Mardi 13 octobre 2020

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur - Examen du rapport pour avis

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons cet après-midi une succession de rapports législatifs.

Nous commençons par le rapport pour avis de notre collègue Jean-François Rapin sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur.

Le rapporteur va nous présenter ses conclusions ainsi que deux amendements. L'examen au fond de ce texte aura lieu demain matin en commission de la culture sur le rapport de notre collègue Laure Darcos.

M. Jean-François Rapin, rapporteur pour avis. - Après avoir repoussé à plusieurs reprises sa présentation, le Gouvernement a finalement déposé le 22 juillet dernier un projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030.

Au regard de l'impact de ces articles sur nos finances publiques, la commission des finances a souhaité s'en saisir pour avis.

Cette loi entend donner de la visibilité aux acteurs de la recherche, en dessinant une trajectoire à même de porter nos dépenses de recherche à 3 % du PIB à l'horizon de 2030, pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés dans le cadre de la stratégie de Lisbonne en 2000.

En effet, notre pays est confronté à un risque bien réel de décrochage par rapport aux autres pays à la pointe de la recherche. Je me contenterai de vous donner un chiffre que je trouve extrêmement parlant : la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) française représente 2,21 % du PIB, tandis qu'elle se situe en moyenne à 2,37 % dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais encore à 3,04 % en Allemagne, 3,21 % au Japon et même 4,55 % en Corée du Sud. Faisons-nous encore partie des grands pays de la recherche ? Il me semble que oui. Pourrons-nous en dire de même dans dix ans ? Si nous ne prenons pas aujourd'hui le sujet à bras-le-corps, rien n'est moins sûr.

En effet, alors que nos principaux concurrents consacrent une part croissante de leur richesse nationale à l'effort de recherche, nos dépenses publiques de recherche stagnent depuis une dizaine d'années, avec une croissance en volume de l'ordre de 1,3 % entre 2008 et 2018. La dépense de recherche des administrations a même reculé de 2,2 % entre 2015 et 2018.

Pendant ce temps, la concurrence internationale s'intensifie, avec notamment l'essor des dépenses de recherche de l'Inde ou de la Chine. Dès lors, un sursaut est nécessaire : si nous voulons conserver notre rang de grande puissance scientifique, il nous faut désormais investir massivement dans la recherche.

C'est l'objet du présent texte, qui entend rompre avec des années de stagnation budgétaire.

En pratique, l'article 1er prévoit d'approuver le rapport annexé au projet de loi, qui fixe les grandes orientations de notre politique de recherche pour les années à venir, tandis que l'article 2 définit la trajectoire budgétaire des programmes rattachés au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Je partage, dans les grandes lignes, les orientations de ce texte. Il s'agit, en premier lieu, de revaloriser les métiers de la recherche, pour engager un choc d'attractivité des carrières scientifiques.

Dans la compétition internationale actuelle, nous peinons à attirer les plus grands talents, mais surtout, et cela me semble encore plus alarmant, nous peinons à retenir nos chercheurs les plus prometteurs. L'exemple récent d'Emmanuelle Charpentier, lauréate française du prix Nobel 2020 de chimie ayant effectué l'intégralité de ses travaux à l'étranger, illustre bien cette fuite des cerveaux.

Le projet de loi vise également à consolider les outils actuels de financement et d'organisation de la recherche, en procédant, notamment à un renforcement sans précédent des moyens dédiés à l'Agence nationale de la recherche (ANR).

L'ANR bénéficierait ainsi, à l'horizon de 2027, de 1 milliard d'euros supplémentaires, permettant de doubler le taux de succès aux appels à projets, en le portant à 30 % contre 17 % actuellement. Cela correspond approximativement à la hausse de crédits que je réclame depuis trois ans dans le cadre de nos travaux sur le budget de la recherche.

L'impact conjoint du projet de loi et du plan de relance permettra de dépasser ce seuil de 1 milliard d'euros dès 2021, ce dont je me réjouis.

Si le renflouement de l'ANR était donc indispensable, il ne doit pas avoir pour corollaire une attrition des moyens récurrents dont disposent les laboratoires.

Par ailleurs, le redressement de l'ANR doit s'accompagner d'une simplification des procédures. En effet, trop souvent, les équipes de recherche sont confrontées à un véritable parcours du combattant quand elles candidatent auprès des différentes agences de financement. Je prends note des efforts d'ores et déjà engagés par l'ANR pour faciliter la participation des candidats aux appels à projets. À terme, la mise en place d'un portail unique de financement me semble néanmoins incontournable.

Des synergies pourraient également être trouvées avec les appels à projets régionaux ; à cet égard, les résultats des premières expérimentations d'appels à projets menées conjointement par l'ANR et certaines régions sont très encourageants.

Pour conclure sur les grandes orientations de ce texte, je regrette que certains pans de la politique de recherche soient passés sous silence. Je pense notamment au devenir du crédit d'impôt recherche (CIR), à l'articulation avec les échelons infra et supranationaux, à la participation française aux appels à projets européens. Le rapport annexé mentionne succinctement ces points, mais dans des termes qui me semblent trop flous et peu opérationnels.

J'en viens maintenant à l'article 2 et à la programmation budgétaire. Je vous l'ai dit, je partage les grandes orientations définies par le Gouvernement ; je suis en revanche nettement plus dubitatif quant à la traduction budgétaire de ces orientations.

En effet, sur le papier si j'ose dire, la trajectoire pourrait paraître satisfaisante : un investissement de 26 milliards d'euros dans la recherche française permettant d'augmenter de 5,1 milliards d'euros, à l'horizon de 2030, la dotation annuelle des programmes de recherche. Cependant, les choix programmatiques réalisés par le Gouvernement jettent un doute sérieux quant à la crédibilité et la sincérité de cette trajectoire.

J'attire votre attention sur le fait que la programmation ne tient pas compte des effets de l'inflation. Or, en euros constants, c'est-à-dire une fois neutralisés ces effets, la hausse prévue par la loi de programmation serait cinq fois inférieure à ce qui est annoncé à l'horizon de 2030. Les crédits annuels destinés à la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES) progresseraient donc de 1 milliard d'euros, et non de 5 milliards d'euros.

Ainsi, en cumulé sur la période, la recherche publique ne bénéficiera in fine que de 7,2 milliards d'euros, soit seulement un quart de l'effort annoncé ! Les 19 milliards d'euros restants seront en réalité destinés à maintenir stables les dotations du ministère au regard de l'inflation.

Bien évidemment, étant donné l'instabilité qui caractérise la conjoncture économique actuelle, ces prévisions n'ont qu'une valeur indicative. Elles mettent cependant en lumière le caractère très incertain de la trajectoire retenue.

De toute évidence, cette trajectoire ne permettra pas de porter les dépenses de recherche des administrations (Dirda) à 1 % du PIB. En effet, selon les projections que j'ai réalisées, il aurait fallu garantir une progression de 15 milliards d'euros de la Dirda à l'horizon de 2030 pour atteindre cet objectif. Or la loi de programmation prévoit un abondement de l'ordre de 5 milliards d'euros, soit le tiers de cette somme.

En réalité, la trajectoire du Gouvernement se borne donc à stabiliser la part des dépenses de recherche dans le PIB. Cette stabilisation constituerait déjà une avancée notoire, si elle était garantie par la loi. Mais la trajectoire me semble peu crédible au regard de la durée de la programmation retenue, à savoir dix ans. Le Conseil d'État l'a rappelé dans son avis : jusqu'à présent, aucune loi de programmation n'est allée au-delà de sept ans.

La trajectoire présentée par le Gouvernement est ainsi inutilement exposée à de nombreux aléas politiques et économiques, puisque les sous-jacents ayant servi de base à sa construction sont susceptibles de varier sensiblement durant la période.

L'Assemblée nationale a certes inséré une clause de revoyure afin d'actualiser la programmation au moins tous les trois ans. Il s'agira cependant d'ajuster de manière marginale la trajectoire budgétaire, pas de la corriger réellement.

Enfin, le choix d'une programmation sur dix ans se traduit également par des marches budgétaires annuelles relativement faibles et peu susceptibles de provoquer le sursaut dont notre recherche a tant besoin. Je présenterai donc un amendement visant à ramener à sept ans cette trajectoire, afin de concentrer l'effort budgétaire sur les deux prochaines années.

Concrètement, alors que le Gouvernement prévoit d'investir 1,26 milliard d'euros d'ici à la fin du quinquennat, l'amendement que je défends portera cet effort à 3,3 milliards d'euros.

Je voudrais conclure en évoquant le plan de relance. En effet, ce dernier devrait abonder à hauteur de 2,77 milliards d'euros la politique de recherche au cours des deux prochaines années.

Je regrette que les crédits budgétaires qui viendront abonder les crédits de la recherche dans les années à venir soient éclatés entre plusieurs textes : loi de programmation, plan de relance... Cette imbrication nuit à la clarté et à l'intelligibilité de la programmation budgétaire. Il demeure très difficile d'établir avec certitude le budget des programmes de la recherche en 2021 et 2022.

Je suis conscient des contraintes budgétaires actuelles. J'estime néanmoins que les deux premières années de la programmation seront essentielles pour notre recherche, et qu'il faut à tout prix prévoir une accélération conséquente de la trajectoire ; dans ce contexte, je serais favorable à ce qu'une partie supplémentaire des crédits dédiés à la relance vienne abonder la loi de programmation.

Pour conclure, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis témoigne d'une prise de conscience bienvenue quant à l'urgence de réarmer la recherche française. Il s'inscrit dans un effort de prospective inédit, et s'engage fermement en faveur d'une hausse durable des moyens dédiés à la recherche. Je partage très largement les grandes orientations de ce texte, et plus généralement, l'ambition qui l'anime. Mais justement, parce que je partage cette ambition, il me semble crucial d'aller plus vite et plus fort en ce qui concerne l'augmentation du budget de la recherche. Si la trajectoire qui nous est présentée a le mérite d'exister, il apparaît très clairement qu'elle ne pourra provoquer le sursaut dont notre recherche a tant besoin.

Je vous invite donc à voter les deux amendements visant à ramener cette trajectoire à sept ans. Ainsi amendée, la programmation budgétaire gagnera en crédibilité et en lisibilité, tout en permettant une montée en charge plus rapide et efficace des moyens dévolus à la recherche.

Je vous propose également d'émettre un avis favorable sur le projet de loi ainsi amendé.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur. J'invite chacun d'entre vous à voter ces deux amendements et à adopter le projet de loi ainsi modifié.

M. Jérôme Bascher. - Aujourd'hui, le monde public de la recherche est inquiet. Ce n'est d'ailleurs pas nouveau : il l'était déjà en 2005 lorsqu'a été créée l'ANR. Les choses ont-elles changé ? Sommes-nous toujours les meilleurs dans le domaine de la recherche en ce qui concerne les sciences humaines et sociales ? La réponse est oui. En revanche, sommes-nous devenus l'un des leaders en matière de recherche dans les secteurs de la santé ou des nouvelles technologies ? Ce n'est hélas ! pas le cas.

Je suis d'accord pour que l'on accorde des moyens à la recherche publique, mais il convient de bien identifier les secteurs dans lesquels on veut investir. Ce n'est pas parce que l'on ne peut pas être les premiers partout qu'il faut décider d'être les leaders nulle part.

D'ailleurs, quand on examine les chiffres sur une longue période, on s'aperçoit que c'est la recherche privée, et donc le CIR, et non la recherche publique, qui nous a permis de progresser. Comme l'a dit le rapporteur, il est scandaleux que cette loi de programmation se contente de prévoir une stabilisation des moyens dédiés à la recherche. Cela étant, il faut se demander s'il convient d'orienter davantage ces moyens vers le public ou vers le privé.

M. Vincent Delahaye. - Il conviendrait de clarifier l'intitulé du projet de loi et de préciser que c'est une loi de programmation de la recherche publique.

Je m'interroge à propos de cette programmation budgétaire : en 2021, l'effort serait de 221 millions d'euros en euros constants contre 357 millions d'euros en euros courants. Comment expliquer un tel écart ? Sur quelle hypothèse d'inflation vous êtes-vous fondé ?

M. Rémi Féraud. - Je partage la plupart des réflexions et des analyses budgétaires du rapporteur.

En effet, il me semble que ce n'est pas le meilleur moment pour proposer une loi de programmation. Celle-ci engagera l'exécutif lors des deux prochains quinquennats. Or je ne suis pas sûr que, après 2027, nos dirigeants se sentiront tenus de respecter les objectifs fixés.

Ce texte prévoit une trajectoire budgétaire qui manque de crédibilité et de sincérité. Au terme des dix ans, nous serons plus proches d'une hausse de 7 milliards d'euros que de 25 milliards d'euros. Il est rare qu'une loi suscite autant de déception dès sa présentation. C'est pourquoi nous soutiendrons l'amendement du rapporteur visant à ramener cette trajectoire à sept ans.

Dernière remarque, le champ de la loi de programmation est restreint. Le texte ne s'intéresse pas au devenir du CIR, ce qui est regrettable.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Je remercie notre rapporteur pour ces éléments éclairants. Pour préparer le redémarrage et aller vers une économie plus florissante, nous avons besoin d'une recherche dynamique, dotée de conditions de travail et de financement qui permettent aux chercheurs de se projeter vers l'avenir et de travailler dans la durée.

Dans le plan de relance, nous avons besoin de davantage de moyens en faveur de la recherche et notamment la recherche publique. Pour répondre aux propos de notre collègue Jérôme Bascher, la recherche publique en sciences humaines et sociales est également très importante, et je me flatte qu'elle occupe une place majeure dans notre pays. Cela fait partie de notre culture, de notre histoire, de notre attachement aux Lumières. Il faut rappeler notre attachement à la recherche publique, à la recherche en sciences sociales et lui donner les moyens d'exister. Au moins autant qu'à la recherche en sciences dures dont les retombées, technologiques, sont plus directes.

Nous avons un angle mort sur la question du CIR. À quoi ces crédits sont-ils réellement destinés ? Sont-ils tous opportunément utilisés par les entreprises pour de la recherche et développement (R&D) ? Nous savons que certaines entreprises financent, avec du CIR, des actions qui ne relèvent pas du domaine de la recherche, car le cadre juridique le permet. Cela brouille notre perception de la capacité de notre pays à soutenir la recherche, qu'elle soit publique ou réalisée dans les entreprises.

M. Jean-François Rapin, rapporteur pour avis. - Je partage les constats de Jérôme Bascher, mais je souhaite apporter un bémol sur la question de la recherche française en sciences humaines et sociales : en nombre de publications, la France est septième, mais nous constatons néanmoins un affaiblissement dans le domaine des sciences humaines et sociales depuis quelques années.

La question du CIR n'est que très brièvement évoquée dans le rapport annexé, sans que l'on sache vraiment pourquoi. Pourtant Bruno Le Maire l'a évoquée spontanément devant notre commission et il semble envisager d'autres pistes. Nous n'avons donc aucune certitude sur la façon dont le CIR perdurera. Les crédits sont certes maintenus dans le projet de loi de finances, mais nous ne savons pas ce qu'il adviendra, car il n'est pas sanctuarisé dans le cadre de ce projet de loi de programmation.

