Mercredi 11 juin 2014

- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 heures 30

Organisme extra parlementaire - Désignation d'un candidat

M. Daniel Reiner, président. - Par lettre en date du 3 juin 2014, M. le Premier ministre a demandé à M. le Président du Sénat de lui faire connaître le nom d'un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence d'enseignement français à l'étranger, en remplacement de notre ancienne collègue, Mme Kalliopi Ango Ela, dont le mandat est arrivé à son terme.

Conformément à l'article 9 du règlement du Sénat, il revient à notre commission de proposer une candidature.

Je vous rappelle que la répartition des sièges au sein des organismes extra-parlementaires fait l'objet d'une répartition entre les groupes politiques.

Notre collègue Mme Hélène Conway-Mouret, qui siégeait au sein du conseil de l'AEFE avant sa nomination comme membre du Gouvernement, a exprimé le souhait de poursuivre cette mission.

Je n'ai pas reçu d'autres candidatures. Y-a-t-il des objections ?

Je vous propose donc sa désignation comme candidate. Cette désignation devra être ratifiée par le Sénat selon la procédure prévue par le règlement du Sénat.

La commission a décidé à l'unanimité de proposer la candidature de Mme Hélène Conway-Mouret pour siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918 - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de Mme Michelle Demessine et le texte proposé par la commission pour la proposition de loi n° 212 (2011-2012) présentée par M. Guy Fischer relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918.

M. Daniel Reiner, président. - Nous examinons le rapport de Mme Michelle Demessine sur la proposition de loi présentée par M. Guy Fischer et les membres du groupe CRC, relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - La question des fusillés pour l'exemple est un volet particulièrement douloureux de la Grande Guerre. Elle renvoie à la condamnation par les tribunaux militaires et à l'exécution par l'armée de ses propres soldats, reconnus coupables de manquements à la discipline militaire : refus d'obéissance, abandon de poste, désertion à l'ennemi...

Cette question est difficile car elle nous confronte à des histoires personnelles poignantes, comme celle des caporaux de Souain ou celle du sous-lieutenant Chapelant, destins individuels tragiques dans un contexte de mort de masse, que nous appréhendons avec effroi, avec notre regard contemporain pour lequel la mort n'est plus banale, pour lequel la vie, les droits de l'Homme, la justice sont les valeurs les plus importantes - au moins dans nos démocraties.

Cette question est aussi sensible car elle renvoie à une zone d'ombre de notre histoire nationale, qui a fait l'objet de controverses marquées, entre d'un côté les tenants de l'ordre, estimant que la discipline, clé de voûte de l'armée, garante de l'intégrité de la Nation, justifie la plus grande sévérité et ne saurait souffrir de mises en cause, et de l'autre, les partisans d'une lecture humaniste, qui considèrent que ces hommes, jetés en pâture sur les champs de bataille, condamnés à se battre, avaient finalement quelques excuses.

Il semblerait que ce débat commence aujourd'hui à être dépassé. Le sort des fusillés, qui a été au coeur du combat de familles et des militants des droits de l'Homme et des associations d'anciens combattants, est depuis quelques années évoqué dans le discours politique officiel. Lionel Jospin, en tant que Premier ministre, a ouvert la voie à Craonne en 1998, plaidant pour que les soldats « fusillés pour l'exemple » réintègrent notre mémoire collective. En 2008, Nicolas Sarkozy, Président de la République, les intègre dans son hommage à tous les soldats de la Grande Guerre lors de la commémoration de l'armistice à Douaumont, reconnaissant au nom de la Nation que « beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s'étaient pas déshonorés, n'étaient pas des lâches, mais que simplement ils étaient allés jusqu'à l'extrême limite de leurs forces ». Et récemment, dans son allocution pour le lancement des commémorations du Centenaire de la Première Guerre mondiale, le Président François Hollande a évoqué « ceux qui furent condamnés de façon arbitraire et passés par les armes », invoquant un esprit de réconciliation.

Avant de vous présenter la proposition de loi, il me semble nécessaire de revenir sur les faits et le contexte dans lequel ils sont intervenus. Selon le rapport du comité d'experts présidé par l'historien Antoine Prost, remis au Gouvernement en octobre 2013, on dénombre un peu plus de 600 soldats fusillés pour des motifs strictement militaires, c'est-à-dire en excluant les condamnations pour crimes de droit commun et pour espionnage. Les deux tiers de ces exécutions ont lieu dans les premiers mois du conflit, entre le début des hostilités et le milieu de l'année 1915. Comme l'ont montré les historiens, c'est dans cette période, difficile sur le plan militaire et politique, que la justice militaire est la plus répressive, le haut commandement ayant obtenu l'instauration de conseils de guerre spéciaux, appelés aussi cours martiales, qui jugent en formation restreinte, sans instruction préalable, sans recours et sans droit de grâce, les droits de la défense étant quasiment inexistants. C'est à ce moment qu'ont eu lieu les dérives que l'on sait. Cette ligne très dure s'infléchira en 1915, à la faveur de la reprise en main de l'armée par le pouvoir politique, à laquelle le Parlement contribua activement. Ainsi, la possibilité de grâce présidentielle est rétablie en janvier 1915, les conseils de guerre spéciaux sont supprimés à la fin de 1915 et une loi réformant profondément le fonctionnement de la justice militaire est votée le 27 avril 1916, qui rétablit l'instruction préalable, la prise en compte des circonstances atténuantes et introduit une possibilité de recours en révision.

Le texte que nous examinons, déposé le 20 décembre 2011 par notre collègue Guy Fischer et le groupe CRC, tend à procéder à une « réhabilitation générale et collective » des fusillés pour l'exemple de la Première Guerre mondiale et prévoit que leurs noms sont portés sur les monuments aux morts et que la mention « morts pour la France » leur est attribuée. Elle comporte, en outre, une demande de pardon de la Nation à leur famille et au pays tout entier.

