Mardi 8 juin 2021

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 40.

Actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025 - Audition du général d'armée François Lecointre, chef d'état-major des armées

M. Christian Cambon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir le général François Lecointre, chef d'état-major des armées, avec lequel nous allons nous entretenir de l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM). Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi, mon général, de vous remercier de votre présence et, à travers vous, de saluer l'ensemble de nos forces armées, notamment celles et ceux qui, à l'heure où nous parlons, se déploient sur les théâtres d'opérations extérieures et aussi sur le territoire national, parfois au péril de leur vie. J'étais, avant-hier encore, sur le porte-avions Charles de Gaulle qui rentrait de mission ; je veux vous redire notre fierté devant l'exigence et l'engagement de nos forces.

En tant que parlementaire et législateur, nous veillons à ce que ces femmes et ces hommes qui s'engagent pour la France disposent des moyens nécessaires ; notre objectif est donc de les aider à les obtenir. Lors de votre audition devant notre commission en octobre dernier, au moment d'examiner le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, vous aviez présenté un budget de la défense qui s'inscrivait strictement dans la trajectoire prévue par la LPM, soit un montant de 39,2 milliards d'euros. Nous avions également rappelé notre objectif de suivre pas à pas l'actualisation de cette loi pour 2021.

En effet, cette LPM a été construite par le Gouvernement sur la base d'un besoin total de 295 milliards d'euros sur la période 2019-2025. Seules les annuités de 2019 à 2023 avaient été fixées, pour un montant total de 197,8 milliards d'euros courants, avec une augmentation annuelle de 1,7 milliard d'euros entre 2019 et 2022 et une augmentation de 3 milliards d'euros pour atteindre 44 milliards d'euros en 2023. Il reste donc 97 milliards d'euros pour 2024 et 2025, non votés dans le cadre de la LPM ; ce sont ces deux dernières années de programmation qui devaient faire l'objet, selon le Gouvernement, d' « arbitrages complémentaires en 2021 », afin de prendre en compte la situation à cette date.

Nous avons attendu en vain une loi ; le Gouvernement nous a informés qu'il ne comptait pas en déposer une et, suite à nos demandes pressantes, il organise, au nom de l'article 50-1 de la Constitution, un débat suivi d'un vote le 22 juin à l'Assemblée nationale et le 23 juin au Sénat ; j'ai cru comprendre que le Premier ministre viendrait présenter cette communication. Naturellement, mon général, je ne vous demande pas de commenter ces décisions politiques, mais vous imaginez bien qu'aux yeux de nos collègues parlementaires, un débat de quelques heures ne remplace pas un texte de loi.

Dans cette perspective, il était indispensable de vous entendre sur les ajustements à apporter à la LPM compte tenu de l'évolution des menaces décrites par l'actualisation stratégique de 2021, ainsi que sur l'adéquation entre, d'une part, les objectifs de la loi et, d'autre part, les réalisations et les moyens consacrés.

En 2018, nous avions déjà exprimé notre inquiétude de voir renvoyer en fin de LPM les marches les plus hautes d'augmentation budgétaire, au risque que ces engagements ne soient pas tenus. Or, si ce premier objectif vers « l'ambition opérationnelle 2030 » n'est pas atteint, c'est l'ensemble du modèle d'armée qui risque de chavirer et la préparation de nos armées à la haute intensité qui serait remise en cause ; j'ai encore à l'esprit vos affirmations de l'époque, nous expliquant qu'une LPM devait s'exécuter complètement, faute de quoi cela entraînerait des difficultés.

Nous sommes confortés dans cette inquiétude par le fait que les surcoûts nets des opérations extérieures (OPEX) et des missions intérieures s'élevant à plus de 600 millions d'euros en 2019 et 2020, sont restés à la charge du seul budget de la défense, alors que la LPM prévoyait qu'il en serait différemment. Il est donc à craindre que d'autres surcoûts ne soient pas financés et que cela implique des renoncements par ailleurs.

Sur les questions budgétaires, mes collègues pourront vous interroger plus précisément. De mon côté, je souhaite vous faire part de trois motifs de préoccupation.

Compte tenu de la crise du covid, l'objectif de 2 % du produit intérieur brut (PIB) à l'horizon 2025 devient hors sujet. Si l'on s'en tient à l'objectif en valeur de 295 milliards d'euros, les armées pourront-elles mener de front tous les objectifs initiaux de la LPM, avec les nouveaux programmes à effets majeurs dans le renseignement, l'espace, le cyber, la lutte anti-drones ou le financement de la propulsion nucléaire pour le futur porte-avions de nouvelle génération ? Combien va-t-il manquer dans la LPM ? Quels renoncements faudra-t-il assumer ?

Ensuite, s'il faut se féliciter de la décision d'un deuxième pays européen - la Croatie - d'acquérir douze avions de chasse Rafale d'occasion, à l'instar de la Grèce, je souhaite vous interroger sur les limites de ce modèle d'exportation à la fois en termes de coût et en disponibilité opérationnelle. Comment allez-vous gérer le prélèvement de douze Rafale non remplacés en 2025 ? Et ne faudrait-il pas prévoir, comme pour les cessions immobilières du ministère des armées, un retour de l'intégralité du produit de la cession au budget de la défense ?

Enfin, existe-t-il un risque que, lors de ces arbitrages, les petits programmes soient, comme souvent, sacrifiés au profit des gros ? Au-delà des grandes réalisations et des grands équipements, les efforts consentis par la loi au sujet de l'immobilier, de la condition du soldat ou de la préparation opérationnelle de nos troupes seront-ils maintenus ?

Nous allons sortir d'une crise du covid qui va considérablement changer le paysage budgétaire, économique, juridique. Si des choix sont à faire, nous souhaitons qu'ils s'effectuent en transparence et qu'ils soient débattus au Parlement, de telle sorte que cette LPM, que nous avons amendée et soutenue, puisse être portée jusqu'à son terme.

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées. - C'est toujours un plaisir d'échanger avec votre commission et de mesurer l'attention sincère que vous portez à toutes nos questions de défense. Cela m'incite à être le plus transparent possible concernant nos orientations. C'est un défi qui, chaque fois, nous oblige à la clarté de l'expression et du raisonnement et à la responsabilité dans les choix que nous proposons ensuite à l'approbation de la ministre des Armées et du Président de la République.

Depuis l'élaboration et le vote de cette LPM, le fil conducteur est la cohérence dans la réflexion que nous menons et dans les décisions que nous prenons, y compris dans les mesures d'ajustement qui font l'objet de notre rencontre aujourd'hui. Les choix capacitaires retenus s'inscrivent en effet en parfaite cohérence avec l'ambition opérationnelle 2030. Ces mesures d'ajustement répondent à une préoccupation essentielle : faire face aux nouveaux besoins identifiés dans le cadre de l'actualisation stratégique publiée au début de l'année 2021 et des évolutions constatées depuis 2017.

Nous tirons beaucoup d'enseignements des engagements de ce qui est une armée d'emploi - sans doute la seule en Europe -, qui adapte sans cesse ses modes opératoires, ses analyses stratégiques et ses besoins capacitaires pour faire face à un environnement de conflictualité qui change en permanence. Si nous devons tenir compte de ces évolutions, nous devons également rester en cohérence avec une vision à plus long terme, par définition spéculative. Il y a une tension entre les enseignements quotidiens de nos engagements et cette ambition qui doit nous porter jusqu'en 2035 ou 2040. Je rappelle, à titre d'exemple, que le porte-avions nouvelle génération sera en service jusqu'en 2080. J'ai espoir que nous soumettons aux responsables politiques les bonnes orientations ; on n'est jamais l'abri de se tromper par excès de conservatisme ou par aveuglement, mais je veille, avec l'ensemble de l'état-major, à éviter ces impasses.

Je voudrai développer mon propos liminaire en deux parties : dans un premier temps, je reviendrai sur les principaux enseignements de l'actualisation de la revue stratégique ; et, dans un second temps, je détaillerai la façon dont nous avons exploité ces enseignements, en traitant certaines fragilités et en prenant en compte les besoins nouveaux identifiés.

Trois éléments-clés sont à retenir de l'actualisation stratégique : la confirmation des tendances identifiées en 2017 ; le constat de l'accélération de la dégradation du contexte stratégique ; l'identification de plusieurs éléments de rupture.

En 2017, nous avions identifié trois menaces principales : le terrorisme djihadiste, la prolifération des armes de destruction massive et le retour à la compétition stratégique entre grandes puissances. Je constate que ces trois grandes menaces se sont confirmées et même aggravées.

Le terrorisme d'inspiration islamiste, malgré son affaiblissement lié à la mort de nombreux cadres des mouvements que nous combattons, poursuit son expansion, son enracinement local et sa dissémination globale, selon un mouvement qui est de nature à nous inquiéter. Les péripéties politiques au Mali et au Tchad posent régulièrement la question de notre engagement au Sahel. Au-delà des réponses immédiates, il s'agit de bien identifier les tendances lourdes de ce terrorisme islamiste.

Certes, au cours des dix dernières années, la relation entre irrédentisme touareg et terrorisme djihadiste algérien a été rompue. Cependant l'irrédentisme touareg s'est étendu dans le sud, en tirant profit d'une mauvaise gouvernance, de la frustration des populations et des tensions ethniques. Il faut donc le reconnaître : nous n'avons pas résolu ce sujet, qui procède autant de questions politiques que de questions militaires. Le danger djihadiste est aux frontières de l'Europe, il s'étend et s'enracine, cette tendance ne fait que se confirmer ces dernières années, malgré notre action pour l'en empêcher.

Ensuite, le retrait d'Afghanistan des États-Unis et de l'OTAN va laisser place à une situation favorable à l'installation de groupes terroristes qui pourront lancer des actions partout dans le monde, y compris sur notre sol. La menace djihadiste s'étend aussi à l'Afrique de l'Est, on le voit au nord du Mozambique avec la création d'une nouvelle wilaya qui rompt l'équilibre des forces en présence. Nous suivons la situation de très près par le biais de nos forces armées stationnées dans la zone sud de l'Océan Indien car il en va de la stabilité de l'ensemble de la région.

Deuxième menace que nous identifiions en 2017, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs continue et la situation en Corée du Nord, en Iran et au Pakistan ne nous rassure guère, je n'insiste pas.

Troisième menace, le retour à la compétition stratégique entre puissances se confirme. Les États-Unis se focalisent sur la Chine, et dans le vide ainsi créé, des compétiteurs comme l'Iran ou la Turquie s'enhardissent, aspirant à être des puissances régionales, au risque d'un aventurisme militaire qui peut conduire à des escalades inquiétantes. La Méditerranée centrale et orientale est d'ailleurs aujourd'hui un concentré de toutes ces menaces en développement.

Nous constatons que la dégradation des relations internationales s'accélère, avec l'intensification des rivalités entre grandes puissances avec une sorte de continuum contestation-compétition-confrontation qui se traduit par une confrontation dans les zones grises et par une remise en cause des équilibres existants - et plus généralement la contestation de l'ordre d'un monde multipolaire réglé par le droit international. La pandémie de coronavirus a créé une tension supérieure, qui génère des clivages et suscite de nouvelles craintes.

Nous identifions ensuite des éléments de rupture stratégique, en particulier les nouvelles technologies, la généralisation de stratégies hybrides, l'enhardissement des puissances régionales. Dans le stockage et le traitement des données, l'intelligence artificielle, la 5G, l'informatique quantique, l'énergie, apparaissent de nouvelles dépendances en matière de standards, de normes - qui dessinent d'ailleurs un nouveau champ de conflictualité affectant des domaines essentiels de la vie en société - ou d'approvisionnement. Ces nouvelles technologies entraînent l'extension de champs de confrontation, en particulier dans le cyberespace, dans l'espace exo-atmosphérique, dans le champ informationnel ou dans l'espace sous-marin - j'ai confié une mission sur ce dernier thème au chef d'état-major de la Marine.

Des compétiteurs étatiques usent de stratégies hybrides en combinant des modes d'action militaires et civils, directs et indirects, légaux et illégaux, en recourant non seulement à leurs armées mais aussi à des sociétés privées ou des milices, en utilisant des leviers aussi divers et complexes que les flux migratoires, la désinformation, la rétorsion économique, la pression directe sur des acteurs privés. Face à ces stratégies hybrides, nous pourrions être tentés de répondre par une sorte de contre-hybridité : je crois que nous devons résister à cette tentation, car ce serait contraire à nos valeurs et contraire au droit international de plus en plus mis à mal par ces stratégies hybrides ; cependant, nous devons réfléchir aux moyens de contrer ces stratégies, en les identifiant le plus précocement possible.

Nous devons par exemple constamment tenir compte de la désinformation à notre encontre. Nous décryptons ainsi l'affaire de Bounti, au Mali, qui a été l'occasion d'une tentative de déstabilisation de notre action au Sahel et de notre propre information. J'ai constaté récemment, que des propos que j'ai tenus dans un entretien avec un journal français donnaient lieu à des tentatives de désinformation en Estonie - des réseaux prétendant que j'aurais dit que la France se désolidariserait des États-Unis en cas de conflit avec la Chine, ce qui est tout à fait fantaisiste.

Quels enseignements tirer de ces analyses sur l'évolution des menaces ? En premier lieu, qu'elles ne remettent pas en cause la LPM ni l'ambition opérationnelle 2030, qui visent précisément à ce que notre pays dispose d'un modèle d'armée complet pour faire face à un conflit de haute intensité. Au-delà, nous avons un outil mieux adapté, dont le caractère complet relève le seuil d'engagement dans un conflit armé, face à des ennemis qui utilisent une stratégie hybride.

Cela dit, si notre stratégie est la bonne, nous devons renforcer nos capacités d'action dans les nouveaux espaces de conflictualité, en particulier dans le cyberespace, dans le spatial, dans le champ informationnel et dans l'espace sous-marin. Ce renforcement capacitaire est indispensable pour qualifier la menace et identifier les auteurs des attaques, il faut des moyens importants pour contrer les attaques et forcer leurs auteurs à sortir de leur ambiguïté.

Ce contexte stratégique avec des risques nouveaux à nos portes appelle une volonté forte d'y faire face et une réponse adaptée de l'Union européenne. Je reste un défenseur acharné de l'édification d'une Europe-puissance voulue par le Président de la République, pour laquelle nous devons, nous armées françaises, entraîner nos partenaires à agir, pour que l'Europe s'affirme comme un acteur stratégique disposant d'armées puissantes, modernes, aptes à jouer un rôle moteur dans les recompositions en cours.

La LPM n'a donc pas de raison d'être remise en cause dans ses fondements et il n'est pas nécessaire d'en changer le cap. Nos choix conservent leur pertinence, même si nous avons besoin d'un ajustement à la marge. Il est fondamental de maintenir nos grands équilibres capacitaires, en particulier pour garantir notre capacité à intervenir dans tous les milieux ; les Britanniques ne font pas ce choix et sont en train de bâtir un modèle d'armée différent, ce qui me semble risqué.

