Mardi 18 novembre 2014

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Loi de finances pour 2015 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits relatifs à l'Outre-mer du projet de loi de finances pour 2015.

La réunion est ouverte à 15 heures

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis. - J'ai l'honneur de vous présenter mon rapport sur les crédits de la mission « Outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2015 et, au-delà de cette mission stricto sensu, les dispositions budgétaires et fiscales de la loi de finances susceptibles d'avoir un impact économique sur les territoires ultramarins.

Il convient d'emblée de rappeler que l'effort budgétaire de l'État en faveur des outre-mer ne se limite pas aux crédits de la seule mission outre-mer. Ainsi, avec ses 2 milliards d'euros en AE pour 2015, la mission outre-mer représente 15 % de l'ensemble des crédits de l'État outre-mer et 0,5 % du budget général. En effet, l'effort budgétaire et financier global consacré par l'État aux territoires ultramarins - hors dépenses fiscales - s'élève au total à 14,2 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2015. Les dépenses fiscales étant estimées à 3,9 milliards d'euros pour 2015, l'effort total de l'État devrait s'élever à 18,1 milliards.

La définition du budget 2015 pour les outre-mer obéit à une équation complexe. D'un côté, dans un contexte de difficultés des finances publiques, les ressources se font rares. L'heure est à la baisse des dépenses et à la maîtrise de la pression fiscale. De l'autre, il y a la réalité économique et sociale des territoires ultramarins. Vous la connaissez, je vous la rappelle en substance. Aujourd'hui, le taux de chômage perdure à un niveau trois fois supérieur à la moyenne nationale. La situation est également dramatique pour la jeunesse ultramarine. Le taux d'emploi des jeunes de 15 à 25 ans est particulièrement faible, il atteint en moyenne les 10,1 % contre 27,7 % dans l'hexagone. Le niveau de vie par habitant représente à peine les deux tiers de la moyenne hexagonale. Le nombre de bénéficiaires des minima sociaux atteint 12 % de la population des quatre DOM, quatre fois plus que dans l'hexagone. À cela s'additionne leur situation ultrapériphérique et l'exigüité de leur marché domestique, qui constituent des handicaps structurels à leur développement.

Les outre-mer, en souffrance économique et sociale, ont donc besoin que les mesures de rattrapage ou de soutien destinées à renforcer leur compétitivité et à améliorer l'emploi continuent à se déployer. Il est vital pour eux que leur développement demeure une priorité nationale malgré le contexte budgétaire très contraint.

Je me félicite donc du budget pour les outre-mer tel qu'il ressort du projet de loi de finances initiale pour 2015. En effet, après une augmentation marquée des crédits de la mission en 2013, un effort financier encore conséquent en 2014, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit une légère progression des crédits de paiement de la mission : +0,3 %. Si l'on gomme les effets de modifications de périmètres, qui affectent les crédits du programme 138, le budget de la mission « Outre-mer » s'établit même en hausse de 2,6 % pour 2015 et de 7,6 % sur le triennal 2015-2017.

En même temps, je tiens à le dire avec insistance, les outre-mer ne restent pas à l'écart de l'effort de maîtrise de la dépense publique. A proportion de leur capacité, ils y participent comme l'attestent trois dispositions de la loi de finances :

- l'article 57 du projet de loi de finances abroge l'aide à la rénovation hôtelière. C'était un dispositif complexe à mettre en oeuvre, du fait des dettes sociales et fiscales existantes, de moins en moins utilisé par les hôteliers et redondant avec les mesures de défiscalisation de l'investissement existantes par ailleurs. C'est donc une ligne de dépense de 3 millions d'euros qui disparaît ;

- l'article 58 porte la diminution de la dotation forfaitaire des communes, des départements et de la dotation d'intercommunalité des établissements publics de coopération intercommunale. Les collectivités d'outre-mer ne sont pas exclues de cet effort budgétaire général et en subissent des répercussions immédiates ;

- une réforme de l'aide à la continuité territoriale (l'ACT) va replacer les dispositifs d'aide à la mobilité sur une trajectoire financièrement soutenable. Cette réforme consiste essentiellement à passer d'un droit annuel à un droit triennal pour l'ACT. Les économies attendues sont importantes, puisque le projet de budget prévoit d'allouer à l'ACT 11,3 millions d'euros pour 2015 contre 26,3 millions d'euros en 2014 ;

- enfin, les moyens du ministère des Outre-mer sont revus à la baisse. Les dépenses de personnel et de fonctionnement de la mission « Outre-mer » reculent de 2 %. Si l'on se concentre sur les moyens de fonctionnement mis à disposition du ministère proprement dit (services du cabinet de la ministre, de la délégation générale à l'outre-mer et de la délégation interministérielle à l'égalité des chances des français d'outre-mer), on observe une réduction de - 5 % en 2015 et - 13.7 % sur le triennal, conformément à la norme générale de productivité.

J'en viens maintenant au détail des deux programmes de la mission « outre-mer ».


· Le programme 138 « Emploi outre-mer » a pour finalité d'encourager la création d'emplois et l'accès au marché du travail des ultramarins et de faciliter la sauvegarde d'emplois durables dans le secteur marchand.

L'action n° 1, consacrée au soutien aux entreprises, porte les crédits destinés à compenser les exonérations de charges sociales spécifiques aux outre-mer. Ils s'établissent à 1,13 milliards d'euros et représentent 82 % des crédits du programme. Ils apparaissent en légère baisse, mais c'est un simple effet d'optique dû à un changement de périmètre, certaines exonérations étant désormais comptabilisées sur la mission travail-emploi. À périmètre constant, les crédits de l'action sont en réalité en hausse de 51 millions d'euros.

L'action n° 2 a pour objectif d'aider à l'insertion et à la qualification professionnelle. Elle finance principalement le service militaire adapté (SMA). Ses crédits augmentent de 9 millions d'euros en autorisation d'engagement (+ 3,73 %) et de 5 millions d'euros en crédits de paiement (+ 1,77 %). Le SMA poursuit la montée en puissance engagée ces dernières années. La capacité d'accueil, de 5 500 jeunes ultramarins en 2014, passera à 5 700 en 2015, pour atteindre l'objectif « SMA 6 000 », soit 6 000 jeunes en formation en 2016. Ceci grâce à une augmentation des crédits, dès 2015, de 2 % en autorisations d'engagement et de 9 % en crédits de paiement.

Les crédits de l'action n° 3, qui concerne le pilotage des politiques des outre-mer, connaissent une baisse qui correspond à l'effort de productivité demandé à l'ensemble des ministères par une réduction de leurs crédits de fonctionnement.


· Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » se décline en 8 actions. Ses crédits augmentent de 2 % en 2015, avec une dotation de 684 millions euros. Au sein du programme, trois actions sont en progression et traduisent les priorités affichées par le gouvernement dans ce projet de budget :

- l'action n° 2 « Aménagement du territoire » voit ses crédits de paiement augmenter de 6 % pour atteindre 174 millions d'euros, soit un cinquième des crédits du programme. Consacrée au développement économique et social des outre-mer, cette action aide au financement de projets d'investissements menés par les collectivités territoriales sous la forme de contrats de plan État-Région (CPER) ;

- l'action n°6 « Collectivités territoriales », qui regroupe toutes les dotations aux collectivités territoriales ultramarines, progresse de 6,5 % avec 182,4 millions d'euros de crédits de paiement ; (+8 millions en fonds de secours et +2 millions en transfert aux collectivités) ;

- enfin les crédits de l'action n°9 « Appui à l'accès aux financements bancaires », dont l'objectif est de favoriser les investissements des acteurs publics en facilitant l'accès au crédit bancaire, augmentent aussi fortement, de près de 40 %. Cette action est réalisée grâce à l'intermédiation de l'AFD (Agence française de développement) qui fournit des prêts bonifiés, réduisant les coûts des ressources empruntées tout en assurant une meilleure couverture des risques.

Plus importante action du programme 123 en termes de crédits, l'action n° 1 « Logement », avec quelques 243 millions d'euros, enregistre une stabilité de ses crédits de paiement. Un tiers de cette action finance la ligne budgétaire unique (LBU), qui est préservée et je m'en félicite. Elle aura pour priorités en 2015 de soutenir l'effort de construction neuve, de réhabilitation du logement social locatif et de résorption de l'habitat insalubre.

Enfin, comme je l'ai déjà évoqué, l'action n° 3 « Continuité territoriale » connaît une baisse importante de ses crédits, qui diminuent de 10 millions d'euros du fait de la réforme de l'aide à la continuité territoriale.

Plusieurs dispositions budgétaires et fiscales nouvelles en dehors de la mission « Outre-mer » figurent également dans le projet de budget pour 2015. Trois d'entre elles appellent un commentaire particulier.

L'article 43 crée un taux majoré de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en faveur des entreprises exploitées dans les départements d'outre-mer. Ce taux est porté à 7,5 % pour les rémunérations versées en 2015 et atteindra 9 % pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2016. C'est donc une majoration de 50 % par rapport au taux du CICE en vigueur sur le reste du territoire national. L'impact de cette mesure, qui correspond au bout du compte à un dispositif d'allègement du coût du travail équivalent à des réductions de cotisations sociales, est estimé à 145 millions d'euros la première année et à 230 millions d'euros en rythme de croisière (à ajouter aux 1,13 milliards d'euros d'exonérations de charges spécifiques à l'Outre-mer figurant déjà au programme 138). C'est un effort significatif pour soutenir le développement des économies ultramarines.

L'article 44 crée un taux majoré de crédit d'impôt recherche (CIR) en faveur des entreprises exposant des dépenses de recherche dans les départements d'outre-mer. Cette disposition fait passer le taux du CIR de 30 à 50 %.

Enfin, on peut relever l'exemption des chambres de commerce et d'industrie ultramarines du prélèvement exceptionnel de 500 millions d'euros sur leur fonds de roulement prévu à l'article 17 du projet de loi de finances.

Si, comme vous pouvez le constater, en ce qui concerne les outre-mer, le texte initial du projet de loi de finances était un bon texte, la discussion parlementaire a cependant déjà permis de lui apporter quelques améliorations et j'espère que le travail du Sénat le rendra encore plus satisfaisant.

La principale avancée obtenue à l'Assemblée nationale concerne les crédits de la mission « agriculture ». Il était prévu initialement une baisse de 2,4 millions d'euros de l'enveloppe consacrée à la filière canne-sucre. Ce choix pouvait paraître surprenant sachant que la fin des quotas sucriers doit intervenir en octobre 2017 et que les sucreries des départements d'outre-mer ont besoin de l'appui financier de l'État pour se restructurer.

Un second sujet d'inquiétude pour l'économie agricole ultramarine concernait la réduction des crédits dédiés à la diversification agricole. Alors que cette enveloppe était dotée de 40 millions d'euros en 2010, une succession de coupes l'avait ramenée à 35 millions d'euros en 2014 et la loi de finances initiale entendait la réduire encore de 3,6 millions d'euros.

Au total, sous l'effet cumulé de ces deux dispositions, le secteur agricole ultramarin perdait ainsi six millions d'euros par rapport à l'année précédente.

La mobilisation des professionnels, relayés par les parlementaires ultramarins, aura permis d'infléchir ce choix initial lors des débats à l'Assemblée nationale. A l'occasion de l'examen des crédits de la mission : « Agriculture », le ministre a en effet proposé un amendement tendant à rétablir les 6 millions d'euros manquants. L'enveloppe allouée à la filière canne-sucre et à la diversification agricole est donc préservée.

Il reste à mon sens encore trois questions sur lesquelles le Sénat peut apporter une amélioration.

La première concerne le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). Comme vous le savez, les ménages peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt sur le revenu au titre des dépenses pour l'amélioration de la qualité environnementale de leur habitation principale. Les travaux éligibles à ce crédit d'impôt correspondent, cependant, à des besoins adaptés à un climat tempéré et concernent principalement la production de chaleur - par exemple l'acquisition de chaudières à condensation ou de double vitrage. Les dépenses d'amélioration de la qualité environnementale des logements qui seraient pertinentes dans le climat tropical sont quant à elle exclues. Je suis donc favorable à l'extension mesurée du champ du CITE pour « tropicaliser » ce dispositif grâce à certains travaux comme l'acquisition d'une toiture végétalisée, l'acquisition d'équipements visant à améliorer la ventilation naturelle, comme les brasseurs d'air.

Le second point qui pourrait être amélioré concerne le financement de la rénovation des logements sociaux anciens. L'article 244 quater X du code des impôts institue un crédit d'impôt pour aider à financer les travaux de réhabilitation permettant aux logements sociaux de plus de vingt ans d'acquérir des performances techniques voisines de celles des logements neufs. Ce dispositif pourrait être étendu à l'acquisition des performances parasismiques et au désamiantage, qui sont deux problématiques présentes dans certains départements d'Outre-mer. Je précise par ailleurs que le nombre de chantiers de réhabilitation dans les DOM est en chute libre, avec 2 250 chantiers ouverts en 2013 dans le parc social contre 3 862 en 2012, et qu'un coup de pouce ne serait pas inutile.

Enfin, un dernier point concerne le financement du logement locatif intermédiaire. Il existe un fort besoin dans les territoires ultramarins pour ce type de logement. Pour attirer les financements sans créer une concurrence néfaste entre le logement social et le logement locatif intermédiaire, il convient cependant d'aménager le dispositif de réduction d'impôt en relevant le plafond des avantages de 10 000 à 18 000 euros. Actuellement le plafond est trop bas et il se produit un effet d'éviction au détriment du logement intermédiaire.

Après avoir décidé de maintenir un différentiel de réduction d'impôt de 11 points sur toutes les durées d'amortissement entre l'outre-mer et l'hexagone, le Gouvernement s'est prononcé, lors des débats à l'Assemblée nationale, en faveur du relèvement du plafond à 18 000 euros. Lors de l'examen de la deuxième partie du budget, un amendement a été adopté en ce sens par les députés. Par sa position dans la deuxième partie, cette disposition ne peut cependant entrer en vigueur avant l'année N+1, en l'occurrence 2016. C'est pourquoi il me paraît nécessaire de déplacer cette disposition dans la première partie du budget et, ainsi, de la rendre effective dès 2015.

Je vous proposerai trois amendements visant à avancer sur ces trois questions en suspens.

En conclusion, je vous invite, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2015, ainsi qu'à l'adoption de l'article 57 rattaché à la mission. J'espère également que la commission adoptera les trois amendements que je vous propose.

M. Michel Magras. - La collectivité de Saint-Barthélemy n'est que très peu concernée par le budget de l'État. Nous ne percevons aucune dotation de l'État français, mais au contraire nous versons une dotation de compensation négative à l'État. Je vous proposerai d'ailleurs un amendement en séance pour régler un problème qui dure depuis 2007 à ce sujet.

Je ferai deux observations.

La première porte sur la continuité territoriale. J'ai été chargé cette année d'élaborer un chapitre sur l'évaluation de la politique de l'État outre-mer qui portait sur la continuité territoriale aérienne, numérique, maritime et celle des personnes - dont je veux parler. Les aides à la mobilité comprennent trois volet : le passeport mobilité étude, le passeport mobilité formation professionnelle et l'aide tout public. Ces trois dispositifs ont connu un succès important. L'aide tout public pose cependant un problème : elle ouvre des droits sans fixer de limite. Le directeur de l'Agence de l'outre-mer par la mobilité, dès que les droits sont constatés donne son accord, les régions suivent le mouvement et, au final, depuis deux ans, les budgets ont connu une hausse très forte. C'est pourquoi j'ai recommandé au Gouvernement, dans mon rapport, de trouver une recette affectée qui permettent de garantir un financement à hauteur des besoins. Or les crédits de l'aide à la continuité territoriale sont en baisse de 11 millions d'euros en 2015. Ne pourrait-on pas puiser dans d'autres crédits de la mission pour répondre à cette baisse ? Je n'ai pas d'avis personnel sur cette question, mais je me fais ici l'écho de notre collègue de la Réunion, Didier Robert, qui, je pense, déposera des amendements sur cette question.

Ma deuxième observation porte sur le CICE. L'attention de la ministre a été attirée sur un point particulier lors des débats à l'Assemblée nationale : le CICE n'est pas applicable aux collectivités de l'article 74 de la Constitution. C'est un handicap pour ces collectivités. La ministre a pris publiquement l'engagement de mener une réflexion sur cette question. Je tiens à dire que je suis partisan d'une action directe sur le coût du travail plutôt que d'une action indirecte par le biais du CICE.

Ceci étant, le budget de la mission « outre-mer » ne diminue pas, ce qui le distingue de celui des autres missions. Donc je ne ferai pas davantage de critiques.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'observe une chute de la production de logements très significative outre-mer. Elle était prévisible ! Nous l'avions annoncée à l'État. Ce qui est en question, c'est la méthode choisie pour soutenir ce secteur. Le principe de la défiscalisation a été abandonné : elle est désormais optionnelle, défiscalisation ou crédit d'impôt compensé. L'abaissement du plafond des avantages fiscaux entraîne une hausse du nombre d'intervenants nécessaires pour obtenir les niveaux de financements nécessaires à la réalisation de certains projets. Cela devient ingérable pour les cabinets de défiscalisation. Par ailleurs, le crédit d'impôt est un mécanisme peu efficace, car il suppose qu'on avance le financement avant d'être remboursé. Or, la plupart des organismes en outre-mer ne disposent pas des fonds propres pour faire cette avance. Dans notre rapport sur la défiscalisation, nous avions proposé d'expérimenter un prêt à taux zéro HLM. Des opérations ont été montées et validées par la Caisse des dépôts : elles montrent qu'on arrive à construire des logements moins chers, avec des loyers inférieurs, pour un coût budgétaire équivalent. Nous proposons de conduire cette expérimentation, le précédent ministre donne son accord, la ministre des outre-mer et la Caisse des dépôts également... et ils attendent le feu vert de Bercy depuis deux ans ! Et pendant ce temps, Bercy invente des usines à gaz tout en nous parlant de simplification administrative : on crée des crédits d'impôts pour des organismes publics qui, je le rappelle au passage, ne paient pas d'impôts. Donc pour bénéficier du crédit d'impôt, il va falloir que la Caisse des dépôts fasse une avance... Donc pour un même dossier, il va falloir faire une demande de crédit d'impôt, puis une demande d'avance à la Caisse des dépôts : où est la simplification ? Pourquoi Bercy fait-il cela ? C'est simple : pour un crédit d'impôt, c'est la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement qui examine le dossier et donne son accord ; pour un crédit d'impôt en revanche, il faut deux autorisations, celle des services de l'équipement et celle des services fiscaux. Cela permet de bloquer des piles de dossiers en faisant traîner l'agrément fiscal. C'est de la nuisance ! Et pendant ce temps, les territoires ultramarins souffrent et leur tissu économique supporte des difficultés dont il aura le plus grand mal à se remettre, car lorsqu'une PME y disparaît, elle est difficile à remplacer.

M. Daniel Dubois. - Je souscris aux propos de notre collègue et j'ajouterai que le secteur du logement n'est pas au point mort seulement en outre-mer.

Je souscris également aux propos de notre rapporteur pour avis quand il soutient que le CITE et l'aide à la rénovation doivent être adaptés à la réalité des territoires sur le plan climatique et sismique.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je voudrais prolonger ce que vient de dire Daniel Dubois en invitant notre rapporteur pour avis à prendre l'initiative lors de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique, car il est évident que les dispositifs que nous mettrons en place pour l'hexagone doivent être adaptés aux territoires ultramarins.

Un deuxième sujet concerne le tourisme. J'ai entendu que les mesures proposées étaient parfois excessivement complexes, ce qui pouvait conduire les bénéficiaires potentiels à y renoncer. Ne faut-il pas encourager l'hôtellerie des Antilles à suivre le mouvement de la République dominicaine, à monter en gamme pour attirer les clients à fort pouvoir d'achat ?

Enfin, avez-vous un avis sur le POSEI, le programme portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions Ultrapériphériques ?

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis. - Concernant l'aide à la continuité territoriale, il est vrai que les territoires ultramarins y sont attachés. En même temps, dans la situation de crise des finances publiques, chacun doit accomplir sa part de l'effort. Le dispositif n'est pas supprimé, mais réformé, avec la mise en place d'un droit triennal. J'ajoute que l'aide à la mobilité des étudiants et des personnes en formation professionnelle n'est pas affectée. Au contraire, ses moyens augmentent. Les dépenses de l'aide tout public sont passées de 20 à 28 millions d'euros entre 2011 et 2014. Il fallait maîtriser cette croissance !

Saint Barthélemy comme Saint-Martin sont des collectivités d'outre-mer et disposent par conséquent d'un système fiscal propre. Donc certains dispositifs fiscaux ne sont pas directement transposables. La ministre a invité à réfléchir pour trouver des réponses à cette question.

Je n'ai rien à ajouter à l'analyse de Marie-Noëlle Lienemann. Je rappellerai simplement quelques données de contexte qui renforcent encore l'acuité du problème du logement dans les DOM. Il y a le problème de l'indivision du foncier. Je rappelle que, dans la loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques, j'avais proposé une nouvelle rédaction de l'article 35 de la LODEOM et la mise en place de groupements d'intérêt public (GIP) pour conduire la procédure dite de titrement. Mais « Anne, ma soeur Anne », je ne vois toujours venir aucun décret d'application... Je rappelle que la création ces GIP était prévue depuis 2009 ! Deuxième problème : le succès même de la défiscalisation a attiré des investisseurs prêts à payer très cher des terrains. Cela a fait augmenter considérablement le prix du foncier dans les départements d'outre-mer. Enfin, il faut maintenir la stabilité des règles fiscales.

Daniel Dubois, je suis d'accord : la France est multiple et les lois doivent être écrites en fonction de cette diversité. Il faut « tropicaliser » les dispositifs.

Concernant le tourisme, les territoires ultramarins le considèrent comme un moteur pour l'ensemble de l'économie locale. Mais la concurrence est rude. Il y a de petites îles, comme La Barbade, qui proposent les mêmes produits que nous à des coûts bien inférieurs. Le SMIC n'y existe pas, les cotisations sociales non plus. Cela nous oblige à viser une clientèle haut de gamme. Or, nos hôtels ont vieilli. Le boom hôtelier en Martinique et Guadeloupe remonte aux années 1970. Le parc actuel ne correspond pas aux standards qui se retrouvent chez nos concurrents qui ont développé leur secteur touristique après nous. Dans ces conditions, pour remplir les hôtels, il faut casser les prix, ce qui nous entraîne dans une spirale contraire à la montée en gamme qui est pourtant le seul créneau viable ! En difficulté financière, pas forcément à jour de leurs dettes fiscales et sociales, les établissements hôteliers ne sont pas non plus éligibles aux dispositifs de défiscalisation et d'aides qui leur permettraient de se rénover. C'est un cercle vicieux. Donc je crois qu'il faut conduire une réflexion globale et, sur cette base, des mesures fortes qui nous permette de sortir de cette impasse, sinon c'est chronique d'une mort annoncée.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Passons à l'examen des amendements.

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis. - Le premier amendement a pour objet d'étendre le bénéfice du CITE aux équipements permettant le rafraichissement des locaux.

Le deuxième amendement replace la disposition relevant le plafond des avantages de 10 000 à 18 000 euros au sein de la première partie de la loi de finances, pour qu'elle soit applicable dès 2015.

Enfin, le dernier amendement étend le bénéfice du crédit d'impôt à l'investissement de l'article 244 quater X du CGI aux opérations de réhabilitation ou de rénovation des logements sociaux de plus de quinze ans pour réaliser les travaux de désamiantage des logements sociaux et de confortement sismique dans les zones sujettes à ce risque.

Les trois amendements sont adoptés.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

Loi de finances pour 2015 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Énergie » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Notre commission s'est saisie pour avis du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » qui regroupe les crédits consacrés à l'énergie.

Même si ce budget n'est pas exempt de reproches - j'y reviendrai -, j'indiquerai tout d'abord que la baisse des crédits du programme - 8,8 % en crédits de paiement, pour une enveloppe totale de 545 millions d'euros, n'est largement qu'apparente : le programme étant consacré, en très grande partie, à la gestion de l'après-mines, cette contraction s'explique avant tout par la diminution naturelle des ayants droit. Pour le reste, le programme concourt, dans un contexte budgétaire une fois encore contraint, à la maîtrise des dépenses publiques tout en préservant l'essentiel - amélioration de la qualité de l'air et mise en oeuvre de la politique de l'énergie.

Dans le détail, le programme agrège trois actions d'importance budgétaire inégale et aux finalités différentes :

- La garantie des droits et l'accompagnement des anciens mineurs après l'arrêt de l'exploitation minière, qui représente à elle seule près de 93 % des crédits du programme ;

- La lutte contre le changement climatique, dotée de 31 millions d'euros ;

- La mise en oeuvre de la politique énergétique, enfin, pour un peu plus de 5 millions d'euros.

S'agissant du budget de l'après-mines, celui-ci est mis en oeuvre, à titre principal, par l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) qui verse plus d'une centaine de prestations dont, pour l'essentiel, les avantages en nature (chauffage et logement) prévus par le statut du mineur (346 millions d'euros pour 2015) et les prestations de pré-retraite et prestations assimilées (86 millions d'euros).

Si les dépenses d'intervention et, consécutivement, la contribution de l'État au budget de l'agence (456 millions d'euros pour 2015) décroissent logiquement à mesure de la baisse du nombre de bénéficiaires - environ 135 000 personnes fin 2013 contre 145 000 un an plus tôt -, les deux évolutions ne sont pas strictement parallèles en raison, notamment, des revalorisations de prestations et de l'impact de la hausse régulière des contentieux sociaux propres à l'agence ou gérés pour le compte du liquidateur de Charbonnages de France (CdF) et liés, en particulier, à la reconnaissance d'un « préjudice d'anxiété » dû à une exposition à l'amiante et aux produits chimiques.

L'action concourt également au financement des dépenses de retraites anticipées négociées dans le cadre des plans sociaux (18 millions d'euros pour 2015, gérés par la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANSSM)) et des pensions des anciens agents français des établissements d'Afrique du Nord (11 millions d'euros, versés par la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG)). Enfin, 18,5 millions d'euros seront encore consacrés, en 2015, aux opérations de liquidation et de réhabilitation des Mines de potasse d'Alsace (MDPA) dont le point dur reste le traitement du site de stockage de déchets ultimes exploité par la société Stocamine.

Au total, le demi-milliard d'euros alloué à cette action permet d'assurer l'indispensable continuité de l'action de l'État à l'égard du monde minier.

L'action « Lutte contre le changement climatique » vise, comme son nom l'indique, à réduire les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques. Si les crédits dédiés baissent de 9,8 % par rapport à 2014, le ministère nous explique que cette contraction est due principalement à deux facteurs conjoncturels : d'une part, la non reconduction, en 2015, d'une contribution (1,5 million d'euros) à la préparation de la Conférence sur le climat qui se tiendra à Paris à la fin de l'année 2015 - et dont le financement est désormais regroupé au sein d'un programme provisoire de la mission « Action extérieure de l'État » (179 millions d'euros au total) - et, d'autre part, la fin de l'effort budgétaire particulier consenti, depuis 2013, pour stimuler la politique de la qualité de l'air et accélérer, notamment, l'adoption des plans de protection de l'atmosphère (PPA) et la révision du plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) exigée par les autorités européennes.

Il reste qu'au moment où l'Union européenne s'apprête à adopter sa nouvelle stratégie thématique dite « Paquet air » et où la France doit accueillir la prochaine conférence des Nations Unies sur le climat, cette baisse constitue, à tout le moins, un mauvais signal adressé à nos partenaires.

Concrètement, cette action finance, pour l'essentiel, le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air (5,9 millions d'euros) et le réseau des 26 associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (19,4 millions d'euros). En termes de résultats, on peut noter une baisse significative des émissions sur la période 2008-2012 (- 35,6 % par exemple sur le dioxyde de soufre ou encore - 16 % sur les oxydes d'azote) même si le nombre annuel de dépassement des valeurs limites - lié à de nombreux facteurs, à commencer par la météo - ne diminue pas jusqu'à présent.

Je dirai un mot, enfin, de l'action « Politique de l'énergie » qui recouvre principalement une subvention versée à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs à hauteur de 3,8 millions d'euros (sur un budget total de l'agence de 335 millions d'euros) pour l'exercice de ses deux missions d'intérêt général : la réalisation de l'inventaire triennal des déchets radioactifs et la reprise des déchets « orphelins ».

Au-delà des crédits budgétaires, près d'une quinzaine de dépenses fiscales, d'importance variable, sont rattachées au programme à titre principal pour un coût total estimé, pour 2015, à plus d'1,3 milliard d'euros. Je précise que ce montant n'inclut pas le taux réduit de TVA sur les travaux de rénovation énergétique des logements (1,7 milliard d'euros) qui est associé, dans le découpage du budget, à la mission « Égalité des territoires et logement ».

Bien que son coût ait fortement diminué, depuis 2010, sous l'effet des coups de « rabot » successifs et des nouvelles conditions d'attribution imposées par les lois de finances pour 2011 et pour 2012, le crédit d'impôt développement durable (CIDD) demeure la principale dépenses fiscale énergétique, à 620 millions d'euros pour 2014 et 890 millions d'euros pour 2015.

Si la dernière loi de finances avait déjà simplifié la grille des taux du CIDD, le présent projet de budget le réforme à nouveau, avec pour objectif de le rendre plus attractif. Désormais rebaptisé crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), celui-ci voit ses deux taux actuels - respectivement 15 % et 25 % selon que l'on réalisait une ou au moins deux actions parmi un « bouquet de travaux » - portés à un taux unique de 30 % et la condition de « bouquet de travaux » supprimée ; en outre, de nouvelles dépenses sont rendues éligibles : compteurs individuels pour le chauffage et l'eau chaude sanitaire dans les copropriétés et bornes de recharge pour les véhicules électriques. Le coût de la mesure est estimé à 230 millions d'euros pour 2015 puis à 700 millions d'euros en année pleine.

Au total, même si l'on peut regretter, comme l'avait fait mon prédécesseur Roland Courteau avant moi, l'instabilité d'un dispositif retouché presque chaque année depuis sa création en 2000, la simplification et le renforcement proposés sont les bienvenus.

S'agissant du compte d'affectation spéciale dédié à l'électrification rurale, qui a remplacé en 2011 l'ancien fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ), sa dotation est maintenue pour 2015, ce qui permettra de financer les indispensables travaux de sécurisation et de renforcement du réseau dans nos territoires.

Je rappellerai à ce stade que les crédits budgétaires et la dépense fiscale ne recouvrent qu'une partie des moyens consacrés à la politique de l'énergie, dont le financement repose très majoritairement sur les consommateurs finals - entreprises et particuliers - qui acquittent sur leurs factures d'électricité la contribution au service public de l'électricité (CSPE) : destiné à couvrir, pour l'essentiel, les mesures de soutien au développement des énergies renouvelables, la péréquation tarifaire nationale et le tarif social de l'électricité, le produit de la CSPE s'élève, en 2014, à 6,2 milliards d'euros, soit plus de onze fois les crédits du programme.

Au-delà du périmètre du programme, le projet de loi de finances tire également les conséquences, dans son volet recettes, des suspensions successives de l'écotaxe puis du péage de transit poids lourds en alourdissant la fiscalité sur le gazole au 1er janvier 2015 pour les particuliers (+ 2 centimes par litre) comme pour les transporteurs routiers (+ 4 centimes). Cette réponse ne saurait, à mon sens, se substituer à des mesures de financement pérennes des infrastructures de transport.

Enfin, je saisis l'occasion du présent rapport pour évoquer, très brièvement, quelques-unes des principales mesures du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte qui devrait profondément modifier la conduite de notre politique énergétique au travers, notamment :

- des nouveaux objectifs qualitatifs et quantitatifs qu'il lui assigne - dont la réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 et celle de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % à l'horizon 2025 ;

- des nouveaux outils de gouvernance : budgets carbone et stratégie bas-carbone, programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et plafonnement de la capacité de production nucléaire à son niveau actuel ;

- des mesures nouvelles de soutien aux énergies renouvelables, à commencer par la mise en place d'un « complément de rémunération » qui permettra aux producteurs de vendre leur électricité directement sur le marché en complétant le prix de marché par le versement d'une prime ;

- la lutte contre la précarité énergétique au travers du futur chèque énergie qui vise à corriger les défauts des tarifs sociaux (non discrimination des formes d'énergie, simplification des critères d'attribution et financement de travaux de rénovation).

Si notre commission, éclairée en cela par son rapporteur Ladislas Poniatowski, prendra position, en temps utile, sur l'ensemble de ces dispositifs, je me contenterai, à ce stade, de souligner qu'à l'exception de la réforme du CIDD devenu CITE, l'ambition portée par le texte ne se traduit pas, dans ce projet de loi de finances, par de nouvelles mesures fiscales ou budgétaires, ce qui laisse largement ouverte la question des moyens alloués à la transition énergétique.

Et c'est là le principal écueil de ce budget : la transition énergétique y brille largement par son absence ! En réponse à ces critiques, la ministre de l'écologie a précisé, lors du débat à l'Assemblée nationale, qu'au-delà du budget et de la dépense fiscale, plusieurs « éléments d'ingénierie financière » contribueraient au financement de la transition : prêts de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) destinés aux collectivités territoriales pour l'isolation des bâtiments (5 milliards d'euros), fonds national de la transition énergétique, logé à la CDC (1,5 milliard d'euros sur trois ans), part du programme des investissements d'avenir et du fonds européen consacrés à la transition énergétique. Je laisserai chacun d'entre vous apprécier cet inventaire à la Prévert...

Au total, malgré l'incertitude globale pesant sur le financement de la transition énergétique et au vu du périmètre d'un programme qui reste très majoritairement consacré à l'après-mines, je vous propose néanmoins d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ».

M. Daniel Dubois. - En complément des précisions apportées par le rapporteur sur le CITE, je souhaiterais dire un mot du programme « Habiter mieux » qui s'adresse à des familles en difficulté et pour lequel l'Agence nationale de l'habitat (Anah) manque cruellement de moyens. Dans de nombreux départements, les dossiers déposés restent lettre morte ! Ainsi, dans ma communauté de communes, nous avons signé une convention avec l'Anah qui prévoit une aide de la collectivité à hauteur de 500 euros par dossier or, nous avons 102 dossiers en attente ! Il est bon d'inciter les collectivités à venir en soutien de cette mesure de lutte contre la précarité énergétique mais encore faut-il ensuite disposer des financements pour la mettre en oeuvre...