Les éléments sur l'inflation que nous avons utilisés pour nos calculs en euros constants sont issus du consensus forecast, ainsi que du rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2021. Ce sont des chiffres nationaux, issus de publications officielles et non contestés lors des auditions avec le ministère - nous avons plutôt inquiété le ministère. Les euros courants, dont je suis familier à la commission des affaires européennes, permettent d'annoncer des chiffres exceptionnels. Mais sur une période longue, les euros constants mettent en évidence des chiffres réduits. Il me semble que nous sommes dans le vrai : ces chiffres seront peut-être contestés par la ministre lors de la séance publique, mais ils ne l'ont pas encore été.

Les 26 - plutôt que 25 - milliards d'euros constituent une annonce forte, mais la réalité se rapproche davantage de 7 milliards d'euros.

Ce projet de loi traite essentiellement de recherche publique, mais il propose également des choses intéressantes sur l'interface public-privé.

Au regard des courbes et histogrammes que je vous ai présentés, l'objectif de 1 % du PIB me semble techniquement inatteignable.

Je fais une proposition simple et sincère à la ministre sur le plan de relance : la situation est compliquée, mais un effort massif sur les deux premières années est attendu ; je propose donc d'utiliser le plan de relance pour compenser le déficit de crédits. Mais à ce stade, la ministre sépare les deux outils.

Concernant la retraite, rien n'est intégré dans ce projet de loi de programmation. La portion congrue destinée à alimenter la recherche risque donc d'être encore amoindrie par les dispositions qui devront être adoptées en matière de retraite des chercheurs.

La question du contenu de la programmation concerne plutôt la commission de la culture. L'idée d'un groupe qui déterminerait une stratégie nationale de la recherche est souvent évoquée. Je n'aime pas trop le terme de saupoudrage qui est péjoratif et je reconnais que la ministre est de bonne volonté, mais nous avons l'impression que les financements sont répartis sur l'ensemble des secteurs, sans véritable vision. Par exemple, en matière d'énergies renouvelables, ne faudrait-il pas faire de l'hydrogène l'élément central d'une stratégie nationale de recherche ? Il manque peut-être une structure au niveau national. On peut espérer que l'ANR utilisera à bon escient les pouvoirs qui lui sont donnés...

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Jean-François Rapin, rapporteur pour avis. - L'article 1er repousse à la décennie 2030 l'atteinte des objectifs d'un effort en R&D à 3 % du PIB et d'un effort public de recherche à 1 % du PIB. Compte tenu de la hausse régulière et rapide des dépenses de R&D dans nombre de pays partenaires ou concurrents, nous devons être plus ambitieux en fixant l'atteinte de ces objectifs à 2027 au plus tard.

L'amendement FINC.1 ( COM-93) est adopté.

Article 2

M. Jean-François Rapin, rapporteur pour avis. - L'amendement FINC.2 ( COM-94) est la traduction technique et opérationnelle de l'amendement FINC.1 ( COM-93).

L'amendement FINC.2 ( COM-94) est adopté.

La commission émet un avis favorable sur les articles 1er et 2 du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur sous réserve de l'adoption de ses deux amendements.

Proposition de loi visant à réformer la procédure d'octroi de la dotation d'équipement des territoires ruraux - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons maintenant au rapport de notre collègue Bernard Delcros et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi visant à réformer la procédure d'octroi de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Nous examinons en effet aujourd'hui une proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey, qui vise à réformer la procédure d'octroi de la fameuse DETR, que les élus locaux connaissent bien.

Pour mémoire, cette dotation permet à l'État de subventionner des projets d'investissements portés par des communes - ou par leurs groupements - situés essentiellement en milieu rural. Elle est issue de la fusion en 2011 de la dotation globale d'équipement (DGE) et de la dotation de développement rural (DDR). En 2018, plus de 21 000 opérations en ont bénéficié. Les crédits de la DETR s'élèvent, en loi de finances initiale pour 2020, à 1 milliard d'euros. Leur montant avait progressé de près de 400 millions d'euros entre 2014 et 2017.

Si les décisions d'attribution de la dotation relèvent du seul préfet de département, le dispositif comporte néanmoins une particularité : l'institution d'une commission auprès de ce dernier, composée d'élus représentant les communes et leurs groupements ainsi que de parlementaires. Cette commission est notamment chargée de fixer chaque année les catégories d'opérations prioritaires et les taux minimaux et maximaux de subvention des projets. Elle est également saisie pour avis sur les projets pour lesquels la subvention proposée par le préfet est supérieure à 100 000 euros - c'était 150 000 euros avant 2018.

Je partage les préoccupations de l'auteur de la proposition de loi. Les règles d'octroi de la DETR sont respectées dans la très grande majorité des cas et, la plupart du temps, les relations entre la commission des élus, le préfet et les services de l'État ne posent pas de difficulté majeure. Toutefois, des dysfonctionnements ont pu être constatés localement : on a des exemples remarquables ! Mes propositions d'amendements, élaborées avec l'accord de l'auteur du texte, visent à trouver un juste équilibre entre transparence et efficacité des procédures.

L'article 1er concerne les critères d'éligibilité des communes à la DETR. Ces critères sont définis par la loi. Mais dans un département, nous avons pu constater que le règlement départemental établi sur proposition du préfet excluait par principe certaines communes pourtant éligibles au regard des critères définis par la loi. La rédaction du code général des collectivités territoriales qui résulterait de cet article 1er modifié par mon amendement de précision COM-2, permettrait de lever toute ambiguïté sur ce point.

L'article 2 comporte plusieurs dispositions qui visent à renforcer le rôle de la commission. L'article enrichit l'information apportée à la commission, qui aurait connaissance de tous les dossiers déposés, qu'ils aient ou non été retenus par le préfet pour l'attribution d'une subvention. C'est utile à la commission pour définir ses priorités et les taux de subvention. Bien qu'étant favorable à cette évolution, je vous proposerai néanmoins d'adopter un amendement COM-3 visant à préciser que cette nouvelle obligation d'information ne concernerait que les dossiers complets et recevables.

L'article 2 propose également que la commission soit saisie pour avis de tous les dossiers de demande de subvention, et non plus seulement des dossiers pour lesquels le préfet propose une subvention d'un montant supérieur à 100 000 euros. Cela me semble compliqué, car cela risque d'alourdir considérablement la procédure et d'en allonger les délais, au détriment de l'investissement des collectivités territoriales. Il faut laisser aux préfets une certaine souplesse, par exemple pour financer des projets urgents ou faire face à des imprévus. Je vous proposerai donc d'adopter un amendement COM-4 visant à abaisser ce seuil à 80 000 euros.

L'article 2 prévoit également que le préfet devra tenir compte des priorités retenues - cela semble aller de soi - et rendre compte de ses choix et des critères retenus pour l'attribution des subventions. Cela se fait déjà dans de nombreux départements - dont le mien -, mais manifestement pas partout.

L'article 3 vise à instaurer un droit à l'erreur pour les collectivités territoriales dans la constitution et le dépôt de leur dossier de demande de subvention au titre des dotations de l'État. Cette disposition est satisfaite par l'état actuel du droit. L'amendement COM-5 de suppression que je propose, en accord avec l'auteur de la proposition de loi, ne traduit donc en aucun cas une opposition de principe.

Enfin, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, en vue du dépôt des amendements de séance, je vous propose de considérer qu'entrent dans le périmètre de la proposition de loi des dispositions relatives à la procédure d'octroi de la DETR ainsi qu'à la composition, au rôle et aux compétences de la commission consultative des élus pour la DETR.

M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi. - L'objectif de cette proposition de loi est tout d'abord de poser des garde-fous, car, dans certains départements, les préfets édictent des critères d'éligibilité qui vont au-delà de la loi ou ne tiennent aucun compte de la priorisation. J'ai également souhaité renforcer le rôle de la commission, sans remettre en cause le pouvoir du préfet, grâce une transparence et une information accrues. Car lorsque le préfet communique la liste des seuls projets retenus, le rôle de la commission devient théorique...

J'avais, avec le rapporteur, une légère divergence sur la suppression du seuil. Mais nous sommes tombés d'accord sur un léger abaissement de ce seuil, afin d'éviter les risques d'effets pervers que le rapporteur a soulignés.

Je remercie le rapporteur de son travail d'amélioration du texte et souscris à ses amendements.

M. Claude Raynal, président. - Votre proposition de loi vient inscrire dans la loi un débat que j'ai connu dans mon département, qui a concerné l'ensemble de ces thématiques, qu'il s'agisse de l'information de la commission sur l'ensemble des demandes, du champ de son pouvoir consultatif, ou encore des critères précis de sélection des projets. Nous l'avions réglé à l'amiable avec le préfet - à l'exception toutefois de la question du seuil de subvention au-delà duquel un avis de la commission est requis, qui relève de la loi -, mais c'est une bonne chose de le formaliser dans tous les départements de France.

J'aurais une interrogation sur ce nouveau seuil à 80 000 euros. Avez-vous pu en mesurer l'impact ?

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Effectivement, en l'état actuel du droit, je rappelle que le préfet est seulement tenu d'informer la commission de tous les projets qu'il a retenus. Nous y ajoutons ceux qui ne sont pas retenus, afin de compléter l'information dont disposent les commissions dans l'ensemble des départements.

Nous ne disposons pas d'étude d'impact sur l'abaissement du seuil, mais le nombre de ces dossiers restera en tout état de cause limité et ne risque pas de saturer les travaux de la commission. L'avis de la commission concernera en revanche une part significative des crédits octroyés.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous aurions aussi besoin d'avoir une vision consolidée et territorialisée des dossiers déposés, car nous nous apercevons que certains territoires bénéficient peu des crédits de la DETR.

Se pose également la question des crédits accordés, mais non consommés. Une analyse plus complète serait nécessaire sur ce point. Cela relève parfois d'un problème d'ingénierie de moyens des collectivités. Dans d'autres cas, cela tient à la faiblesse des enveloppes et au caractère hâtif des dépôts de demandes de subvention. Ces crédits sont alors perdus, car non reconduits.

Tout ceci pose problème pour les territoires ruraux qui attendent plus d'équité dans les moyens qui leur sont alloués.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - La question des crédits non consommés nécessite effectivement un suivi très fin à l'échelle de chaque département : dans certains cas, les projets sont abandonnés ; dans d'autres, les prix ont évolué au moment de l'appel d'offres par rapport à l'estimation initiale du maître d'oeuvre. Grâce à un suivi attentif de ces dossiers, il faudrait pouvoir redéployer ces crédits au sein du département en cours d'année, sans laisser passer l'année civile.

En outre, sur ce sujet, le texte de la proposition de loi prévoit justement que les délibérations de la commission s'ouvrent sur une présentation par le préfet de la répartition territoriale des opérations retenues.

M. Marc Laménie. - Je remercie notre rapporteur et notre collègue auteur de cette intéressante proposition de loi. L'État reste en effet le premier partenaire des projets d'investissement portés par les communes. Une partie des crédits de la réserve parlementaire se retrouve-t-elle dans les crédits de la DETR ?

Dans chaque département, deux députés et deux sénateurs siègent à la commission. Mais quel est notre pouvoir ? Certes, nous votons le budget de l'État et la mission « Relations avec les collectivités territoriales » dans laquelle les crédits de la DETR sont inscrits. Mais nous n'avons pas beaucoup la main... La répartition ne se fait-elle pas sous l'autorité des préfets et des sous-préfets, par arrondissement, en fonction du nombre d'habitants ?

Certaines communes sont subventionnées pour deux ou trois dossiers, d'autres pour un seul : c'est très subjectif et très variable. Les dossiers sont aussi parfois complexes à remplir.

M. Jérôme Bascher. - Cette proposition de loi est très bienvenue. Les lois de la République doivent s'appliquer partout de la même façon et il est dommage que certains préfets aient une lecture restrictive de la loi. Or, comme nous faisons la loi, nous devons aussi en contrôler l'application.

Le Président de la République vante sans cesse le couple maire-préfet. Mais je suis également pour le renforcement du couple préfet-parlementaire. Nous avons abandonné, de gré ou de force, la réserve parlementaire. Nous avons un pouvoir de vision, mais pas de supervision, car nous ne voyons pas tous les dossiers. Nous avons besoin a minima d'avoir l'information.

Je suis pour renforcer le pouvoir des parlementaires et j'ai cosigné l'amendement de notre collègue Corinne Imbert afin que le nombre de parlementaires présents dans la commission passe à trois députés et trois sénateurs lorsque le nombre de parlementaires du département atteint ou dépasse sept. Nous parlementaires avons un peu plus de poids sur le préfet que le maire de telle ou telle commune. Cela renforcerait le pouvoir du parlementaire, dont il s'est dépossédé en perdant la réserve parlementaire.

M. Éric Bocquet. - Quel est le montant moyen des subventions accordées aux communes au titre de la DETR ? Nous nous félicitons de l'augmentation des crédits de la DETR qui atteignent un milliard d'euros, mais cela reste toujours six fois moins que le crédit d'impôt recherche dont nous ne connaissons pas toujours la destination en termes d'embauche de chercheurs !

M. Claude Raynal, président. - C'était un lien osé...

M. Didier Rambaud. - Sur la question des crédits non consommés, sachez que le conseil départemental de l'Isère a mis en place un système de bonus-malus : les communes qui ne consomment pas leurs crédits ont un malus, au profit des communes qui jouent bien le jeu.

M. Patrice Joly. - Je m'interroge sur l'articulation entre DTER et dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), car les dépenses éligibles sont équivalentes. S'agissant d'aides financières relativement proches, ne devrait-on pas les fusionner ? Cela pose aussi la question de la maîtrise de l'ingénierie financière des petites collectivités locales qui s'y perdent un peu.

M. Michel Canevet. - Ne serait-il pas opportun que les membres de la commission aient communication des subventions allouées l'année précédente ?

M. Claude Raynal, président. - Vous pourrez amender le texte en ce sens en séance si vous le souhaitez.

Mme Frédérique Espagnac. - Je voudrais également saluer cette proposition de loi. L'application est à géométrie variable : dans le département des Pyrénées-Atlantiques, les communes qui n'étaient pas favorables à la réintroduction de l'ours ont été pénalisées sur leurs dotations de DETR. C'était presque du chantage de la part du préfet ! C'est un cas extrême, mais il faut le dire.

Je remercie Bernard Delcros avec lequel j'ai longuement échangé. J'aurais préféré un seuil à 50 000 euros, mais j'accepte le seuil de 80 000. Il faut toutefois qu'il y ait aussi une communication pour les dossiers en dessous du seuil. La proposition de loi de nos collègues Yannick Botrel et René Vandierendonck avait permis aux parlementaires de faire leur entrée dans la commission. Nous devons y renforcer le rôle des élus et des parlementaires.

Tous les crédits de la réserve parlementaire se retrouvent-ils dans la DETR ? Je n'en suis pas certaine : nos territoires y ont beaucoup perdu.

