de gestion de paye. Grâce au programme ONP, nous avons procédé à une amélioration constante de la qualité des données et des pratiques. De meilleures procédures ont été instaurées ; un contrôle interne a été mis en place afin de vérifier la sécurité et la réactivité du dispositif. Les résultats sont réels, même s'ils sont difficiles à chiffrer. Enfin, nous avons développé un vaste programme de formation des gestionnaires, ayant bénéficié à 611 agents au cours de 80 sessions de formation, ce qui a là encore permis de sécuriser les procédures. De ce point de vue, on ne peut pas considérer que le projet ONP a été mis en place en pure perte.

Permettez-moi enfin d'apporter une appréciation sur la décision d'arrêter le SI-Paye du point de vue du ministère pilote. Nous considérons que c'est une décision raisonnable et sans doute courageuse. En effet, la rentabilité à terme n'était pas assurée, même pour le ministère de l'agriculture, et la complexité du projet entraînait des augmentations de dépenses qui, dans le cadre budgétaire actuel, devenaient encore plus difficiles à gérer. Il n'aurait pas été possible d'opérer à nouveau les redéploiements réalisés au cours de la période 2007-2014. En revanche, je retiens des propos de Jacques Marzin que, grâce à l'ONP, une vraie démarche interministérielle de pilotage des ressources humaines a été engagée, en liaison avec nos collègues de la DGAFP, ce qui constitue sans doute une réelle amélioration des procédures et une sécurisation de l'argent public, conforme aux attentes des sénateurs de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour ces indications très concrètes. Je retiens en particulier le ratio d'un agent gérant 350 dossiers. Il serait intéressant de disposer de ces données dans l'ensemble des ministères.

Mme Valérie Metrich-Hecquet. - Le ratio s'élevait à 350 agents gérés par agent gérant lors du lancement du projet. Il atteint maintenant 500.

M. Philippe Marini, président. - Le ministère de l'agriculture est en définitive le seul à disposer d'un produit fini. En tant que pilote, il dispose de contreparties aux démarches qu'il a engagées. Les résultats sont peut-être moins évidents pour les autres ministères...

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - Pour creuser ces questions, vous me permettrez d'utiliser ma casquette de sénateur mais aussi ma casquette d'informaticien ! Certaines choses sont étonnantes. Je vous rassure, j'ai vu des projets naufragés dans de grandes entreprises privées mais celui-là est tout de même d'une ampleur considérable. D'abord en ce qui concerne les coûts : les 286 millions d'euros engagés jusqu'à maintenant représentent-ils le coût tout compris ? J'entends par là à la fois au coût des prestataires qui ont travaillé pour développer ce système qui ne sera jamais opérationnel, mais aussi aux coûts, dans chacun des ministères, pour adapter leurs propres systèmes et créer les interfaces avec l'ONP ?

M. Jacques Marzin. - Non ; il serait difficile, avec aussi peu, d'avoir une valeur actuelle nette aussi négative, même au bout de 34 ans. Le chiffre de 286 millions d'euros correspond au seul budget de l'ONP. Or chaque ministère était responsable de la conduite de son propre projet de SIRH, sachant que la modernisation de ces systèmes tenait davantage aux nécessités de la RH qu'au raccordement à l'ONP. Dans mon rapport, j'ai mis en évidence la globalité des coûts. Il s'agit d'un travail cumulatif, sur l'intégralité de la dépense de tous les ministères, sur tous les objectifs poursuivis : modernisation des SIRH, développement du calculateur et raccordement au calculateur. À la demande de Philippe Marini, hier, j'ai isolé les coûts du seul ONP sur la période 2009-2013, mais je me propose de le faire pour la globalité du projet sur la période jusqu'à 2013. Les données sont disponibles.

Si le projet avait été mené à bonne fin, et donc sans se limiter à la période 2009-2013, la dépense globale est estimée aux alentours de 1,8 milliard d'euros d'investissement sur une durée de 25 ans, en incluant la maintenance. 80 % de ces coûts sont liés à la modernisation des SIRH des ministères et non pas à l'objectif de raccordement à l'ONP.