Les moyens mobilisés pour cet ajustement représentent 1 milliard d'euros sur les 295 milliards d'euros du périmètre de la LPM, nous visons l'efficacité et nous allons accélérer certains programmes et en décélérer d'autres. En réalité, nous faisons chaque année cet exercice d'ajustement de la programmation militaire. Celui que nous faisons cette année est plus important, nous nous projetons plus loin pour prendre en compte les ruptures stratégiques que nous avons identifiées.

Le premier axe d'ajustement vise à mieux détecter les menaces et à mieux attribuer les agressions dans les nouveaux espaces de conflictualité. Nous devons pour cela investir davantage dans les trois domaines que sont le cyberespace, le renseignement et la surveillance. Pour chaque domaine, cela se traduira par l'acquisition de capacités de stockage des données, de calcul et d'algorithmes - les livraisons interviendront à partir de 2023. Dans le cyber, l'accélération représente deux années pour certains programmes, pour obtenir une capacité structurante de traitement des données, de renseignement et de ce qu'on appelle désormais la lutte informatique d'influence - la L2I. Nous devons mieux détecter les faux comptes sur les réseaux, nous investissons aussi en cryptographie avec une nouvelle gamme de chiffreurs qui nous donnera une alternative aux matériels étrangers. En matière de renseignement, nous avons aussi besoin de capacités supplémentaires de stockage et de traitement, qui passeront notamment par le recours à des outils d'automatisation à base d'intelligence artificielle.

Ces changements comportent un enjeu de ressources humaines, car les métiers changent en profondeur et c'est un défi que nous relevons - en réalité, les armées sont en perpétuelle transformation, les nouveaux profils sont intégrés en continu y compris dans les unités combattantes. Cette réalité est méconnue car l'opinion a souvent l'image d'une armée qui n'évoluerait pas alors que, j'en suis convaincu, votre visite au porte-avions Charles-de-Gaulle vous aura montré combien nos métiers ont changé et comment nos équipements intègrent les développements les plus modernes de la technologie.

Dans les domaines de l'interception et de la surveillance, nous avons besoin de renforcer nos capacités d'interception et de localisation des émissions électromagnétiques, de surveillance de l'espace et d'investigation sous-marine. Nous utilisons par exemple des drones pour surveiller les grands fonds marins, un domaine très confidentiel et stratégique, tant les données qui passent par les câbles sous-marins sont devenues stratégiques.

Le deuxième axe vise à mieux se protéger en renforçant la capacité des armées à contribuer à une résilience accrue sur le territoire national, en particulier dans les domaines santé, NRBC et lutte anti-drones. Tout cela se fait dans la perspective de nos engagements sur des théâtres d'opération extérieurs mais aussi dans la perspective de grands événements sur le territoire national.

Dans le domaine nucléaire, radiologique, biologique et chimique, il s'agit de développer des contre-mesures médicales, avec le programme à effet majeur Cinabre, qui sera lancé avant l'été, et le développement d'une filière souveraine de réactifs biologiques. Dans le domaine de la lutte antidrone, nous prévoyons l'acquisition de moyens supplémentaires, notamment de brouillage. Dans le domaine de la santé, il s'agit de développer une capacité pérenne d'évacuation sur avions de transport - A400M et C-130J - et de lancer les premières études en vue du renouvellement des capacités Merope (module de réanimation pour les opérations) et Morphée (module de réanimation pour patient à haute élongation d'évacuation) sur MRTT (Multi Role Tanker Transport) ; on a recouru à ces capacités lors de la première vague de covid, avec des transferts médicaux entre zones.

J'en arrive à l'interministériel ; nous voulons garantir l'interopérabilité des armées avec les forces de sécurité intérieure, du point de vue des réseaux de transmissions et du commandement, notamment par le raccordement au réseau de radio du futur.

Le dernier axe consiste à mieux se préparer, c'est-à-dire à préparer nos armées à prendre l'ascendant sur des adversaires de plus en plus agiles. Il s'agit surtout de conforter l'effort de préparation opérationnelle des armées, en parallèle de ce qui est conduit en faveur de leur réparation et de leur modernisation. Pour être tout à fait franc, je pense que, au moment de l'élaboration de la LPM, nous avions sous-estimé les besoins en ressources budgétaires dans ces domaines. Aujourd'hui, il nous apparaît nécessaire de les renforcer, en rehaussant la disponibilité des équipements requis pour assurer une plus grande homogénéité de l'entraînement opérationnel, en compensant des fragilités logistiques mises en évidence par la crise sanitaire dans le domaine du maintien en condition opérationnelle et en améliorant les moyens permettant la valorisation de l'entraînement : simulation, centres de préparation opérationnelle et exercices, qui sont coûteux. Nous prévoyons d'ailleurs d'organiser en 2023 un exercice, dénommé Orion, qui sera multi-milieux, interarmées, interallié, de niveau divisionnaire et qui impliquera 17 000 à 20 000 hommes et 500 véhicules de l'armée de terre, deux porte-hélicoptères amphibies, le porte-avions Charles-de-Gaulle pour la Marine et 40 avions de l'armée de l'Air et de l'Espace. Enfin, il nous faut acquérir des moyens permettant de garantir la cohérence d'ensemble et la maîtrise par les armées de la force dans des environnements moins permissifs.

Il faut donc que nous renforcions les activités notamment de l'armée de terre et de l'armée de l'Air et de l'Espace, en augmentant les heures de vol de chasse et les heures d'entraînement sur blindés, à partir de 2022.

Puisque j'évoque l'exercice Orion, la question que se posent aujourd'hui les armées est celle de la manière de signifier notre détermination. C'est une autre façon de contrer des stratégies hybrides ; dans cette confrontation de volontés, nous devons penser que chacune de nos actions peut être, et doit pouvoir être, interprétée par nos compétiteurs ou par nos ennemis. Être capable de conduire un exercice de haute intensité participe de cette volonté de signifier à nos compétiteurs que nous nous défendons, que nous agissons et que nous sommes capables de contrer ces actions. Tout cela est un champ nouveau, qui passe par le renforcement des moyens de préparation opérationnelle des armées. Les exercices que cette préparation nous amène à réaliser constituent, en eux-mêmes, une forme de démonstration de puissance, donc de confrontation.

En conclusion, je souhaite revenir sur ce qui caractérise l'ensemble des travaux que nous avons conduits au sein des armées : la grande cohérence avec l'ambition d'un modèle complet, qui permet à la France de se défendre, de défendre ses intérêts et de peser sur la scène internationale. Ce modèle conserve, selon moi, toute sa pertinence et si les analyses récentes que nous avons faites nous amènent à quelques modifications, nous ne faisons qu'ajuster la trajectoire, nous ne changeons pas de cap ; il s'agit simplement de mieux prendre en compte des évolutions stratégiques et technologiques que nous observons.

L'ajustement nous paraît indispensable, mais il ne doit pas éclipser la LPM elle-même, qui est organisée autour de quatre axes : la « hauteur d'homme », le renouvellement des capacités opérationnelles, la garantie de l'autonomie stratégique de la France et le soutien à l'émergence d'une autonomie stratégique européenne, ainsi que l'innovation face aux défis futurs. Cette LPM marque un tournant pour les armées ; elle représente objectivement un effort important et elle marque une inflexion très nette par rapport aux deux LPM précédentes, ce n'est pas contestable. Si nous n'avions pas eu cette loi, le haut commandement militaire aurait été contraint de proposer aux politiques un certain nombre de renoncements, qui auraient déclassé la France ; il faut en être tout à fait conscient.

Pour autant, nous suivons avec attention l'exécution de cette LPM. Au-delà, la LPM suivante devra porter l'effort de modernisation des armées pour effectivement atteindre l'Ambition 2030.

M. Christian Cambon, président. - Quels sont les secteurs qui risquent de faire les frais de ces quelques réorientations ? Si l'on dépense plus dans un secteur, on risque de dépenser moins dans un autre. Or le Sénat observe le budget des armées avec attention...

M. Pascal Allizard. - Quels sont les axes de recherche à soutenir en priorité, notamment dans le domaine des industries navales et terrestres, qui représentent, chacune, à peine 5 % des crédits de recherche de l'Agence d'innovation de la défense ? Par ailleurs, la France vous paraît-elle pleinement mobilisée pour tirer le meilleur parti du Fonds européen de défense et diversifier ainsi ses sources de financement de l'innovation ?

M. Jean-Marc Todeschini. - C'est sans lien avec la LPM, mais des mesures ont-elles été prises vis-à-vis des généraux de seconde section qui ont signé une tribune dans la presse ?

En ce qui concerne la LPM, je veux parler du remplacement du Famas ; où en sommes-nous du déploiement du fusil HK416 ? Y a-t-il une échéance prévue pour sa mise en service ? Comment éviter d'acheter à l'étranger le successeur du Famas ? Enfin, pouvez-vous nous parler des investissements et des recrutements ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je poserai une question au nom de mon collègue Cédric Perrin, qui ne peut être présent, et une en mon nom.

Les ajustements de la LPM ne se limitent pas à des choix assumés - prioriser de nouveaux programmes à effets majeurs tels que la propulsion nucléaire du porte-avions nouvelle génération ou les programmes Ares et Artémis - ; en particulier, des opérations imprévues - le prélèvement de douze Rafale pour la Croatie -, des arbitrages budgétaires défavorables ou des retards industriels altèrent fortement le parc matériel prévu pour fin 2025. En dehors des véhicules blindés légers, trois programmes sont susceptibles de remettre en cause l'Ambition 2030 : le programme de guerre des mines, les futurs bâtiments hydrographiques et la révision à la baisse du nombre de Rafale pour l'armée de l'air, passé de 129 à 117 appareils. Du point de vue opérationnel, comment allez-vous faire ?

Par ailleurs, du point de vue budgétaire, quel est le chiffrage global de ces ajustements ? Faut-il revoir l'enveloppe globale de 295 milliards d'euros de la LPM, au prix de quels surcoûts ou de quels renoncements ?

La LPM 2019-2025 constitue une première étape vers l'Ambition 2030, qui doit garantir à la France l'autonomie d'action nécessaire pour « entrer en première » et la capacité d'intervenir dans des opérations majeures de coercition impliquant des combats de haute intensité, mais la trajectoire de la LPM reste formatée pour projeter des forces de façon ponctuelle et limitée. Faut-il continuer à miser sur des équipements, comme le porte-avions, de très haute technologie, mais disponibles en faible quantité ? Avec notamment une cible de 15 frégates de premier rang pour 2030 et des moyens limités en transports aériens stratégiques et tactiques, ne risque-t-on pas de prendre du retard et de ne pas disposer de la masse critique pour faire face à la multiplication des théâtres d'opérations ?

Pour ce qui concerne le Sahel, comment encourager une implication plus forte de nos partenaires européens, ce que nous souhaitons depuis longtemps, au vu de la dégradation de la situation sécuritaire ?

M. Yannick Vaugrenard. - De nouvelles menaces dues à l'avancée technologique pèsent sur notre avenir, notamment dans le domaine du renseignement. Quels efforts en matière numérique et d'intelligence artificielle sont susceptibles d'être accomplis dans les années qui viennent ? Quel soutien financier supplémentaire faut-il prévoir pour se prémunir contre un conflit spatial ? Enfin, la guerre de la désinformation peut atteindre le coeur de notre crédibilité ; nous savons le rôle de la Russie et de la Chine dans ce domaine, notamment en Afrique ; comment y faire face ?

M. Joël Guerriau. - la LPM prévoyait la création de 6 000 emplois, avec trois priorités : le renseignement, les unités opérationnelles et la cyberdéfense. Nous considérions que le rythme de 450 recrutements au cours des premières années était trop lent et qu'il en fallait plutôt 2 500. Une adaptation de la LPM est nécessaire pour tenir compte du développement de la cyberdéfense, de la généralisation du double équipage dans la marine et de la nouvelle stratégie spatiale. Combien d'emplois le nouveau commandement de l'espace et le centre d'excellence de l'OTAN pour l'espace mobiliseront-ils ? La politique de redéploiement interne n'atteint-elle pas ses limites ? À combien d'effectifs supplémentaires estimez-vous le besoin d'actualisation ?

Mme Vivette Lopez. - Les écoles de Coëtquidan ont changé de nom et une école de formation pour les officiers sous contrat a été créée. Nos officiers sont-ils aptes à relever les défis intellectuels, stratégiques et opérationnels que nos adversaires nous imposent ?

M. Hugues Saury. - Quand le char de combat Leclerc de nouvelle génération sera-t-il livré ? Cela entraînera-t-il des changements importants au sein de nos régiments ?

M. Jacques Le Nay. - Naval Group vient de faire une nouvelle offre à la Grèce : une frégate construite à Lorient, qui sera livrée en 2025, et trois autres construites en Grèce, ainsi que la cession gratuite de deux frégates, après remise en condition. Quel est le montage financier de cette opération intéressante pour le plan de charge de Naval Group ?

Général François Lecointre. - Vous m'avez interrogé, monsieur le président, sur les 2 % du PIB à horizon 2025. Nous tenons à ce que le niveau des ressources qui ont été programmées pour les armées soit maintenu en valeur et non en pourcentage. Sinon, je ne sais pas comment nous remplirons les ambitions fixées. À tout le moins, nous serions conduits à étaler certains programmes, ce qui est en réalité toujours coûteux et qui contraint beaucoup les armées. Il faut tout faire pour éviter de voir redescendre les ressources qui nous seront consacrées. Certes, la situation économique de la France à la sortie de la crise covid, son niveau d'endettement, auront forcément un impact sur la façon dont les finances publiques seront regardées, notamment par Bercy - et par notre opinion publique, qui estimera plus important de se doter de stocks de masques ou de nouvelles capacités de produire des vaccins. Je compte précisément sur vous : nous avons tous le devoir de faire prendre conscience à nos concitoyens que le monde qui les entoure est un monde violent et qu'ils vont être rattrapés par cette violence très rapidement, quoiqu'il arrive, qu'ils le veuillent ou non. On ne peut pas faire d'impasse sur la protection de nos intérêts stratégiques et sur le rang de la France dans le monde. Ce travail, il faut que nous le poursuivions tous ensemble.

