Mercredi 14 janvier 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 01

Approbation de la convention entre la France et le Gouvernement de la République d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire

La commission procède à la désignation de ses membres appelés à faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

Mme Michèle André, MM. Philippe Dominati, Albéric de Montgolfier, Jean Pierre Vogel, Olivier Cadic, Jean Germain et Éric Bocquet sont désignés comme candidats titulaires, et MM. Yannick Botrel, Michel Bouvard, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, François Fortassin, Antoine Lefèvre et Richard Yung sont ensuite désignés comme candidats suppléants, pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi.

Protection judiciaire de la jeunesse - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

Puis la commission procède à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la protection judiciaire de la jeunesse.

Mme Michèle André, présidente. - Notre audition fait suite à une enquête réalisée, à la demande de la commission des finances, par la Cour des comptes.

En effet, en application de l'article 58, paragraphe 2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la commission des finances a confié à la Cour des comptes une enquête sur la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Cette enquête, demandée à la fin de l'année 2013 par notre ancien collègue Edmond Hervé, alors rapporteur spécial de la mission « Justice », a été reçue le 9 octobre 2014.

Nous avions demandé ce travail à la Cour des comptes après que la révision générale des politiques publiques (RGPP) avait conduit à diminuer de 6 % les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse entre 2008 et 2012. Depuis 2012, le Gouvernement a souhaité faire de la justice des mineurs une priorité et, en 2015, les crédits de la PJJ sont stables et les effectifs en légère hausse par rapport à 2014.

En juin 2013, le Premier ministre a confié à notre ancien collègue Jean-Pierre Michel une mission auprès de la garde des Sceaux afin de réaliser un bilan des politiques mises en oeuvre ces dernières années concernant la PJJ et de proposer des pistes de réforme. Ce travail visait à proposer des mesures afin d'améliorer à la fois la prise en charge des mineurs concernés, et les relations entre la PJJ et les autres acteurs (l'autorité judiciaire et les conseils généraux), mais aussi de renforcer l'audit interne et l'évaluation de cette politique publique. Ce rapport, rendu le 18 décembre 2013, s'avère particulièrement critique quant aux conséquences de la RGPP et de la réorganisation de la PJJ.

Je donnerai, tout d'abord, la parole à Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre ayant conduit l'enquête. Il est accompagné de Roch-Olivier Maistre, conseiller-maître et président de la troisième section de la quatrième chambre, de Jean-Pierre Lafaure, conseiller maître et contre-rapporteur, et de Hervé Drouet, conseiller-maître et rapporteur. Le président Vachia nous présentera une synthèse des travaux de la Cour des comptes.

Puis, nous entendrons les réactions de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) en la personne de Catherine Sultan, directrice. Elle est accompagnée de Hugues Tranchant, son adjoint.

À l'issue de cet exposé, le rapporteur spécial, notre collègue Antoine Lefèvre s'exprimera et formulera ses premières questions, auxquelles la Cour des comptes et la PJJ seront invitées à répondre.

Je donnerai ensuite la parole à notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier et à Cécile Cukierman, rapporteure pour avis du programme « protection judiciaire de la jeunesse » au nom de la commission des lois. Chaque commissaire qui le souhaitera pourra ensuite poser ses questions.

Avant de donner la parole à Jean-Philippe Vachia, que je remercie ainsi que l'ensemble des magistrats ayant participé à cette enquête, je rappelle que cette audition est ouverte à la presse.

M. Jean-Philippe Vachia, président de quatrième chambre de la Cour des comptes. - Ce travail de la Cour des comptes répond à la saisine de la commission des finances en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Il prolonge plusieurs interventions de la Cour des comptes sur la même thématique - un rapport public thématique consacré à la protection judiciaire de la jeunesse en 2003 et un rapport public thématique consacré à la protection de l'enfance en 2009 - ce qui a permis de constater les indéniables progrès réalisés par la direction de la PJJ.

Le périmètre a été défini sur la base d'un échange fructueux avec le rapporteur de la mission « Justice » de votre précédente mandature, le sénateur Edmond Hervé. Ce périmètre a été centré sur l'évolution des missions et de l'organisation de la PJJ - en particulier à la suite de l'importante réforme qu'a connue la PJJ dans le cadre de la révision générale des politiques publiques - sur l'examen des actions de coordination qu'elle conduit avec les juges et avec les conseils généraux, ainsi que sur les modalités de mise en oeuvre des différentes mesures éducatives par les services de la PJJ.

Trois messages principaux ponctuent notre communication à votre commission des finances. Le premier porte sur les missions de la PJJ et leur évolution ces dernières années, notamment du fait de la RGPP, le deuxième sur le contenu et les effets de la réorganisation engagée depuis 2007 et le troisième sur la prise en charge des mineurs.

S'agissant des missions de la PJJ et de leur évolution, il faut rappeler que la PJJ est à la fois régulateur et opérateur de la politique publique relative à la justice des mineurs. Comme opérateur, elle prend en charge les mesures qui lui sont confiées par le juge ; elle exerce une compétence exclusive pour les mesures d'investigation, destinées à préparer la décision du juge, ainsi que pour les mesures pénales. Elle exerce parallèlement une compétence partagée avec les départements pour la protection judiciaire civile.

Deux constats principaux sont faits par la Cour des comptes à ce propos.

Premièrement, s'agissant de sa compétence opérationnelle, la PJJ s'est recentrée, progressivement dans les années 2003-2007, puis systématiquement à partir de la RGPP, sur la prise en charge des mineurs délinquants, pour laquelle l'État est seul compétent. Elle s'est concomitamment retirée de la prise en charge de la protection judiciaire civile, compétence décentralisée dès 1983 aux conseils généraux, dont le rôle a été réaffirmé par la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l'enfance.

Ce recentrage apparaît cohérent dans la mesure où, d'une part, il permet de spécialiser la PJJ sur son « coeur de métier », en forte augmentation alors que les prises en charge civiles ont plutôt tendance à diminuer, et d'autre part, il met fin à des transferts de charge mal contrôlés et inéquitables sur le territoire. Cette évolution, qui semble favorable devrait, selon nous, être désormais entérinée par une évolution des textes supprimant la compétence civile pour les établissements et services de la PJJ, hors investigation.

