Mardi 4 juin 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Proposition de loi visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles - Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous recevons aujourd'hui Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, sur la proposition de loi visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles, dite « PPL 5G » ou, parfois, de façon plus médiatique, « PPL Huawei ».

Sa rédaction initiale reprenait le dispositif d'un amendement déposé par le Gouvernement au Sénat dans le cadre de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte). Suivant l'avis de la commission spéciale émis en séance par notre collègue rapporteure Élisabeth Lamure, le Sénat avait rejeté cet amendement, estimant qu'un tel sujet méritait davantage qu'un simple amendement.

Cette proposition de loi part du constat qu'il est nécessaire que le Gouvernement se dote d'un cadre juridique renforcé pour garantir la sécurité des réseaux 5G, dont l'architecture serait plus vulnérable que les précédentes générations de réseaux, et les usages, comme le véhicule connecté ou l'usine connectée, plus critiques. Il s'agit en quelque sorte du volet sécuritaire de la feuille de route du Gouvernement en matière de 5G, publiée en juillet 2018.

Cette proposition de loi crée ainsi un nouveau régime d'autorisation préalable à l'exploitation de certains équipements de réseaux mobiles, qui seraient listés par arrêté. Seuls les opérateurs de communications électroniques d'importance vitale seraient concernés. Ce régime d'autorisation qui, juridiquement, porte atteinte aux libertés économiques, se justifie par l'objectif de protection des intérêts de la défense et de la sécurité nationale.

Il s'ajoute au régime d'autorisation actuellement en vigueur, dit « régime du R. 226-3 », et qui porte sur certains équipements de télécommunications en vue de protéger le secret des correspondances et la vie privée - auquel le Sénat est particulièrement attaché.

Préservant l'économie générale du texte, les députés ont durci les sanctions, exigé la consultation de l'Autorité de régulation des communication électroniques et des postes (Arcep) sur les textes d'ordre réglementaire, et fixé au Gouvernement un délai de deux mois pour l'adoption de ces textes.

Le Gouvernement a pour objectif de rester dans la course de la 5G par un déploiement rapide des infrastructures, afin que nos entreprises puissent profiter des gains en compétitivité qui devraient en résulter, mais cette proposition de loi pourrait affecter la poursuite de cet objectif.

Avez-vous procédé, madame la ministre, à une évaluation de son impact potentiel sur le rythme des déploiements de la 5G ? La question peut également être posée pour la 4G, alors que les opérateurs se sont engagés, dans le cadre du New Deal, à accélérer les déploiements. En effet, même si l'esprit de la proposition de loi, pour le Gouvernement, ne concerne que la 5G, ce n'est pas le cas de sa lettre. Et quand bien même les textes réglementaires se limiteraient aux équipements strictement nécessaires à la 5G, le refus opposé à un équipement 5G pourrait entraîner la nécessité, pour un opérateur, de procéder au remplacement d'équipements 4G déjà installés. Nous commençons tout juste à rattraper notre retard sur la 4G, il serait particulièrement malvenu d'enrayer cette dynamique et de prendre le risque d'être en retard sur la 5G...

Dès juillet 2018, le Gouvernement faisait état, dans sa feuille de route, de réflexions sur la sécurité des réseaux. Alors que les opérateurs doivent être en mesure de réaliser leurs plans d'affaires pour pouvoir candidater à l'attribution des fréquences 5G, pouvez-vous nous dire quel nouveau calendrier entraîne cette proposition de loi ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. - Je suis très heureuse de commencer l'examen au Sénat de cette proposition de loi sur le déploiement de la 5G et la sécurité de nos réseaux. C'est un sujet important pour notre économie, la qualité de nos services et notre souveraineté.

Un mot d'abord sur les grandes orientations défendues par le Gouvernement, qui n'ont pas varié depuis nos premiers échanges - à la faveur de cet amendement que vous avez jugé cavalier... La première consiste à déployer rapidement la 5G sur tout notre territoire. Nous sommes entrés dans une course mondiale au déploiement de la 5G : les premiers États qui en développeront massivement l'usage sont susceptibles de prendre une avance technologique sur les grandes innovations industrielles. Il faut donc se donner les moyens de déployer la 5G en France et, surtout, de développer les usages tant industriels que dans les services pour renforcer notre compétitivité - il ne suffit pas d'avoir la technologie, nous devons avoir l'intelligence qui va avec.

Ce déploiement doit se faire dans de bonnes conditions : c'est l'objectif de la feuille de route 5G que nous avons tracée l'été dernier. Ce déploiement doit permettre à tous les territoires d'avoir accès à la 5G et à ses usages spécifiques dans un calendrier raisonnable. Il se fera en préservant la concurrence entre opérateurs, de façon à ce que le rapport qualité-prix des offres reste compétitif, comme c'est le cas en comparaison avec nos voisins européens. Enfin, ce déploiement doit répondre aux besoins des industriels, en permettant à de nouveaux usages de se développer. Les nouveaux titulaires de fréquences devront donc y donner accès aux nouveaux fournisseurs de services que seront les prestataires de voitures connectées ou de télémédecine, en particulier dans les zones peu denses du territoire où ces services apporteront beaucoup de valeur.

Deuxième orientation : expérimenter pour accélérer l'innovation. Les industriels doivent avoir accès aux infrastructures dans de bonnes conditions, mais ils doivent aussi pouvoir expérimenter la 5G facilement. C'est pourquoi, avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), nous encourageons la création de bacs à sable de tests sur la 5G, c'est-à-dire de plateformes d'expérimentation sur lesquelles toute entreprise pourra tester son produit en situation réelle. Les modalités en sont simples : pendant trois ans, ces plateformes seront autorisées à utiliser des fréquences 26 GHz et les innovations pourront être testées en s'affranchissant en partie du cadre réglementaire. C'est à la faveur de ces tests que des micro-déploiements d'équipements 5G seront possibles ; nous fixons donc une date d'entrée en vigueur au 1er février, afin de traiter leur déploiement sur des réseaux ouverts. Nous sommes, avec l'Allemagne, les seuls à retenir une telle démarche, qui vise à gagner du terrain et acquérir une avance technologique. Je me permets toutefois d'indiquer à la représentation nationale - afin qu'elle pousse nos entreprises, surtout nos PME et nos entreprises de taille intermédiaire à se lancer dans des expérimentations - que l'Allemagne est plus active que nous en la matière.

Troisième orientation : préserver la sécurité de nos réseaux et de nos communications. C'est l'objectif du texte que nous examinons. La 5G va apporter de nouvelles opportunités technologiques, mais celles-ci constituent aussi de nouveaux facteurs de risques, qui vont au-delà de la confidentialité des correspondances. Il faut donc compléter notre arsenal juridique pour contrôler efficacement les équipements de réseaux 5G. Le contrôle renforcé passe par une mesure concrète : soumettre à autorisation préalable du Premier ministre l'exploitation des nouveaux équipements d'antenne mobile pour les opérateurs télécom qui sont opérateurs d'importance vitale. Ce dispositif de contrôle est fondé sur des motifs de sécurité et de défense nationale ; il permettra d'assurer le respect du principe de précaution dans le déploiement de la 5G. Il complète des dispositifs déjà en place, tel l'article R. 226 du code pénal sur la protection du secret des correspondances. La mécanique de contrôle des équipementiers et des opérateurs, elle, existe déjà : elle est exercée par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), placée sous la responsabilité du Premier ministre, avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Il n'est évidemment pas question de retarder le déploiement de la 5G ni de la 4G.

Quatrième orientation : ne pas discriminer les équipementiers. Tous, sans distinction, seront soumis aux mêmes règles. D'une part, car une vulnérabilité ou une faille de sécurité est rarement le propre d'un équipementier : elle peut les concerner tous. D'autre part, car les actionnariats et les stratégies de demain sont encore inconnus. Cette nouvelle protection ne doit pas retarder l'innovation et la réussite de la 5G.

Vous le voyez, les orientations du Gouvernement n'ont pas changé. Ce qui a changé depuis février en revanche, c'est la situation internationale. De nouvelles mesures de protection ont été mises en place aux États-Unis, qui peuvent avoir un impact sur le paysage concurrentiel et nos entreprises. Le 15 mai dernier en effet, un décret du Président américain a interdit l'installation d'équipements susceptibles de soulever un risque pour la sécurité des communications américaines. Concrètement, ce texte prive Huawei de la possibilité de collaborer avec des entreprises américaines et donc de se fournir en composants électroniques aux États-Unis ou d'y exporter des équipements. Cette décision pourrait avoir des conséquences - que nous sommes en train d'évaluer  - sur les entreprises françaises des filières microélectronique et télécoms. Je recevrai dans les prochains jours les entreprises affectées par ces mesures, et nous travaillerons en transparence avec la représentation nationale sur ces questions.

Devons-nous faire évoluer notre position à la suite de cette décision ? Nous ne le pensons pas. Nos orientations sont mesurées ; elles protègent, sans entraver l'innovation et sans discriminer. La France ne veut pas entrer dans le jeu d'une escalade protectionniste qui nuirait à tous. Nous garderons cette position équilibrée. Nous ne sommes d'ailleurs pas seuls à avoir opté pour cette solution : l'Allemagne a récemment présenté un projet de renforcement des exigences de sécurité applicables aux opérateurs de télécommunications. Des différences techniques le séparent de notre projet, mais il suit grosso modo les mêmes grandes orientations : évaluer les risques plutôt qu'interdire, et renforcer les contrôles des modalités de déploiement et d'exploitation. L'Union européenne s'est également saisie de la question, en invitant les États membres à se doter de dispositifs pour répondre aux risques inhérents au déploiement de la 5G. Elle souhaite une stratégie de coordination et d'harmonisation des approches nationales, qui s'inscrit dans la ligne et le calendrier que nous avons défini à l'échelle nationale. Les règles du jeu sur la 5G sont une compétence nationale, mais il importe d'avoir un système cohérent sur l'ensemble de l'Union européenne et de protéger nos réseaux de télécommunications de manière commune.

Les orientations du gouvernement que j'ai mentionnées en introduction sur le déploiement 5G ont été transmises à l'Arcep, qui est en train d'avancer avec les opérateurs
- de les tester, en quelque sorte - sur l'écriture du cahier des charges. Cela explique peut-être un certain bruit de fond, assez classique dans ces situations. Le cahier des charges sera livré à la fin de l'été ou au début de l'automne ; nous le validerons et lancerons les enchères avec l'objectif d'attribuer les fréquences en début d'année prochaine. L'Union européenne fixe l'objectif de déploiement dans une ville d'ici 2020 ; nous souhaitons aller plus loin, pour expérimenter des usages de services plus importants, au-delà des grandes villes.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Merci, madame la ministre, d'avoir confirmé que cette proposition de loi ne comporterait pas d'éléments discriminatoires et respecterait les règles de concurrence. Merci aussi d'avoir évoqué la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine ; ce n'est pas la nôtre, mais elle peut en effet avoir des incidences sur le marché des composants électroniques et des équipements. Nous ne souhaitons pas nous mêler de choix diplomatiques, nous nous intéressons uniquement à l'importance de la 5G pour nos entreprises et notre compétitivité. En matière d'écoutes téléphoniques et de fuites de données, nous avons du reste peu de conseils à recevoir du pays où a éclaté l'affaire Snowden.

Nous garantissez-vous que la procédure d'octroi des autorisations ne laissera pas ouverte la possibilité de prendre, par des moyens détournés, des mesures discriminatoires ?

La présidente Sophie Primas l'a rappelé : nous n'avons pas eu de véritable débat sur ces questions dans le cadre de la loi Pacte. Nous nous réjouissons de pouvoir nous rattraper avec cette proposition de loi, mais le choix d'un tel véhicule nous prive hélas d'étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État.