M. Philippe Dallier. - J'imagine que la décision de lancer ce projet a été prise au vu de coûts estimés qui incluaient les développements par les prestataires, les développements spécifiques à l'ONP et tous les impacts dans l'ensemble des ministères. Je suppose qu'il y a eu des chiffrages et il faudrait pouvoir les comparer avec le consommé pour avoir une idée précise de ce qu'a coûté l'ensemble du projet, indépendamment des adaptations dues aux évolutions de la réglementation. Nous voudrions savoir quelle somme a été dépensée pour aboutir au résultat que nous constatons aujourd'hui. Vous nous avez dit que le projet ne pourrait être opérationnel en 2016 et qu'il devrait plutôt aboutir en 2023 : vous avez évoqué un milliard d'euros supplémentaires pour ce faire, mais qu'en est-il du coût tout compris ?

M. Jacques Marzin. - La somme de 1,2 milliard d'euros d'investissements purs et d'une valeur actuelle nette négative d'un milliard d'euros s'entend sur la globalité du programme, c'est-à-dire les projets SIRH des ministères, le calculateur, le raccordement ; il s'agit des coûts complets, qui comprennent les dépenses de personnel de l'administration, la maintenance, les acquisitions de matériel. Sur ce coût de 286 millions d'euros...

M. Philippe Marini, président. - ... oui, revenons-y ! J'ai pris l'initiative de vous interroger car grâce aux chiffres, nous commençons à entrer dans le sujet ! Dans une période où il faut faire décroître la dépense publique, nous ne sommes pas là pour inventer des moutons à cinq pattes et pour commenter toutes les spécificités des militaires en position extérieure ou des membres de jury ! Nous sommes fondés à essayer de raisonner sur des ordres de grandeur et sur les conditions dans lesquelles des décisions aussi importantes que celles d'arrêter l'ONP ont pu être prises.

M. Jacques Marzin. - Je vous renvoie à la page 11 de mon rapport, dans le cadre des travaux de refondation, où nous avions évalué la perte au niveau du SI-Paye de l'ONP à environ 200 millions d'euros sur la période 2009-2013, somme que nous estimions majorée. Vous pouvez tout à fait rapprocher ces chiffres de ceux que je vous ai donnés hier soir et qui sont parfaitement publics : les 286 millions d'euros correspondent au coût budgétaire global de l'ONP, ce qui inclut le calculateur SI-Paye mais également le développement d'une offre de SIRH spécifique pour les ministères qui n'ont pas les moyens ou qui n'ont pas souhaité développer leurs outils spécifiques. Il s'agit du ministère de la culture, du ministère des affaires sociales, des services du Premier ministre, de la Cour des comptes et du Conseil d'État. Cette offre est toujours viable, ces travaux ne sont pas abandonnés.

Je continue sur ce qui n'est pas à passer par pertes et profits. Le bon fonctionnement de l'écosystème requiert des référentiels communs - sur les indices, sur des éléments de rémunération - que chaque ministère construit aujourd'hui séparément. Ces référentiels sont maintenant administrés par l'ONP et répartis automatiquement vers les systèmes de gestion des ministères : cet élément n'est pas à jeter. Subsistent également tous les travaux de caractérisation, de description, de construction du livre blanc de la paye, de mise à plat des milliers de règles de gestion en vigueur. C'est la base des travaux d'amélioration du fonctionnement de l'administration.

Demeurent également - et c'est pour cela que je dis que ces 200 millions d'euros sont majorés - un certain nombre de composants dans le SI-Paye que nous estimons réutilisables pour deux finalités. D'abord, pour aider à faire progresser les ministères qui ont choisi le même outil technique de gestion des ressources humaines que celui qui avait été choisi à l'ONP pour faire la paye. Ensuite, les outils techniques du SI-Paye qui permettaient de mesurer la progression de la mise en qualité des données des SIRH, préalable à leur mise en raccordement efficace. Valérie Metrich-Hecquet a insisté sur cet énorme problème qu'est qualité des données fines de gestion des ressources humaines : aujourd'hui, ces données sont entachées d'erreurs et ne sont pas utilisables pour le calcul automatique de la paye.