Deuxièmement, s'agissant de la compétence de coordination, il est apparu à la Cour des comptes que la PJJ, même si elle a été confortée dans ce rôle par le décret du 9 juillet 2008, qui la charge explicitement de la responsabilité de l'ensemble des questions intéressant la justice des mineurs, ne l'exerce qu'imparfaitement et de façon inégale sur le territoire, tant vis-à-vis des juges, avec lesquels il est difficile de bâtir une politique concertée de justice des mineurs, que vis-à-vis des départements, avec lesquels il est également difficile d'évaluer conjointement les besoins et de planifier l'évolution de l'offre nécessaire.

Au fond, le constat est qu'il n'existe pas, au niveau des ressorts de cour d'appel et des tribunaux des enfants, de politique concertée de justice des mineurs qui aille au-delà d'une simple régulation des capacités disponibles. Il conviendrait de lui donner une dimension obligatoire en prévoyant la tenue de réunions de concertation régulières dans le ressort des cours d'appel.

Vis-à-vis des départements, il est apparu que la PJJ reste très inégalement associée à l'élaboration des schémas départementaux de protection de l'enfance, ce qui ne la met pas véritablement en position de coordonner quoi que ce soit. D'autant qu'elle mobilise mal les leviers, pourtant réglementaires, dont elle dispose en matière d'autorisation et d'habilitation des établissements et services associatifs accueillant des mineurs sous main de justice (les départements ne sont que très exceptionnellement gestionnaires en régie d'établissement d'aide sociale à l'enfance, et recourent à des associations qui doivent être autorisées conjointement par le président du conseil général et le préfet et également habilitées par l'État). Une simplification de la double procédure d'autorisation et d'habilitation, en les unifiant et en les harmonisant avec les procédures applicables aux conseils généraux, renforcerait la crédibilité et le positionnement de la PJJ vis-à-vis des départements comme des acteurs associatifs, et la mettrait mieux en mesure de jouer son rôle de coordination.

La deuxième partie du rapport examine le contenu et les effets de la réorganisation engagée depuis 2007. Cette réorganisation a touché à la fois le secteur public et le secteur associatif.

Pour le secteur public, la rationalisation des services déconcentrés et le retrait des prises en charges civiles a permis une diminution de 512 équivalents temps plein travaillé (ETPT) entre 2008 et 2012.

Une partie des effectifs a été redéployée vers la nouvelle fonction d'audit. Il nous semble que celle-ci pourrait faire l'objet d'améliorations, notamment en séparant l'audit des fonctions opérationnelles et en élargissant son périmètre d'action.

Les établissements et services ont été restructurés, en concentrant les moyens humains et immobiliers, afin de maîtriser les coûts : 125 services de milieu ouvert et 109 structures d'hébergement ont fermé ou fusionné avec d'autres. Ces restructurations ont accompagné le recentrage sur l'activité pénale qui a augmenté de 27 % entre 2007 et 2012 dans le secteur public.

Pour le secteur associatif, la réforme s'est traduite par une diminution drastique des financements accordés au titre de l'activité civile.

Dans ce contexte, les mécanismes de tarification, qui reposent sur une analyse budgétaire de chaque structure associative, apparaissent inutilement complexes et peu efficaces. C'est pourquoi la Cour des comptes recommande d'instaurer une grille tarifaire opposable.

En dépit de la similitude des missions, et même une fois réformés, les deux secteurs ne peuvent être aisément comparés. S'agissant de l'hébergement, les taux d'occupation sont systématiquement plus faibles dans le secteur public et les tarifs plus élevés, ce que la PJJ ne parvient pas encore à expliquer de manière convaincante. S'agissant du milieu ouvert, les différences de méthode ne permettent pas de comparer les coûts entre les deux secteurs ; c'est la raison pour laquelle la Cour des comptes recommande de mettre en place une comptabilité analytique, ce qui peut être quelque chose de simple et non pas une « usine à gaz ».

Enfin, la répartition de l'offre et l'allocation des moyens n'est pas optimale. La régulation de l'offre répond à une logique essentiellement budgétaire, fondée sur une activité théorique qui n'est jamais rapprochée de l'activité réelle.

La troisième partie de notre rapport étudie l'activité de prise en charge des jeunes délinquants par la PJJ.

L'action de la PJJ se décline au travers de principes directeurs, que la Cour des comptes n'a pas à discuter mais dont il faut cependant observer qu'ils font l'objet d'une mise en application disparate. À titre d'exemple, alors que les activités d'insertion sont considérées comme le complément indispensable de la relation entre l'éducateur et le mineur qui permet de réamorcer sa socialisation, le nombre de bénéficiaires ne dépasse pas 20 % de l'ensemble des mineurs pris en charge.

Plus généralement, les services souffrent d'un manque d'encadrement normatif : dans les unités de base, les méthodes de suivi des éducateurs sont très dépendantes de la qualité et de la volonté du personnel encadrant ; dans les services, la Cour des comptes relève l'absence de définition ou de mise à jour des cahiers des charges par type d'établissement ainsi que des référentiels nationaux.

Dans la pratique, alors que judiciairement, ce sont les mesures qui sont identifiées, l'intervention de la PJJ s'articule autour de la personne du mineur, qui fait souvent l'objet de plusieurs mesures. Ce n'est pas critiquable en soi mis cela rend plus difficile le suivi des mesures elles-mêmes. La Cour des comptes a tenté d'analyser les différentes interventions en milieu ouvert (liberté surveillée, mesures de réparation, sursis avec mises à l'épreuve, placements) et en milieu fermé (incarcération) de la PJJ.