Vous travaillez en temps masqué sur les mesures réglementaires d'application. Or le champ d'application de la proposition de loi est très vaste. Comment comptez-vous associer le Parlement à la préparation de ces textes, qui devront être prêts très vite ?

Pourquoi ne pas avoir fait le choix, plutôt que d'introduire des dispositions nouvelles, d'élargir et de muscler la portée du régime d'autorisation existant à l'article R. 226 du code pénal ?

Pourquoi la proposition de loi ne vise-t-elle que les opérateurs, et non les équipementiers ? Les opérateurs ont durci le ton récemment, et vous n'avez manifestement pas encore réussi à les rassurer sur la portée du dispositif. Un point en particulier les inquiète : l'approche dite géographique que pourrait retenir l'Anssi dans l'instruction des dossiers, en vue de garantir l'hétérogénéité des équipements déployés sur chaque plaque de déploiement. Cela se comprend du point de vue de la sécurité nationale et de la sécurité des utilisateurs, mais n'est-ce pas aller trop loin ? Le respect des règles de concurrence n'est-il pas menacé ?

L'Anssi remplit actuellement ses missions dans de bonnes conditions, mais ces dispositions vont alourdir sa charge de travail, en particulier le contrôle des mises à jour. Vous avez certes précisé à l'Assemblée nationale que toutes les mises à jour n'étaient pas critiques, mais l'Anssi aura-t-elle les moyens de répondre rapidement aux demandes concernant tel équipement ou tel logiciel ?

La proposition de loi dispose que le Premier ministre pourra prendre en considération le fait que l'opérateur « est sous le contrôle ou soumis à des actes d'ingérence d'un État non membre de l'Union européenne » : cela vise un équipementier particulier... Mais tel équipementier peut toujours être racheté par un autre ! Cette disposition doit-elle évoluer pour ne pas apparaître discriminatoire ? Par parenthèse, lorsque j'ai organisé une table ronde des équipementiers et des opérateurs, tous ont demandé que l'on cesse d'appeler ce texte « PPL Huawei »...

Pouvez-vous nous assurer que la boîte à outils lancée par l'Union européenne ne vous obligera pas à venir nous présenter, dans quelques mois, des ajustements au régime que vous nous proposez aujourd'hui ?

Enfin, afin de rétablir le climat de confiance qui semble avoir disparu, seriez-vous favorable à des ajustements qui tendraient à apporter des garanties supplémentaires aux opérateurs ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Non, les autorisations ne sont pas un moyen détourné de prendre des mesures discriminatoires. Les parts de marché des équipementiers sont respectivement de 30 %, 30 % et 40 % : on peut considérer qu'il n'y a pas de discrimination aujourd'hui, et l'on ne souhaite pas qu'il y en ait demain. Cela dit, le marché va évoluer. Samsung en est pour l'instant absent, et il a décidé de faire de la 5G un axe de développement stratégique. En déplacement en Corée du Sud il y a deux semaines, j'ai constaté que Samsung était présent dans tous les premiers développements de 5G qui ont eu lieu dans le monde. Cet acteur peut aussi offrir une diversification des usages et contribuer à l'innovation. Comme Huawei, il investit massivement dans la 5G.

Les textes d'application sont effectivement en discussion avec les opérateurs. Je précise que l'amendement soumis au Parlement dans le cadre de la loi Pacte procédait aussi d'un travail conjoint avec les opérateurs. La vivacité des réactions de certains fait partie du jeu de la négociation. Pour avoir assisté au G7 numérique sur la partie 5G, je peux vous dire que ces questions sont abordées par l'ensemble des pays, qui poursuivent tous le même objectif de conciliation entre innovation rapide et recherche de garanties.

Dès qu'ils seront disponibles, les textes seront soumis à l'Arcep et à la commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), par laquelle vous serez associés au processus. Je ne vois pas d'obstacle au partage de ces informations. Sur ce terrain nouveau, nous gagnerions à partager l'intelligence de ces questions.

Nous n'avons pas retenu l'extension du R. 226 car le sujet est ici différent. Il ne s'agit plus seulement de confidentialité des correspondances. Dès lors que notre souveraineté est en jeu, associer les parlementaires à la décision et ne pas se limiter à des dispositions d'ordre réglementaire ne paraît pas insensé. L'article R. 226-3 du code pénal porte essentiellement sur des caractéristiques techniques sans évoquer les modalités de déploiement des équipements retenues par les opérateurs. Chacun joue son rôle : les équipementiers mettent à disposition les équipements ; les opérateurs choisissent le mode de déploiement, choisissent de développer les compétences en interne ou de s'appuyer sur des compétences externes pour la maintenance et les mises à jour, et choisissent de conduire leurs propres contrôles de sécurité. Il est important que les opérateurs s'emparent de la question de leur propre résilience sur le réseau. Nous avons donc un système à plusieurs étages : les équipements sont autorisés au moyen du R. 226-7 ; les opérateurs bénéficient de la validation préalable des équipements par l'Anssi, et doivent expliquer les modalités de leur maintien
- quand, comment, intervention ou non de sous-traitants...

Vous évoquez la question géographique. Chaque opérateur a six ou sept plaques géographiques sur lesquelles il dispose d'une unité d'équipementiers. Certains, comme Free, n'ont qu'un seul équipementier ; d'autres en ont deux, de manière à conserver un peu de concurrence dans leur propre stratégie achat. Je ne crois pas qu'il appartienne à l'Anssi de définir la politique achat des opérateurs télécom, ce que l'agence reconnaît d'ailleurs.

L'Anssi recevra en effet un surcroît de travail. Mais l'agence, qui compte 570 collaborateurs, vient d'en recruter quarante : c'est un signal considérable de soutien qui lui est adressé dans le contexte actuel, alors que d'autres services, comme la direction générale des entreprises ou celle de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, perdent des effectifs.

Nous mentionnons des pays qui n'appartiennent pas à l'Union européenne car nous réalisons le travail de coordination entre pays européens que j'évoquais à l'instant. Mais au fond, l'origine des équipementiers est assez indifférente. La vraie question est celle des pays qui prévoient des lois ayant des dimensions d'extraterritorialité ou permettant une immixtion dans la gestion. Deux exemples viennent facilement à l'esprit - si Cisco n'est pas un fournisseur immédiat, il fait partie du paysage : la législation chinoise oblige depuis 2017 ses opérateurs à communiquer des données par tout moyen technologique ; le droit américain autorise le Président à prendre des décrets, ou executive orders, qui ont un impact sur l'ensemble des pays, comme l'a montré l'exemple du décret en date du 15 mai dernier. Les autorisations délivrées par le Gouvernement ne se contenteront pas de dire oui ou non, elles préciseront pour quoi faire, dans quel ressort géographique, selon quelles modalités de déploiement et de contrôle, et pour une durée maximale de huit ans.

L'Union européenne a indiqué qu'il s'agissait d'une compétence nationale. Nous n'attendons donc aucun ajustement législatif. En revanche, nous partagerons avec les autres États membres les bonnes pratiques et les informations, y compris sur la sécurité des équipements.

Pour restaurer le climat de confiance, je recommande de laisser les négociations se poursuivre. Nous maintenons un juste équilibre entre le souci de sécurité et celui d'être armé pour les années à venir. Ne connaissant pas les risques auxquels nous serons exposés, nous proposons un dispositif législatif laissant de la latitude au pouvoir réglementaire. Une garantie est également donnée par notre engagement de déploiement de la 4G - le New Deal - et de la 5G - dont nous faisons un élément important de notre compétitivité. Si je rends visite à Samsung, c'est aussi pour anticiper toute forme de coopération avec les leaders mondiaux, quelle que soit leur nationalité, et comprendre leur stratégie.

M. Alain Duran. - Au-delà des questions de sécurité et de souveraineté numérique, je souhaiterais revenir sur un point plus concret pour le quotidien de nos administrés : la télémédecine, pour laquelle la 5G pourrait être une véritable révolution. Nous examinons d'ailleurs en ce moment en séance publique le projet de loi relatif à l'organisation de notre système de santé. La télémédecine pourrait être une réponse pragmatique et efficace à la déprise médicale qui frappe un nombre important de nos territoires - surtout ruraux. Encore faudrait-il que les infrastructures puissent absorber de telles évolutions. Dans l'Ariège, selon l'Arcep, 93 % des bâtiments sont couverts par la 4G mais le débit internet n'est supérieur à  500 Mbit/s que dans 3,2 % des foyers, contre 48 % à Paris !

Afin de ne pas renouveler les erreurs commises dans le passé, quelles dispositions entendez-vous prendre afin de veiller à une couverture homogène et sans zone blanche de l'ensemble du territoire national en 5G, compte tenu de ce problème d'infrastructures, mais aussi de ce régime d'autorisation préalable ? Le délai de huit ans est-il le plus indiqué pour donner de la lisibilité aux opérateurs, qui ont de lourds investissements à réaliser ?

Mme Élisabeth Lamure. - Nous avions en quelque sorte rendez-vous, madame la ministre, depuis la loi Pacte... Je rappelle que l'amendement du Gouvernement a été repoussé pour des questions de méthode, compte tenu de la précipitation avec laquelle il avait été déposé, non en raison de son contenu. Le fait d'avoir choisi une proposition de loi nous prive de l'étude d'impact attachée aux projets de loi, hélas car, même lacunaires, ces études servent nos analyses. Votre choix de procéder par proposition de loi est-il guidé seulement par le souci de la rapidité, alors que quatre mois se sont écoulés depuis l'examen de la loi Pacte ?

Je suis étonnée de la rétroactivité de la mesure. Y aura-t-il des conséquences financières pour les équipementiers et les opérateurs - du démontage de matériel, par exemple ? Je serais étonnée que le délai de déploiement- de la 4G  - n'en soit pas retardé.

Mme Patricia Morhet-Richaud. - Les nouvelles perspectives que permettra la nouvelle génération de communication 5G sont très diverses et concerneront de nombreux secteurs : la santé, l'agriculture, l'industrie, la mobilité, etc. Nous devons relever l'énorme défi du numérique si nous voulons exister sur la scène internationale. L'intelligence artificielle est également une ambition nationale et, pour mener à bien cette stratégie, tous les acteurs doivent être mobilisés. S'il est bien entendu nécessaire de sécuriser les parties sensibles du réseau et de se protéger du risque d'exploitation malveillante ou criminelle, il est aussi nécessaire de s'engager au plus tôt dans le déploiement de la 5G. Les délais prévus à l'article 3 de cette proposition de loi peuvent-ils être revus à la baisse ? Qui aujourd'hui est chargé de piloter la mise en oeuvre de la stratégie pour l'intelligence artificielle en France ? Le Gouvernement a-t-il lancé des démarches pour mobiliser les acteurs économiques dans la normalisation de l'intelligence artificielle ?

Mme Viviane Artigalas. - Nous comprenons tous l'importance du déploiement rapide de la 5G pour la compétitivité de nos entreprises et le développement de nos territoires - ruraux en particulier. Une étude d'impact nous aurait servi, il est vrai. Le modèle économique de la 5G n'est pas stabilisé. L'expérimentation que vous proposez permettra-t-elle de mieux l'anticiper, et d'affiner le coût pour les opérateurs ? Ceux-ci ont déjà pris pour la 4G des engagements avec les équipementiers qui pourraient servir pour la 5G, sauf si des mesures de sécurité les poussaient à en changer... Cette proposition de loi n'augmentera-t-elle pas les coûts, retardant ainsi le développement de la 5G ?

La 5G est essentiellement fondée sur des logiciels impliquant des mises à jour régulières qui, avec ce texte, ne seraient pas toutes soumises à autorisation. Or nous savons que les évolutions technologiques seront importantes. L'autorisation de huit ans, qui vaut aussi pour les logiciels, est-elle dès lors judicieuse ?