Nous avons donc chiffré cette perte pour une période de quatre ans, de 2009 à 2013. Pour ce qui concerne les investissements dans les ministères, je n'ai pas trouvé de travaux qui analysent, au moment où le projet a été lancé, les impacts sur les SIRH. C'est la première fois que nous construisons un calcul global sur l'ensemble du champ, pour aboutir au chiffre de 1,8 milliard d'euros d'investissements globaux que je viens d'évoquer. Il n'y a pas de référence de départ, dans la globalité et en consolidation, à laquelle nous puissions comparer le résultat auquel nous arrivons aujourd'hui. En tout cas, je n'en ai pas retrouvé la trace dans l'ensemble de la documentation qui nous a été confiée dans les travaux de refondation.

M. Philippe Dallier. - La franchise du propos qui vient d'être tenu est absolument stupéfiante ! Pour tout dire, je ne peux pas comprendre cela. Je voudrais revenir sur la prise de décision en 2007 : Marie-Anne Lévêque nous a dit que le Gouvernement - je ne sais pas qui est le Gouvernement, il y a forcément un ministre qui a signé mais il a dû être conseillé - avait choisi ce module de paye externe et avait décidé de ne pas implanter au moins un minimum de noyau dans chacun des SIRH des ministères. Vous aviez l'air de dire que ce choix pouvait peut-être expliquer le déraillement du train. Peut-être pourriez-vous préciser votre propos ? Étant données la complexité que vous avez décrite dans chacun des ministères, la difficulté à faire évoluer le système en même temps que de construire les interfaces, qu'est-ce qui vous fait penser aujourd'hui que la bonne décision aurait été de choisir cette solution ? Avait-il été envisagé - mais était-ce simplement possible ? - de construire, distinctement, un nouveau système de paye pour chacun des ministères avant de basculer complètement sur le nouveau système, plutôt que d'essayer tout faire en même temps ?

M. Jean Germain. - Si l'on comprend bien, le contexte est le suivant : il y a 2,5 millions de fonctionnaires, la DGFiP et la DGAFP suivent toutes ces questions pour les personnels civils, et nous avons rencontré des difficultés concernant CHORUS et Louvois. La décision est prise de demander à un organisme extérieur de régler ce système unique de paye, et de désigner pour le raccordement des ministères dont je ne sais trop s'ils sont « pilotes » ou « expérimentaux » ou « tests »... À la fin, il n'en reste plus qu'un seul, le ministère de l'agriculture, car le ministère de l'intérieur, comme d'autres, a demandé plus de temps. Le ministère de l'agriculture a cette particularité d'être très centralisé, par rapport à l'éducation nationale par exemple.

Ma question est la suivante : ce genre de projet est-il seulement possible ? La DGAFP nous l'a dit : il faut des années pour réduire le nombre de régimes indemnitaires. L'ordonnance de 1945 créant la direction de la fonction publique résulte du besoin, identifié par le général de Gaulle, d'une fonction publique unifiée, au lieu de corps différents dans tous les ministères ; c'est également pour cette raison qu'a été créée l'École nationale d'administration (ENA). Mais cela avance lentement ! L'existence d'une fonction publique unifiée de l'État est un mythe : juridiquement, c'est vrai, mais du point de vue des régimes indemnitaires, c'est totalement faux.

Ma question est donc : ce genre de projet est-il faisable ? L'URSS s'est écroulée car elle ne pouvait pas se rénover. Ce pilotage, une sorte de centralisation par l'extérieur, en interministériel et piloté par le Premier ministre, est-il faisable ? Ne devons-nous pas attendre que tous les ministères se soient complètement modernisés avant de basculer dans un système unique, central - plutôt que l'inverse et avec un coût qui n'est pas négligeable ?

M. Philippe Marini, président. - On peut se souvenir que la Constitution de l'URSS était parfaite, elle traitait de tout.

M. Francis Delattre. - Est-ce faisable ? J'ajouterais : est-ce souhaitable ? Tous les systèmes d'information sont obsolètes après cinq ou six ans. Donc créer un système pour dix ou quinze ans, c'est comme « les Shadoks » : on va courir après l'innovation !

En tant qu'élu local, président d'une agglomération de dix villes, je gère presque autant de statuts dans la fonction publique territoriale qu'il y en a dans la fonction publique d'État. Et on y arrive, même si la complexité est là !

Je serais plutôt favorable à ce qu'on dise à chaque ministère - car ne nous cachons pas, derrière cette histoire, les ministères veulent garder une certaine autonomie de gestion - qu'il faut mettre en place un système comparatif. Tous les ministères devraient se voir fixer un objectif d'un gestionnaire pour 400 personnes pour les mettre en compétition, tout en respectant les spécificités des uns et des autres - car on ne parviendra pas à faire en sorte que les primes soient identiques au ministère des finances et au ministère des anciens combattants. Je pense que ce serait plus efficace.