Il est prévu que la totalité des ressources issues de la vente des avions Rafale d'occasion revienne aux armées. En particulier, ces ressources nous permettront de nous doter des équipements de mission nécessaires, dont nous avons besoin pour remplir la totalité de nos engagements opérationnels. Mais pour l'instant, je n'ai pas la réponse sur la façon dont nous allons faire face aux conséquences de cette vente. Cela pose un certain nombre de difficultés de nature opérationnelle. J'ai un contrat à remplir, les armées doivent être capables de mettre en oeuvre des capacités opérationnelles et de les engager sur tous les théâtres. Aurons-nous ces capacités ? Il faut que nous regardions de près et à quel prix. Par ailleurs, à partir de 2023-2024, les avions Mirage 2000C qui aujourd'hui assurent la posture permanente de sûreté aérienne seront retirés du service. Reste à voir de quelle façon ces avions peuvent être remplacés par des avions Rafale ou si nous pouvons encore les prolonger.

Enfin, la vente de Rafale d'occasion pose un certain nombre de contraintes de nature organique à l'armée de l'Air et de l'Espace. D'une part, le soutien à l'exportation de ces avions nous impose de former des pilotes et des mécaniciens croates. D'autre part, l'armée de l'Air et de l'Espace doit elle-même disposer d'heures de vol, et donc d'avions en nombre suffisant, pour entraîner et former ses pilotes. Cela dit, si nous n'avions pas réussi à atteindre les objectifs d'export du Rafale, la LPM était intenable. Nous verrons précisément si nous les remplaçons nombre par nombre, ou si nous attendons en décalant cette possibilité, pour avoir la version suivante du Rafale. Ce travail est actuellement en cours et je ne peux pas vous dire aujourd'hui ce qui sera fait. En tout cas, nous prendrons en compte à la fois le soutien à l'export, la dimension organique et les contraintes opérationnelles. Je persiste à penser, malgré tout, que c'est une bonne nouvelle.

Vous avez évoqué les petits programmes sacrifiés et la préparation opérationnelle, monsieur le président. Il n'est pas question de sacrifier des petits programmes. Nous en décalons certains, simplement. En tout état de cause, l'ajustement de la LPM cette année permet d'augmenter les ressources consacrées à la préparation opérationnelle des armées. Pour être très précis, nous décalons notamment la mise à niveau de la flotte logistique terrestre, nous retardons le programme de guerre des mines SLAM-F (Système de lutte anti-mines Futur) et nous décalons légèrement la réalisation du système de drone tactique - en réalité, c'est l'industrie qui n'était pas au rendez-vous. Dans la plupart des cas, nous nous sommes appuyés sur la vie des programmes et sur le retard de tel ou tel industriel.

M. Allizard m'interroge sur les axes de recherche de l'industrie notamment navale et terrestre. Nous menons un travail ambitieux sur le système de drone sous-marin ainsi que sur les drones embarqués sur des frégates. En matière d'industrie terrestre, nous sommes essentiellement engagés sur le Main Ground Combat System (MGCS) et sur la numérisation de l'espace de bataille, qui est un sujet ancien mais sur lequel nous continuons à progresser, avec des recherches importantes à l'occasion desquelles nous allons pouvoir tirer profit du Fonds européen de défense, en coopération avec les Allemands, voire d'autres partenaires européens. L'important me paraît être de repenser toutes nos architectures de commandement & contrôle en intégrant de façon native l'idée que nous devons travailler en coalition - ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent -, la volonté française d'être un leader de coalition - ce qui implique beaucoup de contraintes -, et une numérisation de l'espace de bataille qui se fait « tout-milieu », et non pas seulement en milieu terrestre ou aérien. C'est dans ces domaines que nous lançons l'essentiel de nos recherches.

Le remplacement du Famas par le HK-416 s'effectue au rythme de 12 000 pièces par an de 2019 à 2022 puis à environ 8000 armes par an. Il a commencé en 2017 et sera achevé en 2028, où 117 000 armes équiperont la totalité des combattants, y compris les réservistes. Je pense qu'il n'y aura pas de possibilité de relancer une filière nationale d'armement petit calibre. Ce renoncement a d'ailleurs été acté lorsque M. Morin était ministre de la Défense.

Vous m'interrogez sur la tribune des officiers généraux en deuxième section. Ma responsabilité est de préserver à tout prix la cohésion des armées. Ce qui fait la grande qualité et la grande réputation de notre institution au sein de la Nation, c'est sa cohésion - et sa cohésion dépend pour une part essentielle de sa neutralité politique. Il ne peut pas y avoir d'armée qui ne soit pas strictement soumise au pouvoir politique républicain et démocratiquement élu. Tout soupçon qui pourrait porter sur cette stricte subordination au pouvoir politique fait du mal aux armées et fait du mal à la Nation. C'est pourquoi je considère que des tribunes de cette nature ne sont pas acceptables, parce qu'elles fragilisent les armées et la Nation dans son ensemble.

On peut faire de l'exégèse sans fin sur le texte publié par les officiers généraux en deuxième section. Je ne m'y livrerai pas, mais je considère que, quelle que soit la lecture qu'on en fasse, c'est un texte de nature politique dont les rédacteurs pensaient bien qu'il allait être l'objet d'une récupération militante et politique. Je ne vois pas comment il aurait pu en être autrement. J'ai espéré un temps qu'il n'en serait pas ainsi et qu'on pourrait laisser passer cela sous l'horizon. Malheureusement, ce qui devait arriver est arrivé et ce texte a fait l'objet d'une polémique politique. Je n'ai pas eu d'autre choix, pour garantir la cohésion des armées au service de la Nation, que de réagir. Je l'ai fait en distinguant parmi ceux qui ont signé cette tribune les officiers qui l'ont fait par manque de discernement et ceux qui l'ont fait de façon délibérée, parce qu'ils sont militants sur le plan politique.

Or, que M. Tartemolle soit militant sur le plan politique, c'est son droit le plus strict en tant que citoyen ; mais que le général Tartemolle se prévale de son grade et donc engage les armées pour faire du militantisme politique, c'est inacceptable. Quand je lis dans un journal sous la plume d'un de ces généraux : « Fallait-il que la Grande Muette continue à se taire ? ». Cela signifie que ces officiers généraux continuent donc à prétendre s'exprimer au nom des armées ! Je leur dénie absolument ce droit, en particulier pour des prises de position militantes.

La décision a été prise de déclencher une procédure disciplinaire à l'encontre de ces officiers au terme de laquelle ils pourraient se voir retirer leur position statutaire de généraux en deuxième section. Pour l'essentiel, au-delà du fait qu'elle autorise les officiers généraux qui en bénéficient à porter l'uniforme dans certaines circonstances et qu'elle les rend rappelables à l'activité jusqu'à 67 ans, la deuxième section leur garantit le droit à vie à 75 % de réduction sur les tarifs SNCF. C'est un avantage considérable, je n'en disconviens pas, mais les cartes Vermeil donnent une réduction à peu près équivalente. C'est donc une sanction essentiellement symbolique, qui pourrait être justifiée par le fait que ces officiers ont exprimé, alors qu'ils sont d'active, sans respecter le devoir de réserve qui s'impose à eux, un point de vue politique, militant, en se prévalant de leur grade. En les sanctionnant ainsi, nous leur retirerions la possibilité de le faire de nouveau.

Ces officiers généraux vont être reçus par le Conseil supérieur de l'armée, devant lequel ils auront à expliquer pourquoi ils considèrent qu'ils étaient légitimes à dire cela. Je n'avais pas d'autre choix que de proposer ces sanctions et je pense que les armées n'auraient pas compris que le chef d'état-major des armées ne réagisse pas. Il est inacceptable de s'exprimer et d'exprimer un point de vue de politique militant en se prévalant de son grade, actuel ou passé. Les six officiers généraux qui se sont le plus exprimés publiquement et qui ont le plus revendiqué d'avoir signé cette tribune ont reçu une lettre de convocation devant le Conseil supérieur de leur armée, devant lequel ils vont bientôt passer. Pour que de tels faits ne se reproduisent pas, je ne peux que faire appel au discernement des officiers généraux.

Nos officiers sont-ils bien formés ? La transition est toute trouvée ! Nos officiers sont les mieux formés au monde, évidemment ! Cette question renvoie en fait, d'une part, à la formation initiale, dans nos grandes écoles militaires et, d'autre part, au parcours de nos officiers tout au long de leur carrière, qui font l'exemplarité de notre système militaire. Nous ne constatons pas d'abaissement du niveau de recrutement de nos officiers dans les écoles de formation initiale que sont Saint-Cyr, l'École Navale ou l'École de l'air. Le taux de sélection n'évolue qu'assez peu : c'est une sorte de mystère français. Déjà, le général Crène, quand il était chef d'état-major de l'armée de terre, pointait ce mystère, qu'il ne s'expliquait pas mais qu'il constatait : il y a toujours une part de la jeunesse de France qui est attirée par la vocation militaire, que ce soit chez les officiers, chez les sous-officiers ou chez les militaires du rang. Nous devons bien mesurer, par contraste, les difficultés que rencontrent pour recruter beaucoup de pays en Europe, qui connaissent un effondrement de la qualité de leurs militaires réellement inquiétant. La France est une exception, je ne peux que le constater et m'en féliciter !

En tout cas, le recrutement des officiers ne baisse pas en qualité et se fait toujours après des classes de mathématiques supérieures, d'hypokhâgne-khâgne ou préparatoires aux grandes écoles de commerce. La formation est à mon sens une formation d'excellence, qui mêle formation académique et militaire. Ce qui est remarquable ensuite c'est la formation qui continue tout au long de la carrière. Nos jeunes officiers qui passent par ces grandes écoles commencent par une première expérience de mise en oeuvre à un niveau de technicien, c'est-à-dire qu'ils ont le même niveau de responsabilité qu'un sous-officier. Quand vous êtes lieutenant chef de section dans un escadron, dans une compagnie, vous êtes au même niveau qu'un sergent-chef ou qu'un adjudant ; quand vous êtes officier de quart en sortant de l'École Navale, vous êtes officier de quart de la même façon que le maître principal qui est à vos côtés. Ce dispositif propre au système militaire permet à la fois la transmission d'une expérience - une sorte de compagnonnage entre sous-officiers et officiers - et l'acquisition d'une légitimité extrêmement forte. Nos officiers ont tous exercé le métier de mise en oeuvre et d'exécution avant d'accéder ensuite, dans un deuxième temps de la carrière, à des métiers de conception qui nécessitent une remise en question très importante. Ils ont en effet l'obligation de passer l'École de guerre pour accéder à des niveaux de conception qui leur permettront de devenir officier supérieur. C'est un parcours exigeant, dont essaye de s'inspirer, je pense, la réforme de la haute administration civile.

Il faut mesurer le degré d'exigence qu'il implique. Quand vous avez 33 ans, que vous avez été au combat, que vous avez commandé une compagnie de 180 hommes, que vous avez fait Saint-Cyr et qu'on vous dit d'un coup que tout cela ne vaut plus rien et qu'il faut préparer un concours pendant un an et demi, c'est moyennement drôle ! Il s'agit d'une remise en question difficile, mais qui ne décourage pas nos officiers, ce dont je me félicite - nous y veillons ! Certains, toutefois, chez les officiers de recrutement directs, ont la tentation, après ce premier temps qui les a conduits jusqu'au grade de capitaine ou de lieutenant de vaisseau, au contact du terrain, dans l'exercice d'un commandement très humain, et très valorisant, de quitter l'armée en refusant l'obstacle de ce concours de l'École de guerre. Ils bénéficient d'une formation et d'un parcours exemplaires, très facilement valorisables dans le civil : ils vont offrir leurs services ailleurs.

Vous m'avez posé la question essentielle de la haute technologie et de la masse critique. La question de la masse critique va se poser, j'en suis persuadé, et elle ne peut pas être traitée au détriment de la haute technologie. En effet, ce qui tient la capacité française à produire de l'armement, c'est la capacité à faire de la haute technologie. Notre base industrielle et technologique de défense repose sur l'excellence de nos industries de l'armement, qui nous apporte une supériorité opérationnelle évidente face à un ennemi potentiel et nous garantit une production nationale et européenne qui, par ailleurs, a des effets duaux sur d'autres technologies et permet de tirer l'ensemble de la recherche et des techniques vers le haut.

Pour autant, nous veillons à rechercher un progrès technologique différencié et adapté qui apporte réellement de la supériorité opérationnelle. Sur le char du futur, qu'est-ce qui apportera la supériorité opérationnelle principale ? La qualité du canon, du guidage du tir, la mobilité, la qualité de protection, la numérisation qui permettra de relier l'ensemble des plateformes pour produire des effets de combat ? Je n'en sais rien. Mais j'ai travaillé dans les bureaux qui s'en préoccupent dans les états-majors. Ils fixent les priorités, comme actuellement la capacité à travailler en liaison permanente entre plates-formes et à faire du combat distribué. Nous veillons donc à avoir un progrès technologique différencié. De ce point de vue, les Français sont leaders en Europe. Nous avons une intelligence de compréhension de nos systèmes d'armes - qui deviennent de plus en plus des systèmes de systèmes - qui est assez unique en Europe.

En fait, parmi les nations européennes membres de l'OTAN, peu d'armées font elles-mêmes de la programmation et de la planification. Outre l'armée américaine, il n'y a guère que l'armée britannique et l'armée française. Les autres font la planification et la programmation que leur impose l'OTAN mais ne font pas ce travail de façon autonome. Nous avons cette capacité et nous entraînons nos partenaires à le faire dans de grands projets structurants qui nous paraissent importants. C'est le cas pour le SCAF et le MGCS.

Comment résoudrons-nous le problème de la masse ? Par de la capacité à créer des coalitions et à les diriger. D'où l'importance majeure du commandement & contrôle. Nous devons penser nativement nos équipements, nos structures et nos systèmes de commandement & contrôle pour être capables de diriger des coalitions. C'est un levier de puissance et de création de masse important pour les Européens, face à des compétiteurs comme la Russie, la Chine ou la Turquie, qui ne sont pas capables de créer des coalitions. Certes, la coalition est aussi une faiblesse et le Maréchal Foch, qui s'y connaissait en la matière, disait : « Depuis que je sais ce que c'est qu'une coalition, j'ai beaucoup moins d'admiration pour Napoléon » ! Et, en effet, il est difficile de conduire des coalitions, mais je ne vois pas tellement d'autre solution que de prendre en compte cette nécessité. C'est ce que nous faisons aujourd'hui au Sahel et nous continuerons à le faire.

Cela ne suffira sans doute pas, ce qui pose la question de la montée en puissance. Comment un pays, ou un groupe de pays, peut-il parvenir à voir que la menace est à ce point prégnante que, au-delà du fait qu'il a su conserver un modèle d'armée complet, avec la totalité des capacités, il lui faut désormais passer à une production en plus grande quantité de ce modèle pour augmenter ses capacités de combat ? Ce problème est d'abord entre vos mains, mesdames et messieurs les sénateurs. C'est un problème politique, pas un problème militaire. Et c'est un problème industriel. C'est la question qui se posait, par exemple, au généralissime Joffre en 1913. Le Gouvernement tenait surtout à ne pas passer pour belliciste, mais il fallait être capable de réaliser une mobilisation générale suffisamment rapide pour faire face à un envahisseur ou un ennemi qui occupait déjà le territoire national. Joffre savait que la décision de mobilisation générale serait extrêmement tardive, précisément parce que le Gouvernement français ne voulait pas passer pour belliciste. Il avait donc organisé la capacité de regroupement et de mobilisation des armées de façon à pouvoir, en de très brefs délais, réaliser cette montée en puissance. Au départ, en tout cas, il faut une volonté politique et une capacité à déceler les signaux et à entraîner une opinion publique dans la prise de conscience de ce que le danger est là. En coalition, c'est encore plus complexe.