M. Xavier Iacovelli. - Il est devenu clair que les opérateurs nationaux n'étaient pas de fervents soutiens de cette proposition de loi, qui, selon eux, introduit une planification excessive du marché au regard de son objectif officieux - la lutte contre la domination du géant chinois de la 5G. Au-delà de la méthode, cet objectif peut faire débat, puisque le Président de la République avait affirmé ne pas vouloir combattre directement Huawei. Plutôt que la coercition des opérateurs, ne devrions-nous pas chercher à favoriser les équipementiers européens - les deux grands étant le suédois Ericsson et le finlandais Nokia ? Une telle stratégie économique serait cohérente avec la volonté affichée par la France de s'appuyer sur les autres pays et entreprises européens, voire de créer un géant européen afin d'affronter la concurrence internationale et les rivalités stratégiques.

Une telle volonté n'est bien entendu pas incompatible avec la création de mécanismes de contrôle tels que celui mis en place par cette proposition de loi. Pensez-vous qu'il soit possible, dans le cadre des négociations en cours avec les opérateurs nationaux, de proposer une telle politique ? Le système issu de ce texte favorisera à terme des équipementiers européens ; quel est votre sentiment sur l'idée d'un système alliant bâton et carotte ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - En raison des exigences de sécurité renforcées sur la 5G, les services de police et de justice pourraient ne plus avoir accès à certaines données, du fait de l'adoption des techniques de chiffrement de bout en bout. En définitive, la 5G ne serait-elle pas plus poreuse, plus vulnérable que les générations précédentes ?

Le Gouvernement a indiqué vouloir valoriser au mieux le patrimoine de l'État
- objectif que nous partageons tous. Cela signifie-t-il la fin d'une logique du New Deal, qui privilégie les déploiements sur tout le territoire aux recettes de l'État ?

M. Fabien Gay. - Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de déployer la 5G pour notre politique industrielle et le développement de notre territoire, mais je m'étonne que nous parlions d'une proposition de loi déposée par le groupe La République en Marche plutôt que d'un projet de loi. Nous n'analysons ici le sujet que sous l'angle de la sécurité. Or nous aurions eu besoin d'un projet de loi abordant tous les autres aspects ! Par exemple, le fait que le territoire n'est pas même totalement couvert par la 4G, et les territoires ruraux ne sont pas les seuls exclus : ma rue, en Seine-Saint-Denis, est aussi concernée ! Ne craignez-vous pas que les inégalités numériques s'accroissent ? Il n'y a rien non plus dans le texte sur les hautes fréquences et la santé publique ; rien sur la sécurité des consommateurs ; rien sur la protection de l'environnement, alors que les data centers sont très énergivores.

Comment pensez-vous rattraper notre faiblesse industrielle, notamment sur les opérateurs, alors que votre gouvernement prône un retrait de l'État interventionniste ? Je regrette notamment, comme peut-être un certain nombre de mes collègues, qu'on ait démantelé Alcatel, qui aurait servi une vision à long terme dans le déploiement de la 5G.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Oui, madame Lamure, la rapidité d'adoption de ces dispositions est un objectif, car nous devons être équipés et faire savoir les règles du jeu aux opérateurs. Or, tant qu'elles n'ont pas été arrêtées par la représentation nationale, elles sont réputées pouvoir évoluer...

Réaliser une étude d'impact sur cette question aurait été un exercice particulièrement difficile. Nous parlons de quelque chose qui n'existe pas, puisque la 5G dite « stand alone » sera lancée en 2021 et probablement déployée en 2022 ! Nous ignorons donc quels usages précis nous pourrons en faire et à plus forte raison ceux qui s'imposeront demain. Il nous faut donc le maximum de retours d'expériences des tentatives de connecter de nombreux objets ensemble dans une usine, un hôpital, une smart city...

En matière de télémédecine, distinguons la 4G+, c'est-à-dire la 4G de qualité, du très haut débit ou du très très haut débit : ceux-ci peuvent apporter une réponse aux problèmes des déserts médicaux et de la démographie médicale par la consultation à distance, celle-là pourra peut-être suffire pour la lecture de certains examens. La chirurgie à distance, par exemple, exigera probablement la 5G. Le premier niveau de télémédecine exige d'abord que la 4G soit déployée : c'est tout l'enjeu du New Deal. Si ce Gouvernement a bien une caractéristique, c'est cet engagement au service de la cohésion des territoires, porté de façon quasi militante par Julien Denormandie, Cédric O, Jacqueline Gourault et moi-même. Nous sommes convaincus qu'il y a là un moyen évident de réduire les fractures territoriales. En deux ans, nous avons réalisé l'équivalent de cinq années de déploiement ! Les efforts ont également été intensifiés sur la couverture mobile. Et je ne parle pas d'une barre au fond du jardin, mais d'une 4G de bon niveau ; nous avons revu en conséquence les critères d'appréciation de la couverture.

La durée de huit ans est plus longue que celle des autorisations régies par l'article R. 226, et plus élevée que celle des amortissements des équipements : elle est donc appropriée. Madame Artigalas, plusieurs versions des logiciels seront disponibles successivement : seules les transformations majeures feront l'objet d'une nouvelle autorisation.

Oui, madame Morhet-Richaud, il y a une stratégie sur l'intelligence artificielle, portée par le ministère de l'économie et en particulier Cédric O, qui a l'avantage d'avoir piloté cette stratégie dans ses anciennes fonctions et a une conviction forte quant à l'importance de la déployer.

Les deux premiers défis technologiques du fonds d'investissement pour l'innovation et l'industrie concernent l'intelligence artificielle et plus précisément l'audit des algorithmes et l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le diagnostic médical. La direction générale des entreprises porte un plan spécifique. C'est aussi un sujet majeur pour l'Union européenne - vous avez certainement entendu parler, outre l'intelligence artificielle, de la batterie électrique ou de la nanoélectronique parmi les chaînes de valeur stratégiques portées à ce niveau. Pour gagner ces batailles, il faut rassembler les forces européennes.

Monsieur Iacovelli, cette proposition de loi n'exerce aucune forme de coercition sur les opérateurs. D'un côté, les équipementiers doivent toujours se soumettre aux autorisations prévues à l'article R. 226 du code pénal. De l'autre, les opérateurs de télécom, qui gèrent des infrastructures vitales, ont à ce titre des responsabilités, qu'ils ont l'habitude d'assumer. Collectivement, nous augmentons le niveau de jeu parce que nous estimons que la technique l'impose. Stratégiquement, c'est aussi l'intérêt des opérateurs que de disposer de cette capacité à analyser leur résilience et d'internaliser des compétences technologiques pour pouvoir auditer et comprendre leurs sous-traitants, le codage des équipements qui leur sont livrés et les offres.

L'interopérabilité n'est pas la priorité des départements de recherche et développement des équipementiers, or elle est possible. Il faut être capable, tant en stratégie d'achat qu'en stratégie technologique, de demander des comptes à ses équipementiers. Vous connaissez l'histoire du traitement de texte, qui a bien fini par fonctionner tant sur PC que sur Mac. Le sujet a été évoqué à Barcelone. Nous devons pouvoir avancer.

Il faut accompagner les entreprises dans la 5G. Je verrai le patron d'Ericsson vendredi et je rencontrerai les responsables de Nokia bientôt. Nous sommes à leurs côtés pour qu'ils investissent plus. Nous étudions ce qui se passe au grand international et sommes aux aguets en matière de veille technologique. Il est intéressant de se positionner par rapport à ceux qui investissent le plus. Ce n'est pas nous qui menons la stratégie des entreprises privées, mais nous sommes capables de les accompagner, de les pousser, d'avoir éventuellement des projets d'innovation. C'est ensemble que cela se joue.

La 5G n'est pas plus poreuse que les générations précédentes, ce sont les usages qui diffèrent. Voir ses communications et ses données interceptées, c'est désagréable ; si, demain, l'opération conduite par un robot s'arrête au milieu ou si quelqu'un d'extérieur prend la main sur l'usine ou sur les voitures autonomes, les conséquences seront d'une autre nature.

La compatibilité entre la 5G et les interceptions légales est une préoccupation de certains services. Toutefois, je rappelle que les opérateurs sont assujettis à des obligations légales en la matière, y compris pour la 5G. L'État participe directement à la normalisation sur ce point - la direction générale des entreprises est encore une fois à la manoeuvre. Un plan d'action spécifique à la 5G est mis en oeuvre en lien avec l'ensemble des intervenants publics pour garantir la poursuite de ces activités essentielles à la sécurité nationale.

Ce n'est pas la fin du New Deal, qui est en oeuvre ici et maintenant et doit être livré jusqu'au bout. Je le répète, la 5G porte sur des usages différents. La bande de fréquence mise aux enchères est à ondes courtes. La 5G est optimale pour traiter massivement des données à un point précis, dans une zone industrielle ou un centre hospitalier par exemple, mais pas entre deux points d'un territoire rural, sauf s'il y a, dans ce territoire rural, un endroit où l'on traite beaucoup de données, par exemple à travers une plateforme de services. Il faut absolument comprendre quels sont les business models concernés. Ce sera beaucoup de business to business. Même si tout le monde aura le plaisir de profiter de la 5G, elle correspondra à des business models de gestionnaires d'infrastructures, des gestionnaires de services ou des responsables industriels qui auront besoin d'une grande puissance de feu pour pouvoir développer un produit, être plus rapide, traiter des données en temps réel.

Il n'est pas question d'approfondir une quelconque fracture numérique. J'appartiens au Gouvernement qui s'est le plus emparé de ce sujet, qu'il s'agisse des équipements ou de l'illectronisme.

L'Agence nationale des fréquences (ANFR) procède à toutes les mesures d'ondes et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) est saisie de l'impact sur l'environnement et la santé humaine. La technologie de la 5G, ce sont des ondes concentrées qui ne se diffusent pas dans l'atmosphère et n'entraînent pas non plus d'effet micro-ondes. Nous avons mis en place un comité, à la suite de la loi « Abeille », pour échanger avec les usagers. Nous prenons très au sérieux ce sujet sensible. J'ai constaté qu'une petite polémique avait émergé lorsque Bruxelles avait gelé son expérimentation à cause de bisbilles entre deux autorités. Certains ont dit que Bruxelles arrêtait de déployer la 5G en raison de risques sur la santé, or cela n'avait rien à voir. La 5G, comme toute nouveauté, inquiète. Bien malin celui qui peut dire aujourd'hui quel impact elle aura dans cinquante ans sur les personnes exposées. C'est pourquoi nous prenons très au sérieux ce dispositif et sommes très transparents sur nos mesures et les études menées, avec l'ANFR, l'Anses et le comité « Abeille ».

Mme Sophie Primas, présidente. - Dans le cadre du dispositif d'application imaginé, le silence de l'administration vaudra-t-il rejet à l'issue d'un délai de deux mois ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Oui. Je vous le confirme.

Mme Sophie Primas, présidente. - J'ai été saisie aujourd'hui même par l'entreprise Huawei. Nous serons attentifs aux conséquences sur l'industrie française de la décision américaine concernant la 5G.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Les conséquences de la décision américaine seront plus grandes que celles de cette petite proposition de loi !

Mme Sophie Primas, présidente. - En effet. Nous vous remercions. Je voudrais conclure par un clin d'oeil un peu perfide : je salue votre volonté de co-construire le cahier des charges avec les opérateurs. Si vous aviez fait la même chose sur Aéroports de Paris, vous auriez eu moins de difficultés au Sénat !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 40.

Mercredi 5 juin 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Table ronde dans le cadre du suivi de la mise en application des mesures de la loi Égalim

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux de contrôle sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite loi Égalim.