Le terme « réhabilitation » a une signification juridique précise, il renvoie à l'annulation des jugements rendus par les conseils de guerre. A cet égard, il convient de rappeler qu'un certain nombre de réhabilitations de fusillés, entre quarante et cinquante, sont intervenues dans l'entre-deux-guerres, dans le cadre de procédures judiciaires de révision : procédures de droit commun d'abord, puis, en raison des difficultés à obtenir des révisions, dans le cadre d'une cour spéciale créée par la loi. Composée à parité de magistrats et d'anciens combattants, cette cour a siégé de 1933 à 1935.

Ces réhabilitations judiciaires individuelles ont permis aux soldats fusillés qui en ont fait l'objet de se voir attribuer, comme les soldats morts au combat, la mention « mort pour la France » à laquelle sont attachés un certain nombre de droits, honorifiques et pécuniaires. Le plus emblématique étant que le nom du soldat est inscrit avec cette mention sur le monument au mort de sa commune de naissance ou de dernière domiciliation.

Ces dernières années, la question de la mémoire des fusillés et de leur réhabilitation a refait surface, dans le cadre d'un renouvellement de l'intérêt porté à l'histoire de la Première Guerre mondiale. Des études historiques ont mis en évidence l'ampleur du phénomène, même s'il faut garder en tête le nombre de l'ensemble des victimes de la Grande Guerre : 1 350 000 morts. Les associations de droits de l'homme, d'anciens combattants se sont positionnées et plusieurs demandent la réhabilitation des fusillés pour l'exemple, eu égard aux excès commis par une justice d'exception. Les possibilités judiciaires de réviser les procès étant extrêmement limitées, le texte que je vous présente vise une réhabilitation des fusillés par la loi.

Il faut bien comprendre cette intention ; elle entend mettre fin à une discrimination qui est encore ressentie comme infamante pour la mémoire de ces hommes ; car bien souvent, sauf dans un moment de faiblesse qui leur fut fatal, ils ont été de bons soldats.

Pour autant, le législateur est-il fondé à remettre en cause des jugements qui ont été rendus à l'époque ? Cela semble difficile. Car, aussi injustes et arbitraires qu'ils puissent paraître aujourd'hui, ces jugements étaient pour la plupart conformes au code de justice militaire alors applicable. On ne peut rétrospectivement annuler le droit en vigueur et rejuger l'histoire. En outre, s'il y a eu indéniablement des excès, tous les fusillés, même au regard du droit actuel, ne seraient pas forcément innocents, mais convenez, chers collègues, que la comparaison reste très ardue au motif même que la peine de mort a été abrogée depuis.

Se pose néanmoins la question du champ d'application de cette mesure de réhabilitation : elle concernerait les « fusillés pour l'exemple ». Or ce terme ne renvoie pas à une catégorie juridique particulière, encore moins à un nombre précis de soldats fusillés. Il vise, selon les interprétations, à évoquer la dimension exemplaire que revêtait la condamnation, c'est-à-dire l'idée qu'elle doit dissuader les autres soldats d'agir pareillement, ou le caractère démonstratif de l'exécution, qui donne lieu à un cérémonial devant la troupe, ou encore le fait que certains fusillés ont été arbitrairement désignés parmi d'autres coupables pour être des victimes expiatoires.

La notion de « pardon » que la Nation demanderait « aux familles et à la population du pays tout entier » ne paraît pas davantage appropriée. L'Etat peut-il demander pardon, cent ans après, d'avoir fait respecter le droit militaire qui était alors en vigueur, même si l'on ne peut que regretter qu'il ait été appliqué de manière expéditive, parfois même sans procès ?

L'attribution à chaque soldat fusillé de la mention « mort pour la France » qui découlerait de la réhabilitation pose également problème sur le plan juridique, la situation des fusillés ne correspondant à aucun des cas de figure énoncés à l'article L. 488 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui définit les conditions d'attribution de cette mention et qui exige que le décès soit la conséquence directe d'un « fait de guerre ».

Enfin, la loi ne saurait, de manière globale et indifférenciée, annuler tous les jugements et déclarer innocents tous les fusillés.

Néanmoins, s'il n'est pas fondé à modifier, cent ans après, des situations individuelles, il me semble que le Parlement doit répondre à une demande forte, qui est celle d'une reconnaissance d'ordre symbolique. Il s'agirait de procéder à une réhabilitation morale, symbolique, des fusillés victimes de condamnations arbitraires, de reconnaître la dignité de ceux qui ont été, pendant trop longtemps, stigmatisés, mis au ban de la mémoire des soldats de la Grande Guerre, accusés d'être des lâches.

Cette démarche s'inspire de celle du Royaume-Uni qui, en 2006, a procédé dans le cadre d'une loi relative aux forces armées, à la réhabilitation symbolique de tous les soldats de l'Empire britannique exécutés en raison de manquements disciplinaires pendant la Première Guerre mondiale.

Je vous proposerai, par un amendement, de rédiger ainsi l'article unique de cette proposition de loi : « La Nation rétablit dans leur honneur les soldats de la Première guerre mondiale fusillés pour l'exemple. Leurs noms peuvent être inscrits sur les monuments aux morts. »

Cette rédaction évite le mot « réhabilitation », qui a des implications juridiques précises. Elle ne retient pas l'idée d'attribuer aux fusillés la mention « mort pour la France » pour les raisons que je vous ai exposées. En revanche, elle conserve la notion de « fusillés pour l'exemple » qui est couramment employée dans ce débat et qui, s'agissant d'une disposition d'ordre déclaratif, ne paraît pas poser de problème juridique. Enfin, cette rédaction autoriserait l'inscription des noms des fusillés sur les monuments aux morts, ce qui correspond à une pratique parfois observée par les maires - selon un chiffre cité par le rapport Prost, 200 fusillés non réhabilités figureraient déjà sur les monuments aux morts.

Il me semble important que le Parlement conforte la reconnaissance officielle réalisée par le pouvoir exécutif ces dernières années à travers les déclarations d'un Premier Ministre et de deux Présidents de la République, mais aussi par de nombreuses collectivités territoriales - une vingtaine de conseils généraux ont voté des motions en ce sens.

Une telle initiative prendrait tout son sens en cette année de commémoration du centenaire de la Grande Guerre. Et ce d'autant qu'elle sera discutée en séance publique le 19 juin prochain, jour que le Sénat consacre spécialement à la commémoration de cet événement.