Vous m'avez interrogé sur l'engagement des partenaires de l'Union européenne au Sahel. J'ai la faiblesse de regarder le verre à moitié plein. Les progrès que nous avons faits en cinq ou six ans sont absolument considérables. Ce n'est pas suffisant, sans doute, et c'est trop lent, mais nous sommes en train d'obtenir la transformation de la mission EUTM au Mali. J'ai évoqué l'autre jour avec M. Borrell la nécessité de transformer encore cette mission EUTM pour passer d'une mission d'entraînement et de formation à une véritable coopération structurelle de l'Union européenne avec des partenaires africains en matière de reconstruction de leurs armées. M. Borrell m'a répondu que nous risquerions d'être accusés de colonialisme ou néocolonialisme. Je trouve extraordinaire l'espèce de réticence qu'a l'Union européenne à s'affirmer en tant que puissance, au risque de se voir taxer de néocolonialisme ! Je lui ai dit que le risque est moins grand que l'Union européenne se fasse taxer de néocolonialisme si elle propose une coopération structurelle à ces États africains que si c'est la France qui le fait. Il en a convenu.

Je pense que les mentalités sont en train de se transformer dans l'Union européenne et que la prise de conscience de la crise migratoire qui est devant nous est aujourd'hui de plus en plus nette chez les politiques européens et les gouvernements de l'Union européenne. Les échanges que j'ai eus récemment avec les membres du Bundestag me font vraiment mesurer cette évolution. Le principal déterminant dans l'engagement des armées européennes, de leurs gouvernements et de leurs parlementaires au Sahel, c'est la prise de conscience de la crise démographique. Celle-ci atteint d'une part l'Europe par vieillissement et d'autre part le Sahel par l'explosion qui est devant nous, et qui impose une stabilisation et un développement de ces régions qui permettront d'encaisser cette augmentation démographique. Il y a là un enjeu majeur, que les Européens doivent impérativement prendre en compte. Et il y a une dimension militaire dans cette prise en compte, mais ce n'est qu'une des dimensions.

Est-ce que je considère encore que, dans dix ou vingt ans, nous serons toujours en Afrique ? On peut ne pas y être dans 20 ans. Si cela signifie que, brutalement, la situation se sera stabilisée, et que le Sahel et l'Afrique de l'Ouest seront un sous-continent définitivement apaisé, modernisé, développé et sans aucune crise, tant mieux ! Mais je n'y crois pas. Sinon, si nous n'y sommes plus, cela veut dire que nous aurons abandonné notre responsabilité, qui est la responsabilité de notre destin, puisque celui-ci est indissolublement lié à celui de l'Afrique. Ce serait un renoncement dramatique. Nous n'avons pas d'autre solution que d'être encore présents, Français comme Européens, dans dix ans, dans vingt ans, au Sahel et en Afrique de l'Ouest. Sous quelle forme ? De quelle manière ? Les choses vont évoluer, bien sûr, et c'est souhaitable. La dimension militaire de nos interventions n'est qu'une petite dimension. On ne porte jamais au crédit des militaires le fait que le pire ait été évité mais, dans les crises que nous gérons aujourd'hui, nous ne pouvons faire que cela. Ce qui emportera la décision, ce n'est pas l'action militaire, qui est là pour éviter la dégradation absolue de ces crises, c'est l'action de développement et de gouvernance.

Vous avez évoqué le risque d'un conflit spatial. Comment s'en préserver ? Avec la création du Commandement de l'Espace, par association avec le CNES et en coopération avec les Américains, nous sommes en train de nous doter de capacités et de compétences pour surveiller l'espace, ce qui est essentiel pour comprendre ce qui s'y passe. Nous devons aussi comprendre ce que des compétiteurs sont capables de faire à partir de l'espace. Nous sommes en train de rattraper un retard que nous avions pris et nos capacités de surveillance de l'espace vont continuer d'augmenter. Par ailleurs, nous devons promouvoir la production de normes internationales qui évitent le développement de la conflictualité dans l'espace. C'est un vrai combat que nous avons à mener face à des puissances qui n'ont pas nos scrupules et qui ont bien l'intention, elles, quoiqu'elles en disent, d'utiliser l'espace comme un champ de bataille.

Le Commandement de l'Espace comptait 250 personnes fin 2020 et en comptera 470 en 2025. Dans le centre d'excellence de l'OTAN à Toulouse, 50 personnes seront employées en 2025. On peut toujours souhaiter une augmentation des effectifs plus rapide que ce qui est aujourd'hui réalisé. Qu'il s'agisse de recrutements bruts ou de redéploiements internes, il y a une difficulté de formation et d'attractivité. Il s'agit de métiers qui sont soumis à une forte concurrence, sur des compétences qui sont très recherchées, autant dans le civil que dans les armées. Nous n'avons pas les moyens d'aller plus vite que ce que nous avons prévu de faire. Si nous allions plus vite, nous courrions un autre risque, celui d'une civilianisation subie d'une partie de ces emplois. Il est plus facile, en effet, d'aller recruter des contractuels civils pour peu de temps que de réellement mettre en place des militaires formés à certains emplois. Je veille à ce que nous évitions cette civilianisation subie des emplois, dont personne ne veut au ministère.

En 2022 auront lieu les premières livraisons des Leclerc rénovés. Sur le successeur du Leclerc, le MGCS, nous n'avons pas fait de grand pas en avant car nous sommes soumis à des impératifs industriels de notre partenaire allemand. Malgré tout, il devrait y avoir un déblocage de cette situation car, à partir des années 2030-2035, toute la communauté Leopard va devoir remplacer ses propres engins. Dès lors, nos partenaires allemands devront faire l'effort de débloquer la situation et de lancer un vrai successeur au Leopard et au Leclerc. Nous cherchons actuellement à éviter une coopération étendue tous azimuts à des partenaires notamment tchèques, polonais ou autres, avant d'avoir réussi à bien construire le partenariat franco-allemand sur ce thème-là. Nous apportons aux Allemands une compétence qu'ils n'ont pas, qui est celle de la numérisation de l'espace de bataille. Dans ce domaine, la France a une avance tant technique et technologique que conceptuelle.

M. Philippe Folliot. - Merci de vos propos, et bravo pour votre action. Quels que soient les moyens et les matériels, ce sont les hommes et les femmes qui les mettent en oeuvre qui sont au coeur du dispositif. C'est un enjeu majeur et essentiel car, au bout de l'engagement, il y a le sacrifice suprême, celui de la vie. La LPM avait été décrite comme étant à hauteur d'homme, avec des engagements quantitatifs sur les effectifs, mais aussi en termes qualitatifs, notamment pour les perspectives de carrière : sous-officiers pouvant devenir officiers, revalorisations indiciaires, conditions de vie en casernement, éléments d'accompagnement par rapport aux familles, etc. Jugez-vous l'application de cette LPM conforme aux attentes ? Comment la crise de la covid a-t-elle été gérée ? Après le cluster du Charles-de-Gaulle, nous n'en avons plus entendu parler dans les armées. Quelle a été la stratégie de vaccination des personnels ?

M. Richard Yung. - Vous n'avez pas beaucoup parlé des coopérations internationales, au sein de l'OTAN ou de l'Union européenne. Pourtant, il y a là quelques marges de manoeuvre. Vous avez évoqué un milliard d'euros... Vous avez évoqué des choix stratégiques des Britanniques qui semblaient vous poser problème. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Sont-ils en train de courir se jeter dans les bras de leur grand allié de l'autre côté de l'Atlantique ?

M. Olivier Cadic. - Il y a un an, dans un rapport sur la désinformation et les cyberattaques, nous avions recommandé de mettre en oeuvre une « force de réaction cyber », afin de répondre aux fausses informations et de lutter contre les campagnes de désinformation ou d'influence de certains acteurs étrangers. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a annoncé la création d'une nouvelle agence de lutte contre les manipulations de l'information en septembre prochain. Quel fut votre rôle dans la création de cette agence ? Notre armée sera-t-elle partie prenante dans le fonctionnement ? Avons-nous prévu une capacité offensive, de manière à retourner cette arme contre ceux qui s'en servent contre nous ?

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Ma première question porte sur le programme 212 et le secteur de la santé. Je souhaite vous interroger sur la situation des agents militaires et civils qui travaillent dans les hôpitaux militaires. Il a été décidé qu'un complément de traitement indiciaire leur serait versé en 2021. Va-t-on tenir cet engagement ? Quel sera le montant de ce complément ?

Ma seconde question concerne la condition de vie de nos militaires. Vous avez indiqué, à plusieurs reprises, que le cap serait maintenu ; sera-t-il également maintenu dans ce domaine ? Pourrait-on envisager des investissements en matière d'hébergement et de logement ?

Mme Michelle Gréaume. - L'actualisation de la LPM devait permettre de vérifier l'amélioration de la préparation opérationnelle, la disponibilité technique des équipements, les réalisations et les moyens consacrés. Dans certains domaines, nous restons à des niveaux inférieurs aux normes de l'OTAN. Quels sont vos objectifs de progression entre 2021 et 2023, puis jusqu'en 2025 ?

Ma seconde question porte sur le surcoût global du programme 178. La précédente actualisation de la LPM 2014-2019 avait permis d'ajouter, sur la fin de la programmation, 500 millions d'euros au profit de l'entretien programmé des matériels. Les retards capacitaires engendrent des surcoûts au niveau de l'entretien. Suite à la prolongation de la durée de vie de certains équipements majeurs et à la montée en puissance des contrats de verticalisation pour le maintien en condition opérationnelle, ne faudrait-il pas revoir à la hausse - de l'ordre de 1 milliard ou plus - le surcoût global du programme 178 non prévu en LPM ?

Général François Lecointre. - Pour répondre à la question de M. Folliot, je considère que l'on maintient le cap et que l'on atteint les objectifs fixés. Des choses sont faites en termes de perspectives de carrière, pour rendre plus fluides les passages d'un niveau à un autre ; ce travail s'effectue de manière constante.

Un sujet est plus spécifique à cette LPM : le casernement. Les armées ont accumulé, depuis au moins 20 ans, une dette importante liée aux infrastructures. Aujourd'hui, nous sommes obligés de prendre en compte cette dette, notamment pour ce qui concerne l'infrastructure opérationnelle et la qualité du casernement. Pendant des années, durant la période précédant la loi organique relative aux lois de finances, alors que les chefs d'état-major d'armée avaient la main sur leurs ressources, on sacrifiait les flux d'infrastructure pour préserver les flux d'acquisition de capacités opérationnelles. Nous sommes en train de rectifier le tir mais cela prend du temps.

Un autre effort spécifique concerne l'hébergement et le logement pour les familles. De grands programmes ont été lancés ; là encore, cela prend du temps. Pour répondre à ces besoins, nous devons tenir compte des nouveaux modes de fonctionnement et de vie de nos armées, en particulier depuis la crise covid. Je suis très attentif à ce qui atteint le plus directement la condition militaire, à savoir la mobilité géographique, qui touche en particulier les officiers ; celle-ci a un impact direct sur l'accès à la propriété, l'emploi du conjoint et la scolarité des enfants ; j'en suis, pour ma part, à 15 déménagements, pour ma seule carrière d'officier.

La limitation de la mobilité doit passer par la définition de parcours régionalisés ; on doit aussi penser au télétravail et au travail déporté. Tout cela doit être réfléchi au-delà des ressources budgétaires affectées à l'hébergement ou à l'amélioration de l'accès à la propriété.

Dans cette LPM, nous avons fixé une nouvelle politique de rémunération des militaires qui répond en partie à cette difficulté d'accès à la propriété. Nous attendons beaucoup de la mise en oeuvre de cette mesure. Par ailleurs, nous observons systématiquement un décalage entre les mesures dont bénéficie la fonction publique civile et celles dont bénéficie la fonction militaire ; cela n'est pas acceptable. Dans les années à venir, la fonction publique civile bénéficiera d'un certain nombre de rattrapages d'avantages ; il faudra que vous soyez attentifs à ce que ces mesures soient bien répercutées sur la fonction militaire.

Nous avons beaucoup agi pour les familles et nous continuerons de le faire avec des crèches et autres services, mais ce qui me paraît important c'est de reconnaître la singularité de la situation des conjoints et familles de militaires. Une personne qui suit son conjoint affecté dans le cadre de l'obligation de mobilité géographique doit pouvoir bénéficier d'une priorité pour, par exemple, accéder à un emploi dans la fonction publique. Il y a un véritable travail de conviction à mener en la matière, quelles que soient les oppositions.

Sur la vaccination, nous avons convaincu le ministère de la Santé que les armées devaient être traitées à part ; ainsi, les militaires participant au déploiement des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, du porte-avions ou de la mission Jeanne d'Arc ont été vaccinés en priorité afin de pouvoir accomplir leur mission. Ensuite les militaires engagés en opération bénéficient d'une vaccination prioritaire.

En matière de coopération internationale, monsieur Yung, il y a, au sein de l'Union européenne, le Fonds européen de défense, doté de 7 milliards d'euros, ainsi qu'une facilité européenne pour la paix, dotée de 5 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Ainsi, tant du point de vue opérationnel que du point de vue de la construction de capacités, les choses se structurent autour de projets intéressants. La France est très investie pour faire des propositions.

Nous travaillons également au développement de l'état-major de l'Union européenne. Cet état-major existe déjà, mais il doit avoir des responsabilités dans la gestion de crise, dans la planification et la conduite d'opérations, dans l'élaboration de modèles capacitaires et de doctrines. Il s'agirait, en clair, d'un état-major ayant à peu près, au sein du Service européen pour l'action extérieure, les mêmes attributions qu'un état-major comme le nôtre et qui pourrait donc construire une défense européenne de manière plus efficace.

Au sein de l'OTAN, les coopérations se passent normalement, mais nous sommes attentifs à ne pas être entraînés à des dépenses excessives. Nous assumons pleinement notre participation à l'OTAN, nous sommes opérationnellement très engagés dans ses différentes missions - la mission « Althéa » qui se fait dans le cadre des accords « Berlin Plus », « Enhanced Forward Presence », « Enhanced Air Policy », etc. - et nous sommes un partenaire important, extrêmement attentif à assurer le respect de nos engagements.