Comme vous le savez, dès le lendemain de sa promulgation, notre commission a mis en place un groupe de suivi, présidé par Daniel Gremillet, pour mesurer les effets de la loi Égalim au fur et à mesure de son déploiement.

L'objectif n'est pas de produire au bout de quelques mois un rapport sur un seul aspect de la loi et de ne plus s'en soucier par la suite. Il est plutôt de travailler à long terme sur les effets de cette loi pour tous les secteurs : producteurs agricoles de toutes les filières, industriels et grande distribution, bien sûr, mais aussi consommateurs ou encore la restauration collective.

Des points d'étape seront ainsi organisés régulièrement, tant par le biais d'auditions du groupe de suivi qu'en commission, pour relever les points positifs mais aussi les difficultés rencontrées par les acteurs afin de proposer, au plus vite, les correctifs nécessaires. Je rappelle que l'objectif initial de cette loi était l'amélioration du revenu des producteurs agricoles français.

Nous avions reçu au cours des premières tables rondes de janvier et février, juste avant la mise en oeuvre des ordonnances, les producteurs, les transformateurs et les distributeurs, séparément. J'avais pris l'engagement de recevoir les mêmes personnes, mais ensemble cette fois, afin de provoquer un échange de vues devant notre commission pour tirer les premières conclusions des négociations commerciales.

Compte tenu du nombre important d'invités, je vous propose le déroulé suivant.

Vous avez reçu, mes chers collègues, une contribution écrite de nos auditionnés qui détaille leur avis sur les premiers effets de la loi Égalim, notamment au regard des négociations commerciales achevées fin février 2019. En conséquence, il n'y aura pas de discours introductif de chacun de nos auditionnés.

Le président du groupe de suivi, Daniel Gremillet, interrogera donc en premier nos invités. Chacun aura deux minutes de temps de réponse.

Les deux rapporteurs de la loi, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier, poseront à tour de rôle une question à l'ensemble de nos auditionnés. Chacun aura encore une fois un temps de réponse de deux minutes par question posée.

Viendra ensuite le temps des questions des sénateurs aux personnes auditionnées.

L'objectif est bien de susciter un échange de vues cordial entre auditionnés, qui sont évidemment conviés à se répondre mutuellement dans le temps de parole qui leur est imparti. Pour la bonne tenue des débats, je souhaiterais que chaque sénateur désigne les personnes auditionnées auxquelles ils adressent leur question.

Si tout le monde a bien en tête cette trame, je laisse de ce pas la parole au président de notre groupe de suivi, Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet, président du groupe de suivi. - Le groupe de travail sur les résultats des négociations commerciales annuelles, sous l'égide du médiateur des relations commerciales agricoles, a rendu ses conclusions à la fin du mois d'avril sur les négociations annuelles closes au 28 février 2019.

Après six années consécutives de déflation sur les produits alimentaires, les États généraux de l'alimentation (EGA) avaient suscité un immense espoir. La loi Égalim a pour ambition de stopper cette guerre des prix. Ses premiers effets doivent se matérialiser dès 2019 dans la mesure où la hausse du seuil de revente à perte (SRP) de 10 % est entrée en vigueur dès le 1er février.

C'est sans doute pour cela que des demandes fortes avaient été émises par les fournisseurs, en moyenne de + 4 % par rapport à l'année précédente. Or les chiffres officiels indiquent que les négociations commerciales pour 2019 ont abouti à une nouvelle baisse des prix cette année, de - 0,4 % en moyenne par rapport à l'année précédente. La déflation est plus forte sur les produits frais non laitiers, les épiceries salées et sucrées. Seul le secteur laitier, et dans une moindre mesure les produits surgelés salés, tirent leur épingle de jeu avec une inflation de 1,4 %. Il faut s'en féliciter, tout en gardant à l'esprit trois points.

Premièrement, cette tendance était déjà à l'oeuvre l'année dernière puisque lors des négociations commerciales de 2018, le secteur du lait avait déjà tiré son épingle du jeu, avant même la loi Égalim.

Deuxièmement, cette tendance reste inférieure à la hausse des prix standards du lait de vache entre 2018 et 2019, qui était d'environ + 7 %.

Troisièmement, les négociations commerciales ne couvrent qu'une partie étroite du spectre puisqu'elles ne visent pas les produits sous marque de distributeur ou encore le lait destiné à l'export.

Les chiffres apparaissent donc relativement mitigés. Ma question sera donc la suivante : constatez-vous une amélioration de la qualité des relations entre fournisseurs et distributeurs depuis la mise en oeuvre de la loi Égalim lors des négociations commerciales annuelles ?

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). - Je ne partage pas l'avis de M. Gremillet : les négociations commerciales se sont déroulées cette année dans un esprit davantage positif que l'année précédente. J'ajoute que la plupart des chiffres qui sont diffusés concernent les grandes marques, lesquelles sont pourtant délaissées par les consommateurs parce qu'elles n'ont pas su évoluer.

Lors des dernières négociations, un effort a été fait en faveur des produits à forte composante agricole, notamment le lait, mais nous constatons que ces augmentations ne bénéficient pas aux producteurs. Cela tend à démontrer qu'il y a un manque de transparence.

Le taux de - 0,4 % qui a été évoqué correspond en fait à l'agrégation de données n'ayant rien à voir entre elles. Lorsque le prix des matières premières de certains produits diminue, dans le même temps, le prix des matières premières d'autres produits augmente. Une fois prise en compte la baisse des cours mondiaux, répercutée sur le consommateur, on constate une augmentation globale des prix, ce qui marque une différence notable par rapport aux années précédentes. Tout autre discours n'est que manipulation.

Mme Catherine Chapalain, directeur général de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA). - Nous avons tous, il y a deux ans, approuvé l'esprit de la loi Égalim, à l'issue d'un diagnostic partagé : la nécessité de recréer de la valeur. La déflation a en effet détruit 5,5 milliards d'euros dans les filières agricole et agroalimentaire en six ans. Les EGA ont permis d'ouvrir entre tous les acteurs un dialogue constructif qui a donné lieu à l'engagement, repris au plus haut niveau de l'État, d'arrêter la guerre des prix.

Quant à la lettre de la loi, nous l'avons également acceptée dans l'objectif de recréer de la valeur pour mieux la répartir, avec une meilleure contractualisation, un encadrement des promotions et un SRP économique.

Pourtant, et c'est la triste réalité des négociations de 2019, la guerre des prix se poursuit via des demandes de déflation. L'ANIA, qui représente 17 000 entreprises de l'agroalimentaire, a ainsi eu connaissance de plus de 800 signalements de mauvaises pratiques. Nous avons constaté, à l'instar du médiateur des relations commerciales agricoles, une déflation moyenne de - 0,5 %. Cette année encore, la loi du plus fort s'est appliquée au détriment des agriculteurs et des entreprises de l'alimentaire.

M. Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA. - La mise en oeuvre de la loi a été différée, les dernières ordonnances ayant été prises il y a seulement un mois. Par ailleurs, certains acteurs de la distribution ont empêché la publication d'indicateurs de coût de production. Cela explique les retards au démarrage !

Les producteurs ne sont pas présents dans les boxes de négociation, ce qui pose un problème de transparence ; on peut donc nous raconter n'importe quoi.

Nous avons appris par voie de presse que les groupes Bel, Savencia et Sodiaal avaient pris une initiative positive sur le lait, mais elle relève plutôt de la bonne action. Nous demandons davantage de transparence, et que la loi soit appliquée, voire améliorée, y compris par l'ajout de sanctions. Les chartes et la bonne volonté ne suffisent pas pour atteindre l'objectif poursuivi !

M. Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E. Leclerc. - On mélange des données hétérogènes ! Nos observations portent sur les années 2018 et 2019, le point de départ que nous avons retenu étant la signature de la charte EGA à la fin 2017. L'évolution des comportements de négociation commence donc à partir de 2018.

En 2018 et 2019, pour ce qui concerne les seuls produits agroalimentaires, l'inflation moyenne accordée par nos acheteurs est de 4 points sur les marques internationales et de 8 points sur les marques propres. Je ne partage donc pas le constat d'une dégradation. Les sommes en jeu sont considérables !

On nous dit que les agriculteurs ne bénéficient pas de cette amélioration, mais c'est un problème qui nous échappe. On ne sait pas comment fonctionne le ruissellement ! Manifestement, d'autres acteurs profitent de ces marges supplémentaires.

M. Dominique Amirault, président de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF). - La loi Égalim n'a pas permis d'atteindre l'objectif visé par les fournisseurs PME de la grande distribution, celui de faire accepter leurs tarifs. La baisse de 0,4 % correspond à une moyenne. Face à l'évolution de nos coûts, nous avons dû réduire nos marges, aux dépends de l'emploi et des investissements.

On constate donc une dégradation des prix nets des produits alimentaires, accompagnée d'une baisse des contreparties pour les PME, alors que nous attendions une amélioration de la situation. Sans négociabilité du tarif, nous ne parviendrons ni à facturer le prix juste ni à revaloriser in fine les revenus de l'amont agricole et le ruissellement ne voudra rien dire !

Les déclarations des directions générales des enseignes et de la FCD sur l'amélioration des relations commerciales nous semblent sincères mais cette volonté ne se traduit pas encore dans les boxes de négociation : les comportements n'évoluent pas assez vite pour que nous puissions créer de la valeur ensemble, ce qui est malsain. Rien n'a changé !

Mme Véronique Le Floc'h, secrétaire générale de la Coordination Rurale. - Pour les producteurs, le compte n'y est pas.

S'agissant du lait cru, les chiffres de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) font apparaître que, depuis 2001, le prix moyen payé par le consommateur a augmenté de 36 %, ce qui est lié à l'inflation ; en marge brute, la part de la transformation a augmenté de 68 % et celle de la distribution de 100 %, tandis que la part du producteur a baissé de 12 %.

Nos organisations professionnelles ont proposé dès janvier dernier des contrats-cadres aux industriels. Des négociations sont en cours ; nous en attendons l'issue afin de pouvoir rédiger les clauses de ces contrats.

M. Claude Genetay, directeur général d'Intermarché alimentaire international. - Il y a un avant et un après loi Égalim. Nous ne voulions ni laisser passer cette occasion unique de faire bouger les lignes pour le monde agricole ni opposer rémunération des producteurs et pouvoir d'achat car nous avons la conviction qu'il est possible de favoriser les deux. Nous avons donc changé de posture lors des négociations et pris des initiatives pour acheter plus cher aux fournisseurs et aux PME qui travaillent avec le monde agricole français.

Les négociations se déroulent différemment avec les multinationales qui n'ont aucun lien avec le secteur agricole de notre pays et nous assumons cette position qui vise à défendre le pouvoir d'achat. Dans ce cas, nous refusons les hausses non fondées et ne cherchons pas de terrain d'entente.

Nous avons trouvé, notamment pour le lait et la charcuterie, des fournisseurs partenaires, qui ont également la volonté d'évoluer et auxquels nous faisons confiance. D'autres fournisseurs n'ont rien voulu entendre. La situation est donc en nette amélioration, mais reste hétérogène.

M. Dominique Chargé, président de Coop de France. - Sur la forme, les comportements et les pratiques ont été plus hétérogènes cette année, mais, sur le fond, rien n'a changé et la guerre des prix a continué. Le constat est sans appel : les prix ont baissé de 0,4 %.

La théorie du ruissellement n'a pas fonctionné, car la source a été détournée. Le rééquilibrage a été opéré entre les surmarges faites sur les produits à forte composante agricole et les marges nulles ou négatives sur des produits d'appel ne contenant pas de matières premières agricoles françaises, mais les 650 millions d'euros dégagés n'ont pas servi à la revalorisation des prix à la production ; ils ont été utilisés pour faire pression sur les marques de distributeurs (MDD).