M. Daniel Reiner, président. - Merci pour votre travail de grande qualité sur ce sujet tragique et complexe ; dans la rédaction que vous proposez, vous supprimez avec raison la demande de pardon de la France aux familles des fusillés pour l'exemple, une demande difficile à accepter dès lors que les exécutions ont été ordonnées en vertu de la loi française ; vous enlevez aussi sa portée normative au texte, pour en faire un acte symbolique : la commission acceptera-t-elle de prendre ainsi une disposition législative purement symbolique ?

M. Jacques Gautier. - Je salue le travail de Michèle Demessine, qui a su adopter une perspective historique tout en faisant preuve d'une grande humanité, pour parvenir au texte qu'elle nous propose. Cependant, le groupe UMP ne le votera pas, ceci pour deux raisons.

Sur la forme, d'abord, notre groupe est hostile à ce qu'une proposition de loi soit modifiée en commission : nous en avons eu une expérience amère et nous avons décidé qu'une proposition de loi devait parvenir inchangée en séance publique, pour que leurs auteurs présentent leur position, qu'un débat ait lieu - ou bien on ouvrirait la porte à des manoeuvres politiques qui n'ont pas leur place à la Haute Assemblée.

Sur le fond, ensuite, l'année du centenaire du déclenchement de la Grande Guerre nous paraît peu propice au débat sur ce sujet sensible, récurrent, qui touche à l'histoire, donc à la mémoire. Une réhabilitation générale nous semble également difficile, parce qu'il y a eu, parmi les fusillés, des déserteurs et même des soldats qui ont trahi dans un contexte de guerre, ce qui empêche de dire qu'ils sont « morts pour la France » : une réhabilitation au cas par cas nous paraît donc préférable.

M. Alain Néri. - Je salue également le travail de notre rapporteure et je connais bien les intentions de Guy Fischer, pour m'en être entretenu avec lui. Cependant, comment peut-on prétendre juger ce qui s'est passé il y a cent ans, dans un contexte que nous ne connaissons pas ? La Grande Guerre a tout de suite été un choc d'une brutalité peu imaginable, littéralement hallucinatoire : à son premier jour, il y a eu 17 000 morts sur notre sol, des soldats qui arrivaient tout juste de leurs champs ou de leurs ateliers... La réhabilitation ne nous paraît pas possible, pour la bonne raison que nous ne serions pas de bons juges pour le faire.

La Nation, cependant, peut s'approprier collectivement, dans sa mémoire, l'ensemble des drames de la Grande Guerre. Lionel Jospin a ouvert la voie, dans son discours de Craonne en 1998, suscitant alors des réactions vives, voire violentes ; Nicolas Sarkozy a suivi, dans son discours de Douaumont de 2008, puis François Hollande est allé plus loin en annonçant qu'une place serait accordée aux fusillés dans le Musée des Invalides : c'est un hommage très fort, une inscription dans notre histoire, une forme de réhabilitation dans notre mémoire collective, une façon d'honorer ceux qui ont été parmi les combattants de la Grande Guerre.

Le Président de la République, ensuite, a demandé que les dossiers des fusillés puissent être, une fois numérisés, consultables par le public ; le 11 novembre prochain, l'inauguration de la salle consacrée aux fusillés pour l'exemple sera l'occasion, je l'espère, d'une nouvelle déclaration publique dans le sens de la reconnaissance de ces anciens soldats.

Tous ces actes me paraissent satisfaire cette proposition de loi, et même aller au-delà : les fusillés pour l'exemple sont reconnus, ils ont leur place dans notre mémoire collective - et les communes, du reste, peuvent déjà inscrire leurs noms sur les monuments aux morts.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre ce texte.

M. Joël Guerriau. - Je crois pour ma part que le centenaire est une très bonne occasion de débattre de ce sujet et que la réhabilitation collective est la meilleure solution, sachant qu'une réhabilitation individuelle est irréaliste, vue l'ampleur du travail qu'il y faudrait, mais aussi le manque d'archives. Les historiens nous donnent de très nombreux exemple de fusillés pour l'exemple qui étaient de bons soldats, souvent depuis plusieurs années, avec des états de service remarquables, des citations à l'ordre de leur régiment, parfois des blessures. Je pense à un caporal issu de mon canton : engagé en 1914, blessé, cité pour son courage et sa bravoure devant l'ennemi, il finit fusillé pour l'exemple en 1917. Un autre qui, trop jeune, avait falsifié sa date de naissance pour se battre dès 1914, blessé au combat puis rétabli, reparti au front : il est fusillé en 1917, lui aussi. Je pense, encore, à un simple d'esprit, fusillé pour l'exemple. De leur côté, que faisaient nos généraux ? Combien d'erreurs ont-ils faites, combien d'hommes ont-ils envoyé inutilement à la mort sans jamais être sanctionnés ? J'ai la chance d'avoir eu un grand-père qui a fait toute la Grande guerre et qui, même, a été le seul survivant de son régiment sur l'ensemble du conflit ; mais nous n'en n'avons jamais parlé, parce que cette guerre de l'horreur a laissé place au silence...

Il est certes difficile de porter un jugement sur cette période, cent ans après, mais avons-nous raison de fermer les yeux sur une situation inacceptable ? Nous commémorerons en juillet le centenaire de l'assassinat de Jaurès, qui venait d'appeler à la paix et à la réconciliation ; les fusillés pour l'exemple ont donné leur vie et c'est au nom de la réconciliation que je soutiens cette proposition de loi, qui est une façon de dire non à la guerre et oui à la paix.

M. Bernard Piras. - Je serai bref : Alain Néri a tout dit, je suis sur la même position que lui.

M. Jeanny Lorgeoux. - Pour avoir, moi aussi, un grand-père qui a fait toute la Grande Guerre, je suis très sensibilisé à cette période mais je parviens à une conclusion inverse de celle de Joël Guerriau : devant le chavirement abyssal provoqué par le déterrement de ce dossier, la paix du silence me paraît la meilleure solution.