En milieu ouvert, la modalité d'exécution de la mesure, bien que prescrite partiellement dans la décision judiciaire, reste finalement tributaire des pratiques de l'éducateur référent du mineur et des ressources locales. La logique d'individualisation des parcours explique sans doute cette approche, qui cependant n'est pas compensée par un suivi et un encadrement réguliers de l'éducateur par sa hiérarchie. La Cour des comptes a constaté, d'ailleurs, que les services de la PJJ ne sont pas en mesure de comptabiliser le temps passé par l'éducateur avec le mineur qui lui est confié, alors que ce temps est jugé fondamental pour la partie éducative de toute mesure. De même, il nous a semblé préoccupant que les services ne comptabilisent pas les mesures abandonnées dans les faits, qui devraient faire l'objet de rapport de carence auprès du magistrat concerné ou du procureur.

Le placement reste problématique en raison moins du nombre de places disponibles sur le territoire national que de l'absence de diversité et d'adaptation au profil des mineurs, notamment les plus violents ou les plus fragiles.

L'intervention de la PJJ en milieu carcéral est différente selon qu'il s'agit d'un établissement pénitentiaire pour mineurs ou d'un quartier des mineurs d'une maison d'arrêt. Dans le premier cas, le potentiel de ces établissements, qui offrent d'importants moyens de prise en charge plus individualisée, n'est pas optimisé, en raison des séjours souvent courts des mineurs. Ceci n'est pas un jugement mais un constat, le fond de la question relevant de la politique judiciaire.

Enfin, nous avons pu constater les difficultés de la PJJ à évaluer ses modes d'intervention.

Il faut ainsi relever la difficulté à identifier l'acte matériel portant mise à exécution de la mesure décidée par le juge. D'importants progrès ont été faits. La mise en oeuvre de l'article 12-3 de l'ordonnance de 1945, tel qu'il a été modifié par la loi du 27 mars 2012, permet sans doute un rapprochement et une meilleure coordination entre les juridictions pour mineurs et les services de la PJJ, ainsi qu'une convocation dans un délai de cinq jours du mineur, mais la réalité de la prise en charge et du démarrage de la mesure, dans un délai raisonnable, reste encore à confirmer.

En outre, l'évaluation de la qualité et de l'efficacité de la prise en charge du mineur est quasi inexistante, qu'il s'agisse de l'appréciation sur l'évolution du mineur et sa capacité à se réinsérer, qui fait l'objet d'une appréciation surtout subjective au niveau local, ou de l'évaluation du fonctionnement des services en raison d'une évaluation interne encore très embryonnaire.

Mme Catherine Sultan, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse. - Le rapport de la Cour des comptes formule un certain nombre de recommandations qui font partie de notre programme de travail actuel. En revanche, l'analyse de la Cour des comptes sur certains points diffère de celle portée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

Comme l'a rappelé Jean-Philippe Vachia, la protection judiciaire de la jeunesse est une direction du ministère de la justice. Il lui revient, à ce titre, d'exécuter les mesures décidées par les magistrats. Mais la protection judiciaire de la jeunesse est également un acteur d'une politique publique en faveur de la jeunesse en difficulté. Elle exerce cette mission en liaison avec d'autres intervenants tels que les juridictions, les conseils généraux, les associations, ou encore les acteurs de l'éducation nationale, de l'insertion professionnelle, de la culture et de la santé.

Le rapport de la Cour des comptes prend acte du recentrage des activités de la protection judiciaire de la jeunesse sur l'application des mesures pénales. Je rappelle qu'elle est la seule à exercer cette mission. Les activités de la protection judiciaire de la jeunesse ont donc suivi les évolutions de la politique pénale, progressivement, dans un premier temps, puis plus brutalement, avec la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Cette évolution ne s'est pas faite sans difficultés s'agissant de la qualité de l'accompagnement des adolescents auteurs d'une infraction pénale que la protection judiciaire de la jeunesse doit désormais s'efforcer de pallier :

- en matière de qualification des professionnels, d'abord : la protection judiciaire de la jeunesse est une administration éducative, chargée de prévention, de protection et de sanctions. Accompagner des adolescents en difficulté, faire évoluer leurs comportements, suppose une connaissance des différentes étapes d'une personnalité en construction. Or la mise en oeuvre de ce recentrage sur le pénal s'est accompagnée d'une perte de savoir-faire qu'il faut compenser ;

- la perte de souplesse dans les réponses que la protection judiciaire de la jeunesse peut apporter. Je citerais comme exemple l'accompagnement des filles qui rencontrent les mêmes difficultés que les garçons, mais dont les comportements sont différents et se traduisent souvent par une prise de risque ou des actes d'autodestruction et non par des actes de délinquance. Or, actuellement, le ratio de filles faisant l'objet d'un accompagnement de la protection judiciaire de la jeunesse n'est que d'une fille pour onze garçons. Cela prive nos établissements d'une mixité qui est souvent source d'apaisement ;

- la question des jeunes majeurs : il s'agit d'une population particulièrement vulnérable, on le constate avec les événements que nous vivons actuellement. Les 18-21 ans requièrent donc une attention particulière dans la mesure où ils peuvent être soumis à des influences négatives et être impliqués dans des faits d'une extrême gravité.

La direction de la protection judiciaire de la jeunesse, qui dispose d'un savoir-faire, souhaite par conséquent pouvoir continuer à intervenir, à la marge, dans le champ de la protection de l'enfance, dans la continuité d'une mesure pénale. En effet, il existe un risque réel de rupture dans le suivi éducatif du jeune alors que, bien souvent, il est nécessaire de l'accompagner dans la durée. La majorité ne doit pas être un couperet.

Pour pallier ces difficultés, certaines dispositions ont pu être détournées. Les magistrats ont ainsi pu avoir recours à la pratique de ce que l'on appelait, dans les années 1950, le « délit-prétexte » afin de permettre la mise en oeuvre ou le maintien d'une mesure judiciaire éducative.

Il faut pouvoir adapter la réponse au parcours du jeune, à ses besoins qui sont évolutifs. En effet, les jeunes les plus en difficulté confiés à la protection judiciaire de la jeunesse sont souvent des adolescents en danger qui relèvent à la fois de la protection judiciaire de la jeunesse et de la protection de l'enfance.

C'est pourquoi, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse est défavorable aux deux propositions formulées par la Cour des comptes dans son rapport proposant l'abrogation des textes qui permettent la prise en charge des jeunes majeurs et la poursuite de l'action de la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre civil.