M. Richard Panquiault, directeur général de l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC). - Nous sommes plus pessimistes que l'OFPM puisque nous estimons que les prix ont baissé de 0,7 % ou 0,8 %.

Les grandes marques que je représente mènent des négociations qui concernent directement ou indirectement 150 000 agriculteurs. Il ne faut donc pas faire d'amalgames, le discernement est important. On nous dit qu'il n'y a pas de transparence ; honnêtement, c'est du pipeau ! Il y a des moments où il n'y en a pas, il y a des moments où il y en a. C'est vrai du côté industriel comme du côté des distributeurs.

Aujourd'hui, il faut s'intéresser à ce qui s'est bien passé. Des partenariats ont été trouvés. Ils se traduiront par des effets vertueux. Nous devons étudier ces exemples au lieu de nous envoyer des chiffres à la tête...

M. Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne. - Selon nous, la légère inflation que connaît le secteur laitier est davantage liée au contexte mondial
- absence de stock de poudre de lait, sécheresse dans une partie de l'Europe, hausse de la demande mondiale - qu'à la loi Égalim.

Le ruissellement, nous n'y croyons pas du tout, et ce n'était d'ailleurs pas l'enjeu de ce texte. L'objectif était plutôt de progresser vers une formation des prix en marche avant. Or les négociations souffrent d'un manque de transparence, qui empêche de bien connaître la répartition de la valeur ajoutée. Philippe Chalmin, président de l'OFPM, regrettait de ne pas pouvoir donner une vision globale de la rentabilité des produits laitiers en France. Si lui n'y parvient pas, il y a un bug quelque part ! Il imputait ce problème à « un faible enthousiasme des intéressés »...

M. Michel Raison, rapporteur. - Je suis d'accord avec M. Panquiault, il faut se méfier des amalgames et des moyennes. M. Girod a fait également une remarque importante en nous invitant à considérer les cours nationaux et mondiaux des produits alimentaires.

Prenons l'exemple du cours du porc au cadran breton qui était relativement bas tout au long de l'année 2018 et a servi de base aux négociations commerciales. Depuis le début du mois de mars, le cours a pris près de 20 % partout en Europe en raison de la peste porcine africaine qui décime une part importante du bétail chinois. Cette hausse va sans doute durer dans la mesure où l'épidémie ne fait que commencer. Mais les renégociations sont très difficiles.

La loi Égalim permet-elle de mieux prendre en compte les évolutions des cours des matières premières et de faciliter la renégociation ?

J'en profite pour rappeler que nous ne faisons pas ici de procès, mais notre travail de parlementaires qui est de suivre les effets de la loi.

Dans les résultats des négociations commerciales, on constate également des différences selon la taille des entreprises. On nous a fait part de certaines inquiétudes portant sur le traitement des PME. Pour Mme la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher, ces entreprises auraient été plutôt mieux traitées, ayant bénéficié finalement d'une inflation pour leurs produits. Toutefois, certains chiffres qui nous sont parvenus sont très inquiétants, notamment pour ce qui concerne les producteurs de produits sous marque de distributeur (MDD).

La loi Égalim a-t-elle les mêmes effets sur l'ensemble des acteurs ? Qu'en est-il pour les MDD, les PME et les négociations sur les produits frais ? Offre-t-elle un cadre suffisamment souple pour répondre à la diversité des produits alimentaires vendus ? Car le commerce a besoin de souplesse, mais aussi de morale.

M. Jacques Creyssel. - S'agissant des renégociations, l'essentiel existait déjà dans les lois précédentes, et il n'y a pas de changement majeur dans la loi Égalim.

Sur le porc, nous avons pris l'initiative de la réouverture des négociations, dans le respect du droit de la concurrence. Des accords ont d'ores et déjà été signés, qui portent sur les MDD. Nous faisons face à un bouleversement total du marché mondial et la situation est évolutive : la moitié du cheptel mondial pourrait disparaître ; les renégociations, complexes, sont néanmoins en cours.

Nous avons également pris l'initiative de la création d'un observatoire des négociations commerciales.

Sur les effets de la loi Égalim selon les acteurs, on constate que l'évolution du marché est favorable depuis quelques années aux PME, dont les produits se vendent mieux dans les hypermarchés que ceux des grandes marques. En bonne logique économique, les PME sont donc mieux traitées durant les négociations. Celles-ci, en revanche, ne concernent pas les MDD.

Mme Catherine Chapalain. - S'agissant du prix du porc, 74 % des entreprises sont encore en cours de renégociation. Seules 7 % des entreprises de ce secteur ont vu leur hausse de tarif acceptée. La situation est encore pire pour les MDD que pour les marques nationales. Sans réelle volonté de la grande distribution de jouer le jeu, sans rééquilibrage du rapport de force, et à défaut d'assurer la primauté du tarif, il ne sera pas possible de renégocier.

On a observé, cette année, des initiatives plus vertueuses que d'autres lors des négociations. Le groupe Horizon a ainsi fait un effort de dialogue et de concertation.

M. Patrick Bénézit. - Pour ce qui concerne la renégociation, la loi Égalim a permis de réduire les délais, mais pas autant que nous le souhaitions. Nous regrettons que les indicateurs de prix de marché ne soient pas pris en compte ; je pense, par exemple, aux fluctuations du cours du porc. Il faudrait davantage de transparence, ce qui sera le rôle de l'observatoire des négociations commerciales.

L'augmentation du SRP et l'encadrement des promotions sont nécessaires. Mais comment agir par rapport aux MDD, qui sortent de ce champ et sont utilisées par les distributeurs pour poursuivre la guerre des prix ?

M. Stéphane de Prunelé. Le SRP s'applique aussi aux MDD !

Les négociations visant à revaloriser le prix du porc, dont le marché connaît une situation totalement atypique, aboutiront dans les semaines qui viennent. Il y a un effet pervers lié à l'explosion de ce prix : elle rend plus difficiles la contractualisation et le respect des contrats, car les producteurs sont tentés de profiter du formidable appel d'air que représente le marché chinois pour vendre leur production en Chine plutôt que de respecter leurs engagements de volume.

Mon groupe a accordé aux PME, qui lui fournissent la quasi-totalité de ses produits d'origine française, deux fois plus d'inflation qu'aux multinationales avec il travaille.

J'ajoute que les produits des PME créent aujourd'hui plus de valeur et de croissance que ceux des multinationales ; ils sont donc, tout naturellement, mieux rémunérés.

M. Dominique Amirault. - Le relèvement de 10 % du SRP n'a pas les mêmes effets en fonction de la taille des entreprises ; il permet un discernement en faveur des multinationales et des grandes marques, ce qui nuit aux marques PME. On observe ainsi un repli des ventes de celles-ci depuis le début de l'année. Après une croissance ininterrompue depuis cinq ans, les marques PME ont donc connu un coup d'arrêt ; c'est un effet pervers de cette mesure.

Autre effet perturbateur des relations commerciales : l'encadrement des promotions en volume. Si l'encadrement en valeur à 34% peut se comprendre politiquement, pour lutter contre la guerre des prix en aval, celui en volume a des conséquences négatives sur certaines filières. Il faut arrêter de jouer aux apprentis sorciers en perturbant, via la loi, la vie normale des marchés et des affaires.

Mme Véronique Le Floch. - Je suis d'accord avec M. Amirault sur l'avantage que donne aux grandes marques le relèvement de 10 % du SRP.

Compte tenu du prix du porc à l'exportation, on peut se demander quel est l'intérêt pour les producteurs de vendre à l'international...

M. Claude Genetay. - Intermarché traite différemment - et assume cette position - les sociétés, qu'elles soient PME ou multinationales, qui ont un lien avec le monde agricole, et celles qui n'en ont pas.

Il n'y a en revanche aucune différence de traitement entre les marques nationales et les MDD.

M. Dominique Chargé. - Le prix payé à un producteur correspond à la moyenne de la somme des marchés de l'entreprise à laquelle il livre sa production, de lait par exemple.

Le secteur du porc est dans la même situation que celui du beurre voilà deux ans : il est tout aussi difficile d'obtenir des hausses qui soient représentatives du marché.

Lors des négociations, les marques nationales ont subi, en volume, une forte contrainte au profit des MDD. Même si celles-ci ne font pas partie du périmètre des discussions, il y aura des effets collatéraux indéniables dont l'une des causes est l'absence de ruissellement.

M. Richard Panquiault. - La majoration du SRP et la péréquation entre marques nationales et MDD sont des questions majeures.

Il y a une spécificité française ; nous avons du mal à prendre en compte les évolutions de prix de marché lors des négociations. C'est un problème de comportement, qui induit de nombreux effets pervers. Les mécanismes sont faussés.

Pour ce qui concerne le prix des matières premières, lors des cinq ou six dernières années, la déflation a été constante, oscillant entre 6 %, 8 % ou 10 %. Il faut donc adopter une perspective plus générale.

Je remercie M. de Prunelé d'avoir cité des chiffres précis sur la différence de traitement opérée par son groupe entre les PME et les grandes marques. Le discernement pratiqué dans ces conditions est vertueux et productif.

M. Nicolas Girod. - Si l'on abandonnait l'idée du ruissellement au profit de celle d'une formation du prix en marche avant, la question de la renégociation serait moins urgente. S'agissant du porc, par exemple, les prix devraient être établis en fonction du coût de production assumé par les éleveurs. La dérégulation totale des marchés et la volatilité des prix participent de la destruction de la valeur, ce qui rend nécessaires des renégociations fréquentes et rapides.

Sur les MDD, peut-être faudrait-il mettre en place des contrats tripartites en chaîne, comme cela avait été suggéré lors des États généraux de l'alimentation ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - En théorie, le SRP + 10 devait redescendre en cascade vers les agriculteurs. Or, depuis sa mise en oeuvre, on constate de nouvelles pratiques commerciales dans les grandes surfaces.

J'en veux pour preuve le témoignage des producteurs de fraises de la variété gariguette. Certains distributeurs utilisent chaque année ces fraises pour en faire un produit d'appel quand l'été approche. Ils les vendent alors au niveau du seuil de revente à perte, à savoir en moyenne à 1,99 euro la barquette.

Avec la revalorisation du seuil de revente à perte de 10 %, le distributeur aurait donc dû vendre cette même barquette 10 % plus chère, à savoir 2,19 euros cette année. Or le distributeur a souhaité maintenir son prix de vente au consommateur à 1,99 euro la barquette, comme l'année précédente. Il a réussi à maintenir ce prix qui intègre une revalorisation obligatoire de 10 %, conformément à la loi, en durcissant les négociations avec son fournisseur. En résumé : la hausse du SRP de 10 % s'est traduite, dans ce cas très précis, par une baisse de 10 % du prix d'achat aux producteurs.

Plus globalement, il suffit de parcourir les catalogues des distributeurs pour constater de nouvelles formes d'annonces promotionnelles.

D'une part, les prix sont annoncés en baisse pour les produits sous MDD par les distributeurs. Certains l'ont fait pour près de 5 000 références MDD en 2019 ! D'autre part, des remises sont attribuées sur les cartes de fidélité pour les produits de grandes marques, le plus souvent d'ailleurs avec un taux de 10 %, ce qui nous rappelle étrangement le niveau de revalorisation du SRP. Il convient donc de s'interroger sur la nature de ces nouvelles pratiques commerciales : correspondent-elles bien à l'esprit et à la lettre de la loi Égalim ?

Compte tenu des nouvelles pratiques commerciales, la hausse du SRP va-t-elle bénéficier aux producteurs, comme le prévoit la loi ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Cela pose le problème des nouvelles formes de promotion.