M. Jean Besson. - Ce texte me gêne par l'amalgame qu'il fait entre les fusillés qui avaient pu commettre des fautes pardonnables, et ceux qui avaient déserté, voire qui avaient trahi en temps de guerre. Dans ces conditions, je me contente des déclarations présidentielles et d'actions comme l'entrée au Musée des Invalides.

M. Michel Billout. - Le groupe CRC votera l'amendement de notre rapporteure, qui a le mérite de rechercher un compromis pour conclure ce débat récurrent. Les déclarations présidentielles ne sont pas suffisantes, d'autres pays comme la Grande-Bretagne l'ont compris, en allant plus loin. Je ne suis pas troublé que, parmi les fusillés que nous réhabiliterions, il s'en trouve quelques-uns qui auraient déserté en temps de guerre : à cause de ces quelques-uns, devrions-nous faire l'impasse sur l'injustice passée, le Parlement devrait-il rester silencieux et rejeter même ce texte de compromis qui va moins loin que la proposition initiale ? Je ne le pense pas et je crois que le Président de la République a besoin du Parlement pour aller au-delà ; je regrette que nous ne fassions rien et que ce problème nous reste sur les bras.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Je remercie chacun de vous pour la qualité de ce débat. J'ai essayé d'avancer, d'aller plus loin que les déclarations présidentielles, parce que je crois que le Parlement a son rôle à jouer sur ce sujet, en s'adressant à tous les Français, au-delà d'une entrée des fusillés au Ministère des Invalides. Le Parlement britannique l'a fait, alors que la Grande-Bretagne a aussi payé un lourd tribut à la guerre, et a su dépasser toutes les difficultés soulevées par les uns et les autres. J'avoue que je serais déçue que nous n'y parvenions pas ; j'espère qu'avec le Gouvernement, nous parviendrons à un accord, pour adopter un texte en séance.

La réhabilitation au cas par cas est une fausse piste : les historiens réunis autour d'Antoine Prost nous ont dit que les archives ne permettraient pas d'avoir des certitudes, mais aussi qu'aucun historien n'accepterait de faire le tri entre les fusillés. C'est pourquoi un acte symbolique est de loin préférable, pour mener ce débat récurrent à son terme. Les associations de familles de fusillés, qui demandent une reconnaissance depuis 1920, salueraient ce pas supplémentaire, comme elles ont déjà salué les déclarations présidentielles.

J'espère, donc, que nous parviendrons à un compromis d'ici la séance.

M. Daniel Reiner, président. - Connaissez-vous la position du secrétaire d'Etat sur ce texte et sur votre amendement ?

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Kader Arif a reçu Guy Fischer, il s'est montré très attentif à notre proposition et nous a dit que ses services y travailleraient d'ici la séance, mais les commémorations du 70e anniversaire du débarquement et de la bataille de Normandie les ont mobilisés entièrement ; c'est pourquoi je place mes espoirs dans la semaine qui vient.

Cette proposition sera examinée telle quelle en séance, je présenterai aussi mon amendement, j'espère que d'autres propositions viendront des autres groupes et qu'avec le Gouvernement, nous trouverons un compromis.

M. Alain Néri. - Je précise que si le groupe socialiste vote contre la rédaction actuelle du texte et de l'amendement, il reste ouvert à trouver une solution d'ici la séance.

M. Daniel Reiner, président. - Nous passons à l'examen de l'article unique.

Mme Michelle Demessine, rapporteure. - J'ai déjà présenté l'amendement n°1.

L'amendement n° 1 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Communication de M. Gilbert Roger, président, et Mme Michelle Demessine, vice-présidente du groupe d'amitié France-Palestine

M. Gilbert Roger. - Mes chers collègues, j'ai souhaité, avec notre collègue Michèle Demessine, vous présenter le déplacement d'une délégation du groupe d'amitié France-Palestine que j'ai conduite, dans les territoires palestiniens, au cours de la première semaine du mois de mars dernier. Cette délégation comprenait, outre notre collègue Michèle Demessine, notre collègue Esther Benbassa, qui s'excuse de ne pouvoir être présente, ce matin, parmi nous. Je voudrais les remercier l'une et l'autre, comme l'ensemble des membres du groupe d'amitié, pour leur participation à ces travaux.

Aujourd'hui, vous le constatez toutes et tous, la question palestinienne a été balayée par une actualité diplomatique dense, et, comme nos interlocuteurs l'ont souligné sur place, « le conflit israélo-palestinien est peu à peu sorti des écrans radars des pays occidentaux ». Pour autant, le moment dans lequel s'est inscrit ce déplacement fut particulièrement important. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité témoigner devant vous, aujourd'hui, des enseignements que nous tirons de nos entretiens et visites.

Je reviendrai d'abord sur le contexte. Nous nous sommes rendus en Palestine à la demande, notamment, de l'Ambassadeur de Palestine en France, Son Excellence Al Fahoum. Nous souhaitions initialement faire un point sur les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens, qui, après trois ans de blocage, avaient été relancées à la fin du mois de juillet 2013, à Washington, grâce à une forte impulsion du Secrétaire d'Etat américain John Kerry. Ce dernier avait alors établi un calendrier de neuf mois pour parvenir à un accord, avec une fin théorique programmée fin avril 2014. Arrivant sur place à la fin du round de négociation, nous avons souhaité évaluer au mieux les espoirs, mais aussi les blocages, que suscitaient ces discussions de haut niveau.

Nous le savons bien, le conflit syrien, les troubles politiques en Egypte et le conflit nucléaire en Iran ont été les points focaux de la région au cours des trois dernières années. Pourtant, l'initiative américaine de relance du processus de paix israélo-palestinien a revêtu un caractère inédit, du fait de l'implication de l'administration Obama. L'échec sur lequel ont débouché ces séries de négociations diplomatiques peut être expliqué par nos constats sur le terrain.

Quels ont été ces constats ? D'abord, des blocages politiques profonds. Nous avons observé un blocage évident des négociations sur les cinq questions du statut final, celles des frontières, de la sécurité, de Jérusalem, des réfugiés et de l'eau. Et, vous le savez désormais, ces blocages ont conduit à une suspension des négociations, puisqu'après le refus d'une ultime libération de prisonniers palestiniens par Israël, qui dans un premier temps en avait pourtant accepté le principe, la partie palestinienne a annoncé son souhait de ratifier une série d'accords et de conventions internationales, provoquant, par là même, l'ire des Israéliens.