M. François Calvet. - Nous connaissons la même situation à Perpignan. Nous avons nous aussi choisi d'abonder les crédits de l'Anah car c'est un très bon dispositif qui consiste à redonner, au travers des économies d'énergie, du pouvoir d'achat à des ménages aux revenus modestes.

M. Bruno Sido. - Les propos de Daniel Dubois et François Calvet sont parfaitement justes mais dépassent quelque peu le cadre des crédits du programme. La lutte contre la précarité énergétique relève en grande partie de la politique du logement et je rappellerai que dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, le chèque énergie permettra également de financer des travaux de rénovation énergétique.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il me reste à mettre aux voix les crédits du programme pour lesquels, je vous le rappelle, notre rapporteur nous propose de donner un avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ».

Loi de finances pour 2015 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits relatifs au compte d'affectation spéciale Participations financières de l'État du projet de loi de finances pour 2015.

M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Je vous présente aujourd'hui les crédits du compte d'affectation spéciale « participations financières de l'État », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015.

Au cours des deux exercices précédents, la commission avait approuvé à l'unanimité les recommandations que je lui avais soumises pour insuffler plus d'audace et de réalisme dans la gestion du portefeuille de l'État actionnaire. Cette année, constatant que le Gouvernement a affiché des intentions qui vont dans la direction que nous avons souhaitée, je me suis attaché à vérifier si ces annonces sont suivies d'effets. Par ailleurs, plusieurs opérations d'un montant élevé sont prévues pour 2015 et les années suivantes : elles prévoient de financer à hauteur de sommes importantes le désendettement de l'État et l'entrée au capital de grandes entreprises. Sur ces deux points, je crois utile de faire connaitre notre analyse afin, je l'espère d'éclairer et de réorienter les décisions finales.

La première partie de mon avis brosse un rapide tableau du portefeuille de l'Etat actionnaire et de la « boite noire » budgétaire qui lui est associée. Les documents budgétaires « bleus » et « jaunes » soumis au Parlement amènent, pour l'essentiel, deux observations.

Tout d'abord, la valorisation du portefeuille de l'État a progressé en 2014. En avril dernier, les participations cotées et non cotées dans 74 entreprises relevant du périmètre de l'État actionnaire représentaient 110 milliards d'euros, en progression de 36,5 % sur les douze derniers mois. On peut naturellement se féliciter de cette progression, mais, à y regarder de plus près, elle semble extraordinairement fragile car elle dépend essentiellement non pas d'une gestion active mais de l'évolution du cours de deux titres : EDF et GDF-Suez. Je rappelle que la participation dans EDF représente à elle seule la moitié du portefeuille coté et que son cours a doublé. La participation dans GDF--Suez en représente le quart. Voilà une raison supplémentaire de plaider pour une recomposition et une diversification de ce portefeuille avec des prises de participations dynamiques dans des ETI d'avenir dont certaines deviendront des champions nationaux.

Budgétairement, le compte soumis à notre approbation comporte des informations réduites au strict minimum. C'est une habitude bien ancrée et le Gouvernement justifie ce chiffrage nébuleux par le souci de ne pas donner d'indications aux marchés.

Pour 2015, à travers les données indicatives, on discerne tout de même un signal de poursuite des cessions. Je rappelle qu'en 2014,  l'État a cédé des participations financières, pour un montant d'un peu moins de 2,2 milliards d'euros, avec deux principales opérations : la vente de 3,11 % du capital de GDF-Suez pour 1,5 milliard d'euros et de 1 % du capital d'Airbus Group pour 450 millions d'euros.

Sur le thème de la transparence budgétaire, les années précédentes, je vous avais signalé les observations de la Cour des comptes sur la transparence insuffisante des engagements relatifs à la défaisance du Crédit Lyonnais. Cette affaire est quasiment close puisque l'encours de la dette finale qui s'élevait à 4,5 milliards d'euros fin 2013, a été transféré à l'État pour remboursement en loi de finances rectificatives du 29 décembre 2013. En conséquence, l'article 26 du projet de loi de finances pour 2015 prévoit la dissolution de l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR). Reste aujourd'hui un danger important pour les finances publiques : celui de Dexia. Je suggère, cette année, de confectionner un indicateur pour mieux signaliser les risques sous-jacents au portefeuille de l'État actionnaire. Je rappelle que le risque Dexia est estimé à environ 17 milliards d'euros ce qui correspond, par exemple, à mille fois les crédits alloués au FISAC. On nous opposera vraisemblablement de nombreux arguments, mais à une époque où il arrive que le principe de précaution soit appliqué à des risques quasi imaginaires, et où nous consacrons parfois de longs débats à des enjeux de quelques millions d'euros, je crois qu'il serait rationnel et salutaire de construire un tel indicateur de risque. Que cette boite noire budgétaire n'envoie pas de signaux aux marchés, soit, mais je propose au moins qu'elle clignote pour rappeler l'existence de possibles bombes à retardement financières. La meilleure prévention des vrais risques, c'est de les évaluer pour mieux les anticiper.

J'en viens au second grand axe de mon avis : dynamiser la politique de cessions et d'acquisitions. C'est là une préoccupation constante que je vous soumets depuis deux ans et que l'on retrouve désormais dans le discours officiel. Encore faut-il passer des intentions aux actes et voici trois séries de propositions pragmatiques tirées de l'observation des actions menées par le Gouvernement au cours des derniers mois.

En premier lieu, je suggère le perfectionnement des méthodes de l'État actionnaire au niveau territorial. Tout doit partir d'une constatation : le soutien de l'activité sur nos territoires est une condition essentielle de la stabilité économique et politique de notre pays. Or l'intensification du recours aux cessions conduit aujourd'hui l'État à procéder à des appels d'offres portant sur des titres de sociétés jouant un rôle central au niveau local.

En m'appuyant sur l'exemple concret de la privatisation en cours de l'aéroport de Toulouse, j'ai attiré l'attention du Gouvernement sur le fait que les dynamismes territoriaux reposent sur des logiques spécifiques que l'État actionnaire doit prendre en considération pour ne pas les fragiliser. L'État doit, à mon sens, soigneusement différencier son approche, selon qu'il cède les titres de grandes entreprises, dont le capital est déjà très largement détenu par des non-résidents (19 des 36 entreprises du CAC 40 sont détenues majoritairement par des non-résidents), ou qu'il privatise un outil qui structure depuis près d'un siècle un bassin d'emploi.

De façon générale, comme en témoignent les documents budgétaires, l'État actionnaire est imprégné d'une tradition de confidentialité administrative, alors que l'économie de nos territoires tire sa force d'un élan commun qui implique une large concertation surtout si la privatisation concerne une entité économiquement et symboliquement fondamentale.

De façon plus précise, la méthodologie des privatisations d'entités locales me semble perfectible sur cinq points. Tout d'abord, le cahier des charges de la procédure de vente des titres ne doit pas fixer un délai trop bref qui prenne de court les acteurs locaux, régionaux voire même nationaux, moins rapides à se mobiliser que les opérateurs préparés à l'acquisition de cibles dans des secteurs bien particuliers. Dans le cas de Toulouse, l'appel d'offre a été lancé 11 juillet dernier avec moins de deux mois pour candidater à l'achat de 49,99 % du capital. Deuxièmement, dans l'appel d'offre, l'État doit rédiger avec soin les paragraphes relatifs aux possibilités de désengagement de certains actionnaires minoritaires locaux pour éviter des interprétations qui se révèlent par la suite contraire à la réalité. Troisièmement, l'État doit veiller à sécuriser la situation des industriels pour contrecarrer tout risque de délocalisation. Dans le cas de Toulouse, la privatisation soulève de légitimes interrogations sur l'évolution de la gestion des terrains où est implantée une industrie aéronautique qui est le poumon économique des bassins d'emplois territoriaux environnants. Quatrièmement, il me parait fondamental d'exiger des acquéreurs potentiels, au-delà du prix offert, des garanties de compétence technique, et de respecter l'engagement moral pris à l'égard du personnel. Je précise qu'en pratique, l'acquéreur d'une entreprise présente son plan stratégique de développement à 5 ans : c'est ce que nous attendons, car, dans le cas de l'aéroport de Toulouse, disposer d'une visibilité à moyen terme est fondamental puisque dans l'hypothèse d'une augmentation substantielle du trafic, les collectivités territoriales devront nécessairement investir pour prévenir la saturation des équipements publics. Pour garantir ce développement équilibré, il est donc hautement souhaitable que l'État et les collectivités conservent la majorité du capital, ce qui impliquerait que si l'État, en venait à céder ses parts à hauteur de 49,9 % du capital, il conserve sa participation résiduelle de 10,1 %. Enfin, compte tenu de la nécessité de désendetter notre pays tout en renforçant ses capacités de production de richesse, la question de l'allocation des recettes tirées de la privatisation d'une entité locale au développement économique du territoire concerné mérite d'être posée, et tel est le cas à Toulouse.

Ma deuxième proposition consiste à privilégier les acquisitions offensives. Concrètement, et dans l'immédiat, il faut se demander si l'acquisition de 20 % du capital d'Alsthom répond à cette stratégie. Rappelons qu'à l'heure actuelle, l'État n'a acheté aucune action Alstom. Il bénéficie simplement d'un prêt de titres par le groupe Bouygues en vertu d'un accord qui prévoit également la possibilité mais pas l'obligation pour l'État d'acheter un volume de titres pouvant représenter jusqu'à 20 % du capital d'Alstom. Au passage, j'observe que ce mécanisme assez complexe présente des avantages pour chaque partie au contrat : d'une part, Bouygues, en continuant à détenir les titres a conservé son droit au dividende et, d'autre part, l'État s'est donné un temps de réflexion.

Dans ce contexte, une question simple mérite à mon sens d'être posée au Gouvernement. Le 5 novembre 2014, le ministre de l'Économie a accordé son autorisation à General Electric (GE) pour son projet d'investissement en France avec Alstom et la constitution d'une alliance industrielle dans le secteur de l'énergie. Nous avons donc ainsi la preuve de l'effectivité du décret du 14 mai 2014, par lequel la France soumet l'acquisition d'entreprises nationales exerçant des activités stratégiques à l'engagement formel par l'acquéreur d'assurer la pérennité de ces activités, sous peine de sanctions. Ce bouclier réglementaire ne peut-il pas permettre de dispenser l'État de procéder à tout ou partie d'un achat défensif de titres dont le montant avoisinerait 1,6 milliards au cours actuel ? J'ajoute que certains observateurs ont jugé quasiment inutile l'entrée de l'État au capital d'Alstom compte tenu des joint-ventures dans lesquels General Electric a accepté d'entrer pour gérer le nucléaire, les turbines à gaz et les énergies renouvelables. À mon sens, compte tenu de la situation de nos finances publiques, il faut absolument réfléchir aux investissements alternatifs qui permettraient à des entreprises en pleine croissance de changer d'échelle et de s'internationaliser.

Pour prendre un peu de recul, je note qu'en elle-même, l'histoire d'Alcatel-Alstom est un révélateur de la relation État-industrie en France et de nos difficultés à développer des champions nationaux. Premièrement, nous n'avons pas la culture des grands conglomérats technologiques au même degré que les Allemands, les Coréens ou les Japonais. Nous avons démantelé les nôtres dans les années 1990-2000 en succombant à une mode, qui voulait que l'on privilégie les « pure players ». C'est d'ailleurs les conditions de ce démantèlement qui expliquent en partie les difficultés d'Alstom. Deuxièmement, nous n'avons pas en France suffisamment d'actionnaires de long terme. Notre industrie est passée d'un modèle colbertiste à un système de marchés financiers ouvert mais trop dépourvu de fonds de pension ou d'investisseurs institutionnels nationaux capables de gérer leurs portefeuilles dans la durée. Dans ce contexte, ne nous étonnons pas que la logique des « hedge funds » tende à s'imposer. Je rappelle que, dans les années 1970, les actionnaires d'entreprises moyennes conservaient fréquemment leurs titres pendant 30 ans alors que cette durée a chuté à 7 ans en moyenne aujourd'hui.

J'en viens à la problématique du désendettement et à ma suggestion dans ce domaine. Pendant longtemps, de 2008 à 2012, le programme de désendettement du compte spécial est resté inactif. Votre rapporteur vous avait suggéré de ne pas en demander la suppression et de reprendre les versements, pour témoigner de la volonté de la France de se désendetter. À présent que ce programme est réactivé, il me parait très utile de prendre position sur la manière dont il doit être alimenté. Je pars d'une comparaison simple : d'un côté, la dette publique atteint 2 000 milliards d'euros et la charge de la dette 44 milliards d'euros. De l'autre le portefeuille de l'État actionnaire avoisine 100 milliards d'euros et rapporte en dividendes à peu près 4,4 milliards par an. Autrement dit, ce portefeuille qui ne représente qu'un vingtième de la dette produit des revenus réguliers qui couvrent le dixième de la charge de la dette. On voit immédiatement que sauf cas d'extrême urgence, l'optimum ne consiste pas à céder les actifs les plus rentables de l'État pour solder sa dette.

Je suggère donc d'allouer en priorité au désendettement non pas le produit éphémère des cessions de titres de l'État mais plutôt les revenus réguliers qu'ils produisent. Cela doit permettre d'étoffer les participations de l'État tout en améliorant son potentiel de désendettement durable. Une telle démarche suppose, pour plus de clarté budgétaire, d'affecter au compte spécial les dividendes perçus par l'État alors qu'ils sont aujourd'hui reversés au budget général. Nous avons déjà formulé cette recommandation au cours des deux exercices précédents et il me parait opportun de revenir à la charge sur ce point.

Un dernier mot sur le dernier axe de mon avis : insuffler plus d'audace et de réalisme dans la gouvernance de l'État actionnaire. Ma conviction profonde, vous le savez, est que seule la participation de personnalités incontestables du monde industriel et économique est à même de garantir le succès de cette stratégie de dynamisation de notre économie et d'allocation de ressources aux projets les plus prometteurs. Lors de sa dernière audition par notre commission le 15 juillet dernier le ministre de l'économie, Arnaud Montebourg avait illustré, mieux que quiconque, l'idée qui sous-tend ce raisonnement. À propos des  plans de la Nouvelle France industrielle, il a indiqué, je cite : « conçus et écrits par les industriels eux-mêmes, ces 34 plans sont d'une richesse incomparable. Leur origine les rend à la fois plus audacieux et plus réalistes que s'ils avaient été conçus par l'administration ou par le politique ».

Nous pouvons plus généralement rendre hommage à la conversion des ministres à l'entrepreneuriat, tout en faisant observer que si elle avait été plus précoce, le Gouvernement aurait pu éviter l'erreur qui consiste à déstabiliser - au moins médiatiquement - la fine fleur de nos dirigeants d'entreprise pour ensuite confirmer leur stratégie : tel a été le cas, de manière assez flagrante, dans les dossiers Alstom et Air France.

Il subsiste donc un sérieux problème de gouvernance de l'État actionnaire et, en ce qui concerne la désignation des quelques 761 représentants de l'État aux conseils d'administration, il me parait légitime de préconiser avec beaucoup de force la mise en place d'un calendrier précis avec des objectifs chiffrés de recours au vivier des industriels et des personnalités du monde économique.

Ces diverses observations démontrent que les intentions affichées par le Gouvernement se sont rénovées et qu'elles vont souvent dans la bonne direction même si elles n'ont pas été suivies d'un passage à l'acte toujours convaincant. Je vous suggère donc d'émettre un avis de sagesse sur l'adoption des crédits de ce compte de l'État actionnaire.

J'ajoute que je crains aujourd'hui le pire si nous ne mettons pas, au service des entreprises, des moyens suffisants pour accompagner leur développement et sécuriser leur capital. Il me parait également souhaitable, pour l'État actionnaire, d'acquérir et de conserver des participations rentables tout en affectant au désendettement les dividendes réguliers qu'elles versent.

M. Jean-Pierre Bosino. - Je partage un certain nombre des constats du rapporteur sur l'évolution industrielle de notre pays. Je suis néanmoins convaincu que l'État ne doit céder aucune de ses participations, comme l'illustre l'exemple des sociétés d'autoroutes.

M. Yannick Vaugrenard. - La nouvelle doctrine de l'État actionnaire consiste, comme l'a suggéré le rapporteur, à bien « marcher sur ses deux jambes » : l'investissement et le désendettement. Au-delà de la bonne santé financière des grandes entreprises comme EDF ou GDF--Suez, dont on peut se féliciter, il est indispensable de soutenir et de renforcer les entreprises de taille intermédiaire, car c'est dans ce domaine que la France a du retard par rapport à certains de ses partenaires européens.

S'agissant du dossier Alstom, que j'ai suivi car il concernait mon département, le choix de GE comme partenaire me paraît positif et préférable, pour l'emploi, aux autres solutions européennes qui avaient été envisagées. Le décret du 14 mai 2014 constitue également une avancée dont on peut se féliciter puisqu'il permet de préserver un droit de regard permanent de l'État sur des activités économiques stratégiques pour la France. Je retiens votre avis de sagesse sur l'adoption des crédits pour 2015 et il me semble qu'il contient une note positive. Enfin, en ce qui concerne la désignation des 761 représentants de l'État aux conseils d'administration, il me semble nécessaire que la transparence soit préservée et il me parait opportun de suivre attentivement la suite qui sera donnée à notre suggestion de faire appel non seulement aux personnes issues des grands corps de l'État mais aussi à des personnalités du monde économique et, en particulier, à des anciens dirigeants.

M. Daniel Dubois. - Je trouve intéressante, tout comme l'an passé, l'approche globale du rapporteur qui analyse le portefeuille de l'État actionnaire de façon très pertinente au regard des enjeux économiques et de la trajectoire de désendettement. Le réinvestissement du produit des cessions dans les secteurs porteurs et l'affectation des dividendes au désendettement de l'État me paraissent des suggestions très opportunes et il me parait important d'insister de façon récurrente auprès du Gouvernement sur ces deux points. Il convient également, en matière de gouvernance et de transparence, d'associer aux conseils d'administration des personnes ayant les compétences requises pour gérer de façon optimale le portefeuille de l'État.

M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Le portefeuille de l'État actionnaire est un actif qui produit une rentabilité avoisinant 4 %  alors que la charge de la dette est de l'ordre de 2 %. Dans ces conditions, je propose de favoriser l'allocation des dividendes au désendettement tout en conservant des marges de manoeuvre pour investir dans les ETI dont je rappelle qu'elles sont quatre fois moins nombreuses en France qu'en Allemagne. Pour remédier à cette situation, nous avons besoin non seulement d'actionnaires de long terme mais aussi et surtout d'une Coface plus sécurisante, d'un regroupement des opérateurs d'accompagnement aux exportateurs. Je souhaite que la Banque publique d'investissement, la Caisse des dépôts ou les Sociétés de développement régionales s'engagent prioritairement dans le soutien des PME et des ETI, car je peux témoigner qu'il n'est pas simple de trouver des apporteurs de capitaux pendant une durée de sept à huit ans.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je signale que j'ai eu le plaisir d'accueillir ce matin même une délégation de personnes travaillant dans l'aviation civile en Chine et nous avons pu évoquer les perspectives d'évolution de l'aéroport de Toulouse. Par ailleurs, je suis particulièrement sensible à la mise en évidence par Alain Chatillon de la rentabilité du portefeuille de l'État qui représente le vingtième du montant de la dette mais dont les dividendes peuvent couvrir le dixième de la charge de celle-ci. Enfin, à l'occasion de l'examen du projet de loi de simplification de la vie des entreprises, nous avons évoqué la question du regroupement des acteurs de l'accompagnement des entreprises à l'international sur la base des préconisations formulées par la rapporteure Elisabeth Lamure. J'ai écrit à ce sujet aux ministres de tutelle pour confirmer que le Sénat souhaite suivre attentivement la mise au point du contrat d'objectif et de performance du nouvel opérateur issu de la fusion entre les deux agences de l'État : il s'agit, pour nous, de vérifier les moyens mis en oeuvre pour parvenir à l'objectif d'articulation de la cinquantaine d'organisme existants.

M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Je précise enfin que j'ai entendu ce matin le Commissaire aux participations de l'État et lui ai fait part des remarques que vous venez d'approuver. Bien entendu, les décisions finales seront prises au niveau gouvernemental.

La commission émet un avis de sagesse à l'adoption des crédits relatifs au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Organisme extra parlementaire - Désignation

La commission désigne un sénateur pour siéger au sein de la Commission pour la modernisation de la diffusion audiovisuelle.

La commission désigne M. Philippe Leroy pour siéger au sein de la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle.

La réunion est levée à 17 heures.

Mercredi 19 novembre 2014

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Loi de finances pour 2015 - Audition de Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité

La commission entend Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

La réunion est ouverte à 9h 30

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Madame la ministre, je suis heureux de vous accueillir pour examiner les crédits de la mission « égalité des territoires et logement ». Madame Dominique Estrosi Sassone a été désignée par la commission, rapporteur pour avis pour cette mission et vous interrogera en premier. Je vous donne immédiatement la parole.

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre invitation à venir présenter, devant les membres de votre commission, la mission budgétaire « Égalité des territoires et  logement » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015.

Je souhaite tout d'abord saluer les nouveaux membres de la commission des affaires économiques renouvelée depuis les dernières élections sénatoriales.

Cette audition marque le début du travail de la Haute assemblée sur le projet de loi de finances pour 2015 qui a été adopté hier par l'Assemblée nationale. Je me réjouis donc de cette nouvelle étape qui s'ouvre aujourd'hui et qui devrait permettre, j'en suis certaine, de conforter les mesures ambitieuses et volontaristes que le Gouvernement a souhaité porter au sein de ce budget pour 2015.

J'ai confiance dans le travail que nous allons accomplir dans les prochaines semaines car je sais que la politique du logement, qui est une priorité du Gouvernement, rassemble largement les élus autour de deux grands enjeux : répondre aux besoins de nos concitoyens qui peinent à se loger selon leurs moyens et relancer le secteur de la construction et ainsi soutenir une filière pourvoyeuse d'emplois sur nos territoires.

Ce sont ces objectifs que nous nous sommes fixés, avec le Premier Ministre, lors de la présentation des deux plans de relance de la construction de logements en juin et en août derniers dont la majorité des mesures sont portées dans le projet de loi de finances pour 2015.

Une première série de dispositions doit permettre d'activer la mobilisation du foncier privé, car c'est l'une des clefs de réussite pour la production de logement. Ces mesures s'articuleront avec celles déjà prises pour renforcer la mobilisation du foncier public.

Il s'agit ainsi tout d'abord de l'alignement du régime d'imposition des plus-values immobilières résultant de la cession de terrains à bâtir sur la fiscalité applicable aux immeubles bâtis.

Il s'agit également de la mise en place d'un abattement exceptionnel de 30% de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux sur les plus-values immobilières réalisées en cas de cession de terrain à bâtir, ou bien encore d'opérations de démolition-reconstruction.

L'examen à l'Assemblée nationale a également permis l'extension de l'exonération de plus-value pour la construction de logements sociaux acquis en VEFA et la prolongation de trois ans de l'exonération de plus-value sur les droits de surélévation des bâtiments.

En application des engagements contractés entre l'État et le mouvement HLM lors de la signature de l'agenda HLM 2015-2018 en septembre dernier, le texte initial a été complété par la prorogation de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pendant 25 ans pour la construction de logements sociaux jusqu'au 31 décembre 2018 ainsi que l'extension de l'abattement de 30% de la taxe foncière sur les logements sociaux dans les 1 300 quartiers prioritaires de la politique de la ville.

La dernière disposition de mobilisation du foncier privé est la création d'un abattement exceptionnel de 100 000 euros pour les donations de terrains réalisées jusqu'à la fin 2015, à condition qu'ils soient ultérieurement construits.

D'autres mesures viennent soutenir la production de logements de manière directe. L'objectif de construction de 150 000 logements sociaux, dont 8 000 au titre de la rénovation urbaine, est maintenu. Ils seront financés grâce aux 400 millions d'euros de crédits d'aide à la pierre, complétés par un apport d'Action Logement de plus d'1,2 milliard en 2015, par un taux de TVA réduit à 5,5 % et par la mobilisation du fonds d'épargne (près de 11 milliards d'euros de prêts accordés en 2013).

Nous avons également trouvé un accord avec les bailleurs sociaux en septembre dernier pour créer, dans les trois prochaines années, 15 000 logements très sociaux aussi appelés « super PLAI-HLM » qui seront financés grâce à la mutualisation de 300 millions d'euros par le mouvement HLM.

Cette production s'ajoutera au programme de PLAI adaptés dont le deuxième appel à projets a été lancé en mars dernier et qui vise à créer 2 000 super-PLAI en 2014, et 3 000 en 2015.

En ce qui concerne l'investissement locatif, nous avons souhaité mettre en place un dispositif plus flexible, en permettant à l'investisseur de choisir sa durée d'engagement : 6, 9, ou 12 ans. Cette modification du dispositif était nécessaire pour développer l'offre de logements intermédiaires permettant à de nombreux ménages qui ne peuvent pas bénéficier d'un logement social et qui peinent à se loger dans un parc privé devenu trop cher, de trouver un logement. Cette nouvelle offre permettra également de fluidifier les parcours résidentiels de nos concitoyens et de leur offrir une offre plus adaptée à leur situation.

La première lecture à l'Assemblée nationale a étendu ce dispositif dans les territoires ultra-marins et a permis son intégration dans le plafond des avantages fiscaux Outre-mer fixé à 18 000 €, conformément aux demandes des parlementaires de ces territoires.

Pour permettre aux locataires qui le souhaitent de devenir propriétaires, nous proposons de prolonger le prêt à taux zéro jusqu'en 2017 avec un niveau d'aide pour l'ensemble des prêts signés en 2015 d'un milliard d'euros. Grâce à un rééquilibrage entre les territoires et à un ciblage plus fin des bénéficiaires, nous visons la signature de 80 000 prêts par an contre environ 38 000 aujourd'hui. Cette mesure, qui s'adresse aux classes moyennes et modestes, devient ainsi le dispositif privilégié de l'aide à l'accession.

Aussi, parce que je considère comme absolument indispensable d'engager la dynamique de relance du logement dans tous nos territoires et de soutenir les projets de rénovations qui bénéficient principalement aux PME du bâtiment et aux artisans, le projet de loi de finances prévoit d'élargir le bénéfice du prêt à taux zéro à l'achat de logements anciens dans 6 000 communes rurales. Ces communes seront définies selon des critères objectifs, qui ont été précisés par voie d'amendement en première lecture : un niveau de vacance supérieur à la moyenne nationale constatée par l'INSEE et une présence minimale de 6 équipements de proximité sur les 60 recensés par l'INSEE. Cette nouvelle mesure poursuit un objectif double : relancer l'activité par les travaux de réhabilitation et préserver l'attractivité des territoires ruraux.

Une autre mesure destinée à favoriser l'accession à la propriété et la mixité sociale est portée dans ce projet de loi de finances : les 1 300 quartiers prioritaires de la politique de la ville bénéficieront du taux de TVA réduit à 5,5 % pour les opérations d'accession.

Enfin, et c'est une nouveauté de ce budget qui a été déjà largement médiatisée et qui est attendue de nos concitoyens, le Gouvernement a décidé de soutenir les démarches de solidarité intergénérationnelle qui connaissent une véritable progression depuis ces dernières années et qui constituent un soutien efficace de la relance de la construction de logements. Il s'agit de la création d'un abattement exceptionnel de 30 % qui s'appliquera aux donations de logements neufs et aux donations de terrain à construire.

Il s'agit aussi de permettre aux particuliers réalisant un investissement locatif de louer ce logement à leurs ascendants et descendants.  Au-delà de l'opportunité qu'il offre pour de nombreux ménages aux revenus moyens de soutenir un parent, qu'il soit âgé ou enfant étudiant, les logements ainsi construits libéreront des places dans le parc existant.

Je tiens à préciser que toutes ces mesures, que je viens de vous détailler ici, ne prendront pleinement leur sens que si elles sont inscrites dans un ensemble qui comprend d'autres mesures, qui ne sont ni budgétaires, ni fiscales et qui ne figurent donc pas dans ce projet de loi de finances. Il s'agit, par exemple, de l'allègement et de la simplification des normes de construction. J'ai eu l'occasion de présenter en juin une première vague de 50 mesures de simplifications, qui sera prolongée d'une seconde d'ici la fin de l'année.

Ces mesures s'accompagnent également d'un important effort financier en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments. L'Agence nationale de l'habitat (Anah) apportera un soutien plus important aux publics modestes pour leurs travaux de rénovation énergétiques. Par ailleurs, le crédit d'impôt développement durable qui est transformé en crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) est élargi.

Je sais que de nombreux parlementaires s'interrogent sur le financement de l'Anah. Je dois en effet reconnaître que sa principale ressource est incertaine, car elle est très dépendante du cours d'échange de la tonne quota carbone. C'est pourquoi le Gouvernement apporte à l'agence des moyens complémentaires en 2015 pour lui permettre d'assurer dans de bonnes conditions le paiement des aides. Une hausse de 30 millions d'euros de la fraction de la taxe sur les logements vacants lui est attribuée, et Action Logement contribuera à son financement à hauteur de 50 millions d'euros. Enfin une contribution exceptionnelle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie est prévue dans le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement.

Parallèlement, le Gouvernement s'engage en faveur de la prévention et du traitement des copropriétés dégradées, ainsi que dans la lutte contre l'habitat indigne. C'est le sens de la première opération de requalification des copropriétés dégradées de Clichy-sous-Bois dont je signerai le décret d'ici la fin de l'année, et de la forte mobilisation des agences de l'État, l'Anru et l'Anah, sur ces thématiques.

J'engagerai d'ici quelques semaines un tour de France de la construction pour faire connaître l'ensemble de ces mesures et mobiliser les acteurs.

Si la relance de la construction de logements est essentielle pour soutenir l'emploi et créer l'offre nécessaire, elle ne doit pas nous faire perdre de vue l'existence de nombreuses inégalités face au logement.

La persistance de la crise et les difficultés socio-économiques qui l'accompagnent fragilisent durablement certains ménages. Faire reculer ces inégalités est ainsi l'autre mission de ce budget.

C'est la raison pour laquelle l'effort de solidarité du Gouvernement progresse de 80 millions d'euros, en particulier pour permettre la revalorisation au 1er octobre des aides personnelles au logement versées à 6,5 millions de ménages.

Je souligne que, dans un souci de cohérence et d'efficacité, l'État aura désormais la charge du financement de la part des aides personnalisées au logement, actuellement financée par la sécurité sociale. Désormais, les aides au logement représenteront 11 milliards d'euros sur les 13 milliards du budget de mon ministère.

Vous le savez, une des principales évolutions de ce budget qui a été votée lors de son examen à l'Assemblée nationale est le report d'une année de l'entrée en vigueur de la réforme des aides à l'accession. Celles-ci devraient être réorientées, désormais à compter du 1er janvier 2016, vers un dispositif de sécurisation des ménages qui prendrait la forme d'une aide versée aux propriétaires accédant connaissant une diminution brutale de leurs revenus. Ce report est l'aboutissement de longues discussions avec les députés soucieux de maintenir ce coup de pouce qui, bien qu'en perte de vitesse depuis ces dernières années, aide à l'amélioration de la solvabilité de près de 30 000 ménages par an. Ce report permettra aussi de répondre à la demande de nombreux parlementaires de créer un groupe de travail sur la question du fonctionnement et du coût des aides au logement en général. Je suis certaine que les sénateurs feront des propositions sur ce sujet.

Le dernier programme budgétaire intégré à la mission « Logement et égalité des territoires » que je souhaite vous présenter ce matin, et non des moindres, concerne la politique d'hébergement. Il s'agit très certainement de la partie la plus délicate de ce budget, car il s'agit bien de gérer, dans un contexte budgétaire contraint, la progression alarmante des demandes en matière d'accès au logement et à l'hébergement due principalement à la paupérisation des ménages et à l'augmentation des flux migratoires.

Je veux rappeler ici ma conviction qu'une politique républicaine s'apprécie aussi à la manière de traiter les plus fragiles. Des moyens financiers significatifs sont ainsi dégagés pour la mise en oeuvre du principe d'accueil inconditionnel des personnes sans domicile puisque les crédits de la politique d'hébergement et du logement accompagné progressent de près de 5 % par rapport à 2014.

Toutefois, pour répondre de manière pragmatique à la pression que la demande croissante fait peser sur l'État tout en améliorant l'efficacité de notre dispositif d'hébergement, j'ai défini une feuille de route articulée autour de trois objectifs. Il s'agit tout d'abord d'améliorer l'anticipation, par exemple en renforçant la politique de prévention des ruptures et en favorisant le maintien dans le logement. Les procédures actuelles de prévention des expulsions locatives ne garantissent pas un accompagnement efficace.

Il s'agit dans un second temps de rompre avec notre gestion de l'urgence pour inscrire au contraire nos actions dans un processus continu. Je souhaite par exemple la fin de la gestion saisonnière de l'hébergement, et je soutiendrai pour cela un changement en profondeur de l'action et de l'intervention sociales. La situation particulièrement préoccupante en Ile-de-France m'a conduite à demander au préfet de région de piloter une action coordonnée qui vise non seulement à améliorer l'accompagnement des personnes hébergées à l'hôtel mais aussi et surtout à favoriser l'orientation vers des dispositifs plus adaptés aux situations personnelles et la recherche de solutions alternatives. Je pense notamment au développement des résidences sociales et au recours à l'intermédiation locative. 

Enfin, je souhaite apporter des solutions pour assurer une coordination plus efficace de l'action des acteurs du secteur.

Je souhaite aussi aborder rapidement un sujet qui a suscité beaucoup de questionnements parmi les parlementaires et les élus locaux récemment. Il s'agit de la modulation de l'aide mensuelle à la place d'aire d'accueil des gens du voyage, dite « ALT2 », est versée aux collectivités.  À compter de 2015 et conformément à la loi de finances pour 2014, cette aide sera désormais directement liée au taux d'occupation effective, cela pour inciter leurs gestionnaires à améliorer la qualité et le service rendu.