M. Jacques Creyssel. - La question du prix des fraises se pose chaque année, qu'il y ait SRP ou pas. Un travail est en cours au sein de l'interprofession de la filière des fruits et légumes frais (Interfel). C'est l'un des cas où le SRP pose des difficultés techniques. Les fraises sont un produit météosensible, soumis à une compétition forte avec d'autres pays européens. Il s'agit d'une question extrêmement spécifique, à laquelle il ne faut pas accorder trop d'importance.

Sur les promotions, les choses sont claires. Ce qui se fait aujourd'hui est strictement conforme aux lignes directrices de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui sont très précises. Aujourd'hui, la première préoccupation des Français est l'augmentation des prix alimentaires. Je suis d'accord avec Dominique Amirault sur les effets négatifs pour les PME, notamment pour les produits festifs et saisonniers.

Nous n'avons pas encore évoqué l'article 1er de la loi Égalim sur l'inversion de la négociation, une disposition essentielle qui n'a pourtant pas encore été appliquée.

Mme Sophie Primas, présidente. - M. Girod en a parlé, me semble-t-il !

Mme Catherine Chapalain. - Nous avons tous le sentiment aujourd'hui que le compte n'y est pas. Nous sommes en CDD, voire même en période d'essai, avec cette loi. L'objectif est de la transformer en CDI, et de retrouver l'état d'esprit que nous avions au début des États généraux de l'alimentation. Pour cela, trois conditions sont nécessaires.

D'abord, il faut rééquilibrer la relation. Nous en sommes encore loin. Pour imposer la confiance, il faut respecter le tarif du fournisseur. C'est le nerf de la guerre, et c'est sur ce point que nous devons faire porter nos efforts.

Ensuite, il faut que la loi soit respectée, contrôlée, sanctionnée, afin de faire changer les mentalités. Les pratiques vertueuses de la distribution - et il y en a ! - doivent être davantage récompensées. Les sanctions des mauvaises pratiques sont encore trop faibles.

Enfin, il faut organiser un droit de suite des EGA, et se remettre autour de la table avec un seul objectif : recréer de la valeur et stopper la guerre des prix. Nos destins sont liés, et nous avons une responsabilité collective au-delà de la loi. Le prix le plus bas pour les produits alimentaires n'est pas le prix le plus juste. C'est le combat que nous devons tous mener.

Mme Sophie Primas, présidente. - Exercer un droit de suite de la loi est justement ce que nous faisons aujourd'hui !

M. Patrick Bénézit. - Je suis d'accord avec M. Creyssel, il n'y a pas que le SRP dans cette loi ! Il faudra bien travailler la question des MDD, qui ne sont pas dans le champ de la loi. Nous devons essayer d'améliorer la loi et de combler « les trous dans la raquette ».

Une même enseigne fait de la publicité sur le prix qu'elle paye aux producteurs de lait - 370 euros les 1 000 litres, alors que le coût de production est de 396 euros -, tout en baissant les tarifs sur 250 références en MDD. Les acteurs de la distribution annoncent faire des efforts, mais cherchent à contourner les dispositifs mis en place.

Il ne faut pas se demander si la loi est bonne ou pas, mais aller au bout, car les producteurs ne peuvent pas attendre. La puissance publique doit faire appliquer la loi. Des ordonnances sur les prix abusivement bas existent : certains comportements sont déjà sanctionnables.

M. Stéphane de Prunelé. - Je ne vais pas revenir sur la question du prix des fraises. Pour une fois, mon enseigne n'est pas désignée comme le mauvais élève !

Je regrette que les consommateurs ne soient pas représentés aujourd'hui. Ils ont aussi leur mot à dire sur les conséquences de la loi Égalim.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci de votre suggestion !

M. Stéphane de Prunelé. - Nous assumons la baisse des prix de 4 500 références de produits MDD, mais je vous ferai remarquer qu'elle ne touche pas les produits agricoles !

La FNSEA a estimé que le SRP + 10 rapportait 650 millions d'euros à la grande distribution. Le ruissellement de notre marge supplémentaire est ainsi réparti : 70 % de celle-ci ont été redistribués aux industriels et transformateurs de l'agroalimentaire sous forme d'inflation ; 20 % aux consommateurs sous forme de baisse des prix des MDD non alimentaires, sans renégociation avec les fabricants ; 10 % à l'État via la TVA.

Certains proposent de revenir à la non-négociabilité des tarifs. C'était la situation qui prévalait avec la loi Galland ! À cette période, les prix en France étaient les plus élevés d'Europe. Nous ferons tout pour éviter de revenir à cette loi néfaste.

M. Dominique Amirault. - En ce qui concerne l'encadrement des promotions, plusieurs fournisseurs nous ont alertés sur le fait que les seuils promotionnels à ne pas dépasser étaient progressivement devenus la norme. Cette dérive est inquiétante.

Il faut rendre compréhensibles et simplifier les réglementations, qui sont trop nombreuses. Les PME ne sont pas armées pour gérer la complexité, qui représente, pour elles, un handicap compétitif. Arrêtons de vouloir tout régenter et d'être complètement déconnectés de la réalité du terrain !

Pour les enseignes, il existe deux manières de se différencier : les marques PME et les MDD, fabriquées à 80 % par des PME. Il ne faut pas faire la guerre aux MDD.

Le tarif qui correspond aux coûts à supporter - fabrication, transformation, commercialisation, innovation... - n'est pas négociable. Il faut facturer ces coûts si l'on veut, en contrepartie, améliorer la rémunération des acteurs de la filière. Quand une marque est référencée par les distributeurs, il faut se donner les moyens de développer le courant d'affaires. Ce sont donc les conditions de vente qui sont négociables. Ne faisons pas la confusion !

Mme Véronique Le Floc'h. - On ne voit pas d'effet de la loi sur les prix des produits stockables - secs, en conserve ou surgelés.

L'article 44 de la loi Égalim prévoit que les produits d'importation doivent respecter nos normes. La Coordination rurale demande qu'un comité de suivi s'occupe rapidement de faire appliquer cette disposition.

M. Claude Genetay. - En janvier dernier, il nous a semblé que le cumul de la hausse du SRP, l'encadrement des promotions et les hausses de prix liées à l'acceptation des tarifs de tous les produits à forte composante agricole finissaient par faire beaucoup ! Nous avons donc voulu nous engager dans une baisse des prix des MDD pour les consommateurs à chaque fois que c'était possible. Cela ne s'est en aucun cas traduit par des baisses de prix d'achat des MDD - nous avons pris sur nos marges.

En ce qui concerne les promotions, les règles sont techniquement claires sur le papier. Appliquer le taux de 34 % est simple. En revanche, la limite des 25 % du volume est, à la fois, une mesure difficile et dangereuse pour les PME.

Difficile, car personne ne peut prédire dans quel volume un produit en promotion sera vendu. Pour les produits saisonniers, comme les glaces, les volumes vendus varient considérablement selon la météo. Or les catalogues sont préparés dix semaines à l'avance. Nous sommes face à un dilemme : si l'on dépasse les 25 % il faut arrêter la promotion, mais comme les catalogues sont déjà imprimés on peut nous accuser de publicité mensongère.

Dangereuse, car des PME, qui ne peuvent pas se payer de force de vente et de publicité, ont un business model basé sur les promotions. Certaines dépassaient allégrement le taux de 25 % : on leur a retiré leur levier principal pour exister. Nous travaillons à trouver une solution.

Mme Sophie Primas, présidente. - Certaines PME sont effectivement très inquiètes pour le maintien de leur outil de production et l'emploi.

M. Dominique Chargé. - Il ne faut pas confondre la négociation commerciale, laquelle ne pose pas de problème, et la négociabilité du tarif, qui nuit aujourd'hui aux bonnes relations entre les fournisseurs et les distributeurs.

L'encadrement des promotions est une bonne chose, mais une application linéaire peut avoir des effets contreproductifs, notamment sur des produits saisonniers, périssables et météosensibles. Cet encadrement a engendré de nouvelles formes de restitution aux consommateurs via des instruments de type loteries, jeux...

Je regrette que la DGCCRF, dans ses lignes directrices sur les mécanismes promotionnels, s'en soit tenue aux prix qui affichent un taux de réduction et n'ait pas englobé les « prix imbattables », c'est-à-dire des prix bas mais qui ne font pas apparaître de manière visible un taux de réduction. Il faudra revenir sur l'interprétation de ce qu'est un prix promotionné.

M. Richard Panquiault. - J'avais cru comprendre que le SRP majoré devait permettre de dégager une marge dont les distributeurs pouvaient faire un usage vertueux. Aujourd'hui, on a l'impression que cette mesure a été imposée et que la grande distribution essaye d'en aménager les effets en baissant les prix des MDD, de telle sorte qu'au final tout s'équilibre et que la manne supplémentaire, chiffrée à environ 600 millions d'euros, est réduite à néant.

Aujourd'hui, les projections évoquent plutôt une revalorisation de 300 ou 350 millions d'euros par le biais de la majoration du SRP. Il faudra se demander dans un an si cette mesure était vraiment utile.

Pour ce qui concerne l'encadrement des promotions, les lignes directrices de la DGCCRF, qui en est parfaitement consciente, laissent aujourd'hui des trous béants. Les acteurs peuvent, ou non, s'y engouffrer : cette décision relève de leur responsabilité et de leur forme de business model. Pour certains, l'encadrement des promotions constitue un problème sévère.

M. Nicolas Girod. - La majoration du SRP ne permet pas d'éduquer les acteurs : on ne donne pas de récompense sans contrainte et sanction...

Il faut une politique agricole et alimentaire commune qui permette une réorganisation du monde agricole. Pour les fruits et légumes, il faut remettre sur la table le droit de la concurrence européen. La Confédération paysanne revendique des prix minimum d'entrée pour pallier la concurrence déloyale intraeuropéenne.

La montée en gamme est confisquée par une bonne partie de l'agro-business, qu'il s'agisse de distributeurs ou d'industriels. Les interprofessions ont du mal à avancer sur la réalisation de plans de filière incluant une montée en gamme et des indicateurs de coût de production.

M. Jean-Marie Janssens. - Ma question s'adresse à Patrick Bénézit. Lundi dernier, Philippe Chalmin, président de l'OFPM, soulignait que le monde agricole était de plus en plus marqué par l'instabilité des prix et des marchés. Aujourd'hui, les prix agricoles dépendraient bien plus des cours internationaux que des prix payés par les consommateurs. Face à cela, il semble plus que jamais indispensable de mettre en place des garde-fous, notamment en sécurisant les indicateurs de coût de production, car les producteurs agricoles ne doivent pas se trouver une nouvelle fois lésés. La FNSEA plaide ainsi pour un recours systématique à l'OFPM afin de garantir le respect des indicateurs de coût de production, un principe qui n'a pas été retenu dans la loi Égalim. Pouvez-vous nous en dire plus sur les conséquences que risque d'engendrer l'absence de ce principe dans le texte ?

Ma deuxième question s'adresse à Dominique Chargé. L'ordonnance issue de l'article 11 de la loi Égalim relatif au statut coopératif agricole assimile le contrat coopératif à un contrat commercial. Cela engendre des inquiétudes très fortes de la part des membres de coopératives agricoles qui craignent de voir le régime coopératif, fondé sur la relation entre l'associé coopérateur et son entreprise, démantelé purement et simplement. Par exemple, la notion de prix abusivement bas n'est pas du tout la même pour une entreprise commerciale et une coopérative. Je rappelle que l'une des missions principales des coopératives est d'assurer la juste rémunération des agriculteurs et de leur apporter des services à coût raisonnable. Le droit coopératif relève du code rural. Selon vous, de quels moyens disposons-nous pour défendre l'exception coopérative française ?

