Mercredi 19 septembre 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 8 h 15.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Organisation des auditions (ne sera pas publié)

Ce compte rendu ne sera pas publié.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion, suspendue à 8 h 30, est reprise à 8 h 50.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à la présidence de la République

M. Philippe Bas, président. - Nous entendons ce matin M. Benalla, c'est notre vingt-troisième audition depuis le mois de juillet. Nous souhaitons tous qu'elle se déroule comme les précédentes, c'est-à-dire en bon ordre et dans le climat de sérénité qui prévaut depuis le début de nos travaux. Nous n'avons pas à tenir compte ici de propos qui ont pu être tenus hors de notre enceinte, quels qu'ils aient été. En revanche, nous devons veiller à respecter les exigences particulières qui s'imposent à cette audition.

Je rappelle le périmètre exact de notre mission d'information, pour laquelle nous avons reçu, le 23 juillet dernier, les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête : « les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités ». Ce périmètre est très différent de celui de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qui portait sur « les événements survenus en marge de la manifestation parisienne du 1er mai 2018 », il s'agissait donc, pour nos collègues de l'Assemblée nationale, d'enquêter sur des faits déterminés faisant l'objet de poursuites judiciaires, comme l'a très clairement fait remarquer Mme le garde des sceaux dans la lettre qu'elle a adressée, le 23 juillet dernier, au président de l'Assemblée nationale - lettre qui a été publiée.

Nous devons, quant à nous, continuer à nous conformer strictement à notre mandat, qui a été rédigé précisément pour se conformer strictement à la Constitution. Comme nous le faisons avec toute personne mise en examen, à l'instar de l'audition du commissaire Creusat la semaine dernière, aucune question ne portera sur les faits donnant actuellement lieu à l'enquête judiciaire dont fait l'objet M. Benalla. De la même façon, et comme nous le faisons chaque fois que nous entendons un collaborateur du Président de la République, nous ne posons aucune question sur des décisions ou des actes du Président de la République, qui sont couverts par l'irresponsabilité constitutionnelle du chef de l'État. Nous nous sommes toujours tenus à cette double règle à l'égard de la séparation des pouvoirs, donc il nous est naturel de continuer à le faire, bien entendu.

En revanche, nous avons souhaité entendre M. Benalla sur ses activités, ses missions et la manière dont il les a exercées, afin d'apprécier dans quelle mesure celles-ci ont pu interférer avec le fonctionnement normal de services qui relèvent de la responsabilité du Gouvernement.

Monsieur Benalla, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexandre Benalla prête serment.

M. Philippe Bas, président. - Si vous le souhaitez, ce n'est pas du tout une obligation, vous pouvez nous faire un exposé introductif sur vos fonctions et la manière dont vous les avez exercées en relation avec les services préfectoraux, les services de sécurité, notamment le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le commandement militaire du palais de l'Élysée, sinon nous passerons directement aux questions.

M. Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à la présidence de la République. - Monsieur le président, madame, monsieur les Rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à préciser les propos qui ont été les miens sur France Inter, des propos sortis de leur contexte, car je sais que nombre d'entre vous ont été vexés ou choqués. (Exclamations.) Je tiens à préciser le contexte dans lequel je les ai prononcés. J'ai ressenti à un moment un acharnement médiatique, un acharnement politique. J'ai eu l'impression qu'un certain nombre de personnes se servaient des institutions de notre pays à des fins politiques et médiatiques. Je sers les institutions de mon pays depuis l'âge de dix-huit ans. En intégrant la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, j'ai toujours défendu les institutions, j'ai toujours respecté les institutions et j'ai été élevé dans le respect de ces institutions. Je tiens à vous dire que j'ai un profond respect pour le Sénat, pour les sénateurs. Mon propos venait de l'impression d'être instrumentalisé à des fins politiques.

J'ai été bien élevé, et j'ai un profond regret pour le propos que j'ai eu à votre encontre, monsieur le président. Quelles que soient les circonstances, quelle que soit la pression, on ne s'en prend pas aux hommes. Je veux vous assurer de mon respect total des institutions, du Sénat et des sénateurs, et je vous présente mes excuses, monsieur le président Bas, pour les propos que j'ai pu tenir, car on n'attaque pas les hommes. C'est tout ce que j'avais à dire en introduction.

M. Philippe Bas, président. - Je prends acte de vos excuses ; je ne comptais pas revenir sur cet incident, qui est extérieur à nos travaux, comme je l'ai suggéré dans mon propos liminaire.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je vous poserai un certain nombre de questions sur votre formation, vos compétences et votre procédure de recrutement. Tout d'abord, quelle est votre formation, notamment en matière de sécurité et, éventuellement, de protection rapprochée ?

M. Alexandre Benalla. - Je suis titulaire d'un master 1 en droit, spécialité sécurité publique. J'ai été auditeur « Jeunes » de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) ; j'ai intégré la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale en 2009. J'ai suivi une préparation militaire gendarmerie pendant quinze jours à l'issue de laquelle je suis sorti major de la promotion. Au fil des années, dans le cadre de la réserve opérationnelle, j'ai suivi un certain nombre de formations et obtenu des qualifications, ayant trait au droit, à la procédure pénale - dans quel cadre il est possible ou non d'intervenir -, au maniement des armes et de certains équipements particuliers. Telles sont ma formation universitaire et ma formation plus opérationnelle au sein de la gendarmerie nationale : quand vous signez l'engagement de servir dans la réserve, vous devez suivre un certain nombre de cours dans le cadre de la formation continue - pratiquer le tir tous les ans, mettre à jour vos connaissances en droit pénal, en procédure pénale. C'est ma principale formation.

En tant que réserviste opérationnel de la gendarmerie nationale, par le biais des équivalences, un certain nombre de qualifications m'ont été délivrées par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). En 2011 ou en 2012, de mémoire, m'a été délivrée une première carte professionnelle « protection physique des personnes » : on juge que vous avez les compétences requises pour assurer la protection d'un certain nombre de personnes, des compétences que j'ai exercées dans un cadre privé.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quel a été votre parcours professionnel en matière de sécurité et de protection rapprochée ?

M. Alexandre Benalla. - Je peux revenir sur certains points, car ils sont publics. J'ai travaillé au service d'ordre du parti socialiste où j'ai croisé un certain nombre d'entre vous, que je reconnais dans cette salle. J'ai assuré la protection de la première secrétaire pendant environ deux ans de manière bénévole - le service d'ordre est bénévole -, puis j'ai exercé les fonctions d'adjoint au responsable du service d'ordre national pendant la campagne présidentielle de 2012 - j'étais alors chargé de la sécurité et de l'organisation générale des meetings, des déplacements du candidat. Ensuite, j'ai intégré le cabinet d'Arnaud Montebourg - je n'en suis pas parti au bout d'une semaine, contrairement à ce qui a pu être dit, mais après trois mois et pas pour les raisons qui ont été avancées. J'ai intégré une société de conseil et de sûreté pendant deux ans, où j'ai exercé les fonctions de conseiller du président - relations institutionnelles, stratégie, direction opérationnelle. J'ai voyagé, rencontré des gens. J'étais moins ici dans une fonction de protection opérationnelle. J'ai travaillé pendant neuf mois au sein d'une organisation internationale : je m'occupais principalement de la sécurité du président de l'Office européen des brevets. J'ai été recruté officiellement en décembre 2016
- j'ai travaillé bénévolement dès fin septembre 2016 - comme directeur de la sûreté et de la sécurité de La République En Marche. J'ai assuré, organisé, aidé à la préparation d'un certain nombre de déplacements du candidat Emmanuel Macron et d'événements, tels que les meetings politiques, les conférences de presse, les déplacements thématiques, etc. J'ai monté un étage de l'ascenseur social, je me suis vu confier d'autres responsabilités en arrivant à l'Élysée le 17 mai 2017.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quels entraînements avez-vous suivis pour l'utilisation d'armes à feu ?

M. Alexandre Benalla. - En 2009, j'ai suivi une préparation militaire gendarmerie. On vous apprend le maniement des armes en sécurité : à quel titre vous pouvez porter l'arme, l'utiliser ; vous tirez de manière régulière et vous tirez un certain nombre de cartouches - c'est obligatoire si vous voulez continuer à être sur le terrain. Je pratique également le tir sportif depuis un certain nombre d'années : je me rends au stand de tir une à deux fois par semaine pendant une heure. C'est un sport, une passion. À ce titre, je détenais un certain nombre d'armes. J'ai donc une parfaite connaissance et une parfaite maîtrise des armes à feu.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez répondu, au moins partiellement, à la question que je souhaitais vous poser. Ces entraînements ont-ils été sanctionnés par des qualifications, des certificats ou des diplômes ?

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait, et je suis en mesure de vous les fournir. Un certificat nous est remis deux fois par an ; je pourrai vous les transmettre.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je vous en remercie, la commission est tout à fait en demande de cela.

M. Alexandre Benalla. - Quand vous êtes tireur sportif, vous disposez d'un carnet de tir. Pour vous autoriser à acquérir et détenir des armes, la préfecture demande que vous soyez inscrit six mois au préalable dans un club de tir. Vous êtes alors astreint à un certain nombre de tirs sous le contrôle d'un moniteur agréé par la Fédération française de tir, qui tamponne votre carnet de tir. Vous devez fournir un certificat médical attestant que, psychologiquement, vous êtes stable. Vous devez fournir votre carnet de tir, qui fait valoir que vous venez régulièrement, que vous pratiquez dans les bonnes règles, que vous savez manier une arme en toute sécurité. Puis, une enquête de moralité est faite par la préfecture : vous répondez à un questionnaire et une enquête de voisinage est réalisée pour voir si vous êtes une personne tout à fait correcte. Le préfet émet un avis et vous délivre une autorisation d'acquérir et de détenir cette arme. Mais, pour conserver ces armes, vous êtes astreint à rester affilié à la Fédération française de tir et donc à pratiquer le tir trois fois par an au minimum. Je vous l'ai dit, je le pratiquais une à deux fois par semaine, avec un certain nombre de professionnels d'ailleurs : c'est un petit monde, qui est méconnu.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez rejoint la campagne présidentielle de l'actuel Président de la République ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai été sollicité par un camarade - je pèse mes mots -, qui avait rejoint La République En Marche, au vu des compétences que je pouvais avoir en termes d'organisation et en termes pratico-pratiques. Un certain nombre de personnes dans les rangs de La République En Marche travaillaient plus sur des sujets de fond, mais une campagne présidentielle exige beaucoup de logistique, de pratique, et demande une certaine expérience. J'avais une petite expérience avec la campagne présidentielle de 2011-2012, une expérience unique que j'avais adorée. Une campagne présidentielle, c'est passionnant. J'y suis donc allé ; tout le monde m'a dit que j'étais un peu fou parce que le candidat n'avait aucune chance. Mais quand j'ai rencontré le personnage pour la première fois, j'ai été séduit et je me suis investi à 100 % dans cette campagne. On a commencé avec des petits moyens et l'équipe s'est étoffée au fur et à mesure, dans un bon état d'esprit. Le candidat Macron a pu devenir Président de la République grâce à un certain nombre de personnes qui ont fourni un travail important. J'ai rejoint le mouvement parce que j'avais été sollicité par un ancien camarade en qui j'avais totale confiance : il connaissait mes compétences, mes capacités d'organisation et de logistique, ainsi que mon engagement.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Qui est cet ancien camarade ?

M. Alexandre Benalla. - Je souhaite le préserver pour le moment : c'est quelqu'un qui a travaillé à La République En Marche et qui y travaille toujours.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - De ce fait, vous étiez vous-même salarié à La République En Marche ?

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous n'aviez jamais travaillé pour La République En Marche, pour le candidat Emmanuel Macron ou Emmanuel Macron lui-même avant cette date ?

M. Alexandre Benalla. - Jamais. Je ne me souviens plus si j'ai été engagé en CDD ou en CDI, mais je pourrai vous fournir le contrat de travail si vous le souhaitez. Le salaire était de 3 500 euros nets, un salaire divisé par trois par rapport à celui qui m'était versé par l'organisation internationale. J'ai été embauché le 5 décembre 2016 et mon contrat a pris fin le 15 ou le 16 mai 2017.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Votre activité antérieure concernait une organisation internationale ?

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.

M. Philippe Bas, président. - S'agit-il de l'Office européen des brevets dont vous avez parlé précédemment ?

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait. J'y ai travaillé entre sept et neuf mois.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quelle était votre activité au sein de cette organisation ?

M. Alexandre Benalla. - J'étais le conseiller du président de l'Office européen des brevets. Je m'occupais particulièrement de sa sécurité et, plus généralement, de la sécurité de l'Office, qui est basé à Munich. Nous étions une petite équipe de quatre personnes, nous nous partagions les tâches : il s'agissait de la sécurité opérationnelle et, surtout, de conseil.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Organisation et opération.

M. Alexandre Benalla. - Exactement.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quelles fonctions exerciez-vous pendant la campagne électorale ?

M. Alexandre Benalla. - J'étais le directeur de la sûreté et de la sécurité de La République En Marche.

M. Philippe Bas, président. - Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Alexandre Benalla. - Une équipe de quatre permanents travaillait avec moi. Quand on entend « sûreté et sécurité », on fait tout de suite un focus sur la protection rapprochée, mais cela ne faisait pas partie de nos tâches.

Au terme de ses fonctions de ministre de l'économie, Emmanuel Macron s'est vu retirer par le ministère de l'intérieur sa protection policière. Il a fallu faire avec les moyens du bord, si j'ose dire. Deux professionnels de la protection physique des personnes ont été recrutés pour assurer pendant deux mois et demi ou trois mois la sécurité du candidat Macron. Dès que la candidature a été officialisée, le ministère de l'intérieur a fourni un service d'officiers de sécurité comprenant quatre personnes - deux conducteurs et deux officiers de sécurité que l'on appelle les « sièges ». Puis, l'équipe est montée en puissance au fur et à mesure de l'avancée de la campagne.

Comme vous le savez, il y a une séparation entre le politique et l'institutionnel, notamment dans le cadre d'une campagne présidentielle. En vertu d'un certain nombre de textes, les policiers et les gendarmes n'ont pas le droit d'assurer - je pèse mes mots - l'ordre à l'intérieur des meetings politiques. Cette interdiction vaut aussi lors des meetings syndicaux et au sein des associations. Lors d'une campagne présidentielle, un certain nombre d'adversaires politiques peuvent venir faire le buzz dans vos meetings. Chez Les Républicains, le groupe de protection existe depuis fort longtemps ; il y avait un service d'ordre au groupe socialiste ; La France insoumise a aussi son service d'ordre. Tous les partis politiques, tous les syndicats ont un service d'ordre. Cela fait un peu « gros bras », mais ces services s'occupent non seulement de la sécurité, mais aussi de l'organisation, de l'accueil du public. Des personnes de tout âge s'impliquent bénévolement dans une campagne en collant des affiches, en distribuant des tracts, en faisant du mailing, de la veille sur les réseaux sociaux, du « calling », mais également en étant membres du service d'ordre. Sur la base du fichier des adhérents, nous avons sollicité un certain nombre de personnes.

Lors des déplacements, il faut des voitures, des chauffeurs, des personnes pour accueillir le public, assurer la sécurité du meeting - c'est une petite partie de l'effectif -, même si vous vous reposez, eu égard au cadre légal actuel et au contexte terroriste, sur des professionnels. On fait appel à des sociétés de sécurité privées, qui sont agréées. On peut aussi intervenir lors de réunions avec le préfet ou contacter le directeur de cabinet du préfet en cas de menaces sur les réseaux sociaux, lequel doit assurer à chacun, où qu'il aille, le même niveau de sécurité dans le cadre d'une campagne présidentielle. Mon rôle était aussi d'avoir des contacts avec l'autorité préfectorale, avec les renseignements territoriaux, avec les sociétés de sécurité privées locales, pour mettre en musique le meeting, le déplacement de A à Z au-delà du périmètre de la sécurité et de la sûreté, cela allait du bon acheminement du candidat sur le lieu du meeting, à la réservation des voitures, des hôtels, en passant par l'animation et la formation générale des bénévoles, qui sont non pas des militants, mais des adhérents chez En Marche. Mon rôle était de tout coordonner. Le service d'ordre est passé de 4 à 400 personnes environ. Je le répète, ce ne sont pas des « gros bras », ce sont des gens normaux qui se sont investis dans la campagne d'une manière différente.

M. Philippe Bas, président. - Vous êtes en train de nous dire, en décrivant ces fonctions, que vous exerciez déjà une fonction d'organisation...

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.

M. Philippe Bas, président. - ... mais vous exerciez aussi une activité de protection rapprochée, correspondant au métier que vous faisiez jusqu'alors en partie au moins.

M. Alexandre Benalla. - Pour vous répondre de manière très précise, à l'occasion de la campagne présidentielle, je suis au regret de vous dire que je n'étais pas le garde du corps d'Emmanuel Macron. Je n'ai jamais été le garde du corps d'Emmanuel Macron.

Dès lors que vous assurez l'interface entre le candidat et un certain nombre de personnes, vous êtes un facilitateur, vous avez une proximité physique avec la personne. Vous pouvez avoir besoin de lui dire que l'on est en retard, qu'il faut passer à la séquence suivante. Comme je vous l'ai dit, pendant une durée de trois mois environ - je vous fournirai les dates exactes des recrutements et de l'arrivée des officiers de sécurité du service de la protection (SDLP) -, deux personnes étaient chargées de la protection d'Emmanuel Macron, étaient dans la voiture avec lui, l'accompagnaient partout, y compris là où je n'allais pas, le soir, lors de rendez-vous, chez les média...

Pour ma part, j'avais une tâche d'organisation générale, de sécurité générale. Lors des meetings, j'étais proche de lui physiquement - on a vu les images dans les médias -, comme un certain nombre de personnes, sur lesquelles on ne porte pas aujourd'hui d'attention particulière. Cette proximité est nécessaire pour lui communiquer un certain nombre de messages. Je n'étais pas le garde du corps d'Emmanuel Macron et je ne l'ai jamais été.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Sur ce point, je vous soumets une déclaration qui vous est prêtée par le Journal du dimanche (JDD), à qui vous avez donné une interview : « Il devient le « siège » du candidat, celui qui est assis à côté de son chauffeur et recrute une équipe. »

M. Alexandre Benalla. - C'est inexact.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le « siège » n'est pas une fonction opérationnelle ?

M. Alexandre Benalla. - Pour être tout à fait précis, c'est inexact.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Qu'est-ce qui est inexact ?

M. Alexandre Benalla. - Ce n'est pas moi qui parle dans cette interview.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le JDD prétend retracer vos propos. Vous nous dites que vous ne les avez pas tenus ?

M. Alexandre Benalla. - Je n'ai jamais été le « siège » d'Emmanuel Macron. J'ai dû monter dans la voiture à deux ou trois reprises, c'est possible, mais je n'ai jamais été son « siège », ni son « épaule » d'ailleurs.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je continue sur votre parcours et vos compétences. Je souhaiterais que vous soyez un peu plus précis sur les conditions dans lesquelles vous avez rejoint la présidence de la République. Qui vous a recruté ? Avez-vous sollicité de vous-même un emploi ou avez-vous été recommandé ?

M. Alexandre Benalla. - À la fin d'une campagne présidentielle, qui plus est victorieuse, vous avez pu voir les compétences des uns et des autres. De la même manière que les parlementaires peuvent choisir leurs collaborateurs à l'issue d'une élection, le Président de la République et ses proches conseillers ont choisi leurs collaborateurs au vu de leur engagement, leur professionnalisme et la confiance, notion primordiale en politique.

Vous-mêmes, parlementaires, pouvez être amenés à proposer aux personnes efficaces, professionnelles, engagées à vos côtés durant la campagne sénatoriale ou législative un emploi de collaborateur parlementaire. Jean-Marie Girier, le directeur de campagne d'Emmanuel Macron, m'a demandé à la fin ce que je souhaitais faire. Il pensait que j'avais une compétence et que je pourrais les aider dans l'aventure présidentielle. Il est normal de ne pas claquer la porte à ceux qui n'ont pas dormi plus de trois heures par nuit pendant quatre ou cinq mois, n'ont pas vu leur famille et en plus ont été bons dans ce qu'ils faisaient. Je le dis sans modestie. Un certain nombre de personnes présentes pendant la campagne présidentielle et qui étaient dotées de certaines compétences ont été recrutées, certaines en tant que chargées de mission culturelle, d'autres comme attachées de presse. Moi, j'ai été recruté pour l'organisation, la logistique et la sécurité - on ne va pas le nier, parce que c'est ce que j'ai fait pendant neuf ans. C'est le fonctionnement normal, l'issue normale d'une campagne présidentielle.