Pour conclure, je rappellerai que le recentrage sur l'exécution des mesures pénales de la protection judiciaire de la jeunesse s'est fait dans le cadre de la RGPP. Cette étape a provoqué des bouleversements importants. Elle s'est par exemple traduite par une diminution des emplois, de l'ordre de 600 emplois supprimés, dont 151 postes dans le champ de l'insertion. Elle s'est aussi traduite par une diminution des crédits dans le secteur associatif. Ces réformes ont pesé notamment sur les fonctions support. Cette réorganisation doit maintenant être accompagnée et consolidée.

La direction s'est dotée d'une note d'orientation nationale visant à réunir l'ensemble de l'institution autour d'un projet pour les adolescents confiés à la protection judiciaire de la jeunesse centré sur le parcours du jeune et de ses besoins, et non sur la structure dont il provient.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la mission « Justice ». - Vous l'avez dit, la Cour des comptes préconise de parachever la répartition des compétences entre les conseils généraux et la protection judiciaire de la jeunesse, conduisant à l'interdiction, pour celle-ci, de prendre en charge des mesures d'assistance éducative (hors investigation) ; Catherine Sultan, comme notre ancien collègue Jean-Pierre Michel, défendent une vision opposée, considérant notamment qu'il y a un risque de rupture dans la continuité de la prise en charge des mineurs.

Comment justifiez-vous votre première recommandation ? En particulier, l'incapacité de la protection judiciaire de la jeunesse à estimer le risque d'une rupture de continuité dans l'enchainement entre un dispositif pénal et une mesure d'assistance, justifie-t-il de prendre ce risque ?

M. Jean-Philippe Vachia. - Je rappelle tout d'abord que les départements sont compétents en matière de protection de l'enfance. C'est la raison pour laquelle la Cour des comptes fait cette recommandation. En revanche, la protection judiciaire de la jeunesse est la seule à prendre en charge les mineurs dans le cadre de mesures pénales. Il s'agit d'une mission régalienne fondamentale et la protection judiciaire de la jeunesse doit se consacrer en priorité à cette mission.

Au niveau civil, les départements sont chargés de l'organisation, du financement et de la mise en oeuvre de la protection de l'enfance. Pour autant, à l'heure actuelle, la protection judiciaire de la jeunesse peut encore se voir confier certaines mesures civiles. Cette situation est source de confusion et d'iniquité entre départements selon les pratiques locales. La question de la continuité du parcours du jeune est réelle, mais elle constitue plutôt une exception. D'ailleurs, la protection judiciaire de la jeunesse n'est pas en mesure de définir le nombre et les critères des cas concernés. La Cour des comptes estime par conséquent qu'une clarification définitive est préférable même si cela n'empêche pas un dialogue entre la protection judiciaire de la jeunesse et les départements. Par ailleurs, je rappelle que derrière cet aspect régalien, il existe un aspect financier qu'il ne faut pas négliger.

M. Antoine Lefèvre. - Madame la directrice, pouvez-vous revenir sur la problématique de l'inégalité territoriale dans la prise en charge des mineurs ?

Mme Catherine Sultan. - Notre volonté de conserver une marge d'intervention tant en matière civile qu'à l'égard des jeunes majeurs vise à conforter la réponse pénale. Il ne s'agit pas d'empiéter sur le rôle des conseils généraux, qui gardent la priorité en matière de protection de l'enfance. Ce renforcement de notre action doit permettre d'éviter de prendre, pour certains jeunes, le risque d'un isolement ou d'une rupture avec les institutions. Je tiens d'ailleurs à rappeler que le rapport de Jean-Pierre Michel proposait le maintien d'une intervention de la PJJ dans la poursuite de son intervention au pénal. Cette préconisation a également été reprise par le rapport issu de l'évaluation de la gouvernance de la protection de l'enfance conduite dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP).

Concernant l'inégalité territoriale, nos moyens sont alloués en fonction des besoins de chaque territoire. Les différences de moyens entre certains départements ruraux et les grandes agglomérations s'expliquent par des réalités sociologiques et géographiques. Dans le cadre de la note d'orientation, nous menons une évaluation de notre organisation territoriale afin de garantir que la PJJ dispose, dans chaque territoire, d'un panel de réponses adapté aux besoins.

Par ailleurs, la PJJ doit renforcer son rôle d'animation, en concertation avec les magistrats et les conseils généraux. Nous rejoignons sur ce point les préconisations de la Cour des comptes.

M. Jean-Philippe Vachia. - Il n'est pas aberrant que les structures et les services varient selon les territoires. Cette différenciation doit toutefois être adaptée aux besoins véritables de chaque territoire. Dans cette perspective, nous saluons la note d'orientation, qui constitue un effort pour adapter les moyens de la PJJ aux besoins objectivement mesurés.

Cet effort suppose évidemment une concertation entre la PJJ, les magistrats et les départements. Il faut absolument que les magistrats puissent travailler avec les départements. Sur ce point, la PJJ a un rôle de coordination important à jouer qui fait partie de ses attributions.

M. Antoine Lefèvre. - Madame la directrice, quelles mesures pourriez-vous envisager pour améliorer l'évaluation des politiques publiques ? La Cour des comptes préconise notamment l'étude, par des chercheurs indépendants, de cohortes de mineurs suivis par la PJJ. Quel est votre avis sur l'intérêt d'une telle étude ?

Mme Catherine Sultan. - Nous sommes en train de travailler à la constitution de cohortes afin d'engager des évaluations de façon régulière. Nous renforçons également notre propre outil d'évaluation « GAME 2010 » afin de le rendre plus précis et plus exploitable.

Dès aujourd'hui, nous contribuons à des études sociologiques sur les jeunes. Je tiens notamment à mentionner les travaux de Marwan Mohammed sur les sorties de délinquance.

Nous avons besoin de ces retours et de ces évaluations.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette analyse de la Cour des comptes ne manque pas de susciter un certain nombre de questions.