Dans un contexte budgétaire contraint et malgré une progression chaque année croissante, le Gouvernement affiche résolument sa volonté d'être aux côtés des ménages les plus modestes et de les soutenir dans leur accès à un logement adapté à leur situation grâce à des méthodes repensées, plus efficaces socialement et moins lourdes pour les finances publiques.

Le ministère du Logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité est doté d'un budget qui tient compte de l'ampleur et de la diversité des besoins de nos concitoyens, de leurs difficultés et de leurs aspirations légitimes. C'est un budget que je considère comme réaliste et pragmatique. Réaliste parce qu'en dépit de la grande diversité des situations, il parvient à dégager des solutions efficaces pour tous. Pragmatique parce que, dans un contexte de dépenses maîtrisées, il se concentre sur les dispositifs essentiels ayant un fort effet de levier.

Le logement est au coeur de la vie quotidienne de chacun : autonomie individuelle, vie familiale et professionnelle, relations sociales, intégration citoyenne et économique. En agissant pour la relance de la construction de logement, pour la rénovation énergétique, pour l'amélioration des conditions d'accueil des plus modestes, le Gouvernement agit au service de l'équilibre de la société toute entière. C'est la raison pour laquelle je souhaite que ce budget soit l'occasion de nous rassembler, dans le respect des convictions de chacun.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Madame la ministre, je vous remercie d'avoir rappelé le postulat de base d'une politique de l'habitat et du logement selon lequel nous devons apporter des réponses aux besoins et aux attentes des Français depuis l'hébergement d'urgence jusqu'à l'accession à la propriété. Ce dernier volet est important et permet de répondre aux attentes de nos concitoyens, de mieux fluidifier le marché et de faire sortir les ménages du parc social notamment dans les zones tendues. Les besoins sont là, il nous faut y répondre.

Vous nous annoncez le maintien de l'objectif général de 500 000 logements dont 150 000 logements sociaux. Or ces objectifs sont identiques à ceux fixés depuis 2012, et qui n'ont pas été atteints, ce qu'on peut regretter. Vous l'avez souligné, il y a une crise du secteur immobilier et de la construction, plus de 30 000 emplois ont été détruits entre 2013 et 2014. Nous avons construit 332 000 logements en 2013 au lieu des 500 000 annoncés et ce sera encore moins en 2014. Par ailleurs, trois lois ont été adoptées sur le logement et la construction. On ne perçoit pas d'embellies. Qu'est-ce qui vous fait penser que les objectifs pourront cette fois-ci être atteints ? Je ne conteste pas qu'il s'agit d'objectifs importants, mais dans le contexte actuel faut-il les maintenir ?

Je constate de nouveau une baisse substantielle des aides à la pierre. En région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), le ratio de l'aide par logement passerait de 7 300 euros en 2014 à 5 000 euros en 2015, en intégrant la suppression des subventions aux logements financés par des PLUS. Si les logements PLAI sont nécessaires, nous avons aussi besoin de logements PLUS. Les objectifs affichés devraient être égaux à ceux de 2014, dès lors je m'interroge : comment faire plus avec moins alors même que les collectivités territoriales ne sont pas en mesure de compenser cette diminution des aides et que les HLM doivent mobiliser de plus en plus leurs fonds propres ?

L'hébergement d'urgence s'adresse aux personnes en grande précarité, aux familles en situation régulière avec des enfants en bas âge, aux personnes isolées qui cumulent les fragilités sociales et économiques. Or, le fait de consacrer une partie des crédits pour loger les déboutés du droit d'asile ne conduit-il pas à évincer les publics de droit commun ? Vous nous annoncez une anticipation de la réforme du droit d'asile qui pour l'instant n'est pas programmée et dont on ne sait pas si elle verra le jour en 2015. Cette méthode d'anticipation n'est-elle pas risquée ? Les crédits relatifs à l'hébergement des demandeurs d'asile ne devraient pas impacter les crédits de votre mission. Je rappelle en outre que des crédits du programme 177 destinés aux aides à la pierre ont dû être affectés en septembre au programme relatif à l'hébergement d'urgence. Devant ces éléments, je ne peux que m'interroger sur le montant des crédits.

Enfin, les élus sont inquiets quant au financement de l'Anah qui tire principalement ses ressources de la vente des quotas carbone. La lutte contre l'habitat indigne, l'habitat indécent et la précarité énergétique sont des priorités. Or pour 2015, vous indiquez une contribution exceptionnelle d'Action Logement, alors même qu'il est par ailleurs lourdement ponctionné. En effet, Action logement doit verser 300 millions au Fonds national d'aide au logement. Ces prélèvements sont-ils tenables ? Où en est-on de la négociation entre l'État et Action logement ? Comment peut-on s'engager dans des politiques pluriannuelles ? Comment peut-on stabiliser les ressources de l'Anah sans fragiliser Action logement ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Le budget « Logement » que vous nous avez présenté, Madame la Ministre, n'exprime qu'une partie de la politique du Gouvernement en ce domaine. Il faut en effet y rajouter l'ensemble des mesures fiscales, dont celles annoncées par le Premier ministre en matière d'accession à la propriété, comme le prêt à taux zéro (PTZ). Ce sont de bons outils, mais il importe de les mettre en oeuvre rapidement.

Le logement social constitue un enjeu capital. Le Premier ministre a signé avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) et vous-même, Madame la Ministre, un agenda dont l'objectif est la production de 150 000 logements sociaux par an. Nous n'y parviendrons pas cette année, cependant, et ce non pas pour des raisons budgétaires, mais du fait du calendrier électoral, et notamment des élections municipales, qui ont toujours pour effet de ralentir les mises en chantier.

Le niveau d'aide à la pierre nous permet d'atteindre les objectifs fixés, à condition qu'il ne s'érode pas dans la durée. Le problème vient du décalage qui existe avec le revenu de nos concitoyens ; comment orienter la production pour la mettre en phase avec celui-ci ?

Un programme de 10 000 logements accompagnés a été mis en place, à travers une expérimentation bénéficiant de financements de l'État. Les contraintes budgétaires vont-elles permettre de la poursuivre ?

La Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) est de plus en plus sollicitée pour d'autres actions que l'accompagnement du risque auprès des organismes HLM. Ainsi, elle est notamment sollicitée pour le financement de l'aide à la pierre, dans une logique de péréquation. Dans ces conditions, comment envisagez-vous, Madame la Ministre, l'avenir du prélèvement CGLLS ?

Enfin, quelle est votre position sur la réhabilitation de l'habitat en centre-bourg, dans les zones rurales ?

M. Daniel Dubois. - J'ai l'impression, Madame la Ministre, qu'après avoir passé une année à « détricoter », vous « retricotez » à présent ... Cela va-t-il aider à rétablir la confiance ? Sachant que les constructeurs privés ne me semblent pas figurer dans vos priorités ... 100 000 logements en moins par an, c'est 180 000 emplois en moins ! Votre politique a eu des effets catastrophiques à cet égard. En outre, elle a contribué à figer les documents d'urbanisme. Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) en fait les frais, nos concitoyens également ... Les besoins sont pourtant réels dans nos territoires !

Les crédits de l'Anah, qui étaient insuffisants l'année dernière, risquent de l'être également cette année, car les dossiers actuels vont consommer une partie des crédits du prochain exercice.

Vous avez débattu hier dans notre assemblée, Madame la Ministre, de la ruralité. Or, on ne peut plus y construire un seul logement aujourd'hui ! Le PTZ, nous dit-on, va permettre de réhabiliter le bâti existant ; certes, mais vous allez le soumettre à des conditions réduisant son effet attractif, à l'égard de nouveaux ménages, ce qui ce qui ne permettra pas d'enrayer un vieillissement des populations rurales, et provoquera un effet de ciseau avec des besoins croissants pour des moyens en diminution.

Le logement locatif a pu être produit ces dernières années grâce aux collectivités qui, bien plus que l'État, en appuyaient le financement. J'en vois l'exemple dans ma communauté de communes. Mais les organismes HLM doivent avoir les moyens d'agir ; il faut décider des priorités et ne pas les surcharger de missions.

Vous avez évoqué, Madame la Ministre, le transfert sur vos crédits du paiement de l'APL, qu'est-ce que cela signifie ? Son financement est-il assuré ?

Mme Élisabeth Lamure. - Je partage les propos de mon collègue Daniel Dubois sur les blocages à la construction, notamment du fait de la loi pour l'accès au logement et pour un urbanisme rénové, dite ALUR, et sur le manque-à-gagner pour la filière du bâtiment.

Vous vous attaquez à la simplification des normes de construction, Madame la Ministre. Votre prédécesseur, interrogée sur ce point, avait décrété qu'elle ne souhaitait pas qu'on construise au rabais. Quelle est votre position sur cette question ?

Disposez-vous d'éléments sur la mobilisation du foncier public ?

Les organismes sociaux éprouvent des difficultés à investir dans l'hébergement d'urgence. Ils doivent en effet respecter des normes contraignantes, dont celle interdisant de loger une personne seule dans une pièce de moins de neuf mètres carrés. On pourrait imaginer revoir ce seuil à la baisse, surtout lorsque l'on voit comment ces personnes se retrouvent entassées dans des logements de fortune. Entendez-vous assouplir cette règle, Madame la Ministre ?

M. Michel Le Scouarnec. - J'entendais à la radio ce matin des évolutions inquiétantes : le nombre de sans domicile fixe a augmenté de 40 % ces dix dernières années, 30 % d'entre eux sont des enfants, le chômage de longue durée s'est accru de 56 % en cinq ans et celui des allocataires du revenu de solidarité active de 26 % sur la même période. Tout cela doit être pris en compte dans la politique du logement, de même que la situation du bâtiment. Je pense qu'en mettant en oeuvre une politique ambitieuse, nous pourrions mobiliser le secteur de la construction pour faire reculer la crise.

J'observe qu'un effort est prévu au programme 177, même s'il ne sera sans doute pas à la hauteur des besoins.

Le PTZ est une bonne mesure, qu'il faudrait étendre à l'ensemble des organismes HLM. Un double objectif doit être poursuivi, ayant trait au logement, mais aussi à l'emploi. Avez-vous des pistes de réflexion pour faire plus et pour faire mieux, Madame la Ministre ?

À combien en sommes-nous, aujourd'hui, du 1°% logement : 0,4 % peut-être ? N'y a-t-il pas là un levier sur lequel nous pourrions jouer ? Ne pourrait-on pas l'améliorer ?

Je ne suis pas opposé au logement intermédiaire, ni à l'accession à la propriété : la mixité sociale est nécessaire, mais il ne faut pas non plus travailler sur un seul type de logement.

Enfin, puisqu'il existe tant de logements à rénover, l'effort que nous devons faire pour assurer la transition énergétique n'est-il pas une occasion de réaliser ce grand chantier ?

M. Joël Labbé. - L'objectif de construction de 500 000 logements sociaux est sans cesse repoussé. Ne faut-il pas soit le réduire, soit se donner réellement les moyens de l'atteindre ?

Je vous avais interpellé sur les crédits de l'Anah, Madame la Ministre : les ménages obtiennent un accord de sa part, mais pas de financement ...

Le dispositif de défiscalisation Duflot doit être mis en oeuvre au niveau de l'intercommunalité, afin que les territoires puissent vraiment en profiter.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Le meilleur indicateur de la situation actuelle est, il me semble, le cri d'alarme des professionnels du bâtiment. Nous sommes interpellés, dans nos départements, par les entreprises du secteur, quelle que soit leur taille ...

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Les mesures que j'ai présentées sur l'ensemble des segments de la politique du logement ont un objectif commun : relancer ce secteur majeur pour notre économie, contribuer à résoudre la crise de l'emploi par une activité non délocalisable, répondre à un impératif social ... Nous disposons d'une palette d'outils permettant de prendre en compte tous ces besoins.

Daniel Dubois, dès ma prise de fonctions, j'ai entendu ouvrir le PTZ à l'ancien. De ce point de vue, je n'oppose pas villes et campagnes. L'extension du PTZ au centre-bourg, mais aussi l'assouplissement du dispositif d'investissement dans le logement intermédiaire, vont dans le même sens. Il faut conserver ce dernier instrument, tout en l'assouplissant.

La restauration de la confiance passe par une approche pragmatique. Je vois des signes encourageants dans l'évolution des derniers mois, si l'on regarde les délivrances de permis de construire, les mises en chantier ...

2014 a été une année électorale, comme le rappelait justement Marie-Noëlle Lienemann. Ainsi, certains maires ont bloqué la production de logements sociaux : 20 000 sur toute la France, 7 000 en Ile-de-France. Des élus ont été récalcitrants à appliquer la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU ; aussi ai-je demandé aux préfets d'être fermes à leur égard.

Nous avons présenté au mois de juin cinquante mesures de simplification, qui touchent des domaines variés de la construction - confort intérieur, sécurité incendie, risques sismiques et technologiques. Quarante mesures seront en vigueur à la fin de l'année, soit 80 % ; les autres entreront en application au premier trimestre 2015. Pour un même chantier, l'ensemble de ces mesures permettrait jusqu'à 10 % de baisse des coûts de construction.

Ces 80 % de normes simplifiées d'ici à la fin de l'année ont été élaborées dans le cadre d'un groupe de travail participatif regroupant les services du ministère et les professionnels, qui a vocation à se poursuivre. À cet effet, j'ai lancé cet été un site dédié, afin que nous puissions recueillir la contribution des acteurs du bâtiment dans les territoires, en plus des référents institutionnels habituels. Les recommandations des professionnels sont d'ailleurs déjà largement présentes parmi les cinquante mesures de simplification qui ont été annoncées.

L'objectif de construction de logements locatifs sociaux est fixé à 150 000 et reconduit en 2015. La production sera particulièrement ciblée vers les zones tendues et les PLAI pour répondre aux besoins des ménages les plus en difficulté. Pour 2015, les chiffres sont les suivants : 39 000 PLAI, 66 000 PLUS et 30 000 PLS en France métropolitaine. Les aides financières à la construction de logements sociaux sont essentielles afin de maintenir un niveau élevé de production, garantissant in fine une modération des loyers. Ces subventions sont complétées par d'autres aides, qui permettent d'atteindre un taux moyen de subvention de 40 %.

Le gouvernement a engagé une réforme du droit d'asile, afin d'en finir avec l'hébergement à l'hôtel et la gestion saisonnière de cette politique. Les demandeurs d'asile sont peu présents dans les CHRS et hébergés principalement dans les hôtels. En Île-de-France, j'ai demandé que soit engagé un plan de résorption des nuitées hôtelières, en recherchant des solutions alternatives comme « Solibail ». La réforme du droit d'asile sera discutée au mois de décembre, avec une adoption du texte prévue en 2015. Mes services continuent de travailler en collaboration avec le ministère de l'Intérieur pour améliorer le dispositif, en particulier sur la question des primo-arrivants et des déboutés du droit d'asile.

S'agissant du financement de l'Anah, la volonté du gouvernement d'agir en faveur de la rénovation énergétique des logements est confirmée grâce à l'apport de moyens complémentaires. Les projets de rénovation sont pourvoyeurs d'emplois : les 50 000 projets soutenus en 2014 ont permis de créer ou maintenir 2 500 emplois. En 2015, l'agence percevra de nouvelles ressources : une hausse de 30 millions d'euros du plafond de la fraction du produit de la taxe sur les logements vacants, une contribution exceptionnelle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et 50 millions d'euros d'Action Logement. Au cours des négociations, le montant de la contribution d'Action Logement aux politiques nationales a été évoqué : il sera relevé à hauteur d'un milliard d'euros en 2016, 900 millions en 2017, 700 millions en 2018 et 500 millions en 2019.

Concernant les super PLAI HLM, l'agenda HLM prévoit la mutualisation de 300 millions d'euros sur trois ans pour financer 15 000 super PLAI HLM, qui auront un loyer inférieur au loyer plafond des APL afin de mieux solvabiliser les ménages. Je compte sur la mobilisation du mouvement HLM et des collectivités territoriales pour atteindre cet objectif. Sur la CGLLS, le gouvernement souhaite associer davantage les bailleurs sociaux au financement et à la mise en oeuvre de la politique du logement social. L'effort de la CGLLS en faveur du financement et de la rénovation sera porté à 150 millions d'euros en 2015.

L'ouverture du PTZ à l'ancien concernera 6 000 bourgs ruraux. L'éligibilité au PTZ est conditionnée à la réalisation de travaux de rénovation et de réhabilitation significatifs. S'agissant des critères de choix des communes, il s'agit de cibler les communes où le taux de logements vacants est particulièrement important. La liste des 6 000 communes concernées sera publiée par décret.

L'État et le mouvement HLM ont conclu un pacte pour soutenir la production de logement social, prévoyant des conditions fiscales favorables à la production et à la rénovation. La mise en place de la mutualisation des ressources entre organismes HLM vise à favoriser les capacités de financement des organismes qui construisent. Cette mutualisation, qui a fait l'objet d'une convention et d'un arrêté signés cet été, sera effective en 2015 et portera sur 280 millions d'euros par an. L'idée est de permettre une utilisation vertueuse des ressources, en amenant l'ensemble des bailleurs à cotiser pour ensuite diriger les aides vers ceux qui construisent des PLUS et des PLAI.

En matière d'urbanisme, il y a un certain nombre d'inquiétudes qui se sont exprimées à la suite de la suppression du COS et de la taille minimum des parcelles, prévue par la loi ALUR. Je souhaite que nous puissions travailler à une refonte des règlements d'urbanisme, afin d'accompagner les collectivités qui n'avaient que ces critères dans leur document d'urbanisme. L'objectif est d'avoir un aménagement du territoire équilibré, en étant armé et outillé pour prendre en compte ces évolutions législatives. Il existe également un travail important de planification à l'échelle intercommunale proposé par la loi ALUR, qui laisse cependant aux maires le pouvoir de délivrance des permis de construire.

Sur le foncier public, j'ai installé au mois de juillet la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier (CNAUF), présidée par Thierry Repentin. Elle a engagé un travail de recensement des terrains de l'État et de ses établissements publics ferroviaires, afin d'identifier ceux pouvant être mobilisables. 130 terrains sont considérés comme prioritaires et devront être cédés avant 2015. Les préfets de région accompagnent les collectivités dans la mise en oeuvre de ces projets et certaines cessions sont d'ores et déjà en cours de finalisation.

L'objectif aujourd'hui est bien de relancer la construction et de recréer un cercle vertueux pour retrouver la confiance. Sur les objectifs de logements sociaux, nous avons les moyens de mieux réussir, avec l'appui des élus locaux et des bailleurs. Nous devons aussi disposer de relais sur les territoires afin de relancer ce secteur important pour l'économie et l'accès au logement des Français.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je demanderai à chaque intervenant de respecter un temps de parole de deux minutes pour poser sa question.

M. Ladislas Poniatowski. - Une observation et une question. Les Français n'ont plus d'argent et par défaut de confiance investissent peu. Vous avez le double souci de répondre aux besoins des locataires et des bailleurs, tout en relançant l'activité économique pour favoriser l'emploi. Ma question porte sur les lignes de votre ministère concernant les travaux de réhabilitation et de rénovation énergétique. Actuellement, du fait des conditions d'attribution de crédits, seules les personnes ayant des revenus élevés sont encouragées à investir. Par conséquent, ne faudrait-il pas réfléchir à un PTZ bis réservé à la rénovation et à la réhabilitation dans le domaine énergétique ?

M. Roland Courteau. - Je voudrais saluer l'ensemble des mesures annoncées par Madame la Ministre et les efforts engagés avec un budget globalement en hausse pour la deuxième année consécutive. Le tour de France sur les territoires que vous avez annoncé me paraît indispensable et répond à une demande mainte fois formulée par les professionnels et les élus. Je relève l'extension du PTZ dans l'ancien pour 6 000 communes rurales, qui est très attendue par les maires pour répondre à la demande de familles privées de logement. J'apprécie également la volonté du gouvernement de sortir de la gestion saisonnière de la politique d'hébergement, qui s'accompagne du développement des dispositifs de logements adaptés aux personnes en grande difficulté sociale. J'en viens à ma question, qui concerne la rénovation thermique : le taux du crédit d'impôt sera porté à 30 % pour toutes les dépenses éligibles, permettant d'accélérer et d'amplifier les travaux de rénovation énergétique. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'assiette des équipements concernés par le CITE ? Le gouvernement étudie-t-il la possibilité d'une avance des crédits ?

M. Gérard Bailly. - Je souhaite insister sur le nombre de logements vacants dans le monde rural, parce que les propriétaires ne louent pas pendant cinq ou dix ans. Je m'interroge par ailleurs sur la réactivité des directions départementales des territoires et l'information des pétitionnaires en cas de manque d'une pièce justificative. Sur le sujet de l'égalité des territoires, à la suite du débat en séance publique hier, ne serait-ce pas un signe fort de ne pas diminuer les dotations accordées aux communes rurales ?

M. Martial Bourquin. - Je voudrais vous féliciter pour votre budget, qui est en hausse pour la deuxième année consécutive avec un plan exceptionnel de mesures fiscales pour le logement. Nous avons connu une crise immobilière avec une bulle spéculative sans précédent, qui a engendré une crise économique elle-même inédite. Il nous faut construire une politique du logement sur de nouvelles bases et comprendre d'où viennent les blocages. Vous avez évoqué votre volonté de libérer du foncier : j'ai le cas dans ma commune d'un terrain de plusieurs hectares appartenant à Réseau Ferré de France (RFF), dont la vente achoppe du fait d'un débat sur le prix du mètre carré. Il faudrait pouvoir les obliger à conclure. Par ailleurs, il y a un vrai travail à effectuer pour diriger l'épargne vers l'industrie et le logement. Les mesures gouvernementales, dont la TVA à 5,5 %, constituent en l'espèce un incitatif puissant. Enfin, dans le registre de la simplification pour les communes rurales, passer d'une carte communale à un PLU se révèle complexe et coûteux - une simple étude environnementale suffirait.

Mme Valérie Létard. - Concernant l'Anah, nous avons en Nord-Pas-de-Calais donné des autorisations, instruit des dossiers qui vont consommer une grande partie de l'enveloppe pour 2015. Les sources de financement de l'Anah étant plurielles, si l'enveloppe globale se réduit, est-ce que la CNSA ou le plan d'avenir vont abonder ? Quelle sera ainsi l'enveloppe réelle de l'Anah sur 2015 ? Sur les garanties communales et communautaires, des mesures vont-elles être prises par le gouvernement pour sécuriser les collectivités territoriales qui rencontreraient des difficultés en raison de bailleurs fragilisés ? Quant à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile, la mission budgétaire liée au droit d'asile devrait être abondée en priorité ; un accompagnement spécifique des demandeurs d'asile est également nécessaire, le report sur les CHRS et l'hébergement de droit commun étant très insuffisant pour les publics en situation de fragilité. Enfin, est-ce que l'État et les outils de financement de l'APL permettront de couvrir cette prestation tout au long de l'année 2015 ?

Mme Annie Guillemot. - Je voudrais à mon tour saluer les efforts pour la deuxième année consécutive portés sur le budget du logement. La libération du foncier doit effectivement être une priorité. Ce n'est pas le gouvernement actuel qui a mis fin aux aides fiscales, dont le montant était supérieur aux aides à la pierre sans contrepartie sociale. Il y a aujourd'hui des logements vides dans certains départements, pour lesquels les investisseurs ne trouvent pas de locataires. Les normes dont on a hérité ne proviennent pas de la loi ALUR. Dans le deuxième plan national de rénovation urbaine, vous avez annoncé que les négociations avec Action Logement étaient en voie d'aboutissement, je voudrais attirer votre attention sur la prise en charge des copropriétés et de l'Anah dans le cadre des plans de sauvegarde. Un thème qui n'a pas été abordé aujourd'hui : celui de l'amiante, qui aura un impact sur le plan de renouvellement urbain et le financement de la réhabilitation de logements sociaux ou privés.

M. Gérard César. - Des opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) sont arrêtées par manque de financement de l'Anah. Les dossiers ont été instruits par le comité de pilotage, mais il n'y a plus de financement, c'est une opération « stop-and-go ». Je trouve dommage qu'il ne soit pas possible de continuer ces opérations, qui concernent des logements insalubres et vétustes. Ce ne sont pas les collectivités territoriales qui peuvent prendre le relai en l'absence de l'Anah. Des artisans attendent pour travailler, comment relancer ces opérations ?

M. Franck Montaugé. - Je salue la progression des crédits qui concernent l'habitat. Je voudrais attirer votre attention sur la question des quartiers anciens dégradés, notamment dans les villes moyennes possédant des coeurs historiques à caractère patrimonial, qui abritent des centaines de milliers d'appartements nécessitant des restructurations lourdes. Prévoyez-vous des dispositions et des financements à destination de ce potentiel de logements inexploités ?

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Madame la ministre, la loi ALUR a été longuement débattue dans notre assemblée. Le paradoxe aujourd'hui est que le gouvernement annonce des mesures d'allègement alors même que seuls 3 décrets sur les 200 attendus sur cette loi ont été publiés ; on est en train d'enlever les pierres avant même d'avoir achevé l'édifice. La loi ALUR, il faut le dire et j'assume cette responsabilité, est une catastrophe pour la construction et le marché immobilier, nous le vérifions dans nos territoires. Sur les PLU, je suis favorable à ce que les communautés de communes puissent disposer de documents d'urbanisme leur permettant d'assumer la compétence d'aménagement de l'espace sur leur territoire. Mais il y a dans le même temps une tentative forte de recentralisation par les services de l'État de la maîtrise de ces documents d'urbanisme, à un moment précis où l'État se désengage en confiant aux collectivités le soin d'instruire les dossiers - certificats d'urbanisme et permis de construire. Il y a trop d'exemples où les représentants des services de l'État guident la main des élus et imposent leur point de vue, ce n'est pas l'esprit des textes qui ont été votés. Sur les OPAH, je confirme ce qui a été dit : des opérations ont été engagées et les moyens nous manquent. S'agissant du plan de relance du logement intermédiaire, il a été dit que le dispositif serait opérationnel dès le 1er janvier 2015, qu'en est-il ? Concernant l'investissement immobilier, la France peut-elle faire des propositions dans le cadre du plan Juncker au niveau européen ? Ne pourrait-on pas envisager également que l'Europe apporte son soutien sur le sujet des populations migrantes ?

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Concernant les travaux de réhabilitation et de rénovation énergétique, je voudrais rappeler l'existence du CITE, réformé, bonifié au taux de 30 % et mis en oeuvre depuis le 1er septembre 2014. Dès ma prise de fonctions, j'ai souhaité simplifier l'éco-PTZ qui ne fonctionnait pas suffisamment bien en raison de la responsabilité donnée aux banques de certifier la réalité des travaux de rénovation énergétique. Nous avons transféré cette responsabilité vers les entreprises et artisans reconnus garants de l'environnement pour gagner en efficacité et réussir à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de rénovation énergétique.

Sur les travaux de rénovation énergétique - isolation, installation de chaudière à condensation par exemple -, le crédit d'impôt est accessible dès la première opération et non plus à partir d'un bouquet de travaux comme auparavant. Après le vote du projet de loi de finances, en 2015, le dispositif sera d'ailleurs élargi aux instruments intelligents de régulation de la consommation de l'énergie et aux bornes de recharge pour les voitures électriques.

S'agissant des DDT, j'ai donné aux préfets et aux directeurs départementaux des consignes précises pour que l'État soit un facilitateur de projets. Sur la demande de pièces qui pourraient être considérées comme abusives, le code prévoit le nombre et le type de pièces que l'administration peut demander, les délais pour la complétude étant fixés à un mois. Les problèmes proviennent souvent de procédures connexes, comme l'archéologie préventive ou les études d'impact environnementales.

Je veux redire ici que le Premier ministre a souhaité que la réforme de la DGF soit engagée ; deux parlementaires seront chargés d'une mission pour travailler sur cette réforme et réfléchir au rééquilibrage entre territoires ruraux et urbains.

Au sujet de la libération du foncier, j'ai souhaité que les préfets puissent saisir la CNAUF des dossiers sur lesquels des difficultés existent afin d'avoir un arbitrage de haut niveau pour débloquer des situations.

Concernant les communes qui voudraient changer de document d'urbanisme, il faut en effet veiller à ce qu'elles soient accompagnées par les services de l'État dans la rédaction de leur document d'urbanisme. En termes de simplification, je suis prête à examiner les propositions que vous avez formulées, afin de donner les outils nécessaires aux communes.

Le sujet de l'amiante est important, en ce qu'il engendre un surcoût dans les travaux de réhabilitation, évalué à 2,3 milliards d'euros rien que pour le logement social. Cette situation nécessite un plan interministériel sur les actions d'information, de formation, de recensement, d'animation interprofessionnelle à mettre en place par l'État ; sur la partie recherche et développement, il s'agit de diminuer les coûts d'extraction de l'amiante tout en protégeant les entreprises.

Le gouvernement entend poursuivre une politique volontariste pour accompagner et traiter les copropriétés en difficulté. Les agences de l'État, comme l'Anru ou l'Anah, permettent notamment de financer de telles opérations. Le décret sur Clichy-sur-Bois sera pris d'ici la fin de l'année ; nous pourrons alors disposer d'un retour d'expérience utile sur ce dispositif.

Sur l'application de la loi ALUR, il est caricatural de dire que cette loi est responsable de la crise du logement qui a débuté en 2008 alors que cette loi n'était pas votée. Il y a certaines mesures que nous devons regarder avec pragmatisme, parce qu'elles posent des difficultés d'application, comme la disposition relative aux transactions immobilières qui a créé un certain nombre de blocages. 200 mesures d'application sont à prendre pour cette loi, qui doivent être regroupées dans une centaine de décrets, en donnant la priorité aux mesures favorisant la construction et le pouvoir d'achat des ménages. Les mesures que nous présentons aujourd'hui en loi de finances visent à soutenir la production de logement social, tandis que la loi ALUR concernait davantage l'urbanisme et l'habitat indigne. Il faut sortir de ces postures pour regarder les choses avec pragmatisme.

S'agissant du logement intermédiaire, le gouvernement a annoncé le 29 août la construction sur plus de 30 000 logements en zones tendues sur les cinq prochaines années. A cette fin, l'État travaille avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) au projet suivant : l'État investirait environ 1 milliard d'euros à travers la souscription à un fonds et la CDC renforcerait les fonds propres de la SNI pour 900 millions d'euros, permettant la construction de 12 000 logements intermédiaires par sa filiale.

Quant au plan d'investissement européen, j'ai soumis quatre projets pour orienter ce plan de 300 milliards d'euros : aider au financement de 30 000 logements intermédiaires avec l'État et la CDC ; compléter les financements de l'Anah pour la rénovation énergétique ; aider à la rénovation des logements sociaux ; financer de grandes opérations d'aménagement d'intérêt national.

Les OPAH sont des dispositifs contractualisés localement qui font principalement appel aux financements de l'Anah pour les aides aux travaux, les collectivités mettant surtout en place l'ingénierie. Ce sont des opérations prioritaires pour l'allocation des moyens de l'Anah.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Madame la ministre, j'ai été un peu surpris que vous utilisiez le qualificatif de « caricatural » s'agissant des propos que j'ai tenus. En 2012, Alain Fauconnier, notre ancien collègue, avait fait un rapport sur le logement. Son intention était de démontrer que le gouvernement de l'époque n'avait pas tenu toutes ses promesses. Pourtant, 420 000 chantiers avaient été ouverts en 2011, bien que la crise ait commencé en 2008 ; aujourd'hui, ce chiffre est de 300 000. Que la loi ALUR ne soit pas entièrement responsable, je veux bien l'admettre, mais tout le monde s'accorde à dire qu'elle a eu des effets particulièrement négatifs. Madame la ministre, merci en tout cas d'être venue devant notre commission.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous en venons à l'examen du rapport sur la mission « agriculture, forêt et affaires rurales » (MAAFAR) et le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » (CASDAR) du projet de loi de finances pour 2015, qui est présenté par les trois co-rapporteurs, Gérard César, Frédérique Espagnac et Jean-Jacques Lasserre.

M. Gérard César, rapporteur. - Nous allons en effet rapporter à trois voix en nous répartissant le travail. Pour ma part, je me suis intéressé aux grands équilibres des moyens publics consacrés à l'agriculture, à la dégradation de la conjoncture agricole depuis quelques mois. Je me suis également intéressé au traitement particulièrement sévère infligé dans ce projet de loi de finances pour 2015 aux chambres d'agriculture. Enfin, j'ai plus particulièrement examiné les crédits du programme 154 et du programme 215.

Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit des crédits en baisse sensible pour la MAAFAR : plus de 260 millions d'euros de baisse en crédits de paiement soit 8,3 % de moins que les propositions de crédits pour 2014. Avec 2,94 milliards d'euros inscrits, nous passons pour la première fois sous la barre des 3 milliards. La progression de 3,8 % en autorisations d'engagement (AE) résulte simplement d'un effet d'optique, du fait de l'inscription sur la seule année 2015 de l'ensemble de l'enveloppe budgétaire quinquennale des mesures agroenvironnementales climatiques (MAEC) et des aides à l'agriculture biologique.

Certes, cette baisse doit être relativisée lorsque l'on compare les crédits budgétaires destinés à l'agriculture à l'ensemble du champ des soutiens à l'agriculture :

Le ministère de l'agriculture gère une enveloppe consacrée à l'enseignement supérieur et à la recherche agricole ainsi qu'une enveloppe consacrée à l'enseignement technique agricole, qui représentent à elles deux plus d'1,7 milliards d'euros, en hausse de 3,3 % par rapport à 2014.

Les crédits de la PAC représentent 9 milliards d'euros - plus de 7,5 au titre du premier pilier et presque 1,5 au titre du deuxième pilier.

Le régime de protection sociale agricole distribue 19 milliards d'euros au titre des prestations maladie, vieillesse ou des prestations familiales.

Si les estimations sont imprécises, les collectivités territoriales contribuent, elles aussi, à hauteur d'environ 1 milliard d'euros.

Les dispositifs fiscaux favorables à l'agriculture et à la forêt - réduction de la taxe sur les carburants, exonération d'impôt sur les sociétés pour les coopératives, exonération de part communale de taxe foncière - sont évalués dans le projet de loi de finances à plus de 2,5 milliards d'euros.

Enfin, ce sont environ 740 millions d'euros de baisses de charges pour les entreprises du secteur agricole et agroalimentaire qui sont attendus avec la mise en oeuvre du pacte de responsabilité.