J'ai vécu une époque où il n'y avait pas un informaticien dans l'administration, et nous en avons recruté beaucoup dans le privé : pour tous ces nouveaux secteurs, je crois plus en la souplesse qu'en la rigidité. Je pense donc que non seulement c'est coûteux, que le projet va être abandonné - sans doute y trouvera-t-on des aspects pédagogiques - mais que nous aurions intérêt à laisser de la souplesse et de l'adaptabilité. Ce n'est pas un grand ensemble, au niveau étatique, qui est la hauteur des enjeux.

M. Jacques Marzin. - Je voudrais revenir sur les problèmes touchant aux opérations de pilotage des systèmes d'information. Nous avons évoqué la décision prise en 2006 de ne pas mettre en place un SIRH commun à l'ensemble des ministères. Le défaut, évoqué par Marie-Anne Lévêque, ne tient pas à la décision elle-même mais au fait de ne pas avoir changé les modalités de pilotage de l'opération. Les ministères restant libres de leurs choix de système d'information, il avait été considéré qu'il suffisait de lancer quelques clauses de ralliement pour qu'au bout du délai imparti, les systèmes se connectent sans difficultés. Nous touchons là à un défaut originel du projet : la méthode de conduite du projet aurait dû être revisitée en mettant en place une coordination technique très forte entre les ministères afin de détecter les éléments posant problème pour le raccordement au calculateur central. L'ONP a fait tout ce qu'il pouvait dans le cadre de sa mission, mais celle-ci ne lui permettait pas d'auditer en permanence la mécanique de réalisation des SIRH ministériels.

« Organismes extérieurs », dites-vous, équivaut à « centralisation ». Qu'est-ce que l'ONP ? Il s'agit d'un plateau-projet, cela n'a rien d'extérieur à l'administration.

M. Philippe Marini, président. - Tout à fait.

M. Jacques Marzin. - Aucune organisation ne se lance dans une telle opération en demandant aux gestionnaires quotidiens de se préoccuper en même temps de la construction d'un nouveau système. On ne peut donc pas dire que l'ONP soit un organisme extérieur ; il est composé pour une bonne part d'agents de la DGFiP et de la DGAFP, complété par des techniciens spécialistes des technologies choisies - il est vrai plutôt recrutés comme contractuels à durée déterminée.

Vous parlez de centralisation. Mais la paye est centralisée en France depuis longtemps par la DGFiP. Ce modèle fonctionne à merveille. Le coût du bulletin de paye est inférieur à quatre euros. Il n'y a pas de semaine sans qu'un groupement d'intérêt public (GIP), un opérateur ou des syndicats divers et variés ne s'adressent à la DGFiP pour lui confier la paye de leurs agents et éviter ainsi de recruter leurs propres informaticiens.

M. Francis Delattre. - Alors pourquoi avoir construit ce projet ?

M. Jacques Marzin. - Il n'y a pas eu de volonté de recentralisation mais simplement une volonté de faire évoluer l'outil de calcul de la paye.

M. Jean Germain. - L'objectif était pourtant bien de réduire les coûts ! Or lorsque l'on vous écoute, on a l'impression qu'il n'y a aucun problème. Il avait été indiqué à l'époque que l'ONP allait coûter moins cher en permettant de supprimer environ 6 000 postes d'agents effectuant la paye sur les 10 000 existants. C'est du moins ce que j'ai lu dans la presse et j'ai à votre disposition les documents évoquant ces déclarations, y compris le rapport de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Marini, président. - Une commission d'enquête serait une bonne idée.

M. Jacques Marzin. - Je suis parfaitement d'accord avec le sénateur Jean Germain. Je ne défends pas le projet tel qu'il a été conçu. Et d'ailleurs, dans mon rapport je compare la rentabilité du projet initial avec ce que nous avons constaté nous-mêmes. Il avait bien été présenté comme un projet rentable et les éléments dont nous disposons montrent qu'il ne l'est pas du tout. J'essaie simplement de répondre aux questions concernant la centralisation.