J'entends bien la position de la Cour des comptes : le régalien, c'est pour l'État, le reste, c'est pour les départements. Alors j'ai envie de poser une question un peu provocatrice concernant les mineurs isolés étrangers qui affluent dans nos départements : est-ce régalien ou pas ? L'arrivée de ces jeunes est, selon moi, directement liée aux filières migratoires ou clandestines. Dans cette logique, la Cour des comptes devrait recommander que cette prise en charge relève de l'État puisque les départements n'ont aucune compétence en matière de maitrise des flux migratoires et de lutte contre les filières d'immigration clandestines.

M. Michel Bouvard. - Et il n'y a pas de péréquation !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est une situation qui met à mal les finances des départements. En Eure-et-Loir, les mineurs isolés étrangers qui arrivent représentent actuellement un coût supplémentaire de 2,4 millions d'euros. Chaque responsable de département autour de cette table pourrait dire la même chose. Cette question devient dramatique !

J'ai par ailleurs deux questions plus précises. Dans le cas des agents techniques d'éducation (ATE), la Cour des comptes semble indiquer que la baisse des effectifs ne s'est pas traduite par des économies budgétaires du fait de la mise en place d'un régime indemnitaire dérogatoire représentant un surcoût annuel d'un million d'euros. Plus globalement, les pertes d'emplois se traduisent-elles véritablement par des économies budgétaires pour le budget du ministère de la justice ?

Par ailleurs, il semble particulièrement préoccupant qu'il n'existe pas de tarif unique à la mesure ou à la journée dans le secteur associatif habilité. Comment expliquer des différences de prix aussi importantes entre les différentes régions ? La PJJ partage-t-elle les objectifs de la Cour des comptes en matière de convergence tarifaire ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteur pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » au nom de la commission des lois. - Nous parlons de mineurs qu'il convient de protéger, quelle que soit leur situation ; poser cette question de la prise en charge des mineurs, c'est croire en l'avenir et c'est, plus que jamais, important.

Je tiens à souligner, car nous avons poursuivi l'examen du projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), que je crois au rôle et à la présence de l'État - et donc de la PJJ - pour favoriser la coordination à l'échelle de nos territoires. Ce rôle de coordination exige des moyens humains, y compris en matière de formation.

Ma première question porte sur les parcours. Les missions opérationnelles de la PJJ ont été recentrées sur la prise en charge des mineurs délinquants. Néanmoins, les parcours ne sont pas linéaires et peuvent amener les jeunes à faire l'objet d'une mesure civile à la suite d'une mesure pénale. Comment assurer dès lors la continuité du parcours des jeunes ?

Ma deuxième question porte sur le financement du secteur habilité, dont la visibilité n'est pas assurée. Depuis le décret du 26 décembre 2011, la PJJ assure le financement des centres éducatifs fermés par le versement d'une dotation globale de financement. Ce décret prévoit la possibilité d'étendre ce mode de financement à d'autres dispositifs, ce qui pourrait permettre une amélioration de la situation financière du secteur associatif habilité. La réflexion sur ce sujet a-t-elle avancé ? Quels sont les freins à cette extension ?

Enfin, s'agissant des familles d'accueil, le plan stratégique national n° 3 de la PJJ a pour objectif de développer le réseau des familles d'accueil. Une mission sur l'hébergement familial des mineurs délinquants a été confiée en 2012 à l'inspection générale des services judiciaires. Dans mon avis budgétaire de novembre dernier sur la PJJ, je reprenais leurs préconisations pour une véritable reconnaissance du rôle des familles d'accueil et de meilleures modalités de défraiement des familles. Les travaux de la Cour des comptes permettent-ils de renforcer ces préconisations ? Ces familles, au statut de bénévoles indemnisés, ne sont visées par aucune disposition de l'ordonnance du 2 février 1945.

M. Jean-Philippe Vachia. - La question des mineurs isolés étrangers soulevée par le rapporteur général n'est pas dans le champ de notre travail, mais nous l'évoquons brièvement à la page 28 de notre rapport car il s'agit en effet d'une question importante. Nous relevons qu'une mission a été créée sur le sujet. Dès lors que ces mineurs isolés étrangers sont par ailleurs délinquants - ce qui n'est pas toujours le cas -, ils relèvent de la mission régalienne. C'est à l'État et au législateur qu'il appartient de fixer le curseur de cette politique publique, et non à la Cour des comptes. Au-delà de la définition des compétences se posent des difficultés concrètes, notamment selon que les mineurs soient ou non originaires d'un pays de l'espace Schengen.

La catégorie des assistants techniques d'éducation (ATE) a été supprimée, certains d'entre eux ayant été intégrés à la catégorie des éducateurs. Nous pensons qu'il ne s'agit pas forcément d'une bonne décision dans la mesure où ces ATE, qui sont en quelque sorte des veilleurs de nuit spécialisés, faisaient assez bien leur travail. Nous nous interrogeons sur l'intérêt de cette mesure, dont le coût est ce qu'il est, et qui concerne les établissements du service public mais ne correspond pas aux choix du secteur associatif habilité.

La question de la convergence tarifaire comprend deux aspects. Premièrement, la convergence entre les établissements au sein du secteur associatif habilité : il nous semble que l'extrême complexité du système actuel peut expliquer la différence des prix de prise en charge par mineur ; des formules plus adaptées doivent permettre de progresser. Une des voies possibles concerne la dotation globale de fonctionnement évoquée par Cécile Cukierman. Il s'agit d'un chantier dont nous ne sous-estimons pas la lourdeur.

Deuxièmement, la convergence entre le service public et le secteur associatif habilité. Tout d'abord, il existe des différences dans leurs missions, ce qui le rend difficilement comparable. Ensuite, les écarts de taux d'occupation peuvent expliquer, mais seulement en partie, que les établissements du secteur public aient des coûts plus élevés que ceux du secteur associatif habilité. Il reste d'autres éléments d'explication, mais nous ne disposons pas des outils comptabilité analytique qui permettraient une comparaison rigoureuse. Cela rappelle l'éternelle question de la comparaison entre hôpitaux publics et cliniques privées. Pour la PJJ, c'est notamment le cas pour le milieu ouvert, pour lequel nous n'avons pas réussi à faire les comparaisons que nous aurions pu et dû faire. Là encore, c'est une voie de progression absolument indispensable.