M. Philippe Bas, président. - Je crois que Mme Jourda ne vous demandait pas si c'était normal ou pas ; mais comment vous avez été recruté.

M. Alexandre Benalla. - Je vais répondre précisément : on m'a indiqué que les fonctions ciblées pour moi concernaient la chefferie de cabinet parce qu'elles correspondaient à mes compétences : une mission d'organisation générale, de coordination générale, de terrain, ce que j'aime. J'ai ensuite été appelé par le service des ressources humaines de la présidence de la République, avec lequel j'ai eu un entretien et qui m'a demandé mes précédents emplois, mon salaire, mes compétences. Je leur ai apporté mes diplômes, mes attestations.

J'ai eu un entretien avec le directeur de cabinet du Président de la République, Patrick Strzoda, le patron de la « maison ». Même si un directeur général des services est aujourd'hui nommé, c'est lui qui recrute le personnel. On m'a annoncé que j'étais recruté sous le statut de chargé de mission. Vous avez été secrétaire général de l'Élysée, monsieur Bas, vous connaissez tout cela par coeur : il y a des chargés de mission, des conseillers et des personnes qui occupent une place à part, telles que le secrétaire général, le directeur de cabinet, le conseiller spécial. Le statut - il est très important de le rappeler - fixe votre salaire. Mon statut de chargé de mission était le niveau le plus bas au sein du cabinet du Président de la République. Il y en a une dizaine. J'ai occupé mes fonctions seul à la chefferie de cabinet pendant une dizaine de jours en attendant l'arrivée d'un chef de cabinet. On a découvert la maison, on est allé au contact du personnel, des chefs de service pour essayer de comprendre le fonctionnement.

Même si Emmanuel Macron avait déjà une expérience, tout était nouveau. Pendant dix jours, j'étais tout seul à la chefferie. Jean-Marie Girier n'était plus là. Puis, François-Xavier Lauch est arrivé. J'ai eu un entretien avec lui pour lui dire d'où je venais, ce que j'avais fait avant, de quoi j'étais capable. Il m'a dit : « OK, très bien », et j'ai été engagé comme chargé de mission auprès du chef de cabinet. Tout en conservant mon statut, mes fonctions ont évolué. Nous étions quatre au sein de la chefferie de cabinet : un chef de cabinet, un chef -adjoint de cabinet - ces deux dénominations sont des titres, car elles impliquent une nomination au Journal officiel - et deux chargés de mission dans des fonctions d'adjoint au chef de cabinet, comme cela a été précisé, me semble-t-il, par Patrick Strzoda devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale.

Il y a trois choses : le statut, qui détermine votre salaire ; votre position sociale au sein du cabinet, si je puis m'exprimer ainsi ; votre fonction, c'est-à-dire ce que vous faites au quotidien, et le titre, dont vous pouvez vous prévaloir, celui de chef adjoint de cabinet ou de chef de cabinet adjoint dès lors que vous êtes nommé au Journal officiel.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous êtes précis... mais pas dans votre réponse à ma question : qui vous a recruté ? Vous avez parlé à deux reprises de Jean-Marie Girier, mais vous avez dit : « On m'a demandé ». Qui est « on » ? Concrètement, comment s'est passée la mise en contact ? On comprend bien que M. Strzoda est votre supérieur hiérarchique, et il est normal que ce soit lui qui vous recrute, mais comment le contact s'est-il fait ?

M. Alexandre Benalla. - Pour être très précis, Jean-Marie Girier a fait l'interface, dans la phase de transition. Quand vous êtes nouvellement élu à la présidence de la République, un certain nombre de personnes préparent la transition - certains vont rester, tandis que d'autres s'en vont occuper d'autres fonctions. Pour ma part, je ne sais pas qui a décidé pour moi. On m'a fléché : quand je dis « on », c'est sûrement le Président de la République avec Alexis Kohler et Patrick Strzoda, qui était nouvellement nommé - ce dernier n'ayant pas participé à la campagne présidentielle, il a été recruté pour ses compétences, son expérience professionnelle et en cabinet au plus haut sommet de l'État. À son arrivée, il ne connaissait pas Alexandre Benalla. Pour monter son équipe, il a été conseillé par l'ancienne équipe, en l'occurrence Jean-Marie Girier et peut-être Alexis Kohler. Ils n'ont pas passé trente minutes sur moi, ils ont dû considérer tous les profils des personnes qui occupaient des fonctions importantes pendant la campagne présidentielle, fléchant un certain nombre de fonctions sur le fond ou la forme. Voilà comment j'ai été recruté. Ensuite, j'ai été sollicité par Patrick Strzoda pour un entretien : il m'a indiqué que mon profil était bon et qu'il était bien d'avoir un profil différent à la chefferie de cabinet.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quelle est votre activité professionnelle actuelle ?

M. Alexandre Benalla. - Pôle emploi.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ce renseignement vaut ce qu'il vaut, mais, dans quasiment tous les journaux, il vous a été prêté une activité de garde du corps momentanée - peut-être est-elle inexistante, vous nous le direz - auprès d'une star de la téléréalité.

M. Alexandre Benalla. - Je ne suis pas tombé aussi bas, malheureusement. Je n'ai eu aucune activité professionnelle depuis que j'ai quitté l'Élysée. Il y a eu un certain nombre de fake news - je n'ai pas la maîtrise des médias.

M. Philippe Bas, président. - Nous non plus, monsieur Benalla.

M. Alexandre Benalla. - Je le sais bien, je l'ai compris. Mes avocats ont déposé un certain nombre de plaintes. Je ne lis plus la presse ; j'en ai des échos. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas exercé de fonctions de garde du corps, pas plus que je ne souhaite monter une société au Maroc, comme cela a pu être dit. Je suis Français, je suis bien en France. Je m'explique devant vous et je m'expliquerai devant la justice. Ensuite, on reprendra une vie normale ; en tout cas, on fera autre chose.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je vais commencer par une question directe. Nous avons reçu le secrétaire général de l'Élysée, le directeur de cabinet du Président de la République et le chef de cabinet du Président de la République. Tous trois nous ont dit que vos fonctions consistaient en l'organisation de voyages et de déplacements, à l'exclusion d'autres missions. Pouvez-vous ici sous serment nous confirmer qu'à aucun moment, à l'Élysée, vous n'avez exercé de mission relevant de la police ou de la sécurité ?

M. Alexandre Benalla. - Je vous le confirme. Je n'ai jamais été ni policier, ni garde du corps du Président de la République.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous n'avez jamais exercé de fonctions relevant soit de la sécurité, soit de la police ?

M. Alexandre Benalla. - Pour être très précis, j'énumérerai les quatre missions qui m'incombaient - je vous parlerai ultérieurement de la cinquième.

La première concernait l'organisation des déplacements nationaux, avec un certain nombre de réunions préalables, de déplacements préparatoires avec le préfet et son directeur de cabinet, le directeur départemental de la sécurité publique, en liaison avec un certain nombre de personnes de l'Élysée, telles que l'intendant, le service de presse, le chef du GSPR, le protocole quand il y a des personnalités étrangères.

Il faut bien préciser ce qu'est la chefferie de cabinet, car c'est assez flou, je le conçois, pour les gens. À l'Élysée, il y a le cabinet politique, avec les conseillers et les chargés de mission, et les services, chargés de la mise en oeuvre de ce qui a été décidé au niveau politique. C'est le politique qui a autorité sur les services. L'intendant agit en fonction de ce qui a été décidé par le conseiller concerné. Si le Président de la République souhaite inviter un certain nombre de responsables syndicaux, de responsables agricoles lors d'un cocktail organisé à l'Élysée sur la thématique de l'agriculture par exemple, vous allez recevoir la consigne politique du conseiller chargé de l'agriculture. Il vous appartiendra ensuite d'organiser une réunion avec les différents services concernés - le commandement militaire, le cuisinier, l'intendant, le service de presse - pour les informer de ce qui a été décidé. La chefferie de cabinet, c'est le coeur du réacteur en termes de logistique et d'organisation.

Un sénateur. - Vous ne répondez pas à la question.

M. Alexandre Benalla. - Je vais y répondre. Mais il faut comprendre le contexte.

Vous allez donc animer une réunion et expliquer à ces personnes ce que l'on attend d'elles. Quand je dis au général que quelque quatre-vingts personnes vont se présenter au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré ou à un autre endroit pour que ce ne soit pas filmé, suis-je dans une fonction de sécurité ? Lorsque je parle à l'intendant ou au chef cuisinier, je ne suis pas moi-même ni intendant ni cuisinier ! Quand vous êtes à la chefferie de cabinet, vous êtes dans des fonctions transverses : vous êtes amené à parler et au chef du GSPR et au commandant militaire. Vous êtes là pour donner le but à atteindre, pas les moyens employés pour ce faire. Je n'explique pas aux personnes ce qu'elles doivent faire. Vous êtes une sorte de metteur en scène, de chef d'orchestre ; vous êtes sous l'autorité du chef de cabinet. Le rôle du chef de cabinet et de la chefferie, est très clair : c'est l'organisation générale, la coordination générale ; il est le chef d'orchestre des déplacements et des événements du palais, ainsi que le metteur en scène, si je peux me permettre de parler ainsi. Ma première mission était donc l'organisation des déplacements nationaux dans le cadre que je viens de vous exposer.

La deuxième mission visait l'organisation des événements au Palais - vous en aviez connaissance, à l'instar de la première mission.

La troisième concernait les déplacements privés du Président de la République
- je pourrais m'en expliquer si vous avez des questions.

La quatrième concernait la coordination des services de sécurité. Je vous ai expliqué mon parcours, j'ai une petite connaissance du domaine de la sécurité. Il ne s'agissait pas d'être le chef de la sécurité de l'Élysée ; ma mission consistait à conduire un certain nombre de réunions, de réflexions. Imaginons que le colonel Lavergne - promu depuis lors général - ait besoin de douze voitures supplémentaires pour son parc automobile. Sans appui politique, si le cabinet ne l'aide pas, il sera seul dans ses demandes face au ministère de l'intérieur. J'étais, par exemple, chargé du renouvellement du parc automobile de l'Élysée. À un moment, vous faites des réunions au niveau du cabinet : le cabinet du Président de la République saisit le cabinet du ministre de l'intérieur parce qu'il a besoin de moyens supplémentaires. Pour répondre très précisément, ce n'était pas une fonction opérationnelle de sécurité, c'était une fonction administrative.

M. Philippe Bas, président. - Vous avez évoqué une cinquième mission. Quelle est-elle ?

M. Alexandre Benalla. - Au cabinet du Président de la République, il existe une fonction pour laquelle personne ne se bouscule - j'imagine que lorsque vous étiez en fonction c'était déjà le cas : le service des présents diplomatiques, placé sous l'autorité d'un conseiller. Composé de deux personnels administratifs, il a la gestion des cadeaux que le Président de la République peut offrir à ses hôtes étrangers ou lorsqu'il part en déplacement, ainsi que la gestion des cadeaux qu'il reçoit. Il faut une autorité politique pour faire le choix du cadeau, orienter, faire des propositions. Je me suis occupé de ce service.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous avons demandé la communication de la fiche de poste concernant votre travail et celle-ci ne nous a pas été adressée. Avez-vous eu connaissance de cette fiche de poste ? Par ailleurs, M. le directeur de cabinet nous a dit qu'il existait une note de service relative à vos missions. En avez-vous eu connaissance ? Pourriez-vous nous communiquer ces deux documents ? Jusqu'à ce jour, personne ne les a publiés.

M. Alexandre Benalla. - Bien entendu. La fiche de poste dont il est question est simplement une note. Quand vous êtes au cabinet du Président de la République, vous avez un certain nombre de choses à faire, mais votre périmètre est délimité de manière très claire. Cette note, qui était, de mémoire, adressée par le directeur de cabinet au secrétaire général de l'Élysée, indiquait que je remplissais les quatre missions que j'ai citées, la cinquième ayant été ajoutée par la suite. Je suis en mesure de vous la fournir sans problème.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je vous remercie de nous la fournir.

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Concernant le déplacement et la protection très rapprochée du Président de la République - les « épaules » -, il existe, vous le savez, entre les quatre fonctionnaires qui assurent la protection ultra-rapprochée du Président une boucle de communication. Pouvez-vous nous déclarer sous serment que vous n'étiez pas dans cette boucle ?

M. Alexandre Benalla. - Pour être encore très précis, quand nous sommes arrivés au palais de l'Élysée, il n'était pas habituel que la chefferie de cabinet, le service de presse et les photographes soient en réseau radio. Lors des déplacements, quand il y a énormément de journalistes et de monde, il faut vous appeler au téléphone, vous chercher à droite et à gauche. Sous l'impulsion de François-Xavier Lauch, nous avons eu l'idée de mettre en place un système de télécommunications, un système de radio - c'est pour cette raison que l'on peut me voir sur les images avec une oreillette, celle-ci n'étant pas réservée aux gardes du corps -, entre le service de presse, la chefferie de cabinet, le photographe de l'Élysée et le chef du GSPR ou son adjoint. En aucun cas, vous n'aviez accès aux communications que peuvent avoir entre eux les officiers de sécurité du GSPR, afin de ne pas interférer dans leurs fonctions, parce qu'ils sont sur un réseau sécurisé. L'idée était de coordonner au mieux le déplacement du Président de la République de manière que tout le monde soit au bon endroit : on doit avancer de manière fluide et communiquer rapidement pour être efficace.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous savons bien que ce réseau radio existe, mais je veux parler du réseau très spécial qui concerne les quelques fonctionnaires - on peut les compter sur les doigts d'une main - qui assurent la protection rapprochée. Démentez-vous, comme l'a écrit hier soir un organe de presse, que vous aviez accès à ce réseau-là ? Pouvez-vous déclarer sous serment que vous n'avez jamais eu accès à ce second réseau ?

M. Alexandre Benalla. - Pour être encore très précis, nous utilisons avec le service de presse, le photographe de l'Élysée et la chefferie de cabinet exactement le même appareil radio que le GSPR. Simplement, nous ne sommes pas sur la même fréquence.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous n'avez donc pas accès à la fréquence des personnes du GSPR qui assurent la protection rapprochée ?

M. Alexandre Benalla. - Non. D'ailleurs, au début, l'idée de radio a posé problème, ce que je comprends, car ce n'était pas habituel. Le chef du GSPR, le colonel Lavergne, a décidé, en accord avec le chef de cabinet, que nous n'aurions accès qu'à une boucle radio très limitée : le chef de cabinet, l'attaché de presse présent, le photographe et le chef ou l'adjoint du GSPR.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - C'est une autre boucle.

M. Alexandre Benalla. - Exactement. Je n'avais pas accès à une boucle particulière de sécurité, je n'en avais pas connaissance.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Quelle était votre fonction dans les déplacements privés du Président de la République ? Si j'entends bien ce que vous dites, votre fonction ne relevait pas de la sécurité ni de la police. En conséquence, vous n'étiez pas armé.

M. Alexandre Benalla. - Pour être très précis sur la question du port d'arme, j'ai tout entendu et je sais que l'on s'interroge car c'est inhabituel et cela peut poser question. J'ai fait, à titre personnel, une demande d'autorisation de port d'arme pour des motifs de défense et de sécurité personnelles. Quand vous exercez des fonctions à la présidence de la République ou pendant la campagne présidentielle, vous êtes vous-même exposé, vous passez dans les médias, vous êtes identifié quand vous habitez au même endroit depuis huit ans, il peut vous arriver quelque chose... J'ai donc fait une demande pour ma sécurité personnelle.

Je crois savoir qu'un nombre important de personnes ayant travaillé à l'Élysée se sont déjà vu délivrer des autorisations de port d'arme. Je pense - j'espère qu'il ne m'en voudra pas de citer son nom - à M. Michel Charasse lorsqu'il était collaborateur de François Mitterrand qui disposait d'une telle autorisation : était-il le garde du corps de François Mitterrand ? Je ne le crois pas. Sous la présidence Chirac, par exemple, des collaborateurs du Président ont pu disposer d'une autorisation de port d'arme. Un certain nombre de parlementaires disposent de cette autorisation ; cela ne fait pas d'eux des gardes du corps des autres parlementaires...

Une autorisation de port d'arme est quelque chose de très rare : le ministère de l'intérieur les délivre au compte-gouttes. En l'occurrence, j'ai d'abord essuyé un refus pour des motifs administratifs. Lorsque j'ai pris mes fonctions à l'Élysée, ma deuxième demande a été administrativement fondée sur une première demande formulée dans le cadre de mes fonctions de directeur de la sûreté et de la sécurité de La République En Marche. Cette seconde demande n'a pas été jugée recevable par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) -  ce qu'a expliqué en substance M. Stéphane Fratacci - car je n'avais pas renouvelé ma demande de port d'arme en ma qualité de collaborateur du Président de la République. La DLPAJ a refusé ma demande sur ce motif, ce qui est normal. Le dossier administratif doit être carré. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas de menace, mais sur ce point je n'entrerai pas dans les détails.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, nous pouvons tout entendre, mais il y a une réalité : ce sont les attendus de la décision du préfet de police. Elle n'indique pas que M. Benalla a demandé un port d'arme pour sa sécurité personnelle et que celle-ci est accordée parce qu'il a les qualifications nécessaires, mais que « M. Benalla est chargé d'une mission de police dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le GSPR ». Il a donc bien fallu que la demande comporte une description de cette fonction de police pour que le préfet de police, qui n'invente rien, puisse s'y référer.

Je laisserai de côté les allégations que vous avez pu avancer sur des personnes qui auraient eu des permis de port d'arme ou d'autres, peut-être à l'Élysée, qui en auraient aujourd'hui. Mais convenez tout de même qu'il ne suffit pas d'être collaborateur du Président de la République pour se trouver dans une insécurité telle que cela justifie une demande de permis de port d'arme. Je veux juste relever ces points. Je vous demande très simplement de m'expliquer pourquoi on a dit une chose au préfet de police et pourquoi vous dites autre chose aujourd'hui.

M. Alexandre Benalla. - Pour répondre encore de manière très précise, je n'ai pas rédigé mon arrêté d'autorisation de port d'arme. Celui-ci a été rédigé par la direction de la police générale : elle a essayé de faire entrer mon cas, qui n'est pas un cas conforme, dans les clous. D'ailleurs, il est très imprécis sur mes fonctions parce qu'il explique la coordination entre « les forces militaires » et le GSPR. Les forces militaires, je ne sais pas ce que c'est.

M. Philippe Bas, président. - Je pense qu'il s'agit du commandement militaire du Palais puisque vous nous avez vous-même expliqué la fonction de coordination des services de sécurité - M. Lauch nous l'a révélée alors qu'elle ne nous avait pas été précisée lors de nos premières auditions - qui, selon vos dires et les siens, comprenait la coordination du commandement militaire du palais et du GSPR.

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait. Je sais. Le seul interlocuteur que j'ai eu concernant cette autorisation de port d'arme, c'est Patrick Strzoda. Il a dit : « On va faire les choses dans les règles. » C'est ce que l'on a fait. Il a saisi la préfecture de police de l'étude du dossier. Dans les considérants rédigés par l'administration figurent la menace terroriste
- que personne n'évoque - et un certain nombre de menaces - précisées dans un alinéa de l'arrêté. Cette autorisation n'a pas forcément été donnée eu égard à mes fonctions de collaborateur du Président de la République ; il y avait d'autres menaces, à propos desquelles je n'entrerai pas dans le détail, mais qui sont précisées dans cet arrêté. Patrick Strzoda n'a en rien dicté cet arrêté à l'administration ; personne ne le croirait. Il a décrit ma situation en demandant ce qui pouvait être fait. La préfecture de police a répondu favorablement. Des administratifs, des juristes ont pris un certain nombre de considérants pour pouvoir attribuer de manière légale, réglementaire, une autorisation de port d'arme.

La mission de police fait référence à un arrêté qui leur permet de me délivrer cette autorisation. Est-ce « bancal » - excusez-moi d'utiliser ce terme - juridiquement ou pas ? Je ne le sais pas. Je ne suis pas un expert des arrêtés de port d'arme. Je dis simplement que la préfecture de police a pris sa décision après enquête administrative pour s'assurer du bien-fondé de la demande.

Par ailleurs, cet arrêté a été pris, de mémoire, fin septembre ou début octobre. J'étais donc alors un interlocuteur connu de la préfecture de police en raison de ma présence lors de la campagne présidentielle et lors des déplacements du Président de la République. Il y a sûrement eu un certain nombre de démarches administratives internes à la préfecture de police, sur la base de la requête de Patrick Strzoda, qui n'a en aucun cas dit : « Alexandre est policier. » Les termes sont inexacts.