M. Jean Germain. - Nous savons que la DGFiP gère la paye depuis un certain temps mais l'ONP nouvellement créé avait-il suffisamment de personnel, de pouvoirs sur les ministères, une composition suffisamment interministérielle ?

M. Jacques Marzin. - La seule ambition du projet était de passer d'un calculateur qui calcule automatiquement le traitement de base mais prend pour « argent comptant » le montant des primes et régimes indemnitaires transmis par les ministères, à un nouveau calculateur calculant automatiquement ces primes. Il s'agit d'un pas supplémentaire dans la sécurisation comptable et budgétaire des opérations de paye de l'État, selon un modèle qui n'est pas modifié. Effectivement, ce calculateur aurait été porteur d'économies s'il avait été mis en oeuvre jusqu'au bout car il aurait concentré sur un seul comptable les opérations de paye. L'objectif du projet n'était pas inintéressant et ne peut pas être balayé d'un revers de main.

La souplesse, dont vous parlez, a été consacrée par la décision de 2006 de ne pas mettre en place un SIRH unique. La façon dont nous relançons l'ensemble du dispositif ne consiste pas à rebâtir un programme géant, centralisateur à la soviétique, mais, au contraire, à laisser chaque acteur moderniser son système dans le respect de ses particularités. Le seul élément ajouté au niveau interministériel - et qui a manqué depuis le début - est une vigilance quant à la réalisation de l'objet technique final. La DISIC anime donc aujourd'hui des réunions pour redéfinir autant de projets qu'il y a de ministères, chacun selon son rythme et ses objectifs propres. Notre seule vigilance est de s'assurer tout d'abord que tout le monde a les moyens humains et budgétaires, dans la durée, et que personne ne s'écarte de l'objectif global.

Je prendrais l'exemple d'Airbus : personne ne peut nier qu'il s'agit d'une remarquable réalisation européenne et d'un franc succès. Mais vous souvenez-vous du premier raccordement des ailes de l'Airbus A380 ?

Mme Nicole Bricq. - Oui !

M. Jacques Marzin. - Malgré l'effort de coordination énorme des industriels des différents pays, il y a avait eu des difficultés. Comment éviter des défauts de cette nature ? La seule chose que l'on fait est de relancer le projet sur une base plus flexible, moins ambitieuse, beaucoup plus progressive mais « cadencée » par une vigilance du Premier ministre. Car le projet, pour la première fois, n'était pas sous la responsabilité du Premier ministre mais sous la seule responsabilité de l'ONP. Nous ne faisons qu'ajouter un échelon interministériel de coordination, qui a davantage sa place à la DISIC qu'ailleurs.

Aurait-on pu concevoir un nouveau système à côté, pour ensuite effectuer la bascule entre les anciens et le nouveau système ? L'hypothèse n'a pas été instruite de façon approfondie ; elle aurait mérité de l'être. Je pense que le projet actuel manque de découplage mais la difficulté est qu'il est impossible de décrire une situation figée compte tenu de l'évolution permanente de la réglementation. Il aurait certainement fallu découpler davantage de choses, ne serait-ce que la mise en place des règles de paye et leur organisation.

M. Philippe Marini, président. - A partir de là, pouvez-vous nous prédire des économies budgétaires ? Chacun doit s'efforcer, je le suppose, de se présenter aux conférences budgétaires dans les meilleures conditions possibles, sachant que les agents de l'État eux-mêmes et les syndicats peuvent se sentir concernés par le surcoût de cette opération. Après tout, les représentants des fonctionnaires auxquels on explique - certainement à juste titre - que le point d'indice de la fonction publique doit être bloqué pour longtemps pourraient considérer qu'il existait dans le passé plus de marges de manoeuvre qu'on ne le leur a vraiment dit.

M. Philippe Dallier. - Une dernière question concernant le rôle des prestataires extérieurs : contractuellement, comment tout cela se règle-t-il ? Une part de responsabilité leur est-elle imputable ou considère-t-on que les responsabilités sont partagées ?