Sans aller jusqu'à un bonus-malus, nous avons besoin, à un moment de l'année, d'un état des lieux de la consommation des crédits ainsi que d'un glissement ou un refléchage des crédits, afin qu'ils ne soient pas perdus pour le territoire.

Je remercie l'auteur et le rapporteur du travail fort utile qu'ils ont réalisé et dont nous avons tous besoin sur nos territoires.

M. Jean-Marie Mizzon. - Je suis favorable à cette proposition de loi.

Je fais un constat sur mon département qui peut être généralisé : si le préfet est tenu par certaines règles sur la question de l'éligibilité, il est relativement libre sur l'intensité de l'aide accordée. Or les communes riches demandent beaucoup de subventions, tandis que les communes qui le sont moins regardent passer les trains. C'est une forme d'injustice. Ne pourrait-on pas tenir compte de la capacité contributive des collectivités ? Cela vaut pour la DETR, mais aussi pour d'autres aides.

Je rejoins Jérôme Bascher sur l'importance du rôle des parlementaires. Les maires sont souvent consommateurs de DETR, ce qui leur enlève un peu de courage.

M. Jean-Michel Arnaud. - Les enveloppes sont souvent notifiées très tardivement au préfet : parfois en août, voire en octobre. Il peut alors être difficile d'engager puis de consommer ces crédits dans de bonnes conditions. Nous aurions besoin de plus d'information sur la date de la notification ; cela permettrait de mieux répartir la dotation.

M. Victorin Lurel. - Sommes-nous bien informés du montant de la dotation reçue par le préfet ? Ne pourrait-on pas disposer d'un bilan afin de savoir ce que perdent les départements lorsqu'ils ne consomment pas tout ?

M. Hervé Maurey. - Quand la réserve parlementaire - dont j'ai été un farouche défenseur - a été supprimée, le Gouvernement nous avait promis un autre dispositif qui n'est jamais venu. Il nous a ensuite annoncé qu'il allait abonder l'enveloppe de la DETR. Cela a peut-être été le cas au niveau national, mais cela ne s'est pas toujours répercuté au niveau local. Dans mon département, nous n'avons eu aucune augmentation des crédits de la DETR, voire plutôt une diminution. La suppression de la réserve parlementaire a vraiment été un marché de dupes, car les promesses n'ont pas été tenues.

M. Claude Raynal, président. - On le subodorait dès le départ...

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Aucun d'entre nous n'approuve la suppression de la réserve parlementaire, qui était un dispositif utile pour de nombreuses communes. Elle permettait soit de financer des projets non éligibles à d'autres financements, soit de boucler un plan de financement. Le plus souvent pour de petits projets.

La suppression de la réserve parlementaire aurait dû augmenter les crédits de la DETR, mais celle-ci n'a été abondée que de 50 millions d'euros supplémentaires, ce qui est loin de correspondre aux montants de la réserve parlementaire.

La répartition des crédits par arrondissement est variable selon les départements. Dans mon département, cette répartition est faite d'un commun accord entre le préfet et la commission, sans forcément retenir le critère de la population qui défavoriserait la ruralité.

Sur la question du renforcement du rôle des parlementaires au sein de la commission, un amendement a pour objet de porter leur nombre à trois députés et trois sénateurs. J'y suis favorable, mais je pense néanmoins qu'il faut poser une limite, afin que cette commission trouve son équilibre, qu'elle reste une commission d'élus locaux, dans laquelle le nombre de parlementaires ne dépasse pas le nombre des élus locaux.

S'agissant de la moyenne des projets, mais si l'on projette l'enveloppe globale de la DETR, 1 milliard d'euros, sur les 21 000 opérations subventionnées en 2018, on obtient un montant d'un peu moins de 48 000 euros par projet.

En ce qui concerne l'idée d'un bonus-malus pour les communes qui ne consomment pas, il faut faire attention au fait que souvent les petites communes n'ont pas les services administratifs nécessaires pour élaborer et suivre les dossiers de ce type. En outre, certains appels d'offres aboutissent à des montants inférieurs à ceux prévus initialement. On ne peut donc pas généraliser cette idée. Pour autant, nous devons nous poser la question des crédits non consommés et réfléchir à une solution afin qu'ils ne soient pas totalement perdus pour le département en question. Peut-être pourraient-ils être reportés sur l'année suivante ? Dans mon département, la DETR est de l'ordre de 11 millions d'euros et environ 300 000 euros sont perdus chaque année pour notre territoire.

Patrice Joly a évoqué l'idée de fusionner la DETR et la DSIL. Il serait sage de bien mesurer l'ensemble des conséquences d'une telle décision avant de la prendre. La DSIL finance notamment les contrats de ruralité, tandis que la DETR permet de financer d'autres types de projets. D'ailleurs, lorsque la DGE et la DDR ont été fusionnées en 2011 pour créer la DETR, je ne suis pas certain que les collectivités y aient gagné...

Frédérique Espagnac a évoqué une application à géométrie variable des textes qui régissent la DETR. Cette proposition de loi vise justement à mieux organiser les choses pour éviter de telles dérives.

Je rappelle une nouvelle fois que ce texte prévoit que toutes les demandes, dès lors que les dossiers seront complets et recevables, devront faire l'objet d'une information de la commission. Aujourd'hui, seuls les projets retenus par le préfet doivent faire l'objet d'une telle information. Grâce à cette proposition de loi, les membres de la commission auront donc une idée des projets qui n'ont pas été retenus par le préfet, ce qui éclairera leurs travaux et leur donnera une vision d'ensemble.

En ce qui concerne la répartition des dotations, sujet évoqué notamment par Jean-Marie Mizzon, il est exact que les communes les plus riches peuvent davantage y faire appel, tout simplement parce qu'elles disposent d'une capacité d'autofinancement plus importante. C'est un sujet sur lequel il est intéressant de travailler, mais plutôt au niveau de chaque département.

Jean-Michel Arnaud a évoqué la date de notification des enveloppes départementales. En règle générale, elle a plutôt lieu en début d'année et les communes reçoivent les arrêtés de subventions en avril. C'est du moins le cas dans mon département, mais peut-être y a-t-il là encore une problématique locale spécifique.

Dernier point, l'année de suppression de la réserve parlementaire a aussi été celle de la modification de certaines conditions d'éligibilité à la DETR et de la prise en compte de la révision du périmètre des intercommunalités et il est vrai que la dotation a alors diminué dans certains départements, et augmenté dans d'autres.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement COM-2 de précision rédactionnelle est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Nous avons évoqué la question de l'amendement COM-1 rectifié bis qui porte à trois le nombre de députés et de sénateurs dans la commission DETR de certains départements. J'y suis favorable, sous réserve de l'adoption du sous-amendement rédactionnel COM-6 qui se borne à rétablir la précision existant dans le droit en vigueur sur la manière dont ces parlementaires sont désignés.

Mme Christine Lavarde. - Je me pose une question plus générale. Certaines situations sont atypiques - par exemple, dans mon département, une seule commune est éligible à la DETR. Est-il nécessaire de réunir une commission départementale dans de telles situations ?

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Je rappelle que cette proposition de loi ou cet amendement ne vise pas à créer une commission, mais à en modifier la composition dans certains départements. La présence de parlementaires a été décidée à la suite de la suppression du cumul des mandats. En créant cette commission, le Parlement a souhaité que les élus aient un droit de regard sur les décisions du préfet.

Le sous-amendement COM-6 est adopté. L'amendement COM-1 rectifié bis, ainsi modifié, est adopté.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à préciser que seuls les dossiers déclarés complets et recevables sont portés à la connaissance de la commission, afin que celle-ci ne se trouve pas inondée d'informations.

L'amendement COM-3 est adopté.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à abaisser de 100 000 à 80 000 euros le seuil de subvention au-delà duquel une saisine pour avis de la commission est requise - nous en avons également parlé.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. Bernard Delcros, rapporteur. - En accord avec Hervé Maurey, l'amendement COM-5 propose de supprimer l'article 3, car son objet est satisfait par le droit en vigueur. L'article R. 2334-23 du code général des collectivités territoriales prévoit en effet que - je cite - « dans un délai de trois mois à compter de la date de réception du dossier de demande de subvention, le préfet informe le demandeur du caractère complet du dossier (...) ou réclame la production des pièces manquantes. Dans ce dernier cas, le délai est suspendu. En l'absence de notification de la réponse de l'administration à l'expiration du délai de trois mois, le dossier est réputé complet. ».

M. Hervé Maurey. - J'ai donné mon accord à cet amendement, mais je signale tout de même que la disposition citée par le rapporteur relève du domaine réglementaire, pas législatif. En outre, il existe des situations où des dossiers sont refusés, parce qu'il manque des documents, notamment des avis de l'architecte des bâtiments de France.

Mme Frédérique Espagnac. - C'est un point important, parce que ces dossiers n'ont pas pu être présentés par la suite.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Il est évident qu'il faut faire appliquer le droit !

L'amendement COM-5 est adopté et l'article 3 est supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le périmètre de la proposition de loi est adopté.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. DELCROS

COM-2

Amendement de précision

Adopté

Article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme IMBERT

COM-1 rect. bis

Relèvement du nombre de députés et de sénateurs présents à la commission DETR dans les départements comptant au moins sept parlementaires

Adopté avec modification

M. DELCROS

COM-6 (s/amdt)

Sous-amendement rédactionnel

Adopté

M. DELCROS

COM-3

Précision des conditions dans lesquelles les demandes de subvention sont portées à la connaissance de la commission consultative

Adopté

M. DELCROS

COM-4

Abaissement à 80 000 euros du montant de subvention proposé par le préfet au-delà duquel une saisine pour avis de la commission est requise

Adopté

Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. DELCROS

COM-5

Amendement de suppression

Adopté

Proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales et proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales - Examen du rapport pour avis

M. Charles Guené, rapporteur pour avis. - Notre commission des finances s'est saisie pour avis de la proposition de loi constitutionnelle n° 682 (2019-2020) et de la proposition de loi organique n° 683 (2019-2020) déposées, notamment, par notre collègue Philippe Bas et notre ancien collègue Jean-Marie Bockel. Ces deux textes qui contiennent de nombreuses dispositions visant à assurer le plein exercice des libertés locales sont la traduction au plan législatif des travaux sur l'avenir de la décentralisation conduits sous la présidence de Gérard Larcher cette année.

Parmi l'ensemble des mesures que comportent ces propositions de loi, deux ont justifié que notre commission se saisisse pour avis. La première concerne la révision des modalités de compensation des charges transférées aux collectivités territoriales avec la consécration du principe « qui décide paie ». La seconde concerne la redéfinition du périmètre des ressources propres des collectivités territoriales.

Sur la question des compensations des transferts de charges, je me contenterai de vous rappeler l'essentiel du contexte dans lequel nous évoluons.

D'une part, les dispositions constitutionnelles et organiques n'imposent de compenser intégralement les collectivités territoriales des dépenses mises à leur charge que dans deux cas : lorsqu'une compétence leur est transférée par l'État et lorsque les conditions d'exercice d'une compétence obligatoire sont modifiées par un acte réglementaire qui ne présente par le caractère d'une mesure générale. Ainsi, une compétence transférée entre collectivités territoriales n'ouvrira pas droit au versement d'une compensation intégrale, l'augmentation du point d'indice de la fonction publique non plus.

D'autre part, et sous réserve qu'elle présente un caractère obligatoire, la création, l'extension ou la modification des conditions d'exercice d'une compétence par voie législative n'impose que de verser une compensation, dont la nature et le montant ne sont pas incompatibles avec les principes d'autonomie financière et de libre administration.

Enfin, rien ne contraint l'État à réévaluer le montant des compensations compte tenu de l'évolution du coût d'exercice d'une compétence.

Ce rappel fait, vous n'ignorez pas que beaucoup de collectivités territoriales ont le sentiment de faire face, du fait des décisions de l'État, à des charges croissantes sans que soient mises en face les ressources nécessaires. C'est dans le souci de répondre à cette problématique que Philippe Bas et Jean-Marie Bockel ont souhaité inscrire dans la Constitution deux principes nouveaux.

Tout d'abord, tout transfert, création, extension ou modification des conditions d'exercice de compétence décidé par l'État et supporté par les collectivités territoriales devra faire l'objet d'une compensation intégrale - qui décide paie !

Ensuite, le montant de ces compensations devra être réévalué régulièrement.

Je souscris entièrement au principe « qui décide paie », mais je pense que le dispositif de réévaluation proposé peut être amélioré. Il me semble en effet que proposer une réévaluation régulière, c'est-à-dire une actualisation en loi de finances du montant des compensations, n'est pas nécessairement la méthode la plus satisfaisante.

Ce qu'il faut chercher à construire, c'est une gouvernance nouvelle par laquelle l'adéquation des ressources et des charges des collectivités territoriales serait régulièrement réinterrogée. Dans ce cadre, la réévaluation financière des compensations ne serait que l'une des options possibles et on pourrait imaginer, par exemple, de décider de redimensionner certaines compétences.

Nous avons échangé sur ce point avec les deux rapporteurs de la commission des lois, saisie au fond, Mathieu Darnaud et Françoise Gatel. Nous sommes d'accord pour que, plutôt qu'une réévaluation régulière, la Constitution impose un réexamen régulier des compensations. Il reviendra au législateur organique de préciser - d'inventer ! - cette nouvelle forme de gouvernance.

Sur la question des ressources propres, sur laquelle notre commission est saisie, je vais tâcher, là aussi, de présenter les paramètres essentiels.

Comme vous le savez, la Constitution dispose que les ressources propres représentent une part déterminante de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. C'est le principe d'autonomie financière. Une loi organique de 2004 est venue préciser deux points centraux : la nature de ces ressources propres et la notion de part déterminante.

Les ressources propres telles qu'elles sont définies par la loi organique présentent un caractère plutôt extensif. Au plan fiscal, il s'agit des recettes, sur lesquelles les collectivités territoriales exercent un pouvoir de taux ou d'assiette, mais également celles sur lesquelles elles n'en exercent pas, c'est-à-dire la fiscalité transférée. À titre d'exemple figurent dans la première catégorie la taxe foncière ou les droits de mutation à titre onéreux, tandis que figure dans la seconde catégorie la fraction de TVA affectée aux régions ou encore la taxe intérieure sur les produits énergétiques.

Les ressources propres interviennent dans la détermination des ratios d'autonomie financière qui ne sont rien de plus que le rapport entre les ressources propres et l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. Lorsque l'on dit que ces ressources propres doivent représenter une part « déterminante », on indique en réalité que le niveau des ratios d'autonomie financière doit demeurer supérieur à un certain seuil. En l'espèce, celui-ci est fixé par la loi organique et correspond à la situation constatée en 2003.

Sur le plan juridique, le fait que les ratios d'autonomie financière demeurent bien supérieurs à leur valeur de 2003 présente un caractère impératif. En effet, si une mesure législative devait les conduire en dessous des planchers, le juge constitutionnel censurerait. De même, si ces ratios demeuraient en dessous des planchers plus de deux ans, le législateur serait contraint d'adopter des mesures correctives en loi de finances sous peine de censure par le Conseil constitutionnel.