Mme Catherine Sultan. - La question des mineurs isolés étrangers ne relève pas du champ du rapport de la Cour des comptes. La loi du 5 mars 2007 précise que ceux-ci relèvent de la protection de l'enfance. La circulaire du 31 mai 2012, par son existence même, démontre la volonté de l'État d'assumer une responsabilité en la matière, et en particulier de garantir une égalité entre les départements et une qualité dans la prise en charge des mineurs étrangers isolés. En même temps que les travaux de la Cour des comptes avait lieu une mission de différentes inspections de l'État sur cette question. Un ensemble de préconisations est en ce moment à l'étude avec l'Assemblée des départements de France et les administrations concernées. Il s'agit d'un sujet vivant où la PJJ assume une responsabilité.

La suppression du corps des ATE, qui sont fréquemment des veilleurs de nuit et quelques professionnels de l'insertion, est une décision politique qui a été prise il y a plusieurs années, à contre-courant des choix que faisait le secteur associatif habilité au même moment. Il s'agit d'une décision discutable, et nous sommes au fait des difficultés qu'elle pose. Toutefois, un retour en arrière n'apparaît pas faisable aujourd'hui, dans un contexte budgétaire qui reste serré pour la PJJ.

La question de la convergence tarifaire et de la comptabilité analytique a suscité beaucoup d'intérêt ces derniers mois : la PJJ a fait l'objet d'un audit financier qui devrait conduire à intégrer cette méthodologie, et nous travaillons également à l'extension du principe de la dotation globale, actuellement limitée aux centres éducatifs fermés. Notre programme de travail s'appuie à la fois sur les recommandations de la Cour des comptes et sur celles de l'audit financier. Cela implique un travail avec le secteur associatif habilité, qui a été particulièrement touché par la RGPP et qui s'est trouvé de ce fait très fragilisé, et peu confiant dans ses relations avec l'administration de la PJJ. L'une des grandes pistes de la « note d'orientation » est d'associer le secteur associatif et de travailler en concertation avec lui. Une charte sera prochainement signée entre la PJJ et les fédérations associatives pour parvenir à une uniformisation - en matière de comptabilité mais aussi de références dans la prise en charge éducative, notamment par l'établissement de cahiers des charges communs. Rappelons à cet égard que le secteur associatif exerce environ un tiers des missions dans le cadre pénal, ce qui est extrêmement important.

Les familles d'accueil sont des familles bénévoles indemnisées à hauteur de 36 euros par jour, ce qui est effectivement peu. Leur statut doit par ailleurs être renforcé. Les familles d'accueil se rattachent à ce que nous appelons l'accueil en hébergement diversifié, qui constitue une véritable soupape et une réponse parfois très adaptée à certains profils. Nous souhaitons conserver ces réponses. Ces familles bénévoles souhaitent aussi continuer à travailler avec la PJJ car elles y trouvent un intérêt humain très important. Les jeunes y trouvent aussi leur place.

M. Philippe Adnot. - Je suis étonné par certains propos. Dans mon département, le travail en commun entre la PJJ, les magistrats et le conseil général se passe très bien. Ce n'est pas un problème de concertation, c'est un problème de réduction drastique des moyens. Celle-ci conduit même parfois les juges à ne pas décider de certaines mesures, car ils savent qu'il n'existe pas de moyens pour les mettre en oeuvre. C'est donc systématiquement le département qui assume la charge supplémentaire. Par exemple, quatre mineurs étrangers ont semé la terreur à l'arme blanche dans le centre départemental de l'enfance, et c'est le département qui a été obligé de les prendre en charge, en les hébergeant dans des appartements séparés. Nous nous sommes aperçu plus tard qu'ils avaient commis un meurtre dans un autre pays européen. Nous n'avons pas les moyens de gérer de tels cas, qui doivent nécessairement relever de l'État. Je ne voudrais pas que le rôle futur de la PJJ soit simplement de coordonner, et de dire aux autres ce qu'ils doivent faire et payer...

M. Jean-Claude Boulard. - Le rappel par la Cour des comptes de la répartition des compétences - régalien et non régalien, civil et pénal etc. - est un exercice utile mais insuffisant. La vie traverse toutes ces situations, le parcours individuel des jeunes n'a rien à voir avec cette répartition des compétences. Catherine Sultan a donc parfaitement raison d'insister sur la problématique de l'unité des parcours, indispensable à la prévention. Il faut commencer par reconnaître que nous sommes en situation d'échec, et les événements de ces derniers jours nous le rappellent. La première cause de cet échec est la réduction drastique des moyens, décision aberrante dont nous paierons les conséquences catastrophiques dans les années qui viennent. Ensuite, nous irons d'échec en échec si nous ne sommes pas capables de prendre en compte l'unité des parcours personnels, au-delà de la répartition juridique des compétences.

Mme Fabienne Keller. - La PJJ fait référence à des actions individuelles et à des actions pénales. Mais il ne faut pas oublier que le parcours d'un jeune est construit dans un « écosystème » social, familial, amical, qui parfois est une « bande », et qui est donc transversal, comme vient de le rappeler Jean-Claude Boulard.

À travers mon expérience d'élue locale, je voudrais souligner l'importance pour les jeunes, quels que soient les chemins de traverse qu'ils empruntent, d'avoir un référent dans la durée. Le référent - quand ils arrivent à en avoir un - est pour eux très important, ce qui est souvent contradictoire avec des dispositions et mesures qui s'inscrivent en général dans un temps limité, avec des interlocuteurs changeants.

Pour compléter le propos de Philippe Adnot, je rappelle que les acteurs sont nombreux : les centres de l'Epide (établissement public d'insertion des jeunes de la Défense), les services de protection de l'enfance des conseils généraux, la prévention spécialisée en milieu ouvert, les centres médico-psychologiques, mais aussi les établissements scolaires et notamment professionnels avec des dispositifs d'insertion et d'accompagnement. Est-il bien pertinent de continuer à réaliser des études financières sur ces acteurs - c'est certes notre travail à la commission des finances - qui nient la transversalité des actions et des parcours des jeunes ?