Néanmoins, il nous apparaît important de dire qu'aujourd'hui la partie palestinienne est disposée à de nombreuses concessions : une souplesse sur la question des réfugiés, en s'accordant sur le non-retour de la totalité d'entre eux et le versement de réparations ; l'acceptation d'échange de territoires, entérinant ainsi l'existence de certaines enclaves de colonisation ; la démilitarisation du futur État palestinien ; la désignation de Jérusalem comme ville « ouverte », sous contrôle international... Toutes ces concessions ont été présentées et répétées par M. Mohammed Chtayyeh, négociateur en chef avec la partie israélienne.

A ces concessions, pourtant, Israël a répondu par plusieurs blocages, à commencer par la demande de reconnaissance, par la Palestine, d'Israël comme État juif. Cette demande, qui, par exemple, n'a pas été adressée à l'Égypte lorsque celle-ci a reconnu Israël, apparaît comme une condition intenable pour la partie palestinienne, puisqu'elle tend à entériner de fait un non-retour des réfugiés. Aussi, l'Autorité palestinienne demande à Israël de chercher à se faire reconnaître comme État juif par les Nations unies, mais pas unilatéralement par les Palestiniens.

En outre, Israël, comme je l'ai indiqué, refuse la libération d'un dernier groupe de prisonniers palestiniens, libération dont le principe avait pourtant été accepté, initialement. L'armée israélienne est maintenue dans la Vallée du Jourdain. Surtout, Israël poursuit sa colonisation à un rythme très intense, notamment à Jérusalem-Est.

Ce dernier point constitue, à nos yeux, le facteur de blocage certainement le plus lourd. Aujourd'hui, en effet, la colonisation dans les territoires palestiniens occupés et dans Jérusalem-Est, annexée en 1967, s'accroît de manière préoccupante. Cette démarche, qui contrevient au droit international, met en danger la solution d'une paix fondée sur deux États. Cet enjeu nous a notamment été présenté par l'ONG israélienne « Ir Amein » : les transformations de la géographie du peuplement dans les territoires occupés rendent désormais complexe la construction de deux États, tant les colonies mitent le territoire palestinien au sein des frontières de 1967 et rendent quasiment impossible une continuité territoriale palestinienne.

Les derniers projets de colonisation, les plus importants, notamment le projet « E1 », à l'est de la vieille ville de Jérusalem, risquent d'empêcher tout retour en arrière, tant les projets immobiliers sont vastes. Dans le même temps, les permis de construire pour les Palestiniens de Jérusalem-Est sont bloqués et les destructions sont légion. À présent, 200 000 Juifs vivent à Jérusalem-Est, et un réseau de routes réservées et de tunnels relient entre elles les colonies et les connectent aux routes principales israéliennes.

En clair, la solution à deux États est compromise. Sur place, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait que nous nous trouvons à un point de « non-retour ». Encore une ou deux années de colonisation à ce rythme, et la solution à deux États risque de n'être plus qu'une idée inapplicable sur le terrain. C'est pourquoi l'Europe et les États-Unis, qui condamnent avec la plus grande fermeté la colonisation dans les territoires occupés, doivent agir.

Par ailleurs, notre déplacement a été l'occasion de constater que la situation économique et financière de l'Autorité palestinienne reste particulièrement précaire. Le ralentissement économique se confirme, avec un taux de croissance passé de 5,9% en 2012 à 2,5% en 2013. Malgré l'aide financière internationale, dont celle de la France (à hauteur de 43 millions de dollars), l'Autorité palestinienne ne parvient qu'à parer au plus pressé, et les conditions de développement d'une économie viable ne sont pas réunies. Le taux de chômage dans les territoires palestiniens, qui s'élève à 23,7%, connaît une hausse préoccupante : il atteint 43,1% chez les jeunes de 20 à 24 ans.

Ce qui étouffe l'économie palestinienne, ce sont la colonisation et les mesures de sécurité israéliennes. Nos rencontres avec des hommes d'affaires et industriels palestiniens nous ont notamment permis de constater que les contrôles des permis de construire par l'administration militaire israélienne, les contrôles des exportations, ainsi que les restrictions de circulation des personnes et des biens, sont autant d'entraves au développement de l'activité économique, et que ces entraves vont croissant, empêchant toute possibilité de reprise économique dans les territoires occupés.

Au-delà de la situation économique, je souhaite évoquer devant vous l'inquiétante situation des droits de l'Homme. Notre Consul général à Jérusalem a longuement évoqué avec nous sa crainte que, sur cet aspect, la situation ne se détériore encore davantage. Lors d'une session de travail avec la communauté des organisations humanitaires, on nous a présenté un alarmant panorama.

Les organisations internationales et les ONG s'accordent à dire que la situation humanitaire se dégrade fortement dans les territoires occupés, principalement en zone C (sous contrôle total de l'armée israélienne, soit 62% des territoires occupés) et à Gaza. Les destructions de constructions réputées « illégales », qui visent notamment des communautés bédouines ou troglodytes en zone C, sont en hausse. Les projets humanitaires internationaux, qui font l'objet de procédures d'approbation lentes et aléatoires, sont parfois menacés par l'armée israélienne. Ainsi, à la suite de la destruction par Tsahal de tentes fournies aux bédouins palestiniens, voici quelques mois, le Comité international de la Croix Rouge a, pour la première fois, évoqué la suspension de ses activités en zone C.

Je reprends les mots de notre rapport écrit et j'y insiste : ces éléments de violence à l'endroit des travailleurs internationaux et autres volontaires sont nouveaux et inquiétants. Et nos diplomates souhaitent que la représentation nationale en soit informée.