Ce qui interroge dans les choix stratégiques des Britanniques, c'est qu'ils sont en train de déséquilibrer leur modèle. Ils avaient un modèle complet comme le nôtre, et ils font le choix de la puissance maritime, avec l'ambition affichée de prendre la direction de coalitions. Le fait d'abandonner un modèle complet équilibré, comme celui que nous prétendons consolider et préserver ne risque-t-il pas de mettre le Royaume-Uni en situation de dépendance par rapport à certains partenaires et de l'empêcher d'assumer ses engagements dans l'OTAN ? La question mérite d'être posée.

Monsieur Cadic, vous m'avez interrogé sur la lutte contre la manipulation de l'information. Nous sommes partie prenante de cette réflexion. Vous avez évoqué la création d'un service à compétence nationale au sein du SGDSN. Nous affectons à ce service un ou deux militaires et nous serons actifs dans le champ cyber, contre la manipulation de l'information. Nous-mêmes avons rédigé une doctrine qui décrit nos actions en la matière et nous nous dotons des moyens permettant de mieux discerner les tentatives de manipulation de l'information contre nous. C'est un champ dans lequel nous serons de plus en plus actifs.

Je reviens sur la nécessité de développer la communication stratégique, en interministériel. Il ne s'agit pas de faire de la « contre-hybridité » ; il s'agit d'être capable de bien déceler les objectifs des auteurs des stratégies hybrides. Détecter les objectifs et la stratégie de tel ou tel compétiteur est indispensable. Ensuite, il faut savoir comment s'y opposer, dans les différents champs - réglementation, économie, action militaire -, à l'échelon national et européen. La réponse à ces stratégies hybrides comporte une part de communication stratégique. Nous avons de grands progrès à faire en cette matière.

Au-delà de la lutte contre la manipulation informationnelle, nous devons savoir établir une vision globale, partagée entre partenaires européens, et définir, dans l'arsenal des moyens à mobiliser contre cette stratégie hybride, une communication stratégique qui passe par la capacité à conduire ces exercices multinationaux, qui sont autant de démonstrations de puissance et de volonté.

En ce qui concerne le complément traitement indiciaire de soignants, nous nous sommes engagés à transposer les décisions du Ségur en 2021. Ce sera fait intégralement au sein des hôpitaux d'instruction des armées, nous sommes très attentifs à notre système hospitalier militaire. La mise en oeuvre se fera, par ailleurs, progressivement au sein de la médecine des forces.

Je veux tout de même faire une mise au point au sujet de ce système, qui a profondément changé en vingt ou trente ans ; on est passé d'hôpitaux destinés à traiter, à l'arrière, des masses importantes de blessés revenant du front - avec beaucoup d'hôpitaux militaires un peu partout en France - à un service de santé essentiellement tourné vers l'appui à la projection des forces, donc réduit en quantité et renforcé en qualité. Nous avons développé une médecine de l'avant extrêmement performante, spécifiquement française et remarquable, qui nous permet de limiter considérablement nos pertes. Nos hôpitaux militaires nous servent donc surtout à conserver la compétence des médecins, car, s'ils n'exercent pas, ils perdent rapidement leurs compétences. C'est pourquoi ils traitent principalement des civils.

Madame Gréaume, vous m'avez posé la question des objectifs de préparation opérationnelle ; je vous répondrai par écrit, car je ne dispose pas ici de l'ensemble des éléments qui me permettraient de répondre précisément. Nous nous dirigeons vers les normes OTAN ; c'est un objectif et cela nous permet de mesurer notre progression, qui tient à la disponibilité de nos équipements. Notre travail, notamment en matière aérienne - création de la direction de la maintenance aéronautique et verticalisation des contrats -, vise à rendre ces équipements plus disponibles. Nous continuerons de progresser, tout cela étant régulièrement bouleversé par des évènements comme la cession de nos Rafale à des partenaires étrangers. Cela fait partie de la vie des armées et l'ajustement de la LPM vise à accroître les moyens de la préparation opérationnelle. Au-delà de l'augmentation des moyens de simulation et des stocks de pièces, cela passera par la réalisation d'exercices importants et par la remontée de nos stocks de munitions. Nos munitions sont de plus en plus sophistiquées et chères, mais nous devons pouvoir les tirer, sans nous limiter aux préparations sur simulateur.

M. Christian Cambon, président. - Merci d'avoir fait progresser notre réflexion en vue du débat du 23 juin prochain sur l'actualisation de la LPM. Vous nous avez bien expliqué les enjeux. Nous sommes bien convaincus que, après trois années, des évolutions soient requises.

Le second message, c'est de passer à la réalisation dans la transparence et la confiance avec le Parlement. La LPM est appliquée, conformément à nos voeux, les changements que nous demandions sont en cours, c'est une très bonne chose - que nous devons à la volonté du Président de la République, je lui donne acte très volontiers. Le Gouvernement applique la LPM, nous ne méconnaissons pas les difficultés qui peuvent se produire, mais le message que je tiens à faire passer, c'est que nous ne voulons qu'on nous dise les choses telles qu'elles sont.

Pour le cas où il adviendrait que vous ayez à quitter votre poste, nous voulons vous dire notre profonde reconnaissance pour les quatre années passées ensemble, vous nous avez dit et fait sentir le drame qui avait frappé nos armées pendant vingt ans et qui faisait que notre discours politique ne pouvait en réalité pas être suivi d'effet, faute de capacités militaires - vous nous avez parlé très directement et je vous en remercie. Vous pouvez être fier de ce que vous avez accompli, vous avez rempli vos missions en étant animé de valeurs qui sont aussi les nôtres, nous avons eu les mêmes objectifs, je le dis alors que nous ne sommes pas à l'abri d'un retour d'opinion qui demanderait à stopper l'effort. Pourtant, il faut aller au bout de cette LPM, en en conservant l'esprit et le fond. Vous avez fait votre devoir en pleine conscience de cet enjeu majeur et je vous remercie d'y avoir associé le Parlement, c'est à la hauteur de nos engagements - car je n'oublie pas qu'en votant par exemple la prolongation de nos opérations extérieures, nous sommes pleinement responsables et je me sens à titre personnel responsable chaque fois que l'un de nos soldats meurt en opération. C'est donc en notre nom à tous, que je vous remercie chaleureusement.

Général François Lecointre. - Vos propos me touchent particulièrement et je vous en remercie. Tout au long de ma carrière militaire, et particulièrement ces dernières années, j'ai voulu porter le message de la singularité de la condition militaire. La France est une grande nation militaire, parce que son armée est une grande armée qui, quelles que soient les vicissitudes, a su conserver une identité très forte, très singulière. Cela n'en fait pas une armée séparée de la Nation mais une armée capable d'inspirer la Nation - et vous êtes les gardiens de cette singularité. Il court dans notre société bien des visions fausses de ce qu'est l'autorité militaire, où l'on imagine par exemple qu'il faudrait créer des maisons de correction encadrées par des militaires. C'est une vision dénaturée de ce qu'est l'autorité militaire - laquelle se fonde, en réalité, sur la dépendance assumée des uns aux autres, qui se comprend dans ce qu'on vit au combat, sur un porte-avions ou dans un sous-marin, où chacun dépend des autres. Cette autorité-là, celle de nos armées, naît de la fraternité au combat. Cette vision de l'autorité, que pratiquent nos armées, gagnerait à inspirer notre Nation comme elle a su déjà le faire. Vous qui connaissez ce qu'est l'armée, nos soldats, nos marins, nos aviateurs, continuez s'il vous plaît d'être les ambassadeurs de cette singularité et veillez à la préserver comme un bien extrêmement précieux et dont dépend fortement notre identité nationale.

La réunion est close à 18 h 50.

Mercredi 9 juin 2021

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Suivi de la situation au Proche-Orient - Audition de M. René Troccaz, consul général de France à Jérusalem

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, nous sommes très heureux d'accueillir René Troccaz, consul général de France à Jérusalem.

Cette réunion se tient quasiment un mois jour pour jour après la journée du 10 mai dernier, marquée par de très durs affrontements sur l'esplanade des mosquées et, dans la soirée, par le déclenchement, par le Hamas, des premières salves de roquettes.

Merci, monsieur le consul Général, de vous être rendu disponible pour cette audition. Je sais que cette période est difficile pour vous. Vous êtes évidemment un observateur et un acteur très attentif dans cette crise. Vous avez vécu au coeur de cet embrasement aussi soudain que meurtrier, qui a entraîné de nombreux morts de chaque côté.

Nous allons vous écouter avec la plus grande attention, d'une part à propos du déroulement de la crise, des responsabilités et de ses significations profondes et, d'autre part, au sujet de l'avenir du cessez-le-feu du 21 mai qui nous paraît, une fois de plus, particulièrement fragile.

Avant tout, je veux saluer votre action. Nous nous connaissons bien : vous m'avez accueilli à Chypre, où vous avez fait un travail extraordinaire pour le compte de notre pays. Vous êtes maintenant un habitué des postes sensibles, signe de vos hautes compétences et de l'attachement que vous porte le Quai d'Orsay.

Je veux au passage saluer à la fois votre action et celle de votre équipe dans une circonscription diplomatique particulièrement difficile. Vous veillez bien sûr à la sécurité de nos concitoyens, mais je rappelle que vous êtes aussi administrateur des domaines nationaux en Terre sainte. Vous nous en direz peut-être un mot. Vous assurez la protection des communautés religieuses et entretenez notre relation diplomatique avec l'Autorité palestinienne, ce qui n'est pas une mince affaire. En effet, votre circonscription s'étend de la Cisjordanie au territoire de Gaza.

Nous aimerions que vous nous présentiez une analyse des événements et des prémices d'une spirale de violence qui ont certainement des causes multiples. On a pu imputer la montée des tensions à Jérusalem à l'accélération du processus de colonisation, notamment dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, là même où des procédures d'expulsion visent des résidents palestiniens qui ont bénéficié de logements entre 1948 et 1967, sous l'administration jordanienne.

Ces procédures semblent avoir été renvoyées à une date ultérieure. Vous nous direz ce qu'il en est. Il y a bien évidemment d'autres causes, liées notamment à l'impasse politique du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Partagez-vous le constat selon lequel il n'y a plus de perspective ni de volonté pour avancer vers la solution à deux États, toujours soutenue par la France, et ce à l'intérieur de frontières sûres et reconnues, sur la base des lignes du 4 juin 1967 ? Existe-t-il une solution alternative ? Faut-il imaginer un seul État et, dans ce cas, selon quelles modalités ?

La formule employée par notre ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur « le risque d'apartheid » n'est pas inédite, mais elle a fait réagir les autorités israéliennes. Elle repose sur la crainte d'une pérennisation des inégalités entre des droits côté israélien et moins de droits côté palestinien.

S'agissant du processus électoral, la situation semble se débloquer côté israélien, avec peut-être, dans les prochains jours, un événement majeur, puisqu'on pourrait connaître un débouché à la crise politique avec l'investiture par la Knesset d'une coalition réunissant Yaïr Lapid, Naftali Bennett et Mansour Abbas, le chef du parti conservateur islamiste. Là aussi, vous nous direz où nous en sommes aujourd'hui, car les événements se succèdent quasiment au jour le jour.

En revanche, côté palestinien, une fois de plus, les législatives ont été reportées par l'Autorité palestinienne pour toutes sortes de bonnes et peut-être de mauvaises raisons. Vous nous direz ce que vous pensez d'une relance du processus électoral palestinien, et si c'est enfin possible.

Je voudrais excuser l'absence de notre collègue Gilbert Roger, qui suit ces questions avec la plus grande attention.

Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui va être retransmise en direct sur le site internet du Sénat, et qui sera consultable à la demande.

M. René Troccaz, consul général de France à Jérusalem. - Merci pour vos mots aimables, monsieur le président. Je mesure la responsabilité que cela représente pour un collaborateur de la France d'être auditionné par la prestigieuse commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Je ne m'étendrai pas sur les élections israéliennes, les quatrièmes en deux ans, avec toujours cette incertitude électorale qui tient peut-être au mode de scrutin intégralement proportionnel. On semble s'acheminer, peut-être dimanche, à la Knesset, vers la désignation d'une nouvelle majorité et d'un nouveau Premier ministre, avec un ensemble extrêmement hétéroclite allant du parti Yamina, conduit par M. Bennett, dont je comprends qu'il pourrait être le Premier ministre de cette nouvelle formation, au parti Raam, parti islamiste israélien, en passant par des partis de gauche, comme le Meretz, ou des partis du centre. L'ambassadeur à Tel-Aviv pourrait en parler mieux que moi. Bien évidemment, cela pèse sur la situation générale.

À l'inverse, il existe certainement une pénurie côté palestinien. Les dernières élections législatives palestiniennes se sont tenues en 2006, un an après la mort d'Arafat. Des élections avaient eu lieu en 2005 pour la désignation du président Abbas, qui avait été élu au suffrage universel. Puis les élections législatives, en 2006, avaient abouti à la victoire du Hamas.

À Jérusalem, avec l'ensemble de la communauté internationale, nous avons suivi ce processus électoral qui n'a pas abouti, les élections ayant été reportées sine die.

Tout d'abord, la moitié de l'électorat palestinien, si les élections avaient eu lieu, aurait voté pour la première fois de sa vie. C'est donc un électorat très jeune. En second lieu, il existait une envie d'élection et de démocratie.

J'en veux pour preuve le nombre d'inscrits sur les listes électorales, 93 %, soit 10 points de plus qu'en 2006 et le foisonnement des listes électorales - 36 listes. On a pu noter, au-delà de ces chiffres, un véritable engouement pour la chose électorale.

J'ajoute que ces élections auraient eu pour mérite, comme toute élection, de légitimer l'Autorité palestinienne, qui procède maintenant par décret et qui, au fil du temps, se trouve de moins en moins légitime au regard de sa propre opinion publique.

Ceci a sans doute pesé sur la suite des événements. La frustration a été sourde mais forte dans la jeune opinion palestinienne, qui n'a pas voté depuis quinze ans.

Je reviens sur la question de la relance du processus électoral palestinien : la France y est bien sûr favorable, tout comme l'Union européenne également. Disons les choses comme elles se présentent : après les événements de ces dernières semaines, certains avaient quelques craintes que le Hamas ne gagne les élections. Ce serait mentir que de ne pas dire qu'il est en ce moment au faîte de sa popularité. C'est un élément à prendre en considération.

À la différence de 2005 et de 2006, l'Autorité palestinienne n'a pas pu obtenir l'assurance des Israéliens que le scrutin se tiendrait également à Jérusalem-Est. Une précision, sans entrer dans le détail : il y a à peu près 150 000 électeurs inscrits à Jérusalem-Est, sur une population totale palestinienne supérieure à 350 000 personnes.