Actuellement, ces ratios sont très hauts : 71,4 % pour les communes, 74,4 % pour les départements et même 77,4 % pour les régions. Il est vrai qu'avec une définition aussi extensive de la notion de ressources propres il pouvait difficilement en être autrement... Comme l'indiquait notre collègue député Charles de Courson : « Supprimons toute la fiscalité locale et remplaçons-la par des prélèvements sur les impôts nationaux et le taux d'autonomie financière progressera encore... »

C'est dans ce contexte que les deux textes que nous examinons proposent de faire la vérité sur l'état et le devenir du pouvoir fiscal des collectivités territoriales. À cette fin, elles prévoient d'exclure du périmètre des ressources propres toutes les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités n'exercent aucun pouvoir de taux ou d'assiette. Je suis parfaitement d'accord avec la nécessité de faire la vérité sur la question du pouvoir fiscal des collectivités, alors que les réformes de la taxe professionnelle, de la taxe d'habitation et - bientôt - des impôts de production ont profondément modifié la physionomie de la fiscalité locale.

Toutefois, dans la mission de rapporteur pour avis que la commission des finances a bien voulu me confier, il m'a semblé important d'évaluer les conséquences d'une telle mesure. Il va sans dire que, si l'on retenait la définition proposée, les ratios d'autonomie financière se contracteraient à court terme. C'est l'évidence même, puisque l'on restreint le périmètre de ces ressources. Mais quelle serait la dynamique de cette contraction compte tenu des réformes de la taxe d'habitation et des impôts de production qui substituent des impôts nationaux à des impôts locaux ?

Pour information, nos collègues proposent d'actualiser les planchers des ratios d'autonomie financière en référence à la situation constatée en 2020. En tenant compte de ces paramètres, j'ai cherché à estimer de combien les ratios d'autonomie financière s'éloigneraient de leur plancher après la mise en oeuvre des réformes de la fiscalité locale. En l'espèce, une fois la réforme de la taxe d'habitation achevée, le ratio d'autonomie financière du bloc communal s'établirait 5,4 points en dessous du plancher et celui des départements 21,4 points. Pour bien saisir l'ampleur du phénomène, on peut relever que les ressources vraiment « propres » des départements représenteraient environ 33 % de l'ensemble.

La définition proposée permet indéniablement de mettre à jour l'érosion du pouvoir fiscal des collectivités territoriales, mais elle nous place également devant une situation difficile. Comme je l'ai indiqué, si les ratios d'autonomie financière ne sont pas conformes aux planchers organiques, alors le législateur est constitutionnellement et organiquement tenu de prendre les mesures de correction qui s'imposent. En pratique, cela signifie que le législateur devra territorialiser des impôts nationaux ou créer de nouveaux impôts locaux pour un montant de l'ordre de 21,6 milliards d'euros après la réforme de la taxe d'habitation.

Or nous savons combien il est difficile, sur le plan technique et politique, d'augmenter la pression fiscale, de trouver la bonne formule pour territorialiser la base d'un impôt national ou encore de réduire les inégalités de richesse fiscale entre les collectivités.

Dans ces conditions, il nous appartient de faire un choix. Faut-il rejeter la définition qui nous est proposée et continuer de travailler avec un instrument - les ressources propres - qui ne représente plus grand-chose ? Ou faut-il plutôt accepter ce que cette nouvelle définition nous révèle de l'état du pouvoir fiscal des collectivités territoriales, tout en s'interrogeant sur les conséquences qu'on en tire ? Je plaide pour la seconde option.

En lien avec les rapporteurs Mathieu Damaud et Françoise Gatel, nous avons convenu que la proposition tendant à exclure du champ des ressources propres les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités n'exercent aucun pouvoir de taux ou d'assiette devait être soutenue.

Cependant, il est souhaitable dans le même temps d'amender la règle, selon laquelle ces ressources propres représentent une part déterminante de l'ensemble de ressources des collectivités. Nous préférons qu'à l'avenir elles représentent une part « significative » de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. Cette notion n'est pas définie par les textes en vigueur, ce qui signifie qu'il reviendra au législateur organique de consulter et de trancher pour en définir la nature et la portée. Pour mémoire, en 2003, le Sénat avait proposé un seuil minimal de 33 %. Cela ne préjuge en rien de la solution qui sera retenue, mais montre que le choix de ratios fixés en référence à une année particulière n'a rien d'évident et peut être remis en cause.

Enfin, et à titre personnel, j'ai rappelé l'attachement que je porte à la nécessité d'accompagner cette réflexion sur le renforcement du pouvoir fiscal des collectivités d'un travail d'ampleur sur la péréquation. La péréquation n'est pas simplement « l'intendance qui suivra » ; elle est le corolaire essentiel du pouvoir fiscal et ne peut pas être discutée après ou dans l'urgence. Elle doit au contraire être discutée de concert, en tant qu'elle est la condition de succès d'une réforme du pouvoir fiscal des collectivités territoriales.

À la suite de mes échanges avec nos collègues rapporteurs de la commission des lois, je propose de les laisser eux-mêmes porter par amendement les modifications que j'ai évoquées devant vous. Sous cette réserve, je formule l'avis que la commission des finances se montre favorable à l'adoption de l'article 5 de la proposition de loi constitutionnelle et de l'article 4 de la proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales.

M. Claude Raynal, président. - On le voit, la sémantique est particulièrement importante...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce rapport nous montre que le sujet est complexe et qu'il ne faut pas grand-chose pour que l'édifice de finances locales devienne bancal. Je m'en remets naturellement à la sagesse de notre rapporteur, tout en attirant votre attention sur la difficulté de trouver un point d'arrivée équilibré et stable et sur le fait que nous devons éviter les effets d'annonce.

M. Sébastien Meurant. - La disparition de la taxe d'habitation n'est pas encore complètement digérée et cette réforme est une source d'inquiétude, notamment pour les collectivités locales qui y perdent. Toucher aux équilibres constitutionnels et organiques actuels ne peut qu'accroître ces inquiétudes. Par conséquent, est-ce le bon moment pour proposer ces modifications ?

M. Victorin Lurel. - Je comprends l'esprit du texte, moins sa forme !

Je dois d'abord dire qu'il serait préférable d'avoir une vision globale des textes qui nous sont proposés. Ensuite, je suis étonné qu'au regard de leur portée le Conseil d'État n'en ait pas été saisi et que nous ne disposions pas d'une étude d'impact. Si l'on veut éviter un texte d'affichage, il faut travailler de manière transpartisane ! Je crois que nous sommes tous d'accord pour que les collectivités aient plus de libertés, mais les élus demandent aussi de la stabilité et de la sécurité juridique.

En ce qui concerne l'article 5 de la proposition de loi constitutionnelle, rappelez-vous, mes chers collègues, les très longs débats que nous avons eus en 2003 à propos de l'expression « part déterminante » ! Nous avons passé plusieurs séances de nuit sur la sémantique... Pour autant, je comprends le lien présenté par le rapporteur entre la modification de la définition des ressources propres et l'utilisation du bon adjectif - déterminant, significatif...

L'article 6 de ce texte porte sur les outre-mer et beaucoup estiment que ces propositions sont faites de manière précipitée. Qui plus est, elles sont à notre sens mal rédigées. La fusion des articles 73 et 74 de la Constitution est très attendue outre-mer, mais elle impliquerait, à budget constant, un redéploiement financier important entre les collectivités d'outre-mer et les départements et régions d'outre-mer, ce qui fera évidemment débat, voire querelle, d'autant plus que ce type de redéploiement est traditionnellement décidé dans le secret de quelques bureaux ministériels parisiens... En tout cas, nous ne disposons pas là non plus d'évaluation ou d'étude d'impact.

Par ailleurs, nous ne voyons pas clairement l'utilité de modifier l'article 1er de notre Constitution qui pose les bases de l'organisation de notre pays.

Nous avons aussi un problème sur l'article 3, en particulier en ce qui concerne les écarts de représentation. Il faudrait au préalable évaluer les conséquences, notamment budgétaires, de ces modifications.

Dernier point, nous soutenons l'idée de mettre en place une loi de financement des collectivités territoriales. Ce serait un outil intéressant pour aller dans le sens voulu par les auteurs des deux textes qui nous sont soumis aujourd'hui.

M. Charles Guené, rapporteur pour avis. - Avant de répondre à ces interventions, je dois d'abord dire que nous avons disposé de très peu de temps pour examiner ces textes et que c'est la commission des lois qui en est saisie au fond.

Il est clair que ces textes révèlent un véritable besoin de revoir les choses ! Aujourd'hui, l'État fait à peu près ce qu'il veut et nous ne pouvons pas contester l'idée qu'il faut modifier cette situation.

Imposer une part « déterminante » ou « significative » est directement lié à la définition des ressources propres : si on restreint cette notion, on ne peut pas conserver l'adjectif « déterminant ». Dans ces conditions, soit on s'oppose à la proposition de loi, soit on aménage le dispositif.

L'examen de ces textes nous permet finalement de nous pencher - de nouveau ! - sur la question de la fiscalité locale qui est obsolète. La fiscalité locale doit répondre aux besoins réels des collectivités, ce qui pose la question de la péréquation. Mais on ne peut évidemment pas régler ce problème en cinq minutes...

En ce qui concerne la taxe d'habitation, je reste favorable à l'existence d'un impôt citoyen, mais nous sommes bien obligés de prendre en compte la manière dont les choses évoluent et l'augmentation de la part des impôts nationaux dans les finances locales. Comme je le disais, il faudrait apporter plus de 21 milliards d'euros de fiscalité locale pour retrouver la situation antérieure et ce chiffre ne prend pas en compte la baisse attendue des impôts de production.

Enfin, le rapport que je vous propose contient un certain nombre d'éléments financiers sur l'impact de ces textes, mais uniquement concernant les aspects sur lesquels nous avons estimé devoir circonscrire notre saisine pour avis.

M. Claude Raynal, président. - Le rapporteur pour avis propose à la commission des finances, sous réserve de la prise en compte de ses observations, de donner un avis favorable sur l'article 5 de la proposition de loi constitutionnelle n° 682 et sur l'article 4 de la proposition de loi organique n° 683.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 17 h 30.

Mercredi 14 octobre 2020

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous revenons à une pratique de réunion en partie présentielle, et en partie en visioconférence.

Tout d'abord, je vous informe que la nomination des rapporteurs spéciaux est reportée à la semaine prochaine car il reste quelques ajustements à réaliser avec le rapporteur général.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis (en téléconférence)

La commission demande à se saisir pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, sous réserve de sa transmission, et nomme M. Christian Klinger rapporteur pour avis.

Présentation des conclusions du groupe de travail sur les coûts et le financement du Grand Paris Express - Communication (en visioconférence)

M. Claude Raynal, président. - Dans le cadre de son programme de contrôle adopté le 22 janvier dernier, la commission des finances avait décidé la création d'un groupe de travail consacré aux coûts et au financement des infrastructures de transport collectif en Île-de-France rassemblant nos collègues Julien Bargeton, Arnaud Bazin, Vincent Capo-Canellas, Emmanuel Capus, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Remi Féraud, Roger Karoutchi, Christine Lavarde, Sébastien Meurant, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli et Sophie Taillé-Polian.

À l'issue de sa réunion constitutive, ce groupe de travail avait désigné comme Président Vincent Éblé et comme rapporteur Christine Lavarde.

Lors de cette réunion, le groupe de travail avait également décidé de resserrer le champ de son contrôle aux coûts et au financement du Grand Paris Express (GPE) et à l'établissement public chargé de le porter, la Société du Grand Paris (SGP).

Aucun membre du groupe de travail n'étant soumis au renouvellement sénatorial du mois de septembre, il a été décidé qu'il pouvait rendre ses conclusions au mois d'octobre. Le seul changement dans sa composition résulte du départ de notre collègue Julien Bargeton pour une autre commission.

Je cède la parole à Christine Lavarde, rapporteur, qui va nous présenter les conclusions du groupe de travail sur ce projet d'infrastructure de grande ampleur lourd d'enjeux pour nos finances publiques.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je m'exprime au nom du groupe de travail qui s'est réuni hier soir pour approuver les propositions du rapport.

Le GPE est un projet qui a débuté, dans sa réflexion, dans les années 1970 et qui est devenu une réalité avec la loi du 3 juin 2010 créant la Société du Grand Paris. Le tracé définitif a été finalisé en 2013 et les premiers travaux ont commencé en juin 2016. Ce chantier représente 200 kilomètres de voies ferrées dont 90 % en souterrain, 68 gares, 6 centres d'exploitation et 5 lignes automatiques à terme. La ligne 14 existe déjà et sera prolongée et 4 lignes nouvelles vont apparaître, les 15, 16,17 et 18.

La fin des travaux est estimée en 2030. Aujourd'hui, 130 sites sont en chantiers.

La SGP a été créée pour mettre en oeuvre ce projet. Elle comptait en 2016 199 équivalent temps plein (ETP) seulement contre 750 ETP aujourd'hui, lesquels s'appuient sur 7 000 intervenants extérieurs. Fin 2022, la SGP comptera 1 100 ETP, lesquels auront pour mission de contrôler jusqu'à 15 000 prestataires extérieurs en 2024.

Le groupe de travail a formulé trois types de propositions.

Les premières propositions sont liées aux coûts du Grand Paris Express (GPE), et visent, d'une part, à contenir la fuite en avant de ce projet et, d'autre part, à apporter une meilleure information au Parlement à son sujet.

Le coût total du projet était estimé à 22,6 milliards d'euros (en euros 2012) en mars 2013, à 28,9 milliards d'euros en mars 2017, avant d'être réévalué à 35,1 milliards d'euros en septembre 2017. En juin 2020, les estimations disponibles les plus récentes faisaient état d'un coût de 35,6 milliards d'euros. Ce coût semble donc aujourd'hui relativement stabilisé. Certains des interlocuteurs que nous avons auditionnés ont estimé que le bond constaté entre mars et septembre 2017 correspondait à un simple « recalage » mais pour la Cour des comptes, que nous avons également entendue, cette évolution résultait d'un effort de « sincérisation » du projet devenu indispensable.

La pandémie du Covid-19 va avoir un impact sur les coûts du Grand Paris Express (GPE), estimé a minima à 20 millions d'euros. Elle devrait également entraîner un décalage dans le temps de la réalisation des travaux, ce qui retarderait la livraison de certaines lignes qui étaient censées être achevées avant les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024.

Les montants que je viens de présenter excluent certains coûts qui n'appartiennent pas au Grand Paris Express (GPE) stricto sensu, et notamment l'interconnexion du GPE avec les lignes de métro existantes. Or, le coût global de ces interconnexions est estimé entre un milliard et 1,5 milliard d'euros. Pour le financer, seuls 450 millions d'euros sont pour l'heure inscrits au budget d'investissement de la SGP...