De surcroît, la communauté des humanitaires s'alarme de ce que Gaza disparaît peu à peu de l'information internationale et donc, corollairement, de l'aide internationale. La situation sur place, d'après les associations humanitaires rencontrées, puisque nous ne nous y sommes pas rendus, est particulièrement tendue ; et ces associations n'y opèrent qu'avec difficulté. Le territoire enclavé ne dispose que de huit heures d'électricité par jour. Le blocus imposé par l'armée israélienne sur les matériaux de construction nécessaires sur place rend les conditions de vie précaires. La situation humanitaire se dégrade fortement, et l'armée égyptienne a intensifié ses opérations de destruction des tunnels, entre Gaza et la péninsule, par lesquels transitent armes, personnes, mais aussi flux commerciaux, provoquant ainsi l'étouffement de cette enclave palestinienne.

Vous le comprendrez, si nous avons souhaité témoigner, c'est que ce que nous avons vu, lors de notre déplacement, dépasse largement ce qui est relaté, en général, de la situation dans les territoires palestiniens. Nous avons été saisis par la volonté de concessions de la partie palestinienne, et attristés par le plus grand point de blocage que constitue la prolongation d'un mouvement sans précédent de colonisation israélienne. Si la paix est introuvable, pour reprendre le titre de notre rapport, la situation sur place pourrait se dégrader très rapidement, avec la fin de la possibilité d'une solution à deux États, l'accroissement de la violence des colons, et même, selon les craintes de certains responsables palestiniens, une explosion de violence en Cisjordanie.

Depuis notre retour, nous avons appris la fin du processus officiel de discussions entre Israël et la Palestine, et la ratification de conventions internationales par l'Autorité palestinienne pour opposer à Israël l'illégalité de son occupation. À ce contexte tendu est venue s'ajouter la surprise de la réconciliation inter-palestinienne. La nomination d'un gouvernement technique chargé de préparer les prochaines élections ne peut qu'être saluée après des années de division. Contrairement à la volonté israélienne, les États-Unis se sont déclarés disposés à travailler avec ce « cabinet technique », tout comme l'Union européenne.

Cependant, rien n'est résolu, et nous pensons que l'Union européenne, et la France en particulier, ont toute leur place à jouer dans la diplomatie entre les deux parties. Je veux d'ailleurs saluer, à cet égard, l'initiative du Pape François, dimanche dernier, au Vatican. Nous ne pouvons pas abandonner les revendications palestiniennes de construire leur État aux côtés d'Israël dans des frontières sûres. Mais puisqu'aucun règlement de paix ne sera trouvé sans que cesse la colonisation illégale de la Cisjordanie, nous devrions peser pour que notre ministre des affaires étrangères pousse plus avant la condamnation de cette colonisation.

Mme Michelle Demessine. - Je m'associe en tous points au rapport très complet de notre collègue Gilbert Roger, qui a eu le mérite de passer en revue toutes les difficultés en cause. Comme il l'a souligné, notre délégation a été frappée par les avancées continues de cette annexion rampante que constitue la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens, dont la situation ne cesse de se dégrader.

La population palestinienne souffre, notamment sa jeunesse, avec tous les dangers qui peuvent en résulter. Pourtant, elle résiste à cette situation difficile, et continue à assurer un développement de ses territoires. Ramallah, ville moderne, à l'urbanisation croissante, qui s'est profondément transformée en quelques années, en témoigne.

Mais cette résistance doit trouver un appui dans la poursuite de la mobilisation de la communauté internationale, y compris celle de notre pays bien sûr, et dans des interventions plus fortes auprès d'Israël, plus contraignantes qu'aujourd'hui. À défaut, il n'y aura plus qu'à entériner l'impossibilité d'une solution à deux États, que chaque jour paraît rendre un peu plus difficile sur le terrain.

M. Daniel Reiner, président. - Merci, chers collègues, pour ce rapport qui me paraît constituer une vision très réaliste de la situation dans la région. Je me suis moi-même rendu dans les territoires palestiniens, il y a trois ans, et je constate avec vous que cette situation, dramatique, ne s'est pas améliorée, au contraire.

En fait, j'ai le sentiment que le processus d'Oslo, lancé en 1993, est aujourd'hui arrivé à son terme, par épuisement, et que le relancer ne servirait guère. Voilà plus de vingt ans que l'on négocie, avec des interruptions plus ou moins longues, entre Israéliens et Palestiniens ; on pourrait sans doute négocier encore indéfiniment, sans plus de résultats. En la matière, ce qu'il faut, c'est une volonté d'aboutir. Or, actuellement, le choix de la communauté internationale de laisser face à face Israël et les Palestiniens consiste à mettre en présence un interlocuteur puissant et un interlocuteur qui ne l'est pas. Cette situation, comme Talleyrand ou Clausewitz le montreraient très bien, ne peut donner lieu à une solution équilibrée.

Depuis le début du processus d'Oslo, comme tout le monde le sait, les clauses d'un accord israélo-palestinien, techniquement, sont rédigées. Les cinq questions du statut final - frontières, sécurité, Jérusalem, réfugiés, eau -, que notre collègue Gilbert Roger a rappelées, ont très vite été trouvées par les négociateurs... Mais ces négociateurs n'étaient pas en mesure de ratifier ces solutions au plan politique. La situation n'a cessé d'évoluer de façon négative et de se compliquer, d'année en année. Aujourd'hui, la situation politique est bloquée au sein des deux parties : aussi bien du côté israélien que du côté palestinien, chacun sait que celui qui accepterait de signer le premier serait politiquement mort.

En d'autres termes, on ne peut aujourd'hui aboutir que par un processus international où les deux interlocuteurs ne seraient pas laissés seul à seul. D'autant que beaucoup des solutions envisagées dans un premier temps sont devenues de moins en moins réalistes, compte tenu du nombre de colonies israéliennes aujourd'hui installées. Je souscris donc à l'objectif défendu par nos collègues Gilbert Roger et Michèle Demessine de mobiliser la communauté internationale en faveur d'une solution.

Pour parvenir à cette solution, bien sûr, il convient d'écouter chacune des parties concernées. C'est ce que fait notre commission. Le risque est que, dans un rapport aussi déséquilibré que celui qui existe entre Israéliens et Palestiniens, la partie la plus forte soit aussi la plus entendue.

Cela dit, le rapprochement entre le Fatah et le Hamas, même si la division reste entretenue, représente évidemment un point positif pour l'Autorité palestinienne. Il en va de même du statut d'« État non membre » reconnu à cette dernière par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies, dont le gouvernement palestinien va sans nul doute pouvoir profiter, à la condition de le faire avec la prudence nécessaire pour éviter d'encourir systématiquement la colère de la partie israélienne.