En 2006, environ 5 000 personnes avaient voté, peut-être même un peu moins. Le scrutin s'était tenu dans des bureaux de poste. Les Palestiniens voulaient qu'on puisse avoir, même symboliquement, une expression du vote à l'urne, et pas seulement par voie électronique, à Jérusalem-Est. C'est l'argument qui a été invoqué et qui a fait que les élections n'ont pas eu lieu. Certains commentateurs considèrent qu'il y avait peut-être une autre raison, par exemple l'incertitude pour le parti dominant, le Fatah, de gagner les élections, non pas tellement parce qu'il était minoritaire, mais parce qu'il était divisé en plusieurs listes : la liste officielle, une liste dissidente de personnes venant du Fatah avec le soutien de Marouane Barghouti, détenu à vie en Israël, et une liste d'une autre obédience soutenue par Mohammed Dahlan, opposant résolu du président Abbas, qui se trouve aux Émirats et qui dispose de moyens assez conséquents.

C'est dans ce contexte que les violences sont apparues à Jérusalem, en Cisjordanie, puis à Gaza et en Israël. Je ne veux pas revenir sur tous les événements. Je vais essayer de m'en tenir aux têtes de chapitres.

Il y a d'abord eu, vous l'avez évoqué, monsieur le Président, cette affaire hautement symbolique, très sensible, de menaces d'éviction de résidents palestiniens de Jérusalem-Est, qui ne sont pas des habitants des territoires palestiniens, mais du quartier de Sheikh Jarrah. En réalité, il ne s'agit que de quelques maisons, mais c'est une affaire extrêmement symbolique et très fortement politique, qui s'inscrit dans le cadre de la politique d'implantation croissante d'Israéliens à Jérusalem-Est.

Vous l'avez rappelé, il s'agit d'une affaire qui remonte à avant 1948. Visiblement - car tout repose sur des questions de titres de propriété -, il existait des résidents juifs avant la création de l'État d'Israël dans cette partie de Jérusalem. En 1948, des Palestiniens de ce qui allait devenir l'État d'Israël ont été expulsés et se sont installés dans ce quartier jusqu'en 1967. À cette époque, ils avaient même bénéficié d'un accord conclu entre l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) et la Jordanie, celle-ci, en 1954, leur ayant permis de s'installer dans ces maisons.

En 1967, lors de la guerre des Six-Jours et la conquête de Jérusalem par Israël, la question s'est trouvée posée différemment et, en 1970, Israël a voté une loi sur les affaires juridiques et administratives qui permet aux citoyens israéliens juifs de revendiquer des biens perdus en 1948 à Jérusalem-Est. Je précise que la réciproque n'est pas vraie : les Palestiniens qui avaient perdu leur propriété à l'ouest de Jérusalem, ou ailleurs en Israël, ne pouvaient en réclamer la propriété.

C'est sur cet historique qu'est intervenue la mesure d'éviction, sachant que les tribunaux israéliens ont eu à plusieurs reprises à se prononcer sur cette question, soit dans un sens, soit dans l'autre. Il est évident que cette affaire dépasse de très loin le cadre d'une affaire domaniale privée et qu'elle a un fort retentissement politique, puisque même le président Biden et le secrétaire d'État aux affaires étrangères américain l'ont évoqué.

Bien évidemment, la France a fait référence, aux Nations unies, au cas spécifique de Sheikh Jarrah. Pour l'instant, nous sommes dans l'attente de procédures juridiques, et nous constatons de la part de la communauté internationale, notamment des États-Unis, un appel très net aux autorités israéliennes pour ne pas prendre de mesures unilatérales.

À la suite de cette affaire, moins d'un kilomètre plus bas, porte de Damas, à l'entrée de la vieille ville, dans la partie est de Jérusalem, un certain nombre d'incidents se sont produits en pleine période de ramadan.

Là également, comme souvent ici, les choses partent d'événements qui ont une apparence anecdotique et qui prennent ensuite un retentissement considérable. De quoi s'agit-il ? La porte de Damas est une des portes de la vieille ville de Jérusalem où se trouvent des passages en forme d'amphithéâtre sur lesquels la police israélienne avait installé des barrières pour éviter les attroupements. C'est à propos de ces barrières que des tensions, des affrontements puis des violences ont éclaté entre de très jeunes Palestiniens de Jérusalem et la police israélienne. L'affaire a pris une telle ampleur que la police a décidé de retirer des barrières, ce qui a apaisé les choses, mais plusieurs nuits de très grande tension se sont soldées par des blessés, des attaques de part et d'autre, et une effervescence considérable dans la ville.

Le troisième élément de ce déroulé de la violence - la planète entière l'a suivi -, ce sont les tensions sur l'esplanade des Mosquées. Des milliers de fidèles musulmans se sont regroupés pendant la période du ramadan. La police israélienne est montée sur l'esplanade. Des échauffourées ont eu lieu, des violences, y compris à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa.

Je ne reviens pas sur tout ce que l'on connaît. Il faut bien mesurer - mais vous le savez, j'imagine - que les chaînes satellitaires comme Al-Jazira, qui touchent des centaines de millions de personnes, ont retransmis en direct pendant des nuits entières les événements de Jérusalem. On y voyait la porte de Damas, l'esplanade des Mosquées, Sheikh Jarrah. Ces images sont présentes dans l'esprit de millions et de millions de personnes qui les ont regardées en direct tous les soirs pendant une dizaine de jours.

Quatrième temps : Gaza. Le Hamas avait prévenu Israël qu'il interviendrait si les tensions se poursuivaient sur l'esplanade des Mosquées. Ces menaces ont été mises à exécution : le 10 mai, le Hamas a tiré une dizaine de roquettes en direction de Jérusalem. Elles ont été interceptées, mais l'une d'elles est tombée en banlieue de Jérusalem, sur la route de Tel Aviv, constituant le déclic à partir duquel l'enchaînement s'est ensuivi.

On a alors assisté à un déferlement de plus de 4 200 ou 4 400 roquettes tirées depuis la bande de Gaza sur le coeur économique, humain et démographique d'Israël. Israël et l'aéroport Ben Gourion se sont trouvés, paralysés et placés sous une menace constante pendant plusieurs jours.

Tel-Aviv elle-même a vécu à ce rythme pendant plusieurs jours, provoquant naturellement - et c'est bien compréhensible - un effet de sidération ayant aussitôt entraîné la réplique que l'on sait, les roquettes du Hamas allant beaucoup plus loin que par le passé. Il semble, de sources convergentes, qu'elles soient plus puissantes et aient une portée bien plus importante qu'auparavant. On n'en connaît pas le nombre exact, mais on l'estime entre 15 à 20 000 roquettes, et on considère que le potentiel militaire du Hamas et du Jihad islamique, qui tirent depuis la bande de Gaza, et exclusivement depuis cette zone, est considérable. Il doit leur rester environ 10 à 15 000 roquettes. C'est dire si le potentiel est loin d'être décimé : tout juste a-t-il été entamé.

Dans un cinquième temps, les villes mixtes, c'est-à-dire celles qui, en Israël, comptent des citoyens israéliens juifs et des citoyens israéliens arabes, ont constitué un point tout à fait essentiel, car les tensions qui ont eu lieu à Gaza, à Jérusalem et, par extension, en Cisjordanie ont eu une répercussion immédiate auprès de la minorité arabe israélienne, qui représente 20 % de la population. Des villes comme Jaffa, Bat Yam, Lod, à côté de l'aéroport, Saint-Jean-d'Acre, Haïfa, Ramla et d'autres ont été le lieu d'affrontements. Le ministre israélien de la défense, M. Gantz, pendant l'opération militaire israélienne à Gaza, a indiqué que ce qui se passait en Israël même, entre les communautés, était plus important que l'opération militaire à Gaza. Ceci en dit long, et la personne qui l'a dit sait manifestement de quoi il parle. C'est un facteur dont on doit avoir pleinement conscience pour l'avenir.

Un mot lapidaire au regard de la souffrance humaine de part et d'autre : vous savez qu'environ 260 personnes ont été tuées à Gaza, dont 66 enfants. Nous comprenons qu'Israël s'est efforcé de cibler ses frappes pour préserver autant que possible la population civile mais, dans une opération de cette nature, celle-ci ne peut être épargnée. Il y a donc eu de nombreuses victimes pendant l'opération, qui a duré une dizaine de jours. Côté israélien, on a déploré douze morts.

Il est important d'insister sur l'effet de sidération qu'on a vécu ici physiquement, en voyant combien des villes comme Tel-Aviv, Ashdod, Ashkelon, qui constituent le coeur économique d'Israël, ont été paralysées pendant plusieurs jours ce qui, bien évidemment, a permis de mesurer la fragilité de la situation - et peut-être même la vulnérabilité de ces villes.

On peut considérer de manière paradoxale, pour risquer une formule, que la Jérusalem palestinienne, d'une certaine manière, n'a pas voté mais qu'elle s'est exprimée, ce qui démontre un ressort humain et politique très puissant parmi les Palestiniens de Jérusalem.

Je note que les gens qui sont descendus dans les rues et qui ont manifesté, côté palestinien, sont des gens très jeunes. On a vu des adolescents de 14-15 ans sortir massivement, sans mot d'ordre, sans être, je crois, instrumentalisés, spontanément, ce qui en dit long sur la frustration de cette jeunesse et de cette population palestinienne. Je rappelle tout de même que les résidents palestiniens de Jérusalem représentent 40 % des habitants de la ville.

La bande de Gaza n'a pas non plus voté, mais elle s'est également exprimée de la manière la plus puissante et la plus violente possible. Il s'agit là d'une expression politique qui, à défaut d'expression démocratique dans les urnes, a abouti à ce déferlement de violence.

Quelles en sont les conséquences ? La première, côté palestinien, c'est que le Hamas a repris le flambeau. L'Autorité palestinienne a été marginalisée par tout ce qui s'est produit. Elle a, au fond, suivi les événements, les a subis plus qu'elle ne les a menés, conduits ou maîtrisés.

Par ailleurs, on a assisté - et c'est tout à fait symptomatique - à un retour de l'unité palestinienne, de l'unité démographique, si je puis dire, à Jérusalem, en Cisjordanie - où il y a eu des mouvements, des tensions et une vingtaine de morts, essentiellement à des points de contrôle de l'armée israélienne -, dans la bande de Gaza et en Israël même. Les Palestiniens, quel que soit leur statut - arabes israéliens, habitants de Gaza, de la Cisjordanie, résidents palestiniens de Jérusalem-Est - ont réagi à l'unisson, ce qui a fait dire au ministre de la défense israélienne qu'il y avait là un sujet de préoccupation durable.

Sur les plans interne et diplomatique, on a assisté au retour de la question palestinienne. Il y a, je crois, une sorte de réplique sismique inverse aux quatre années que nous venons de vivre, qui sont celles de l'administration Trump, qui avait pris un certain nombre d'initiatives en direction d'Israël, de la Palestine et de la région. Il y a là en quelque sorte un retour de l'Histoire.

En tout cas, ce qu'on peut dire sans rien préjuger de l'avenir, c'est que la question palestinienne se pose et que la question du conflit israélo-palestinien reste ouverte, qu'on le veuille ou non - et peut-être sous une forme différente, comme vous l'évoquiez, monsieur le Président. J'ai tendance à penser, comme beaucoup d'autres, que dans ce domaine, les idées trop simples ne sont peut-être pas forcément les meilleures.

La France a joué un rôle majeur. Le Président de la République, vous le savez, a pris des initiatives pour oeuvrer à l'établissement d'un cessez-le-feu, en coordination avec nos partenaires jordaniens et avec le président égyptien Sissi, puis en concertation avec les États-Unis et la communauté internationale. La France a passé des messages. Le Président de la République a appelé le Premier ministre israélien et le président Abbas, invitant au retour au calme et travaillant diplomatiquement en ce sens.

Les États-Unis, pris sans doute par l'événement et par l'enchaînement de la violence, se sont d'une certaine manière réengagés - c'est en tout cas l'impression que cela donne - peut-être plus vite et davantage qu'ils ne le souhaitaient initialement.

Le président Biden a appelé le président palestinien pendant trois quarts d'heure. Il a bien évidemment appelé à plusieurs reprises le Premier ministre israélien. Le secrétaire d'État aux affaires étrangères américain, M. Blinken, s'est rendu sur place et, au fond, ce que l'on retient de ce qui nous a été dit par nos interlocuteurs palestiniens, c'est que les Américains veulent maintenant aller de l'avant en soutenant l'Autorité palestinienne - qui reste l'acteur reconnu par la communauté internationale et, quoi qu'on puisse en dire, un facteur de stabilité -, et en se réengageant financièrement vis-à-vis des Palestiniens et des agences des Nations unies qui les soutiennent, comme l'UNRWA, auprès desquelles ils ont repris leurs versements après cinq ans d'interruption.

Cette situation qui, comme toujours ici, part de facteurs locaux, parfois même de facteurs d'apparence anecdotique et qui produisent ensuite une déflagration politique, diplomatique et de sécurité majeure, peut-elle avoir des incidences sur les évolutions qu'on a notées ces dernières années ? Je pense aux accords de normalisation entre Israël et un certain nombre de pays arabes. Il est peut-être un peu trop tôt pour l'affirmer. On peut sans doute penser que les fondamentaux de ces accords de normalisation ne sont pas remis en question. Ce qui est certain, c'est qu'on a assisté, à des degrés divers, du Maroc aux Émirats arabes unis, du Bahreïn à l'Arabie saoudite - qui n'a pas normalisé ses relations avec Israël -, en passant par le Koweït et l'opinion arabe, à un raidissement très net qui s'est traduit lors de l'organisation de la Conférence islamique et de la réunion de la Ligue arabe, par un retour de la solidarité - peut-être verbale mais, en tout cas, assez net vis-à-vis des Palestiniens. C'est un facteur qui change la donne et qui, je le pense - nous verrons à l'avenir ce qu'il en est, car je ne préjuge de rien - aura pour effet de modérer ou de ralentir les mouvements de rapprochement entre Israël et ces différents pays.

Je ne dis pas que ces accords sont remis en cause : je dis juste qu'on constate un certain refroidissement. La question qui est posée est de savoir s'il s'agit de quelque chose de temporaire ou, au contraire, d'un mouvement plus durable, étant entendu qu'une grande partie de l'opinion arabe, et ceci dans tous les pays, y compris ceux qui ont normalisé leurs relations, reste fondamentalement sceptique pour ne pas dire hostile à ces perspectives. Il s'agit de quelque chose dont les gouvernements de ces pays devront tenir compte.

Quelles sont les perspectives ? La première est la plus immédiate : c'est celle du cessez-le-feu. Le représentant des Nations unies pour le processus de paix M. Tor Wennesland, norvégien, que j'ai rencontré à plusieurs reprises et qui a été reçu à Paris il y a quelques mois, nous confirme que le cessez-le-feu est fragile.