La SGP essaye de faire des économies en utilisant, avec le soutien du Gouvernement, des outils de la commande publique plus adaptés à ses besoins, en particulier les marchés de conception-réalisation. Dans le cadre du projet de loi accélération et simplification de l'action publique (ASAP) en cours d'examen par le Parlement, un amendement prévoyant d'élargir le recours à ces marchés pour des projets connexes de valorisation immobilière autour des gares du GPE a été voté la semaine dernière par nos collègues députés.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, il a été demandé que le Parlement soit informé des dépenses et des recettes de la Société du Grand Paris (SGP) dans le cadre d'un rapport annuel. Ce rapport pourrait être utilement complété par une analyse des retards et des surcoûts engendrés par la pandémie de Covid-19. Nous souhaitons aussi que ce rapport présente chaque année une évolution du coût et du calendrier de réalisation en distinguant ligne par ligne, car toutes les lignes ne sont pas au même stade de réalisation.

Nous avons également adopté un certain nombre de propositions qui concernent la gouvernance de l'établissement. Le législateur a décidé en 2010 de créer une société dédiée à la réalisation du Grand Paris Express (GPE), à savoir la Société du Grand Paris (SGP), alors même qu'il existait déjà deux opérateurs investissant dans les infrastructures de transport en Île-de-France, la RATP et la SNCF.

La SGP disparaîtra au moment où la dette constituée pour la réalisation du GPE aura été intégralement remboursée. Pendant 40 ans nous aurons donc un opérateur qui sera uniquement là pour porter une dette, l'extinction de celle-ci étant prévue pour 2070.

Au cours des années, l'État est venu confier des tâches supplémentaires à la SGP, dont le financement d'une partie de la modernisation du réseau existant, avec, par exemple le projet Éole de prolongement de la ligne E du RER à l'ouest.

La SGP est dirigée par un directoire composé de trois personnes dont un président nommé par le Président de la République, par un conseil de surveillance de 21 membres rassemblant des représentants de l'État et des collectivités territoriales et par un comité stratégique de 182 membres qui regroupe les élus locaux concernés par le projet.

La tutelle de l'État sur la SGP, qui a été lâche au début du projet, a été renforcée depuis 2017 avec la mise en place d'un comité des tutelles. Fin 2018, un comité d'audit et des engagements a également été créé pour mieux contrôler la SGP et éviter de nouvelles dérives des coûts. Un rapport d'avancement spécifique est désormais présenté lors de chaque réunion du conseil de surveillance.

Les membres du groupe de travail estiment qu'il faudrait encore améliorer la gouvernance de la SGP en créant une meilleure articulation avec Île-de-France Mobilités (IDFM), l'établissement public régional qui sera à terme chargé de l'exploitation du GPE, en désignant un représentant ès qualité d'IDFM au conseil de surveillance de la SGP. La représentation de la région Île-de-France n'est en effet pas suffisante à elle seule.

Nous préconisons également la signature rapide d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) entre l'État et la SGP. Il nous paraît indispensable que celle-ci intervienne au cours du premier semestre 2021 au plus tard. Il est, nous dit-on, en cours d'écriture !

Cet équipement à vocation nationale est pour l'heure financé uniquement par une fiscalité francilienne, alors même que les gains attendus pour l'économie nationale sont significatifs : entre 10 et 20 milliards d'euros de richesses supplémentaires par an pourraient être créées quand le projet sera en service. Les recettes fiscales attendues pour l'État et les collectivités sont estimées à 4 milliards d'euros par an. Par ailleurs, les externalités positives du projet, et en particulier la diminution de la congestion dans la région Île-de-France, sont estimées à 10 milliards d'euros par an.

A l'occasion des lois de finances pour 2019 et pour 2020, le Gouvernement a fait voter par le Parlement des taxes supplémentaires applicables uniquement dans la région Île-de-France pour apporter des recettes supplémentaires à la SGP. Entre 2017 et 2020, la fiscalité francilienne se sera ainsi alourdie de 150  millions d'euros. Malgré tout cette augmentation ne suffit toujours pas à couvrir les besoins de financement de la Société du Grand Paris (SGP) tels qu'ils avaient été estimés par notre collègue député Gilles Carrez dans son rapport de 2018 au Premier ministre sur les ressources de la SGP.

Notre groupe de travail souhaite affirmer, à travers plusieurs propositions, que l'État devra à l'avenir financer tous les surcoûts du Grand Paris Express (GPE) dont il serait responsable.

Les recettes propres de la SGP sont insuffisantes : elles représentent 0,2 % des recettes globales du projet, ce qui est infime, alors même que des pistes ont été envisagées, notamment l'utilisation des tunnels pour développer un réseau de fibres. Il est nécessaire de les développer.

Enfin, nous pourrions envisager d'allonger la durée d'amortissement de la dette de la SGP. Les projections font état d'une fin d'amortissement en 2070. Or, le modèle est sensible aux évolutions de taux. Nous sommes sur des investissements de long terme aussi ne serait-il pas choquant, le cas échéant, de relâcher la contrainte financière pour éviter de faire porter la fiscalité uniquement sur les acteurs économiques d'aujourd'hui.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je voudrais saluer le travail du groupe. Je souhaite insister sur le fait que l'État doit être au côté de la SGP pour des raisons d'équité. Si tel n'était pas le cas, le Grand Paris Express (GPE) serait le seul équipement d'intérêt général de portée nationale, voire internationale, qui ne serait payé que par les contributeurs d'un seul territoire.

Les propositions du groupe de travail me semblent bien rappeler cet enjeu, les difficultés rencontrées par la SGP témoignant par ailleurs d'une absence de maîtrise dans le dialogue entre l'État et les collectivités.

M. Philippe Dallier. - A l'origine, lorsque Nicolas Sarkozy a lancé le projet, l'État devait apporter à la Société du Grand Paris (SGP) 4 milliards d'euros. Finalement les 4 milliards d'euros se sont transformés en 2 milliards d'euros, puis en 0 car l'État, estimant que le démarrage du projet était très lent, a récupéré les 2 milliards d'euros qu'il avait investis. Il n'y a donc eu aucune participation de l'État alors que ce dernier devait contribuer au projet à hauteur de 4 milliards d'euros. Les régions hors de l'Île-de-France ne paient rien, c'est uniquement les particuliers franciliens qui contribuent via la taxe spéciale d'équipement et les entreprises franciliennes, à travers notamment des taxes croissantes sur les bureaux et les parkings.

La contribution de l'État au financement de la Société du Grand Paris (SGP) va être au centre du débat qui va s'ouvrir. Par ailleurs, si l'on peut espérer que le coût du Grand Paris Express (GPE) est désormais globalement stabilisé, la question de l'équilibre financier de l'exploitation demeure pour sa part sans réponse.

Le Grand Paris Express (GPE) n'est pas une infrastructure d'intérêt seulement régional car la compétitivité de la région Île-de-France est aussi celle du pays tout entier. Les transports en commun de la région capitale sont calamiteux et vient s'y ajouter une congestion du trafic routier savamment organisée, ce qui rend la vie insupportable aux entreprises et aux particuliers !

M. Roger Karoutchi. - J'espère ne pas être trop optimiste en parlant d'un coût final du Grand Paris Express (GPE) de 50 milliards d'euros. Entre 2012 et 2020, on est passé de 16 à 36 milliards d'euros alors que seulement 15 % des chantiers sont ouverts. Donc tous les aléas de chantier, toutes les difficultés que l'on va rencontrer, c'est maintenant et dans les années qui viennent qu'ils vont apparaître. Je n'ai aucune illusion sur le coût final.

Je partage totalement ce que vient de dire mon collègue Philippe Dallier. Le Gouvernement a présenté le projet du GPE comme un projet d'intérêt national et non pas régional parce qu'à terme il rapportera globalement 4 milliards d'euros de fiscalité à l'État chaque année. Et l'État ne met pas un centime en attendant ! Et en plus il a la main sur la structure. C'est absolument inadmissible.

On a le sentiment depuis quelques années d'avoir affaire à un État impécunieux, qui s'est totalement désengagé mais qui veut conserver la décision par l'intermédiaire de la préfecture de région. Et quand on lui parle de dérive des coûts, il considère qu'il n'y a pas de problème car on va augmenter les taxes sur les particuliers et les entreprises d'Île-de-France. Au début, c'était environ 400 à 500 millions d'euros pour rembourser les emprunts, puis entre 700 et 800 millions d'euros et on envisage de passer au milliard d'euros ! On a l'impression que c'est facile. C'est un beau projet mais qui pâtît d'une gestion aberrante dans la mesure où les acteurs locaux n'ont pas la main sur une infrastructure qu'ils sont les seuls à payer.

Je redis à nos amis hors Île-de-France que le Grand Paris Express (GPE) ne leur coûte pas un centime d'euro. C'est un vrai sujet pour les finances publiques de l'Île-de-France mais pas pour celles de l'État !

Il faut changer la gestion de la SGP et maîtriser la dérive des coûts.

M. Claude Raynal, président. - Pour l'instant, le financement de la SGP repose uniquement sur les contribuables franciliens mais le groupe de travail estime qu'une contribution de l'État serait légitime.

M. Gérard Longuet. - Le Grand Paris Express (GPE) est un projet d'envergure nationale destiné à renforcer le potentiel de Paris et de la région parisienne. Je suis complètement d'accord pour que cette région joue le rôle de locomotive pour le reste du territoire français dans l'espace européen, voire mondial.

Peut-on retrouver dans le rapport les clés de financement de la Société du Grand Paris (SGP), le rôle des fonds propres, le type d'endettement ? Et sur l'exploitation, quelles sont les perspectives de recettes pour participer à l'entretien du réseau et à son fonctionnement, ainsi qu'à l'amortissement des travaux initiaux ?

Nous aimerions une continuité de service entre les TGV et le GPE grâce à une meilleure articulation entre les réseaux qui semble actuellement insuffisante. J'ai l'impression d'un isolement de la SGP qui n'a pas d'ouverture vers sa clientèle provinciale. Tout cela manque de cohérence.

Historiquement, le métro parisien a été créé pour afficher l'identité de chaque ligne en négligeant volontairement l'articulation avec le chemin de fer et en opposant le métro avec les lignes de banlieues et de tramways. Nous ne devons pas reproduire cette erreur.

Puisque l'on met beaucoup d'argent, que cet argent soit utile à une meilleure articulation entre l'Île-de-France et le reste du territoire.

M. Philippe Dominati. - Je salue le consensus trouvé par le groupe de travail sur un certain nombre de points. Je crains la bombe que représente financièrement la SGP pour le futur.

Je souhaite élargir le contexte. Nous sommes dans la seule région en Europe où l'État s'immisce et commande de telle manière les transports publics. On n'entend pas les collectivités territoriales. Dans cette zone, les usagers ont l'habitude de la confrontation des grandes sociétés étatiques. Tous les grands projets franciliens que j'ai connus ont vu des dépassements budgétaires multipliés par 2, voire 2,5. C'est cette confrontation qui a créé la gabegie.

Nous parlons ce matin des éventuels dysfonctionnements de la Société du Grand Paris (SGP), mais nous pourrions en évoquer bien d'autres. Je pense par exemple au Charles-de-Gaulle Express.

Je tiens à signaler le caractère très spécifique de la SGP, qui ne résout pas le problème des lignes de RER gérées par la SNCF, et qui n'apporte pas non plus de solutions à la gestion erratique de la RATP. En réalité, l'État transfère des dettes d'une société d'État à une autre. Dans tout cela, l'usager est pénalisé. Les entreprises et l'activité économique paient. Les entrepreneurs et les particuliers franciliens n'acceptent plus de financer davantage un système qui les pénalise de la sorte.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En réponse à Gérard Longuet, le modèle financier de la Société du Grand Paris (SGP) est bien décrit dans le rapport.

Globalement, l'établissement public s'est vu affecter par l'État de la fiscalité francilienne pour lui permettre de lever de l'emprunt. La SGP souscrit principalement des emprunts verts, avec en particulier 6 milliards d'euros souscrits la semaine dernière. Aujourd'hui, la dette de la SGP est de l'ordre de 15 milliards d'euros, soit environ 50 % du besoin de financement.

La fiscalité francilienne a vocation à perdurer tant qu'il y aura de la dette à rembourser pour le financement de l'investissement.

Concernant l'exploitation, on sait qu'elle représentera un coût d'environ un milliard d'euros par an. C'est IDFM qui viendra la financer. Comment ? La question reste posée. Dans le modèle de financement de la SGP, il était prévu une redevance d'exploitation versée par IDFM à la SGP. Mais cette solution risque d'augmenter le déficit d'exploitation d'IDFM...

Sur les articulations avec le réseau TGV, hors Paris, je vois la gare de Massy et celle de Chessy. Seule la première est intégrée dans le réseau du Grand Paris Express (GPE), de même que les deux aéroports Paris-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly.

M. Hervé Maurey. - Je voudrais rappeler le rapport très sévère de la Cour des comptes de décembre 2017 qui a mis le doigt sur les dérives budgétaires de la Société du Grand Paris (SGP) et sur le fait que le Grand Paris Express (GPE) risquait de provoquer l'apparition d'une dette perpétuelle. Nous n'avons aucune garantie d'arriver à rembourser cette dette quelque en soit la date. Nous sommes dans une situation inquiétante et je rejoins les interventions de mes collègues Philippe Dominati et Roger Karoutchi. Nous devons exercer une pression constante sur l'État pour obtenir une vraie transparence et des assurances que le Gouvernement fera preuve de plus de rigueur sur les coûts et sur le calendrier du projet. Certaines lignes devaient être prêtes pour les JOP et ce sera loin d'être le cas. J'incite à une très grande vigilance et à une très grande rigueur sur ce dossier.

M. Rémi Féraud. - Je salue l'esprit de synthèse et de consensus du rapporteur. Je regrette que ce groupe de travail n'ait été composé presque que de franciliens car l'enjeu est national. Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de projets structurants aussi essentiels pour notre pays dans les décennies qui viennent.

Ce projet est déterminant pour l'attractivité et l'organisation de la métropole. Mais c'est le pays dans son ensemble qui en a besoin. C'est dans cet esprit que le projet a été lancé. Puis l'État s'en est désengagé tout en restant pilote de sa mise en oeuvre. Je ne sais pas s'il y a eu une dérive des coûts ou s'ils ont été sous-estimés au départ. Du coup, il y a un financement national insuffisant, une durée d'amortissement également insuffisante et il faut remettre de la cohérence entre le financement et la gouvernance. C'est ce que propose le rapport. Il faut également remettre du suivi budgétaire et du contrôle parlementaire dans la conduite de ce chantier qui va être long.

M. Éric Bocquet. - J'ai deux questions techniques sur un dossier que je découvre. Quel est le montage financier ? Quels sont les partenaires, quelles collectivités locales, quelle est la part de chacun ?

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il n'y a aucune sollicitation directe des collectivités.

M. Éric Bocquet. - Avez-vous un début d'analyse sur les causes de cette explosion des coûts ?

M. Vincent Éblé, président. - Lors de la mise en place du groupe de travail, nous avons réfléchi au champ des sujets à traiter et nous avons exclu de revisiter le programme de travaux que s'est fixé la Société du Grand Paris (SGP), à la fois hors de notre champ de compétence et sur lequel existe par ailleurs un consensus régional assez large.