Un certain nombre de considérants prennent en compte l'élément principal, c'est-à-dire la menace qui, à un moment, pouvait peser sur moi. Ils ont délivré un document qui me permettait de justifier le port d'arme. Cela est précisé dans mes missions. Quand vous êtes au cabinet du Président de la République, la mission est permanente. Je rentrais chez moi avec mon arme sur moi - en l'occurrence un Glock 43 - jusqu'à mon domicile.

M. Philippe Bas, président. - Vous me dites que l'on a voulu faire les choses en règle et que la préfecture de police a énoncé des motivations de nature à faire en sorte que le port d'arme soit légal.

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.

M. Philippe Bas, président. - Ne peut-on en déduire que si vous aviez fait cette demande uniquement pour votre sécurité personnelle, et non pas au regard de la mission de police relevée par le préfet de police, normalement et légalement, le permis de port d'arme aurait dû vous être refusé ?

M. Alexandre Benalla. - Ce n'est pas tout à fait exact.

M. Philippe Bas, président. - Comme il l'a été à deux reprises par le ministère de l'intérieur.

M. Alexandre Benalla. - Il a été refusé à deux reprises par le ministère de l'intérieur pour des motifs administratifs, liés non pas à des questions d'opportunité, même si, concernant la première demande, est intervenue une décision de Frédéric Auréal, chef du service de la protection (SDLP), qui n'a pas souhaité que je puisse porter une arme pendant la campagne présidentielle. C'est un problème purement administratif qui s'est posé lors de la deuxième demande : je n'avais pas fait état de mes nouvelles fonctions lors de ma demande de renouvellement. On avait relancé la première demande, ce qui a été refusé par la DLPAJ.

Le fait d'exercer une mission de police n'est pas un préalable à la délivrance d'une autorisation de port d'arme. Comme le précise le code de la sécurité intérieure, tout fonctionnaire ou agent public exposé à des risques dans le cadre de ses fonctions peut se voir délivrer une autorisation par le préfet territorialement compétent. C'est ce qu'a considéré la préfecture de police. J'étais agent public.

M. Philippe Bas, président. - Finalement, je constate que vous ne connaissez pas si mal les règles d'attribution de port d'arme...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il nous a été refusé d'avoir accès au document faisant suite à la demande de port d'arme établie, comme vous l'avez précisé, par le directeur de cabinet du Président. Cela est étrange. Êtes-vous en possession de ce document ?

M. Alexandre Benalla. - Je ne pense pas qu'il existe. Le directeur de cabinet est en lien avec les préfets. Je suppose qu'il a directement décroché son téléphone, et demandé à Michel Delpuech si, selon les règles, il était possible de m'attribuer une autorisation.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ce permis de port d'arme, refusé à deux reprises par le ministère de l'intérieur, aurait donc été attribué par M. Yann Drouet - que nous allons recevoir - sur un coup de téléphone ? Il n'y a pas eu de demande écrite ?

M. Alexandre Benalla. - Le coup de téléphone n'a constitué, je pense, qu'un premier temps, pour exposer la situation, et savoir si l'autorisation était possible et entrait dans les clous. Patrick Strzoda est assez prudent, soucieux des règles, très droit. Il n'a exercé aucune pression, et n'a fait qu'appeler le préfet de police, pour lui exposer la situation dans laquelle j'étais et recueillir son avis. Le préfet de police a ensuite saisi son chef de cabinet, Yann Drouet, qui a saisi la direction de la police générale (DPG), laquelle, après m'avoir demandé des documents justificatifs - capacité à porter une arme, absence de problèmes psychologiques, médicaux - a rédigé l'arrêté. C'est entre l'intéressé et les services - direction de la police générale, 4e bureau, de mémoire - qu'a lieu ce type d'échanges écrits, pas entre le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous ne mettons pas en cause la droiture de quiconque. Nous avons entendu 23 personnes, qui toutes ont reçu une écoute très attentive, dans le respect de chacun.

Quand portiez-vous votre arme ? Puisque vous n'exerciez aucune fonction de sécurité directe, j'en conclus que vous ne la portiez pas lors des déplacements publics du Président de la République, pouvez-vous le confirmer ?

M. Alexandre Benalla. - Pour être encore très précis, je venais le matin, de chez moi, avec mon arme à la ceinture, et repartais le soir, de même. Ce n'est pas rien de porter une arme ; c'est aussi une responsabilité que l'on vous confie.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous sommes d'accord.

M. Alexandre Benalla. - Il m'est arrivé, pour m'entretenir, de m'exercer avec les personnels du GSPR - qui sont les personnes les plus aptes et compétentes en la matière - ce qui m'a permis de m'entraîner avec eux - sur un stand de tir, proche de Paris - et de me perfectionner dans le maniement des armes. Si bien que, dans le cadre de l'organisation de ces séances de tir, il a pu m'arriver d'avoir mon arme à la ceinture dans l'enceinte du Palais, car je n'allais pas la mettre au coffre entre le moment de mon arrivée et celui où je partais, avec les membres du GSPR, vers 10 heures, pour l'exercice. Cela a dû m'arriver deux fois, de mémoire.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Certes, mais est-ce à dire que vous confirmez n'avoir jamais porté votre arme lors des déplacements publics du Président de la République, puisque vous n'étiez chargé d'aucune mission directe de sécurité ?

M. Alexandre Benalla. - Le port d'arme, je vous le répète, n'était pas lié à la sécurité du Président de la République, mais à ma sécurité personnelle.

M. Philippe Bas, président. - Ce n'est pas ce que nous a dit le préfet de police, ni ce que mentionne son arrêté autorisant le port d'arme. Nous prenons acte de votre réponse.

Dites-nous simplement en quoi vous auriez été plus exposé que d'autres collaborateurs du Président de la République à des risques qui auraient justifié pour vous, et pour vous seul, l'obtention d'un permis de port d'arme ?

M. Alexandre Benalla. - Je n'évoquerai pas les menaces qui ont pu peser un moment, et encore aujourd'hui, sur ma sécurité personnelle. J'ai été exposé médiatiquement, pendant la campagne présidentielle, plus que tout autre collaborateur. Et je n'ai pas pu bénéficier tout de suite, pour nécessité absolue de service, d'un appartement à l'Alma. Je n'étais pas, comme le secrétaire général, le directeur de cabinet, le chef de cabinet ou certains collaborateurs qui habitent à l'Alma, accompagné par un chauffeur du service de régulation, composé de gendarmes armés. Dès lors que l'on exerce à la présidence de la République, on est exposé. J'ai fait le choix de conduire moi-même ma voiture et d'assurer ma protection parce que j'en étais capable. Je ne me suis jamais servi des chauffeurs de régulation qui accompagnent les personnels de leur domicile à l'Élysée le matin et inversement le soir et qui garantissent leur sécurité. Je n'entre pas plus dans les détails.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Bien sûr. Je vous pose à nouveau la question : pouvez-vous nous certifier que vous n'avez jamais porté votre arme lors des déplacements publics du Président de la République, où vous n'exerciez aucune mission directe de sécurité ?

M. Alexandre Benalla. - Si j'intervenais en qualité de précurseur, et arrivais sur les lieux depuis mon domicile, il est possible que j'aie eu mon arme sur moi. Cela a pu arriver.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - J'en viens aux déplacements privés du Président de la République : quelle était exactement votre mission - vous avez annoncé que vous répondriez sur ce point ? Cette mission, par exception à votre statut, comportait-elle des tâches de sécurité ? Si oui, lesquelles ? Étiez-vous, en conséquence, armé ?

M. Alexandre Benalla. - De la même manière que pour les déplacements publics, pour les mêmes raisons que j'ai évoquées précédemment, il a pu arriver que je porte une arme à l'occasion d'un déplacement privé.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Étiez-vous chargé, pour ces déplacements privés, outre de leur organisation et de leur préparation, d'une mission particulière de sécurité ?

M. Alexandre Benalla. - Ma mission et mes fonctions étaient exactement les mêmes que pour les déplacements officiels, sauf que je m'y trouvais tout seul.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Aviez-vous accès, comme cela nous a été dit, à l'ensemble des télégrammes et notes de service du ministère de l'intérieur et de la préfecture de police de Paris ?

M. Alexandre Benalla. - Lorsque l'on est habilité, comme cela est le cas de l'ensemble des collaborateurs du Président de la République, au niveau du secret défense, on peut avoir accès à un certain nombre de documents classifiés, selon le principe du « besoin d'en connaître ». À supposer que je sois désigné par le chef de cabinet pour être en charge d'un déplacement en petite couronne parisienne, j'ai accès à un dossier qui comporte outre le programme, des fiches biographiques sur les personnes rencontrées et des documents thématiques de fond, auxquels s'ajoute une « note d'ambiance », qui peut être établie par la direction du renseignement de la préfecture de police ou par le service central du renseignement territorial. Cette note n'est pas classifiée, mais elle est de diffusion restreinte (dite « DR »). Elle peut indiquer, par exemple, qu'une délégation syndicale se présentera à telle heure pour rencontrer le Président ; que telle personne, identifiée comme un agitateur local, pouvant poser un problème, sera sur place, etc. Cela nous aide à préparer au mieux le déplacement. Mais en aucun cas je n'avais un accès illimité à l'ensemble des documents classifiés.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Pourquoi avez-vous jugé utile d'avoir la faculté d'accéder à l'Assemblée nationale, en tout lieu, - nous avons pris acte que vous ne l'aviez pas fait pour le Sénat - et y compris à l'entrée de l'hémicycle ?

M. Alexandre Benalla. - Cela peut paraitre surréaliste, mais, depuis que je travaillais au parti socialiste, je bénéficiais d'un badge d'accès en tant que collaborateur occasionnel, bénévole, qui me donnait accès à la bibliothèque, où j'ai préparé mes examens de master, et à la salle de sport, que j'ai continué à fréquenter. Je ne citerai pas les noms des deux députés qui me l'avaient accordé. Mais lorsqu'un badge est sollicité comme collaborateur du Président de la République, les services administratifs de l'Assemblée délivrent automatiquement un badge « collaborateur d'Emmanuel Macron », où il est écrit « H », ce qui correspond au plus haut niveau d'accès. C'est un process automatique. C'est le conseiller politique ou son secrétariat qui fait la demande de badge. Je reconnais que ma demande était un caprice personnel, car je souhaitais accéder à la salle de sport, à la bibliothèque, mais jamais je n'ai sollicité ce niveau d'accès. Je ne vois pas ce que j'aurais fait dans l'hémicycle, ma tête étant connue d'un certain nombre de parlementaires.

M. Philippe Bas, président. - Vous avez bien conscience que l'attribution de ce type de carte n'est pas destinée à permettre au bénéficiaire de pratiquer le sport, hors toute nécessité de service ?

M. Alexandre Benalla. - Il existe, à l'Assemblée nationale, des associations ouvertes à n'importe quel citoyen, administrées par des personnes extérieures, auxquelles je payais ma cotisation - le club de rugby, le club de golf... Il en va de même des associations sportives de la présidence de la République ou du Sénat, où existe aussi une association sportive et culturelle, ouverte à des personnes extérieures au Sénat, membres de vos familles ou autres.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ma dernière question porte sur le coeur de votre mission : l'organisation de la sécurité du Président de la République et des hautes personnalités. Pouvez-vous, sous serment, affirmer que vous n'êtes jamais intervenu, d'aucune manière, au sein du GSPR, sans respecter l'autonomie de son fonctionnement, sous l'autorité de son commandant ?

M. Alexandre Benalla. - Lors de la campagne présidentielle, j'ai été amené à travailler avec les officiers de sécurité du service de la protection (SDLP), j'en connais un certain nombre, avec lesquels j'ai conservé d'excellents rapports. Lorsque j'ai changé de fonctions, je suis devenu, pour eux, à la présidence de la République un facilitateur ; mais ce serait mal connaître le général Lavergne que de penser que j'aie pu interférer directement. C'est un homme de caractère, qui jamais ne m'aurait laissé diriger ou donner une consigne à qui que ce soit.

Cela étant, lorsqu'on se trouve sur le terrain avec le Président de la République et que l'on remarque une incohérence avec le dispositif préparé, par exemple, qu'un officier de sécurité est mal positionné, on peut être amené à le lui indiquer, gentiment, sans qu'il s'agisse d'un ordre. L'officier en question est libre de ne pas m'entendre, auquel cas j'en aurais parlé au colonel Lavergne, mais ce n'est jamais arrivé. Cela répond à une logique de terrain.

M. Philippe Bas, président. - Informiez-vous le GSPR à chaque fois que vous étiez partie prenante d'un déplacement et que vous portiez une arme ? Le GSPR le savait-il ?

M. Alexandre Benalla. - Par principe, une autorisation de port d'arme à titre exceptionnel exige que l'arme soit portée de manière discrète. S'il m'est arrivé, à trois reprises peut-être en un an, de porter une arme à la ceinture, lors d'un déplacement officiel ou lors d'un déplacement privé, le « siège » en était averti. C'était pour des motifs personnels
- impossibilité de passer par l'Élysée, départ direct du domicile, ou à la dernière minute - et c'est arrivé trois fois... Et s'il s'était passé quelque chose, mon rôle n'était pas de la sortir : il y a des professionnels pour cela. Il n'y a jamais eu d'interférence entre mon action et celle du GSPR.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Un groupe de travail a été mis en place en vue de réfléchir à une réforme de la protection du palais de l'Élysée et du Président de la République. Le commandant militaire et le général commandant le GSPR en faisaient partie, et vous y siégiez en tant qu'adjoint au chef de cabinet... dont vous étiez le modeste représentant. Ai-je bien décrit les choses ?

M. Alexandre Benalla. - Très exactement. Dans le cadre de ce groupe de travail, il s'agissait non pas, comme j'ai pu l'entendre, de mettre sur pied une milice ou une garde prétorienne, mais de suivre les recommandations de la Cour des comptes qui, pendant trois années consécutives de contrôle du budget de l'Élysée, a relevé des incohérences. De fait, deux services concourent, à l'Élysée, à la même mission de sécurité du Président de la République. Le commandement militaire s'occupe de l'intérieur du palais de l'Élysée, tandis que le GSPR est en charge de la protection du Président de la République à l'extérieur du Palais. Ces deux services utilisent des moyens différents, tant en matière de radio que de parc automobile. Celui du GSPR est contrôlé, à l'extérieur du Palais, par le ministère de l'intérieur. Si bien que si l'une des suiveuses du Président de la République a un problème mécanique, elle ne peut pas être réparée dans le garage de la présidence. Ceci pour vous donner un exemple.

Il s'agissait donc de réfléchir à des synergies, pour réduire les coûts, et les doublons. Imaginez, par comparaison, un service de presse coupé en deux parties, l'une pour le national, l'autre pour l'international, cela ne peut pas marcher ! Il faut un seul service, une seule tête, un seul état-major, un seul budget et des moyens mis en communs pour rationaliser tout cela.

Nous avons débuté par un groupe de travail à trois, qui réunissait le général Bio Farina, concerné au premier chef comme préfigurateur de ce que nous avions appelé la « DSPR », la direction de la sécurité de la présidence de la République, et le général Lavergne, pour le GSPR. Je vous l'ai dit, j'ai des connaissances en matière de sécurité, et une appétence pour les sujets de fond. Or, le principal service à faire le lien entre le commandement militaire et le GSPR est la chefferie de cabinet, qui travaille au quotidien avec le général Bio Farina et le général Lavergne, pour préparer les déplacements ou les évènements qui se tiennent à l'Élysée. J'ai été désigné par le chef de cabinet comme le représentant de la chefferie de cabinet et du directeur de cabinet, puisque la sécurité est placée sous la responsabilité exclusive de ce dernier, seul habilité à donner des ordres, tout ce qui est opérationnel relevant du chef de cabinet ou de ses adjoints. J'ai donc participé à un certain nombre de groupes de travail, sur le budget, etc. Je n'entrerai pas dans les détails, car ce projet est classifié confidentiel défense.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Depuis les débuts de la Ve République, la sécurité du Président de la République est assurée par des fonctionnaires qui dépendent du ministère de l'intérieur ou de la défense. Avec François Mitterrand, il s'agissait plutôt de gendarmes, avec Nicolas Sarkozy, plutôt de policiers, et avec François Hollande, que l'on sait plutôt attaché à la synthèse, c'était moitié-moitié. (Sourires). Dans tous les cas, le lien avec l'un et l'autre ministères était consubstantiel.

Or, il semble - peut-être à tort - qu'une volonté se soit fait jour de créer une structure bénéficiant d'une certaine autonomie à l'égard du ministère de l'intérieur. D'où ma dernière question, très importante à mes yeux.

Vous avez déclaré au Journal du dimanche : « S'agissant de ce projet, il y a eu une opposition nette au ministère de l'intérieur. Dès qu'il a fallu discuter avec eux, tout s'est bloqué. » Ce propos, vous l'avez tenu récemment. Dès lors qu'un adjoint au chef de cabinet du Président de la République déclare publiquement qu'il y a une « opposition nette », au ministère de l'intérieur, à un projet dont on comprend qu'il ne concerne pas seulement le palais de l'Élysée mais les rapports entre le ministère de l'intérieur, gestionnaire, en co-tutelle avec le ministère de la défense, de l'ensemble des personnels mis à la disposition de la présidence de la République, il y a là un réel problème, sur lequel j'aimerais que vous nous apportiez quelques éclaircissements.

M. Alexandre Benalla. - Tout d'abord, lors de ces déclarations, je n'étais plus en fonction à la présidence de la République, et ne représentais que moi-même. J'ai donc donné mon opinion personnelle.

Il n'existe pas d'opposition officielle du ministère de l'intérieur à un projet de réforme de la sécurité. Il y a eu un problème de communication avec deux hauts fonctionnaires occupant des fonctions importantes au ministère, et opposés au projet pour des raisons corporatistes, par souci de protéger leur périmètre. Je pense que ce problème a été réglé depuis. Il n'engageait ni le ministère ni le ministre de l'intérieur, mais deux personnes ayant des fonctions éminentes et ne souhaitant pas voir ce projet aboutir, pour des raisons corporatistes. Ce que je dis n'engage que moi, c'est un avis personnel. Mais cela a été réglé par la suite. J'ajoute que je n'étais pas l'interlocuteur du ministère de l'intérieur sur ce projet de réforme : le seul interlocuteur légitime pour parler au nom de la présidence était Patrick Stzroda.

Nous n'avons fait que travailler en interne, sur un projet qui, dès qu'il s'est un peu ébruité, a suscité une opposition nette de deux personnes qui défendaient leur pré carré - ce qui est assez habituel, ainsi que j'ai pu le constater, dans l'administration.

M. Philippe Bas, président. - Je vais à présent donner la parole aux vingt collègues qui ont souhaité intervenir, et que j'appelle, afin de ne pas trop déborder sur l'horaire prévu, à rester très concis, à s'en tenir aux questions factuelles entrant dans le champ de nos investigations, en réservant l'analyse ou les commentaires pour la réunion de commission au cours de laquelle nous examinerons la moisson de toutes les auditions que nous aurons faites. Il importe que nous puissions entendre M. Benalla et que vos questions soient aussi précises que possible.

M. François Pillet. - Avez-vous déposé votre déclaration d'intérêts et votre déclaration de patrimoine auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ?

À quelle fin avez-vous déposé au Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, en juin 2018, une demande d'agrément de dirigeant de société de sécurité, qui vous a été accordé le 9 juillet ?

Pouvez-vous nous exposer la procédure antérieure au prononcé de la sanction administrative dont vous avez fait l'objet à l'Élysée.

M. Philippe Bas, président. - À quelle sanction vous référez-vous ?

M. François Pillet. - La sanction administrative...

M. Philippe Bas, président. - Celle du 2 mai.

M. François Pillet. - Oui. Qui a décidé de vous l'infliger ? Qui vous en a informé ? Avez-vous été convoqué à un entretien préalable ? Vous a-t-on informé de la possibilité de vous adjoindre un conseil ?

M. Alexandre Benalla. - Ayant dû déménager, je n'ai reçu le courrier de la HATVP qu'il y a 48 heures. Je vais m'inscrire sur le site internet et m'en acquitter dès demain ou cet après-midi.

J'ai sollicité du CNAPS une demande d'agrément « dirigeant » dans l'éventualité d'une reconversion, au cas où je quitterais le palais de l'Élysée et monterais une société de sécurité. Je n'ai bénéficié d'aucun passe-droit. J'ai obtenu cet agrément après avoir fourni un certain nombre de documents.

S'agissant de la sanction administrative à mon encontre, j'ai été convoqué par Patrick Strzoda une première fois ; les faits ont été évoqués - sur lesquels je ne reviendrai pas ici - et il m'a dit qu'il me tiendrait au courant des suites qui y seraient réservées. Je ne sais pas avec qui il a décidé de la sanction, mais c'est Patrick Strzoda qui me l'a annoncée. Après le 1er mai, j'ai été suspendu pendant 15 jours.