On ne saurait donc réduire l'analyse des moyens alloués à l'agriculture par la collectivité aux seuls crédits budgétaires de la MAAFAR. Reste que ces crédits connaissent une baisse historique, et cela interpelle nécessairement, dans un contexte préoccupant de dégradation de la conjoncture agricole.

Certaines productions ne sont jamais vraiment sorties de la crise, comme l'élevage bovin allaitant, qui reste une des activités les moins rémunératrices. Les grandes cultures ont connu trois bonnes années, mais la baisse des prix et une récolte de qualité moyenne cet été ont terni le paysage. Les productions animales spécialisées, porc, et volaille restent extrêmement fragiles, en lien avec la fragilité du secteur de la transformation industrielle et en particulier des abattoirs. Les producteurs de lait doivent se préparer avec angoisse à la fin des quotas laitiers dans quelques mois, avec une menace de baisse des prix. Dans le secteur des fruits et légumes, l'embargo russe suite à la crise ukrainienne a fragilisé les acteurs du marché et continue à inquiéter. Dans l'ensemble des secteurs, même ceux qui se portent globalement bien comme la viticulture, nul n'est à l'abri d'aléas climatiques ou d'évènements sanitaires qui peuvent détériorer d'un coup les conditions de production.

Dans un contexte d'atonie du pouvoir d'achat des ménages, les agriculteurs restent dans un dialogue déséquilibré avec l'aval des filières, en particulier la grande distribution, et risquent fort d'être la variable d'ajustement des arbitrages économiques du consommateur.

A ce contexte économique s'ajoute un contexte financier préoccupant pour l'agriculture : le soutien aux secteurs fragilisés par l'embargo russe a quasiment vidé la réserve de crise de l'Union européenne au sein du budget de la PAC : sur les 430 millions d'euros disponibles il n'en reste plus que 88 ! Pour reconstituer des marges de manoeuvre, la Commission européenne envisage de faire jouer les mécanismes de discipline financière en baissant les paiements directs aux agriculteurs. C'est leur faire payer deux fois l'embargo. Une négociation est en cours, mais rien ne dit que la position française l'emportera.

Un autre risque réside dans la progression des refus d'apurement communautaire. D'un niveau faible ces dernières années - 64 millions d'euros en 2012, 41 millions d'euros en 2013 - les refus d'apurement devraient monter à 427 millions d'euros en 2014. Une contestation de la manière de calculer les aides à la surface pour les agriculteurs dans le cadre du premier pilier, pourrait d'après le rapport de la Cour des comptes de mai dernier, conduire à un refus d'apurement supplémentaire de 1,4 milliard d'euros. Le ministère de l'agriculture mobilise 150 personnes pour travailler sur le calcul des surfaces éligibles aux droits à paiement pour éviter une telle perspective. Il est évident qu'un refus d'apurement d'une telle ampleur sera impossible à gérer par redéploiement de crédits au sein de la MAAFAR, comme cela est pratiqué habituellement.

Le Gouvernement fait le choix en 2015 de mettre les organismes consulaires à contribution, en prélevant sur la trésorerie des chambres de commerce et d'industrie, mais aussi des chambres d'agriculture. Les Agences de l'eau sont également ponctionnées, ce qui pourra poser problème pour l'exercice de leurs missions. Il est possible de comprendre une telle logique : l'état des finances publiques est tel qu'il convient de ne pas laisser dormir des « bas de laine » dans les organismes publics. Mais les modalités du prélèvement des 45 millions d'euros que représente l'excédent de fonds de roulement des chambres ne sont pas satisfaisantes. Certaines chambres ont épargné pour investir. Elles ne pourront plus le faire. La date du 1er juillet 2014 retenue pour calculer les investissements qui sont déduits du fonds de roulement ne permet pas de prendre en compte toutes les actions projetées.

Par ailleurs, la ponction sur le fonds de roulement se double d'une baisse de la taxe pour frais des chambres de 15 millions chaque année pendant trois ans, ce qui représente l'équivalent de 300 emplois de techniciens. Une telle réduction des moyens des chambres est incompréhensible. En effet, les représentants des chambres sont des élus et les chambres assurent des services indispensables au monde agricole. Le monde agricole, par la voix de ses représentants, demande quasiment unanimement le maintien de la taxe pour frais à hauteur de 297 millions d'euros en 2015, comme en 2014. L'économie de 15 millions représente à peine 50 centimes par hectare de terre, répartis par moitié entre propriétaire et exploitant. Mettre en danger les chambres et tout le tissu de l'accompagnement des agriculteurs sur le territoire pour une telle économie constitue un mauvais calcul. C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs vous proposeront des amendements modifiant les articles 15 et 18 du projet de loi de finances.

Le programme 154, principal programme de la mission, avec 1,42 milliards d'euros en crédits de paiement, soit presque la moitié du total des crédits de la mission, porte les principaux dispositifs d'intervention économique en faveur du monde agricole ... mais aussi l'essentiel des baisses de crédits : plus de 210 millions d'euros.

Sur l'installation, les enveloppes sont globalement préservées en prenant en compte un taux de cofinancement européen plus élevé depuis cette année. Ainsi, les crédits de paiement sur la dotation jeunes agriculteurs passent de 40,5 à 20,7 millions d'euros, mais avec une contrepartie européenne qui augmente. L'enveloppe pour les prêts bonifiés aux jeunes agriculteurs se maintient à 22 millions d'euros en autorisations d'engagement et 63 millions d'euros en crédits de paiement. L'enveloppe des stages à l'installation dans le cadre du plan de professionnalisation personnalisé est cependant divisée par deux à 2,5 millions d'euros en autorisations d'engagement. Après la disparition il y a quelques années des crédits de soutien aux Associations départementales pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (Adasea), les crédits d'accompagnement se raréfient encore. Enfin, le fonds d'incitation et de communication à l'installation en agriculture (FICIA) n'est plus doté en crédits budgétaires cette année. Les documents budgétaires indiquent que le produit de la taxe sur la cession de terres agricoles rendues constructibles, estimé à 12 millions d'euros, remplacera les 11,5 millions de crédits quoi existaient jusqu'à 2014. Mais cela ressemble à un tour de passe-passe car le produit de la taxe devait déjà servir depuis son instauration à soutenir l'installation des jeunes agriculteurs.

Sur la modernisation des exploitations et l'intervention en faveur des filières, il faudra espérer faire mieux avec moins en 2015. Les aides à l'export ou à l'agroalimentaire se maintiennent respectivement à 10 et 5,5 millions d'euros : ces montants restent modestes. L'enveloppe de crédits en faveur de l'agriculture ultramarine, et en particulier des filières sucre et banane, est en très légère diminution, à hauteur de presque 122 millions d'euros en crédits de paiement. La dotation de FranceAgrimer est fortement réduite à 25 millions d'euros, contre 87 millions proposés en 2014. La baisse est en partie compensée par une hausse de 18 millions d'euros prise sur le CASDAR et 34 millions d'euros provenant du programme des investissements d'avenir (PIA). Cela contraint FranceAgrimer à couper des pans entiers de son activité, notamment à arrêter les actions de promotion, qui représentaient 17 à 18 millions d'euros en 2014, et relèveront désormais exclusivement des interprofessions. Les crédits de modernisation, qui par le passé servaient à financer le plan de modernisation des bâtiments d'élevage, sont stables à un peu moins de 45 millions d'euros, et un effet de levier est attendu grâce à des cofinancements européens sur le deuxième pilier et des collectivités territoriales. Ces crédits doivent participer au plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE), annoncé à 200 millions d'euros par an. Une montée en charge du dispositif est prévue avec 56 millions d'euros inscrits en autorisation d'engagement.

Sur la gestion des risques, les crédits de crise - fonds d'allègement des charges et Agridiff - restent à un niveau très bas, la pratique étant de n'ouvrir des crédits en cours d'année que si des crises surviennent effectivement. De la même manière le fonds des calamités agricoles (FNGRA) n'est pas doté en 2015. Il encaisse 147 millions d'euros par an de taxe sur les conventions d'assurance, ce qui suffit à assurer son fonds de caisse. Avec une ligne budgétaire de 24,3 millions d'euros, contre un 19,3 millions d'euros en 2014, le soutien à l'assurance récolte paraît suffisant sur le papier. Mais la pratique a montré que l'enveloppe communautaire et nationale de presque 100 millions d'euros n'était pas à la hauteur du besoin. Les agriculteurs, en conséquence, ne bénéficient pas d'un subventionnement effectif à hauteur de 65 % de la prime d'assurance. C'est pourquoi un amendement est présenté pour augmenter légèrement cette enveloppe, afin de ne pas donner de signe négatif, à la vieille de la réforme de l'assurance en agriculture, le ministre ayant annoncé pour la mi-2015 la mise en place du contrat-socle.

Le programme 154 porte aussi l'ambition agroenvironnementale, ce qui se traduit pour 2015 par une explosion des autorisations d'engagement en matière de nouvelles mesures agro-environnementales et d'aides à l'agriculture biologique puisque 304 millions d'euros sont inscrits, contre 64 en 2014. Mais cette progression résulte d'un effet d'optique, avec une inscription de l'enveloppe totale pour 5 ans, alors que les crédits de paiement ne représentent que 66 millions d'euros, soit autant que les mesures agroenvironnementales régionales et que la mesure agroenvironnementale rotationnelle en 2014.

Enfin, le programme 154 enregistre la suppression des crédits pour les contrats vendange, ce qui est regrettable. Certes, une partie de la baisse de l'enveloppe destinée à compenser auprès de la mutualité sociale agricole (MSA) les exonérations de cotisations pour les travailleurs occasionnels, qui passe de 473 à 418 millions d'euros s'explique par des raisons techniques : la prise en compte de l'exonération de cotisations familiales dans le cadre du pacte de responsabilités, et la fin du bénéfice de la mesure pour les entreprises de travaux agricoles ou forestiers, qui bénéficient par ailleurs du CICE. Mais 17 millions sur cette enveloppe résultent de la fin des avantages du contrat vendange, ce qui est dangereux pour le monde viticole. Un amendement propose de rétablir à l'article 47 du projet de loi de finances l'exonération totale de cotisations salariales pour le contrat vendanges.

Le programme 215, qui porte les moyens de fonctionnement du ministère de l'agriculture, et en particulier les rémunérations et cotisations sociales des agents des services centraux et déconcentrés, ainsi que les crédits pris sur le programme 154 destinés à supporter les dépenses de fonctionnement des opérateurs du ministère, comme l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE), FranceAgrimer, ou l'Agence de services et de paiement (ASP) n'appellent pas de remarques majeures. Il faut noter que les réductions de crédits sont désormais moins lourdes, certains opérateurs comme l'ASP ou encore l'IFCE, qui étaient en situation délicate, faisant l'objet de rebasages budgétaires bienvenus. Le plafond d'emploi du ministère sur le programme 215 baisse de seulement 176 emplois, pour s'établir désormais à 8 762 équivalents temps plein. Il faut saluer l'effort en matière de crédits informatiques, qui devrait permettre d'accélérer le passage aux procédures électroniques, qui permettent de contenir le coût de gestion des différents dispositifs d'aide, notamment de la PAC.

Au final, j'émets ainsi en ma qualité de rapporteur un avis de sagesse sur les crédits de la MAAFAR et du CASDAR.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure. - C'est la première fois que je suis amenée à présenter devant notre commission les crédits de la MAFFAR, en me concentrant exclusivement sur le programme 206 qui porte sur la « sécurité et la qualité sanitaires de l'alimentation ».

Comme le remarquaient vos rapporteurs dans les précédents rapports budgétaires de la commission, la sécurité sanitaire des produits agricoles et alimentaires constitue une impérieuse nécessité pour l'ensemble des acteurs de la filière car toute suspicion fait que le consommateur se détourne massivement des produits douteux, entraînant un effondrement économique pour les producteurs : cela a été constaté pour le concombre en juin 2011, ou encore pour les lasagnes et produits transformés à base de boeuf lors de la crise de la viande de cheval début 2013.

La France bénéficie plutôt d'un haut niveau de sécurité sanitaire des produits agricoles et alimentaires. Mais, ce constat n'est pas sans nuances. En février dernier, la Cour des comptes, dans son rapport annuel, a porté un jugement sévère sur l'insuffisance des contrôles du ministère de l'agriculture sur la période 2009-2012. La Cour constatait que les établissements de remise directe n'étaient susceptibles de recevoir la visite des services de l'État qu'en moyenne tous les 10 à 12 ans, dans la mesure où seulement 7 % d'entre eux sont contrôlés chaque année. La Cour déplorait également l'insuffisance des contrôles sur les denrées provenant d'importations d'autres pays de l'Union européenne. La Cour critiquait enfin le fait que les non-conformités constatées lors des contrôles étaient rarement sanctionnées.

Dans le même temps, l'Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV), placé auprès de la direction générale « Santé et consommation » de la Commission européenne, avait mené à la mi-2013 un audit dans les abattoirs de volaille en France, montrant de graves lacunes en matière d'hygiène, de respect du bien-être animal et de graves non-conformités au niveau des inspections ante mortem et post mortem des animaux. Le risque était après une telle inspection de voir le commerce de viande de volaille remis en cause, avec l'interdiction de délivrer des certificats pour les opérateurs concernés.

A ces insuffisances dans le dispositif national de sécurité alimentaire, il existe une cause commune : la forte réduction des moyens humains consacrés à cette mission. La révision générale des politiques publiques (RGPP) a conduit entre 2007 et 2012 à la suppression de pas moins de 620 postes dans les services vétérinaires. Cela ne pouvait être sans conséquence. Dans le même temps, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargée de coopérer sur le terrain avec les agents du ministère de l'agriculture, au sein des directions départementales de la protection de la population (DDPP), a connu une saignée de ses effectifs, comme en témoigne l'analyse des crédits de la mission « Économie ».

Il faut donc inverser la tendance. Cette inversion avait déjà été entamée lors des précédents budgets : le budget pour 2013 avait divisé par deux la baisse prévue des effectifs des services vétérinaires ; le budget 2014 avait sanctuarisé ces effectifs. Le budget 2015 va plus loin puisqu'il prévoit la création de 60 postes pour le contrôle dans les abattoirs de volaille, ce qui se traduit par une remontée du plafond d'emploi en année pleine sur le programme 206 de 20 ETP.

Au final, les crédits du projet de loi de finances pour 2015 sont quasiment identiques à ceux de 2014, à 501 millions d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, contre 505 millions d'euros en 2014.

Plus de la moitié du budget, soit 285 millions d'euros, est constitué des salaires et cotisations sociales des personnels du ministère de l'agriculture, avec un peu plus de 4 500 équivalents temps plein (ETP), auxquels il faut ajouter un peu plus de 200 agents des services centraux, direction générale de l'alimentation (DGAL), brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), qui sont pris en charge sur le programme 215 consacré à la conduite et au pilotage de la politique agricole.

La comparaison poste à poste du budget 2015 avec le budget 2014 du programme 206 est difficile, dans la mesure où la maquette budgétaire interne au programme a été refondue. On peut noter avec satisfaction le maintien de quelques enveloppes tout à fait indispensables : dans le domaine de la prévention et de la gestion des risques inhérents à la production végétale, une ligne budgétaire d'un peu plus de 22 millions d'euros est conservée, dont la moitié est déléguée aux fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (FREDON), qui organisent les inspections et gèrent les foyers de maladies végétales. En outre, 2 millions d'euros sont inscrits de nouveau pour financer le plan écoantibio, qui vise à réduire de moitié d'ici 2020 l'utilisation des antibiotiques d'importance critique en élevage. La loi d'avenir pour l'agriculture a mis en place des mesures contraignantes pour lutter contre l'antibiorésistance provenant de la consommation d'antibiotiques dans les élevages. C'est un sujet majeur de santé publique. L'État poursuit dans le budget 2015 l'accompagnement du plan écoantibio, sachant que la France est pionnière en la matière et qu'une réduction de consommation d'antibiotiques vétérinaires de 12 % a déjà été observée en trois ans. D'importants crédits, de plus de 30 millions d'euros, sont conservés pour indemniser les éleveurs forcés d'abattre les troupeaux par mesure de précaution.

Quelques marges de manoeuvres sont apparues sur le programme 206, permettant d'inscrire moins de crédits sur certains postes : la quasi-disparition du risque en matière d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) - avec 5 cas en 2010, 3 en 2011, 1 en 2012, 2 en 2013 et aucun jusqu'à présent en 2014 - permet d'alléger le dispositif en mettant fin aux tests systématiques en abattoirs sur animaux sains. Une économie de 6,9 millions d'euros est ainsi réalisée. Les crédits consacrés à la gestion des autres maladies animales (hors ESB) sont également réduits de 6,4 millions d'euros, pour tenir compte des coûts réellement constatés les années précédentes.

Ces marges permettent de renforcer d'autres lignes budgétaires : les coûts des visites sanitaires obligatoires dans les élevages étaient systématiquement sous-évalués : le budget 2015 corrige le tir en inscrivant 14,3 millions d'euros contre 11,1 millions d'euros en 2014. L'objectif du ministère est de renforcer les visites sanitaires dans les élevages porcins, mesure qui coûte à elle seule 1,3 à 1,7 millions d'euros : en tout état de cause, cela coûte moins cher que de devoir faire des prélèvements systématiques en abattoirs pour recherche des trichines. En outre, 1 million d'euros en plus est dégagé pour des dépenses informatiques afin d'améliorer le système d'information de la DGAL, essentiel à la bonne marche du dispositif de surveillance sanitaire. Les crédits destinés à l'équarrissage sont eux aussi augmentés pour faire face aux besoins criants en la matière dans les outre-mer, en particulier en Martinique. Enfin, les moyens de la BNEVP sont renforcés, l'idée étant de doubler les effectifs de la brigade en trois ans.

La subvention pour charge de service public provenant du programme 206 est quasiment identique pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) en 2015 à celle de 2014, à hauteur de 63 millions d'euros. Les contributions des autres ministères s'établissent à 31 millions d'euros, ce qui porte le total des subventions à 94 millions d'euros sur un budget total de l'Anses d'environ 130 millions d'euros. La loi d'avenir pour l'agriculture a attribué à l'Anses une mission supplémentaire consistant, au-delà de l'évaluation des risques en matière de produits phytopharmaceutiques, à délivrer les autorisations de mise sur le marché pour ces produits. Cela se traduit budgétairement par le transfert de 10 postes du programme 215 vers le programme 206. L'Anses a pu compter jusqu'à présent sur l'augmentation assez dynamique de recettes provenant de taxes affectées. Mais elle était bloquée dans sa capacité à utiliser ces crédits en recrutant des personnels hors plafond d'emploi, pour faire face à des pics ponctuels d'activité. Le projet de loi de finances pour 2015 lève ce verrou et permettra à l'agence, qui vient d'effectuer son emménagement dans ses nouveaux locaux, à côté du site de l'école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, d'accélérer la réalisation des évaluations, en particulier dans le domaine des phytopharmaceutiques. Cette rapidité d'exécution est une des conditions de maintien de sa crédibilité comme organisme d'expertise de référence.

Cette agence constitue en effet un fleuron reconnu en Europe de l'évaluation des risques. Il convient donc de lui donner les dotations nécessaires pour rester un établissement d'excellence. Les perspectives d'extension de ses prérogatives, dans le domaine de la phytopharmacovigilance, des produits biocides, ou encore de la toxicovigilance, nécessiteront sans doute de lui attribuer des ressources supplémentaires dans les prochains budgets, soit sous forme de taxe affectée, soit sous forme de rebasage budgétaire.

Dépenser à peine un demi-milliard d'euros pour assurer un niveau élevé de sécurité sanitaire de l'alimentation n'est au final « pas cher payé ». D'autant plus qu'une partie du coût des contrôles est pris en charge par les opérateurs économiques eux-mêmes. Par exemple, l'État encaisse chaque année près de 50 millions d'euros au titre de la taxe d'abattage payée par les industriels. La Cour des comptes a relevé que le coût des contrôles pourrait être encore plus supporté par les acteurs économiques, comme par exemple dans le domaine du contrôle des importations de produits alimentaires.

Des crédits bien plus élevés seraient nécessaires en cas d'épidémie animale avérée : 12 milliards d'euros pour la fièvre aphteuse au Royaume-Uni en 2001, 2 milliards d'euros pour la peste porcine aux Pays-Bas en 1997-1998. Plus d'un milliard d'euros pour la fièvre catarrhale ovine (FCO) en France entre l'apparition de la maladie en 2006 et le retour de la France au statut « indemne » fin 2012. La logique de prévention et de réponse rapide aux crises émergentes est donc vertueuse d'un point de vue budgétaire. Le choix politique exprimé dans ce budget pour 2015 de ne pas désarmer notre appareil de sécurité sanitaire en matière de produits agricoles et alimentaires doit donc être salué.

J'émets ainsi en ma qualité de rapporteure, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission : « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et des crédits du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».

M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur. - Mon rapport porte sur les crédits du programme 149 consacré à la forêt, ainsi que ceux du CASDAR.

Avec près de 16 millions d'hectares soit 30 % de la surface de la France hexagonale, la forêt joue un rôle essentiel dans notre paysage. Elle joue aussi un rôle économique important dans les territoires, avec 450 000 emplois liés au bois et à la forêt, une production d'un peu moins de 36 millions de m3 de bois toutes essences confondues et un chiffre d'affaires de la filière forêt/bois d'environ 60 milliards d'euros par an. Or, la forêt française souffre de deux maux : d'abord une exploitation qui reste insuffisante, ensuite une faiblesse majeure à l'aval de la filière, dans la transformation : en témoigne le déficit de notre balance extérieure, de l'ordre de 5,6 milliards d'euros par an. Le développement des outils industriels de transformation et de valorisation du bois constitue un axe majeur pour la filière bois, qui nécessite des investissements importants.

En outre, les tempêtes de 1999 et 2009 ont perturbé le bon fonctionnement de la production forestière. Le nettoyage des parcelles et les nouvelles plantations ont pesé lourd sur le plan budgétaire, avec des crédits en faveur de la forêt qui ont pu atteindre plus de 400 millions d'euros dans le budget 2003 et environ 370 millions d'euros en 2010.

Rien de tel dans le budget 2014 : le programme 149 descend à son étiage le plus bas depuis plus de dix ans en passant nettement sous la barre des 300 millions d'euros : la baisse en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement est de l'ordre de 12 %. Il n'y a plus que 279 millions d'euros en autorisations d'engagement, contre 320 en 2014 et 291 en 2013, et 297 millions d'euros en crédits de paiement, contre 338 en 2014 et 315 en 2013.

Au-delà des chiffres, le programme sur la forêt appelle trois remarques. Tout d'abord, la subvention à l'Office national des forêts (ONF) représente les deux tiers des crédits du programme avec 194 millions d'euros inscrits pour 2015. C'est 22 millions d'euros de moins qu'en 2014. La légère amélioration de la situation financière de l'Office en 2014, qui devrait équilibrer son budget en charges et produits à 840 millions d'euros, lui permet de supporter un tel effort, et d'éviter de demander celui-ci aux communes forestières, qui en refusaient fermement la perspective, après avoir déjà été mises à contribution les années précédentes. Pour autant, l'Office reste fragile. Il a perdu 20 % de ses effectifs en 15 ans et compte désormais environ 9 000 agents. L'ONF reste un acteur majeur et bien structuré de la mobilisation du bois qu'il ne faudrait pas désespérer, alors que des efforts considérables ont été entrepris dans le cadre du contrat d'objectifs et de performances (COP) pour 2012-2016. Une grande vigilance est donc nécessaire dans la négociation du nouveau COP, car toute réduction supplémentaire des effectifs se traduirait nécessairement par des coupes dans le maillage territorial.

La baisse des crédits forestiers s'explique aussi par une économie ponctuelle, consistant à ne pas doter en 2015 le Centre national de la propriété forestière (CNPF), alors qu'une subvention de 16 millions d'euros avait été inscrite en 2014. Il est demandé au CNPF de vivre en 2015 sur sa trésorerie, qui est, il est vrai, abondante, puisqu'elle représente 7 mois de fonctionnement. Cependant, il existe un réel risque de mettre en difficulté le CNPF, à l'heure où ses techniciens sont appelés à accroître la mobilisation du bois en forêt privée. Le Gouvernement prend ici un réel risque pour la politique forestière.

Enfin, si les autres lignes de crédit du programme, comme la restauration des terrains de montagne, défense des forêts contre l'incendie, ou le nettoyage suite à la tempête Klaus sont stables en 2015 par rapport à 2014, une dernière inquiétude concerne le fonds stratégique de la forêt et du bois. Innovation du budget 2014, ce fonds est appelé à favoriser l'investissement de la filière bois, pour accompagner sa montée en gamme. Or, ses crédits baissent dès cette année, de 21,6 millions d'euros à 18,9 millions d'euros en crédits de paiement. D'autres ressources doivent venir abonder le fond : la taxe additionnelle sur le foncier non bâti qui finance actuellement les plans pluriannuels régionaux de développement forestier (PPRDF) pour 3,8 millions d'euros, ainsi que la nouvelle taxe de défrichement pour 18 millions d'euros. Mais cela semble insuffisant : d'abord parce que la taxe additionnelle, qui était perçue par les chambres d'agriculture, doit continuer à être utilisée pour animer les PPRDF, faute de quoi tout le travail autour de la forêt lancé par les chambres restera lettre morte. Ensuite parce que la taxe de défrichement montera probablement en puissance très progressivement. Nous sommes en tout état de cause loin des 150 millions d'euros par an que les professionnels du bois estiment nécessaires pour disposer d'un fonds stratégique puissant.

Concernant le CASDAR, des innovations sont enregistrées en 2015. Ce compte est aujourd'hui alimenté par 85 % du produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles. L'article 25 du projet de loi de finances prévoit d'affecter la totalité du produit de la taxe au CASDAR, soit une recette de 22 millions d'euros supplémentaires. Après une forte hausse des recettes en 2014 de 115 à 125,5 millions d'euros provenant d'une meilleure conjoncture agricole que prévue, la recette totale pour 2015 grimpe à 147,5 millions d'euros, un record historique.

Les dépenses du CASDAR sont réparties en deux programmes : le programme 775 finance la politique d'orientation et de soutien des structures chargées du conseil et de l'appui technique aux agriculteurs : les chambres d'agriculture, les coopératives agricoles, les organismes chargés de la sélection génétique des animaux d'élevage et certains organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR). Sa dotation passe de 57 millions d'euros en 2014 à 70,5 millions d'euros en 2015. Le programme 776 « Recherche appliquée et innovation en agriculture » finance pour sa part les actions de recherche des instituts techniques agricoles (ITA) relevant du réseau de de l'association de coordination technique agricole (ACTA) et les appels à projets de recherche. Après une augmentation de presque 13 millions d'euros en 2014, le programme enregistre une nouvelle hausse de crédits de 9 millions d'euros en 2015 pour s'établir à presque 77 millions d'euros. Nous pourrions nous réjouir d'une telle progression. Pourtant, la progression des moyens pour le CASDAR est largement en trompe-l'oeil, car l'essentiel de la hausse sert à compenser la perte de crédits budgétaires en provenance du programme 154 pour FranceAgrimer : une ligne nouvelle de 10 millions d'euros permettra à FranceAgrimer de mener des programmes d'assistance technique au profit des agriculteurs ; et le programme d'expérimentation de FranceAgrimer est majoré de 8 millions d'euros, avec une enveloppe de 18 millions d'euros.

Au final, l'augmentation réelle des moyens du CASDAR est limitée : 1,6 millions d'euros de plus pour le programme de développement des organismes nationaux à vocation agricole et rurale, 1 million d'euros de plus pour les appels à projet, notamment en faveur de l'agro-écologie, et un nouveau programme régionalisé d'animation pour l'agriculture biologique doté de 2,1 millions d'euros. Il n'est pas certain que cela suffise à atteindre l'objectif de 50 % d'exploitations en agro-écologie d'ici 5 ans, comme le souhaite le ministre de l'agriculture.

Le financement sur ressources du CASDAR et non plus sur crédits budgétaires est plus fragile, puisqu'en cas de dégradation de la conjoncture, les recettes baissent et les dépenses devront être réduites à due concurrence. Le produit du CASDAR est meilleur quand les années sont bonnes. Quand ce n'est pas le cas, il faut imaginer des solutions de remplacement. En outre, FranceAgrimer perd en souplesse d'utilisation de ses crédits d'intervention, puisque l'établissement devra respecter les critères du CASDAR et n'aura pas la libre disposition des fonds. L'augmentation des crédits du CASDAR est donc réelle, mais limitée. En tout état de cause, il convient de rester vigilant sur le niveau réel des recettes qui seront encaissées en 2015.

Les conditions d'application en France de la directive nitrates font naître des inquiétudes importantes chez les agriculteurs, en particulier les éleveurs.

Certes, la France a été condamnée au niveau européen pour mauvaise application de la directive nitrates, et les pénalités pour manquement sont importantes. Cela justifie de rechercher une meilleure application de la directive nitrates, mais en étant raisonnables :

Je considère que le nouveau zonage est trop extensif : en fixant le seuil à 18 mg/litre d'eau, chiffre qui n'a pas de base scientifique sérieuse, et en imposant une application des plans d'action au niveau des communes, 3 900 communes et 63 000 exploitations supplémentaires sont concernées, particulièrement en Midi-Pyrénées, Centre, Limousin et Pays-de-la-Loire.

Les mesures du plan d'action sont également trop contraignantes : construire des dizaines de milliers de dalles de béton en pleine campagne pour stocker du lisier constitue-t-il un progrès environnemental ? Probablement pas. Le ministre de l'agriculture a indiqué en audition qu'il faudrait obtenir des assouplissements, comme par exemple la possibilité de stocker du fumier pailleux au champ ou encore d'épandre sur des surfaces en pente de plus de 5 %, dès lors qu'il n'y a pas de cours d'eau en contrebas. Espérons que de telles mesures seront acceptées à Bruxelles.

La réforme de la PAC est sensée favoriser l'élevage, qui est, il est vrai, le maillon le plus fragile de la ferme France. Il serait scandaleux que la directive nitrate vienne décourager les éleveurs, en particulier dans les zones intermédiaires, alors même que les modalités d'application de la nouvelle PAC annoncées l'année dernière à Cournon par le Président de la République visent précisément à favoriser l'élevage, notamment à travers une fusion de l'indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN) et de l'ancienne prime herbagère agro-environnementale (PHAE) dans une ICHN majorée de 15 % en 2014 et de 70 € par hectare en moyenne en 2015.

Il restera à être vigilants lorsque le zonage de l'ICHN devra être redéfini à partir de 2018, pour ne pas risquer de voir les zones intermédiaires privées de cette aide indispensable.

J'émets ainsi en ma qualité de rapporteur un avis de sagesse à l'adoption des crédits de la mission : « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et des crédits du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».

Je souhaite en outre que plusieurs amendements soient adoptés, en particulier un amendement prolongeant de 2014 à 2017 le crédit d'impôt en faveur du maintien de l'agriculture biologique. De même, les amendements déposés concernant les chambres d'agriculture doivent être adoptés pour éviter que celles-ci subissent une ponction trop forte sur leurs ressources. L'amendement majorant les crédits sur l'assurance-récolte n'est pas anecdotique car il s'agit d'un sujet fondamental pour les agriculteurs, qui ne s'assurent pas car l'assurance est considérée comme trop chère.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pendant des années, nous avons considéré que le seuil en matière de nitrates était de 50 mg/litre d'eau. Pourquoi ce seuil est-il abaissé à 18 mg/litre d'eau. Résulte-t-il de normes européennes ?

M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur. - Ce seuil est fixé en référence à des études scientifiques mais qui sont fragiles. En Europe, la réglementation ne cesse de nous rattraper. Certains seuils sont inaccessibles, il serait temps de s'en rendre compte.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - D'autres pays sont-ils pénalisés par un tel seuil ?

M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur. - Je n'ai pas d'informations sur ce point. Mais des comparaisons sont nécessaires.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous sommes soucieux de la santé, mais la baisse des seuils doit avoir un sens pour être acceptable.

M. Yannick Botrel, rapporteur spécial de la commission des finances. - L'analyse des crédits en faveur de l'agriculture dans le projet de loi de finances est largement partagée par la commission des finances. Les crédits de la mission sont en baisse mais avec des compensations sur crédits européens, notamment pour les jeunes agriculteurs. Au final, les moyens en faveur des agriculteurs sont à peu près maintenus.

Il existe des risques contentieux entre la France et l'Union européenne sur certains dispositifs. Le ministère de l'agriculture travaille à limiter les refus d'apurements. Il faut remarquer que les dossiers contestés sont anciens et portent sur les exercices 2006 à 2009. Les plans de campagne contestés sont encore plus anciens. En Bretagne, certaines coopératives sont concernées. Sur le dossier des compléments de paiement sur la réserve nationale afin de compenser les pertes de revenu agricole ou encore sur celui des attributions de droits à paiement aux nouveaux exploitant, la France a eu tort de « jouer la montre », car les intérêts de retard sont bien supérieurs aux sommes initialement réclamées par la Commission européenne en 2005-2006.

Le président de la République s'est engagé l'année dernière, à Cournon, à donner des moyens supplémentaires à l'élevage. L'engagement est tenu. Cependant, il conviendrait de m'éclairer sur la question de l'abaissement des seuils en matière de nitrates, dont je n'ai pas entendu parler en Bretagne. Or, ma région est particulièrement concernée. Des simplifications sont intervenues d'ailleurs, car cette région ne connaîtra plus qu'un seul statut au regard de l'application de la directive nitrates : celui de zone d'action renforcée. La profession est plutôt rassurée, notamment car l'obligation de traitement n'interviendra plus qu'à partir d'une production de 20 000 unités d'azote dans l'exploitation. Cela sera plus cohérent. Et cela met un terme à la pratique consistant à s'échanger pour environ 5 euros l'unité d'azote, sur un marché parallèle, qui pénalisait les jeunes installés qui ont besoin de produire. Avec 112 à 120 unités produites par vache, l'économie est considérable.