Néanmoins nos auditions nous ont permis de voir que les questions d'interconnexions du nouveau réseau avec les lignes existantes n'étaient pas intégrées dans le programme de financement. Or cette question est déterminante.

J'ai souvent dénoncé cet état de fait. Si nous finançons une grande infrastructure en boucle qui n'aurait pour seule vocation que de faire bouger de façon circulaire les franciliens sans les mettre en communication avec les réseaux essentiellement radians qui existent, nous ne sommes pas à la hauteur de l'enjeu. Il faut financer ces aménagements des gares d'interconnexion de façon à permettre des déplacements « origine-destination » qui raccourcissent les temps de mobilité des franciliens à l'intérieur de notre réseau de transport ainsi agrandi.

Cette question essentielle l'est aussi pour une part des contributeurs, les résidents et les entreprises de la grande couronne qui sont sollicités alors que le tracé passe parfois très loin de chez eux. L'infrastructure est utile à condition d'avoir les interconnexions. Nous devons traiter cette question et intégrer ces coûts supplémentaires car sinon le projet n'a pas de sens.

Sur la question du financement de l'infrastructure du Grand Paris Express (GPE), je suis satisfait que nous ayons retenu parmi nos propositions l'allongement de la durée de l'amortissement de la dette de la Société du Grand Paris (SGP). La durée de vie d'un tunnel est bien plus longue que la durée de remboursement traditionnel des emprunts et donc je pense qu'il faut imaginer des dispositifs qui permettent d'acter cet amortissement de très longue durée pour des infrastructures lourdes.

Sur l'exploitation, y a-t-il des gains en recettes à attendre ? Je pense qu'ils sont limités. La mobilité des franciliens ne va pas être augmentée en volume. Or l'essentiel de cette mobilité se finance par des abonnements. La réalisation de cette infrastructure ne devrait pas beaucoup augmenter le nombre d'abonnements, même si les temps de transports se trouvent raccourcis et l'accès à de nouvelles zones renforcées. Cette question de l'exploitation n'a jamais vraiment été traitée et toujours repoussée. Or, c'est un sujet majeur.

M. Patrice Joly. - Je vous remercie de cette présentation claire d'un sujet que les non-franciliens ne maîtrisent pas forcément.

Je voudrais savoir, si compte tenu de la situation actuelle, il y a une démarche pour revisiter le calendrier déjà glissant et les bases des perspectives d'exploitation et donc le modèle économique des équipements concernés au regard des nouvelles stratégies que peuvent avoir les entreprises et les ménages. Y a-t-il un début d'approche sur ce sujet, ce qui n'est pas neutre sur les équilibres globaux, sur les financements de l'investissement et de l'exploitation du Grand Paris Express (GPE) ?

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En réponse à Éric Bocquet, les causes de l'explosion des coûts du projet sont bien identifiées : l'une des principales tient au fait que dans le chiffrage initial, les provisions pour risques et aléas étaient très faibles, si bien que la SGP parvenait à un coût du kilomètre de ligne inférieur à celui de la RATP.

L'enveloppe financière d'aujourd'hui prévoit désormais pour chaque ligne une provision pour risques et aléas plus proche de ce que l'on doit avoir pour des chantiers de cette nature.

Il y a eu aussi des évolutions dans le projet, le nombre de gares a augmenté.

En outre, il avait été envisagé au départ de réaliser tout le projet en même temps, ce qui aurait nécessité des moyens humains et techniques impossibles à obtenir. Il aurait fallu mobiliser tous les tunneliers d'Europe en même temps ! Les projections de coût confrontées à la réalité du marché du génie civil, ont révélé des coûts plus élevés qu'espéré.

Pour répondre à Patrice Joly, le groupe de travail avait pris le parti de ne pas réinterroger le tracé des lignes. Notre objectif était de voir si l'enveloppe de coûts connue était amenée à augmenter et si le Gouvernement allait demander au Parlement de voter de nouvelles recettes fiscales comme il l'avait fait depuis deux ans.

Faut-il réinterroger globalement le schéma de transport au regard de l'évolution des zones d'implantation ? Cette question relève de la prospective, laquelle ne peut faire l'objet d'un contrôle budgétaire. Mais c'est un thème qu'il faudra regarder attentivement à l'avenir.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie pour cet exposé très clair et intéressant. Le groupe mériterait de continuer son travail, en particulier en veillant à ce que l'État rende les rapports qu'il doit remettre au Parlement en temps et en heure.

La commission autorise la publication de la communication du groupe de travail sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 12 heures.

Audition de MM. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes et Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique (DINUM), pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la conduite des grands projets numériques de l'État

M. Claude Raynal, président. - La commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes, par une lettre du 11 décembre 2018, de lui remettre un rapport sur les grands projets numériques de l'État en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Certains projets informatiques de l'État, comme le logiciel Louvois pour le ministère de la défense ou l'opérateur national de paie, ont en effet connu des échecs retentissants qui ont suscité des travaux de la Cour des comptes et de notre propre commission. Notre collègue Michel Canevet avait, par exemple, alerté en 2016 sur l'insuffisance des moyens de l'informatique publique dans un travail de contrôle budgétaire. En juillet dernier, nos collègues Claude Nougein et Thierry Carcenac se penchaient sur les moyens informatiques de la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans sa mission de lutte contre la fraude fiscale. Les rapporteurs spéciaux des missions « Défense » et « Enseignement scolaire » ont également eu l'occasion d'évoquer les dysfonctionnements et surcoûts des logiciels Louvois ou Sirhen.

Il était donc utile de demander à la Cour un point général sur des projets qui revêtent un caractère stratégique avec la diffusion du numérique dans une proportion toujours croissante de nos activités quotidiennes ; c'est vrai pour les agents des ministères qui utilisent ces applications comme pour les citoyens dans leurs rapports avec l'État.

Pour nous présenter les principales conclusions auxquelles elle est arrivée, la Cour des comptes est représentée par une équipe de magistrats conduite par M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre.

Afin de répondre aux observations de la Cour, mais surtout de nous apporter un éclairage sur les grands projets informatiques de l'État, nous avons le plaisir de recevoir également M. Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique.

La direction interministérielle du numérique (Dinum), rattachée au Premier ministre, a en effet une mission d'avis et de conseil sur ces projets au service de l'ensemble des ministères. Mais cette direction a aussi un rôle beaucoup plus large d'animation et de développement pour les projets numériques de l'État.

Après l'intervention de la Cour, je passerai la parole au rapporteur général pour des premiers questionnements, et à M. Nadi Bou Hanna, puis à l'ensemble de nos collègues.

Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site du Sénat, mais aussi sur le compte Twitter du Sénat.

M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - C'est un plaisir et un honneur de venir devant votre commission présenter les résultats de notre travail. Le sujet que vous nous avez confié nous a fait progresser dans notre connaissance de la conduite des grands projets. Il nous a donné l'occasion de faire une synthèse opérationnelle de constats éparpillés dans une vingtaine de rapports de la Cour des comptes et dans des rapports d'inspection. Président de la quatrième chambre, je parle ici au nom de la Cour tout entière, puisque toutes les chambres sont concernées par cette enquête et y ont été associées.

Je suis accompagné de trois personnes, parmi celles qui ont contribué à ce travail : Mme Mireille Faugère, conseillère maître, M. Stéphane Seiller, conseiller maître, et M. Benoît Grandin, rapporteur. Ils bénéficiaient tous les trois d'une solide expérience de la conduite des projets numériques avant d'intégrer cette équipe. Je tiens à souligner le rôle particulier de Stéphane Seiller, chef d'équipe et concepteur de la méthodologie de cette enquête. Nous avons dès le départ bénéficié d'un comité d'accompagnement de haut niveau composé de trois directeurs de systèmes d'information privés, M. Yves Buey, Mme Patricia Lacoste et M. Christophe Leray, du délégué général du Club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref), M. Henri d'Agrain, ainsi que du directeur du Contrôle fédéral des finances suisse, l'homologue de notre Premier président, M. Michel Huissoud. Deux fonctionnaires, dont l'un de la Cour des comptes, praticiens des systèmes d'information, ont complété notre comité. La méthode consistant à confronter les avis de spécialistes du secteur privé et du secteur public sur les constats que nous pouvions faire nous a grandement aidés. Nous avons auditionné la Dinum en juin dernier et remis le rapport au Sénat, le 29 juillet.

M. Albéric de Montgolfier nous a aidés à cadrer le sujet en nous posant une question simple : pourquoi l'État plante-t-il ses grands projets numériques ? Notre périmètre d'études dépassait le cadre des seuls projets soumis à avis obligatoire de la Dinum, à savoir ceux dont le budget était supérieur à 9 millions d'euros. Nous avons baissé la barre à 5 millions d'euros et quelquefois plus bas encore pour intégrer des projets à fort impact social et politique. Nous n'avons pas traité des systèmes d'information du secteur social ou des opérateurs de l'État, ni des systèmes militaires opérationnels, nous contentant des systèmes de gestion relevant du secteur de la défense.

Nous avons abondamment utilisé les travaux de la Cour et des inspections ministérielles. En parallèle, nous avons mené une enquête sur le rôle de la Dinum et nous avons exploité l'intégralité des données relatives aux projets qu'elle suit. Nous avons également procédé à une exploitation transversale des données budgétaires et comptables de l'État, à l'aide du système Chorus.

Le comité d'accompagnement nous a aidés de manière active, et je l'en remercie. Enfin, nous avons procédé à des comparaisons internationales, en particulier avec l'Estonie, qui revendique le concept du e-gouvernement, dont nous pourrions nous inspirer.

Un certain nombre d'échecs emblématiques laissent à penser qu'il y aurait un manque de savoir-faire de l'État français. On cite notamment Louvois et l'opérateur national de paie, deux projets abandonnés après plus de dix ans de développement pour l'un et sept ans pour l'autre. On cite aussi le semi-échec de Cassiopée, refonte du système d'information de la chaîne pénale, qui sans être abandonné, ne donne pas satisfaction à ses utilisateurs, près de quatorze ans après son lancement. On pourrait compléter la liste par Sirhen, le système de gestion intégrée des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale, qui a dû être abandonné après un développement ayant coûté à peu près 480 millions d'euros.

Une des conséquences de ces échecs a été la création d'une direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l'État (Disic) en 2011, désormais direction interministérielle du numérique (Dinum) depuis 2019. Elle coordonne et contrôle les actions des administrations publiques. Depuis 2014, elle contrôle aussi l'engagement de l'État dans des projets d'un montant supérieur à 9 millions d'euros, puisqu'elle est appelée à donner un avis conforme.

Une autre conséquence a été l'élaboration d'une doctrine de conduite des projets numériques de l'État, doctrine élaborée autour de neuf principes, en 2017, par la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic). Cette doctrine préconise de diminuer sensiblement le temps nécessaire au développement des projets, ainsi que les moyens alloués par l'administration pour les mettre en service. Elle recommande également de développer des projets de taille maîtrisable, quitte à les découper en projets indépendants, de manière à permettre la livraison d'applications opérationnelles à intervalles réguliers et si possible rapprochés.

Il faut rappeler, avant d'aborder le fond du sujet, que la conduite des grands projets numériques est partout difficile, que ce soit en France ou à l'étranger, dans le secteur public ou privé, que l'on prenne comme exemple le portail Obamacare aux États-Unis ou bien le système d'information fiscal suisse Insieme, arrêté en 2012, après dix ans de développement, les Suisses préférant simplifier la règlementation fiscale avant de mettre en place un système intégré de gestion des recettes fiscales.

La presse a fait état des échecs de développement de projets dans le secteur privé, avec, notamment, le système d'information de la filiale DHL de Deutsche Post, ou bien celui de Lidl. Le coût de ces échecs - respectivement 350 et 500 millions d'euros - n'est pas inférieur à ce que l'on constate dans le secteur public.

Divers cabinets que nous citons dans le rapport ont relevé les taux d'échec, en distinguant des marqueurs récurrents : coût, délais et fonctionnalités. La combinaison des trois facteurs conduit à un très faible taux de projets réussis, à l'échelle mondiale, les dépassements de délai et de coûts s'observant dans au moins 60 % des projets.

Les causes d'échec sont elles aussi communes à l'État et au secteur privé, et se retrouvent à l'international. On peut citer des études préalables insuffisantes, une gouvernance des projets déficiente, des ressources trop faibles pour conduire les projets, des équipes insuffisamment réactives, des attentes d'utilisateurs mal prises en compte, mais aussi des changements de fonctionnalité en cours de développement des projets.

Les chiffres impressionnent, qu'il s'agisse du coût de l'échec de l'ONP ou de celui de Louvois auquel s'ajoute le coût induit des erreurs de paie qui se sont poursuivies jusqu'à aujourd'hui, en raison des défaillances du système. Mais, la valeur des immobilisations correspondant aux dépenses informatiques de l'État n'est pas très élevée, à 6 milliards d'euros, dont une grosse moitié pour les opérateurs de l'État et le reste pour l'État. Les flux annuels de dépenses conduisant à ces immobilisations représentent 3 % des investissements de l'État, soit 500 à 600 millions d'euros par an. Ces taux assez faibles posent la question de savoir si le niveau d'investissement est suffisant pour répondre aux ambitions de l'État numérique et de l'État plateforme, telles qu'exprimées dans le plan numérique de 2019.

Où en sont les performances de l'État ? On constate peu d'améliorations visibles par rapport aux objectifs fixés par la Dinum : si l'État développe un peu moins de grands projets, la proportion du nombre de très grands projets supérieurs à 50 millions d'euros reste très importante, avec des dérives et des niveaux de risques élevés. La durée prévisionnelle des projets reste élevée, à sept ans en moyenne. Sur la quarantaine de projets dans le portefeuille de la Dinum, six dépassent une durée prévisionnelle de dix ans. Les projets les plus risqués combinent un volume financier supérieur à 50 millions d'euros et une durée dépassant les huit ans. En conformité avec les lignes directrices tracées en 2017, nous préconisons des échéances courtes n'excédant pas trois ans et des projets fractionnés de 5 à 20 millions d'euros.

Deuxième constat, les grands motifs de risques restent les mêmes. Sur les 90 projets suivis par la Dinum, les principaux motifs de risque restent des trajectoires inadaptées, des moyens humains insuffisants, une gouvernance inadéquate et un manque d'évaluation initiale. Ces causes, récurrentes, coïncident avec celles qui ont été identifiées dans les études internationales.

Troisième constat, les dérives augmentent. L'ambition fixée par le Gouvernement dans le plan TECH.GOUV de 2019 était de réduire les dérives à un taux de 20 % d'ici à 2022. Or, dans la période étudiée, l'écart calendaire passe de 15 à 35 % et les dépassements de coûts augmentent à 30 %. Pour atteindre l'objectif des 20 %, il faudra prendre des mesures très strictes de redressement. L'une des difficultés consistera à pouvoir arrêter les projets les plus risqués : la Dinum a donné huit avis négatifs depuis sa création. Autre difficulté, la procédure d'avis conforme est sans doute trop tardive et mériterait d'être avancée.