M. François Pillet. - Avez-vous eu un entretien préalable qui vous permette de vous défendre, si je puis dire ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai pu exposer mes arguments à Patrick Strodza, qui les as entendus et a ensuite pris la décision, en tout cas c'est lui qui me l'a annoncée.

M. Philippe Bas, président. - Au cours d'un deuxième entretien ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai eu un premier entretien avec Patrick Strzoda, puis un autre avec la cheffe du personnel, Mme Patricia Jannin, qui m'a remis un courrier et m'a fait signer, à la suite de quoi j'ai pris mes dispositions pour m'absenter 15 jours.

M. Philippe Bas, président. - Il n'a pas été question, alors, de ce que l'on a qualifié de rétrogradation ?

M. Alexandre Benalla. - La rétrogradation est intervenue à mon retour. Au bout des 15 jours, j'ai été convoqué et par Patrick Strzoda dans son bureau et par François-Xavier Lauch dans le sien. Ils m'ont expliqué que je ne participerais plus aux déplacements officiels du Président de la République, et que mes attributions allaient changer. Je l'ai très mal pris ; après une première sanction, je l'ai vécu comme une humiliation.

M. Philippe Bas, président. - Cette décision a été verbale, elle n'a pas été notifiée par écrit ?

M. Alexandre Benalla. - En effet. En fait, on m'a enlevé des missions pour m'en rajouter d'autres.

M. Loïc Hervé. - Vous êtes un admirateur de Franck Horrigan, personnage central du film Dans la ligne de mire. Vous avez déclaré au Monde, je crois, « la protection, ça ne s'apprend pas à l'école, ni lors des salamalecs avec des préfets. C'est un métier d'instinct, il faut être attentif aux gens, sentir le danger ». Pouvez-vous nous confirmer ces propos et pensez-vous que la protection du Président de la République française, parmi les premiers responsables politiques du monde, n'est qu'une affaire d'instinct ?

M. Alexandre Benalla. - Je pense que les policiers et gendarmes de haut niveau du GSPR sont recrutés principalement sur cette qualité, sur leur capacité à sentir les choses. Vous pouvez être champion du monde de boxe, et si vous ne voyez pas arriver une personne, rien n'y fera. Si vous avez, en revanche, un bon instinct de tennisman, peut-être pourrez-vous faire quelque chose. La réalité de ce métier, c'est l'instinct. Quant à la déclaration que vous mentionnez, je n'ai pas souvenir d'avoir prononcé le mot « salamalecs », mais puisque vous le dites, je vous crois bien volontiers.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je sais que vous auriez préféré ne pas être là, et j'essaierai donc de limiter votre douleur en m'en tenant à quelques questions factuelles.

Vous semblez être un habitué de la préfecture de police, puisqu'il arrive même au préfet de tomber sur vous dans telle réunion. Quel document présentez-vous pour circuler dans les locaux, y compris ceux qui ne sont pas ouverts au public ?

S'agissant des déplacements véritablement privés du Président de la République
- je pense à ceux limités à la présence de celui-ci et de son épouse - je m'interroge sur ce qui requiert votre présence. Pourquoi l'accompagner ? Puisque vous ne faites que de la coordination, vous n'avez alors plus rien à coordonner ?

M. Alexandre Benalla. - Sur la question des accès à la préfecture de police, j'ai pu accéder cinq fois, de mémoire, à ses locaux. Les deux premières fois, pendant la campagne présidentielle - je n'étais donc pas en fonction à l'Élysée -, pour le grand meeting de la porte de Versailles puis pour la phase de préparation de la soirée victorieuse du Louvre. Je venais donc en tant que représentant de l'équipe de campagne, accompagné de Jean-Marie Girier, directeur de campagne. Dans un tel cas, un policier ou un agent administratif, sur présentation d'une pièce d'identité, vient vous chercher et vous emmène jusqu'à la salle de réunion, où j'ai rencontré un certain nombre de responsables de la préfecture de police, tel le directeur de l'ordre public et de la circulation, la directrice du renseignement, le directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne...

Pour les trois autres fois, il s'agissait, pour deux d'entre elles, de la préparation du One Planet Summit qui s'est tenu l'an dernier. La présence d'un certain nombre de chefs d'État et de gouvernement supposait de régler des questions assez lourdes. J'y suis allé, avec le général Bio Farina, en tant que représentant de la chefferie de cabinet. Je suis arrivé en voiture ; sur présentation de ma pièce d'identité, on m'a fait garer sur le stationnement réservé aux invités et j'ai été accompagné par un agent administratif jusqu'à la salle. La dernière fois, j'y suis allé dans le cadre de faits que l'on ne peut ici évoquer, accompagné jusqu'à la salle par un policier de la préfecture, de la même manière que l'ont été les collaborateurs du ministre de l'intérieur.

Pour les déplacements privés, mon rôle était, en effet, la coordination. Sans entrer dans le détail, car le Président de la République a droit au respect de sa vie privée, il peut arriver qu'il sorte, le soir, au théâtre, par exemple. Il s'agit, pour le coordonnateur, d'aller voir sur place, de faire une reconnaissance, pour régler non pas des problèmes de sécurité mais de placement, de visibilité, de tranquillité. Il s'agit d'assurer un certain confort, parce que le Président de la République ne se déplace pas, dans sa vie privée, avec cinquante personnes. Il a le droit d'aller au théâtre, par exemple. Et avant son arrivée, il s'agit d'être présent sur place, pour vérifier que ce que vous avez préparé en amont est appliqué. Pour servir, aussi, de point de contact, au cas où le Président reçoit un appel téléphonique. Ou préparer, après la représentation, une sortie au restaurant, s'il le souhaite. Les fonctions sont au total les mêmes que dans les déplacements officiels.

M. Pierre-Yves Collombat. - Si c'est une fonction d'aide de camp...

M. Philippe Bas, président. - Vous n'avez plus droit à la parole, nos collègues piaffent d'impatience pour poser leurs questions et il nous reste peu de temps...

M. Patrick Kanner. - Vous avez déclaré, lors de cette audition, à deux reprises, n'avoir jamais été le garde du corps de M. Macron. Vous avez également affirmé, employant les termes techniques du domaine de la sécurité rapprochée, n'avoir été ni le « siège » ni « l'épaule » d'Emmanuel Macron.

À l'occasion du reportage d'une grande chaîne d'information en continu, BFM, vous avez évoqué le rêve de gosse qui était le vôtre, protéger les hautes personnalités, notamment de la République - à l'égard de laquelle personne ici ne doute de votre engagement. Dans ce reportage, on a pu voir des images de votre présence auprès d'Emmanuel Macron, lesquelles ont été soumises à un spécialiste de la sécurité rapprochée, qui a vu en vous « l'épaule droite » d'Emmanuel Macron. Vos déclarations contredisent le jugement de ce spécialiste sur votre rôle auprès du Président. Qu'en pensez-vous ?

M. Alexandre Benalla. - Une remarque personnelle, tout d'abord : j'ai vu un certain nombre d'experts en divers domaines raconter n'importe quoi en ce qui me concerne sur les plateaux de télé. J'ai un énorme respect pour celui que vous évoquez, car j'ai travaillé à ses côtés dans une société. Il a porté un oeil d'expert sur une situation donnée.

Si l'on avait fait, pour une raison ou une autre, le même focus sur François-Xavier Lauch, on se serait rendu compte que sa position auprès du Président de la République était exactement la même que la mienne. Quand on est adjoint ou chef de cabinet lors d'un déplacement du Président de la République, il faut être à sa proximité immédiate, pour lui passer des messages. Parce qu'aussi le Président de la République va au contact des Français, qu'il rencontre, le rôle du chef de cabinet est d'être le maître des horloges. Dans de telles situations, le Président vous sollicite : quand des dossiers lui sont remis, une demande d'intervention lui est présentée, il se tourne vers vous, il vous demande de laisser votre carte, vos coordonnées. Vous êtes aussi là pour orienter physiquement le Président de la République, afin d'assurer le respect du timing. J'ai vu hier soir des images du salon de l'agriculture : si j'ai été « l'épaule droite », alors M. François-Xavier Lauch aura été « l'épaule gauche ».

Peut-être sommes-nous plus jeunes, plus dynamiques, plus au contact que les équipes qui nous ont précédés, mais le GSPR s'y est adapté. Cela a pu les gêner un moment, je ne le vous cache pas, il a pu y avoir des explications entre le chef de cabinet et le chef du GSPR sur notre proximité physique avec le Président, mais quand ils ont compris notre rôle de facilitateurs dans cette position au plus proche du Président, ils se sont adaptés, parce qu'ils savent faire.

M. Mathieu Darnaud. - Vous avez dessiné les contours de vos fonctions, expliqué vos missions et répondu à M. Sueur sur la question de l'accès aux télégrammes et notes de service du ministère de l'intérieur. Au regard des éléments que vous nous avez livrés, pouvez-vous nous dire avec précision ce qui, selon vous, justifiait votre habilitation au secret de la défense nationale ?

M. Alexandre Benalla. - Je pense, tout d'abord, que c'est une sécurité pour l'État que d'engager une démarche d'habilitation. Lorsque vous êtes embauché comme collaborateur du Président de la République, l'administration ne vous connaît pas forcément. Ainsi, plusieurs enquêtes sont menées sur vous. L'ensemble des collaborateurs y est soumis. Ensuite, dans les fonctions qui sont les vôtres, vous pouvez être amené à organiser des déplacements sur des bases militaires, sur des zones réservées.

L'autorité habilitatrice est le commandant militaire du palais de l'Élysée, le général Bio Farina, sous l'autorité du directeur de cabinet. Ce qui ne veut pas dire que c'est le commandement militaire qui enquête. Lorsqu'un collaborateur est recruté par les ressources humaines de la présidence, son dossier part à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui pousse l'enquête sur vos proches, votre entourage et qui, s'il y a risque, émet un avis, positif ou négatif. Si la DGSI juge qu'il y a une faille - proximité possible avec un service de renseignement étranger, problèmes financiers... - elle émet un avis négatif, car vous pouvez, à un moment ou un autre, représenter un danger pour la présidence de la République, ou être en position de la compromettre.

L'habilitation est donc une façon pour l'Élysée, et pour d'autres administrations, de vérifier qui vous êtes et si l'accès qui vous serait ouvert à certains lieux ou documents au cas où vous auriez besoin d'en connaître ne constituerait pas un danger - car vous pourriez en révéler la teneur. Il ne s'agit en aucun cas d'un passe-droit qui permettrait de rentrer dans tel ou tel bâtiment officiel, mais d'une sécurité, en même temps qu'une responsabilité que l'on vous confie : lorsque la DGSI a émis un avis favorable, l'autorité habilitatrice vous fait signer un papier qui vous explique que si vous trahissez le secret de la défense nationale, vous encourez une des peines maximales prévues par le code pénal - bien supérieure à celle que l'on encourt pour ne pas se présenter devant une commission d'enquête...

Mme Esther Benbassa. - Dans un article du Nouvel Observateur de 2016, vous posez avec votre arme. (Mme Benbassa montre à l'assistance une copie de cet article.) Vous n'avez pourtant pas encore l'autorisation de port d'arme pour laquelle vous avez fait plusieurs demandes, en 2013, 2016, 2017. Vous aviez cependant obtenu, entretemps, une autorisation provisoire de port d'arme pour le seul QG de M. Macron. Je me demande si vous n'avez pas posé avec cette arme pour faire croire à son entourage et à lui-même que vous disposiez d'une autorisation de port d'arme, ce qui aurait pu vous ouvrir des portes pour vous occuper de la protection du Président.

J'ajoute que M. Delpuech nous a indiqué avoir délivré une autorisation à la demande de l'Élysée pour l'exercice de vos fonctions auprès du chef de l'État. Or, vous affirmez que ce port d'arme ne concerne que votre sécurité personnelle. Mais en 2016, vous portiez déjà une arme sans autorisation.

Autre question : comment expliquer que les syndicats de police que nous avons entendus aient dit que vous les terrorisiez ?

M. Philippe Bas, président. - Ce sont deux questions : commencez par la deuxième...

M. Alexandre Benalla. - C'est une remarque toute personnelle : si les policiers d'élite du GSPR et les gendarmes d'élite du groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) détachés au GSPR me craignent, je suis assez inquiet pour la sécurité du Président de la République.

De mémoire, il n'y a jamais eu aucun incident avec aucun officier de sécurité du GSPR. Je les connais bien. Ce sont, pour la plupart, des camarades, avec lesquels je m'entends bien, j'allais à la salle de sports avec eux (pas à l'Assemblée nationale), au tir, j'ai passé beaucoup de temps avec eux, à la chefferie de cabinet. J'ai été abasourdi par les propos d'une personne qui s'est offert ici une tribune médiatique en racontant n'importe quoi. Si elle avait été dans son rôle, confrontée à un tel problème, elle l'aurait sans nul doute fait connaître par voie de presse, comme à son habitude. Or, je n'ai jamais vu ou lu, même dans un « indiscret » comme on en trouve dans le Canard enchaîné ou Le Point, que j'aie terrorisé qui que ce soit.

Vous évoquez un article du Nouvel Observateur dans lequel on me voit avec une arme. Pouvez-vous m'en indiquer la date ?

Mme Esther Benbassa. - Le 12 avril 2016.

M. Alexandre Benalla. - À cette date, comme je l'ai précisé au début de cette audition, je n'étais pas à En Marche mais à l'Office européen des brevets. La plaque que je porte autour du cou en témoigne. Cette photo est prise ailleurs, une autorisation de port d'arme n'était pas nécessaire.

Mme Esther Benbassa. - Qu'est-ce qui vous autorisait à porter une arme ?

M. Alexandre Benalla. - J'étais à l'étranger, en Allemagne, avec des autorisations particulières, au service d'une organisation internationale.

Mme Agnès Canayer. - Vous avez été membre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, en 2009, en vertu de votre appétence pour les missions de sécurité et le maniement des armes. Depuis, vous avez été nommé au grade de lieutenant-colonel de réserve, comme spécialiste de la gendarmerie nationale. L'avez-vous demandé ? Si oui, à qui ? Et quelles sont les compétences qui justifient ce grade ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai suivi un cursus parfaitement normal en matière de réserve opérationnelle. J'ai postulé, à 17 ans et demi. Mon dossier a été reçu, j'ai suivi une formation puis, entre 2009 et 2013, comme pourra vous le confirmer la direction générale de la gendarmerie nationale, j'ai effectué environ 300 jours de réserve. Cela signifie être sur le terrain, en tenue, sans distinction aucune d'avec les gendarmes d'active, avec les mêmes missions, sous le statut d'agent de police judiciaire adjoint (APJA) : il autorise à constater des infractions, à intervenir sur des faits délictueux voire criminels, comme je l'ai fait avec Vincent Crase dans le cadre de nos missions de réserve opérationnelle dans le département de l'Eure, nous avons d'ailleurs ensemble procédé à des interpellations.

Puis, deux ans durant, j'ai été moins engagé au sein de la réserve, si bien que la gendarmerie était inquiète de ne plus me voir, d'autant que j'avais obtenu un certain nombre de distinctions au sein de la gendarmerie nationale - médaille du service militaire volontaire, médaille de la défense nationale, lettres de félicitations, que je pourrais vous produire, monsieur le président, si vous le souhaitez. Le contrat dans la réserve est d'une durée de deux ans, renouvelable, mais si l'on ne fait pas un minimum de cinq jours de réserve active, on vous retire votre engagement à servir dans la réserve (ESR).

Un certain nombre de personnes, dont le directeur général de la gendarmerie nationale, que j'avais connu dans le cadre d'autres fonctions, regrettaient que je ne continue pas de servir dans la gendarmerie, où mon engagement avait été total, au même titre que dans toutes mes activités professionnelles. Il a jugé, au vu de mon statut de collaborateur du Président de la République à l'Élysée, que je pouvais intervenir sur une thématique particulière, en participant à un groupe de travail sur l'amélioration de la sécurité des emprises militaires de la gendarmerie, et m'a nommé lieutenant-colonel, sur le fondement de mes diplômes, de mon expérience professionnelle, et de mon statut à la présidence de la République. Cela n'a rien de scandaleux. Il n'est pas rare que des collaborateurs de l'Élysée, ou des parlementaires, soient ainsi engagés, au titre de la réserve citoyenne, en tant que spécialistes, dans des grades correspondant aux fonctions qu'ils occupent - mes fonctions à la chefferie de cabinet de l'Élysée ne justifiaient pas que je reste brigadier-chef de la réserve opérationnelle du département de l'Eure, où je n'aurais pas eu le temps de me rendre. Cela m'a permis de poursuivre mon engagement au profit de mon pays malgré mon agenda chargé. In fine, certes, je n'ai pas pu participer à beaucoup de réunions, mais il ne s'agit en rien d'un avantage indu : cette nomination, on me l'a proposée sans que je l'aie demandée,

M. Philippe Bas, président. - Tout de même, nous avons demandé les dossiers nécessaires à la direction générale de la gendarmerie nationale. Il n'en ressort pas avec évidence qu'il soit fréquent, naturel et normal d'être propulsé à un grade aussi élevé. Malgré toutes les qualités qui vous sont reconnues comme réserviste, vous auriez pu, tout aussi bien, être promu capitaine plutôt que lieutenant-colonel. Il y a là une interrogation pour la commission d'enquête. Pourquoi vous gratifier d'un tel grade, pour lequel il a fallu vous sortir du cadre général et vous faire entrer dans celui des spécialistes, où l'on ne passe pas comme cela, habituellement, du grade qui était le vôtre à celui de lieutenant-colonel.

M. Alexandre Benalla. - J'espère qu'il ne m'en voudra pas mais je vois ici un sénateur qui est membre de la réserve citoyenne de la gendarmerie nationale, au grade de colonel. Je ne pense pas qu'il ait porté l'uniforme huit ans durant et ait des compétences particulières pour être colonel.

M. Philippe Bas, président. - C'est votre appréciation.

M. Alexandre Benalla. - Permettez-moi de terminer mon propos.

M. Philippe Bas, président. - Vous pouvez prendre tous les exemples que vous voudrez, il s'agit d'un sénateur...

M. Alexandre Benalla. - Et j'étais collaborateur du Président de la République.

M. Philippe Bas, président. - Merci de nous le rappeler, nous le savons. Dans ce type de cas, ce n'est pas une trajectoire qui part de la réserve opérationnelle, telle que vous l'avez pratiquée, laquelle ne mène pas, normalement, à de tels grades, sauf après de très nombreuses années.

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait. La gendarmerie utilise aussi la réserve pour se nourrir de compétences particulières. C'est ainsi que des gens sont nommés d'office au grade de colonel, dans la réserve citoyenne ou dans la réserve opérationnelle en tant que spécialistes. Des textes sont prévus à cette fin, et le cadre d'emploi que j'occupais à l'Élysée coïncide avec le grade qui m'a été attribué.

M. Philippe Bas, président. - C'est votre réponse.

M. Alexandre Benalla. - Ce sont les textes, monsieur le président.

Mme Catherine Troendlé. - Vous est-il arrivé d'appuyer ou de conseiller des recrutements ou affectations au sein du GSPR ou du commandement militaire du palais ? Vous est-il arrivé de faire entrer des personnes extérieures dans les bâtiments affectés à la présidence de la République sans que le commandement militaire en soit informé ?

M. Alexandre Benalla. - À votre première question, je réponds oui. Sans émettre, à proprement parler, un avis, j'ai pu dire le bien que je pensais d'une personne, en soulignant qu'il s'agissait d'un grand professionnel et qu'il serait bon qu'il rejoigne les rangs du GSPR. Ce policier a été soumis aux tests, au processus de sélection normal ; il disposait de toutes les compétences requises, et il a été recruté.

Vous allez auditionner Vincent Crase. Au fil de mes discussions avec le général Bio Farina, il m'est apparu incroyable, à moi qui ai servi au sein de la réserve, que le commandement militaire, composé essentiellement de gendarmes, ne soit pas plus ouvert sur l'extérieur. Vous n'êtes pas sans savoir que les dépenses publiques se réduisent, que le nombre de gendarmes en poste a diminué et que, pour eux, l'exercice est rude. Ouvrir le commandement militaire à des réservistes de la gendarmerie permettait de libérer un certain volume de temps de travail, et l'Élysée était le dernier palais national « fermé » aux réservistes. J'en ai discuté à plusieurs reprises avec le général Bio Farina. Il a considéré que c'était une bonne idée d'ouvrir ces fonctions à des profils différents. D'ailleurs, cette question a fait l'objet d'un certain nombre d'articles dans la presse spécialisée.