Je laisse à présent s'exprimer les autres réactions, et d'éventuelles questions.

M. Joël Guerriau. - Le déplacement de la délégation du groupe d'amitié France-Palestine au coeur de cette région si fortement imprégnée de religion et, à la fois, si peu pacifique aujourd'hui, aura permis de mesurer la souffrance de ceux qui l'habitent. La situation ne porte pas à l'optimisme. J'aimerais interroger nos collègues Gilbert Roger et Michèle Demessine sur leur sentiment à l'égard du mur qui sépare Israël des territoires palestiniens. Ce mur de la honte, qui dégrade fortement, je pense, la vie quotidienne et, en particulier, nuit au tourisme, m'apparaît comme un paradoxe historique dans la mesure où, de la sorte, Israël inflige un « ghetto » à un autre peuple.

M. Michel Billout. - Je salue le travail du groupe d'amitié, dont je suis membre. J'étais moi-même en Cisjordanie, il y a une dizaine de jours, à la suite de la visite du Pape François, lequel a porté, je crois, un beau message de justice et de paix. Ce message tend à réconcilier deux peuples qui, du reste, me semblent n'avoir pas d'autre choix que de trouver les termes de leur coexistence pacifique.

En effet, si, aujourd'hui, on devait admettre que la solution d'une coexistence entre deux États distincts n'est plus possible, alors, compte tenu de l'implantation des colonies israéliennes et du réseau de routes et de tunnels qui les relie, réservé aux Israéliens, je ne vois pas comment on pourrait éviter un système d'apartheid. Je pèse mes mots. D'ailleurs, la revendication même d'une reconnaissance d'Israël comme État juif soulève la question du statut en Israël de citoyens musulmans, ou chrétiens. Aussi, il est de la responsabilité de la communauté internationale d'inciter Israël à ne pas persévérer dans cette voie, qui est celle de nouvelles catastrophes.

Il y a trois ans que je n'étais pas allé sur place. J'ai été frappé par l'avancée de la construction des colonies israéliennes, qui occupent désormais un territoire considérable. Ces constructions, pourtant, ne répondent pas à un besoin de la population : entre un tiers et la moitié seulement des logements sont occupés, m'a-t-on dit. Ce phénomène d'expansion trouve son prolongement dans le mur, les clôtures électrifiées, les systèmes de contrôle, qui segmentent les territoires cisjordaniens, entravent les déplacements d'un lieu à un autre, et sont une forme de violence quotidienne infligée aux Palestiniens. Dans un tel contexte, sauf à susciter un nouvel espoir, une nouvelle Intifada n'est pas impossible.

Depuis un mois et demi, un important mouvement de grève de la faim est observé, dans les prisons israéliennes, par les personnes en situation de rétention administrative. Des Palestiniens sont en effet détenus, pour des raisons politiques, depuis plusieurs années, sans qu'aucun grief officiel ne pèse contre eux, et sans qu'un terme à cette situation soit prévu. Le sujet embarrasse actuellement les différentes parties.

Je rejoins donc tout à fait l'opinion de notre collègue Daniel Reiner suivant laquelle laisser les Israéliens et les Palestiniens seuls, face à face, ne mènera à aucune solution viable. Celle-ci relève de la responsabilité de la communauté internationale.

M. Gaëtan Gorce. - J'ai le sentiment que la question du conflit israélo-palestinien, essentielle aux plans symbolique, politique et économique, est aujourd'hui en train de se trouver réduite, par la communauté internationale, aux dimensions d'une question régionale. Or elle ne pourra pas trouver de réponse satisfaisante dans ces conditions.

Il existe, actuellement, plusieurs facteurs d'inertie. D'abord, Israël pense avoir, à peu près, la maîtrise de la situation en termes de sécurité. Ensuite, depuis la sécession de la bande de Gaza, l'opinion israélienne estime que le dialogue n'est pas engagé avec des interlocuteurs palestiniens crédibles. En outre, alors que la médiation diplomatique de l'administration Obama a échoué et qu'Israël a su faire jouer ses relais dans l'opinion américaine, les États-Unis s'avèrent mois allants que par le passé pour trouver une solution. Enfin, le gouvernement israélien a très habilement instrumentalisé le dossier iranien pour déplacer les préoccupations internationales.

De ce dernier point de vue, contribuer à régler la question iranienne revêt, pour l'Union européenne, un enjeu majeur ; et je pense que nous devons aider à la recherche de solutions. Pour le reste, la question se pose de savoir si, eu égard à la position du relatif retrait des États-Unis sur la question israélo-palestinienne, nous pouvons prendre le relai.

J'ai été frappé d'observer l'importance des moyens financiers que l'Union européenne apporte à l'Autorité palestinienne, au titre de la coopération, sans jouer un rôle politique à proportion. Or on voit bien que c'est en aidant à crédibiliser, à démocratiser, à consolider le gouvernement palestinien, qu'on pourra combattre l'image qu'en donnent, souvent à juste titre, les dirigeants israéliens, et qui tend à bloquer, pour le moment, les négociations. Seule une implication plus forte de l'Union européenne, avec ses valeurs, dans ce dossier, permettra d'en éviter une banalisation qui serait, au regard des enjeux humains et politiques qu'il comporte, dramatique.

M. Gilbert Roger. - J'apporterai, en réponse, quelques éléments de précision.

Notre déplacement est intervenu peu de temps après la visite du Président de la République en Israël et en Palestine. Comme, de ce fait, nous disposions déjà d'informations d'ordre diplomatique, les travaux de notre groupe se sont principalement concentrés sur la vision palestinienne de la négociation avec Israël, ainsi que sur le développement économique des territoires occupés.

En ce qui concerne les Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, notre délégation avait adressé aux autorités israéliennes une demande de visite, appuyée par le ministre français des affaires étrangères et relayée par notre Consul général à Jérusalem, mais cette demande n'a pas pu aboutir, dans la mesure où nous n'étions ni des avocats, ni de la famille des intéressés. Notre démarche a néanmoins reçu une publicité sur place.