Enfin, l'on constate dans le modus operandi des porteurs de projets et de la Dinum une attention insuffisante portée aux données financières. La Dinum ne contre-expertise pas les devis et les estimations de coûts présentés dans le dossier qu'elle étudie pour donner son avis initial. Or, des défaillances existent dans les estimations concernant un certain nombre de projets.

Le quatrième graphique nous montre que la direction unique de projet reste trop souvent l'exception, puisqu'elle ne concerne que 15 % des projets. C'est pourtant une condition essentielle du succès d'une opération.

Le cinquième graphique porte sur le coût rapporté à une base annuelle s'agissant de la quarantaine de projets dans le portefeuille de la Dinum. Pour l'administration, un grand projet, c'est de 3 millions à 5 millions d'euros, sauf exception. Cela veut dire que, face à des budgets contraints, les administrations jouent sur la seule variable qu'elles maîtrisent, à savoir l'allongement de leur durée, pour faire entrer les projets dans les clous. Or c'est une cause connue et répertoriée d'échec. Une exception à ce constat est le prélèvement à la source, mené sur deux ans, qui a été un succès technique.

Dernier point, et j'en reviens aux ressources humaines (RH), les ministères ne mobilisent pas de ressources internes suffisantes pour conduire leurs grands projets. Selon la Dinum, il faut au minimum 38 % de ressources internes par rapport aux prestataires externes si l'on veut les superviser correctement. On constate que seuls les ministères économiques et financiers respectent ce ratio. Tous les autres sont en dessous, parfois même de manière dramatique. Ainsi, au ministère de la justice, le taux est de 9 %, ce qui peut expliquer l'échec de Cassiopée.

En troisième partie, j'aborderai l'organisation et la gouvernance du système. Force est de constater qu'il y a une marge incontestable de progrès en matière de conduite et de supervision des projets.

Loin de moi l'idée de critiquer la Dinum, mais il est notoire qu'elle ne dispose pas des moyens suffisants pour exercer sa mission. Elle a des moyens juridiques, mais elle n'a pas toujours la possibilité de les mettre en oeuvre. Par exemple, elle est règlementairement compétente pour prononcer un avis sur les projets des grands opérateurs de l'État, mais elle ne l'a jamais fait. Par ailleurs, les ressources humaines qu'elle consacre à l'analyse des projets, à l'audit ou au conseil, c'est moins d'une dizaine de personnes. Elle est donc parfois obligée d'externaliser cette fonction clé.

Enfin, le référentiel de coût proposé par la Dinum aux ministères n'est pas toujours utilisé et il n'y a pas de suivi analytique des dépenses engagées par projet.

Nous pensons donc qu'un renforcement de la capacité de supervision de la Dinum serait utile pour étendre effectivement l'avis conforme aux grands opérateurs de l'État et lui donner la possibilité de fonctionner en réseau avec les directeurs du numérique ministériels récemment créés.

Nous avons également identifié des marges de progrès au sein des ministères. Les dix ministères que nous avons examinés ont désormais un schéma directeur des systèmes d'information. Les processus formalisés d'engagement de projets et d'analyse de valeur existent, mais ils sont trop formels et se limitent le plus souvent à la procédure d'avis conforme pour les projets de plus de 9 millions d'euros. Plus d'attention devrait être portée à la création de valeur attachée à ces projets et à l'énoncé d'objectifs chiffrés. Un dispositif de maîtrise des risques existe dans tous les ministères, ce qui est un progrès, mais le suivi est souvent insuffisant. Un suivi mensuel est recommandé, ce qui est le cas pour seulement 20 % des ministères.

La plupart des ministères n'observent pas les ratios recommandés par la Dinum, qui sont différents selon qu'ils sont en maîtrise d'oeuvre ou en maîtrise d'ouvrage. Concrètement, cela veut dire qu'ils ne font pas le poids face à leurs cocontractants et que le suivi des prestataires est insuffisant. La tentation d'en profiter peut être là...

La filière numérique de l'État, ce sont 18 500 personnes, et 20 000 au ministère des armées dans les segments opérationnels. Les emplois de ce secteur sont notoirement sous tension, le marché étant très concurrentiel. L'État a certains atouts, comme sa marque employeur, mais aussi des handicaps importants : les délais de recrutement trop longs et l'absence de parcours de carrière interministériels.

J'en viens maintenant aux recommandations du rapport.

Tout d'abord, nous préconisons l'intervention systématique de la Dinum en amont pour les projets susceptibles de dépasser une cinquantaine de millions d'euros de coûts prévisionnels, aucune réalisation de projet ne devant être supérieure à 5 ans, sauf avis dérogatoire de la Dinum. Nous souhaiterions ensuite que soit entreprise une démarche de simplification des procédures et de la réglementation pour les projets d'ampleur, avec la désignation d'un responsable unique ayant autorité pour prendre les décisions et les faire appliquer par les équipes engagées dans le projet. Il nous apparaît en outre nécessaire de privilégier un pilotage par les délais en structurant les projets autour de jalons courts correspondant à un apport de valeur et de fonctionnalités aux utilisateurs du service numérique. Il conviendrait enfin de respecter les ratios minimaux de ressources humaines internes et d'intégrer, dès la conception des projets numériques, et tout au long de leur développement, les besoins des utilisateurs.

Sur le plan de l'organisation, il faudrait améliorer les plans d'investissement numériques et examiner préalablement au lancement d'un projet la possibilité de privilégier une solution mutualisée.

En matière de ressources humaines, nous préconisons de recruter un vivier interministériel d'au moins 400 professionnels rattaché au Premier ministre, en privilégiant les recrutements à implantation locale.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie de cette présentation très claire. Je remercie également Albéric de Montgolfier, qui a bien fait de solliciter votre expertise sur ce sujet.

En moyenne, les budgets des projets numériques de l'État dépassent de 37 % les estimations initiales. L'État doit donc gagner en rigueur en la matière. Vous avez détaillé les projets phares menés par l'administration ces dernières années, avec des réussites, mais aussi des échecs retentissants. À cet égard, je reste persuadé qu'il est préférable d'interrompre des projets mal engagés pour gagner du temps et de l'argent.

Je souhaite soumettre quelques questions, notamment à M. Nadi Bou Hanna, en préambule à son intervention.

Ne pensez-vous pas qu'il devrait y avoir une surveillance plus étroite des projets par la Dinum et l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) ? Vous avez parlé de mutualisation, mais ne pourrait-on pas, par exemple, envisager des modes de coopération plus souples entre ministères, avec mise à disposition de personnels qui ont une expérience sur tel type de projet, ce qui permettrait le partage de bonnes pratiques ?

S'agissant des ressources d'expertise propres, comment le secteur public peut-il offrir des perspectives de carrière satisfaisantes pour des personnels à haute compétence technique ? Comment rendre le service de l'État attractif ?

Enfin, la loi de finances pour 2018 a instauré le fonds de transformation de l'action publique, d'un montant de 700 millions d'euros sur le quinquennat, pour opérer la transition numérique de l'action publique. Quel est le regard porté par la Dinum sur ce fonds ? Quel est son bilan depuis 2018 ?

M. Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique. - Le numérique est désormais l'un des vecteurs principaux de la transformation du service public. Ma direction, vous l'avez rappelé, agit pour le compte du Premier ministre, selon trois modes d'intervention : nous animons le collectif des directions du numérique et aidons donc à définir les orientations stratégiques en la matière ; nous contrôlons les grands projets ; enfin, nous construisons des solutions mutualisées et nous les opérons, ce qui rejoint une de vos questions : comment favoriser l'émergence de la mutualisation pour éviter que les uns et les autres ne consacrent chacun des budgets à des projets identiques ?

Cette stratégie a donné lieu à la publication en 2019 du plan de transformation numérique de l'État - intitulé TECH.GOUV -, dont les enjeux résonnent avec les points qui ont été développés précédemment. Ainsi, la simplification et l'inclusion visent à atteindre les personnes, parmi les citoyens comme parmi les agents publics, les plus éloignées du numérique afin que celui-ci produise de la valeur, un aspect essentiel pour guider les investissements mis en oeuvre.

Le deuxième bloc est l'attractivité et l'autonomie ; l'attractivité vise à attirer des profils pointus afin de donner les moyens de son autonomie à l'État et que ce dernier puisse conduire ses projets, les mener à bien et bénéficier d'une capacité de réversibilité si des projets se déroulaient mal.

Enfin, le dernier bloc est relatif à l'efficience et rassemble les économies et les alliances, aussi bien avec les collectivités territoriales qu'avec les opérateurs privés. En effet, la seule exécution de projets sous forme de contrat ne permet pas d'assurer le succès d'opérations complexes.

Sur l'aggravation du glissement des projets, nos métriques montrent que celui-ci atteint en moyenne 18 % à 20 % dans le privé, contre 30 % au sein de l'État, mais ce chiffre s'explique principalement par le stock. On pourrait utiliser à ce propos la formule d'inversion de la courbe de la dérive : l'essentiel des glissements concerne des projets qui ont démarré il y a plus de cinq ans. Notre problématique est donc le déstockage, car désormais, le flux - soit les nouveaux projets - est davantage vertueux et correspond aux recommandations édictées. Le système d'information de l'État est un paquebot, lui faire prendre un virage sec demande plusieurs années.

Vous avez évoqué un point essentiel : la capacité à arrêter les coups mal partis. L'État a des progrès à faire en la matière : une décision d'arrêt peut être prise, mais l'arrêt effectif peut ne se concrétiser que deux ans après.

Enfin, s'agissant de l'objectif d'autonomisation des ministères, il me semble essentiel de ne pas infantiliser les porteurs de projet et de développer la culture du pilotage des programmes numériques. Le renforcement des contrôles est insuffisant à ce titre, il importe d'entrer dans une logique partenariale, c'est pourquoi j'ai mis en place au sein de ma direction un cabinet de conseil interne rassemblant des fonctionnaires et des contractuels qui intervient en amont pour aider les ministères à préparer les projets, plutôt que de devoir les sanctionner après, c'est-à-dire trop tard. C'est pourquoi nous faisons évoluer les pratiques liées à notre rôle d'avis conforme pour les projets de plus de 9 millions d'euros afin de développer l'auto-évaluation et d'éviter les dossiers mal ficelés.

Je partage les onze recommandations inscrites dans le rapport de la Cour des comptes, avec quelques nuances. Sur l'intervention systématique de la Dinum dans tous les projets de plus de 50 millions d'euros, à mon sens, l'enjeu est plutôt de ne plus lancer de projets d'une telle ampleur, en fractionnant les projets afin de disposer de jalons à court terme pour n'engager les phases suivantes que si les premières sont réussies. Une autre nuance concerne le recrutement et les affectations locales. La difficulté est la culture historique du triptyque « maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'oeuvre et utilisateurs ». Cela ne fonctionne pas, il faut au contraire que les trois se mettent autour de la même table et coconstruisent le projet. L'ambition d'affectation locale pose la question des porteurs de projet et de l'endroit où ceux-ci sont élaborés. Il me semble qu'il importe dès lors de développer l'association des parties prenantes, plutôt que de mettre l'accent sur une localisation géographique. Je partage en revanche entièrement les autres points, en particulier en ce qui concerne les ressources humaines, qui sont la clé pour inverser la tendance.

J'en termine avec quelques voies de progression nécessaires. La première concerne les opérateurs. Les grands projets de l'État représentent 2,9 milliards d'euros, ceux des opérateurs, 3,2 milliards d'euros. Il faut donc s'intéresser à ces derniers, même si aujourd'hui le droit ne nous permet pas de prononcer des avis conformes à leur endroit. Depuis le 3 octobre toutefois, la Dinum peut prononcer des avis simples, ce qui nous permet d'ouvrir leur capot et d'aider leurs porteurs de projet à les mener à bien.

La deuxième possibilité de progression touche au rôle des prestataires, notamment les grands cabinets de conseil qui interviennent souvent dans le cadrage, en amont. Ainsi, tous les projets en dérive détectés depuis une dizaine d'années ont fait l'objet d'une mission d'accompagnement, souvent très longue. Nous avons identifié des comportements opportunistes et une tendance à complexifier certains aspects. J'ai donc donné pour consigne à mes équipes de mettre en oeuvre une communication de type name and fame lorsque cela se passe bien et name and shame dans le cas contraire.

Enfin, la troisième piste concerne la gouvernance et le rôle du politique. Il arrive qu'un projet soit lancé parce que le ministre a annoncé qu'il fallait atteindre un objectif dans les dix-huit mois. Ce sont les pires projets : il faut les lancer, car leur opportunité ne peut plus être remise en cause, mais ils n'ont aucune chance d'atteindre la cible dans les délais fixés, ce qui conduit leurs porteurs à surévaluer les besoins en espérant retomber sur leurs pieds. Or cela ne fonctionne jamais. Ce constat rejoint la question du positionnement des directions du numérique dans les ministères. Historiquement, les directions des systèmes d'information (DSI) étaient des services d'exécution travaillant dans la soute des administrations, mais leur transformation en directions du numérique dont le mandat comprend les infrastructures, les projets informatiques, mais également les usages, la politique de la data et l'innovation les a fait remonter dans la chaîne, ils sont maintenant directement rattachés aux secrétaires généraux et discutent avec les cabinets, si bien que cette culture est en train d'infuser et de remonter jusqu'au ministre. On observe donc parmi les projets lancés ces dernières années très peu d'opérations pour lesquelles la capacité d'exécution n'a pas été analysée en amont.

M. Claude Raynal, président. - Merci de votre réponse, notamment de votre optimisme concernant les projets les plus récents.

M. Michel Canevet. - Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport important qui suit celui que j'ai réalisé en 2016, ayant considéré qu'au vu des échecs de l'opérateur national de paye et de Louvois, il fallait prendre des dispositions.

J'avais affirmé la nécessité d'intégrer les opérateurs dans le champ des investigations de la Dinum. Depuis lors, on a connu le naufrage des programmes informatiques liés à la mise en oeuvre des programmes européens ou les difficultés récurrentes dans la délivrance des cartes grises, indiquant que des problèmes persistent. En effet, au vu du poids des projets portés par les opérateurs de l'État, il y a à faire. Il faut avancer sur l'obligation de requérir l'avis de la Dinum à ce sujet. Ne faudrait-il pas même baisser le seuil de l'avis conforme à 5 millions d'euros ? Au vu du décalage budgétaire mis en évidence par la Cour, le seuil des 9 millions d'euros est-il respecté ?

La Cour a également évoqué la mise en oeuvre de schémas numériques dans la plupart des ministères. J'avais insisté sur la nécessité de ces outils, tous les ministères en disposent-ils maintenant ?

Le réseau interministériel de l'État (RIE) est-il aujourd'hui complètement déployé ?

S'agissant des ressources humaines, j'avais évalué à 18 500, en dehors des militaires, les personnels chargés de l'informatique, dont un tiers à Bercy et un tiers au ministère de l'intérieur. Une difficulté identifiée portait notamment sur la nécessité d'un corps dédié aux métiers de l'informatique et du numérique : on a créé les services interministériels départementaux des systèmes d'information et de communication (Sidsic), qui agrègent des personnels issus de différentes directions de l'État, dont les conditions statutaires sont très différentes. Leurs perspectives de carrières ne sont donc pas claires et ces personnels s'en trouvent démobilisés. Il est donc nécessaire de disposer d'un corps bien identifié pour disposer de cette ressource humaine, car il faut avoir en interne les compétences nécessaires pour assurer la mise en oeuvre des programmes. De même, cette situation donne lieu à des difficultés de recrutement, notamment à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).