Tout le monde en a bien conscience. Personne ne veut que la violence reparte, que des missiles soient lancés à nouveau depuis Gaza ni que les populations de Gaza et de la bande de Gaza soient de nouveau soumises à des bombardements.

C'est la raison pour laquelle, ici même, à Jérusalem, les autorités israéliennes font preuve de beaucoup de prudence dans tout ce qui se passe. Je pense par exemple à la marche de Jérusalem, qui a réuni des citoyens israéliens et dont le parcours a été dévié. Une marche des drapeaux, d'inspiration similaire, doit se tenir la semaine prochaine. La question de son parcours est posée. Pour illustrer les choses, si elle traverse la vieille ville et les quartiers musulmans, on craint des tensions. Encore une fois, ce sont des facteurs locaux qui peuvent potentiellement déclencher de grandes tensions et une forte violence.

Nous sommes maintenant confrontés à la question de la reconstruction de la bande de Gaza, qui compte aujourd'hui 2,2 millions d'habitants. Les perspectives à 25 ans sont de plus de 5 millions d'habitants. On a donc là un sujet majeur. Dans l'immédiat, il existe deux options pour celle-ci.

La première serait une reconstruction qui se limiterait, si je puis dire, au volet humanitaire. Les Nations unies ont lancé un appel interagences pour mobiliser 95 millions de dollars afin de répondre aux besoins immédiats de la population, qui manque d'électricité et d'eau, et qui vit dans une situation qui, objectivement, ne peut être considérée comme satisfaisante - c'est le moins qu'on puisse dire.

L'Égypte a joué un rôle majeur pour amener le Hamas et le Jihad islamique à oeuvrer en direction du cessez-le-feu. Elle a servi d'intermédiaire, ce qui prouve au passage son rôle tout à fait conséquent. L'Égypte reste un acteur de tout premier plan de la bande de Gaza et a manifesté l'intention de participer à sa reconstruction.

Se pose aussi la question des moyens financiers apportés par le Qatar. Jusqu'à présent, des sommes considérables permettaient d'assurer dans la bande de Gaza un minimum de sécurité sur le plan social, avec des transferts financiers en liquide, de l'ordre de 20 à 30 millions d'euros tous les mois depuis des années, en accord avec les autorités israéliennes, comme on peut l'imaginer.

Ce dont les Israéliens ne veulent plus, c'est que l'argent du Qatar puisse être détourné et serve à armer le Hamas. La question humanitaire est donc la première question immédiate qui se pose pour la reconstruction de la bande de Gaza.

Des objections de deux natures sont formulées par différents acteurs de terrain, qu'ils soient palestiniens ou membres de la communauté internationale. La première est de se demander si l'on va reconstruire Gaza pour le redémolir dans cinq ans. Cela n'a pas de sens, financièrement, humainement, politiquement.

La deuxième perspective, c'est de considérer que le problème de Gaza n'est pas seulement humanitaire, mais d'abord politique et lié au blocus qui sévit depuis quatorze ans ainsi qu'à la perspective de développer ce territoire de telle sorte qu'on puisse, dans l'intérêt même de toutes les parties, à commencer par Israël, parvenir à une plus grande stabilité. Le fait que le chômage des jeunes soit de 60 à 70 %, que la moitié de la population soit sans emploi, qu'une grande partie vit sous le seuil de pauvreté et que la démographie soit galopante ne peut, à l'évidence, constituer un élément de stabilité dans la durée. Il y a donc là un vrai sujet, un sujet politique, qui s'adresse à la communauté internationale dans son ensemble.

Soit on recourt à l'aide humanitaire à très court terme - et la France y est prête, elle l'a dit, et les États-Unis également -, soit on envisage les choses de manière plus structurelle en quelque sorte, pour voir comment il est possible de trouver des solutions pour un règlement politique de la situation à Gaza.

À la fin de cette semaine, et toujours dans la perspective de reconstruction de Gaza et d'apaisement des tensions, l'Égypte accueille au Caire les principales factions palestiniennes, le Fatah et le Hamas, pour essayer de trouver les moyens de les accorder sur les modalités d'une reconstruction.

Nos interlocuteurs israéliens nous ont indiqué qu'ils sont prêts à aider à cette démarche, mais entendent assurer un contrôle plus strict des moyens financiers qui seront acheminés vers la bande de Gaza. La question de l'accès à la bande de Gaza, non seulement des personnes, mais également des biens, des marchandises et de tout le matériel et de l'équipement nécessaire pour le développement est un sujet vital.

L'autre perspective pour les Palestiniens, c'est la question de savoir si, compte tenu du fait qu'il n'y a pas eu d'élection, ils se lancent dans la création d'un gouvernement d'unité nationale. La question est ouverte. Un gouvernement technocrate permettrait d'englober toutes les factions sans véritablement qu'elles soient représentées dans ce gouvernement.

Je retiens deux idées. On a vu dans cette affaire la centralité de Jérusalem, d'où sont partis les événements de Sheikh Jarrah, de la porte de Damas et de l'esplanade des Mosquées. Le deuxième point que je retiens, c'est le retour de la question palestinienne, qu'on avait peut-être un peu vite enterrée au cours des années précédentes.

M. Christian Cambon, président. - Merci de la présentation très complète que vous nous avez faite, en soulignant à la fois la dimension factuelle et les analyses que l'on peut en tirer.

Si, dimanche soir, une nouvelle coalition domine la Knesset, avec un nouveau Premier ministre, quels changements pourraient intervenir dans la politique d'identification de nouveaux territoires occupés ? Connaît-on d'ores et déjà le programme de M. Bennett sur ce sujet ? Y a-t-il une évolution à en attendre qui pourrait calmer le jeu ou est-ce que, pour l'instant, la coalition n'ayant pas encore été constituée, on n'est pas très au fait de ce qui peut se passer ? Un départ de M. Netanyahou représente un changement considérable dans le paysage régional.

M. René Troccaz. - Mon collègue ambassadeur à Tel Aviv serait plus légitime que moi pour répondre à cette question.

Ce que je peux vous dire, c'est que le caractère hétéroclite de la coalition qui s'apprête à prendre les rênes du gouvernement d'Israël amène à considérer qu'il va sans doute y avoir un effet de neutralisation à terme - mais je suis prudent dans mon propos, et je ne veux pas être catégorique. Certains partis sont contre le développement de la colonisation, d'autres y sont favorables, d'autres encore étaient favorables à l'annexion de la vallée du Jourdain, et on y trouve également un parti islamiste arabe.

Le pronostic qui est fait, y compris par les observateurs israéliens, tels que je peux les lire, c'est que tout cela risque ou peut se neutraliser. En réalité, on sera peut-être dans une situation de statu quo. Je le dis avec prudence, mais c'est la première impression qui ressort des concertations actuelles.

M. Joël Guerriau. - Monsieur le consul général, le regain de tensions actuelles entre Israël et la Palestine induit-il plus d'insécurité pour nos ressortissants ?

Vous avez évoqué les reportages d'Al-Jazira. Il se trouve qu'il y a trois semaines, les bureaux d'Al-Jazira à Gaza ont été bombardés par Israël, ainsi d'ailleurs que d'autres bureaux d'une agence américaine. Israël a affirmé que c'était à cause d'un système de brouillage électronique du Hamas. Avez-vous d'autres informations sur cette question ?

Enfin, quel est le niveau d'influence du Hezbollah à Jérusalem ? Vous disiez qu'on y compte 40 % de Palestiniens, soit environ 350 000 personnes. Le Hezbollah est-il un acteur parmi cette population ?

M. Jean-Marc Todeschini. - Monsieur le consul général, je vous livre la question de notre ami Gilbert Roger, hospitalisé, qui aurait aimé vous la poser lui-même. Certains points ont déjà été abordés.

À la fin avril, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a annoncé le report des législatives. Elles étaient prévues le 22 mai dernier. Les dernières ont eu lieu en 2006. Ce scrutin avait alimenté une scission entre le Hamas, prenant le contrôle de la bande de Gaza, et le Fatah de Mahmoud Abbas, qui avait remporté la majorité en Cisjordanie.

Quelles actions la France pourrait-elle engager pour aider les Palestiniens à reprendre un processus démocratique ?

Lors de votre audition devant le groupe d'amitié France-Palestine, le 2 mars dernier, vous nous aviez fait part du sentiment d'abandon de Gaza par la Cisjordanie et Ramallah. Dans ces conditions, et alors que les gouvernements successifs ont échoué à organiser des élections générales, le rétablissement de l'unité interpalestinienne vous semble-t-il encore possible ? Quelle alternative politique y aurait-il à celle-ci ?

M. Pascal Allizard. - Ma question sera plus particulièrement centrée sur les élections palestiniennes qui n'ont pas eu lieu, les dernières remontant à 2006.

Dans un certain nombre d'enceintes, comme l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, nous avons eu des interlocuteurs palestiniens jusqu'en 2019. Depuis, nous n'avons plus ni contacts ni échanges. Qui dirige l'« État palestinien » entre guillemets ? Qui représente qui ? Qui sont les interlocuteurs, officiels ou non ? Quelle est leur vraie légitimité ?

M. Philippe Folliot. - Le 14 mai 2018, les États-Unis installaient leur ambassade à Jérusalem. Selon vous, la nouvelle administration Biden va-t-elle pouvoir changer fondamentalement les équilibres au sein de ce cadre très compliqué, contraire à toutes les décisions internationales en la matière ?

Pensez-vous qu'il pourrait y avoir une évolution plus équilibrée de la politique américaine au Proche-Orient ? En ce sens, la France peut-elle jouer un rôle d'accompagnateur ? Vous nous avez dit qu'elle avait oeuvré de façon essentielle, notamment en lien avec l'Égypte et la Jordanie, en faveur du cessez-le-feu : la France pourra-t-elle avoir un rôle aux côtés des États-Unis dans l'esprit d'Oslo ?

M. Pierre Laurent. - Vous avez beaucoup insisté sur l'action de la France en faveur du cessez-le-feu, tout en soulignant la fragilité de celui-ci. Il était en effet nécessaire pour éviter l'escalade meurtrière débutante, mais il n'est en aucun cas une solution : s'il n'y avait que le cessez-le-feu, le statu quo actuel demeurerait, et on sait qu'il est invivable pour les Palestiniens.

Le coeur de la situation reste donc le déni de droit que vivent, comme vous l'avez souligné, tous les Palestiniens, ceux des territoires occupés, ceux de Jérusalem-Est, victimes d'une politique d'expropriation et de colonisation permanente, avec toutes les humiliations qui vont avec, et ceux qui vivent en Israël et qui connaissent des incidents violents tout à fait nouveaux, dont vous avez souligné l'importance.

Cette situation a été amplifiée ces dernières années par l'attitude de l'administration Trump et l'impunité internationale du gouvernement de M. Netanyahou.

Quelles initiatives politiques seraient souhaitables pour reprendre le chemin d'une solution politique ? Le cessez-le-feu, de toute façon, ne suffira pas face au retour de la question palestinienne.

Vous dites que la France agit. Je dirais que la France a un grand mérite : elle n'a pas abandonné ses positions fondamentales en faveur de la solution à deux États. C'est extrêmement important dans la situation internationale, mais elle agit peu en faveur d'une nouvelle initiative politique.

Le Parlement avait voté une résolution pour la reconnaissance de l'État de Palestine : elle est restée lettre morte. Nous avons attendu des années le plan américain, dont on sait ce qu'il a été, et on ne voit aujourd'hui pas venir d'initiative politique.

Que pourrait-on faire pour redémarrer des discussions ou prendre des sanctions, notamment contre la colonisation ?

Enfin, concernant les élections palestiniennes, vous soulignez à juste titre que leur annulation pose un grave problème. Leur tenue constituerait un des éléments de la solution politique. La France n'aurait-elle pas intérêt, dans ce cadre, notamment pour voir émerger de nouveaux dirigeants politiques palestiniens, à agir pour la libération de Marouane Barghouti, dont vous avez cité le nom, qui pourrait devenir un acteur politique qui ne laisserait pas le Hamas reprendre le flambeau ?

M. François Bonneau. - Quel regard portez-vous sur la démocratie israélienne ? Ce pays a du mal à dégager une majorité. Quelques députés permettent de faire passer certaines décisions et peuvent faire basculer un gouvernement, ce qui rend la situation très complexe.

M. Alain Houpert. - Benyamin Netanyahou a fait de la vaccination contre l'épidémie de Covid son cheval de bataille, voire un argument politique du Likoud.

Il existe une différence entre la population israélienne et la population palestinienne : j'aimerais savoir si les ratios de vaccination sont égaux dans les deux cas.

M. Olivier Cigolotti. - Les États-Unis ont appelé au cessez-le-feu, au même titre que l'Égypte, le Qatar, la Jordanie et bien d'autres pays mais, dans le même temps, ont refusé l'intervention du Conseil de sécurité de l'ONU, alors présidé par la Chine.

Cette situation est quelque peu paradoxale. Se poser la question du rôle de la Chine, c'est peut-être sous-estimer le rôle qu'elle joue dans cette région du Moyen-Orient. Est-ce que le gouvernement de Pékin entretient des relations suivies avec Israël et l'État palestinien ? Peut-on désormais considérer que la Chine est le nouveau poids lourd diplomatique dans cette région du Moyen-Orient ?

Mme Michelle Gréaume. - Même si on parle aujourd'hui du départ éventuel de Benyamin Netanyahou, la plainte pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité vise également le ministre de la défense et le ministre des affaires étrangères.

Ne croyez-vous pas que la France doit prendre ses responsabilités et continuer à exiger la protection du peuple palestinien ?

M. Christian Cambon. - Monsieur le consul général, vous avez la parole.

M. René Troccaz. - Monsieur Guerriau, les bureaux d'Al-Jazira et de l'agence américaine Associated Press étaient situés dans un bâtiment de Gaza qui a été détruit.

Nous n'avons pas d'autres indications sur cette affaire que ce qui est sur la place publique. Dès qu'Associated Press et Al-Jazira se sont retrouvées à la rue, les bureaux de l'Agence France Presse à Gaza les ont accueillis dans leurs locaux.

Ce qui s'est passé dans les bureaux d'Associated Press a provoqué un émoi considérable aux États-Unis. Le secrétaire d'État américain aux affaires étrangères a appelé aussitôt après le président de l'agence de presse. Je ne sais si cela a contribué à accélérer le réengagement américain mais, dans l'opinion américaine, c'est un facteur qui a été important. Je n'ai pas d'indication spécifique sur la destruction de ce bâtiment, si ce n'est ce que l'on sait déjà tous, les arguments mis en avant par les Israéliens pour le viser indiquant qu'il existait un bureau de renseignement du Hamas à l'intérieur. C'est possible.