M. Gérard Bailly. - Je souscris à la plupart des remarques des rapporteurs. La conjoncture est dégradée : les petits veaux se vendent 30 à 40 euros. Le prix de la viande est faible. Les perspectives sont mauvaises pour le lait. Je suis choqué par les prélèvements sur les chambres d'agriculture. Elles devront licencier. Or, nous avons besoin de techniciens dans les exploitations. Les Agences de l'eau sont aussi prélevées, alors que les taxes qu'elles perçoivent avaient été fortement augmentées ces dernières années. Le Gouvernement récupère ainsi une part de cette taxation supplémentaire. La fusion entre ICHN et PHAE doit être examinée avec la plus grande vigilance, exploitation par exploitation. Le budget de l'agriculture comprend des crédits en faveur des grands prédateurs, ce qui constitue une dépense inutile. Il vaut mieux des techniciens pour préserver les exploitations agricoles plutôt que pour préserver les lynx, qui attaquent les moutons. On installe des panneaux au bord des routes demandant aux automobilistes de ralentir pour ne pas écraser les prédateurs, c'est de l'argent gaspillé. Je suis solidaire avec les propos des rapporteurs sur les zones vulnérables ou encore sur le contrat vendanges, et je m'élève contre la diminution des aides à l'agroalimentaire, qui a perdu 44 000 emplois en 10 ans. La grande distribution veut des prix bas, ce qui se répercute sur les industriels et ensuite sur les agriculteurs. Ne va-t-on pas assister dans l'agroalimentaire à la même crise que dans les autres segments industriels sur la dernière décennie ? Les maires n'acceptent pas de payer plus cher pour l'ONF si les agents ne sont plus sur le terrain.

M. Roland Courteau. - Suite à l'orage de grêle qui a ravagé 15 000 hectares dans l'Aude en juillet dernier, j'apprécie que 2,5 millions d'euros aient été débloqués par la mutualité sociale agricole de l'Aude pour exonérer les viticulteurs de charges. La fin des avantages du contrat vendanges est une mauvaise nouvelle. Dans l'Aude, cela ne sera pas compensé par le CICE car 70 % des viticulteurs sont imposés au régime du forfait agricole. En outre, on risque de rencontrer des problèmes de pénurie de main d'oeuvre pour assurer les vendanges. Je m'inquiète également de la réforme en cours du forfait agricole : les cotisations auprès de la MSA vont augmenter fortement. Les revenus agricoles augmenteront faiblement mais cette augmentation privera beaucoup de viticulteurs d'avantages annexes dont ils bénéficient en étant non imposables. En outre, les pluriactifs, qui mettent en valeur 20 % du vignoble dans mon département, cesseront probablement toute exploitation, afin de ne pas subir de hausse de charges. Les conséquences risquent d'être l'abandon de terres agricoles, qui seront des terres en friche. Une concertation avec la profession me semble nécessaire avant que la réforme soit adoptée. Enfin, je souhaite une évolution de la réglementation européenne, pour permettre aux viticulteurs d'enrichir les vins avec du saccharose, peu onéreux, plutôt qu'avec des moûts concentrés, beaucoup plus chers.

M. Daniel Gremillet. - Les chambres d'agriculture ne vendent rien : leurs techniciens sont indispensables sur le territoire car ils assurent le conseil indépendant, qui permettra notamment d'atteindre l'objectif de 50 % d'exploitations dans l'agro-écologie en 2020. Le prélèvement du fonds de roulement des chambres est scandaleux, car les comptes des chambres ne permettent pas d'inscrire des provisions pour investissement. Celles qui ont constitué des réserves pour investir vont se voir privées de cette perspective. Le plan de modernisation des exploitations est une bonne chose, mais il faut un guichet unique et une certaine harmonisation entre régions dans sa mise en oeuvre. Sur le plan sanitaire, l'ambition de réduction des antibiotiques va dans le bon sens. Mais la France ne peut pas toujours vouloir faire plus que nos voisins, sinon, les agriculteurs français seront économiquement pénalisés par des distorsions de concurrence. Il faut imposer les mêmes objectifs à nos partenaires. Le CASDAR est alimenté par l'argent des agriculteurs. Il est scandaleux d'utiliser ces ressources supplémentaires pour compenser des baisses de crédits budgétaires. La conjoncture est mal orientée en lait ou encore en céréales, ce qui va assécher les ressources du CASDAR. Concernant les nitrates, il faut une expertise pour s'assurer que la France n'est pas victime, là encore, de distorsions de concurrence. La norme des 18 mg/litre n'est acceptable que si elle est fondée scientifiquement, ce qui n'est pas le cas. Concernant la forêt, le fonds stratégique est alimenté par du recyclage d'argent qui vient des territoires, notamment les centimes forestiers qui allaient auparavant aux chambres d'agriculture. Même avec ce montage, les ressources sont insuffisantes. Or, la forêt recèle un potentiel fantastique. L'exploitation de la biomasse constitue un gisement d'emplois. Enfin, l'enjeu alimentaire est considéré comme stratégique par tous les pays du monde et la France est en train de désarmer sur ce sujet, ce qui est regrettable.

M. Henri Cabanel. - Le contrat vendanges n'est pas supprimé dans le projet de loi de finances : les étudiants et retraités pourront continuer à faire les vendanges. Rapportée à l'heure de travail, la cotisation ne représentera que quelques centimes d'euros, que le viticulteur pourra payer s'il souhaite fidéliser ses travailleurs saisonniers. Il était en outre nécessaire de se mettre en conformité avec la jurisprudence constitutionnelle, suite à une saisine des parlementaires de l'UMP. Les chambres d'agriculture devront faire des économies, et optimiser leur organisation, pour continuer à rendre service aux agriculteurs.

La hausse des crédits de la recherche et de l'enseignement agricole est très positive, avec une revalorisation des bourses, des créations de postes d'enseignement et d'auxiliaires de vie scolaire. Les moyens de l'installation, avec 5 millions de plus sur la DJA, sont renforcés. Par ailleurs, je suis satisfait par la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) sur les coopératives agricoles, qui va leur redonner de la compétitivité dès 2015. Ce secteur, qui emploie 163 000 salariés, est riche en emplois non délocalisables.

M. Joël Labbé. - J'exprime une certaine satisfaction en voyant que le budget traduit les priorités de la loi d'avenir pour l'agriculture : en augmentant les crédits à l'agro-écologie, en constatant que les crédits du CASDAR ou encore de l'Agence Bio progressent. Les crédits à l'installation sont aussi renforcés. Concernant la directive nitrates, on a été dans le déni trop longtemps et nous payons aujourd'hui l'excès de concentration de notre agriculture. La lutte contre les organismes nuisibles, en particulier contre le frelon asiatique, me préoccupe. La question devient nationale. Il faut classer le frelon asiatique comme danger de première catégorie, et la lutte doit être financée par des crédits d'État suffisants.

M. Michel Magras. - Lors de la discussion du budget de l'outre-mer, nous étions satisfaits du maintien des crédits. Or, il me semble que les crédits en faveur de l'outre-mer dans le budget agricole diminuent sur la filière canne, et la filière banane. Pourrait-on avoir des précisions ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Le fonds stratégique est un outil majeur pour redynamiser la politique forestière. Mais il faut des ressources : à quand un redéploiement des crédits carbone vers ce fonds ? Il faut aussi assurer le renouvellement du patrimoine forestier. Enfin, je souhaite qu'on ne confonde pas les bonnes pratiques forestières de gestion durable et les opérations d'aménagement, qui sont deux choses différentes.

M. Serge Larcher. - Je rappelle que 6 millions d'euros ont été rétablis lors de la discussion des crédits à l'Assemblée nationale pour soutenir, dans le projet de loi de finances, la filière canne à sucre et la filière banane.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Les chambres d'agriculture outre-mer sont épargnées par le prélèvement sur fonds de roulement. Nous allons maintenant examiner les amendements.

M. Gérard César, rapporteur. - Avec mes collègues rapporteurs, nous souhaitons vous présenter onze amendements, dont sept sont cosignés par les trois co-rapporteurs et les autres par Jean-Jacques Lasserre et moi-même.

L'amendement créant un article additionnel avant l'article 6 quinquies vise à prolonger jusqu'en 2017 le crédit d'impôt au maintien de l'agriculture biologique.

Ce crédit avait été prolongé en 2012 mais le plafond de ce crédit d'impôt avait été ramené à 2 500 €. L'amendement propose une nouvelle prolongation jusqu'en 2017.

Il est adopté

L'amendement à l'article 8 corrige une fausse bonne idée introduite par les députés. Dans le but de supprimer les taxes à faible rendement, la rapporteure générale a proposé de supprimé le droit réduit de 125 € pour l'enregistrement des cessions de fonds agricoles. Or, cette suppression a une conséquence : faire repasser ces cessions au régime de droit commun, avec des droits de 3 % entre 23 000 et 200 000 euros et des droits de 5 % au-delà. L'amendement revient au droit existant.

Il est adopté

L'amendement portant sur l'alinéa 8 de l'article 15 prévoit l'affectation de la totalité du produit de la taxe sur la cession de terrains agricoles rendus constructibles au fonds destiné à l'accompagnement de l'installation. En effet, cette taxe avait vocation à revenir à l'agriculture. Le plafond de 12 millions d'euros fait que le surplus va au budget de l'État. Ce n'est pas acceptable. L'amendement attribue la totalité du produit de la taxe à l'agriculture.

Il est adopté

Plusieurs amendements aux articles 15 et 18 concernent la taxe pour frais des chambres d'agriculture. Ils ne sont signés que par M. Jean-Jacques Lasserre et moi-même :

L'amendement supprimant l'alinéa 12 de l'article 18 permet aux chambres de conserver la totalité du produit de la taxe pour frais, et de ne pas subir une baisse de recettes de 15 millions d'euros, ce qui constituerait une ponction insupportable. En conséquence, l'amendement à l'article 15 rétablit le plafond de taxe à 297 millions d'euros et non 282 millions.

Ils sont adoptés.

L'amendement à l'alinéa 15 de l'article 18 maintient le principe du prélèvement sur fonds de roulement des chambres d'agriculture, mais permet de prendre en compte dans le calcul les investissements programmés par les chambres sur l'ensemble de l'année 2014 et de tenir en considération la question de leur situation de trésorerie. La ponction doit se faire dans la justice et le bon sens.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure. - Je demande à être associée à cet amendement, que je soutiens et cosigne.

Il est adopté.

M. Gérard César, rapporteur. - L'amendement à l'alinéa 9 de l'article 18 ne remet pas en cause le principe d'une péréquation des ressources entre chambres d'agriculture, mais demande à ce que le taux de péréquation fixé par décret soit décidé après avis de l'APCA.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure. - Cet amendement n'est pas nécessaire.

Il n'est pas adopté.

M. Gérard César, rapporteur. - L'amendement sur les crédits inscrits à l'article 32 état B, est symbolique, pour soutenir l'assurance-récolte : il remonte la dotation de 2 millions d'euros pour permettre de subventionner tous les contrats d'assurance à hauteur de 65 %, afin que le soutien soit vraiment intéressant. La rallonge de 5 millions d'euros figurant dans le projet de loi de finances pour 2015 nous paraît encore insuffisante par rapport aux besoins, qui sont de 105 millions d'euros en 2014. Ces 2 millions d'euros sont compensés sur les crédits de fonctionnement du ministère de l'agriculture, au programme 215.

Il est adopté.

L'amendement à l'article 42 vise à exonérer de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) les installations de stockage des méthaniseurs agricoles, comme cela existe pour les silos, hangars agricoles etc.... Si l'on souhaite encourager la méthanisation à la ferme, il ne faut pas pénaliser l'investissement dans toute l'infrastructure qui doit exister autour du méthaniseur.

Il est adopté.

L'amendement à l'article 47, cosigné par Jean-Jacques Lasserre et moi-même, rétablit les exonérations de charges salariales pour les contrats vendange. L'amendement portant article additionnel après l'article 47 reprend une idée émise l'année dernière par votre commission : ne pas pénaliser la déduction pour aléas (DPA) en retenant un taux d'actualisation plus favorable à l'agriculteur-épargnant des sommes devant être réintroduites dans le revenu si elles ne sont utilisées pendant 7 ans. La DPA ne constitue pas un dispositif d'optimisation fiscale mais une réserve de précaution en cas de coup dur.

La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission «Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

Loi de finances pour 2015 - Examen des amendements aux articles de la première partie

La commission examine les amendements aux articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2015.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mes chers collègues, notre commission examinera la semaine prochaine les rapports pour avis budgétaires sur les missions « Économie » et « Égalité des territoires et logement » du projet de loi de finances pour 2015. Le délai limite de dépôt des amendements sur la première partie du texte étant fixé au jeudi 20 novembre à 11 heures, nous devons nous prononcer aujourd'hui sur les amendements proposés par les rapporteurs pour avis sur ces deux missions.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Le premier amendement que je vous présente introduit un article additionnel après l'article 4 pour compléter et diversifier les modes d'intervention des bailleurs sociaux et des investisseurs institutionnels dans le secteur du logement intermédiaire. Il s'agit d'étendre l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) aux opérations d'usufruit locatif intermédiaire qui respectent les conditions mentionnées à l'article 279-0 bis A du code général des impôts (implantation du logement en zone tendue, respect de plafond de ressources pour les locataires, intégration du logement dans un ensemble immobilier comprenant au moins 25 % de logements sociaux).

Le second amendement introduit également un article additionnel après l'article 4, et précise que la cession de l'usufruit de logements à un organisme d'habitation à loyer modéré (HLM) ou à une société d'économie mixte (SEM) ne relève pas du régime d'imposition des revenus fonciers, à la suite d'une disposition introduite par la loi de finances rectificative pour 2012 pour lutter contre les montages abusifs visant à convertir des revenus fonciers en plus-values immobilières et qui affectait par ricochet la prorogation d'usufruits locatifs sociaux.

Les deux amendements sont adoptés.

Mme Élisabeth Lamure. - L'amendement que je vous propose modifie l'article 15 et porte sur le montant de la baisse de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TACVAE). Tout en prenant acte du nécessaire effort financier demandé aux chambres de commerce et d'industrie (CCI), il me paraît souhaitable de retenir un chiffre plus raisonnable, à savoir une baisse de 69 millions d'euros du plafond de TACVAE pour 2015. Cet amendement s'inspire d'ailleurs des recommandations du rapport de Jean Claude Lenoir et Claude Bérit-Débat de juillet 2014, qui appelait à une « trajectoire réaliste » des ressources des CCI.

L'amendement est adopté.

Audition de M. Jean Tirole, Prix 2014 de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel

La commission entend M. Jean Tirole, Prix 2014 de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel.

La réunion est ouverteà 14 heures 35.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je voudrais remercier M. Jean Tirole d'avoir accepté de répondre à l'invitation que je lui ai adressée, une fois connu le prix qui lui a été décerné. M. Tirole fait à la commission des affaires économiques un très grand honneur en étant présent parmi nous aujourd'hui.

Monsieur Tirole, vous étiez déjà hier au Sénat, où vous participiez à l'émission de M. Jean-Pierre Elkabbach, « Bibliothèque Médicis », qui sera diffusée à partir de vendredi prochain. L'émission, que j'ai vue en direct, m'a mis en appétit !

L'année 2014 aura été décidément riche pour la France, deux prix Nobel ayant été décernés à deux de nos compatriotes. Pour ce qui vous concerne, cette récompense vient consacrer votre travail d'économiste au sein de la prestigieuse Toulouse school of economics (TSE), dont vous êtes le président.

Avant de revenir sur vos travaux ainsi consacrés, j'insiste en préambule sur le succès de la formule universitaire qui se trouve de la sorte reconnue. Votre école d'économie peut être qualifiée de troisième voie, conciliant à la fois le meilleur des grandes écoles, et le meilleur de l'université. Il pourrait sans doute être intéressant d'y réfléchir pour d'autres filières - mais nous l'évoquerons certainement tout à l'heure.

Je reviens un instant sur vos travaux. Il est difficile de les résumer. Une phrase revient souvent dans les gazettes qui ont parlé du prix Nobel de l'économie. On dit que vous êtes reconnu comme le fondateur de l'économie industrielle, et que votre apport théorique est majeur s'agissant des politiques de régulation. Vous avez ainsi appliqué la théorie des jeux à la régulation et aux oligopoles, en insistant sur la nécessité d'une régulation au cas par cas, s'adaptant au secteur d'activité concerné. Vos travaux ont été particulièrement utiles dans le secteur des télécommunications et de la banque.

Aujourd'hui, il est un secteur où l'on parle beaucoup de régulation, c'est celui d'Internet, avec Google, Microsoft, Amazon. Vos recommandations nous seront fort utiles pour mettre fin aux abus de positions dominantes qui ont été constatés.

Plus généralement, et pour me référer à l'actualité, vous apparaissez comme un homme qui recommande des réformes, mais aussi des réformes d'urgence. Ce n'est pas une idée nouvelle chez vous : je me souviens de votre contribution, avec M. Olivier Blanchard, à un rapport qui remonte à plus de dix ans, concernant les contrats de travail et les effets pervers des CDD et des CDI.

Vous aviez, à l'époque, établi des recommandations. J'étais alors député, et j'avais été particulièrement intéressé par votre brillante démonstration, au terme de laquelle vous proposiez de fusionner les contrats de travail, sujet toujours d'actualité !

Vous ne le direz pas, mais j'imagine que vous devez regretter que les hommes politiques vous écoutent avec beaucoup de politesse, mais ne mettent jamais en oeuvre vos recommandations, que vous formulez pourtant avec une très grande insistance.

Cette introduction de vos travaux et de votre personnalité nous permettra d'orienter l'échange que nous allons avoir. En premier lieu, pourquoi, selon vous, avez-vous été choisi comme prix Nobel 2014 de l'économie ?

M. Jean Tirole. - Merci pour votre invitation. Je suis très honoré d'être parmi vous aujourd'hui.

Vous commencez par la question la plus difficile : j'ai été moi-même étonné le jour où j'ai reçu le coup de téléphone de Stockholm m'annonçant que j'avais reçu ce prix.

Je représente un courant fort bien représenté à Toulouse, et plus généralement dans le monde, de personnes qui ont étudié l'économie industrielle et le nouveau rôle de l'État. L'État, ce n'est plus l'État producteur, comme autrefois, mais une sorte d'arbitre qui fait respecter les règles du jeu, qui veille à ce qu'il n'y ait pas trop de défaillances de marché, et qui s'intéresse au bien-être économique général.

Pour ce faire, nous avons tous utilisé des modèles et réalisé en quelque sorte un travail d'ingénieur, en essayant de capturer l'essence du problème, et en étudiant ce secteur particulier. Nous essayons d'apporter des solutions en termes d'interventions publiques, tout en sachant qu'un modèle demeure un modèle, et qu'il faut essayer de le tester avec des données, si possible en maniant la statistique, éventuellement dans un laboratoire, afin d'observer les comportements des personnes. Nous tentons ensuite d'établir des recommandations de politique économique si possible robustes. C'est là ce qu'on appelle la nouvelle économie industrielle.

Il s'agit d'une combinaison du droit de la concurrence, qui consiste à essayer de comprendre les comportements nocifs pour la société, le droit des fusions - quand doit-on accepter la fusion de deux entreprises ? - et toutes sortes de comportements de ce type, ainsi que la régulation.

La régulation concerne d'abord la régulation des industries de réseaux -télécommunications, chemins de fer, électricité - où l'on rencontre des problèmes de concurrence « normaux ». Il existe en effet des goulets d'étranglement : la France ne peut compter cinq réseaux électriques, ou cinq réseaux de chemins de fer. C'est totalement impossible. Il existe donc des situations assez naturelles de monopole, ce qui pose des problèmes de concurrence. C'est une partie du travail que nous réalisons, à Toulouse en particulier.

Avec Jean-Jacques Laffont, dans les années 1980, nous avions tenté de comprendre ce qu'il allait adevenir de secteurs comme les télécommunications, l'électricité, etc., à la fois en termes d'incitation des entreprises du monde entier, dont certaines n'étaient guère efficaces et très coûteuses pour la collectivité, et en termes d'introduction de la concurrence sur les segments où celle-ci pouvait exister.

Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive des défaillances de marché. Il en existe d'autres. Dans le domaine de l'environnement, nous allons laisser à nos enfants une dette climatique gigantesque. Il convient de prendre des mesures assez rapidement, en espérant que la COP 21 à Paris ne connaîtra pas le même sort que les conférences de Copenhague, de Kyoto, ou les précédentes, et adoptera non des voeux pieux, mais des engagements contraignants.

Les économistes se sont bien évidemment penchés depuis bien longtemps sur les questions d'environnement et sur la façon de réguler la pollution, sans imposer un coût trop élevé aux entreprises. Comment, par exemple, limiter le coût pour les entreprises de la lutte contre l'émission des gaz à effet de serre ? Si l'on n'y parvient pas, le programme ne sera pas crédible, et l'on n'arrivera jamais à combattre les gaz à effet de serre.

Vous avez par ailleurs, monsieur le président, évoqué la question des banques et la facture qu'elles peuvent laisser au contribuable. Il s'agit en effet de les réguler correctement.

Ces travaux ont été menés par les économistes depuis une trentaine d'années. C'est ce que l'on appelle la nouvelle économie industrielle. Je ne suis qu'un des nombreux chercheurs à avoir travaillé sur ce sujet. J'ai eu la chance de recevoir le prix Nobel, mais il s'agit d'un courant que l'on retrouve dans le monde entier. On a beaucoup développé cette recherche à Toulouse ; il existe toutefois, dans le monde entier, un courant de recherches associé à ce domaine. Le document de 52 pages qui accompagne le prix Nobel décrit les raisons pour lesquelles j'ai obtenu ce prix - ou, plutôt, pourquoi notre collectivité a reçu le prix Nobel, ce qui est plus exact.

Le fait que ce document reconnaisse que nous effectuons de la recherche fondamentale, et que celle-ci comporte beaucoup d'applications, m'a procuré un vif plaisir.

On dissocie souvent la recherche fondamentale et ses applications ; or, nos recherches ont eu un écho important sur les autorités de régulation, sur les autorités de la concurrence, à Bruxelles, à Washington, à Paris et ailleurs, dans les banques centrales. Cette nomination démontre donc qu'il n'existe pas d'antagonisme entre la recherche fondamentale et les applications qui peuvent en découler pour la société.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?

M. Jean Tirole. - Je peux citer des exemples récents. Prenons celui de la propriété intellectuelle, sujet très important pour l'avenir de nos sociétés. Le XXIe siècle étant le siècle de la connaissance, un certain nombre d'emplois vont se créer à partir de la propriété intellectuelle. Celle-ci a généré des débats importants. Beaucoup de brevets ont été décernés par les offices de brevets - souvent trop - et, lorsqu'on veut implémenter une technologie, on est tenu d'enfreindre ou de posséder des licences - vingt, trente, quarante - détenues par différentes entreprises.

Si sept ou huit entreprises détiennent des brevets, on doit signer des contrats de licence avec elles pour implémenter une technologie. Ces entreprises bénéficient ainsi d'un « droit de péage », qui coûte extrêmement cher et peut menacer la diffusion de ladite technologie.

Ce n'est pas nouveau : on connaît ce phénomène depuis le Moyen Âge. Toutes les rivières, qu'il s'agisse du Rhin, ou de l'Elbe, comportaient à l'époque des péages ; le coût total de la navigation était très élevé. Au XIVe siècle, le Rhin comptait 64 péages !

Cette situation n'est bonne pour personne, ni pour les utilisateurs, ni pour ceux qui perçoivent les taxes. Dans le cas d'une technologie, cela limite sa diffusion.

On a donc imaginé de recourir au pool de brevets, solution énormément utilisée avant 1945. Techniquement, les sept ou huit détenteurs de brevets s'associent et accordent aux utilisateurs une licence pour le package des vingt ou trente brevets qu'elles possèdent, permettant ainsi de diminuer les prix. Ce modèle était usité dans pratiquement tous les secteurs avant 1945, comme celui de la haute technologie. À l'époque, il s'agissait de l'aviation, de la télévision, de l'automobile, des chemins de fer et de la chimie. Tous ces secteurs étaient organisés autour des pools de brevets, les détenteurs de brevets octroyant des licences de façon collective. En 1945, la Cour suprême américaine a décidé de ne plus autoriser les pools de brevets qui, s'ils pouvaient être utilisés à bon escient, pouvaient également l'être à mauvais escient, en réunissant par exemple deux brevets pour éliminer toute concurrence, et faire ainsi monter les prix.

Cette situation a perduré durant tout le restant du XXe siècle. C'est ainsi que l'on a connu des problèmes considérables en matière de diffusion des technologies, en biotechnologie, dans le domaine des logiciels, etc.

Nous avons donc mené une recherche théorique pour tenter de comprendre comment filtrer les bons pools de brevets, qui font baisser les prix, et éviter les mauvais, qui font monter les prix. Nous avons proposé des règles très simples, qui n'exigent pas d'information ; ces règles ont été adoptées en 2004 et en 2014 par la Commission européenne.

Les résultats des recherches que nous avons menées à Toulouse ont été publiés dans les meilleures revues internationales. Assez vite - un an plus tard - les solutions que nous préconisions ont été adoptées par la Commission européenne. Elles peuvent parfois l'être dix ans plus tard, voire jamais, c'est le plus souvent le cas. Il existe cependant un grand nombre de pools de brevets. C'est grâce à cela que vous pouvez posséder des smartphones, grâce aux algorithmes de compression qui recourent à ces pools de brevets.

Les cartes de crédits que nous possédons tous constituent également un modèle biface assez intéressant : il consiste à attirer les deux pôles d'un marché. Le problème, pour les fournisseurs de cartes - Visa, Mastercard, Carte Bleue -, est de toucher à la fois les personnes susceptibles de détenir leur produit et les commerçants. Un modèle qui repose sur le même principe que Google a donc été développé : la carte de paiement est très bon marché - à l'étranger, elle est souvent gratuite et l'on peut même recevoir des miles ou des bonus. Inversement, les commerçants paient et sont, de ce fait, généralement mécontents.

Cela pose la question de savoir si ce système permet de pratiquer de bonnes « commissions commerçants » - diffusion des cartes, coût facturé aux commerçants, etc. Nous avons donc à nouveau mené des recherches à Toulouse et arrêté un critère afin de déterminer les bonnes « commissions commerçants ».

Il s'agit d'un critère théorique, qui nécessite de mener ensuite un travail empirique pour en mesurer l'effet ; ce critère est maintenant le critère officiel de la Commission européenne pour réguler Visa et Mastercard.

Nous avons publié nos résultats dans les revues internationales ; la connaissance s'est diffusée peu à peu, et nos résultats ont été utilisés. Nous menons donc une recherche fondamentale, en essayant de réfléchir sereinement ; le pas de temps demeure très élevé. Au bout d'un moment, avec de la chance, ces recherches sont parfois appliquées.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - J'y faisais allusion tout à l'heure : on ne parle que de réformes depuis quelques années. Sans vous conduire sur un terrain que vous n'avez pas choisi, quelles sont les recommandations principales que vous feriez à un gouvernement - quel qu'il soit -qui souhaiterait, au XXIsiècle, se réformer, être concurrentiel, bénéficier du plein-emploi, satisfaire les requêtes des citoyens et assurer le bonheur des peuples ?

M. Jean Tirole. - C'est une question très compliquée. Il existe tout d'abord des problèmes globaux. Je citais l'environnement : les gaz à effet de serre constituent un problème mondial, que ce soit en France, en Chine ou ailleurs : une tonne de CO2, c'est une tonne de CO2, point final !

Lutter contre le gaz à effet de serre n'est pas un problème économique. On sait très bien le faire ! C'est un problème politique. Les théoriciens, mais aussi les économistes appliqués, ont démontré que la meilleure façon de lutter contre les gaz à effet de serre - ou tout autre polluant -, consiste à proposer un prix du carbone, sans trop intervenir, faute d'informations, sur la façon dont on réalise les économies. En pratique, cela se fait grâce aux droits d'émission négociables... On pourra discuter de ce sujet, car il comporte des problèmes techniques intéressants. J'avais d'ailleurs écrit un rapport pour le compte du Conseil d'analyse économique (CAE) au sujet de Copenhague, où je m'étais montré assez pessimiste...

Ainsi que je le disais, on sait comment faire : les États-Unis, en 1990, sont parvenus à un accord bipartisan sur le dioxyde de soufre (SO2) pour diminuer la pollution de moitié, ce qui est énorme ! C'est effectivement ce qui s'est passé. On a mis en place, pour ce faire, un système de droits d'émission négociables, qui a limité le coût de l'opération pour les entreprises. Si l'on accorde en effet à certains le droit de ne pas réduire leurs émissions, alors que cela ne leur coûterait qu'un euro par tonne, on ne peut exiger d'autres qu'ils réduisent leurs émissions si cela leur revient à 100 euros par tonne ! On gâche des ressources, et l'on ne réduit pas la pollution, alors qu'on pourrait le faire beaucoup plus au même coût.

Tous les économistes sont à peu près d'accord sur le fait qu'il faut fixer un prix du carbone mondial. Si la France fait des efforts - ce que je souhaite -, ceux-ci n'ont qu'un impact très faible. De fait, la production polluante française se fera en Chine ou ailleurs, dans les pays où n'existera aucun prix du carbone. On ne réduit pas forcément la pollution en adoptant des attitudes vertueuses.

Il s'agit donc d'une question d'accord mondial contraignant. Jusqu'ici, chaque pays, à Kyoto ou Copenhague, promettait de réduire sa production de gaz à effet de serre d'ici 2050. C'est une promesse gratuite, qui ne coûte rien, mais qui n'engage non plus à rien ! Ce qu'il faut, ce sont des accords contraignants. On pourra entrer davantage dans le détail. J'ai pour ma part une vision assez claire de ce qu'il faut faire...

Ce n'est pas un problème économique. On sait exactement comment faire. Le directeur de la TSE, à Toulouse, a participé à de nombreuses reprises au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). La question est de savoir comment faire en sorte que tout le monde se réunisse autour de la table et décide d'arrêter ce carnage, car on risque de laisser à nos enfants un monde abominable ! Il s'agit d'une responsabilité collective, à l'échelon mondial...

M. Jean-Claude Lenoir, président. - La parole est aux commissaires.

Mme Élisabeth Lamure. - Nous sommes très honorés de votre visite. Merci pour vos propos très clairs et très concrets.

On dit que les Français sont de très mauvais élèves en économie ; je ne suis pas loin de le croire. Or, aujourd'hui, l'économie est présente dans notre vie quotidienne, surtout depuis qu'elle est mondialisée et qu'elle prend toutes sortes de formes - circulaire, solidaire, industrielle. Ne pensez-vous pas que cette matière devrait être très présente dans les programmes scolaires ?

En second lieu, en matière d'activité économique, un certain nombre de handicaps pèsent sur la France : poids des normes, lourdeur administrative, importance des prélèvements obligatoires. Pensez-vous que nous ayons atteint, voire dépassé le seuil de tolérance ? Le taux de 57 % des dépenses publiques par rapport au PIB vous paraît-il supportable ?

M. Jean Tirole. - Ce sont des questions difficiles. S'agissant de l'enseignement de l'économie, je ne suis pas spécialiste du secondaire, mais davantage de l'université. Je pense que l'on doit faire de gros efforts pour enseigner l'économie, y compris à l'université. Il faut que l'économie devienne plus concrète. Il est important de la traiter sérieusement dans les universités, mais il faut aussi parler du monde réel en même temps qu'on enseigne les techniques.

Très souvent, dans les universités ou les grandes écoles, la plupart des personnes qui apprennent l'économie ne sont pas de futurs doctorants ou de futurs professeurs d'économie.

J'ai travaillé durant sept ans comme professeur au Massachusetts institute of technology (MIT) ; tous les jeunes ingénieurs y prenaient un cours d'économie - et de la très bonne économie - avec Paul Samuelson ou d'autres. Ils en ressortaient avec des notions importantes. Il ne s'agissait pas seulement de mathématiques. Ce n'était pas difficile : quand on est ingénieur du MIT, on est très fort en mathématiques. Il est très aisé de ne faire de l'économie qu'avec des mathématiques, mais il est important de se référer à des éléments concrets.

Beaucoup de critiques ont été émises à propos de l'enseignement secondaire. Il faut l'améliorer. D'une façon générale, il faut améliorer la culture économique en France. Elle est faible dans le monde entier, et franchement mauvaise en France ! Parfois, c'est de la responsabilité des professeurs. La qualité des professeurs d'université a augmenté ; il faut également que l'on fasse des efforts pour mieux enseigner.

L'économie française a toujours été très administrée. Autrefois, en cas de problèmes de concurrence, on appelait le ministre, je caricature. Aujourd'hui, les choses sont totalement différentes. Il faut se rendre à Bruxelles - ou même à Paris, auprès des autorités de la concurrence - et employer des arguments économiques. Les relations ne servent plus à grand-chose. Il en va de même des banques centrales, que ce soit à Francfort, à Paris, ou ailleurs. Le débat, dans les banques centrales, est aujourd'hui un débat économique. Il faut donc que notre pays soit à ce niveau. Nous avons tous une responsabilité collective dans le fait de faire passer des messages économiques : politiques, professeurs, chercheurs, journalistes...

S'agissant de la lourdeur administrative, on doit pouvoir choisir le modèle que l'on veut. En France, on a retenu un modèle social. J'y suis personnellement favorable, mais modèle social ne signifie pas administration pléthorique, ni prélèvements très élevés : la qualité doit aussi correspondre !

Je m'inquiète un peu : la France reçoit certes des médailles Fields, et nos normaliens et polytechniciens occupent toujours une place remarquable dans le classement des mathématiques, mais ce qui m'intéresse, c'est le lycéen moyen français. Or, nous ne sommes pas brillants dans les classements internationaux. Les médailles Fields, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Il ne faut pas non plus compter sur les prix Nobel. Ce qui compte, c'est ce qu'il y a derrière. C'est bien plus important !

Il faut des soins de qualité, des enseignements de qualité, il faut rétablir l'ascenseur social, qui a disparu des grandes écoles, il faut bien le reconnaître.

Le service public français doit être un service de qualité. Nous y sommes tous très attachés, mais il faut parvenir à le rendre soutenable. Pour cela, il va falloir mener des réformes.