Délocaliser ces personnels sur le territoire me semble être une très bonne suggestion. Je sais, d'ailleurs, que beaucoup de ces as de l'informatique et du numérique sont adeptes des sports de glisse : en Bretagne, par exemple, ils pourraient aisément conjuguer le service de l'État et l'exercice de cette passion...

Enfin, sur l'organisation, vous l'avez dit, la Dinum est rattachée au Premier ministre, mais il existe un secrétariat d'État au numérique qui dépend de Bercy, un ambassadeur du numérique et un ministère de la transformation et de la fonction publiques. Qui assure le pilotage de ces questions ? Le numérique est un enjeu majeur, il faut accentuer les efforts dans le domaine, y compris en supprimant les zones blanches, qui sont encore trop nombreuses. Aujourd'hui, l'organisation de l'État dans ce domaine est-elle suffisamment efficiente ?

M. Jérôme Bascher. - La dérive n'est-elle pas liée à un rattrapage numérique des ministères ? M. Bou Hanna affirme que la situation était un peu meilleure pour les nouveaux projets : la dérive est-elle la conséquence d'un retard dans l'accoutumance à ces projets informatiques, synonyme de perte d'expertise ?

L'une des bonnes idées de Napoléon Bonaparte a été la création des grands corps de l'État. Ne manque-t-il pas un grand corps d'informaticiens ? On pourrait ainsi leur proposer de meilleures carrières et les rémunérer à un niveau concurrentiel.

Concernant le name and shame, je serai beaucoup plus dur que M. Bou Hanna envers les entreprises responsables d'un échec. Elles ne doivent pas être payées ! Dans ma carrière de fonctionnaire, j'avais eu affaire à une grande entreprise de conseil ; le rapport qu'elle nous avait rendu n'était que le copier-coller d'un rapport ministériel. Refuser de payer et la menacer d'une mauvaise publicité avait très bien marché. Le conseiller doit être de la sorte intéressé à la réussite du projet.

Le conseiller n'a-t-il pas intérêt, actuellement, à développer des projets trop spécifiques ? Les administrations vont insuffisamment se servir « sur étagère », parmi les produits existants. Chaque ministère réinvente la roue.

M. Claude Raynal, président. - Je reconnais l'esprit provocateur de notre collègue : la création de grands corps est à la mode !

M. Arnaud Bazin. -Vincent Capo-Canellas, dans son rapport de 2018 sur la modernisation des services de la navigation aérienne, nous avait fourni des éléments sur la dérive d'un grand projet informatique de l'aviation civile. Ce projet, d'un coût de plusieurs centaines de millions d'euros, avait dérivé pendant de nombreuses années. Entrait-il dans le périmètre de votre étude, monsieur Andréani ? Avez-vous des observations particulières sur cet échec patent ?

Divers services nous ont exprimé leur inquiétude quant à leur capacité à recruter dans des conditions correctes des informaticiens de bon niveau. La Dinum elle-même rencontre-t-elle de telles difficultés ? Un turnover trop élevé pourrait nuire à la réalisation de ses missions. Disposez-vous d'éléments précis sur le personnel de la Dinum ?

Mme Christine Lavarde. - La Cour des comptes s'est-elle intéressée aux questions relatives au stockage des données ? Celui des données de santé a été remis en cause par la Cour de justice de l'Union européenne ; on attend un arrêt du Conseil d'État en la matière. Quelle est la stratégie de l'État dans ce domaine ? Après avoir construit des systèmes, il convient de déterminer comment valoriser les données qu'on y enregistre.

Vous avez évoqué les projets numériques de l'État et des opérateurs, mais qu'en est-il des collectivités territoriales ? Le coût cumulé de tous leurs projets est d'un ordre de grandeur proche de celui des projets de l'État. La Dinum songe-t-elle à concevoir un outil unique qui serait mis à la disposition des collectivités, de manière à mutualiser l'expertise technique ? Tous y gagneraient financièrement.

M. Claude Raynal, président. - Les projets informatiques comprennent la réalisation de programmes, mais aussi leur gestion, leur entretien au fil du temps. Des études d'objectifs sont-elles menées, lors du lancement de tels projets, sur ces coûts de gestion et d'entretien ?

Qu'en est-il de la sécurité des systèmes informatiques ? Comment l'État peut-il la garantir, en lien avec les partenaires éventuellement retenus pour l'entretien d'un programme ?

M. Gilles Andréani. - La procédure d'avis conforme de la Dinum inclut désormais un recours à l'ANSSI pour veiller aux caractéristiques de sécurité du projet en cause ; cela vient corriger un manque sérieux. Pour autant, l'indicateur du rapport annuel de performances sur le niveau de sécurité des systèmes informatiques des différents services de l'État n'est pas très bon ; il reste un gros effort à faire, en dépit de l'excellente qualité du travail de l'ANSSI.

Monsieur Canevet, votre rapport nous a bien sûr été fort utile. Nous avions étudié en détail l'échec initial du système de numérisation de la délivrance des cartes grises dans notre rapport public de 2019. C'est un bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire : numériser un système réglementaire compliqué qu'on ne s'est pas donné la peine de simplifier au préalable.

Un corps d'informaticiens existe déjà ; il s'agit des ingénieurs du ministère de l'intérieur. Peut-être ce corps compétent n'essaime-t-il pas assez au-delà de ce ministère.

Monsieur Bascher, si les projets récents ne dérivent pas, c'est qu'ils n'en ont pas encore eu le temps ! Déjà, on ne devrait pas mener de projets sur cinq ans ; ils devraient être segmentés. Je fais toute confiance à la Dinum pour aiguillonner les ministères en la matière. Les responsables de systèmes d'information issus du secteur privé présents dans notre comité d'accompagnement ont été très surpris de la durée de ces projets : pour eux, la réalisation d'un programme informatique doit prendre entre dix-huit mois et trois ans. Certains programmes rapidement mis en oeuvre par l'administration, voire improvisés, ont été des réussites, dès lors qu'ils ont reçu le temps, l'énergie et le niveau de ressources nécessaires.

Quant au name and shame, notre homologue suisse nous a signalé la possibilité, dans ce pays, d'interdire aux entreprises coupables de graves défaillances dans l'exécution d'un contrat de participer à de futurs appels d'offres.

Je suis tout à fait d'accord avec vous concernant l'achat sur étagère. On avait essayé de développer en propre un système de gestion de la maintenance aéronautique des armées : ce fut un échec et il a été remplacé par un système dérivé de systèmes existants dans l'industrie, qui a donné satisfaction. De même, le système Cassiopée-Scellés, utilisé dans la chaîne pénale, n'a pu être utilisé au tribunal judiciaire de Paris en raison de défauts dans la conception initiale du projet - le volume était trop important - ; on a donc eu recours à une application dérivée tout à fait satisfaisante : le stockage de scellés n'est pas si différent de celui des produits d'un grand magasin.

Madame Lavarde, concernant le stockage des données, rappelons que la tentative de développer un cloud souverain français a échoué, au coût de plusieurs dizaines de millions d'euros. Pour autant, le sujet reste d'actualité : il faudrait au moins développer des solutions européennes. Cela dit, depuis cette tentative malheureuse, des acteurs privés ont émergé en France ; l'un d'entre eux est déjà très important.

M. Nadi Bou Hanna. - Concernant les problèmes de recrutement, il existe des cursus de fonctionnaires dédiés au numérique, notamment le corps des ingénieurs des systèmes d'information et de communication (Isic), mais ce concours rencontre d'importantes difficultés : chaque année, il y a moins de candidats que de postes ouverts. On souffre de la disparition d'un corps de fonctionnaires de catégorie A+ experts de ces technologies. Heureusement, on dispose désormais des ingénieurs des mines, qui travaillent davantage dans le domaine numérique que par le passé. Ils ne sont pas très nombreux, mais offrent à l'État une première capacité de pilotage stratégique.

Du fait de ces difficultés, je suis convaincu que, pour soutenir le numérique public, il convient de s'appuyer massivement sur des expertises ponctuelles via le recours à des contractuels. Il faudrait développer l'attractivité de ces postes et offrir un niveau de rémunération équivalent à celui du secteur privé.

Concernant plus précisément la Dinum, nous n'avons pas de difficulté à pourvoir les postes ouverts. Nous favorisons volontairement le turnover au sein de la Dinum, car nous sommes une direction de mission qui a intérêt à adapter les expertises aux évolutions des besoins de l'État. Le dispositif visant à favoriser les allers-retours entre secteurs public et privé qui a été mis en place cette année par la loi de transformation de la fonction publique pourrait nous aider, en permettant à des profils de titulaire de recevoir une expérience complémentaire avant de revenir au secteur public, alors que la tendance historique est au départ des profils les plus intéressants vers le privé.

Nous avons lancé il y a plusieurs mois l'initiative « Partager vos talents numériques », qui commence à donner des résultats intéressants. Il s'agit de faciliter les mises à disposition de spécialistes pointus entre ministères. Il peut être intéressant de mobiliser ponctuellement une expertise ; c'est un mode dynamique de mutualisation des compétences auquel la culture administrative n'est pas forcément très propice.

M. Jérôme Bascher. - Qui décide de ces mises à disposition ?

M. Nadi Bou Hanna. - L'initiative vient des agents eux-mêmes, qui expriment leur motivation pour travailler sur des projets dans d'autres administrations. C'est une logique d'association de l'offre et de la demande entre ministères demandeurs et agents volontaires. Ce dispositif est tout à fait nouveau : je ne suis donc pas encore en mesure de vous exposer des résultats très concrets.

Vous avez également évoqué le naufrage de quelques projets, tel celui qui est relatif à la délivrance des cartes grises. Pour permettre de rendre ces constats d'échec plus objectifs, nous avons lancé il y a quelques mois un observatoire de la qualité des services numériques, qui est mis à jour tous les trois mois. Cet observatoire permet à tout utilisateur, à tout citoyen qui fait une démarche en ligne, de noter son expérience. Les résultats sont intéressants ; nous les publions en toute transparence, pour les 250 démarches les plus utilisées, ce qui permet d'identifier les zones de faiblesse et les projets qui marchent bien. La délivrance des cartes grises était l'une des solutions numériques les moins appréciées, mais on relève une progression remarquable des notes données par les utilisateurs ces derniers mois. Ce thermomètre amène les ministères à s'intéresser à la perception de leurs services numériques et à améliorer l'expérience des utilisateurs.

M. Canevet m'a demandé si tous les ministères ont défini une stratégie de moyen terme. Nous ne les incitons plus à élaborer des schémas directeurs pluriannuels, mais il est essentiel qu'ils déterminent une trajectoire d'évolution stratégique, c'est-à-dire un plan glissant, actualisé quand les circonstances ou les priorités évoluent. La plupart des ministères ont adopté cette démarche, en particulier grâce au programme TECH.GOUV, qui leur a fourni un cadre d'ensemble déclinable dans leurs secteurs respectifs.

Le réseau interministériel de l'État est probablement l'un des grands succès de ces dernières années. Fort de 14 000 points de présence, il s'est avéré extrêmement résistant pendant le confinement, lorsqu'il a dû absorber les flux de connexion des agents en télétravail. Son renforcement se poursuit, en vue d'en faire, au-delà de la connectivité du quotidien, le socle du réseau de crise de l'État.

Ma direction est placée sous l'autorité de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, à l'instar de la direction interministérielle de la transformation publique et de la direction générale de l'administration et de la fonction publique. C'est donc Amélie de Montchalin qui assure le pilotage stratégique du numérique au sein de l'État. Pour autant, la Dinum intervient aussi pour le compte du Premier ministre, en particulier sur les questions liées à l'article 3 du décret n° 2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d'information et de communication de l'État et à la direction interministérielle du numérique.

Réinventer la roue à chaque projet, c'est un syndrome informatique bien connu, dans la fonction publique comme dans les entreprises : le not invented here, consistant à considérer qu'on est toujours différent de son voisin... Ma direction vise, tout au contraire, à développer des solutions mutualisées, « sur étagère ». Toutes celles que nous avons mises à la disposition des agents pendant la crise sanitaire ont été de ce type.

Je ne puis pas vous renseigner sur le programme de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) dont il a été question : nous n'y avons pas été associés durant les trois dernières années. Je ne suis d'ailleurs pas certain qu'il s'agisse d'un projet strictement numérique. Je vous fournirai des éléments de réponse ultérieurement.

En ce qui concerne le cloud, la stratégie mise en place il y a deux ans consiste à former trois cercles concentriques : le premier dédié aux besoins internes de l'État, opéré directement par celui-ci dans ses centres de données ; le deuxième appuyé sur un industriel du numérique, qui n'a pas encore vu le jour, mais sur lequel nous travaillons ; le troisième permettant aux administrations de recourir aux offres du marché, en appréciant l'adéquation de celles-ci à la sensibilité de leur projet. La question du choix du prestataire est essentielle, et il appartient à chaque ministère d'évaluer la sensibilité des données en jeu pour choisir un opérateur français, européen ou un industriel international de l'hébergement.

En la matière, on ne peut pas adopter une position uniforme. Le cloud est aujourd'hui dominé par quelques géants américains qui disposent d'une longueur d'avance d'un point de vue technique. Il faut aider nos industriels à se hisser à leur niveau, mais nous ne pouvons pas attendre pour commencer à faire basculer nos offres dans le cloud. Nous devons donc trouver des compromis, en tenant compte de la sensibilité des projets.

La valorisation de la data est un axe de travail important de ma direction. Placer la donnée au coeur de la décision publique passe par le développement de la data science et de l'open data au sein de l'État.

La relation avec les collectivités territoriales est, en effet, un enjeu très important. À cet égard, ma direction anime un programme partenarial, le Développement concerté de l'administration numérique territoriale (DCANT), destiné à trouver des lieux de mutualisation de solutions techniques et de partage de bonnes pratiques. Il s'agit en particulier de favoriser la constitution, à l'échelle régionale, départementale, voire intercommunale, de structures de mutualisation, par exemple pour le recrutement de profils pointus ou la conduite de projets à forte valeur ajoutée.

Enfin, vous m'avez interrogé sur la sécurité des systèmes d'information. L'ANSSI est pour nous un partenaire du quotidien : nous travaillons main dans la main sur la plupart des projets numériques. Comme il a été signalé, elle fait désormais partie du processus d'audit des projets de plus de 9 millions d'euros.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le président Andréani, monsieur Bou Hanna, je vous remercie. Nous avons régulièrement parlé des grands projets informatiques sur un mode plutôt négatif, mais vous êtes arrivés à faire souffler un petit vent d'optimisme !

Mes chers collègues, je vous propose d'autoriser la publication de cette enquête en annexe au rapport d'information de notre rapporteur général.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 12 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.