M. Laurent Duplomb. - Je dirai en préalable : tout ça pour ça ! Nous assistons aujourd'hui à une forme de poker menteur. En réalité, cette loi n'a pas produit les effets attendus, c'est-à-dire une revalorisation du revenu des agriculteurs. Avec une baisse du prix payé aux entreprises de 0,4 %, je ne vois pas comment le ruissellement peut se faire... Je suis producteur laitier depuis 25 ans. Quand je me suis installé, je produisais du lait payé 2 francs le litre ; au mois d'avril dernier, j'ai été payé par ma coopérative au même prix, à savoir 310 euros les 1 000 litres, très loin des 370 ou 396 euros dont on nous parle.

Nous avons auditionné hier des PMI et des PME, notamment du secteur de la charcuterie. En 2017, 17 % d'entre elles avaient des difficultés, contre 30 % en 2019. Cette loi n'a rien réglé : elle n'a ni apaisé les inquiétudes des consommateurs ni amélioré le moral des agriculteurs.

S'il est vrai que l'augmentation du SRP de 10 % a produit une marge bénéficiaire de 300 millions d'euros et que 70 % de cette somme sont rendus à l'industrie agroalimentaire, et si cette somme était reversée aux producteurs, cela revient à une augmentation au mieux de 42 euros par mois pour l'agriculteur ! Cela ne couvre même pas le surcoût de leur facture d'électricité de 6%...

Ma question s'adresse à la grande distribution : comment expliquer que cette loi qui, normalement, devait revaloriser le revenu des agriculteurs par le ruissellement leur rapporte si peu ?

Mme Anne-Marie Bertrand. - Ma première question s'adresse à la FCD. Les résultats de la loi Égalim sont très mitigés. Pourtant, pour les consommateurs, les prix ont bien augmenté, en moyenne de 2 %. Le dernier rapport de l'Observatoire de la formation des prix et des marges révèle que, si les agriculteurs peinent à capter la valeur ajoutée, c'est parce que les coûts de production ont parfois augmenté encore plus vite. Les marges nettes des grandes enseignes sont livrées avec un an de décalage et le secteur laitier reste très opaque, en raison de la complexité et de la diversité des logiques industrielles. Or la transparence est la pierre angulaire de cette loi. J'aimerais entendre vos pistes pour améliorer cette situation.

Ma deuxième question s'adresse à la FNSEA. Je suis sénateur du département qui est le premier producteur de France en fruits et légumes. Les producteurs de fraises souffrent énormément de la concurrence espagnole : comment y remédier ?

M. Roland Courteau. - Moi aussi, je serais tenté de dire : tout ça pour ça ! Le ministre de l'agriculture lui-même reconnaît que le compte n'y est pas. La loi Égalim n'a pas eu pour le moment de grands effets sur le prix payé aux producteurs. Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, mais je me demande si le législateur doit aller plus loin. Doit-il aller jusqu'au bout, comme cela a été suggéré, mais qu'est-ce que cela signifie ?

Les syndicats de producteurs demandent davantage de contrôles et des sanctions, plus dissuasives. Faut-il demander des moyens de contrôle supplémentaires pour la DGCCRF ?

La FNSEA a évoqué, en mars dernier, je cite, « les pratiques illégales en termes de promotions abusives et d'abus de puissance d'achat au travers de demandes financières sans aucune contrepartie, parfois au profit de structures basées à l'étranger ». Elle demandait une intensification des contrôles de l'administration et la publication des sanctions, afin de pointer publiquement les distributeurs qui ne jouent pas le jeu. La FNSEA maintient-elle ses propos ?

M. Joël Labbé. - Un des intervenants a réclamé que les EGA soient vraiment suivis d'effet. En matière de discussion des prix, les choses se font toujours de manière déséquilibrée, au détriment des producteurs.

Je voudrais rappeler l'esprit des EGA : il s'agissait d'une idée de Nicolas Hulot, et la condition pour qu'il entre au Gouvernement. L'idée était d'aller vers une juste rémunération des prix de la production et vers une évolution des modes de production
- n'oublions pas les problèmes climatiques et de la biodiversité - et de consommation. Il serait bon que les consommateurs soient représentés ici, tout comme les ONG.

Il faut redonner la valeur de l'aliment aux consommateurs, car ce n'est pas une denrée comme les autres.

Ma question s'adresse aux deux syndicats, la Coordination rurale et la FNSEA : que pensez-vous de l'idée de la Confédération paysanne de demander collectivement la mise en place de contrats tripartites ? Les coûts de production intégrant une rémunération décente des emplois agricoles doivent servir de base aux discussions.

Mme Sylviane Noël. - Ma question s'adresse au représentant des coopératives. La dernière version du projet d'ordonnance visant à modifier le statut des coopératives agricoles entendait détricoter ce statut, ce qui aurait de lourdes conséquences sur leur organisation. Elle imposerait notamment la notion de prix abusivement bas au contrat d'apport coopératif et prévoirait la possibilité de saisir le médiateur des relations commerciales en lieu et place du système de médiation actuel. Par ailleurs, les membres de ces structures qui décideraient de diminuer la rémunération de leurs apports en raison de débouchés insuffisants pour leurs produits pourraient être sévèrement sanctionnés.

Quelle est donc votre position sur ce projet d'ordonnance ? Quels sont les risques que pourraient encourir les structures coopératives en modifiant leur statut ? Comment les parlementaires peuvent-ils aider les coopératives à continuer à insuffler du dynamisme dans nos territoires, au nom du développement agricole et du rayonnement économique local ?

Mme Noëlle Rauscent. - Ma question s'adresse à M. de Prunelé et à la FNSEA.

En ce qui concerne les bovins, je ne vois pas aujourd'hui d'évolution du prix payé à l'éleveur : la difficulté d'organisation en filière en est-elle la cause ? Probablement, mais je ne pense pas que ce soit la seule explication.

M. Patrick Bénézit. - Je rappelle ce que dit le rapport de l'OFPM : pour la quasi-totalité des filières, surtout les filières d'élevage, les coûts de production ne sont pas couverts par les prix. C'est le point de départ incontournable de l'analyse.

Nous avions fortement souhaité que le législateur puisse s'appuyer sur l'OFPM pour l'élaboration d'indicateurs de coût de production neutres et indépendants. Le législateur ne l'a pas souhaité. Résultat : la grande distribution, notamment dans la viande bovine, a tout fait pour retarder la sortie des indicateurs, et de façon presque insolente puisque la rémunération des producteurs ne devait pas même apparaître. Bref, nous avions anticipé ce problème. La FNSEA ne veut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, mais combler les trous dans la raquette - dans la viande bovine comme dans d'autres interprofessions, comme les fruits et légumes.

À propos des fruits et légumes, les EGA sont un ensemble : outre la constitution du prix qui, pour nous, devrait partir du coût de production, il faut tenir compte du contexte économique. C'est ce que faisait l'article 44 de la loi Égalim en interdisant les distorsions de concurrence. Les distributeurs ont là une véritable responsabilité : faire appel à des productions importées pour faire baisser les prix, ce n'est pas tout à fait l'esprit des états généraux...

M. Patrick Bénézit. - Les fruits et légumes sont le segment de marché le plus exposé - peu de distributeurs osent acheter de la viande ou du lait étrangers. Nous attendons du Gouvernement qu'il applique et étende cet article, et que la DGCCRF mène ses contrôles.

Je partage ce qui a été dit sur les lignes directrices de la DGCCRF, qui nous semblent extrêmement légères compte tenu des textes. Dire qu'on ne peut modifier les catalogues ou que les promotions sont un danger pour certaines PME, ce n'est pas non plus l'esprit des États généraux. Considérer que faire des promotions de 34 % rendra de la valeur à la production, c'est un considérable pas en arrière.

M. Patrick Bénézit. - Les promotions, ce sont toujours les agriculteurs qui les paient à la base.

Certaines enseignes ont fait des produits bio des produits d'appel. C'est une catastrophe, car cela tue la montée en gamme ! Vendre le lait bio moins cher que le lait conventionnel quand on explique aux agriculteurs français qu'il faut monter en gamme, c'est dissuader de s'y essayer !

Nous avons beau faire partie des pays appliquant le plus de règles environnementales et dont l'agriculture est la plus durable, nous pouvons faire mieux avec des indicateurs de coût de production pour le bio ou pour la montée en gamme. L'indicateur de coût de production pour le lait conventionnel est de 396 euros, contre 500 euros pour le lait bio. C'est sur ces sujets qu'il faudra atteindre les objectifs fixés.

M. Stéphane de Prunelé. - Sur le ruissellement, les choses sont un peu paradoxales. La loi Égalim est une bonne loi, et nous avons l'objectif d'être de bons, sinon les meilleurs, élèves dans son application, mais nous avons toujours trouvé que le relèvement de 10 % du SRP était non seulement inutile mais inefficace. Pour une raison simple : personne ne sait le faire ruisseler sur les agriculteurs - le calcul sommaire que j'ai fait tout à l'heure en est la preuve. À moins que les 70 % de la marge supplémentaire que nous reversons aux industriels agricoles et agroalimentaires soient répercutés sur les agriculteurs... Mais la transparence est refusée par les industriels, sur lesquels nous pouvons constater que cela ruisselle.

Quant au fait que nous en redonnons une partie aux consommateurs : c'est notre métier de commerçant ! Dès lors que nous le finançons sur notre marge, au nom de quoi cela nous serait-il reproché ? Nous pensons que le relèvement du SRP est indépendant de la loi Égalim, et nous avons commencé à appliquer la charte d'engagement bien avant le vote de la loi.

La viande bovine est un marché particulier. Je ne peux répondre que sur la viande bovine industrielle - lorsqu'un commerçant achète deux bovins à un producteur, il s'agit d'un marché de gré à gré, local...

Mme Sophie Primas, présidente. - Et cela se passe bien !

M. Stéphane de Prunelé. - Oui. Sur la partie industrielle de la viande bovine, les prix d'achat ont augmenté d'environ 4 %. Demandez à Bigard ce qu'il en fait...

Le chiffre d'affaires que les centres Leclerc font directement avec les producteurs agricoles se situe entre 1 % et 2 % de leur chiffre d'affaires total. Imputer les difficultés du monde agricole aux distributeurs est donc une facilité. Voici d'ailleurs ce qu'a dit le président de l'OFPM en remettant son rapport : « Nous sommes dans un monde agricole de plus en plus marqué au coin de l'instabilité des prix et des marchés. Les prix agricoles dépendent peu, presque pas du tout, des prix payés par le consommateur. Aujourd'hui, le prix du blé ne dépend pas du prix de la baguette, le prix du porc dépend de l'impact de la peste porcine africaine en Chine, et pas du prix de la tranche de jambon. » On voit bien là toute l'ambiguïté qu'il y a dans cette loi et ce mécanisme de ruissellement.

M. Jacques Creyssel. - Vous savez que nous sommes le seul pays au monde à avoir un observatoire des prix et des marges. Des appels ont été lancés à l'échelle européenne pour davantage de transparence, que nous soutenons d'ailleurs. Cet observatoire nous permet de connaître les marges nettes par rayon, ce qui est inédit en Europe, et utile. Nous avons d'ailleurs joué le jeu dès le départ.

La livraison des marges nettes des grandes enseignes avec un an de décalage s'explique simplement : les comptes 2018 des entreprises n'ont pas encore été adoptés par les assemblées générales, et l'Observatoire a besoin de plusieurs mois de travail pour réaliser son rapport. Une fois ces comptes approuvés, ils seront naturellement communiqués.

Le rapport montre cette année deux choses. D'une part, que la marge nette des distributeurs a encore diminué, pour s'établir à 0,8 %. D'autre part, que les prix ne couvrent qu'une partie, non pas, monsieur Bénézit, des coûts de production, mais de l'objectif syndical, que je comprends, d'une rémunération intégrale du capital et d'une rémunération des producteurs équivalant à deux SMIC - ce qui ferait rêver les petits commerçants...