De combien de jeunes parle-t-on ? L'Epide concerne 8 000 personnes, le service civique 60 000 personnes, une génération 800 000 personnes, et donc l'ancien service national 400 000 personnes.

Ensuite, quelle reconnaissance sociale pour cette mission ? Il s'agit d'une mission extrêmement difficile, car chaque jeune est un cas unique et complexe, et peut évoluer à l'encontre de la société et révéler sa haine de la République. L'actualité nous rappelle que cette mission est tellement difficile qu'elle est, forcément, souvent en échec.

Je terminerai en soulignant que ceux qui écrivent le plus sur la prévention et l'accompagnement... sont ceux qui sont le moins souvent sur le terrain. Peut-être gagnerait-on à réaliser davantage d'études sociologiques a posteriori sur des cohortes de jeunes passés par la PJJ, plutôt que d'accumuler des statistiques sur les horaires...

M. Éric Doligé. - Vivement que je ne cumule plus, que je ne sache plus ce qui se passe sur le terrain, que je vive dans l'abstrait et non plus dans le concret ! Le problème le plus large est celui des frontières, à la fois celle qui sépare les mineurs des majeurs, et celle entre les conseils généraux et la PJJ. Ces frontières se déplacent au gré des moyens dont dispose l'État : autrement dit, la prise en charge relève de plus en plus des collectivités territoriales car l'État n'a pas la capacité d'assumer les financements. L'exemple donné par notre collègue Philippe Adnot concernant les mineurs isolés étrangers est vécu au quotidien dans d'autres départements. Nos établissements d'accueil, qui ne sont pas du tout adaptés, sont submergés par certaines populations qui déstabilisent complètement les autres jeunes pris en charge : quand des jeunes, fragiles, sont en relation au quotidien avec des délinquants, il en résulte de grandes difficultés. Certes, selon la loi, les mineurs isolés étrangers relèvent de la responsabilité des conseils généraux ; ceci étant, si ces mineurs sont là, c'est parce que l'État est défaillant et les a laissé entrer.

Quant à la frontière entre majeurs et mineurs, il s'agit évidemment des mineurs qui deviennent majeurs, mais aussi des majeurs qui deviennent mineurs puisque le juge, quand il ne sait pas comment régler les problèmes de jeunes majeurs, les déclare mineurs.

Certes, il faut suivre les parcours : les conseils généraux le font de plus en plus, car l'État n'est plus en mesure de le faire.

Je pense donc qu'il faudrait parler des financements, des vrais sujets. Tant qu'il n'y aura pas de financement, il y aura des problèmes. Tant que l'État, faute de moyens, reportera sur les départements la responsabilité des jeunes majeurs, même ceux qui relèvent de la PJJ, les difficultés seront considérables.

Si l'on compare la réalité des statistiques sur les jeunes concernés et la réduction des dotations aux collectivités territoriales, je ne sais pas où l'on va !

M. Marc Laménie. - Le constat est partagé mais quelles solutions sont envisagées ? Sur le terrain, on observe une multiplicité d'intervenants et il est difficile de s'y retrouver. Il y a la question du financement, mais le volet humain est primordial.

M. Thierry Carcenac. - Nous avons eu d'une part la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la RGPP ; il y a donc des indicateurs et un suivi des moyens mis en oeuvre.

Ce qui m'interpelle, c'est l'absence d'évaluation ; peut-on mettre en regard les moyens des centres éducatifs fermés (CEF) et les résultats en matière d'insertion ?

Le recentrage de la PJJ sur les missions pénales et la baisse de ses moyens suscite des questions : où sont les agents de la PJJ, sur certains territoires ? J'accepte que mon département mène des discussions avec les personnels de la PJJ mais encore faut-il en avoir !

Qu'est-ce qui relève du régalien ? L'exemple des mineurs isolés étrangers est parlant. L'écart entre l'évaluation faite initialement et la réalité est important. On nous disait qu'en 2013 cela concernait 1 500 jeunes : en fait, c'est beaucoup plus ! En 2013, dans mon département, nous avons accueilli 19 mineurs isolés étrangers, 36 en 2014 et ils seront près de 50 cette année. Les collectivités territoriales doivent faire des économies, mais pour un département comme le mien, l'accueil d'un jeune coûte 60 000 euros au conseil général, alors que l'État lui verse 250 euros par jour pendant cinq jours. Au niveau national, c'est d'une centaine de millions d'euros dont il s'agit !

Au départ, la loi de 2007 à laquelle on renvoie, concerne de jeunes mineurs en danger, vivant, ainsi que leurs parents, sur le territoire, et elle ne s'intéressait pas à des entrées énormes de jeunes sur le territoire. Nous devrions traiter ce sujet en tant que législateur et non pas seulement en écoutant la directrice de la PJJ ou le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes.

M. Michel Bouvard. - On a bien compris que la question des mineurs isolés étrangers n'entrait pas dans le champ du rapport de la Cour des comptes ; en outre, il existe de grandes disparités entre les départements - dans les zones frontalières, il s'agit d'une problématique particulièrement pressante et coûteuse.

Je souhaiterais savoir si la Cour des comptes a mené un travail de parangonnage avec nos principaux voisins sur ce sujet, qui ne concerne pas uniquement la France, pour comparer à la fois l'efficacité, les coûts et le traitement de cette jeunesse en difficulté et en situation de délinquance.

Une fois de plus, nous constatons les faiblesses résultant de l'absence d'outil en matière de comptabilité analytique : dans quel délai la PJJ pense-t-elle disposer d'un outil, même rustique, qui permette de porter une appréciation sur les dispositifs ? Au-delà de la mise en place de la RGPP, que vous avez beaucoup critiquée, il convient d'assurer une gestion plus efficace dans le cadre des moyens budgétaires votés par le Parlement, ce qui n'est pas antinomique de la mission essentielle de la PJJ.

Mme Marie-France Beaufils. - Je suis toujours en difficulté quand on analyse la situation de ces jeunes délinquants uniquement sous l'angle du coût qu'ils représentent. Il faut regarder, bien sûr, l'efficacité des moyens mis en oeuvre, mais aussi étudier les conséquences, pour les mineurs, des mesures prises, en particulier la suppression des postes. Je partage les propos de Catherine Sultan : les jeunes doivent avoir un accompagnement continu, même s'ils quittent un dispositif pénal. La rupture de suivi du jeune entre la PJJ et le conseil général peut entraîner des coûts supplémentaires.