Je prendrai l'exemple de quatre pays, l'Allemagne, la Suède l'Australie, et le Canada. Ce sont des pays attachés au service public, en particulier les pays scandinaves. Tous ont des composantes communes : ils ont tous gardé leur modèle social, en menant des réformes, en ayant un État plus léger. Ils l'ont tous fait alors qu'ils connaissaient des difficultés. L'Allemagne, en 2003-2004, avait du mal à absorber la réunification. La Suède l'a fait juste après la crise de 1991, de même que le Canada ou l'Australie.

Second point commun : toutes les réformes ont été menées par les socialistes, et la droite, quand elle est revenue au pouvoir, les a conservées. Une réforme doit s'inscrire dans la durée. Une réforme importante que l'on mène pendant deux ans ne sert pas à grand-chose. Un accord bipartisan minimal est nécessaire. Il est important de comprendre que l'on se trouve face à un défi national. Si l'on veut conserver notre modèle social et nos retraites, il va falloir alléger le poids de l'État, tout en conservant les mêmes résultats. Un accord bipartisan est nécessaire pour mener à bien ces réformes.

Des pays comme la Suède, le Canada, ou l'Australie ont fort bien démontré que l'on pouvait réaliser ces réformes, et diminuer énormément le poids du public, tout en gardant les mêmes services. C'est un message très fort que ces pays nous envoient. Il ne faut pas attendre, car la dette est massive. On parle toujours de la dette publique officielle, mais il ne faut pas oublier la dette hors bilan, les retraites, etc.

Pour l'instant, on s'en tire bien, et j'espère que cela va continuer. Il convient de prendre conscience du fait que, lorsque les choses se dégradent - et elles se dégradent lentement en France - on est à la merci d'une attaque spéculative des marchés. Cela devient alors auto-réalisateur.

Le risque d'une attaque spéculative, c'est que les marchés s'inquiètent, que les taux d'intérêt montent à 6 %, 7 %, 8 %, même s'ils sont actuellement bas. Si les taux d'intérêt sont très élevés, la charge de l'emprunt l'est également. Le déficit et la dette grimpent, augmentant ainsi les taux. Les spreads montent aussi, et ainsi de suite. On a alors du mal à s'en libérer. L'Italie et l'Espagne s'en sont sorties grâce à la Banque centrale européenne, donc en partie grâce à l'Allemagne. Si cela survient en France, il sera difficile de tenir. J'espère que cela n'arrivera pas. On ne peut prédire que cela arrive, ni préciser quand cela arrivera.

On peut voir clairement évoluer les fondamentaux, mais il est bien plus difficile de prévoir une attaque spéculative du marché, par définition auto-réalisatrice. Cela peut ne pas arriver, comme cela peut survenir dans quinze jours. C'est un sujet très complexe. Ce qu'il faut, c'est sortir de cette zone. À partir du moment où des attaques spéculatives interviennent, on n'a plus aucun degré de liberté. Le pire serait que le FMI intervienne. Cela peut arriver. Je ne le souhaite pas, bien entendu ! C'est pourquoi il faut que des réformes interviennent, afin que nous puissions offrir une certaine crédibilité.

Je suis chercheur. Mon rôle - qui est très limité - consiste à avoir des idées et à exprimer mon opinion. Comme l'a dit M. le président, je veux rester en dehors des aspects politiques de la question, que je ne contrôle pas, mais qu'il est important de maîtriser.

Ce qui m'a frappé, le jour où on m'a remis le prix Nobel, ce sont les questions des journalistes étrangers, qui voulaient tous savoir si la France allait ou non sombrer. Cela m'a choqué. J'ai ressenti ce jour-là le « french bashing » que dénonce le Premier ministre. C'est une question bien présente dans les esprits. Pour un Français, c'est assez difficile à vivre.

M. Yannick Vaugrenard. - Merci d'avoir accepté notre invitation et de nous faire profiter de vos recherches.

Au début de votre intervention, vous avez insisté sur la nécessité de réformes d'urgence, et sur le nouveau rôle de l'État - et des États, car nous vivons dans une économie mondialisée où l'État joue le rôle d'arbitre du bien-être économique général.

Vous venez de souligner que nous n'étions pas à l'abri d'attaques spéculatives, qui risqueraient de faire remonter les taux d'intérêt extrêmement bas dont nous bénéficions aujourd'hui.

Cela m'amène à vous poser une question sur le système financier et bancaire international. La crise de 2008 a conduit l'ensemble des États, notamment les États développés, à prendre des décisions importantes à propos des fonds propres des différentes banques mondiales. Pour autant, nous savons aujourd'hui que d'autres systèmes existent, spéculatifs, proches du jeu du hasard, en marge des banques elles-mêmes. Étant donné leurs comportements, leurs objectifs, les risques pris, ils sont manifestement pas au service de l'économie, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer.

Selon vous, quel contrôle supplémentaire pourrait-on mettre en place au plan international, pour éviter ces risques extrêmement dangereux, qui pourraient nous conduire à une crise des subprimes encore plus importante que celle qu'on a déjà connue ? Comment faire pour être plus efficace à l'échelle internationale ?

En second lieu, on peut se satisfaire du fait que l'Allemagne a enregistré, au dernier trimestre, un taux de croissance de 0,1 %. Le nôtre était de 0,3 %. Pour autant, si l'Allemagne « dévissait », cela ne risquerait-il pas de nous entraîner dans une spirale infernale sur le plan économique et financier ? L'Allemagne, qui est un pays extrêmement fragile sur le plan de son évolution démographique, n'apparaît-elle pas, selon vous, comme un colosse au pied d'argile sur le plan économique ?

Enfin, nous sommes un des pays où existe le plus fort taux d'épargne, notamment en matière d'assurance-vie. Pensez-vous que nous utilisions suffisamment cette épargne pour la mettre au service d'une relance de la croissance - même modérée ?

M. Jean Tirole. - Ce sont là des questions très importantes.

S'agissant tout d'abord de la réglementation prudentielle des banques et de son aspect international, je suis quant à moi partisan de l'union bancaire depuis longtemps, et ce pour plusieurs raisons...

En premier lieu, il existe une asymétrie d'information très forte entre les banques et leur superviseur. Les banques sont extrêmement sophistiquées, alors que le superviseur dispose de ressources limitées ; il a du mal à embaucher de véritables talents, qui sont par ailleurs payés très cher par les banques. Il est de ce fait très difficile de devenir régulateur. Je ne vois pas comment, dans la zone euro, on pourrait bénéficier de régulateurs compétents. « Pooler » les compétences me semble donc important.

Il est encore plus important de pouvoir compter sur une régulation indépendante. Elle l'est, relevant de la BCE, elle-même en théorie indépendante, mais aussi parce qu'elle se situe en partie en dehors du pays.

Bien sûr la régulation se fait avec des citoyens du pays, mais étudions le cas de l'Espagne. Il existe un rapport du FMI sur ce pays, qui remonte à deux ans, et qui apparaît très intéressant.

Tout le monde se souvient de la crise espagnole et des drames sociaux qu'elle a créés dans ce pays, du fait de ses banques. C'est surprenant, mais le régulateur bancaire espagnol est l'un des meilleurs au monde. Les banquiers centraux reconnaissent que les Espagnols sont parmi les plus talentueux dans ce domaine. La Banque centrale d'Espagne avait mis le gouvernement espagnol et les gouvernements régionaux en garde contre ce qui allait se passer dès 2005.

Dans ce cas particulier, le régulateur a été contourné, et le gouvernement central, ainsi que les régions ont voulu encourager le secteur immobilier, de même que George Bush, aux États-Unis. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on a assisté à une débâcle bancaire. On a donc sollicité les fonds publics, et demandé des sacrifices aux citoyens.

Il y a une leçon à tirer de tout cela : il convient de rendre la supervision indépendante, de sorte qu'on ait une mesure objective. Cela va-t-il fonctionner ? On va le voir à la suite des stress tests. C'est le moment d'y réfléchir. Selon moi, l'Union bancaire a le potentiel de créer une supervision de ce type. Si l'on accepte des relations de connivence entre les banques et l'État, on se met dans une situation délicate.

Vous évoquez le shadow banking, les banques de l'ombre, qui ne sont pas régulées. Cela m'inquiète. Qu'elles ne soient pas au service de l'économie n'est pas toujours vrai. Aux États-Unis, 50 % des prêts aux PME sont accordés par le shadow banking, ce qui est par ailleurs inquiétant.

Toute la question réside dans la migration. La régulation bancaire s'est révélée totalement laxiste avant la crise de 2008. Le laxisme survient toujours dans les périodes fastes, et prépare la crise. Après la crise, on a demandé aux banques de provisionner davantage d'actifs sûrs, afin qu'elles s'auto-assurent contre les problèmes économiques. On pourra parler de la pénurie d'actifs sûrs, qui constitue actuellement un problème sérieux, ou de la stagnation séculaire...

Il peut aussi y avoir migration de l'activité. Comme aux États-Unis, les banques de détail, telles qu'on les connaît en France, peuvent ne plus avoir de marché, et les banques d'investissement, les hedge funds et les autres, peuvent commencer à servir les PME.

Cela soulève la question de l'égalité de concurrence. Si l'on impose trop de contraintes aux banques de détails et aux compagnies d'assurances - il faut en effet également tenir compte de « Solvabilité II » - l'activité risque de se déplacer vers le shadow banking, secteur qui, par définition, réalise de la transformation. Tout le monde en effectue : on emprunte à court terme, pour prêter à long terme. Les banques de détail, elles, opèrent de la transformation en ayant le backup de la banque centrale et des liquidités. Leur assurance-dépôt les stabilise, ce qui n'est pas le cas des banques de l'ombre.

Ce qui m'a choqué lors de la crise de 2008, c'est le fait que les banques d'investissement aient été sauvées. Des banques qui n'étaient pas régulées ont eu accès à l'argent du contribuable ! Il y a là un problème fondamental : elles ont « le beurre et l'argent du beurre » ! C'est une question importante, dont il faut tenir compte.

Il y a plusieurs réponses à ce sujet. Les instances internationales proposent de contrôler les banques systémiques, - banques de détail, banques d'investissement, hedge funds, etc. - qui, si elles éclatent, risquent d'entraîner des crises systémiques.

Dans ce cas, il faut augmenter les ressources des superviseurs bancaires, qui ont déjà bien du mal à réguler les banques de détail, les compagnies d'assurance et, aux États-Unis, les fonds de pension. Demain, on pourra leur demander de réguler les compagnies d'électricité, qui travaillent sur des produits dérivés, etc. Où s'arrêtera-t-on ? Il faut leur allouer des ressources ! On ne peut simplement demander aux régulateurs de tout surveiller sans leur accorder de ressources !

L'autre possibilité est d'éviter les effets systémiques. L'évolution vers les chambres de compensation et le marché centralisé, bien que trop lente, me semble une très bonne démarche, non que je sois opposé aux marchés de gré à gré, mais ceux-ci sont très difficiles à comprendre. Ce sont des transactions très spécialisées entre banques, qui emploient des produits extrêmement complexes, dédiés, et que seules deux ou trois personnes dans le monde comprennent. Pour le régulateur ou le superviseur bancaire, il est très difficile de suivre ce qui s'y passe.

Pourquoi a-t-on sauvé la banque d'investissement AIG ? On aurait pu faire comme pour Lehman Brothers... On est intervenu parce qu'on ne savait pas ce qui allait se passer. On n'avait alors aucune idée des produits dérivés qu'avait émis AIG. Les marchés centralisés offrent l'avantage d'une certaine transparence. Ils disposent de prix, d'appels de marges, et leurs risques sont évalués par le superviseur. Le travail est donc facilité. C'est ce qu'il faut comprendre. Les superviseurs ont cependant beaucoup de mal, les banques bénéficiant d'infiniment plus d'informations. C'est normal, mais il faut réduire cette asymétrie, afin de faciliter le travail des superviseurs.

Il existe encore beaucoup d'incertitudes sur le monde financier et sa supervision. On pourra y revenir, car ce n'est pas terminé. On est dans la bonne voie depuis 2008, mais le travail est loin d'être fini.

S'agissant de l'Allemagne, je suis relativement confiant quant au fait qu'elle ne « dévisse » pas. J'ai dit que ce pays avait effectué ses réformes en 2003 et 2004, alors qu'il n'avait pas encore « digéré » la RDA. Vous avez indiqué que l'évolution démographique apparaît très inquiétante. Les Allemands ont compris qu'ils étaient dos au mur : ou ils se réformaient, ou ils ne pouvaient s'en sortir du point de vue des finances publiques. Ils ont donc mené les réformes qui convenaient, en particulier celle du marché du travail. Le chancelier a été très courageux. Cela a remis l'Allemagne sur les rails, alors qu'elle était moribonde en 2003, et a changé ses perspectives.

De même, la Suède, lorsqu'elle a entrepris ses réformes, dans les années 1990, a pérennisé son modèle social qui, sans cela, n'existerait plus.

C'est ce qu'il faut bien comprendre : il s'agit actuellement de notre enjeu.

Enfin, concernant l'épargne, le problème provient du déséquilibre qui existe entre l'offre et la demande de produits sûrs, l'excédent des demandes provoquant d'importants problèmes.

Sur le marché de l'offre, la quantité d'épargne sûre a diminué au cours du temps. Récemment encore, un bon du trésor, une obligation d'État d'un pays de l'OCDE étaient considérés, d'un point de vue prudentiel, comme sûrs à 100 %. Les banques n'avaient donc pas besoin de mettre de capital en face.

Malheureusement, on le sait à présent, les obligations du trésor de l'OCDE ne présentent pas autant de sécurité qu'on le croyait. Certains actifs sûrs ont disparu.

Il en va de même pour l'immobilier : aux États-Unis, on jugeait celui-ci totalement sûr, non dans une seule ville, mais en se basant sur la loi des grands nombres. Cela s'est avéré faux, du fait des chocs agrégés.

L'offre d'actifs sûrs a donc diminué mais, en même temps, la demande a fortement augmenté. Les fonds souverains, la Chine, etc., y ont beaucoup investi, en particulier aux États-Unis. Vous avez entendu parler de la titrisation des subprimes qui, par manque de régulation, a été totalement dévoyée. Au départ, il s'agissait pourtant d'une bonne mesure, qui permettait de dégager le bilan des banques, et de lever plus de fonds propres. En outre, cela permettait aux actifs de rester sains, domaine dans lequel la demande étrangère était très forte. Les États-Unis ayant un système financier très développé, cela permettait d'alimenter la demande.

Enfin, il existe des demandes réglementaires émanant des régulateurs d'assurance, de fonds de pensions et de banques qui, dans le monde entier, en réclament beaucoup. On est donc dans un déséquilibre entre l'offre et la demande d'épargne, qui conduit à des prix d'actifs sûrs extrêmement élevés, entraînant des taux d'intérêt extrêmement faibles, qui posent parfois des problèmes considérables.

Il est certain que tout ceci va dans le sens de l'économie, mais il faut aussi qu'il y existe des perspectives. Les banques investiront dans les entreprises si elles constatent que ces dernières ont des perspectives.

On en revient à la question de la confiance dans l'avenir. On peut essayer de faire en sorte que les banques investissent dans les entreprises, mais si elles n'en ont pas envie, elles feront tout pour dissimuler leurs investissements, pour ne pas perdre d'argent. Il faut donc que les banques éprouvent une certaine confiance si l'on veut qu'elles investissent dans les entreprises.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - A quelle échelle faut-il envisager la régulation ? Dans le secteur de l'énergie, par exemple, il existe des comparaisons à établir avec les télécommunications. Est-ce un système à l'échelle du continent ou du territoire ?

M. Jean Tirole. - C'est assurément un système à l'échelle du territoire !

Dans le cas de l'électricité, on a voulu réaliser un marché européen de l'électricité, ce qui a beaucoup de sens, tout en conservant des régulateurs nationaux. Or, pour parvenir à un marché européen de l'électricité, il faut qu'il existe une certaine concurrence sur la place européenne. Des transits européens sont donc nécessaires et il faut que les interfaces entre les pays soient développées. Les pays doivent également accepter le passage de l'électricité sur leur territoire, comme dans le cas de la Belgique, etc., qui constitue un pays de transit.

L'électricité suit comme vous le savez les lois de Kirchhoff, et se répand partout. Envoyer de l'électricité de Toulouse à Pise modifie les flux dans toute l'Europe. Le système devrait être européen, avec des régulateurs européens, ce qui pose des problèmes de souveraineté.

La concurrence, dans le domaine des chemins de fer, devrait être également s'exercer à l'échelon européen. Je ne pense pas qu'il faille forcément plus de concurrence au sein de chaque territoire. Dans le cas de l'électricité, on peut avoir de grands opérateurs étrangers qui concurrencent les opérateurs français afin de mieux servir les consommateurs français mais, pour ce faire, des capacités d'interface importantes entre pays sont nécessaires. Il vaut donc mieux réguler le système à l'échelon européen.

On l'a fait avec l'Union bancaire, qui se révèle être une très bonne chose, même si le diable est dans les détails.

Dans le secteur de la banque, les choses sont plus compliquées. Certains problèmes européens devraient en effet être traités au niveau mondial. J'ai évoqué les bénéfices des chambres de compensation et des marchés centralisés, où l'on rencontre bien plus de transparences que sur les marchés de gré à gré. Il s'agit toutefois d'opérateurs mondiaux qui pourraient eux-mêmes commettre des erreurs et faire faillite. Que se passerait-il alors ? Qui apporte la liquidité ? Est-ce la FED, la BCE ? Qui joue le rôle de régulateur ? La régulation doit être mondiale.

Cette gouvernance mondiale est également nécessaire en matière d'évasion fiscale, ou de changement climatique. Les pays sont trop petits, l'Europe aussi ! Il faut admettre une certaine perte de souveraineté, ce qui peut entraîner des conflits, tous les pays n'ayant pas les mêmes intérêts.

M. Henri Tandonnet. - La commission des affaires économiques du Sénat s'est récemment rendue au Salon internationale de l'alimentation (SIAL), où elle a recueilli des plaintes de producteurs agroalimentaires vis-à-vis de la grande distribution française. La pression est si forte que l'on s'attend à perdre des pans entiers de la production agricole et de la transformation agroalimentaire.

TSE a-t-elle travaillé sur la régulation des marchés entre la grande distribution et la production agroalimentaire ? Avez-vous des rapports avec Agri-Sud-Ouest, qui se situe à Toulouse ? Pouvez-vous nous apporter des réponses dans ce domaine ?

Les transformateurs laitiers annoncent également une baisse du prix du lait de 20 % l'année prochaine, et la disparition de la moitié des producteurs français. Avec la crise de la pomme, on craint aussi la disparition des vergers.

Les solutions sont-elles mondiales, européennes, ou françaises ? Peut-on agir sur la régulation en matière de grande distribution, très concentrée en France ? Pouvez-vous proposer des solutions ?

Il y a quelques années, le Sénat avait voté un coefficient multiplicateur en cas de crise d'une production. On devait saisir une administration - je ne sais plus laquelle -, qui devait réaliser un diagnostic et préconiser des mesures. Ce mécanisme, trop compliqué et trop long, n'a jamais été mis en place. Avez-vous des solutions à nous suggérer ?

M. Jean Tirole. - Recevoir le prix Nobel n'autorise pas à parler de sujets sur lesquels on est totalement incompétent. Je ferai néanmoins quelques remarques, qu'il conviendra de considérer avec prudence.

À Toulouse, certaines personnes sont bien plus compétentes que moi pour répondre. Nous disposons en effet d'un important laboratoire de l'INRA en matière d'économie de l'agroalimentaire et de la concurrence dans ce domaine. Hervé Ossard en fait partie, ainsi que bien d'autres personnes.

Toutefois, en 1999, lors des Assises de la grande distribution, Lionel Jospin avait demandé, à Patrick Rey et à moi-même de rédiger un rapport en amont. Nous l'avions présenté, mais je ne suis cependant pas spécialiste de ces questions.

Les problèmes de concurrence dans la grande distribution relèvent du droit de la concurrence. Je ne les ai pas étudiés. C'est aux autorités de la concurrence de s'en mêler. Si certains groupes sont trop puissants, cela peut signifier des prix plus élevés pour le consommateur. Cela étant, la France a limité les supermarchés de façon très importante. On a donc bloqué la concurrence entre les supermarchés. C'est une longue tradition française.

D'ailleurs, la valeur boursière de la grande distribution a augmenté le jour où certaines lois ont été promulguées, et ce pour des raisons évidentes : on empêchait en effet la concurrence de nouveaux acteurs.

À l'inverse, pour ce qui est des produits agricoles, il peut exister un monopole d'un côté, et un monopsone de l'autre. Cela peut avoir des conséquences...

Je suis assez réticent vis-à-vis des solutions administratives, car il faut aussi servir le consommateur. Certes, il existe des problèmes d'aménagement du territoire et des problèmes humains vis-à-vis des agriculteurs, mais il faut se méfier de ce genre de mécanisme. Les économistes ont plutôt tendance à préconiser l'aide aux personnes plutôt que la distorsion des marchés.

Il peut cependant exister des comportements inacceptables. Je me souviens d'abus de la grande distribution et de contrats peu clairs. Nous avions remarqué, à l'époque de notre rapport, que de petits agriculteurs signaient des contrats avec la grande distribution sans en comprendre véritablement les conséquences. Ce n'est en effet pas leur métier. Nous avions donc préconisé une aide juridique en faveur de ces personnes. Je ne sais si ces recommandations ont été suivies. Une relation commerciale doit être équitable, au moins du point de vue des savoirs. Un petit producteur n'a pas forcément les compétences pour comprendre tout ce qui se passe. Nous avions constaté qu'ils se laissaient parfois bêtement abuser.

La grande distribution ne compte toutefois pas non plus que des criminels ! Je pense qu'il faut normaliser les relations. Je n'irai pas plus loin, étant incompétent sur le sujet, mais nous disposons à Toulouse d'équipes qui permettent de mieux comprendre ces phénomènes. Elles sont liées au Laboratoire d'économie des ressources naturelles (LERNA), qui relève de l'INRA, et au Groupe de recherche en économie mathématique et quantitative (GREMAC), qui dépend du CNRS.

M. Martial Bourquin. - Vous avez parlé, au début de votre propos, de la gravité du changement climatique ; dans les débats que nous avons au Parlement, cette question est souvent sous-estimée.

Vous avez également abordé la question de la fiscalité : la seule façon de faire baisser les émissions de carbone, c'est de les fiscaliser. C'est compliqué, mais certains pays y sont parvenus. Cette solution mise à part, que proposez-vous d'autre pour lutter contre le réchauffement climatique ?

Vous avez en second lieu évoqué l'Allemagne. J'ai apprécié votre propos concernant les réformes qui devaient être menées. L'Allemagne était en quelque sorte « l'enfant malade » de l'Europe, il y a plus d'une dizaine d'années. Les réformes sont intervenues. Or, des statistiques qui viennent de paraître font état d'une explosion de la pauvreté et de la précarité. Comment faire baisser le chômage sans augmenter la précarité ? C'est là un vrai problème ! Outre Rhin, le chômage a été diminué à coup d'emplois précaires, alors que le SMIC, qui va être mis en place, n'existait pas encore. Tout cela s'est fait au prix de la pauvreté...

Enfin, l'Europe évalue l'évasion fiscale, licite ou illicite, à environ 1 000 milliards. Un alignement sur les standards de la transparence de l'OCDE se met progressivement en place avec la Suisse et le Luxembourg. Cet argent fait cruellement défaut aux États européens, en particulier dans le domaine de l'investissement. Que préconisez-vous sur ces questions ?

M. Jean Tirole. - Je ne suis pas un spécialiste des sujets fiscaux. Le problème de l'évasion fiscale se situe à un double niveau. Le premier concerne les particuliers, et ne peut être résolu que par la coopération internationale. On peut exercer des pressions. C'est ce qu'a fait le Gouvernement avec la Suisse, mais on ne parvient souvent qu'à déplacer le problème. Comme pour le climat, une coopération internationale est nécessaire, car le problème apparaît très complexe.

Il existe un autre type d'évasion fiscale légale qui concerne les sociétés. Certaines entreprises américaines qui opèrent en Europe ont ainsi fait passer des fonds entre les Pays-Bas et l'Irlande sans acquitter d'impôt, puis les ont placés aux Bermudes, dans l'attente d'une amnistie fiscale leur permettant de rapatrier ces sommes aux États-Unis. La spécialiste juridique qui travaille avec Mme Fleur Pellerin, Mme Émilie Cariou, vous expliquera cela en détail...

On peut blâmer les entreprises, mais on ne peut passer son temps à dire qu'elles ne sont pas vertueuses. C'est notre système qui crée de telles situations ! De la même manière, on blâme les banques. Certes, certains comportements ne sont pas très éthiques, mais c'est l'État qui, en n'exerçant aucune surveillance et en donnant les outils pour la créer, est à l'origine de cette crise financière. C'est la même chose dans un certain nombre d'autres domaines.

Quant au prix du carbone, il en faut un. La commission Quinet et Christian Gollier ont travaillé sur ce sujet. Il est très important d'avoir une certaine visibilité. Lorsqu'on réalise un investissement, qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises, on décide d'éléments qui vont durer dix, vingt, trente, quarante ans. Ce qui compte, ce n'est pas le prix du carbone aujourd'hui, mais dans dix, vingt, trente, ou quarante ans. Sans prix du carbone, on n'est guère incité à réaliser des économies en la matière.

Je reprends l'exemple américain du SO2 : vingt-quatre ans plus tard, on continue à utiliser le même système, dont la visibilité en matière de permis d'émission négociables était excellente. Il n'a été remis en cause par aucun gouvernement !

Certes, les prix fluctuent. On se trompe, il existe des avancées technologiques, mais on se fixe un plafond. On peut le faire pour le carbone... Les scientifiques sont là pour nous guider.

On peut dire ce que l'on tolère : on se fixe un plafond, on précise à quoi il correspond en matière de permis d'émission négociables, et le prix s'établit ensuite sur le marché mondial. L'enjeu de 2015 est donc de parvenir à faire en sorte que tout le monde soit autour de la table. Tout le monde n'y sera pas, mais si on réunit la Chine, l'Inde, les États-Unis, l'Europe et le Brésil, ce serait une avancée ! Il faut évidemment conclure un deal pour les pays africains pauvres, mais c'est financièrement assez négligeable.

C'est ce qu'on a fait aux États-Unis, où les choses n'étaient pourtant pas simples. La réforme 1990 a été préparée durant des années, les États du Middle West, qui généraient une forte pollution avec les mines de charbon, ne voulant pas payer pour que la côte Est ou la côte Ouest bénéficient d'un meilleur environnement

Le blocage a été identique à celui que l'on connaît actuellement à propos du CO2. Les choses ont cependant été plus faciles aux États-Unis, où on a fini par accorder une compensation aux habitants du Middle West, ce dont il ne vaut mieux pas se souvenir, car ce n'est guère moral...

C'est ce qui s'est passé presque partout dans le monde, à chaque fois qu'on a réussi à réduire la pollution. On a proposé aux gens du Middle West des « droits de grand-père », en leur donnant davantage de permis à polluer qu'aux autres. On les a achetés pour qu'ils votent la loi, en leur octroyant des droits d'émission négociables gratuits, dont ils ont tiré une compensation financière ! Le fait qu'ils soient gratuits n'a pas incité à diminuer les coûts : en effet, après avoir réduit la pollution, on peut en effet revendre son permis, et gagner de l'argent ! Sans cet accord, on aurait conservé un niveau de pollution très élevé. On a accepté ce deal pour pouvoir mener une politique écologique.

L'Allemagne constitue par ailleurs un cas très intéressant. On y trouve en effet des emplois précaires, mais il faut rester prudent dans l'utilisation de ce terme. La précarité est un gros problème en France, ou dans l'Europe du Sud en général car, si on perd son emploi, on n'en retrouve pas. La précarité, dans un pays où on retrouve très vite un emploi, est beaucoup moins grave. Reste le problème des petits salaires...

En France, il existe une précarité, une dualité, et une inégalité incroyable. Les moins de 25 ans sont exclus de l'emploi et subissent un chômage massif et souvent déguisé. Les jeunes vont de CDD, en chômage et en emploi aidé, etc., et n'obtiennent jamais de CDI. Quant aux 55-64 ans, leur taux d'activité se situe aux environs de 40 %, contre plus de 70 % en Suède.

Il y a là un manque à gagner pour la société et pour les personnes elles-mêmes. Certaines seraient disposées à travailler et sont découragées, soit par le manque d'emplois, soit parce que notre système de retraite n'incite pas les personnes à continuer à travailler. C'est une perte de capital humain gigantesque, qui génère un gâchis économique, et un chômage de long terme catastrophique. Les salariés perdent leur qualification, sont exclus de l'emploi, et l'on sacrifie ainsi des générations entières.

La précarité existe en Allemagne, où l'on trouve également des petits salaires, mais elle est moindre qu'en France, où l'on trouve des emplois en CDI, protégés en théorie, mais qui ne sont pas heureux. Selon les études des psychologues, l'anxiété des CDI, en France, est bien supérieure à celles des salariés danois, qui ne sont pas protégés, du fait de la flexibilité. Un salarié danois est cependant protégé de deux manières : il lui est plus facile de trouver un travail s'il perd le sien ; en outre, il est réellement protégé en cas de chômage.

L'Europe du Nord a compris qu'il fallait protéger les salariés et non l'emploi. On vit dans un monde différent, où l'évolution technologique est très rapide, où les emplois changent ; ce n'est pas la faute des salariés. Il faut donc les protéger, les indemniser en cas de chômage, ce qui va de pair avec une surveillance du chômage.

Protéger les emplois constitue une perte de richesse importante pour la nation, et nous conduit dans le mur, avec les conséquences que l'on connaît, à la fois fiscales - emplois aidés, CDD, qui sont de mauvais emplois, précaires, qui bénéficient d'assez peu de formations. Disons le franchement : les CDD sont des « mouchoirs jetables ». On a donc cette situation absurde où l'on crée volontairement du chômage de long terme, Même les CDI ne sont pas pleinement heureux, eux qui sont supposés être les bénéficiaires du système.

On peut comprendre les CDI : ils sont extrêmement protégés mais, le jour où ils perdent malgré tout leur emploi - faillite, licenciement - ils n'ont plus rien. Les Scandinaves nous ont montré la voie ; les Allemands aussi, avec quelques inconvénients. Il ne faut toutefois pas se voiler la face : la France crée beaucoup de précarité.

Mme Valérie Létard. - A mon tour de vous remercier et de saluer le remarquable travail que vous avez fourni, ainsi que la réflexion que vous nous permettez d'avoir. C'est pour nous un moment extrêmement intéressant.

Quelle est votre vision de l'avenir de la politique de recherche en France, au regard de votre expérience toulousaine. Comment agiriez-vous pour attirer les chercheurs de haut niveau en France, garder les nôtres ou les faire revenir ?

Quel est l'intérêt du modèle que vous avez choisi à Toulouse, celui de la fondation de coopération scientifique ? Comment monter ce type de fondation entre université, monde économique et territoire ? Quels sont les avantages et les inconvénients de cet outil par rapport à l'organisation de nos territoires ?

Enfin, comment rivaliser sur la scène internationale et quels partenariats monter ?

M. Jean Tirole. - Il va m'être difficile d'être bref sur un tel sujet, qui constitue en quelque sorte mon « dada ».

Vous avez raison : nous sommes dans une concurrence internationale farouche, et ce pour plusieurs raisons. Beaucoup de pays ont compris que l'économie du XXIe siècle était l'économie de la connaissance. Il est donc important d'avoir les bons chercheurs, les bons professeurs, mais aussi les bons étudiants qui vont contribuer à la richesse de la nation.

Tous les pays se livrent maintenant à une concurrence acharnée. Il s'agissait auparavant des États-Unis, et un peu de l'Angleterre. On retrouve maintenant la Suisse, l'Allemagne, l'Italie, Singapour. La Chine elle-même, bien qu'elle n'en soit pas encore au même niveau, investit des sommes énormes dans l'enseignement supérieur.

Pour attirer des chercheurs en France - soit les Français qui sont partis à l'étranger, soit des étrangers - il faut changer nos structures. Il est normal que des Français partent à l'étranger, mais il faut bien les remplacer par des étrangers. C'est une question de moyens, il ne faut pas se voiler la face. Les salaires, à l'étranger sont largement supérieurs à ceux de la France. On ne fait pas ce métier de chercheur pour l'argent, mais par passion ; toutefois, disposer d'un salaire quatre fois plus faible qu'à l'étranger peut faire réfléchir.

Cela soulève la question de la différenciation des salaires, que pratiquent tous les pays, sauf le nôtre. Même si on est contre le fait d'attirer les meilleurs chercheurs en leur donnant plus d'argent, que se passe-t-il d'un point de vue positif ? Il est vrai que l'on perd ainsi beaucoup de nos talents, pourtant formés à grands frais par la République. Ce sont souvent les meilleurs qui, à l'École normale supérieure, ou à Polytechnique, partent pour l'étranger. C'est assez dramatique pour la France, car ces personnes pourraient créer des emplois dans leur pays.

J'ai travaillé au MIT, et j'y retourne l'été. Je vois ce qui se passe à Candle Square, juste à côté. Quand j'étais étudiant, il s'agissait d'un environnement en déshérence, avec des entrepôts abandonnés. On y trouve maintenant toutes les grandes entreprises de biotechnologie du monde !

J'ai un peu discuté avec ceux qui ont lancé ce projet. Ils ont à présent les meilleurs centres de recherche sur le cancer au monde, toutes les entreprises de biotechnologie, toutes les start-up de biotechnologie. Ils y ont attiré les grands professeurs, qui ont à leur tour attiré les meilleurs étudiants du monde, dont certains sont devenus chercheurs ; beaucoup d'autres sont entrepreneurs, mais sont restés à Candle Square, avec leurs professeurs à côté. Ceux-ci leur amenaient, à travers leurs conseils scientifiques, le spécialiste du sujet de Standford ou d'UCLA, etc. On connaît la suite...

C'est l'objectif que nous devons nous fixer : faire en sorte que les territoires soient innovants. Un tissu économique est pour cela nécessaire. Il faut donc que l'on exporte notre système éducatif et que l'on garde nos talents. C'est très important...

Vous évoquiez l'expérience de TSE ; j'en ai discuté avec Mme Geneviève Fioraso, lorsque nous avons déjeuné ensemble. Notre expérience se caractérise par l'innovation et l'entrepreneuriat avec l'université en appui.