J'ai conseillé le recrutement de Vincent Crase, que je connais bien, puisqu'il m'a recruté comme réserviste dans l'Eure, lorsque j'avais dix-sept ans et demi. Un appel à candidatures a été lancé ; le général a reçu un certain nombre de dossiers. Divers entretiens ont été menés avec des jeunes hommes et des jeunes femmes venant d'horizons différents
- étudiants, secrétaires administratifs, conducteurs -, à même d'apporter au commandement militaire, des compétences nouvelles, notamment administratives, au sein de l'état-major.

À ce titre, j'ai recommandé Vincent Crase. Il a été recruté par le général Bio Farina, et il a accompli un travail dont tout le monde m'a paru satisfait. De mémoire, 14 réservistes opérationnels exercent aujourd'hui au sein de l'Élysée. Je ne les connais pas particulièrement.

M. Philippe Bas, président. - Qu'en est-il de la seconde question posée par Mme Troendlé ?

M. Alexandre Benalla. - Quel que soit mon statut, seul le Président de la République pourrait faire entrer des personnes à l'Élysée sans l'autorisation du commandement militaire. La règle est simple : l'ensemble des visiteurs sont « audiencés »
- on vérifie le cadre de leur réception, où et par qui -, qu'il s'agisse de visites privées ou officielles. Leur venue doit être annoncée 48 heures à l'avance au secrétariat du commandement militaire, afin qu'il puisse mener les vérifications d'usage. N'importe qui ne peut pas entrer à l'Élysée. Si quelqu'un se présente, demande à me voir, sans avoir été annoncé, il ne pourra pas entrer. Là-dessus, le général Bio Farina est intransigeant. Si une situation exceptionnelle exige un arbitrage, il appelle le directeur de cabinet. Mais, aujourd'hui, la règle est très stricte.

M. Philippe Bas, président. - Nous atteignons l'heure prévue pour la fin de cette audition ; nous allons continuer, mais je vous invite à grouper vos questions, afin que nous accélérions le rythme. De son côté, M. Benalla s'efforcera d'être à la fois précis et concis.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je m'interroge au sujet d'un avantage particulier lié à votre statut à l'Élysée. En quoi vos fonctions justifiaient-elles de bénéficier de deux passeports diplomatiques ? L'un de ces deux documents vous a été délivré le 24 mai 2018, soit, vraisemblablement, après la sanction qui vous a été infligée, et qui vous retirait toute participation aux déplacements du Président de la République. Pourquoi ? À ce jour, avez-vous restitué ces deux passeports ?

M. Dany Wattebled. - Lors de la campagne présidentielle de 2017, vous étiez responsable, notamment, de la sécurité du QG de campagne et de la protection rapprochée du candidat Emmanuel Macron. Puis, vous avez été embauché à l'Élysée le 14 mai 2017. Selon votre supérieur hiérarchique, M. François-Xavier Lauch, vous aviez trois missions : les déplacements du Président de la République, l'organisation des événements et la coordination des services de sécurité. Comme vous l'aviez dit, vous étiez également un facilitateur pour ce qui concerne les questions de sécurité impliquant le Président de la République et ses proches. À la lecture de votre contrat d'embauche, on comprend que vous étiez disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. Mais, dans ces conditions, pourquoi avez-vous dû attendre quatorze mois pour obtenir un appartement de fonction  quai Branly ?

M. Marc-Philippe Daubresse. - Vous l'avez confirmé il y a quelques instants, vous avez perçu la sanction qui vous a été infligée comme une rétrogradation, et même comme une humiliation. Selon le chef de cabinet du Président de la République, vous étiez chargé dès lors, pour l'essentiel, de la synchronisation des cortèges. Avez-vous continué à conduire une voiture siglée « police » et à porter une arme ?

De plus, j'observe que « l'épaule droite » et « l'épaule gauche » d'un ministre, d'un Premier ministre ou d'un Président de la République sont toujours des officiers de sécurité. Or, sur diverses photos, on vous voit assurer ce rôle physiquement. Lorsqu'un Président de la République ou un ministre est approché par telle ou telle personne, l'officier de sécurité sert souvent d'interface, pour porter un dossier ou transmettre une question. J'ai beaucoup fréquenté l'Élysée et Matignon, il en a toujours été ainsi. Comment expliquez-vous ce changement de pratique ?

M. Philippe Bas, président. - Autrement dit, si vous étiez à la place du garde du corps qui doit être en épaule... où était le garde du corps ?

Mme Catherine Di Folco. - Ma question porte sur le véhicule qui vous a été attribué. Il était équipé d'un gyrophare et d'un pare-soleil « police ». À quelles fins ? Surtout, ce véhicule vous a-t-il été retiré après votre rétrogradation, puisque vous ne deviez plus accompagner le Président de la République ? Tous les autres chargés de mission de la chefferie, notamment votre collègue sous-préfète, disposaient-ils d'un tel véhicule ? Enfin, le salaire mensuel net de 6 000 euros, que vous avez annoncé à la presse, inclut-il les primes de cabinet et les avantages en nature ?

M. Jean-Yves Leconte. - Au-delà de la place de la Contrescarpe, le 1er mai, vous avez été, depuis votre nomination comme conseiller du Président de la République, présent lors de plusieurs manifestations, et vous n'y étiez pas en tant que simple manifestant. Était-ce toujours sur vos temps de congés, ou dans le cadre de vos missions ?

En outre, vous avez été, à l'Office européen des brevets, « l'épaule droite » de M. Battistelli. On sait de quelle manière celui-ci a abusé de l'immunité que lui conférait la direction d'une organisation internationale. Le Président de la République et le secrétaire général de l'Élysée connaissent cette situation - ils ont eu l'occasion de s'interroger à ce sujet lorsqu'ils étaient au ministère de l'économie. Avez-vous évoqué ces questions avec eux, du fait de la proximité que vous avez eue avec M. Battistelli ?

M. Alexandre Benalla. - Les « avantages » évoqués par Mme Eustache-Brinio ne sont en fait que des usages. Les passeports diplomatiques sont délivrés et renouvelés de manière automatique à l'ensemble des personnels qui peuvent être appelés à se déplacer à l'étranger, pour accompagner le Président de la République, ou afin de préparer un déplacement. Un certain nombre de personnes peuvent en disposer, notamment les membres du service du protocole ; l'ensemble du personnel de la chefferie de cabinet ; et même certains membres de l'intendance, par exemple des cuisines. Ces titres ne sont pas des passe-droits et n'offrent aucune immunité. Le renouvellement de passeport du 24 mai 2018 est une procédure administrative classique. Les titres dont il s'agit sont restés dans le bureau que j'occupais à l'Élysée.

M. Pierre Charon. - Dans un coffre ?

M. Philippe Bas, président. - Veuillez poursuivre, monsieur Benalla, vous avez seul la parole.

M. Alexandre Benalla. - La résidence de l'Alma regroupe de longue date, monsieur Wattebled, des logements de fonction. Lors de ma nomination, il n'y avait pas d'appartement libre. De plus, à l'origine, je ne mesurais pas l'ampleur de ma tâche : je n'ai donc pas fait de demande en mai 2017. Puis, constatant que je commençais en général le matin à six heures trente, que je quittais mon poste à vingt-trois heures, minuit, voire une heure du matin, que je ne voyais plus ni ma femme ni mon fils et que je devais être en mesure de réagir immédiatement, en permanence, j'ai donc formulé sur le tard une demande de logement de fonction ; ce dernier m'a été attribué tout de suite par le directeur de cabinet, pour nécessité absolue de service, mais je ne l'ai jamais occupé.

Monsieur Daubresse, après avoir préparé les déplacements du Président de la République, j'ai été chargé de synchroniser des cortèges. On peut appeler cela comme l'on veut, mais c'était une rétrogradation, et j'ai considéré qu'il s'agissait d'une humiliation. C'est mon avis personnel.

Quant à la « voiture de police », qui n'est pas une voiture de police, comme les deux assemblées, l'Élysée dispose d'un parc automobile. Il s'agit, non de véhicules de fonction, mais de véhicules de service, équipés d'avertisseurs spéciaux, pour assurer la sécurité des personnes dès lors que l'on prend place dans un cortège, et pour faire face aux situations d'urgence. Dans les ministères ou dans les préfectures, l'ensemble des véhicules administratifs disposent d'ailleurs d'équipements semblables. Des attachés de presse de ministres ont des voitures de fonction avec gyrophares. Il n'y a rien de choquant à cela : le but, c'est que l'on puisse assumer ses missions au mieux, se rendre dans les délais impartis à un événement, ou intégrer le cortège du Président de la République en toute sécurité.

Je n'en n'ai pas fait le choix : tous les véhicules de la présidence sont équipés ainsi, comme les véhicules des présidents de commission au Sénat, du président de l'Assemblée nationale... Ce n'est pas un avantage, c'est un usage. J'ignore s'il est régi par des textes. Si l'on m'avait dit de me déplacer à vélo, je l'aurais fait ; mais tel n'était pas le cas.

M. Marc-Philippe Daubresse. - Après votre rétrogradation, vous avez continué à utiliser ce véhicule ?

M. Alexandre Benalla. - oui, mais j'insiste : si la vidéo d'une Talisman a tourné en boucle sur BFM, je n'avais pas de véhicule attitré. Le parc automobile de l'Élysée comprend également des Clio et des Zoé. On les prend en fonction des besoins. J'ai continué à utiliser ces véhicules de temps en temps pour me rendre, depuis mon domicile, sur des lieux où la présidence de la République organisait des événements. Je n'étais certes plus en charge de la sécurité ni de l'organisation des déplacements du Président de la République, mais toujours de certains événements connexes : le retour des Bleus, la panthéonisation de Simone Veil, etc. Dans ce cadre, je me déplace.

Si l'on peut me voir, sur telle ou telle vidéo, à l'épaule droite du Président de la République, à l'épaule gauche on verra un policier ou un gendarme du GSPR. Aujourd'hui, je suis sous le feu des projecteurs. Mais on aurait également pu voir François-Xavier Lauch, en permanence, à l'épaule droite du Président de la République...

M. Philippe Bas, président. - Vous l'avez déjà dit...

M. Alexandre Benalla. - Pour poursuivre ma réponse, c'est effectivement un changement. La fonction d'un officier de sécurité, n'est pas de porter des dossiers, le manteau du Président, ou de lui transmettre des messages ; c'est d'être attentif et de le protéger en permanence.

M. Philippe Bas, président. - Mais, si vous êtes dans une position caractéristique de la protection à l'épaule, où est le garde du corps qui assure cette protection ?

M. Alexandre Benalla. - Il était à droite si j'étais à gauche, et à gauche si j'étais à droite : c'est visible sur les images.

M. Antoine Lefèvre. - C'est formidable, comme réponse !

M. Marc-Philippe Daubresse. - Il s'agit du garde du corps qui devait être à votre place ?

M. Alexandre Benalla. - Il n'y a pas de place prédéfinie. J'insiste, les officiers de sécurité ne sont pas les valets des personnes qu'ils protègent.

Je suis désolé si je n'ai pas été clair sur ce sujet précédemment. La proximité physique, y compris du chef de cabinet, lors des déplacements du Président de la République, a donné lieu à des discussions entre le chef du GSPR et le chef de cabinet ; mais les membres du GSPR, qui sont des personnes intelligentes et professionnelles, se sont adaptés, ils ont trouvé des solutions pour que cette proximité soit préservée, afin que l'on puisse parler au Président à tout moment.

La chargée de mission que vous évoquez n'avait pas de véhicule de service, mais elle avait accès au service de la régulation. Ainsi, elle disposait d'un véhicule de la présidence de la République, avec un gendarme, en qualité de chauffeur, dès lors qu'elle en avait besoin dans le cadre de ses fonctions, notamment pour la préparation de déplacements. Au sein de la chefferie de cabinet, nous étions deux à disposer d'un véhicule de service, que j'ai d'ailleurs déclaré aux impôts : François-Xavier Lauch et moi-même. Enfin, je n'ai aucun avantage en nature : les 6 000 euros nets constituaient ma rémunération totale.

Monsieur Leconte, pourriez-vous me préciser à quelles dates, à quelles manifestations, autres que celle du 1er mai votre question faisait référence ?

M. Jean-Yves Leconte. - Il s'agit notamment de la marche organisée en la mémoire de Mme Knoll. D'une manière générale, aviez-vous un rôle d'observation ?

M. Alexandre Benalla. - Cela fait partie des fake news répandues par un certain nombre de personnes. Je n'ai jamais été présent à cette manifestation ; j'étais alors avec le Président de la République au cimetière. Je n'ai pas souvenir d'avoir évincé M. Mélenchon lors d'une manifestation ; j'attends que l'on me montre les images dont il a été question.

M. Jean-Yves Leconte. - Vous n'avez jamais eu de mission d'observation, au titre de la présidence de la République, lors de manifestations ?

M. Alexandre Benalla. - Jamais. Sans aborder la manifestation du 1er mai, j'indique que l'on ne m'a pas demandé d'aller observer les manifestants. Si j'y étais, dans ce cas, c'était pour comprendre. Je n'ai été présent à ce titre lors d'aucune manifestation depuis que je suis entré en fonctions, le 17 mai 2017.

Mme Brigitte Lherbier. - J'ai pu constater la difficulté des concours de commissaire de police et d'officier de gendarmerie, qui organisent la hiérarchie. Votre formation universitaire m'intéresse. Dans quelle université avez-vous obtenu votre master 1 « sécurité » ? À qui avez-vous présenté ce diplôme en premier ? Il semble avoir particulièrement intéressé toutes les personnes que vous avez rencontrées, notamment au sein de la gendarmerie.

M. Alain Marc. - Lorsque vous assuriez la sécurité au parti socialiste, puis à l'Office européen des brevets, avez-vous été lié à des sociétés privées de sécurité ? Si oui, quelle était la nature de ce lien ? Sans déflorer ce que vous allez renseigner sur le formulaire de la HATVP, pouvez-vous nous dire que vous n'aviez aucun lien avec de telles sociétés privées lorsque vous étiez à l'Élysée ?

M. François Grosdidier. - Vos compétences en matière de sécurité sont incontestables. Ce qui paraît moins vraisemblable, c'est l'affirmation selon laquelle vous vous occupiez de tout, sauf de sécurité. Il y a vos attitudes et gestes professionnels, peut-être des survivances, mais aussi les mentions de l'arrêté du préfet de police vous octroyant le port d'arme, les déclarations des syndicats évoquant un « comportement autoritaire et déplacé », des « relations exécrables avec le GSPR ». Vous contestez ces propos, mais vous avez reconnu être considéré par les membres du GSPR comme un « extraterrestre », comme un « gêneur ». N'est-ce pas parce que vous vous ingériez dans leur champ de compétences ?

Sur le port d'arme, vous n'avez pas été aussi clair que ce que l'on nous a pourtant dit ici : « jamais dans les déplacements publics, seulement dans les déplacements privés ». Lorsque vous étiez armé au cours de déplacements privés, était-ce parce que le GSPR était absent  - vous avez expliqué vous-même que le Président de la République voulait un dispositif léger -, ou bien s'agissait-il d'une double assurance ? Lors des déplacements publics, donniez-vous des instructions ou des ordres aux policiers et gendarmes, gradés ou non ?

M. Henri Leroy. - Vous avez été missionné, compter tenu de vos compétences, en tant que réserviste de la gendarmerie, pour la sécurité des casernements. Le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, l'a déclaré devant notre commission : pour vous crédibiliser, on vous a octroyé des galons « en zinc » de lieutenant-colonel. Une fois terminée cette mission, à laquelle vous avez participé de façon parcimonieuse, ces galons devaient vous être retirés, puisque cette mission n'a plus lieu d'être : pouvez-vous le confirmer ?

En outre, avez-vous donné des ordres aux préfets, sous-préfets, gendarmes et policiers que vous avez été appelé à côtoyer ou à rencontrer dans l'exercice de vos missions ?

Enfin, avez-vous des antécédents judiciaires ?

Mme Marie Mercier. - Pour des raisons d'absolue nécessité de service, vous deviez occuper un logement de fonction, mais à compter du 1er juillet 2018. Comment expliquer cette attribution à cette date, après la sanction dont vous avez fait l'objet ? Parmi vos anciens collègues de la chefferie de cabinet, certains ont-ils des appartements de fonction quai Branly ?

M. Jérôme Durain. - À vous écouter, il est très difficile de ne pas franchir l'étroite ligne de crête entre, d'un côté, les fonctions de coordination et d'organisation et, de l'autre, les fonctions de police et de sécurité. Vous dites ne pas avoir exercé de missions de police et de sécurité. Mais des témoignages de journalistes, voire des images, l'attestent : vous avez procédé à des fouilles ainsi qu'à un contrôle d'identité, à La Mongie, en décembre 2017, et, à Marseille, à la notification de mise en garde à vue d'un photographe. Qu'avez-vous à répondre ?

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, j'ai vu que vous avez noté soigneusement toutes ces questions ; pouvez-vous répondre, tout d'abord, à la seconde partie de la question de M. Leconte ?

M. Jean-Yves Leconte. - Ma seconde question portait sur l'Office européen des brevets. M. Benalla a-t-il évoqué la situation de cet organisme avec le Président de la République ou le secrétaire général de l'Élysée ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai un immense respect pour Benoît Battistelli, à la tête de l'Office européen des brevets. Très peu de Français dirigent des organisations internationales. J'ai vu le travail de sape mené par certains politiques pour essayer de le faire chuter. C'est un grand serviteur de l'État. Il est vrai qu'il a dirigé l'Office européen des brevets d'une main de fer, mais je n'ai jamais vu, dans cette maison, quoi que ce soit en dehors de la loi. Je n'ai jamais parlé de lui, ni avec Emmanuel Macron ni avec Alexis Kohler, ni de l'Office européen des brevets, où, après avoir dirigé l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), il a exercé pendant six ans et obtenu d'excellents résultats : ces sujets n'étaient pas de mon niveau. Je n'ai pas ce genre de discussions avec le Président de la République, ni avec le secrétaire général de l'Élysée.

Pour ce qui concerne ma formation, madame Lherbier, j'ai obtenu mon master 1 de droit public, spécialité « sécurité publique », à l'école de droit de Clermont-Ferrand. Ce diplôme m'a ouvert les portes de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), proposés dans le cadre du cursus.

Je n'ai eu, monsieur Marc, aucun lien avec une société de sécurité privée depuis que je suis à l'Élysée. Auparavant, j'ai exercé au sein de sociétés - cabinets de conseil en sûreté et sécurité. J'ai pu détenir des parts dans certaines sociétés de sécurité, il y a très longtemps.

Monsieur Grosdidier, quand j'ai dit que l'on me qualifiait d'extraterrestre, je faisais référence, non pas aux officiers de sécurité du GSPR, mais à un certain nombre d'administratifs « pur jus », aux yeux desquels je n'avais pas tout à fait le profil de l'emploi. Effectivement, il a pu y avoir des tensions avec eux. Quand on me demande de faire quelque chose, je le fais jusqu'au bout - à ce titre, je suis un peu dans l'esprit du Président de la République -, quitte à m'attirer des inimitiés de gens qui expliquent que l'on fait comme ça depuis quarante ans et que l'on ne vous pas attendu pour changer les choses... Cela peut parfois créer des tensions. Quand vous ne faites pas partie du club, on vous le reproche, en tout cas on vous le fait sentir.

Concertant les déplacements privés et le port d'arme, le seul responsable de la sécurité du Président de la République, c'est le général Lavergne. Les éléments du GSPR sont en permanence avec le Président de la République : il n'y a jamais eu de trou dans la raquette et ce dernier ne s'est jamais retrouvé seul. Même quand le dispositif était minimum, il y a toujours eu de la sécurité autour du Président de la République, officielle. Il y a toujours eu les forces de police ou de gendarmerie avec lui.

Je le répète, l'arme que je portais était destinée à ma sécurité personnelle.

Quant au grade de lieutenant-colonel de la réserve opérationnelle, il m'a été attribué, non pas à ma demande, mais sur proposition du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) ; j'en ignore la durée. J'avais signé un engagement à servir dans la réserve d'une durée de cinq ans, au cours desquels mon autorité d'emploi, à savoir le cabinet du DGGN, pouvait potentiellement m'attribuer plusieurs missions - et donc d'autres missions que celle de participer à un groupe de travail sur l'amélioration de la sécurité des emprises militaires de la gendarmerie. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps, mon agenda à l'Élysée ne m'a pas permis d'assister à l'ensemble des réunions.