Nous avons été à la rencontre des Chrétiens d'Orient, notamment à Abu Gosh, et nous estimons en effet que la France a à jouer un rôle, extrêmement important, à leur égard. Actuellement, un certain nombre de fêtes religieuses juives sont « inventées », dans Jérusalem, qui semblent n'avoir pour finalité que de justifier des restrictions de circulation et d'empêcher des déplacements, ce qui pénalise la pratique de leur culte par les Chrétiens. Le Président de la République, lors de sa visite, a reçu les autorités religieuses, et le Pape François, à l'occasion de la sienne, disposait de l'ensemble des doléances que la communauté chrétienne est fondée à formuler en ce domaine.

Nous avons également rencontrés les Français vivant et travaillant en Palestine, nationaux ou binationaux. Ils ont témoigné des grandes difficultés de circulation que leur font subir les autorités israéliennes. À titre d'exemple, nos diplomates ont été obligés d'organiser, avec un véhicule du Consulat général, le ramassage scolaire quotidien de leurs enfants : avec des moyens de transports ordinaires, ces derniers ne pourraient atteindre le lycée français.

Sur la question des colonies, nous avons souhaité recueillir l'opinion, non seulement de Palestiniens, mais également d'Israéliens, notamment par le canal de l'association « Breaking the Silence ». Certains Israéliens pensent que ce phénomène de la colonisation est allé trop loin, et qu'il est devenu un problème pour les Israéliens eux-mêmes. Ils estiment en effet que le développement de l'insécurité chez les Palestiniens nuit à leur propre sécurité.

Le mur bâti par Israël constitue une difficulté importante pour la circulation des personnes, compte tenu de la nécessité de passer par des « check points » où l'attente peut être longue ; cette entrave aux déplacements s'avère particulièrement pénible pour les Palestiniens, lorsque les villages se trouvent d'un côté, les champs d'oliviers qui font vivre ces villages de l'autre. Mais une difficulté nouvelle est apparue : des routes, de six voies hors dégagements, défendues par des barbelées, qui coupent et compartimentent le territoire, impossible à traverser. Les colonies israéliennes sont reliées entre elles par ces routes et par des tunnels, mais les Palestiniens ne peuvent les emprunter. Des espaces déclarés « zones d'espace vert sensible » ou « zones de recherche archéologique » ajoutent aux différents empêchements de circuler.

Un mot, enfin, sur le rôle que pourrait jouer l'Union européenne dans la recherche d'une solution. Le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, actuellement, ne dispose pas de marge de manoeuvre. Notre ministre des affaires étrangères, lors de sa récente audition par notre commission, a évoqué la possibilité d'une initiative française. Après l'échec de la diplomatie américaine, et tandis que le Pape François vient de marquer les esprits en réunissant, au Vatican, les présidents Mahmoud Abbas et Shimon Peres, même si ce dernier devrait bientôt quitter ses fonctions, peut-être verra-t-on prochainement cette initiative de notre pays ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je m'interroge sur l'importance de la communauté française dans les territoires palestiniens. Quand, il y a quelques années, je me suis rendue à Ramallah avec d'autres parlementaires européens, on nous avait dit qu'il ne se trouvait pas de Français installés sur place.

Mme Michelle Demessine. - Nos compatriotes sont peu nombreux, mais on en compte 120 à Ramallah.

M. Gilbert Roger. - Et ils y éprouvent des difficultés pour voter, qu'il s'agisse d'inscription sur les listes électorales ou de déclaration de candidatures !

M. Jeanny Lorgeoux. - Une solution politique au conflit entre Israël et la Palestine passerait d'abord, me semble-il, par un changement de point de vue du côté d'Israël. Or pourquoi le peuple israélien paraît-il aujourd'hui, en majorité, favorable à une politique plus dure, envers les Palestiniens, qu'elle ne l'était du temps de Rabin ?

M. Gilbert Roger. - Il y a régulièrement eu des radicalisations de positions, de la part des Israéliens ; il faut s'attacher à les dépasser. Les Français et les Allemands sont bien parvenus à établir la paix, et à réaliser l'Union européenne, après la Seconde Guerre mondiale... Comme l'a relevé notre collègue Daniel Reiner, pour le moment, le premier qui accepterait un compromis, parmi les Israéliens comme chez les Palestiniens, serait politiquement mort. Mais ce que veulent d'abord beaucoup d'Israéliens, aujourd'hui, ce sont des touristes, que la situation actuelle dissuade de se rendre en Israël !

Mme Michelle Demessine. - Je crois que l'on se trouve, aujourd'hui, dans une situation de dépassement des blocages. Le Fatah et le Hamas se sont réconciliés, ce qui permet potentiellement un accord avec Israël dans lequel les Palestiniens représenteraient l'ensemble de leurs territoires, y compris Gaza. Le statut de l'Autorité palestinienne au sein de l'Organisation des Nations unies l'autorise désormais à engager des recours, au plan juridique, qui seront, pour Israël, plus contraignants que les démarches antérieures. Le mur - sans vouloir paraître cynique - a réglé la plupart des problèmes de sécurité ; ce mur est franchi chaque jour, malgré tout, par des Palestiniens.

Une solution à deux États est-elle encore possible ? Je le crois, à la réflexion, compte tenu des concessions consenties par les Palestiniens, dont notre déplacement a été l'occasion de mesurer l'ampleur, notamment sur les réfugiés, sur le statut de Jérusalem et sur les questions de sécurité, et eu égard, en particulier, à la possibilité d'échanges de territoires, dont les discussions sont entamées avec Israël, même si ces discussions bloquent au sujet de la Vallée du Jourdain. En outre, comme le signalait Gilbert Roger, tous les Israéliens ne soutiennent pas la colonisation, loin s'en faut ; aujourd'hui, d'anciens militaires israéliens, qui ont pris conscience du fourvoiement que représente cette politique, cherchent à sensibiliser leurs compatriotes sur ce point. Il me paraît important de le faire connaître.

M. Daniel Reiner, président. - Ce sont là autant de signes d'espoir. Merci, chers collègues, pour cet intéressant débat.

La réunion est levée à 11 heures 20.