TSE a été fondée dans les années 1980 par Jean-Jacques Laffont qui, de retour d'Harvard, a décidé de faire quelque chose d'original dans sa ville, à Toulouse. Il aurait pu réaliser un centre de recherches élitiste hors les murs, en dehors de l'université. Il en a décidé autrement. Une certaine flexibilité est toutefois nécessaire. La fondation, la coopération scientifique sont des éléments de flexibilité. C'est important.

L'idée est d'innover dans le système français, à l'intérieur de l'université, et d'avoir un droit à l'expérimentation pour montrer qu'il existe d'autres formules.

Je suis certes un produit des grandes écoles, qui m'ont beaucoup apporté. La majorité des Français ayant suivi un enseignement supérieur ne sont pas formés dans les grandes écoles, mais plutôt dans les universités. Celles-ci ne doivent donc pas être le parent pauvre de l'enseignement supérieur. En outre, c'est là qu'est menée la recherche.

Nous avons donc amené un certain nombre d'innovations, tout d'abord en adaptant notre gouvernance aux standards internationaux. TSE est une fondation où le conseil scientifique, qui compte seize personnes, est entièrement externe et pratiquement totalement étranger. Nous ne nous jugeons pas nous-mêmes. Notre conseil d'administration est composé de quinze personnes, dont treize sont externes. Seuls deux chercheurs - dont moi-même - siègent au conseil d'administration. Encore une fois, on ne peut être juge et partie, ce que l'on comprend très mal en France.

Il est important que l'on puisse nous rappeler à l'ordre lorsque nous commettons des erreurs, mais aussi nous conseiller. Nous bénéficions d'un avis extérieur qui provient de trois groupes à peu près égaux en nombre, cinq fondateurs publics - l'université, le CNRS, l'INRA - et cinq fondateurs privés issus du monde économique, TSE ayant levé un capital, et enfin des scientifiques étrangers.

L'équilibre est donc respecté. Les partenaires économiques ne sont toutefois pas là pour diriger la politique scientifique ; ils en sont totalement incapables et le reconnaissent. Ils sont en tout état de cause minoritaires et ne le pourraient pas. Ils peuvent cependant nous apporter des conseils d'une autre nature.

Cela pose la question du lien entre l'université et le monde industriel et, plus généralement, économique. Nous ne comptons pas parmi nos partenaires que le secteur privé, mais aussi la Banque de France et la Caisse des dépôts. On doit réfléchir au lien entre le monde économique en général et l'université. C'est ce que nous avons fait à Toulouse. Le danger est évidemment de perdre son indépendance. Il faut donc faire très attention aux relations entre le monde universitaire et le monde industriel.

Que nous apportent ces partenariats avec le monde économique ? En premier lieu, cela nous permet de trouver des financements, dans un monde où l'argent ne coule pas à flot, contrairement à l'étranger. Cela nous amène aussi des sujets de recherche. Nous sommes dans notre tour d'ivoire, tout comme les sciences de l'ingénieur ou la biotechnologie. Un certain nombre de problématiques sont donc évidentes pour les spécialités du domaine, mais non pour les académiques.

C'est sur ce sujet que nous avons travaillé à Toulouse. Nous avons été les premiers dans le monde. On a ensuite créé un comité scientifique autour de ces questions. Ces thèmes, qui n'étaient pas étudiés par les économistes, ont amené un débat économique. Je pourrais citer ici six ou sept exemples, mais j'hésite à le faire : vous pourriez en frémir ! C'est assez saisissant, mais c'est la pure vérité. Nous avons les outils, le pas de temps, tous les atouts pour étudier ces sujets, et l'on passe parfois à côté ! C'est ainsi dans tous les domaines.

C'est ce que j'ai apprécié dans la description de mes travaux par le comité Nobel, qui insistait bien sur le fait qu'un certain nombre de domaines, sur lesquels mes collègues et moi-même avons fait de la recherche fondamentale, sont des sujets très appliqués.

Un certain nombre de travaux cités par le comité Nobel proviennent de problématiques dont mes collègues ou moi-même avons discuté avec des acteurs du monde économique qui ne les avaient pas étudiés, aussi surprenant que cela puisse paraître.

Ces partenariats avec le monde économique ont donc été cruciaux, à la fois financièrement, mais également du point de vue de la recherche fondamentale.

Le problème de l'indépendance se pose toutefois. Il existe un danger de complaisance à l'égard de ceux qui financement les travaux. Ce risque existera toujours. Il faut donc y faire très attention.

Cela fait vingt-trois ans que je suis à Toulouse, et vingt-trois ou vingt-quatre ans que l'on y travaille. On a beaucoup réfléchi à ce sujet, qui nous inquiétait énormément. Nous avons développé un modèle qui nous protège, et qui est mondialement accepté, en restant très neutre vis-à-vis des acteurs économiques.

La première nécessité est de bénéficier d'un contrat clair. Reprenons l'exemple des cartes de paiement. Les avancées dans ce domaine, qui sont à présent utilisées par les cours de justice et la Commission européenne, ont été financées par la compagnie Visa International, qui un jour est venue de San Francisco à Toulouse nous proposer de financer la recherche sur les cartes de paiement, domaine où il n'existait pas de travaux. Cette société avait appris que nous avions à Toulouse des spécialistes en économie industrielle d'un bon niveau. Nous avons tout d'abord précisé que nous ne connaissions rien aux cartes de paiement, sauf en tant qu'utilisateurs. Nous n'avons pu leur garantir de résultats. C'est d'ailleurs l'idée première de la recherche : on ne sait jamais où cela mène... Nous leur avons expliqué que cela pouvait déboucher sur des résultats favorables ou défavorables à ce secteur, mais que nous les publierions quoi qu'il en soit.

Visa International a joué le jeu et nous avons publié ce que nous voulions. Cela a donné naissance à un débat académique mondial, et beaucoup de gens travaillent maintenant sur ce sujet. Le droit de la concurrence, la justice, la Commission européenne, ont pu utiliser ces travaux.

Cela me paraît un très bon partenariat. Il existe un financement de l'industrie, mais nous avons gardé notre indépendance ; dès le début, le contrat était clair. Certes, les entreprises qui acceptent les termes du contrat sont prêtes à jouer le jeu par définition. C'est donc une forme d'auto-sélection.

En second lieu, nous avons une obligation de publier nos travaux dans les grandes revues internationales. Il existe donc un comité de lecture. J'ai récemment fait des recherches sur l'euro. Dans les années 2011, on parlait beaucoup d'euro-obligations. On parle également toujours des mécanismes de solidarité, de l'assurance chômage européenne, etc. Beaucoup de politiques s'étaient prononcés en faveur des euro-obligations.

À l'occasion d'une conférence de la Banque de France, qui est l'une de nos partenaires, j'ai voulu faire le tour de la littérature économique sur les euro-obligations, les obligations communes à plusieurs pays, la solidarité, etc. Or, de façon étonnante, il n'existait rien sur le sujet dans la littérature économique ! J'ai donc écrit un article, qui a été accepté le 13 octobre par la principale revue d'économie, l'American economic review, qui n'accepte qu'un papier sur vingt parmi ceux qui lui sont soumis. L'éditeur m'a confié qu'il était heureux que les membres du comité de lecture aient tous été favorables à cet article, qu'il aurait eu du mal à le rejeter le 13 octobre 2014, étant donné les circonstances !

L'obligation de publication est très importante. C'est une discipline que l'on s'impose. Si l'on fait preuve de complaisance vis-à-vis de ceux qui nous financent, les articles que l'on écrira ne seront jamais publiés. Il est déjà très difficile de publier ; si l'on raconte n'importe quoi, ces articles ne seront jamais publiés dans une revue sérieuse. C'est un défi qu'on se lance, mais cela garantit aussi notre indépendance et la diversification des partenariats.

Il faut se souvenir que, dans les années 1990-1991, les partenariats étaient rares. France Télécom et EDF nous ont fait confiance au départ, mais nous étions en situation de fragilité. Nous étions très dépendants d'eux ; ils ont cependant remarquablement joué le jeu. Disposer de davantage de partenariats rend les choses plus faciles.

La situation est parfois difficile au début. Nous avons eu de la chance. Il faut demeurer vigilant, mais pour nous, cela a été bénéfique.

M. Daniel Gremillet. - Votre prix Nobel est pour nous un gage de beaucoup d'espoirs.

La France figure parmi les trois pays de la zone euro à avoir détruit ou perdu le plus d'emplois industriels. Chaque fois qu'un jeune quitte notre pays, la France s'appauvrit. Comment expliquez-vous que nous n'ayons plus de culture industrielle ? Dans mon entreprise, énormément de personnes postulent pour intégrer le service du marketing, mais j'ai du mal à trouver du personnel pour travailler dans la production.

Au-delà de la recherche, comment pouvons-nous réhabiliter le développement industriel de la France par rapport à son système éducatif ?

M. Alain Chatillon. - Comment amener les Français à s'intéresser à l'économie ? Votre nomination devrait permettre de faire entrer cette discipline dans certains journaux, qui préfèrent il est vraie s'intéresser à la politique politicienne. Cela changerait un peu de l'état d'esprit actuel !

En second lieu, comment permettre aux Français de s'intéresser davantage à l'enseignement technique ? La commune dont je suis maire dispose de deux établissements techniques ; au mois de mai, certains parents viennent me voir pour me demander comment faire pour éviter à leur enfant d'intégrer cette filière ! Je sais qu'en 1974, un ministre s'était déjà intéressé au sujet, mais il serait temps de le valoriser !

M. Bruno Sido. - Il existe, à l'Assemblée nationale et au Sénat, un organisme commun, l'Office parlementaire pour l'évaluation des choix scientifiques et technologies (OPCST). Nous y avons traité dernièrement la question de l'intégrité scientifique, qui a soulevé des problèmes tant en France qu'à l'étranger.

En matière économique, existe-t-il des problèmes d'intégrité scientifique ?

M. Daniel Dubois. - Nous aimerions connaître votre point de vue sur la théorie de la stagnation séculaire, qui se développe aujourd'hui.

Par ailleurs, la croissance repart aux États-Unis. La FED abandonne sa régulation financière ; les taux d'intérêt américains vont donc remonter assez rapidement. Cela peut-il avoir un impact sur l'augmentation des taux d'intérêt en Europe, et en France en particulier ?

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Enfin, si vous étiez à la place de M. Emmanuel Macron, que nous allons auditionner dans quelques instants, quelle serait la première mesure que vous annonceriez ?

M. Jean Tirole. - Je ne puis répondre à cette dernière question !

S'agissant de la culture industrielle, nous en avons évidemment besoin, mais tout est une question d'incitation. Prenons le cas de la finance : son développement a été excessif.

Je ne me livre pas ici à une critique de la finance, qui est certainement utile. Il est important qu'elle existe, mais on a vu un certain nombre d'ingénieurs partir vers ce secteur. Cet appel d'air a été, in fine, financé par les contribuables américains, français, etc., en prenant des risques importants « sur leur dos ».

Il faut faire en sorte que le public s'intéresse à la culture industrielle, mais cela ne se décrète pas. On doit développer des emplois intéressants dans ce secteur, et offrir des perspectives. Il est normal que certains ingénieurs aient été attirés par la finance, mais trop sont partis vers ce secteur d'activité.

En France, les métiers techniques ont par ailleurs été dévalorisés, contrairement à la Suisse ou à l'Allemagne. Il faut les revaloriser, encourager la formation en alternance, ce que l'on fait très mal dans notre pays. Pour ce faire, on doit changer notre système de formation, où le gâchis est monstrueux. Ce n'est pas mon domaine, mais j'en sais assez pour me rendre compte qu'il existe un problème.

Comment encourager les gens à s'intéresser à l'économie ? Il en va de la responsabilité des élus de la nation, des journalistes, des professeurs d'économie, de chacun. Il faut redonner à tout le monde le goût de l'économie et se persuader que l'économie est bien une science. La France est le pays qui considère l'économie comme essentiellement politique ; certes, cet aspect est important, mais ce n'est pas le seul. À la suite de l'attribution du Nobel, beaucoup de journalistes se sont posé la question de savoir où je me situais sur l'échiquier politique. La plupart ont dit que j'étais inclassable, me considérant comme favorable au marché, en même temps qu'à la régulation.

Je suis d'une certaine manière heureux d'être considéré comme inclassable ! Dire que l'économie n'est pas une science signifie qu'on n'a pas besoin de l'écouter. C'est totalement faux ! Tout cela n'a pour seul but que de s'affranchir de ses leçons.

Une bonne façon de ne pas entendre ce que l'économie a à dire consiste à classer les personnes par affinité politique. Or, les économistes sont d'accord sur un grand nombre de sujets. Nous passons notre temps à débattre des sujets à propos desquels nous sommes en désaccord. Nous sommes des chercheurs. Nous ne savons pas résoudre tous les problèmes, mais il existe un socle commun très important, à propos duquel les économistes, de Stiglitz jusqu'à Friedman, partagent le même avis !

Il faut prendre l'économie au sérieux. Notre pays est celui où on la prend le moins au sérieux, avec quelques autres pays d'Europe du Sud.

Quant à l'intégrité scientifique, il existe des problèmes en économie, comme il en existe en médecine, ou dans tous les domaines. Plus on touche à la politique, aux médias et aux intérêts financiers, plus on trouve des « brebis galeuses ».

À nous d'avoir un code éthique. TSE a été la première école à en introduire un. On en a d'autant plus besoin que nous sommes en contact avec les industriels. On peut se laisser détourner par l'industrie pour des raisons financières, médiatiques, politiques. J'entends parfois des personnes tenir en public des propos qu'ils ne tiendraient jamais face à leurs pairs, en séminaire. Dans l'ensemble, les chercheurs exercent leur métier par passion, mais on peut toujours déraper. Le code éthique est donc très important ; plus un secteur est proche d'un domaine public, comme l'économie ou la médecine, plus le danger de dérapage est grand.

Enfin, la stagnation séculaire apparaît comme un problème sans doute plus important pour l'Europe que pour les États-Unis. Comment se sortir des taux d'intérêt très bas, et d'un marché de l'épargne qui ne s'équilibre plus, l'offre étant inférieure à la demande ? La borne inférieure est représentée par un taux d'intérêt nominal égal à zéro. On ne peut descendre en dessous. Obtenir un taux d'intérêt réel de - 2 ou - 3 % pour équilibrer les marchés n'est donc pas possible - à moins de créer de l'inflation.

Il existe bien des débats à ce sujet en économie. Les économistes sont très loin de tout comprendre sur la stagnation séculaire. Nous disposons cependant d'éléments. Paul Krugman conseille de prolonger la relance budgétaire. Olivier Blanchard recommande quant à lui de créer de l'inflation. Il faut demeurer prudent. On a mis vingt ans à construire la crédibilité de la Banque centrale européenne. C'est avec une BCE indépendante qu'on a réussi à juguler l'inflation. On lui demande maintenant d'en créer une ! Je n'ai pas de réponse à ce sujet...

On peut avoir une politique de l'offre, mener des réformes, créer des richesses, et sortir de la stagnation séculaire. On peut aussi essayer de diminuer la demande d'épargne. C'est un sujet sensible, qui nous ramène vers la question des retraites. Il n'est pas non plus nécessaire de décourager ceux qui veulent continuer à travailler, ni d'avoir un taux d'activité des seniors de moins de 40 %, ce qui est assez désastreux ! On peut également intervenir au niveau mondial...

Il existe bien des façons de procéder. J'ai bien évidemment mes préférences, mais je crois qu'un débat est nécessaire. Les économistes sont d'accord sur le fait qu'il existe une possibilité de stagnation séculaire. Va-t-elle arriver en Europe ? Ils n'en savent rien pour être honnête, mais c'est une possibilité. Il faut s'en méfier. Le manque de croissance dure depuis deux décennies. On ne peut sortir l'économie de la récession qu'elle connaît depuis vingt ans, faute de pouvoir recourir à la politique monétaire qui, dans une telle situation, est inefficace. Personne ne veut devenir le nouveau Japon.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Au nom des membres de la commission, permettez-mois de vous remercier de l'honneur que vous nous avez fait en venant échanger avec nous avec beaucoup de simplicité, en même temps qu'avec un sens aigu de la pédagogie. Cet instant demeurera un des grands moments de ce début de mandature, ici, au Sénat.

Je suis persuadé, à titre personnel, que nous saurons tirer un grand profit de ce que vous avez dit. J'espère surtout que nos gouvernants, en général, sauront s'inspirer des leçons que vous nous avez données ! (Applaudissements à droite et à gauche).

Loi de finances pour 2015 - Audition de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et de Mme Carole Delga, secrétaire d'Etat chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire

La commission entend M. Emmanuel Macron ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et de Mme Carole Delga, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire

La réunion est ouverte à 16h 30

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous avons l'honneur de recevoir M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, et Mme Carole Delga, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.

Monsieur le ministre, vous occupez ces fonctions depuis peu de temps. Votre prédécesseur, M. Arnaud Montebourg, nous avait présenté le 3 juin dernier les grandes lignes d'une réforme des professions réglementées. Contrairement à ce que nous pensions alors, ce n'était pas une provocation de sa part mais une volonté gouvernementale, que vous êtes à présent chargé de concrétiser au moyen du projet de loi relatif à la croissance et à l'activité. Nous souhaiterions que vous nous indiquiez les points de continuité et d'inflexion entre votre action et la sienne, et que vous nous précisiez le calendrier de ce projet de loi. Puis mes collègues vous poseront des questions.

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. - Merci de m'accueillir pour ce premier échange. Je souhaite qu'il y en ait d'autres, le plus souvent possible, car je crois notre dialogue utile sur ces sujets de fond. Je vous présenterai d'abord le cadre général d'action de mon ministère et le sens de la politique que je veux conduire, en distinguant les plans local, national et européen. Pour être cohérente, notre politique économique doit les articuler et appliquer à chaque niveau la même exigence.

Au niveau de nos territoires, et de nos entreprises, je reprends l'important travail de défense du tissu industriel engagé par mon prédécesseur et son administration. J'ai pris à mon arrivée à Bercy les mesures nécessaires pour renforcer le rôle des commissaires au redressement productif, qui mènent un travail fondamental depuis deux ans aux côtés des préfets. Il est de la responsabilité de l'État, avec les acteurs locaux, de préserver l'activité des entreprises menacées. Je prendrai dans les prochaines semaines une circulaire pour ancrer le travail des commissaires dans celui de la direction générale des entreprises et le coordonner avec celui des services financiers de l'État.

Ce volontarisme défensif n'implique pas d'intervenir pour chaque entreprise en difficulté, mais de nous battre dans toutes les situations où cela en vaut la peine, lorsqu'un marché existe, lorsqu'une production est viable. Ce n'est pas le pan le plus médiatique de notre action ; les commissaires au redressement productif et le comité interministériel de restructuration industrielle, dont j'ai gardé les équipes inchangées, travaillent dans un esprit de discrétion et de responsabilité.

La responsabilité de l'État est aussi de fixer un cap. La labellisation la semaine dernière de neuf métropoles French Tech en est une traduction, qui distingue les écosystèmes entrepreneuriaux bien structurés.

Mon ministère ne perd pas de vue pour autant le quotidien de notre économie et de nos emplois. Les PME connaissent des difficultés sectorielles : Carole Delga mène un important travail sur le petit commerce et l'artisanat. Préparer l'avenir, c'est aussi parier sur nos entrepreneurs, qui sont les véritables moteurs de l'économie de l'innovation. Les start-up sont à l'origine de la création de la moitié des emplois en France : il faut les accompagner. La BPI consacrera 20 millions d'euros dès 2015 à la bourse French Tech. Contrairement aux idées reçues, les start-up ne concernent pas seulement quelques quartiers ou quelques territoires.

Cette nouvelle économie doit travailler avec l'économie classique, d'où le volet offensif de notre politique industrielle. J'ai repris les 34 plans mis en place par mon prédécesseur sous l'impulsion du président de la République. Ces 34 objectifs d'arrivée sur le marché de nouveaux produits portés par les industriels eux-mêmes, témoignent de la volonté de l'État d'accompagner PME et grands groupes. Véhicule consommant deux litres aux cent kilomètres, drones, traitement des données de masse, transition énergétique... aucun secteur industriel n'a été oublié. Je commencerai la semaine prochaine une revue des plans famille par famille, à commencer par celle du numérique, pour voir ce qui marche, ce qui marche moins bien, et où sont les synergies. À l'instar des pôles de compétitivité, les plans sont nombreux, et on ne peut donner la priorité à tout... Il ne s'agit pas de couper dans les crédits - ils sont préservés - mais de faire preuve de pragmatisme, de créer de la transversalité et de favoriser l'internationalisation des projets. Un plan est particulièrement important, décliné en région : celui de l'usine du futur, qui alliera industrie classique, numérique et services. C'est ainsi que nous rattraperons notre retard sur l'Allemagne en matière de robotisation.

Au plan national, je défends ce qui peut sembler un oxymore : la stabilité en mouvement. Nous avons pris de nombreuses décisions en matière fiscale et sociale, et fait un certain nombre d'annonces. Le pacte de responsabilité et de solidarité décidé le 14 janvier par le président de la République, décliné depuis avril par le Premier ministre, est une mesure importante. La priorité est de le stabiliser et de l'exécuter, afin de déclencher les comportements d'investissement des entreprises et de consommation des ménages. Quarante milliards d'allègements de charges des entreprises sur trois ans, c'est un engagement fort dans la situation contrainte où sont nos finances publiques, et un signal envoyé aux acteurs économiques. Ses résultats dépendent de l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux, en alimentant, dans chaque branche, le dialogue social - dans lequel je vois aussi un facteur de compétitivité. Les résultats sont déjà là : le mois dernier, le coût horaire moyen de la France est devenu légèrement inférieur à celui de l'Allemagne. Il faut y voir les premiers effets du CICE, même si le dynamisme des salaires allemands a aussi joué un rôle important.

Nous n'en devons pas moins accélérer les réformes. C'est un enjeu de compétitivité et d'ouverture de notre économie. D'où ce projet de loi sur l'activité et la croissance, initié par Arnaud Montebourg. Il sera présenté en Conseil des ministres le 10 décembre et soumis au Parlement au premier semestre 2015. Il ne s'agit pas de stigmatiser telle ou telle profession, ni de faire des victimes expiatoires pour favoriser la croissance et redonner du pouvoir d'achat, mais d'accompagner la mondialisation au lieu de la subir, et de transformer notre économie. Notre devoir collectif n'est pas d'appliquer des réformes dictées par Bruxelles, mais de supprimer les blocages de notre économie pour faire baisser les prix, stimuler l'activité et, au-delà, recréer des opportunités pour nos concitoyens. Bref, favoriser l'égalité des chances économiques.

Nous ne stigmatisons pas les notaires. Le secteur fonctionne bien, il n'est pas question de toucher aux fondamentaux. Les actes authentiques resteront de la compétence exclusive des notaires. Nous ne voulons pas sortir du droit canon ! Mais regardez le notariat sous l'angle économique : nous avons perdu 600 offices depuis 1980, pendant que la population augmentait de 10 millions et les transactions de 250 %... Les notaires associés qui tiennent les offices sont à plus de 80 % des hommes de plus de 45 ans gagnant plus de 17 000 euros par mois. Les notaires salariés, qui ont les mêmes diplômes, sont en majorité des femmes de moins de 45 ans. Il y a donc bien quelque chose de grippé dans ce secteur. Les avocats ne sont plus une profession réglementée : leur moyenne d'âge est de 45-50 ans, et 53% d'entre eux sont des femmes. Il est paradoxal de parler de profession « libérale » à propos des notaires... On peut conserver l'ADN du notariat à la française, fait de sécurité juridique et d'un maillage fin du territoire, mais revoir les conditions d'accès à la profession, améliorer le service. Les notaires eux-mêmes y sont prêts, comme ils sont prêts à abaisser leurs tarifs : laissons-leur la possibilité de le faire, en ne fixant que des plafonds.

Quant à la politique d'ouverture du capital des entreprises, je souhaite une réforme ambitieuse de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié. Nous devons restaurer une épargne salariale abîmée, et l'ouvrir aux plus petites entreprises. C'est un moyen de créer de nouvelles collectivités humaines, et un facteur de compétitivité. Comme un grand chef d'entreprise du nord de la France avait coutume de le dire, « lorsque mes salariés sont aussi mes actionnaires, je leur parle différemment ». L'actionnariat salarié mobilise les jeunes et récompense ceux qui prennent des risques : nous souhaitons renforcer le dispositif actuellement en vigueur.

S'agissant du travail le dimanche, nous souhaitons, là encore, décloisonner les choses. Nous nous appuyons sur le rapport Bailly. Le régime sera simplifié ; davantage de pouvoir sera confié au maire pour les ouvertures dominicales, et la loi prévoira un mécanisme de compensation pour les salariés, qui n'existe pas aujourd'hui dans les zones d'intérêt touristique. Dans ces zones comme dans quelques grandes gares, là où existent des opportunités de supplément et non seulement de déport d'activité d'un jour à l'autre, un arrêté pourra autoriser l'ouverture des commerces le dimanche et en soirée, dans un esprit de concertation avec les acteurs locaux.

La réforme des conseils de prud'hommes a été conçue avec François Rebsamen et Christiane Taubira, à partir des grandes lignes de son projet de justice pour le XXIème siècle. La justice prud'homale est incertaine et lente : 27 mois de délai - mais 4 ans à Paris ! - et seulement 6 % de conciliation, qui était la justification première du système ; en outre, le taux de réformation des jugements est extrêmement élevé. Nous pouvons préserver l'esprit originel du système, le paritarisme, tout en réduisant les délais, améliorant la visibilité des peines par la fixation de barèmes, facilitant la conciliation.

Nous attendons beaucoup du débat parlementaire, car ce texte peut encore être enrichi. Il y a deux façons de l'aborder : soit comme une prise de risque inconsidérée ou une posture, mais ce n'est pas ma philosophie ; soit comme une tentative, en dépit de toutes les difficultés politiques, sociétales et de tous les corporatismes, de redonner à notre pays une forme d'espoir. Offrons aux Français la possibilité de prendre des initiatives, et cessons de regarder notre économie et notre société par le prisme des intérêts constitués, car ils sont impuissants à mobiliser toutes nos forces. Redonnons une espérance aux jeunes, à ceux qui se sentent condamnés aux marges, mais sont animés par une volonté et un esprit d'initiative.

Le sens de ces réformes est aussi à chercher au niveau européen, par où passe la réussite de notre pays dans la mondialisation. Pendant trop longtemps, à droite comme à gauche, on s'est laissé aller à la tentation d'injecter de l'argent public et de promettre aux Français une protection contre les réformes imposées par Bruxelles. Nous voulons faire l'inverse. Réduire les dépenses publiques est difficile et impopulaire. Mais les réformes que nous proposons sont nécessaires, pour le bien de notre économie, pour notre crédibilité vis-à-vis de nos entreprises et de nos partenaires, qui n'attendent que cela. Être exigeants avec nous-mêmes nous autorisera à l'être avec l'Europe, au moment où le plan du président Juncker engage 300 milliards d'euros d'investissements. Nous avons besoin d'un véritable plan d'investissement, susceptible de provoquer un choc macroéconomique et d'accompagner notre politique d'offre par une vraie politique de demande. Ce plan devrait nous faire profiter de 10 milliards d'euros en trois ans.

Outre la philosophie de mon action, j'évoquerai bien sûr sur le budget de mon ministère si vous le souhaitez.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pouvez-vous préciser le calendrier du projet de loi pour l'activité et la croissance ?

M. Emmanuel Macron, ministre. - Examiné en Conseil des ministres le 10 décembre, il devrait être examiné par l'Assemblée nationale fin janvier 2015, puis au Sénat en mars.

M. Alain Chatillon. - Les notaires apportent des conseils gratuits en zone rurale et périurbaine. Vous avez parlé d'augmentation de population : elle est concentrée en région parisienne et dans les très grandes villes : attention à ne pas affaiblir les quelques offices qui restent en zone rurale. A Paris, les notaires ont 30, 40, parfois une centaine de clercs ; les notaires de province ont deux voire trois salariés. Attention à ne pas aggraver la désertification de nos territoires. De plus, la taxation est fonction du montant de l'acte, ce qui distingue les notaires qui réalisent de gros actes en petites quantités, et ceux qui, en zone rurale, voient cinq clients dix fois pour passer de tout petits actes ! Enfin, certains ont travaillé une vie entière pour valoriser un fonds de commerce familial : évitons la spoliation... Je suis intervenu à Toulouse devant l'assemblée des notaires. Soyez vigilants face au risque d'exodes ruraux, vous connaissez la difficulté que nous avons à maintenir l'activité sur nos territoires.

J'ai créé un pôle de compétitivité sur l'innovation agro-industrielle entre Aquitaine et Midi-Pyrénées, qui est devenu l'un des deux premiers pôles français. Cette loi élargirait ses compétences en matière de conseil et de formation : pourquoi pas. Mais l'État réduira aussi ses aides de 30 %, en les ramenant à 80 000 euros : c'est peu cher payé pour les sept bénévoles dédiés aux 200 000 salariés et 350 entreprises du secteur, dans deux régions... J'attire également votre attention sur le retrait progressif de la Coface, qui accompagne de moins en moins d'entreprises dans les pays risqués, comme l'Espagne. L'accompagnement des entreprises par Ubifrance est également insuffisant. Regardons ce que font les Japonais, les Allemands ou les Italiens. Nous avons trois fois moins d'ETI qu'en Allemagne, deux fois moins qu'en Italie, et leur marge opérationnelle est deux fois plus faible que chez nos voisins, ce qui explique le déficit de notre balance commerciale. Commençons par fédérer ces entreprises. C'est le rôle des pôles de compétitivité et d'excellence : renforçons-les. Les acteurs financiers existent : BPI, groupes financiers régionaux comme l'Institut régional de développement industriel Midi-Pyrénées, Siparex ou Entreprendre Nord. Mobilisons-les, trouvons des financements extérieurs pour aider les ETI, car c'est là que se crée la valeur ajoutée. Nous avons perdu 70 000 emplois industriels par an depuis 1980, passant de 5,3 millions d'emplois à moins de 2,5 millions... Soyons vigilants, et accompagnons nos entreprises.

M. Martial Bourquin. - Je salue votre volonté de mettre les entreprises et la création de valeur au coeur des préoccupations du Gouvernement. Nous devons redevenir une grande nation industrielle, ce qui impose de soutenir les marges de nos entreprises et de retrouver une véritable culture industrielle. Gardez ce volontarisme, Monsieur le Ministre !

J'attire votre attention sur les conditions de transposition en droit interne de deux directives européennes sur les marchés publics, adoptées cette année. La commande publique représente près de 100 milliards d'euros et donne lieu à d'importants recours à la sous-traitance. Le texte européen donne une large marge de manoeuvre aux États membres sur ce point. Il indique que le respect par les sous-traitants de leurs obligations dans les domaines du droit environnemental, social et du travail doit être assuré : c'est très important. Il dispose également qu'il est nécessaire d'assurer la transparence dans la chaîne de la sous-traitance. Dans ma région, un chantier à 300 millions d'euros est en cours ; de nombreuses sociétés ayant recours aux travailleurs détachés répondent aux appels d'offre et j'ai demandé au préfet que des contrôles soient diligentés. Songez que douze nationalités ont été identifiées sur le chantier. Une société en délicatesse avec son administration fiscale de tutelle à hauteur de 40 millions d'euros a été exclue...

La suppression de l'obligation pour les PME d'avoir un chiffre d'affaires deux fois égal au montant des marchés auxquels elles postulent, et l'obligation d'allotissement des marchés publics sont certes des progrès. Mais il reste des marges de manoeuvre : la transparence de la chaîne de la sous-traitance et la mesure de l'empreinte carbone peuvent aider nos PME et nos TPE. Renforçons les contrôles et luttons contre le dumping fiscal et social éhonté aujourd'hui pratiqué. Les entrepreneurs et salariés du bâtiment s'inquiètent car ils sentent la situation leur échapper.

L'observatoire des délais de paiement présidé par Jean-Hervé Lorenzi a rendu son verdict : ceux-ci s'allongent entre les grands donneurs d'ordre et les sous-traitants. La nature de leurs rapports est une autre explication du faible nombre d'ETI et de la désindustrialisation. Nous ne connaissons pas le Mittelstand : la culture française, c'est de tondre le sous-traitant ! La loi sur la consommation contenait des mesures relatives aux délais de paiement : quand les décrets paraîtront-ils ? Ce phénomène contribue à la désindustrialisation.

M. Ladislas Poniatowski. - Monsieur le ministre, je buvais du petit lait en vous écoutant. Vous risquez d'être surpris lors des débats au Parlement, car vous aurez plus de soutien sur nos bancs que sur ceux de votre camp... Vous vous attaquez aux corporatismes, dites-vous ? Plutôt à votre propre majorité !

Sur l'ouverture du capital des entreprises, j'espère que vous ferez preuve d'esprit d'initiative et que vous irez loin. Cette réforme doit profiter à ceux qui prennent des risques, et à l'ensemble des salariés. C'est la seule manière d'aider toutes les entreprises, sans distinction. Sur ce point, nous vous soutiendrons. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce sujet ?

M. Michel Le Scouarnec. - Il serait bon d'évaluer annuellement le CICE, dispositif de 420 milliards d'euros, sur lequel nous restons sceptiques. Il n'y a de la part des entreprises aucun engagement ferme ni, de votre côté, aucun critère de ciblage.

Vous vous réjouissez de la baisse de notre coût salarial horaire, et souhaitez celle des prix. La relance de notre industrie dans la mondialisation impose-t-elle de tout tirer vers le bas ? Je rejoins Alain Chatillon sur les professions réglementées. Celles-ci ont un rôle fondamental dans le tissu local. Sans doute y a-t-il des changements à apporter, mais avec prudence. Je ne connais pas l'avis des syndicats sur la réforme des conseils de prud'hommes, mais ils sont concernés au premier chef : il faudra en tenir compte. Jean Tirole a parlé tout à l'heure de code éthique. Les retraites chapeau sont-elles prévues par ces codes ? Faut-il les accepter, les interdire, les réduire ou les taxer ? Enfin, serait-ce une bonne chose si la BCE prêtait aux États au même taux qu'aux banques ?