Il faudrait également s'intéresser à la professionnalisation exigée dans la prise en charge de ces mineurs : il s'agit d'un travail spécifique et difficile.

Je n'ai pas d'opposition à la mise en place d'une comptabilité analytique, mais j'aurais aimé qu'on étudie les incidences de la réduction des effectifs résultant de la RGPP sur le travail de la PJJ mais aussi sur le budget des conseils généraux, contraints de prendre en charge ces jeunes.

Faire de la coordination demande du temps et des personnels, il s'agit de disponibilité et non de prix de journée. Attention donc au prisme financier. Ce qui vient de se passer nous interroge sur l'efficacité des moyens mis en oeuvre si on veut sortir de la situation dans laquelle on se trouve, face à ces trois jeunes passés par des accompagnements insuffisants.

Mme Michèle André, présidente. - Je crois que nous sommes tous interrogés par ce sujet, en tant que parlementaires, en tant qu'élus locaux. Ce dialogue nous permet de nourrir notre réflexion et d'apporter notre soutien à des services qui en ont grandement besoin.

M. Jean-Philippe Vachia. - La Cour des comptes aussi est interrogée par toutes ces questions. Elle n'est pas à l'extérieur de la Nation. Elle prend sa part des évènements qui viennent de se passer et s'interroge elle-même sur la manière dont elle peut le mieux contribuer à maintenir et à rendre vivants les principes de la République.

Pour répondre à Fabienne Keller, il y a deux concepts : le nombre de mesures et le nombre de mineurs. En 2012, 444 000 mesures judiciaires ont été prononcées : 221 000 mesures au titre pénal, 223 000 mesures au titre la protection civile. Elles ont concerné au total 360 000 mineurs.

Philippe Adnot nous a décrit la situation dans son département, mais il y a une grande diversité des situations. Nous avons bien conscience de la problématique des moyens. Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse est de 780 millions d'euros. Il a été soumis à la RGPP, qui a des aspects positifs, notamment ce qui concerne la réorganisation territoriale. En revanche, ce n'est pas à la Cour des comptes de dire quel doit être le montant du budget consacré à telle ou telle politique publique.

Vous avez été plusieurs à poser la question des mineurs étrangers en situation irrégulière. Ce n'est pas un sujet que nous avons traité car il n'était pas au coeur de notre rapport. Peut-être faut-il maintenant le faire. On peut sans doute vous rejoindre en disant qu'il s'agit là d'une mission régalienne.

Sur le plan local, il y a un travail à mener car on observe un problème de répartition de l'offre. Souvent les places existent mais elles ne sont pas au bon endroit. C'est pour cela qu'il faut une politique locale concertée de justice des mineurs.

Je rejoins Jean-Claude Boulard pour dire que l'unité de parcours est un enjeu très important. On ne peut toutefois pas faire abstraction du système dans lequel on vit, qui a été choisi par la représentation nationale et le Gouvernement et qui prévoit un partage des compétences entre l'État et les conseils généraux. Si demain on rend tout à l'État, cela sera peut-être plus simple, mais ce n'est pas à la Cour des comptes de le dire. Dès lors la confusion des opérateurs n'apparaît être la bonne solution et il faut organiser la dualité.

Concernant l'évaluation, celle-ci peut se faire à plusieurs niveaux. Il y a un indicateur dans le programme qui est le taux de non-récidive l'année suivante. Il n'est pas totalement dépourvu d'intérêt mais présente des limites notamment parce qu'il ne mesure pas la non-récidive d'un individu donné. Une évaluation est également réalisée en sortie de dispositif par les éducateurs, mais elle doit également avoir lieu a posteriori, par l'étude, dans la durée, de cohortes. Marie-France Beaufils a raison de dire que l'évaluation d'une politique publique ne doit pas s'intéresser qu'aux aspects budgétaires mais doit également s'attacher à l'objectif poursuivi. Il y a de ce point de vue des progrès à faire.

Sur le suivi des délais de prise en charge et de mise en oeuvre, il y a effectivement l'outil GAME qui est intéressant mais qui doit être amélioré notamment pour mieux connaître ce qui se passe après le premier rendez-vous.

Pour répondre Michel Bouvard, nous n'avons pas fait de parangonnage. Ce serait effectivement intéressant. Nous avons réalisé cette étude à la demande du Sénat, mais nous n'allons pas cesser de travailler sur la protection judiciaire de la jeunesse. Au minimum, nous réalisons chaque année une note d'exécution budgétaire pour la mission « Justice ».

Mme Catherine Sultan. - Le programme de la protection judiciaire de la jeunesse a été préservé depuis 2013. Vous avez voté des créations d'emplois qui, certes, ne nous permettent pas de revenir à la situation d'avant 2008 mais représentent tout de même 205 postes en 2013, 70 postes en 2014 et 60 postes en 2015. Cela marque l'importance que le ministère de la justice attache à ces missions.

La Cour des comptes a pu saluer les progrès réalisés par la PJJ à la suite de son rapport de 2003. Le présent rapport est de nature à vous rassurer quant à la capacité de la PJJ de réaliser son programme de manière rigoureuse. La comptabilité analytique sera mise en place d'ici la fin de 2015.

Le programme de travail de la protection judiciaire de la jeunesse intègre les questions que vous avez soulevées, que ce soit la formation des personnels, la qualité de la prise en charge, l'organisation territoriale ou l'adaptation aux spécificités des territoires. Nous avons la volonté d'améliorer notre action en direction des mineurs, en rappelant que la prise en charge des mineurs en danger peut être tout aussi complexe que celle des mineurs délinquants.

M. Jean-Philippe Vachia. - Je vous confirme que la Cour des comptes a pu constater lors de cette enquête que d'importants progrès avaient été réalisés par la protection judiciaire de la jeunesse à la suite du rapport thématique de 2003.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est levée à 11 h 51