M. Patrick Bénézit. - Ce sont des propos scandaleux !

M. Jacques Creyssel. - Je vous rappelle les chiffres de la rémunération des agriculteurs en 2017, issus du rapport de l'OFPM que j'ai sous les yeux : 2,3 SMIC pour les cultures de vente, 2 SMIC pour les bovins, 1,8 SMIC pour les exploitations porcines, 1,6 SMIC pour les naisseurs-engraisseurs en jeunes bovins... À quoi s'ajoute la rémunération du capital. Nous sommes tous favorables à ce que l'ensemble des agriculteurs vivent dignement de leur métier, mais ne dites pas que leur rémunération est égale à zéro !

Que faire de plus ?, nous demandez-vous. Deux choses. D'une part, ce que le préambule du président de l'Observatoire suggère : remédier à l'absence de transparence sur le lait de la part des industriels. D'autre part, faire porter l'effort non pas seulement sur les industriels, les producteurs et les distributeurs, mais sur l'ensemble des entreprises industrielles françaises ou internationales - pour leur part française. Je suis par exemple frappé d'observer que la part française du résultat net de Nestlé, qui s'élève à 10,5 milliards de francs suisses, est inconnue ; de même que la part française de la marge nette de Coca-Cola, qui s'élèvera cette année à 25,7 % ; que la rentabilité des fonds propres d'Unilever sera de 52 % cette année... Nous devrions discuter de ces chiffres, car ils posent problème à nos entreprises qui, comme vous le savez, ne sont pas en très bon état.

M. Dominique Chargé. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur l'ordonnance relative aux coopératives publiée le 24 avril, qui nous inquiète beaucoup et vous inquiète également, vous qui êtes élus des territoires. Elle aura en effet pour conséquence de dénaturer profondément la relation entre un associé coopérateur et sa coopérative, et donc l'engagement des coopératives sur les territoires, en compliquant sa durabilité.

Nous étions pourtant d'accord sur un certain nombre de sujets : la formation et l'information des adhérents et des responsables, la transparence, et plusieurs points relatifs à l'amélioration de la gouvernance des coopératives. Coop de France a d'ailleurs produit un guide de gouvernance que les coopératives sont en train de s'approprier.

Je précise que la coopérative est un outil collectif détenu par les agriculteurs, qui en sont coresponsables et codécisionnaires dans le cadre de procédures démocratiques. La démocratie, vous le savez, est la plus mauvaise des manières de fonctionner à l'exception de toutes les autres. Elle se traduit par des choix qui dessinent des majorités et des minorités, et qui conduisent à décider, exécuter et rendre compte.

Si nous suivons le Gouvernement sur certains sujets, l'ordonnance dénaturera la particularité de ce mode de fonctionnement, posera problème pour la responsabilisation des responsables de coopératives, qui ne pourront plus décider en tant qu'acteurs durables de l'économie des territoires, et dissuadera un adhérent de s'intéresser à la stratégie de sa coopérative. Cet outil collectif vise la commercialisation de la production de chacun des adhérents ; il n'y a pas de contrat commercial au sens strict.

Le problème des prix abusivement bas peut se poser dans la relation entre la coopérative et ses clients. Nous étions en revanche défavorables à ce que les mesures prévues par l'ordonnance s'appliquent aux relations entre la coopérative et ses adhérents. Il ne s'agit pas de nous déresponsabiliser en matière de prix et d'accompagnement de nos adhérents ; c'est que nous n'avons pas le choix de l'arbitrage des volumes. Une fois les choix collectifs opérés, il faut les assumer. C'est, notamment en période de crise, un mode de gestion collectif un peu particulier.

Je le redis, l'ordonnance aura des conséquences importantes sur l'activité du monde agricole et agroalimentaire sur nos territoires. Nos marges de manoeuvre sont ténues. Nous continuons à travailler, comme nous l'avons toujours fait, avec le cabinet du ministre, même si l'arbitrage a probablement été fait ailleurs. Inquiets, nous comptons à présent beaucoup sur vous pour que les effets néfastes de cette mesure puissent être corrigés.

M. Patrick Bénézit. - Je conteste les propos de M. Creyssel. Nous savons lire le rapport de l'observatoire, qui est très clair. Cela fait des années que les coûts de production ne sont pas couverts. Et ils ne prennent pas en compte la rémunération des actionnaires... Un chiffre parle de lui-même : un prix de 3,70 euros pour tel animal, qui passe à 4,70 euros à la vente. Avec un écart d'un euro le kilo pour couvrir les coûts de production, les agriculteurs en viande bovine sont très loin de gagner le SMIC, et vous le savez très bien ! Sinon, la décapitalisation du cheptel français ne serait pas si avancée. Nous perdons des centaines d'éleveurs tous les ans ! Vos propos et la manière dont vous essayez de tordre les chiffres sont donc absolument scandaleux.

M. Richard Panquiault. - Je ne laisserai pas non plus passer les propos de M. Creyssel qui, après avoir avancé que les PME tiraient la croissance et que les grandes marques n'allaient pas bien, cite les résultats éclatants de certaines d'entre elles !

M. Jacques Creyssel. - Donnez vos chiffres !

M. Richard Panquiault. - Ils sont consultables sur Infogreffe !

En outre, M. Creyssel cite trois entreprises : deux d'entre elles connaissent un plan social, et leurs investissements publicitaires sont en chute libre. Cet indicateur, comme celui de l'emploi, donne une idée de la relative mauvaise santé des filiales françaises de ces groupes. Je ne cherche pas à faire pleurer sur nos adhérents, je dis que ces groupes internationaux ont de plus en plus de mal à investir en France. Se réfugier derrière des rapports annuels mondiaux et choisir comme indicateur la marge nette n'est pas une bonne méthode. En matière de rémunération du capital, le modèle de la distribution n'a rien à voir avec le modèle industriel.

M. Jacques Creyssel. - C'est pour ça qu'il n'y a pas de rentabilité des fonds propres !

M. Richard Panquiault. - Il y a enfin un fantasme sur le tripartisme. Je crois que l'on peut travailler sur des accords doublement bipartites ; le tripartisme, en revanche, s'apparente à une entente verticale. Nous, industriels, travaillons avec la distribution, qui est par ailleurs productrice de marques de distributeurs : c'est une limite naturelle à la transparence sur les comptes.

Mme Catherine Chapalain. - Je suis moi aussi choquée par les propos tenus par M. Creyssel, qui s'attaque ainsi très fortement aux entreprises de l'alimentaire. Ceux de Richard Panquiault sont tout à fait exacts.

En raison de la guerre des prix, l'industrie alimentaire est la seule à avoir subi une déflation depuis maintenant six ans : 5,5 milliards d'euros ont été détruits dans cette période, alors que l'inflation atteignait 4,4 %. Les résultats de l'alimentaire attestent d'un décrochage de compétitivité majeur, par rapport au reste de l'industrie manufacturière en France, et par rapport à nos concurrents européens. Nous le voyons aujourd'hui sur l'export, et on ne peut se lancer dans l'export sans être solide sur son marché domestique. Lors des États généraux, nous étions tous d'accord pour fixer un objectif de recréation de valeur. Nous n'y sommes pas encore. La vraie question est de se donner les moyens d'y parvenir.

Mme Véronique Le Floc'h. - Je reviendrai d'un mot sur le rapport de l'Observatoire. L'échantillon « bovins lait spécialisé plaine » est composé de 121 exploitations ; elles sont 62 dans l'échantillon « lait et culture de vente ». Et les échantillons ne sont pas représentatifs puisque les exploitations choisies font partie des 25 % les meilleures dans le cadre du dispositif Inosys. L'échantillon du réseau d'information comptable agricole (Rica), qui comprend un millier d'exploitations, est composé à 45 % d'AOP ou d'AOC. Les chiffres de rémunération des agriculteurs cités par M. Creyssel, qui sont bien dans le rapport, ne reflètent donc pas la réalité. Si l'on se fiait au rapport, il ne manquerait que 4 500 euros par exploitation laitière pour atteindre les deux SMIC, ce qui est totalement faux.

Un mot sur l'ordonnance relative aux coopératives. Notre contribution s'appuyait sur la faible rentabilité des coopératives françaises sur notre territoire. Les taux de marge nette tournent autour de 0,5 % ou 1 %, quand les autres coopératives européennes sont à 4 % ou 5 %, et Lactalis ou Danone à 8 % ou 9 % : on a le droit d'exiger de la transparence. L'ordonnance évoque la transparence des filiales, mais celles-ci appartiennent à des holdings ! La transparence ne sera donc jamais faite au niveau qui nous préoccupe. Yoplait, filiale de Sodiaal, se vante de vendre 19 000 yaourts à la minute, ce qui représente 4 000 euros de chiffre d'affaires, lesquels ne retombent jamais dans la poche des producteurs. L'Office fédéral allemand de lutte contre les cartels s'était penché sur la question, sans arriver à des conclusions satisfaisantes. Le problème n'est pas que français.

M. Daniel Gremillet, président du groupe de suivi. - Merci encore pour votre participation à cette table ronde qui, compte tenu du contexte, s'est très bien passée. Ce n'était pas forcément évident. Ce groupe de travail s'inscrira dans la durée. Deux points ont retenu notre attention : la montée en gamme - est-elle une réalité ? - et la part des produits français sur les marchés internationaux - son évolution sera-t-elle supportable par les producteurs et les consommateurs ?

M. Michel Raison, rapporteur. - Je m'associe aux remerciements de M. Gremillet. Nous sommes sensibles au travail fourni par nos invités à l'occasion de cette table ronde, dans lequel nous voyons une marque de respect pour le Sénat.

M. Bénézit parle de trous dans la raquette ; on ne réparera pas celle-ci avec une toile, car nous rendrions ainsi notre tissu commercial très administré. La question des promotions doit être reposée. Quelques PME pourraient ne pas passer les deux ans que durera l'expérimentation, uniquement à cause de ce problème. La demande n'est pas forcément issue des distributeurs, elle peut être une stratégie marketing du vendeur et il faut en tenir compte.

Une précision : nous avons traité des prix agricoles, mais non pas exactement du revenu agricole. Ne laissons pas croire que le revenu agricole n'est déterminé que par le prix du produit, et que celui-ci n'est déterminé que par les relations commerciales entre les producteurs et les distributeurs. Faisons donc bien attention à ne pas faire mourir tous les agriculteurs en nous focalisant sur un bouc émissaire !

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie tous d'avoir participé à cette table ronde, qui a été de bonne tenue. Les choses bougent difficilement ; je reconnais les marronniers des relations entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution que sont la transparence et la fixation des tarifs. Nous voyons cependant apparaître, ici ou là, de bonnes pratiques et de bonnes volontés. Ne les décourageons pas. Nous avons du travail, en tant que législateurs, pour continuer à suivre un certain nombre de dossiers issus de la loi Égalim.

Les pratiques sont très hétérogènes. La confection du prix de référence et la consolidation des indicateurs a fait l'objet de longs débats au Sénat et à l'Assemblée nationale. Nous nous pencherons également sur la situation des PME, de même que sur le problème des promotions - de produits périssables, saisonniers, sensibles, etc. -, sachant que le modèle marketing et commercial de l'agroalimentaire est fondé sur des promotions qui ne touchent pas nécessairement l'agriculture française.

Nous travaillerons également sur l'amélioration d'autres aspects de la loi - son article 44, par exemple, sur lequel le Sénat s'est beaucoup investi. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois et vous redis notre volonté de travailler avec vous, d'ici là, sur tous ces sujets.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 10.