M. Henri Leroy. - Pouvez-vous nous indiquer si vous avez encore ce grade ?

M. Alexandre Benalla. - Il faudrait le demander à la DGGN.

Sur la possibilité de donner des ordres à des préfets, des commissaires de police ou des officiers de gendarmerie : lorsque vous préparez un déplacement du Président de la République, vous êtes l'autorité politique, en tant que membre du cabinet. Vous donnez à certains responsables - préfets, ambassadeurs, policiers, gendarmes - une idée générale du déplacement prévu. Il serait inconcevable que le préfet ou l'ambassadeur décide du programme du Président de la République. Le Président souhaite, en rencontrant certaines personnes, en présentant ses idées, développer telle ou telle thématique. Leur mission n'est pas d'arrêter un programme, mais de mettre à disposition un certain nombre de moyens, afin de le mettre en oeuvre. Le préfet a autorité sur les forces de l'ordre ; vous lui expliquez le mode d'arrivée du Président, son itinéraire, etc., la mise en oeuvre lui appartient. Diverses personnes entrent dans la boucle, dont le service de presse et les membres des services de sécurité. Souvent, pour faire face à un risque de manifestation, ils annoncent leur intention de déployer tel ou tel dispositif. Puis, vous donnez votre avis au préfet quant aux moyens qu'il compte mobiliser. Mais, à ce titre, il est le seul maître à bord.

Vous ne donnez pas des ordres à des policiers ou des gendarmes. Vous présentez l'objectif - que le déplacement se déroule dans tel cadre et dans de bonnes conditions. Il s'agit souvent d'aller à la rencontre des gens, donc de ne pas mettre trop de forces, pour ne pas les tenir à distance. Vous êtes une sorte de cadreur, de coordinateur, vous agissez en responsabilité, et l'autorité administrative compétente prend les décisions opérationnelles.

Lorsque j'explique à l'intendant que le Président va manger avec 25 personnes à 12h30, j'ai le passé qui est le mien, mais personne ne me suspecte d'avoir voulu être le superintendant de l'Élysée. Il en allait exactement de même avec les gendarmes, les préfets, les ambassadeurs...

Enfin, vous pourrez vous assurer auprès du Parquet que je ne fais l'objet d'aucune mention au fichier de traitement des antécédents judiciaires. J'ai fait l'objet de plusieurs enquêtes avant d'entrer à l'Élysée. Je ne suis ni un voyou ni une « petite frappe », comme on a pu me qualifier. Je crois avoir répondu à toutes vos questions.

M. Jérôme Durain. - Qu'en est-il des fouilles, des contrôles d'identité, des interpellations de journalistes ?

M. Alexandre Benalla. - Je n'ai jamais fouillé un journaliste ou contrôlé son identité.

Un exemple : lors du déplacement du Président de la République en Guyane, 500 personnes ont attaqué les gendarmes, les policiers, la préfecture. Les autorités préfectorales se tournent vers vous et vous demandent : « qu'est-ce qu'on fait ? » Ce n'est pas politiquement correct de le dire, mais c'est la réalité. L'autorité administrative ne prendra aucune décision sans l'aval de l'autorité politique.

De même, quand des personnes portent atteinte à la vie privée du Président de la République, le harcèlent sur son lieu de vacances, vous prenez vos responsabilités et venez dire aux membres du GSPR d'intervenir, quand la personne a franchi les limites et est entrée dans une propriété privée, pour photographier Madame ou Monsieur en maillot de bain, et vous agissez en responsabilité. Je n'ai a pas donné l'ordre d'interpeller le gars : il a commis un délit, et a été placé en garde à vue par un commissaire de police, pas par Alexandre Benalla.

M. Philippe Bas, président. - On va s'en tenir là, car si M. Benalla avait procédé lui-même à des contrôles d'identité ou à des fouilles, il s'agirait de faits potentiellement délictueux, or il n'appartient pas à notre commission d'enquête parlementaire de le conduire à s'exprimer sur des délits qu'il aurait éventuellement commis.

M. Alexandre Benalla. - Ce qui n'est pas le cas, monsieur le président...

M. Philippe Bas, président. - Nous devons nous en tenir à la réponse générale qu'il a voulu nous faire. Monsieur Benalla, je vous remercie d'avoir coopéré avec la commission des lois, investie des pouvoirs de commission d'enquête. Cette audition est terminée.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Vincent Crase, chef d'escadron dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale

M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, comme je l'ai rappelé en ouvrant la précédente audition, M. Crase ayant été mis en examen, il est évidemment exclu que nous lui posions la moindre question qui puisse avoir une relation avec les faits relevant de l'enquête judiciaire.

M. Crase a servi au commandement militaire du palais de l'Élysée en qualité de réserviste. Nous lui poserons des questions afin d'éclairer la commission quant au fonctionnement des services chargés de la sécurité du palais présidentiel, qui relèvent de la garde républicaine, de la gendarmerie nationale, du ministère de l'intérieur et du ministère de la défense, pour le recrutement des collaborateurs qui y servent, pour la gestion des moyens dont ils disposent, de leurs carrières ou de leur organisation. C'est seulement à ce titre que nous le recevons aujourd'hui.

Monsieur Crase, vous aviez demandé le huis-clos, comme la législation le permet. Votre demande a été soumise à l'appréciation de la commission, qui en a délibéré ce matin avant de procéder aux auditions et qui ne l'a pas acceptée, dans un souci de transparence, toutes les autres auditions ayant eu lieu en public. Néanmoins, une audition n'est pas une comparution ; ici, nous n'instruisons aucun procès, nous ne prononçons aucune sanction. Nos questions ne touchent pas à des faits qui pourraient vous être reprochés. Simplement, nous attendons de vous que vous nous apportiez, de manière coopérative, un éclairage au cours de cette audition, qui n'est peut-être pas la principale de celles que nous avons menées et que nous mènerons.

Notre commission ayant été investie des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Vincent Crase prête serment.

M. Philippe Bas, président. - Souhaitez-vous vous exprimer avant que nous vous posions quelques questions, ou n'est-ce pas nécessaire ?

M. Vincent Crase, chef d'escadron dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale. - Non.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Pouvez-vous nous rappeler votre formation et votre parcours professionnel, notamment en matière de sécurité et de protection rapprochée ?

M. Vincent Crase. - Mon parcours professionnel a débuté en 1996, lorsque j'ai été nommé enseignant de français et d'histoire-géographie dans un centre de formation des apprentis. J'ai exercé ce métier pendant neuf ans. Au préalable, j'avais effectué mon service militaire dans l'armée de l'air, dont j'ai été réserviste jusqu'en 2005. J'ai alors intégré la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, dans le département de l'Eure. Je suis titulaire d'un diplôme universitaire professionnel (DUP), dans le domaine de la sécurité privée, pour le métier d'enquêteur privé. J'ai obtenu ce diplôme au sein du centre de Melun de l'université Panthéon-Assas.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Dans quelle mesure avez-vous été associé à la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron ? Était-ce comme prestataire ou comme salarié ? Quelle était la nature de vos prestations ?

M. Vincent Crase. - J'ai été associé à la campagne présidentielle du candidat Emmanuel Macron à partir de la fin septembre, ou du début octobre 2016. Dans un premier temps, j'ai accompagné le service d'ordre, à titre bénévole. En cette qualité, je travaillais avec M. Benalla. Je recrutais et formais les volontaires choisis sur les listes d'adhérents dont nous disposions. Ces volontaires, eux aussi bénévoles, avaient pour mission d'assister le service d'ordre lors des meetings et d'assurer l'accueil au quartier général (QG) de la rue de l'Abbé Groult, où nous nous sommes installés le 15 novembre 2016.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Donc, dans un premier temps vous étiez bénévole, puis vous avez changé de fonction ?

M. Vincent Crase. - Oui, j'ai ensuite été prestataire pour En Marche et, le 1er juillet 2017, après la victoire à l'élection présidentielle, je suis devenu salarié de La République En Marche (LaREM).

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'allais vous poser la question : depuis quand étiez-vous employé au sein de LaREM ? Qui vous a recruté ? Quelles fonctions y avez-vous exercées ?

M. Vincent Crase. - J'ai été présenté par M. Benalla qui était entré antérieurement dans le mouvement. Nous nous connaissons depuis 2009, comme il vous l'a dit tout à l'heure. Je l'ai rencontré dans le cadre de sa préparation militaire de gendarmerie et nous nous sommes toujours suivis amicalement. Il m'a proposé de rejoindre les rangs d'En Marche. Ce n'est pas lui qui a décidé de tout. J'ai été adoubé par les membres du staff pour m'occuper notamment de la gestion des bénévoles au sein du QG de l'Abbé Groult qui avaient pour mission d'assurer l'accueil des personnes et regarder si toutes les personnes qui venaient au QG avaient quelque chose à y faire.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Dans quelles conditions avez-vous rejoint, en qualité de réserviste, le commandement militaire du palais de l'Élysée ? Avez-vous été recommandé ou appuyé pour cette affectation ? Combien de fois avez-vous été convoqué en tant que réserviste à l'Élysée ? Pour quelles missions ? Votre hiérarchie au sein de la République En Marche était-elle informée de votre emploi de réserviste à l'Élysée ?

M. Vincent Crase. - J'ai rencontré pour la première fois le général Bio Farina au mois de septembre 2017, sur la recommandation d'Alexandre Benalla. Il avait comme projet de monter une structure de réserve au palais de l'Élysée, pour gonfler les effectifs des gardes républicains qui sont des militaires d'active. Je rappelle d'ailleurs qu'à chaque fois qu'un réserviste intervient, il est en trinôme avec deux gardes. Le but était de gonfler les effectifs à l'occasion d'événements particuliers, tels que les journées du Patrimoine, mais aussi au quotidien, car les effectifs ne sont pas toujours suffisants.

Tous les palais de la République disposent ainsi de réservistes, notamment le Sénat qui a des réservistes du 2e régiment d'infanterie. L'objectif était de proposer, sous forme d'appel à volontaires, aux réservistes du 1er régiment d'infanterie de rejoindre le palais de l'Élysée. Cette mission avait pour particularité d'être exclusive de toute autre pour des raisons de confidentialité. Ainsi, je rencontre le général Bio Farina, nous discutons de ce projet, et il me confie la mission de monter cette structure de réservistes. À cette époque, j'étais réserviste dans la départementale, dans la région de gendarmerie de Haute-Normandie. Il a fallu transférer mon dossier, ce qui a pris un peu de temps, puisque l'administration militaire prend son temps pour faire les choses dans l'ordre.

Ma première journée de réserve au palais de l'Élysée a eu lieu le 10 novembre 2017. J'y ai été le 10 et le 11 novembre qui ont constitué des journées de découverte, aussi exhaustives que possible, du palais et des services. Ensuite, nous avons reçu des candidats réservistes qui venaient du 1er régiment d'infanterie et qui étaient intéressés par cette mission. Il y a donc eu plusieurs filtres : un premier filtre avec moi et un autre officier du service de contrôle des entrées (SCE), qui dépend du commandement militaire - car la mission principale de ces réservistes est de travailler au profit du service de contrôle des entrées ; ensuite, second filtre, les candidatures sont validées par le général Bio Farina lui-même, en tant qu'autorité hiérarchique la plus haute, qui souhaite connaître toutes les personnes amenées à travailler pour le commandement militaire. Les candidats apportaient leur CV, ils passaient un entretien et s'ils donnaient satisfaction, ils étaient intégrés mais devaient quand même accomplir quelques journées d'observation.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous n'avez pas complètement répondu à toutes mes questions, il est vrai nombreuses. Combien de fois avez-vous été convoqué en tant que réserviste ?

M. Vincent Crase. - Une quarantaine de fois, mais je n'ai pas le chiffre exact en tête, entre 40 et 50. Sur ce total, j'ai effectué 17 jours en Bourgogne pour encadrer une préparation militaire de gendarmerie (PMG), qui vise, dans la mesure où il n'y a plus de service militaire, à donner à des jeunes volontaires issus du civil une formation militaire intensive pour les amener au premier stade opérationnel afin qu'ils puissent intégrer ensuite une unité. Le principe dans la réserve opérationnelle, c'est que la formation est continue ; vous devez valider une séance de tir chaque année, faute de quoi vous ne pouvez plus exercer. Ainsi, j'ai passé 17 jours à l'école de gendarmerie de Dijon, qui est sur l'ancienne base aérienne, pour former un détachement de gardes républicains, ce qui m'a permis de présélectionner des candidats potentiels pour la Compagnie de sécurité de la présidence de la République (CSPR).

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Votre hiérarchie au sein du mouvement La République En Marche était-elle informée de votre emploi en tant que réserviste ?

M. Vincent Crase. - Oui, je n'en faisais pas secret, je pense que ces personnes étaient tout à fait au courant de mon activité au palais de l'Élysée.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Les 14 réservistes qui ont été recrutés par le général Bio Farina ont-ils une mission clairement définie ou bien sont-ils plutôt affectés à une série de missions définies de manière aléatoire, ou au jour le jour ?

M. Vincent Crase. - Tous les 14 réservistes travaillent exclusivement au profit du service de contrôle des entrées (SCE). Vous savez que l'hôtel d'Évreux a une loge d'honneur qui donne sur le faubourg Saint-Honoré, une loge Ouest et une loge Est, ainsi que des emprises extérieures, mais qui sont dans le périmètre, à Marigny ou sur la rue de l'Élysée. Ces jeunes réservistes travaillaient exclusivement au contrôle des entrées de ces différents points.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Donc la mission en Bourgogne était exceptionnelle ?

M. Vincent Crase. - Pour moi, oui. Pour les réservistes, non : il s'agissait du premier sas de leur formation initiale.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Lors de vos missions au sein du commandement militaire de l'Élysée, aviez-vous à traiter avec M. Alexandre Benalla ?

M. Vincent Crase. - Avec Alexandre Benalla, on se côtoyait, on se croisait mais on ne se voyait pas tous les jours car nous n'avions pas du tout le même emploi du temps. Je n'ai aucun souvenir d'avoir eu le temps de déjeuner avec lui car nous étions bien occupés.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Donc vos relations étaient purement informelles et amicales ?

M. Vincent Crase. - Oui, parce qu'il n'y a pas de lien hiérarchique entre lui et moi au sein du Palais. Je dépends entièrement du commandement militaire, donc du général Bio Farina et des autres officiers.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Mais vous connaissez bien M. Benalla ?

M. Vincent Crase. - Tout à fait. Nous nous connaissons depuis 2009.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous posons beaucoup de questions, pour chercher à trouver la vérité, à identifier d'éventuels dysfonctionnements, à faire des propositions. À votre avis, exerçait-il exclusivement des missions d'organisation de déplacements ou bien a-t-il exercé des missions de police et de sécurité ?

M. Vincent Crase. - Vous avez auditionné...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Beaucoup de monde !

M. Vincent Crase. -...très longuement M. Benalla ce matin. Je pense qu'il a eu tout le loisir de répondre à cette question. Pour ma part, je me réserve le droit de ne pas y répondre.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Soit, mais puisque vous le côtoyiez et que vous le connaissiez, vous avez peut-être une idée sur la question ?

M. Vincent Crase. - J'ai forcément une idée, mais...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous devez dire la vérité...

M. Vincent Crase. - Je dis la vérité, mais je ne suis pas M. Benalla, je suis M. Crase...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - D'accord, mais vous connaissez le sujet...

M. Vincent Crase. - Bien sûr.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous pouvez répondre en toute sincérité.

M. Vincent Crase. - Mais cela ne me concerne en rien, monsieur le sénateur.

M. Philippe Bas, président. - Au fond, monsieur Crase, vous estimez que, de l'endroit où vous étiez, vous ne pouviez pas apprécier la réalité de la fonction de M. Benalla ?

M. Vincent Crase. - Je ne connais pas sa fiche de poste, je n'ai pas lu son contrat de travail, donc je ne vais pas me risquer à dire des approximations.

M. Philippe Bas, président. - Très bien, on peut le comprendre.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Quand même, excusez-moi d'insister, vous étiez à l'Élysée, vous le connaissez bien, vous pouvez nous dire ce qu'il faisait ! On nous a tout dit. On nous a présenté M. Benalla comme une sorte de gentil organisateur de voyages comme dans une organisation célèbre...

M. Vincent Crase. - Il est très gentil, je vous le confirme !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je ne porte pas de jugement sur ce sujet, mais voilà une information... D'autres éléments, comme son permis de port d'arme, montrent qu'il avait des fonctions de sécurité. Vous savez bien les choses. Ne dites pas que vous ne savez rien !

M. Vincent Crase. - Même si je sais ces choses, je ne vous répondrai pas.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je prends acte de votre réponse.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Y avait-il au sein de cette cellule de réservistes d'autres salariés de La République En Marche ? Si tel est le cas, comment ont-ils été recrutés ? Est-ce par votre intermédiaire ? Sur recommandation ?

M. Vincent Crase. - Il n'y a pas, parmi les 14, de salariés de La République En Marche. En revanche, il y a un réserviste, que j'ai connu lors de la campagne présidentielle et qui s'est montré intéressé. Ayant eu l'occasion de le former à Dijon, de connaître sa droiture et d'apprécier ses qualités professionnelles pendant cette formation, oui, je l'ai recommandé. Toutefois, il n'y a pas eu de passe-droit : il a passé, comme les autres, un entretien avec moi et avec un autre officier et ensuite un entretien avec le général. S'il avait été mauvais, il n'aurait pas été pris. On ne peut pas prendre le risque de recruter quelqu'un qui n'est pas au maximum de ce qu'on exige, au palais de l'Élysée.

M. François Grosdidier. - Nous sommes un petit peu surpris de découvrir l'emploi de réservistes pour ces missions. M. Benalla nous expliquait tout à l'heure qu'il fallait ouvrir à la société civile les services de protection de la présidence de la République. On pensait que ces services étaient réservés à l'élite des plus professionnels des professionnels, même si la réserve de la gendarmerie est parfaitement honorable et si l'on apprécie beaucoup son intervention sur l'ensemble des territoires. Mais enfin, il s'agit là des missions les plus délicates qui concernent le sommet de l'État ! Qui, au départ, a décidé d'ouvrir ces services de protection de la présidence de la République à des personnes moins professionnelles ? Les personnes recrutées sont-elles essentiellement des sympathisants de la majorité présidentielle ou bien le recrutement est-il ouvert à l'ensemble des réservistes de la gendarmerie, indépendamment de toute considération partisane ?

M. Vincent Crase. - Il n'y a pas, parmi les 14 réservistes, de sympathisants, à la seule exception de celui que j'ai connu pendant la campagne. J'ai connu tous les autres soit lors de cet appel à volontariat auprès du 1er régiment d'infanterie, soit lors de la préparation militaire de gendarmerie lorsque je les ai présélectionnés moi-même mais je ne leur ai pas demandé s'ils étaient adhérents de LaREM.

Vous vous étonnez de la présence de réservistes au palais de l'Élysée. Je ne suis pas un grand spécialiste des réserves militaires, mais aujourd'hui l'état des forces armées rend nécessaire l'emploi de réservistes. Chacun connaît les difficultés que vit notre armée. Je pense que sans l'apport de la réserve opérationnelle elles seraient encore plus grandes. J'ai une plus grande expérience de la départementale puisque j'y ai passé treize ans, je sais que l'apport des réservistes y est essentiel.

Mme Esther Benbassa. - Ma première question concerne l'attribution de votre statut d'observateur le 1er mai : M. Bruno Roger-Petit, alors porte-parole de l'Élysée, nous a dit que vous vous possédiez effectivement une autorisation pour être observateur, tandis que le général Bio Farina a démenti cette information. Comment expliquez-vous ces différentes versions ?

Deuxièmement, je voudrais savoir si vous êtes toujours membre de LaREM, dans la mesure où les statuts prévoient que, lorsque l'un de ses adhérents commet un acte préjudiciable au mouvement, il doit être entendu par une commission disciplinaire interne. De nombreux militants ont ainsi déjà subi une procédure d'exclusion. Qu'en est-il dans votre cas ?

M. Philippe Bas, président. - Excusez-moi M. Crase, mais la première question sur votre qualité à participer ou pas, en tant qu'observateur, à la présence policière le 1er mai, est trop proche de l'enquête judiciaire, vous n'avez pas à y répondre.

Vous devez, en revanche, répondre à la deuxième question de Mme Benbassa.

M. Vincent Crase. - Merci, monsieur le président, c'était la réponse que je m'apprêtais à faire à madame la sénatrice.

Est-ce que je suis encore salarié de LaREM ? Non, puisque j'ai été licencié le 31 juillet... Si l'on peut retenir cette date car enfin, j'ai eu mon entretien préalable à un licenciement à 11 heures, le jour même, mais, à 8 heures du matin, il était déjà annoncé que j'avais été licencié... Cela été un peu baroque !

Suis-je encore militant ? Je ne sais pas. Je reçois encore les mails destinés aux adhérents, mais s'ils décident de ne plus me les envoyer, je ne le serai plus.

Mme Brigitte Lherbier. - Lorsqu'une mission est à pourvoir, y-a-t-il des feuilles de route bien précise ? Des rapports sont-ils à remettre au terme de la mission ?