M. Joël Labbé. - Mon expérience de maire m'a convaincu du besoin de réformer les notaires, mais aussi de la nécessité de préserver ce service de proximité. En tant qu'élu local, j'ai traité avec des notaires chaque semaine : ils ne m'ont jamais fait payer leurs conseils. Tenons compte de la grande différence entre les cabinets de grandes villes et les offices de campagne.

Nous aimerions vous entendre sur la transition énergétique et les nouvelles activités et nouveaux métiers qui sont en train d'émerger dans le secteur des transports, ou du BTP, confronté aux nouveaux modes de construction et de rénovation des bâtiments.

M. Emmanuel Macron, ministre. - Sur le notariat, je partage votre sensibilité. Le notariat français est un gage de sécurité juridique et, grâce à son maillage territorial, un véritable service public. Il ne faut surtout pas le casser. Cela étant, si vous souhaitez créer un office notarial, il faut être présenté par un notaire détenant un office. Ce n'est pas conforme à l'idée que nous avons tous, je crois, de la méritocratie républicaine. Si vous ne trouvez personne pour vous adouber, vous aurez beau détenir les diplômes et la reconnaissance d'honorabilité délivrée par le Garde des Sceaux, vous n'aurez aucune perspective. La création de nouveaux offices est certes possible sur autorisation de la Commission de localisation des offices de notaires (Clon), mais sa politique est excessivement malthusienne, ce qui explique la baisse du nombre de notaires dans notre pays.

Les déserts notariaux ne sont pas en zone rurale, mais dans les banlieues des métropoles. La richesse notariale se concentre, c'est vrai, là où les prix de l'immobilier ont flambé. Le secteur a été, pour de bonnes raisons, sur-réglementé : il faut simplement garder la bonne réglementation et enlever celle qui est inutile. Nous proposons d'autoriser les notaires ayant passé toutes les fourches caudines juridiques et qui présentent toutes les garanties - diplômes, expérience, honorabilité - à ouvrir leur office. Et pour éviter la concentration géographique de l'offre, nous proposons que la Clon soit remplacée par un collège de professionnels placé sous la tutelle de l'Autorité de la concurrence, qui orienterait la création de nouveaux offices là où il en manque, en fonction de critères objectifs de population et de richesse. Nous inversons donc la logique : ce qui est pour l'heure interdit partout sauf autorisation d'une commission très conservatrice, deviendrait autorisé partout sauf risque de déstabilisation d'un écosystème.

Les tarifs font l'objet d'une péréquation de fait : les petits actes sont facturés en-deçà de leur coût réel, et l'équilibre est rétabli grâce aux gros actes. Cette péréquation n'a certes de sens qu'au niveau macroéconomique : certains grands cabinets font surtout des gros actes, certains petits offices uniquement des petits actes. Nous ne pouvons donc en tirer la conclusion qu'il ne faut toucher à rien. Les tarifs n'ont pas bougé depuis 1978, ce qui signale un besoin d'adaptation au monde d'aujourd'hui. Gardons une logique de péréquation, et révisons régulièrement ces tarifs sur la base des rapports que rendra l'Autorité de la concurrence à compter de la fin de cette année. Introduisons de surcroît une logique de plafond : pourquoi un notaire innovant ne pourrait-il pas proposer des actes moins chers que ses concurrents ? Un jeune qui veut s'installer à Paris serait heureux de pouvoir le faire, et la qualité des actes n'en serait pas affaiblie.

M. Bruno Sido. - C'est une logique de low cost...

M. Emmanuel Macron, ministre. - On ne peut pas expliquer aux entreprises qu'elles doivent s'adapter à la mondialisation, et dire en même temps qu'il faut vivre sous le régime de Ventôse et appliquer la loi de 1943, avec les tarifs de 1978. Ce n'est pas satisfaisant. Préserver le coeur de notre droit ne nous empêche pas de moderniser le système.

Les 71 pôles de compétitivité reçoivent des dotations de fonctionnement qui sont passées d'un montant de 16 millions d'euros pour mon ministère (22 millions d'euros au total pour l'État) à 14 millions d'euros - et non pas 11, 5, comme c'était initialement prévu. La baisse enregistrée est donc inférieure à 5 %, conforme à la moyenne de l'ensemble des ministères. Quant aux dotations d'investissement, elles ont été préservées et renforcées via le programme d'investissements d'avenir. Le Fonds unique interministériel était évalué à 110 millions d'euros en 2014 ; il sera stabilisé sur le triennal à 100 millions par an. Il n'y a donc pas eu de désengagement. La Coface est un sujet de préoccupation important pour les entreprises. Elle représente 5 à 6 millions d'euros d'engagement chaque année pour l'État. Nous ne gérons pas le compte privé qui accompagne les entreprises exportatrices. En revanche, la BPI a renforcé notre dispositif en lançant BPI Export. Nous avons également regroupé l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) et Ubifrance en une entité unique, plus efficace à l'international. La complexité de la tâche vient de la multiplicité des acteurs dans les territoires.

Pour soutenir les ETI, il serait bon de rémunérer les entrepreneurs qui prennent des risques par des mesures fiscales avantageuses. Je proposerai des bons de souscriptions de parts créateur d'entreprise. En France, le capitalisme familial est moins développé qu'en Allemagne. La réflexion lancée sur les seuils sociaux est importante pour rattraper ce retard. Les ETI ont surtout besoin d'une politique qui leur soit plus favorable en matière de fonds propres - et non pas de dette.

Martial Bourquin, dans le développement de la culture industrielle de notre pays, nous avons raté une bataille, à la fin des années quatre-vingt, celle de la robotisation. Aujourd'hui, une autre bataille industrielle s'ouvre : le 4.0, ou comment inventer l'usine du futur, alors que s'ouvre l'ère d'une production décentralisée, grâce au nouvel outil qu'est l'imprimante 3D. L'organisation de l'outil productif change puisque la production industrielle est désormais mariée avec le numérique et les services qui lui sont attachés. Les produits que l'on vend ne sont plus seulement matériels ; s'y ajoutent de l'intelligence embarquée et des services. C'est une nouvelle opportunité qui s'offre à la France de décloisonner les secteurs. L'industrie n'est plus la soeur ennemie des services. Par conséquent, nous devons développer une vision transversale, réfléchir de manière collective, investir aux bons endroits pour créer des clusters de performance, former nos compatriotes, ne pas avoir peur du changement. Si nous n'avons pas peur, nous réussirons ce virage industriel. La nouvelle robotisation n'est pas l'ennemi de l'emploi. Preuve en est que l'Allemagne compte cinq fois plus de robots que la France et avec un taux de chômage deux fois inférieur au nôtre.

Deux directives ont réformé les marchés publics en février 2014. D'ici la fin de l'année, nous lancerons une consultation sur le contenu de l'ordonnance à prendre. Elle doit être l'occasion d'une réforme en profondeur pour soutenir les PME. La loi Économie sociale et solidaire prévoit des clauses sociales de nature à protéger ces entreprises. Nous avons également aggravé les sanctions administratives en cas de défaut. D'autres mesures sont nécessaires, comme la simplification des règles des marchés publics pour les PME. Il faut également être très vigilant sur le détachement, sur l'organisation de la chaîne de production, rendre plus favorables aux PME les possibilités d'allotissement, et renforcer les clauses sociales et environnementales. Cela s'inscrit dans la droite ligne de ce qui a été engagé en septembre dernier, avec les mesures de simplification et des approches nouvelles comme le partenariat pour l'innovation. Vous serez bien sûr associés à la réflexion.

Le délai de paiement, fixé dans la loi à soixante jours, n'est pas respecté. Disons-le avec honnêteté : un certain nombre d'administrations et de grandes entreprises publiques y dérogent. Pour assurer le respect de la loi, nous devons lancer une nouvelle dynamique : contrôles accrus de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes - 2 500 contrôles en 2014 -, mise en oeuvre d'un suivi particulier par le commissaire aux comptes, ou encore mesures de stigmatisation contre ceux qui ne respectent pas les règles, particulièrement dans le secteur public. Le « name and shame » est efficace ! Un apparatus juridique et des mesures de contrôle sont en cours d'élaboration pour faire en sorte que les PME cessent d'être la première banque des grands groupes.

Notre politique doit être la plus ambitieuse possible sur l'ouverture du capital et le développement de l'actionnariat salarié. Cela passera par l'extension du dispositif de l'épargne salariale aux plus petites entreprises, par la simplification des règles, la mise en place de dispositifs plus incitatifs et surtout par la protection des salariés qui investiront dans l'entreprise. Le Conseil de l'orientation, de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié doit rendre son rapport dans quelques semaines. Ses travaux nous seront utiles pour améliorer le forfait social et le rendre plus attractif. La mise en place de bons de souscription pour les créateurs d'entreprise encouragerait l'actionnariat salarié. Les start-up ou les petites entreprises familiales sont créées par des Français qui n'hésitent pas à prendre des risques mettant en jeu leur capital et leur famille. Il serait juste de reconnaître cette mobilisation et de lui apporter un soutien. L'économie de demain est une économie de rupture. Pour réussir, nous avons besoin de Français qui prennent des risques, plus encore en France qu'à l'étranger.

Les dispositifs qui récompensent les managers en fonction de leurs performances sont à revoir. Récemment, nous avons beaucoup dégradé l'attrait fiscal des stock-options, pour des raisons politiques. Soit. Les actions de performance sont cependant un bon outil pour l'économie, à condition que leur distribution réponde à des règles d'éthique et que la performance soit évaluée. On ne peut accepter une attribution automatique, il faut donc traiter les situations de rentes. Les retraites-chapeau sont l'exemple type de la rente en économie. Il s'agit d'un terme journalistique pour désigner des retraites supplémentaires, souvent par capitalisation. Plusieurs millions de Français cotisent pour un montant généralement inférieur à 10 000 euros, veillons à ne pas les viser.

M. Yannick Vaugrenard. - Nous parlons des chapeaux à très large bord...

M. Emmanuel Macron, ministre. - Oui, le sombrero, qui n'aura rien coûté à celui qui le porte ! Des cadres dirigeants bénéficient ainsi d'un régime de retraite supplémentaire provisionné par leur entreprise pour des montants importants. C'est une forme de rente qui n'est corrélé à aucune performance. Le code de bonne conduite Afep-Medef recommande de le conditionner à une stabilité dans l'entreprise. Certains, qui l'avaient obtenue après un passage assez bref à la tête d'une entreprise, y ont renoncé, comme Philippe Varin. La retraite chapeau de Gérard Mestrallet, elle, est conforme aux prescriptions de ce code et l'État l'a approuvée en septembre 2011, comme celle d'autres dirigeants de GdF-Suez. Nous devons faire preuve de responsabilité en ne remettant pas en cause cette décision de l'État au seul motif qu'elle a suscité une polémique. Néanmoins, notre devoir est de réfléchir à ce qu'il convient de faire, dans un esprit de responsabilité. Il me semble préférable de revenir vers un régime de droit commun. Notre économie gagnerait à favoriser la performance des chefs d'entreprises en les payant mieux, sans leur donner de fausses compensations par des rentes mal ficelées... soumises du reste à une fiscalité de 70 %.

Ce n'est pas le CICE, mais le Pacte de responsabilité qui se chiffre à 40 milliards d'euros sur les trois ans à venir. Une évaluation par le Commissariat général à la prospective a montré que les entreprises s'étaient saisies de l'instrument qu'on leur proposait. Le CICE fonctionne, y compris dans les PME. Les experts comptables disent que certaines entreprises ne le demandent pas par crainte d'un contrôle fiscal : les contrôles existent en France, mais sans lien avec le CICE !

L'objectif de cet allègement des charges et des impôts pendant trois ans est de restaurer les marges des entreprises. En 2012, elles ont atteint un niveau historiquement bas, à cause d'une fiscalité trop lourde, d'une dynamique salariale beaucoup plus développée qu'en Allemagne, d'un mauvais positionnement de nos entreprises sur le marché, les empêchant de monter en gamme. Le vrai moyen de rétablir notre compétitivité, c'est de monter en gamme et d'innover. Dans beaucoup de secteurs, nous avons échoué à prendre cette voie. L'automobile, par exemple, a privilégié les modèles du milieu de gamme et elle a été victime de la concurrence des pays à bas coûts. Il nous faudra du temps pour restaurer notre politique d'innovation - de cinq à dix ans. Cela ne se fera pas sans prendre des initiatives pour le développement et l'investissement - CICE et pacte de responsabilité. Dans l'immédiat, l'urgence est de restaurer les marges des entreprises, afin qu'elles puissent embaucher. Il revient au patronat de conduire les négociations de branches auxquelles il s'est engagé. C'est indispensable pour la réussite de notre économie. Ne répétons pas nos erreurs passées, lorsque la France préférait augmenter les salaires et les dividendes, plutôt que d'embaucher. La création d'un pacte productif dans l'entreprise passe par un changement collectif de mentalité : nous devons associer les salariés aux discussions, gagner en transparence, investir et embaucher.

Quant aux prud'hommes, une concertation est en cours avec les syndicats. L'esprit du paritarisme sera préservé, sans pour autant perdre en efficacité. Certes, nous devons nous concerter avec les syndicats et les organisations patronales. Cependant, même si la démocratie sociale doit pouvoir s'exercer, c'est aux décideurs politiques de réformer les prud'hommes.

Sur les interventions de la BCE, chacun s'interroge : « en ont-ils parlé ou pas ? ». Or, précisément, pour qu'elles fonctionnent efficacement, il ne faut pas trop en parler. La banque centrale européenne peut acheter de la dette des États souverains et avoir ainsi un impact macroéconomique pour nos économies. Cependant, il manque un consensus au sein du Conseil des gouverneurs. Mario Draghi a dit que la zone euro avait besoin d'un choc macroéconomique. Quoi qu'il en soit, il ne sert à rien de mettre la BCE sous pression. C'est en créant les conditions politiques qui permettront à l'institution de décider que nous arriverons à une action efficace. Pour la France, cela signifie réussir ses réformes ; pour l'Europe, affirmer son leadership. En juillet 2012, Mario Draghi a fait une déclaration forte qui a calmé le feu dans la zone euro. Cela n'aurait pas été possible si, le mois d'avant, sous l'impulsion du nouveau président François Hollande, les gouvernements n'avaient pas trouvé un accord pour préserver l'unité de la zone euro. Sans ce momentum politique, la BCE n'aurait pas pu prendre de décision.

La loi de transition énergétique pour la croissance verte comporte des mécanismes d'incitation pour l'offre et la demande - la rénovation thermique, notamment. Le PIA 2 consacre plus de 12 milliards d'euros de crédits à la transition énergétique, que ce soit en travaux sur les bâtiments ou en mobilité durable. Il y a là un levier de croissance pour le BTP.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci monsieur le ministre, de toutes ces données si précises.

Madame la ministre Carole Delga, vous avez en charge les secteurs du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Nous souhaiterions vous entendre sur les dispositions budgétaires qui concernent votre portefeuille. Nous avons quelques inquiétudes sur certaines mesures : la nouvelle réduction des crédits du Fisac, l'extinction programmée des crédits du comité professionnel de distribution de carburant (CPDC), ou encore la réduction drastique des moyens des chambres de commerce et d'industrie.

Mme Carole Delga, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. - L'économie de proximité dans les territoires touche au quotidien ; c'est un atout déterminant pour la vitalité des territoires. Elle a démontré sa durabilité et sa capacité de résilience. Le premier objectif de notre politique est de soutenir la création d'emplois et de richesses au coeur des territoires. Le CICE contribue à améliorer la compétitivité des entreprises de proximité. Il est basé sur la masse salariale, à hauteur de 6 % pour 2014, et non sur une déclaration fiscale comme le CIR. Il n'y a donc aucun lien avec un contrôle fiscal, alors que pour le CIR, l'administration veut vérifier la pertinence des aides au regard de la situation fiscale. D'autres dispositifs d'aide aux TPE et PME se mettront en place à partir du 1er janvier 2015 : baisse de 60 % des cotisations patronales pour les indépendants, réduction ou suppression de ces cotisations pour les salaires autour du Smic, et suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Le financement de l'économie sociale et solidaire sera facilité grâce à la BPI qui soutient la structuration des comptes de nos entreprises au niveau du haut de bilan, grâce à la création du fonds impact coopératif, doté de 60 millions d'euros ; quant au bas de bilan, des prêts participatifs sociaux permettent à la BPI d'apporter sa garantie aux établissements bancaires dotés d'un réseau de proximité, pour un montant de 50 millions d'euros en 2015. Enfin, le Président de la République a annoncé, en septembre dernier, lors des Assises du financement de l'investissement, que la BPI se porterait garante pour les TPE et les PME, afin de faciliter leur accès aux crédits de trésorerie, déterminants pour leur développement.

Nous souhaitons également encourager l'innovation et favoriser la transmission d'entreprises, grâce aux coopératives d'activités et d'emploi et aux scops d'amorçage qui offrent aux salariés la possibilité d'une reprise, par un investissement progressif, sans être dès le départ actionnaires majoritaires. Nous avons confié une mission à un parlementaire sur le droit d'information préalable des salariés et sur l'ensemble des dispositions prévues en 2015 pour favoriser la transmission des TPE et des PME. Relancer l'emploi des jeunes est une priorité. On a constaté une reprise légère de l'apprentissage en septembre dernier. La communication forte mise en place par le fonds de promotion du commerce et de l'artisanat - avec des spots télévisés et radiophoniques - a porté ses fruits. Dans les entreprises de moins de 11 salariés, la prime d'apprentissage est de 2 000 euros ; et de 1 000 euros dans celles qui ont entre 11 et 250 salariés. Agir pour l'emploi, c'est surtout soutenir l'insertion professionnelle par l'activité économique.

Le deuxième objectif de notre politique est de développer la citoyenneté économique, en redonnant confiance aux consommateurs. L'action de groupe est opérationnelle depuis le 1er octobre dernier : quatre actions ont été introduites par des associations de consommateurs, en toute indépendance et avec professionnalisme. Nous formerons également des médiateurs indépendants qui offriront aux consommateurs une alternative au recours en justice, en cas de litige.

La France doit valoriser ses richesses et ses talents. La gastronomie est un de ses fleurons que nous venons de célébrer par une fête de la gastronomie qui sera pérennisée, le dernier week-end de septembre. Le titre de maître restaurateur, qui donnera lieu à un nouveau cahier des charges prochainement, le « fait maison » contribuent à cette reconnaissance. Le métier d'artisan cuisinier est désormais inscrit au répertoire des métiers, car il ne l'était pas ! Quant à l'artisanat d'art, nous souhaitons lui attacher un dispositif d'indications géographiques pour distinguer certains produits naturels ou manufacturés - le savon de Marseille, la dentelle de Calais, le granit de Bretagne ou la pierre de Volvic - et favoriser leur utilisation. Développer la citoyenneté économique, c'est aussi agir contre l'exclusion, en ouvrant le tourisme à tous. L'Association nationale des chèques vacances y contribue ; nous travaillons également à un plan de rénovation des centres de tourisme social.

Notre troisième objectif est de garantir le cadre économique. Pour cela, nous avons créé la Chambre de l'économie sociale et solidaire, dont l'agrément « Entreprises solidaires d'utilité sociale » contribue à diriger l'épargne salariale vers ces structures. La réforme des réseaux consulaires prévoit une mutualisation des fonctions de support, sans pour autant supprimer l'implantation dans les territoires. Les chambres de commerce et d'industrie ont tout intérêt à rationaliser leur réseau, comme cela a été fait dans la région Nord-Pas de Calais où ont été néanmoins maintenus 13 bureaux sur les deux départements. Le Fonds d'innovation sociale sera consacré à l'adaptation et la modernisation des secteurs. Il est doté de 40 millions d'euros apportés par moitié par l'État et les régions. Il sera géré par la BPI, et son comité de pilotage sera lancé le 4 décembre prochain. Les élus disposeront de nouveaux leviers pour développer une politique de proximité dans les territoires : Fisac, pour redonner de la qualité aux centres des villes ou des banlieues, droit de préemption de la commune sur les commerces et possibilité de redéfinir les baux commerciaux. Enfin, nous développerons la politique touristique dans les territoires, en articulant les contrats de destination à vocation internationale aux contrats de territoire. Autour d'un site « phare », comme le Mont Saint-Michel, les villages, les bourgs de Normandie ou de Bretagne (notez que je ne prends pas parti !) doivent pouvoir développer leur politique d'accueil et offrir des prestations de qualité en termes d'hébergement et services touristiques. Nous pourrons ainsi espérer allonger la durée de séjour des touristes et augmenter leur dépense moyenne sur le territoire national. La France est la première destination touristique au monde, mais des progrès restent à faire en chiffre d'affaire.

Le Fisac est un levier efficace contre la désertification commerciale et artisanale, dans les territoires les plus fragiles. Son montant en crédits de paiement s'élève à 17 millions d'euros contre 19 millions en 2014. Il est stabilisé à 19 millions en autorisations d'engagement. Nous avons donc augmenté les crédits. Nous y intègrerons le soutien aux stations-service, en milieu rural ou en montagne, pour compenser la suppression du Comité professionnel de distribution de carburant.

M. Ladislas Poniatowski. - Le compte n'y sera pas.

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Nous avons mis en place une meilleure gestion, plus efficace, pour rattraper le retard de 2011 sur les dossiers Fisac. J'ai demandé au régime social des indépendants de faire des propositions pour maintenir l'indemnité de départ des commerçants et des artisans, d'autant qu'il subsiste chaque année des crédits d'action sociale non consommés, 10 à 14 millions d'euros par an. Les chambres de commerce et d'industrie ont connu ces dix dernières années une augmentation de leur fiscalité, jusqu'à plus de 40 %. Elles ont une trésorerie importante. Le prélèvement global de 500 millions d'euro sera réparti entre les établissements en fonction de leur excédent de trésorerie sur 120 jours. Pour calculer la répartition, nous avons besoin des informations comptables des chambres. Certaines ne les ont pas transmises dans les temps, suivant un appel à boycott émis par CCI France. Nous avons fait un rappel à la loi et disposons désormais de l'ensemble des comptes 2013, qui sont en cours d'expertise. Certains sont cependant insincères et nous devons les retravailler. Un amendement gouvernemental à l'Assemblée nationale a créé une péréquation au niveau régional. Elle existait déjà sur les recettes ; désormais, la possibilité de recourir à des conventions renforce les solidarités régionales. Nous portons une attention particulière aux chambres qui ont prévu des travaux dans les établissements d'enseignement, notamment les CFA. CCI France tarde à nous en envoyer le décompte, mais certaines chambres nous contactent individuellement pour nous communiquer le détail de leurs investissements.

Quant à la réduction du plafond des taxes, elle semble de 213 millions en nominal, mais en réalité, le recul n'est que de 43 millions. Nous avons rappelé à CCI France que nous souhaitions travailler ensemble sur les plafonds.

M. Martial Bourquin. - Une dynamique s'engage pour défendre les TPE, les PME et le commerce. Elle est très attendue. Il me semblait que le montant du Fisac était de 8,9 millions ; comment arrivez-vous à 17 ?

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Un amendement du Gouvernement a porté le montant à 17 millions d'euros.

M. Martial Bourquin. - Le Sénat tient beaucoup au Fisac. Autrefois, la taxe sur les grandes surfaces commerciales aidait les centres villes à se requalifier. Chez moi, nous rénovons un marché couvert : cela coûte cher. Le Fisac est effectivement trop diversifié ; on y a tout mis. Il reste indispensable pour défendre les petites communes. C'est pourquoi il est important que les crédits soient bien de 17 millions. Dans les villages, la majorité des commerces se contentent de survivre, les commerçants ne se versent pas toujours un salaire. Il faut les aider.

M. Ladislas Poniatowski. - Madame la ministre, je suis prêt à parier, hélas, qu'à la fin de la mandature, le bilan sera très négatif pour les stations-service en milieu rural : il va encore en disparaître un bon nombre, comme disparaissent les services publics et les cabinets médicaux. La liste d'attente des demandes aux Fisac est déjà trop longue. Certains résistent un temps, attendent une réponse, puis finissent par fermer avant de l'avoir obtenue. Si, en plus, le fonds sert à compenser une ligne budgétaire qui a disparu, la pénurie abondera la pénurie. Je reste sceptique. Ce sont les collectivités territoriales et les communautés de communes rurales qui investissent le plus dans les stations-service. Peut-être sauverons-nous ainsi une dizaine de stations ; quelques milliers d'autres disparaîtront.

M. Martial Bourquin. - Je rappelle qu'il y a deux ans et demi nous avions dû renflouer le Fisac qui avait dépassé de deux ou trois fois son plafond d'emploi. La campagne présidentielle s'est faite avec le Fisac !

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je ne peux laisser dire une telle affirmation.

M. Martial Bourquin. - Vous l'avez pourtant dit vous-même à l'époque...

François Fillon réclame 130 milliards d'euros d'économies : où trouverons-nous les moyens de financer le Fisac et les autres politiques publiques ? Pour réaliser 50 milliards d'euros d'économies, nous devons déjà faire d'énormes efforts.

M. Michel Le Scouarnec. - Pour le Fisac, 17 millions sont mieux que 8,9. Quelle sera la moyenne sur dix ans ? Je n'ai pas compris votre calcul au sujet des CCI : comment passez-vous de 213 à 43 millions ? La traçabilité est un bon outil pour développer la citoyenneté économique. Nous avons de très bons produits en France. Ne doit-on pas imposer certains règlements à la grande distribution pour que ces produits soient mieux mis en valeur ? Les syndicats agricoles réclament des rayons réservés aux produits français ou régionaux. Défendons nos produits !

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les délais d'instruction des dossiers Fisac sont très longs, ce qui contribue à démobiliser les acteurs de terrain.

Mme Delphine Bataille. - Vous travaillez sur la rénovation des centres de tourisme sociaux, au nom de la lutte contre l'exclusion. Quels sont vos objectifs concrets ? Où en est la réflexion ? Les mesures mises en place par la loi relative à la consommation touchent à la vie quotidienne des Français. Elles doivent contribuer à lutter contre des pratiques commerciales déloyales ou trompeuses pour redonner confiance aux consommateurs. Le Nord-Pas de Calais est exemplaire dans la mise en oeuvre de bonnes pratiques. Nous cherchons aussi à valoriser nos infrastructures de tourisme local. Une Maison du tourisme est en charge de rationaliser la situation. Quant au Fisac, j'ai déjà eu l'occasion de vous interpeller sur les délais d'instruction des dossiers. Nous avons construit un marché couvert, en 2012 ; il a été inauguré l'été dernier ; nous venons seulement de recevoir les crédits.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - La CPDC est une petite cellule peu connue. Mon homologue de l'Assemblée nationale eu des mots durs à son égard. La joindre n'est pas facile, c'est vrai, même par téléphone. J'ai cependant réussi à obtenir que son secrétaire général se déplace dans mon département pour évoquer deux dossiers. Ils sont peu nombreux à gérer la pénurie : en 2014, leur budget s'élevait à 3 millions d'euros, et ils traitaient encore des demandes formulées trois ou quatre ans avant, ce qui donne une idée de la file d'attente. Une chose m'inquiète : nous devrions retrouver les 3 millions d'euros de 2014 dans le budget du Fisac pour 2015...

Soyons conscients des effets induits par la disparition d'une station-service dans le monde rural : les consommateurs se rendent jusqu'à la grande surface pour l'essence... et pour leurs courses par la même occasion, ce qui pénalise tous les commerces de proximité. Nous pourrions mobiliser davantage de crédits pour mettre aux normes les dernières stations-services, qui n'ont pas les moyens de le faire. Il y a des initiatives locales : certaines communes ont créé des stations-services avec paiement automatique par carte de crédit avec l'aide, même modeste, du CPDC. Faisons un effort d'intelligence collective. Je suis le premier à demander des aides du Fisac, comme tout le monde, mais force est de constater qu'il a absorbé les maigres ressources du CPDC...

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Le Fisac connaît en effet une baisse significative de ses dotations depuis plusieurs années. Je souhaitais la limiter pour 2015, d'où cet amendement du gouvernement qui porte ses crédits à 17 millions d'euros. La diminution la plus forte date de 2011-2012, où les crédits ont chuté de 36 %, de 56 à 34 millions d'euros.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Soit le double des crédits actuels !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Certes, mais un certain nombre de promesses ont été faites au dernier trimestre 2011 et au premier trimestre 2012, qui ne concernaient pas seulement des commerces menacés... L'État honorera bien sûr ces engagements, et je ne veux pas polémiquer. Mais cela explique en partie le retard pris dans le traitement des dossiers : tandis que nos crédits diminuaient de 36 %, les engagements augmentaient de 35%... Je me suis moi aussi battue pour le Fisac et les arbitrages budgétaires récents montrent que j'ai été entendue.

Les opérations de modernisation des boutiques et d'animation d'espace public doivent être éligibles au Fisac, à condition qu'elles expriment un vrai projet collectif de dynamisation des commerces. On ne demande évidemment pas aux petits villages d'élaborer une grande stratégie commerciale. Mais là où sont implantés une dizaine de commerces, une stratégie globale illustrant la politique volontariste de la commune sera nécessaire pour en bénéficier. La réduction des délais est en cours. Elle tient en partie à l'incomplétude des dossiers. Nous faisons le nécessaire.

Le CPDC ne concernait pas toujours des stations-service en zone peu dense. Je partage votre analyse, Monsieur le Président : les deniers publics doivent être utilisés pour les stations-service en zone de montagne ou rurale, car leur absence contraint les consommateurs à prendre leur voiture et pénalise les petits commerces. Les appels à projets du Fisac tiendront compte de la densité des territoires, et je donnerai consigne aux services instructeurs de privilégier les stations-service qui relèvent d'une nécessité d'aménagement du territoire. Les dossiers seront centralisés au niveau des directions générales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi : instruits au niveau local et validés au niveau national, comme l'a recommandé la Cour des comptes.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Vous avez annoncé un traitement progressif des dossiers en 2015-2016. Mais les crédits auront disparu, non ?

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Le secrétaire général du CPDC a été contacté la semaine dernière. Nous en sommes à la quatrième réunion à mon cabinet pour prévoir l'organisation de transition. Les subventions 2015 n'ont pas encore été versées, 500 000 euros qui s'ajoutent à une réserve statutaire de 300 000 euros. Si des crédits supplémentaires s'avèrent nécessaires en 2016, ils seront apportés. La problématique sociale n'est pas oubliée.

S'agissant des CCI, les 213 millions d'euros sont le résultat de la différence entre le plafond nominal de recettes pour 2014 et le plafond pour 2015 ; les 43 millions d'euros, la différence entre les recettes réelles perçues en 2014 et le plafond pour 2015.

En 2014, quinze postes ont été créés à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Aucune suppression n'est prévue en 2015. Nous travaillons sur la réorganisation de la direction, en lien avec la réforme territoriale. L'échelle départementale sera renforcée. Un projet sera présenté au Premier ministre en janvier.

Notre dialogue avec la grande distribution est soutenu. Nous demandons aux grands groupes (surtout lorsqu'ils se rapprochent, comme Casino et Auchan) de contenir leur force de négociation lorsqu'ils sont face aux producteurs locaux, qui n'ont rien à voir avec les marques internationales. Nous promouvons ainsi une politique d'achat responsable. Une charte de déontologie de la grande distribution est en cours de signature, qui va dans le même sens. Nous encourageons également, avec Stéphane Le Foll, la valorisation des produits locaux dans les supermarchés et soutenons les démarches de qualité.

M. Michel Le Scouarnec. - Vous ne pouvez pas leur imposer quoi que ce soit.

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Non, en vertu de la liberté du commerce, en effet. Mais nous entretenons une relation constructive avec le secteur, sur ces aspects comme sur les contreparties sociales au CICE : le temps partiel a ainsi augmenté chez Carrefour pour atteindre 28 heures par semaine, et 32 heures chez Auchan. La DGCCRF mène de plus des enquêtes depuis le mois de juin : les premières pistes d'amélioration sont déjà exploitées. Nous en saurons davantage avant la fin de l'année.

Les engagements forts de la région Nord Pas-de-Calais en matière de tourisme social sont connus. Cette logique de promotion de destinations-marques est aussi la nôtre. Je me suis entretenue avec le directeur d'Atout France récemment à propos des marques touristiques à promouvoir, en lien avec les contrats de destination. Le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales peut encore être renforcé.

La DGCCRF mène également une enquête sur les délais de paiement : 2 230 entreprises ont été contrôlées en 2014 ; des délais de paiement anormalement longs ont été détectés. Des sanctions seront prises, s'il y a lieu.

Les décrets d'application de la loi consommation seront pris avant le 31 décembre, à l'exception de ceux relatifs à des dispositions applicables à partir du deuxième trimestre 2015 - comme les modifications de la tarification à l'heure des parkings. Sont concernées les mesures relatives aux crédits renouvelables, à la résiliation des assurances tacitement reconductibles, au choix du carrossier, au démarchage téléphonique, et à l'information des consommateurs dans les foires et salons.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous vous remercions.

Création de groupe de travail et de groupes de suivi - Communication

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Lors de sa réunion du mercredi 12 novembre 2014, le bureau de notre commission a décidé la création de trois groupes de travail ou de suivi : d'abord, un groupe de travail interne sur les normes en matière agricole, à la demande de M. Daniel Dubois. Il serait constitué de neuf membres, cinq de la majorité et quatre de l'opposition : 3 UMP, 2 UDI-UC, 2 socialistes, 2 CRC ou verts ou RDSE. Son rapport serait rendu dans les six mois.

Ensuite, deux groupes de suivi constitués en commun avec la commission des affaires européennes. Le premier sur les négociations des traités transatlantiques de libre-échange, qui travaillera en lien avec le comité stratégique de suivi mis en place par le Gouvernement. Il pourrait être composé de 15 membres, dont 8 de la majorité. Jean Bizet et moi-même le présideraient. Le second sur la mise en oeuvre de la PAC. Le bureau de notre commission souhaite que ce groupe de suivi étudie notamment le regroupement de l'offre de produits au sein des organisations de producteurs. Il pourrait être composé de 15 membres, dont 8 de la majorité. Notre commission désignera la semaine prochaine, pour chacun des groupes de suivi, 4 membres de la majorité et, pour l'un des groupes de suivi, 3 membres de l'opposition, 4 pour l'autre. Dans les deux, la représentation de tous les groupes politiques de l'opposition devra être assurée.

La réunion est levée à 19h10.