M. Jacques Marzin. - Sur l'aspect économique, nous sommes en train de consolider une nouvelle feuille de route pour l'ensemble des projets, revisités en fonction des décisions prises. En effet, il n'est pas question de passer par pertes et profits les investissements effectués - et qui ne sont pas terminés - en matière de rénovation des SIRH des ministères. Il faut que nous convertissions l'application PAY - ce n'est pas tant le COBOL qui nous gêne que le fait qu'elle ait été développée en Pacbase, ce qui est un peu plus cher pour la maintenance. Nous disposerons donc en juin d'une vision consolidée de ce que la fin du projet permet de conserver et de réaliser. J'ai tenu à disposer de ces éléments avant le dialogue budgétaire. Si d'aventure les arbitrages rendus par la représentation nationale n'étaient pas conformes à ce que nous avons défini, il m'appartiendra avec mes collègues de redéfinir l'ambition, pour nous en tenir à l'affectation budgétaire décidée.

Les prestataires extérieurs ne l'ONP ont fait, il me semble, de leur mieux. En tous cas, il n'est pas possible de leur imputer une faute professionnelle. Le calculateur fonctionne conformément aux spécifications de l'administration. Pour prendre un autre exemple, l'éditeur HR-Access a honoré son engagement d'adapter son produit à l'évolution du « noyau » des règles de gestion de la fonction publique de l'État. Il l'a fait souvent à marche forcée - ce qui a eu des répercussions pas toujours positives sur le rythme des autres chantiers pour les ministères ayant choisi la même solution. Ceux-ci ont dû « monter en version », ce qui est toujours coûteux. Les intégrateurs, qui ont travaillé avec les ministères, ont joué leur partition classique. Certains sont en conflit avec la personne publique, mais cela n'a rien à voir avec le travail de raccordement. Il n'y a eu aucune velléité de quelque ministère que ce soit de résilier l'un ou l'autre des marchés de cette opération.

Je prenais à dessein l'exemple d'Airbus : ce sont bien les problèmes de raccordement et de cohérence globale de neuf pilotes de chantiers différents, et non les manquements des prestataires, qui sont en cause.

Un certain nombre de ministères ont choisi le même prestataire, dans le cadre légal des marchés publics, pour développer leur SIRH. Effectivement, on constate que l'intégrateur a développé des fonctions spécifiques de trois façons différentes. Est-ce la faute de l'intégrateur ? Non, car celui-ci a répondu à un chantier local. Mais c'est l'un des inconvénients de la souplesse poussée à l'extrême : on peut alors être amené à payer le développement, un nombre considérable de fois, d'exactement le même outil. Pousser le raisonnement à son extrême coûte tout de même pour les finances publiques.

Je n'ai donc rien trouvé qui justifie qu'on jette l'opprobre sur les prestataires. Toutefois, nous sommes convenus qu'il fallait que la direction de programme qui sera rattachée à la DISIC se préoccupe des stratégies d'achat des ministères dans ce domaine, afin de maîtriser la diversité.

Mme Marie-Anne Lévêque. - Je souhaitais revenir sur le formalisme des décisions prises en 2007. Je n'étais pas en poste à l'époque mais il me semble qu'il s'agissait d'un processus extrêmement classique consistant en une concertation, puis une réunion interministérielle.

Sur la question de l'équilibre à trouver entre centralisation et respect de certaines spécificités des ministères, la direction dont j'ai la responsabilité pousse historiquement à l'harmonisation des règles, mais nous n'avons pas une vision systématique des choses. Nous sommes conscients que la spécificité de certaines missions justifie des règles différentes. Je pense cependant qu'il existe des marges de simplification en matière statutaire et indemnitaire qui sont loin d'être épuisées. Cet exercice de simplification doit être au coeur du projet qui se met en place.

M. Olivier Bourges. - Nous oscillons constamment entre deux approches : la volonté de déconcentrer pour donner de la souplesse et, à l'inverse, une extrême centralisation. De plus, nous sommes face à un projet extrêmement sensible car il touche à la paye et au régime indemnitaire. À défaut d'unicité, sans une certaine centralisation, voire une discipline que je n'oserais qualifier de fer, le projet aura beaucoup de mal à avancer.

Mme Valérie Metrich-Hecquet. - Le ministère de l'agriculture accueille tout à fait favorablement la nouvelle gouvernance que veut mettre en place la DISIC. Effectivement, nous avons sans doute souffert d'un manque de pilotage et de coordination. Nous nous inscrirons donc résolument comme pilotes dans cette démarche.

M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie de nous avoir informés sur ce sujet difficile, ingrat mais particulièrement important.