M. Vincent Crase. - Une mission de réserve se prévoit à l'avance, dans les meilleurs délais possibles, quand cela est possible, mais parfois cela peut être un peu plus rapide. Toutes les missions font l'objet d'une convocation. Un logiciel nous permet de préciser en ligne le contenu de la mission qui doit être validée par l'autorité d'emploi. Si l'on veut se faire payer, il faut pouvoir prouver que l'on a bien réalisé cette mission. Des services de gestion s'occupent de cela. Pour ma part, je dépendais du 1er régiment d'infanterie à Nanterre et tout a été validé en temps et en heure.

Mme Catherine Troendlé. - Qui a été à l'initiative de la constitution de cette structure de réservistes ?

M. Vincent Crase. - Je pense que c'est le général, en accord bien sûr avec les autorités du palais de l'Élysée. Je ne puis parler à la place du général Bio Farina ni du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN). Il s'agit à la fois d'apporter un renfort opérationnel aux gendarmes d'active, qui ont des emplois du temps très lourds, en palliant les absences ou les permissions, et aussi de renforcer l'attractivité de la réserve puisque la gendarmerie nationale est constamment en recherche de réservistes : montrer que des réservistes peuvent exercer dans les palais nationaux, et notamment à l'Élysée, constitue une vitrine valorisante. Toutefois l'aspect opérationnel est décisif. Dès qu'il y a des malades ou des permissions, il faut pouvoir occuper, à l'optimum, tous les postes.

M. Philippe Bas, président. - Lorsque vous effectuiez votre service au titre de la réserve au palais de l'Élysée, vous étiez donc, vous aussi, comme les autres réservistes, affecté à une tâche de contrôle des entrées à l'Élysée. À l'occasion de cette mission, vous n'étiez donc jamais en contact avec le groupe de sécurité de la présidence de la république (GSPR) et vous n'aviez pas non plus d'autres activités au sein du Palais ?

M. Vincent Crase. - Mon activité principale au sein du Palais était le commandement de mes réservistes : vérifier qu'ils étaient bien à l'heure ; vérifier que la prise en compte de leur armement se déroulait dans les conditions prévues par les textes ; vérifier auprès des gendarmes d'active, des gradés, si ces jeunes réservistes faisaient bien leur service, s'ils étaient polis, courtois, puisque c'est ce qu'on leur demande, aux entrées. Je m'occupais principalement de cela.

Lorsqu'il y avait des événements, comme des dîners officiels - je me rappelle par exemple aussi du One Planet Summit en décembre - je prêtais main forte aux officiers. Comme on peut le voir sur les images, je suis toujours en civil, comme les officiers ou les cadres du SCE, alors que les gendarmes d'active qui sont dans les loges sont en uniforme. Je faisais le même travail que mes camarades d'active qui contrôlent les entrées pour vérifier les plaques d'immatriculation des véhicules et l'identité des personnes qui entrent au sein du palais d'Évreux.

Mme Marie Mercier. - Pourriez-vous nous repréciser votre grade exact ? Parmi les 14 réservistes sous vos ordres, y avait-il des lieutenants-colonels ?

M. Vincent Crase. - Je suis chef d'escadron, ce qui correspond au grade de commandant, avec quatre barrettes. Parmi les réservistes que je commandais, il ne pouvait pas y avoir de lieutenant-colonel puisqu'il aurait été d'un grade supérieur au mien. De mémoire, il n'y avait que des brigadiers, des brigadiers-chefs, des premières classes ou ce qu'on appelle des « moquettes », c'est-à-dire des réservistes sans grade, tout frais émoulus de leur formation.

Mme Sophie Joissains. - M. Benalla a fait état de tensions avec l'administration de l'Élysée. La presse aussi s'en est fait l'écho. En avez-vous eu connaissance à l'époque ? À quoi les attribuez-vous ?

M. Vincent Crase. - Je n'ai aucune connaissance de tensions particulières entre M. Benalla et d'autres personnes. En ce qui me concerne, je n'ai eu aucune friction avec qui que ce soit dans mon service. Je pense que le général Bio Farina a pu vous dire qu'il était globalement satisfait de moi. J'ai été noté, comme le sont tous les gendarmes, tous les ans, et j'ai eu une notation plus que satisfaisante. En ce qui concerne M. Benalla, je ne peux pas vous répondre plus précisément mais à mon avis, non, cela se passait plutôt bien, voire très bien.

Mme Esther Benbassa. - Ce sera ma dernière question. À quel titre avez-vous participé à la marche en mémoire de Mme Knoll ?

M. Vincent Crase. - Je ne sais pas qui est Mme Knoll...

Mme Esther Benbassa. - Il s'agit de la personne qui a été assassinée parce qu'elle était juive.

M. Philippe Bas, président. - Peut-être pouvez-vous demander : « avez-vous participé à cette marche » ?

M. Vincent Crase. - Je n'ai pas participé à cette marche.

M. Philippe Bas, président. - La question était simple et la réponse est claire.

Mme Esther Benbassa. - Il semble que l'on vous voit pourtant sur les images...

M. Vincent Crase. - Il ne peut s'agir que d'une confusion.

M. Éric Kerrouche. - Nous confirmez-vous que vous n'avez pas de permis de port d'arme et que vous n'avez pas jugé utile d'en demander un ?

M. Vincent Crase. - Je ne répondrai pas à cette question car elle est en lien direct avec ma défense.

M. Philippe Bas, président. - C'est parfaitement votre droit.

Je vous remercie d'avoir coopéré avec la commission des lois, investie des pouvoirs d'une commission d'enquête.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Yann Drouet, ancien chef de cabinet du préfet de police de Paris

M. Philippe Bas, président. - Nous accueillons M. Yann Drouet qui est secrétaire général de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme à la présidence de la République, mais convoqué au titre de ses fonctions antérieures, de chef de cabinet du préfet de police de Paris. Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yann Drouet prête serment.

M. Yann Drouet, ancien chef de cabinet du préfet de police de Paris. - Je suis devant vous aujourd'hui au titre de mes précédentes fonctions de chef de cabinet du préfet de police de Paris, un poste que j'ai occupé de janvier 2016 jusqu'au 27 avril 2018. J'exerce les fonctions de secrétaire général de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme depuis le 30 avril 2018. N'étant plus en fonction à la préfecture de police le 1er mai 2018, et n'ayant pas été impliqué dans la préparation de la manifestation du 1er mai, je n'étais pas informé de la participation de M. Benalla en tant qu'observateur et je ne pourrai donc rien vous dire sur ces faits.

Avant de répondre à vos questions, je tiens à rappeler les missions qui étaient les miennes en tant que chef de cabinet du préfet de police de Paris : gestion de l'agenda et des dossiers du préfet de police ainsi que des nombreuses interventions qui lui sont adressées ; gestion RH et budgétaire du cabinet du préfet de police ; supervision de la direction de la police générale de la préfecture de police, au titre du cabinet du préfet, donc de l'ensemble des sujets dont elle est en charge (le droit des étrangers, les naturalisations, les papiers d'identité, les permis de conduire, les cartes grises et diverses polices administratives, notamment celles liées aux armes) ; pilotage de la sécurité et de la sûreté du site principal de la préfecture de police sur l'île de la Cité ; enfin, organisation des déplacements des hautes personnalités ou des grands événements à Paris, avec la coordination des différents services de sécurité impliqués lors de ces événements, en lien avec les chefferies de cabinet des personnalités concernées et les organisateurs des événements. À ce titre, j'étais le contact naturel et normal de la chefferie de cabinet de la présidence de la République pour la préparation et l'organisation des déplacements du Président de la République à Paris.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Monsieur le chef de cabinet, puisque c'est à ce titre que nous vous auditionnons, même si nous n'ignorons pas que vous occupez actuellement d'autres fonctions, je vous interrogerai uniquement sur le permis de port d'arme qui a été délivré à M. Benalla. Mme Jourda vous posera d'autres questions en complément. Vous connaissez ce document puisqu'il a été rédigé par vos soins ou sous votre contrôle...

M. Yann Drouet. - En effet.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il est étrange à beaucoup d'égards. Je voudrais tout d'abord savoir qui en a fait formellement la demande au nom de la présidence de la République ?

M. Yann Drouet. - C'est une question importante, qui nécessite que je prenne le temps de répondre pour détailler l'ensemble de la procédure. Le 5 octobre 2017, les services de la direction de la police générale de la préfecture de police m'informent de la réception d'une demande de port d'arme de la part de M. Benalla, chargé de mission à la présidence de la République. En l'absence de directeur au sein de cette direction, le poste étant vacant à cette période, les services souhaitent que le cabinet du préfet de police évoque le dossier à son niveau. C'est donc par l'intermédiaire des services administratifs de la préfecture de police que je prends connaissance de cette demande. J'informe alors le préfet de police, qui me demande de me rapprocher du cabinet du Président de la République, afin que le dossier nous parvienne par la voie hiérarchique.

Le 10 octobre 2017, le directeur de cabinet du Président de la République confirme la demande par courriel et sollicite son examen sur le fondement de l'article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure, comme cela figure dans le courriel de transmission, « dans le strict respect des textes ».

Tels sont les seuls liens que nous avons eus avec le cabinet du Président de la République sur ce dossier.

Il me paraît utile de rappeler les textes applicables : l'article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure dispose que les fonctionnaires et agents des administrations publiques exposés par leurs fonctions à des risques d'agression peuvent être autorisés à s'armer dans le cadre de leurs fonctions. Ces dispositions sont codifiées dans le code de la sécurité intérieure, et j'en viens aux articles mentionnés dans l'arrêté. L'article R. 312-24 dispose que les fonctionnaires et agents des administrations publiques, chargés d'une mission de police, et/ou exposés à des risques d'agression, peuvent être autorisés à acquérir et à détenir des armes. La situation d'Alexandre Benalla correspondant à ce cas de figure, nous avons donc lancé l'instruction du dossier en veillant à réunir l'ensemble des pièces nécessaires : le carnet de tir, la formation continue, le certificat médical, l'enquête de moralité, etc.

Après un examen approfondi, il est apparu que le dossier était complet et que les missions de M. Benalla entraient dans le cadre fixé par le législateur. Ainsi, considérant l'action d'Alexandre Benalla de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) ; considérant qu'il exerçait sa mission auprès du Président de la République, qui fait l'objet de nombreuses menaces et dans un contexte où le niveau de menace terroriste n'a jamais été aussi élevé, et considérant qu'il était, de fait, manifestement exposé à des risques d'agression, comme cela est écrit dans l'arrêté, le préfet de police a validé sa demande et j'ai signé, le 13 octobre 2007, par délégation du préfet de police, l'autorisation de port d'arme de M. Benalla - une autorisation que nous avons limitée strictement à l'exercice de ses missions et à la validité de son contrat à la présidence de la République.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Soit, mais le secrétaire général de l'Élysée, le directeur de cabinet du Président de la République et son chef de cabinet nous ont affirmé que M. Benalla n'exerçait pas de mission de police. Tout le monde ici l'a entendu. Or je m'étonne que le permis de port d'arme porte la mention suivante « considérant que M. Benalla est chargé d'une mission de police ». C'est clair, net et précis...

Vous avez dit que la demande avait été faite par un courriel. Ce matin même, M. Benalla nous a dit qu'elle avait été faite par téléphone. S'il s'agit d'un courriel, je suppose qu'il existe toujours. Nous avons demandé le document par lequel l'Élysée, donc le directeur de cabinet, a demandé le port d'arme. On a refusé de nous communiquer cette pièce. Je suppose que ce courriel figure toujours dans les archives de la préfecture de police. Avez-vous le souvenir précis des mentions qui figuraient dans ce courriel ? Soit il y est écrit que M. Benalla exerçait des missions de police - et cela invalide les déclarations qui ont été faites à la fois par le secrétaire général, le directeur de cabinet et le chef de cabinet -, soit on ne comprend pas...

M. Yann Drouet. - Je confirme, sous serment, que c'est un courriel du directeur de cabinet du Président de la République qui a déclenché l'instruction du dossier. Il y était écrit - je le cite de mémoire - que le cabinet avait été informé de cette demande, que M. Strzoda la confirmait et nous demandait de l'instruire sur le fondement de l'article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure, dans le strict respect des textes. Point final. Telle était la transmission, avec les pièces justificatives au dossier.

M. Philippe Bas, président. - Il peut paraître surprenant que le directeur de cabinet précise que c'est dans le strict respect des textes qu'il vous demande d'instruire une demande de permis de port d'arme. On pourrait imaginer que cela va de soi...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Par deux fois, le ministère de l'intérieur avait refusé de délivrer ce port d'arme. En étiez-vous informés ?

M. Yann Drouet. - Je n'étais pas informé des refus opposés par le ministère de l'intérieur. Cela n'a rien d'anormal parce que nous intervenons sur des fondements juridiques différents. Le ministère de l'intérieur instruit les demandes de permis de port d'arme pour des personnes exposées à des risques exceptionnels d'atteinte à leur vie sur la base de l'article R. 315-5 du code de la sécurité intérieure. De leur côté, les préfets de départements et, à Paris, le préfet de police instruisent les demandes de permis de port d'arme des fonctionnaires et agents publics chargés d'une mission de police et/ou exposés à des risques d'agression dans le cadre de leurs fonctions sur le fondement de l'article R. 312-24 du code de la sécurité intérieure. C'est sur ce second fondement que la préfecture de police a été saisie et que le dossier a été instruit, dans le strict respect des compétences du préfet de police. Il n'y avait aucune raison d'interroger le ministère de l'intérieur sur le sujet.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Est-ce que d'autres membres de la chefferie de cabinet, soit quatre personnes, bénéficiaient aussi d'un permis de port d'arme ?

M. Yann Drouet. - Durant les deux ans et demi que j'ai passés à la préfecture de police, c'est la seule demande que nous avons reçue de la présidence de la République.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ne trouvez-vous pas étrange que l'adjoint au chef de cabinet bénéficie de ce port d'arme et pas le chef de cabinet adjoint ni le chef de cabinet ?

M. Yann Drouet. - Je n'ai pas à porter de jugement de valeur. Ce qui revenait au service de la préfecture de police, c'était de juger si la demande était fondée en droit. La demande a été jugée fondée en droit, donc on y a répondu. On répond aux questions qu'on nous pose. Il ne m'appartient pas d'extrapoler sur des demandes qui auraient pu éventuellement nous parvenir.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Dans le courriel, le directeur de cabinet faisait-il état de missions de police stricto sensu ?

M. Yann Drouet. - Très clairement, non. Il n'était pas fait état de missions de police. Il faut lire ces considérants en entier, dans leur ensemble. Isoler un passage ne permet pas de comprendre...

Il est écrit dans l'arrêté que, dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le GSPR, les services de la préfecture de police et nous avons estimé que son action pouvait s'inscrire dans une mission de police. On a ensuite qualifié le niveau de menace dans lequel il exerçait sa mission, en évoquant un haut niveau de menace terroriste et la sensibilité de sa mission aux côtés d'une très haute personnalité, parmi les plus menacées de France. Nous avons donc considéré que, dans le cadre de sa mission, il était manifestement exposé à des risques d'agression. C'est pour l'ensemble de ces raisons, en s'inspirant de l'article R. 312-24 qui mentionne des missions de police - c'est de là que vient le terme de « mission de police » -, que nous avons considéré que les missions exercées par M. Benalla entraient dans le cadre fixé par le législateur. Le préfet de police a donc validé son port d'arme. La direction de la police générale à la préfecture de police, service qui instruit ce type de demande, ne comprend pas un seul policier. C'est une direction strictement administrative. Pour cette direction, il n'y a jamais eu aucune ambiguïté sur le sujet.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le chef de cabinet, qui exerce des missions similaires avec une présence très proche du Président de la République, peut être considéré comme étant autant exposé à de tels risques. Si je comprends bien, vous ne verriez pas d'inconvénient à ce que le courriel nous soit communiqué...

M. Philippe Bas, président. - Nous l'avons...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Alors, je retire ce que je viens de dire !

M. Philippe Bas, président. - En revanche, ce courriel fait état d'une note jointe, qui, curieusement, ne nous a pas été transmise, et c'est sans doute cela que vous vouliez dire... Nous souhaitons avoir ce document.

Nous n'avons pas non plus la demande initiale, qui précède ce courriel. Ce document permettrait peut-être, compte tenu de ce que vous nous expliquez, d'établir définitivement que c'est pour la sécurité personnelle de M. Benalla que la demande a été faite. Il suffirait de le vérifier en accédant à ce document.

M. Yann Drouet. - Le dossier de port d'arme ayant été saisi par la justice, je n'ai pas pu le consulter à nouveau et je n'ai pas en mémoire les éléments qui figuraient dans cette note d'accompagnement.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il est fait état, dans le document autorisant le port d'arme, du fait que M. Benalla dispose de la possibilité de diriger un organisme de sécurité privée. Pourquoi ce considérant ?

M. Yann Drouet. - Parce que M. Benalla était connu des services de la préfecture de police, pour la détention et le port d'arme, dans le cadre de ses anciennes fonctions comme chef de la sécurité chez En Marche. Un fond de dossier existait sur M. Benalla. Il est vrai que ce considérant était inutile...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ou à titre décoratif, car la demande de port d'arme ne se justifiait que par ses fonctions à l'Élysée.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous nous avez indiqué que la demande de permis de port d'arme a été déposée le 5 octobre 2017, en tout cas, vous en avez été informé à cette date. Quelle forme avait pris cette demande initiale puisqu'elle n'était manifestement pas faite par voie hiérarchique ?

M. Yann Drouet. - La préfecture de police est un service public, ayant différents guichets, correspondant aux différentes procédures que les administrés veulent mener. M. Benalla s'est adressé au guichet « armes » de la préfecture de police, ce qui est une démarche normale pour ce type de demande.

Si l'on reprend l'ensemble de la chronologie des évènements, cela montre que la machine d'État a bien fonctionné. M. Benalla s'adresse au guichet « armes » des services administratifs de la préfecture de police, qui voient un collaborateur du Président de la République faire une demande de port d'arme. Ceux-ci alertent le cabinet du préfet de police et le préfet de police directement. Le cabinet du préfet de police, à son tour, informe la hiérarchie de M. Benalla pour obtenir confirmation de la demande et sa transmission par la voie hiérarchique. La demande est confirmée par la hiérarchie de M. Benalla et c'est sur cette base que nous lançons l'instruction du dossier. Cela montre tout simplement qu'il y a eu un fonctionnement administratif efficace, sain et totalement transparent.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Si j'ai bien compris, les missions de police étaient visées dans les considérants du permis de port d'arme parce qu'elles figurent à l'article R. 312-24 du code de la sécurité intérieure ? C'était une reprise pure et simple du texte ?

M. Yann Drouet. - En effet. Le premier alinéa de cet article dispose que les fonctionnaires et agents publics chargés d'une mission de police peuvent être armés. Le deuxième alinéa dispose que les fonctionnaires et les agents publics manifestement exposés à des risques d'agression dans le cadre de leurs fonctions peuvent être armés.

Dans l'écriture, peut-être maladroite, de cet arrêté, nous avons repris le premier alinéa, considérant que M. Benalla exerçait des missions de police. Nous les avons qualifiées : dans le cadre de son action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République, en lien avec les forces militaires et le GSPR. Et nous avons repris le deuxième alinéa, jugeant que, dans le cadre de ses missions, M. Benalla était manifestement exposé à des risques d'agression, en raison du haut niveau de menace.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'ai du mal à comprendre le raisonnement. Les missions de police existent-elles ou non, lorsqu'on motive ce permis de port d'arme ? Vous semblez dire que c'est une reprise formelle...

M. Yann Drouet. - Je vous ai indiqué comment nous les avons qualifiées. Nous avons considéré que les fonctions de M. Benalla, dans le cadre de son action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République, en lien avec le GSPR et les forces militaires, pouvaient s'inscrire dans le cadre général d'une mission de police.

M. Philippe Bas, président. - Selon les propos tenus par le préfet de police devant nous, un arrêté ministériel définit les services ou catégories de services qui accueillent des fonctionnaires et agents pouvant être armés au titre des dispositions légales et réglementaires que vous avez rappelées ; évidemment, la présidence de la République n'y est pas mentionnée. Nonobstant cet oubli ou cette carence du droit, le préfet de police et ses services ont estimé que les fonctions de M. Benalla pouvaient être assimilées aux fonctions énumérées dans l'arrêté.

Parce qu'au sein de la préfecture de police, vous avez été convaincu que M. Benalla exerçait une fonction de police, vous avez pu inscrire la délivrance de ce permis de port d'arme dans le cadre des textes en vigueur. Si vous aviez estimé au contraire qu'il n'exerçait pas de fonction de police, il eût été illégal d'attribuer ce permis de port d'arme. Ai-je bien interprété les choses ?

M. Yann Drouet. - Absolument pas. Il y a deux alinéas à l'article R. 312-24, et les deux conditions ne sont pas cumulatives. Le premier alinéa dispose que les fonctionnaires et agents des services publics chargés d'une mission de police peuvent être armés. Le second alinéa dispose que les fonctionnaires et agents des services publics exposés à des risques d'agression dans le cadre de leurs fonctions peuvent être armés. Et/ou : les deux conditions ne sont pas cumulatives. Donc, sans référence à la mission de police, nous aurions pu prendre l'arrêté, qui aurait été légal.

M. Philippe Bas, président. - Il aurait éventuellement été légal, peut-être... Mais le préfet de police, que nous avons auditionné, nous a expliqué qu'il s'était fondé sur cette activité de police - j'ai sa déclaration sous les yeux - pour délivrer le permis de port d'arme.

Je comprends que l'on y passe du temps, car c'est essentiel pour savoir quelle était la mission exercée par M. Benalla auprès du chef de l'État. Si c'était une mission de police, elle interférait évidemment avec celle des services, placés sous la responsabilité du Gouvernement, devant assurer la sécurité des déplacements ou de la personne du chef de l'État. Si vous aviez dû vous prononcer uniquement sur le fondement de la protection personnelle de M. Benalla, vous n'auriez pas eu besoin de mentionner qu'il avait une mission de police. Or, vous l'avez fait.

M. Yann Drouet. - Parmi les éléments qui nous avaient été fournis, figurait la mission de coordination des services de la sécurité de la présidence de la République, en lien avec les forces militaires et le GSPR. Nous avons considéré que cela pouvait être assimilé à une mission de police. Les services de la préfecture de police ont assumé ce choix, et le préfet de police l'a également assumé devant votre commission.

M. Philippe Bas, président. - Avez-vous le souvenir des éléments précis qui vous ont permis de considérer qu'il s'agissait d'une mission de police ?

M. Yann Drouet. - Je n'ai pas pu reconsulter le dossier saisi par la justice...

M. Philippe Bas, président. - Je ne fais appel qu'à votre souvenir...

M. Yann Drouet. - Mais les procédures administratives sont basées sur de l'écrit. Comme l'a souligné le chef de cabinet du Président de la République, l'écrit mentionnait l'action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - M. le président Bas rappelait que le permis ne pouvait pas être accordé à M. Benalla sur le fondement de l'arrêté, celui-là ne faisant pas partie des catégories de personnel visées par celui-ci. Quelles sont vos observations sur ce point ?

M. Yann Drouet. - Je n'ai qu'une observation : la préfecture de police a jugé que les missions exercées par M. Benalla entraient dans le cadre fixé par le législateur. C'est pourquoi le préfet de police a considéré que toutes les conditions étaient remplies, et l'arrêté a été signé. Je sens bien que vous voulez démontrer quelque chose. Je me limite aux faits et à la procédure.

M. Philippe Bas, président. - Nous ne voulons rien démontrer. Nous voulons comprendre : il y a des contradictions à lever. Il vous appartient de démontrer la position que vous soutenez, avec les éléments d'information qui sont les vôtres. Notre commission délibérera après l'ensemble des auditions pour déterminer sa propre position.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Dans le cadre de vos fonctions de chef de cabinet du préfet de police, avez-vous été amené à avoir des contacts avec M. Benalla ?

M. Yann Drouet. - Tout à fait. J'ai été pour la première fois en contact avec Alexandre Benalla dans le cadre de la préparation de la soirée du second tour de l'élection présidentielle, à la pyramide du Louvre, le 7 mai 2017. Il a ensuite intégré l'Élysée, et nos relations de travail ont été régulières, jusqu'à mon départ de la préfecture de police, en avril 2018, au gré des déplacements du Président de la République à Paris. Le rôle du chef de cabinet du préfet de police consiste à être en lien étroit avec les chefs de cabinet du Président de la République, du Premier ministre et des différents ministres, pour préparer et organiser des déplacements à Paris. Nos relations étaient très cordiales, mais n'ont jamais dépassé le cadre strictement professionnel.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quelle était, selon vous, la nature des missions de M. Benalla à l'Élysée ?

M. Yann Drouet. - En tant que membre de la chefferie de cabinet de la présidence de la République, il était chargé de la préparation et de l'organisation des déplacements du Président de la République, en lien avec les préfectures des départements concernés. Ce sont des fonctions très classiques, de lien entre les préfectures et les cabinets, de coordination des différentes entités qui concourent à un déplacement, la logistique, le service de presse, les services de sécurité, les préfectures concernées, en lien avec les organisations d'accueil. Dans le cadre de l'instruction du dossier de port d'arme, j'ai découvert sa mission interne, que je ne connaissais pas, de coordination des services de sécurité de la présidence de la République.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'ai bien noté que vous n'étiez pas informé de la participation à la manifestation du 1er mai, puisque vous êtes parti le 27 avril. Mais pourriez-vous nous expliquer le cadre général de la chaîne de validation hiérarchique lorsqu'une demande d'observation est adressée à la préfecture de police ?

M. Yann Drouet. - La préfecture de police est une institution très simple et très hiérarchisée : tous les types de demandes remontent au préfet de police, qui valide ou non la participation d'un observateur. La préfecture accueille très régulièrement des observateurs sur des manifestations : parlementaires, journalistes, étudiants, stagiaires. Si la demande avait été formulée selon les cadres définis au sein de la préfecture de police, cela aurait dû remonter au préfet de police. J'ai compris que ce n'avait pas été le cas.

M. François Grosdidier. - Les différentes déclarations sont contradictoires. M. Benalla nous a assuré ce matin que son port d'arme se justifiait uniquement pour sa protection personnelle. Or l'arrêté mentionne son rôle en matière de sécurité ; j'ignorais qu'il fallait une arme pour coordonner des services ! Faut-il mettre le pistolet sur la tempe de ceux que l'on doit coordonner ? Qui est à l'origine de la formulation de l'arrêté ? M. Benalla dit que ce n'est pas lui. Le directeur de cabinet du Président de la République assume parfaitement l'avoir demandé. Mais qui l'a rédigé ? Pourquoi ? Comment ? Ce n'est toujours pas clair.

Combien de fois M. Benalla s'est-il rendu à la préfecture de police de Paris lorsqu'il était en fonction ? Certains l'ont décrit comme omniprésent quand d'autres disent qu'il n'est venu que deux fois. Y a-t-il une traçabilité de toutes les entrées à la préfecture de police ?

M. Yann Drouet. - L'arrêté a été rédigé par les services de la préfecture de police, de la direction de la police générale. La préfecture de police endosse la responsabilité des termes utilisés.

À titre personnel, je ne me souviens que de deux visites de M. Benalla à la préfecture de police de Paris : d'abord, dans le cadre de la préparation de la soirée du second tour de l'élection présidentielle, le 4 ou le 5 mai 2017 ; puis, dans le cadre de la préparation du One Planet Summit, qui s'est tenu à Boulogne-Billancourt.

M. François Grosdidier. - Ce sont donc les services de la préfecture de police qui ont imaginé que M. Benalla était chargé de la mission de coordination de la sécurité de la présidence de la République ? La note de service décrivant son activité mentionnait simplement l'organisation des déplacements publics et privés et, éventuellement, les réceptions à la présidence de République.

M. Philippe Bas, président. - Quelques éléments d'explication pour M. Drouet, qui n'a peut-être pas pu suivre toutes nos réunions, bien qu'elles soient publiques... Lors de nos premières auditions, la définition formelle qui nous a été donnée des fonctions de M. Benalla comportait exclusivement trois points : la participation à l'organisation des déplacements publics du Président de la République ; l'organisation de l'accueil des visiteurs pour le 14 juillet, car ils sont très nombreux ; l'organisation des déplacements privés du chef de l'État ou de son épouse, qui était sa responsabilité en propre. Puis, la semaine dernière, le chef de cabinet du Président de la République a indiqué que M. Benalla avait aussi une fonction de coordination du GSPR et du commandement militaire du Palais. Cela ne signifie pas que le coordinateur, à l'instar du coordinateur national du renseignement, se situe au sommet de la pyramide, mais qu'en pratique, dans le fonctionnement quotidien, il jouait un rôle de trait d'union.

Cette semaine, fait nouveau, M. Benalla nous explique que le port d'arme servait pour sa protection personnelle, ce que vous venez de confirmer. Qu'est-ce qui pouvait bien spécifiquement l'exposer à de tels risques dans l'exercice de fonctions d'organisation et de coordination, dont il ne faut pas exagérer l'importance hiérarchique, car il n'était pas placé au-dessus des chefs du GSPR ou du commandement militaire du Palais ?

Si M. Grosdidier insiste, c'est qu'il y a eu des versions évolutives de la mission exacte de M. Benalla. Dans toutes ces versions, une énigme demeure : pourquoi donc avait-il besoin d'une arme ? Il nous a indiqué qu'il pouvait avoir cette arme sur lui en présence du chef de l'État, dans des déplacements publics ou privés.

Vous n'avez pas à nous répondre sur ce que faisait exactement M. Benalla, puisque vous n'êtes pas censé le savoir ; en revanche, la préfecture de police devait disposer d'éléments objectifs suffisants pour pouvoir affirmer dans l'arrêté autorisant le port d'arme que M. Benalla exerçait une mission de police. Tel est le contexte de la question de M. Grosdidier : à ce jour, nous n'avons pas réussi à avoir une vision parfaitement claire de cette mission. Si vous pouvez nous apporter un complément d'information, il sera le bienvenu.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous entendons beaucoup de personnes. J'ai envie de vous demander quel est votre sentiment intime, profond. Quelle est votre conviction ? Nous avons, peut-être à tort, le sentiment que l'on cherche, de beaucoup de manières, à minimiser le rôle de M. Benalla, mais qu'il était en réalité l'homme de confiance et disposait d'un pouvoir très large, jusqu'à, peut-être, celui de maître d'oeuvre d'une réorganisation de la sécurité du chef de l'État dans toutes ses dimensions, quand bien même ce serait en opposition avec le ministère de l'intérieur. Dans Le Journal du dimanche, M. Benalla, adjoint au chef de cabinet du chef de l'État, évoquait l'opposition du ministère de l'intérieur à ses vues... En tant que fonctionnaire de la République, que pensez-vous de tout cela?

M. Yann Drouet. - J'ai été convoqué en tant qu'ancien chef de cabinet du préfet de police, fonctionnaire, et c'est en tant que tel que je vais vous répondre.

Nous avons trouvé la mention de l'action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République en lien avec le GSPR et les forces de sécurité dans le dossier. Nous avons jugé que cela pouvait être assimilé à une mission de police. Il ne faut pas isoler, mais prendre les choses dans leur ensemble. Nous avons considéré ensemble la mission de M. Benalla auprès du Président de la République, l'une des personnalités les plus menacées de France, dans un contexte de menace terroriste des plus élevées, et les risques auxquels il était manifestement exposé du fait de cette mission.

M. Philippe Bas, président. - J'entends bien que c'est l'appréciation que vous défendez. Nous verrons si la commission accepte de s'en convaincre.

Revenons sur la décision d'autoriser M. Benalla à assister, voire de l'inviter en tant qu'observateur au service d'ordre de la manifestation du 1er mai. J'ai compris de précédentes auditions que le préfet de police n'avait pas été informé de cette participation. Puis d'autres témoignages nous ont appris qu'elle avait été évoquée au cours d'un déjeuner du 25 avril auquel étaient présents un certain nombre de protagonistes, notamment un cadre de la police, M. Simonin.

Avez-vous été informé par un représentant de la préfecture de police dans les jours qui ont précédé le 1er mai de cette participation, qui semblait acquise depuis plusieurs jours ?

M. Yann Drouet. - Non, monsieur le président.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - L'administration a très bien fonctionné, l'affaire ayant été instruite en neuf jours entre la présentation de la demande au « guichet » et l'octroi du permis ! Pendant les deux ans et demi où vous avez été présent à ce poste, c'est la seule fois qu'un collaborateur de l'Élysée a demandé un port d'arme. C'était donc assez exceptionnel ! Pouvez-vous confirmer que, lorsque la préfecture de police est saisie d'une demande de port d'arme, le ministère de l'intérieur n'est jamais interrogé pour savoir si une demande a été formulée auprès de ses services ?

Avez-vous eu connaissance de menaces dont M. Benalla aurait fait l'objet ? Il semble qu'il était la seule personne à l'Élysée à connaître cette situation, puisque c'est la seule à avoir demandé un permis de port d'arme. Il est d'ailleurs curieux de placer une personne menacée auprès du Président de la République...

M. Yann Drouet. - Les procédures évoquées par votre première question reposent sur des fondements juridiques différents. En l'occurrence, une telle demande relève strictement du préfet territorialement compétent. À ma connaissance, il n'a pas interrogé le ministère de l'intérieur.

Je ne suis pas habilité à répondre à la deuxième question.

M. Vincent Segouin. - M. Benalla a demandé un permis de port d'arme uniquement pour sa sécurité personnelle. Or on nous a expliqué au cours de toutes les auditions qu'il était en permanence aux côtés du Président de la République, sur son épaule droite, pour assurer la coordination. Dès lors, le fait de lui octroyer un permis de port d'arme pour sa sécurité personnelle n'augmente-t-il pas les risques de sécurité auxquels la personne du Président est confrontée ?

Pour accorder un permis de port d'arme, la préfecture de police se préoccupe-t-elle seulement du respect de l'article que vous avez mentionné, sans se soucier du bon sens ou de la sécurité ?

M. Yann Drouet. - La préfecture statue en droit. Ce n'est pas pour la sécurité personnelle de M. Benalla qu'un port d'arme lui a été octroyé ; c'est du fait de ses missions et des risques d'agression auxquels il est manifestement exposé dans le cadre de ses fonctions. Compte tenu du niveau de la menace, cela ne me paraît pas aberrant.

M. François Pillet. - M. Benalla nous a clairement indiqué qu'il n'avait jamais déposé matériellement de demande et que seul un coup de fil de M. Strzoda avait déclenché la procédure. Or vous venez de nous dire qu'une demande classique avait bien été déposée auprès de la préfecture de police. Vous souvenez-vous si elle a été signée par M. Benalla ? Je ne pense pas qu'il puisse s'agir d'un imprimé non signé... Et quels sont les éléments à fournir en appui à une telle demande initiale ? Contrat de travail ? Déclaration sur l'honneur ? Attestation de moralité ?

M. Yann Drouet. - Je me souviens que j'ai été informé par les services de la préfecture de police le 5 octobre 2017 que M. Benalla avait déposé une demande. Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur la forme de cette demande.

M. Philippe Bas, président. - Elle aurait dû être écrite...

M. Yann Drouet. - Nous avons fait entrer la procédure dans le cadre existant. La demande a été adressée au guichet. Elle a été faite dans le cadre de ses fonctions, nous avons donc saisi l'autorité hiérarchique, qui nous a confirmé la demande. De mémoire, le dossier papier a été transmis le 10 octobre 2017.

M. Éric Kerrouche. - Tout tourne autour de cette demande de port d'arme, qui devient un peu le « mystère de la chambre jaune » à la préfecture de police ! Si je comprends bien, la mention du pouvoir de police n'était pas utile pour l'octroi du port d'arme, puisqu'il existait un deuxième motif, mais il a tout de même été jugé utile d'y faire explicitement référence. On ne peut donc pas savoir si c'est sur la base des missions de M. Benalla ou sur celle des menaces auxquelles il était exposé que le permis lui a été accordé.

M. Yann Drouet. - Je vous confirme que nous aurions pu nous référer simplement au premier alinéa de l'article R. 312-24 du code de la sécurité intérieure ou simplement au deuxième alinéa du même article. Au regard des éléments en notre possession dans le dossier, nous avons considéré qu'il pouvait être fait référence aux deux...

M. Éric Kerrouche. - Validant par là-même les missions de police de M. Benalla ?

M. Yann Drouet. - Nous avons qualifié ces missions de police dans l'arrêté, en faisant référence à son action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République, en lien avec les forces militaires et le GSPR.

Mme Brigitte Lherbier. - Y a-t-il un protocole bien établi concernant les vidéos ? Quelle est la démarche officielle quand on détecte quelque chose lors de manifestations ou de rencontres publiques ? Qui est renseigné ? Comment procédez-vous au niveau des états-majors ?

M. Yann Drouet. - La préfecture de police est une grande maison. Il y a plusieurs états-majors, plusieurs salles de commandement, en fonction des directions concernées. Il y a deux salles de commandement à la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), une à la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne, une à la direction opérationnelle des services techniques et logistiques (DOSTL), une à la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) et une à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). Chacune de ces salles est équipée d'outils de vidéoprotection, en relation avec les effectifs présents sur le terrain. Si un opérateur voit une action manifestement délictuelle sur les écrans, il doit informer les effectifs sur place pour qu'ils donnent suite.

Mme Brigitte Lherbier. - Rien ne peut échapper à la surveillance vidéo ?

M. Yann Drouet. - Bien sûr, beaucoup de choses y échappent.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je sais que vous n'étiez plus en fonction, mais il y a eu une réunion au plus haut niveau le 1er mai au soir. À votre avis, lors de telles réunions, avec le ministre et le préfet de police, le chef de cabinet n'est-il pas tenu au courant de la liste des invités ?

M. Philippe Bas, président. - Peut-on venir à l'improviste à ces réunions d'état-major, emmené par un collègue ?

M. Yann Drouet. - Non. Il s'agit de salles sécurisées, avec des badges d'accès. Toute personne extérieure est forcément accompagnée et invitée.

M. Philippe Bas, président. - Qui invite ?

M. Yann Drouet. - Ce n'est pas tout le temps le préfet de police. Les directions ont leur autonomie pour inviter des parlementaires, des journalistes...

M. Philippe Bas, président. - Mais c'est bien un fonctionnaire d'autorité qui prend la décision d'inviter ou de laisser entrer telle ou telle personne ?

M. Yann Drouet. - Affirmatif.

M. Philippe Bas, président. - De quel niveau est ce fonctionnaire ?

M. Yann Drouet. - C'est forcément quelqu'un de l'état-major de la direction de l'ordre public et de la circulation.

M. Philippe Bonnecarrère. - Lorsque vous avez signé par délégation du préfet de police l'autorisation de port d'arme, il devait y avoir dans votre parapheur - élément central de la vie administrative française - soit deux projets d'arrêté, l'un accordant et l'autre refusant cette autorisation - dans cette hypothèse, vous étiez décideur -, soit un seul projet d'arrêté, favorable à l'octroi du permis, avec forcément une petite note d'accompagnement de vos services expliquant pourquoi vous deviez le signer. Dans une grande maison, aussi hiérarchisée, il y a nécessairement des visas des chefs de services successifs sur cette note. Comment se présentait le parapheur au moment où vous avez apposé votre précieuse signature ?

M. Yann Drouet. - Comme il n'était pas courant qu'un collaborateur de la présidence de la République émette une telle demande, celle-ci a été traitée avec beaucoup d'attention. Le préfet de police a validé l'instruction du dossier, puis le dossier lui-même, et les services ont rédigé les actes. Le chef de cabinet du préfet de police a une délégation de signature. C'est dans ce cadre que j'ai signé l'arrêté.

M. Jérôme Durain. - Je ne suis pas un spécialiste des questions de sécurité et de police, mais pour faire un travail de policier, ne vaut-il pas mieux être policier soi-même ?

M. Philippe Bas, président. - C'est une question facile...

M. Yann Drouet. - Très certainement. Mais, à ma connaissance, M. Benalla n'a jamais exercé le métier de policier.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Alors, comme ça, tout est clair...

Mme Catherine Di Folco. - Et pourtant lors de son audition, M. Collomb nous a indiqué avoir toujours pensé que M. Benalla était policier...

Mme Catherine Troendlé. - Nous l'avons bien compris, M. Benalla exerçait des missions hautement stratégiques à l'Élysée. De ce fait, il était exposé à des risques particuliers justifiant le port d'arme. Je suppose que les missions auparavant exercées par lui seront ou sont déjà exercées par d'autres personnes. M. Lauch, qui était son supérieur hiérarchique, est également particulièrement exposé, puisqu'il accompagne régulièrement le Président de la République dans ses déplacements.

Vous êtes à présent à l'Élysée : seriez-vous susceptible de proposer à la personne qui va remplacer M. Benalla de faire une demande de port d'arme ou faut-il envisager une stratégie de protection particulière pour l'ensemble des personnes travaillant sur les missions auparavant exercées par M. Benalla ?

M. Yann Drouet. - Je ne peux pas répondre à cette question.

M. Philippe Bas, président. - C'est donc votre réponse... Monsieur Drouet, nous vous remercions d'avoir coopéré avec notre commission des lois, bien que vous ne puissiez répondre à la dernière question.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 h 15.