Le Hezbollah est peu présent à Jérusalem. Il s'agit d'un mouvement libanais et non d'un mouvement palestinien. De surcroît, c'est un mouvement chiite, alors que les Palestiniens sont sunnites. En Palestine, la représentation politique de l'islamisme est principalement portée par le Hamas. Il n'y a donc pas d'influence directe du Hezbollah à Jérusalem ni dans les territoires palestiniens. Il peut y avoir de la sympathie dans une partie de l'opinion publique palestinienne à l'égard du Hezbollah, mais pas véritablement.

Si le Hezbollah avait tiré depuis le Liban des milliers de roquettes sur Israël, on aurait été véritablement dans une configuration d'une tout autre nature.

Monsieur Todeschini, vous avez posé une question pour le sénateur Gilbert Roger, à qui je souhaite un prompt rétablissement. Le processus électoral peut-il reprendre ? Que peut faire la France ?

Le processus électoral peut reprendre et nous le souhaitons. Il faut néanmoins tenir compte de la conjoncture dont je parlais dans mon exposé liminaire. Le rapport de force est actuellement nettement favorable au Hamas, d'après ce qu'on nous dit. Il est certain que le renouvellement démocratique est une condition de la légitimité de l'Autorité palestinienne et de la stabilité de l'ensemble régional. Les élections devaient conduire à l'unité palestinienne, réconcilier le Fatah et le Hamas, la bande de Gaza et la Cisjordanie et permettre à l'Autorité palestinienne de reprendre pied. Peut-être la reconstruction de la bande de Gaza, contrôlée depuis 2007 par le Hamas, y contribuera-t-elle.

Monsieur Allizard, vous avez posé la question très directe de savoir qui représente l'Autorité palestinienne, sachant que vous n'avez plus depuis 2019 de contact avec des parlementaires palestiniens. Il y a plus de Parlement palestinien. C'est le président Abbas et quelques collaborateurs qui décident, en procédant par décret.

Que représente l'Autorité palestinienne ? Pour la communauté internationale et pour la France, il s'agit de l'interlocuteur officiel et légitime des Palestiniens. Elle est censée préfigurer le futur État palestinien, dans la perspective d'une formule à deux États. En interne, soyons clairs : la légitimité de l'Autorité palestinienne s'érode et ceci pour deux raisons : tout d'abord, elle n'est pas appuyée par un soutien électoral, d'où la nécessité d'élections, et son rôle se réduit de plus en plus à assurer la coordination avec Israël en matière de sécurité et d'affaires civiles. La question de la légitimité de l'Autorité palestinienne aux yeux de l'opinion palestinienne est posée.

Monsieur Folliot, vous avez posé la question de la présence américaine et de l'évolution de la position des États-Unis. Le président Biden maintient l'ambassade américaine à Jérusalem. En revanche, le secrétaire d'État aux affaires étrangères, M. Blinken, a annoncé publiquement aux Palestiniens l'intention des États-Unis de rouvrir leur consulat général à Jérusalem, qui aura entre autres missions, d'après ce que je comprends, d'assurer la relation politique avec l'Autorité palestinienne. Oui, il y a une nette évolution. Je pense qu'elle s'est accélérée à la faveur de la crise du mois dernier. À présent, les Américains sont clairement décidés à reprendre langue, à réamorcer la coopération avec les Palestiniens et à prévoir une représentation diplomatique sous une forme qui reste à préciser. De ce point de vue, le changement de cap est assez net.

La France peut-elle jouer le rôle d'accompagnateur ? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est que les positions de l'administration Biden sont plus conformes au droit international. La perspective d'une solution à deux États, à cet égard, se rapproche de la position européenne. Il ne faut pas en exagérer l'impact immédiat, mais l'évolution est nettement là.

Monsieur Laurent, vous êtes revenu sur la question du cessez-le-feu. Ce que vous dites me paraît très juste : le cessez-le-feu est fragile, chacun en convient et, en tout état de cause, ne constitue pas en lui-même une solution. C'est une réponse immédiate, nécessaire, mais ce n'est pas une solution politique durable.

Bien évidemment, les positions de la France, exprimées au plus haut niveau de l'État par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, sont connues : nous restons fidèles à la perspective des deux États. Vous avez opportunément rappelé que la France tient ses positions. Elles peuvent paraître statiques à certains, mais nous faisons en réalité preuve de fermeté diplomatique et procédons à un rappel des principes.

En réalité, on ne fera pas l'économie d'un juste règlement du conflit israélo-palestinien, qu'on avait un peu vite enterré en mettant de côté la question palestinienne à proprement parler. Cette question reste entière, et les dirigeants israéliens en ont pleinement conscience, surtout après ce qui s'est passé ces dernières semaines.

On peut évidemment penser, comme vous le disiez, que des élections palestiniennes contribueraient à apporter une bouffée d'oxygène démocratique à la jeune population palestinienne, qui a envie de se prononcer, qui est formée, qui souhaite, comme tous les peuples du monde, pouvoir choisir ses dirigeants, peut-être même renouveler le personnel politique.

Dans ce contexte, la figure de Marouane Barghouti qui, je le répète, est détenu à vie en Israël et dont on avait compris qu'il serait candidat à une élection présidentielle qu'il aurait pu gagner, a toute son importance.

Monsieur Bonneau, s'agissant de la démocratie israélienne, je demeure là encore prudent. Je ne m'occupe pas directement des relations avec Israël. Non, il n'y a pas de majorité, ou celle-ci est très compliquée à trouver. Cela tient au mode de scrutin à la proportionnelle intégrale, comme je l'ai rappelé. On aboutit à des majorités extrêmement hétérogènes, comme celle qui va visiblement - attendons dimanche - se constituer avec un gouvernement qui réunit des forces politiques qui seront sur des sensibilités très différentes les unes des autres.

Monsieur Houpert, vous avez posé la question de la vaccination. En Israël, elle a été un succès. Le Gouvernement a acheté massivement des vaccins Pfizer et, d'ici quelques semaines, sans doute à la fin du mois de juin, on peut penser que 65 à 70 % de la population israélienne sera vaccinée, ce qui veut dire en clair que l'épidémie sera derrière nous.

Il n'en va pas de même pour les Palestiniens, pour lesquels la vaccination progresse, mais où les situations sont variables. Les résidents palestiniens de Jérusalem-Est seront vaccinés comme tous les Israéliens. Les 140 000 travailleurs palestiniens de Cisjordanie qui se rendent tous les jours en Israël pour travailler sont également vaccinés.

La vaccination progresse avec l'achat et la fourniture de vaccins différents - un peu de Pfizer, AstraZeneca, le vaccin russe Spoutnik, des vaccins chinois dans les territoires palestiniens -, mais on est à un taux inférieur à celui d'Israël, de l'ordre de 30 %.

La situation est encore plus compliquée dans la bande de Gaza où, alors même que, y compris en Cisjordanie, l'épidémie tend à ralentir, on n'est pas encore tiré d'affaire, loin de là. Ce qui protège la bande de Gaza, c'est la jeunesse de sa population, préservée des conséquences du Covid, même s'il y a eu des décès à déplorer.

Monsieur Cigolotti, vous avez souligné la différence qui existe entre, d'une part, l'action diplomatique des Américains, qui a accompagné le mouvement que la France a ouvert, en tout cas chronologiquement parlant, avec ses partenaires égyptiens et jordaniens, en faveur du cessez-le-feu et, d'autre part, la position beaucoup plus retenue au Conseil de sécurité. C'est vrai : il a fallu, là aussi, beaucoup travailler avec les Américains pour arriver à une résolution du Conseil de sécurité, qui a finalement été adoptée.

La Chine, en tant que présidente du Conseil de sécurité, a joué un rôle accru par rapport au passé. Constitue-elle un poids lourd diplomatique au Proche-Orient ? Je ne le crois pas encore mais, ce qui est certain, c'est qu'ayant une vocation de puissance globale - et elle en a les moyens -, elle ne pourra faire l'économie de s'intéresser à ce qui se passe au Proche-Orient. Elle a de bonnes relations avec Israël, des projets industriels, des projets économiques et des projets d'investissement. Elle veut aussi cultiver sa relation historique avec les Palestiniens et être un acteur de premier plan.

Je termine par la question de Mme Gréaume, à propos de la protection du peuple palestinien. C'est un sujet majeur. Les agences des Nations unies s'en occupent sur le plan humanitaire avec l'aide aux réfugiés palestiniens, ainsi que toute la communauté internationale. La France est extrêmement active et coopère avec les Palestiniens. Nous les faisons bénéficier de l'aide humanitaire, soutenons budgétairement l'Autorité palestinienne et sommes au plus près des populations. Je rappelle que l'Agence française de développement (AFD) est extrêmement active dans les territoires et porte des projets structurants.

S'il y a de l'eau dans la bande de Gaza - même si c'est imparfait -, c'est très largement grâce à l'action de l'Agence française de développement et d'autres bailleurs internationaux.

Bien évidemment, la situation est loin d'être parfaite. La question que vous posez est une question importante sur laquelle travaillent collectivement, au quotidien, l'Union européenne, la communauté internationale et, bien évidemment, la France.

Monsieur le Président, vous avez rappelé dans votre propos introductif que la France possède ici des domaines nationaux. En effet, le consulat général gère à Jérusalem, pour le compte de l'État, quatre domaines nationaux, dont trois avec les communautés catholiques. Elles sont l'objet de toute notre attention, car nous sommes dans une situation de fragilité et d'incertitude.

Nous apportons tout notre soutien à ces communautés. Nous sommes restés en contact avec toutes celles qui sont sous notre protection légale pendant la période de tension, afin de nous assurer qu'il n'y avait pas de violences à leur encontre, même si certaines résidaient dans des quartiers où la situation était très tendue.

Ce sont 45 000 de nos concitoyens, en majorité franco-israéliens qui vivent dans la circonscription de Jérusalem. Nous avons bien sûr quelques ressortissants binationaux dans la bande de Gaza, et quelques ressortissants en Cisjordanie. La sécurité de nos concitoyens, qu'ils soient nationaux ou binationaux, a été au coeur de notre préoccupation.

Nous les avons immédiatement contactés dès les tirs de roquettes sur Jérusalem pour s'assurer que nous étions tous en contact, bien évidemment en lien et en coordination étroite avec le Quai d'Orsay.

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le consul général, vous avez parfaitement répondu à toutes nos questions et n'avez fait que susciter plus d'intérêt encore sur ce sujet.

Je rappelle que, lors de sa réunion de bureau, notre commission a inscrit à son ordre du jour une mission associant les présidents de groupe dans une mission en Israël et dans les territoires palestiniens. Je vous serai reconnaissant, le moment venu, quand vous considérerez que la situation sera apaisée, tant sur le plan de la sécurité que sur le plan politique, et que l'on pourra avoir un certain nombre de contacts intéressants, de me dire à quelle échéance commencer à travailler sur la préparation de cette mission.

Elle serait plutôt prévue à l'automne, mais nous avons déjà reculé ce déplacement il y a un an, et nous aimerions pouvoir le monter avec votre appui. Je sais que cette visite sera passionnante. Vous êtes en effet à un poste d'action, d'observation et de contact qui nous permettra de nourrir notre réflexion.

M. René Troccaz. - Si vous me le permettez, monsieur le Président, je peux d'ores et déjà faire vous faire part de ma première impression : je pense que ce sera une excellente chose si cette mission peut se faire cette année, à l'automne. Elle sera extrêmement utile, pour des raisons qui tiennent à la Covid et aux événements récents. Nous n'avons en effet pas eu de visite politique, ministérielle ou parlementaire, depuis maintenant plus d'un an et demi.

À moins d'une catastrophe, si la situation sécuritaire reste à peu près stable, je pense que la situation sanitaire sera surmontée et que l'automne constituera un excellent créneau pour votre venue. Nous serons à votre entière disposition pour monter cette mission, notamment côté palestinien, et à Jérusalem.

M. Christian Cambon, président. - Je prends bonne note de ces indications. Nous allons commencer à préparer ce déplacement.

Merci infiniment. Vous avez bien évidemment le soutien amical et fervent de la commission, car vous êtes une fois de plus dans un poste délicat. Toutefois, les éléments que vous nous avez communiqués démontrent qu'avec toute votre équipe, vous représentez la France avec compétence et brio. Nous vous en remercions. Ce sont des postes difficiles où l'on a besoin de talents comme le vôtre pour que flotte le drapeau français.

C'est une région qui a toujours été au coeur des préoccupations de nos gouvernements successifs. Énormément de liens nous unissent avec ces pays. Le travail que vous y faites est extraordinaire.

Soyez assuré de notre confiance et de notre soutien.

M. René Troccaz. - Merci beaucoup. Je suis très sensible à ce que vous avez dit, monsieur le Président.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 heures 20.

Jeudi 10 juin 2021

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, je souhaite la bienvenue à M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, que nous avions déjà auditionné à l'automne dernier sur le projet de loi de finances pour 2021.

Je rappelle que le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) est chargé d'assister le Premier ministre dans ses missions dans le champ de la défense et de la sécurité nationale. À ce titre, vous êtes le secrétaire du conseil de défense et de sécurité nationale, dont l'activité a connu un rythme sans précédent en 2020 sous l'effet de la pandémie.

Le SGDSN est aussi chargé de la réglementation sur la protection du secret de la défense nationale, de la supervision des travaux de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), ainsi que de la mise en oeuvre des moyens interministériels classifiés et des liaisons protégées. Enfin, il assure aussi, grâce à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), la mise en oeuvre de la politique de cybersécurité.

Nous aurons sans doute l'occasion, au cours de cette audition, de vous interroger sur ces différents dossiers. Certains collègues chargés de préparer des rapports d'information auront également sans doute des questions à vous poser, notamment les rapporteurs du groupe de travail sur les drones.

Pour ma part, je voudrais vous interroger sur deux points.

Alors que nous voyons enfin la lumière au bout du tunnel sur le front de la pandémie, pouvez-vous nous dire où en est la révision de la planification de crise ? À l'automne, vous aviez indiqué que ce chantier était en cours, mais qu'il devait encore s'enrichir des différents travaux menés sur le sujet, notamment ceux de la commission d'enquête sénatoriale. Quelles modifications ont été apportées au dispositif existant ?

Par ailleurs, compte tenu des expériences vécues par la France et d'autres pays démocratiques ces dernières années, la possibilité d'ingérences numériques à l'occasion de l'élection présidentielle de 2022 nous préoccupe. Comment le SGDSN prend-il en compte cette menace ? Comment nous y préparer ? Vous avez annoncé la semaine dernière lors de votre audition à l'Assemblée nationale la création d'un dispositif de détection des manipulations d'informations en provenance de l'étranger via les réseaux sociaux. Pouvez-vous nous présenter ce dispositif ?

Je précise que cette audition n'est pas filmée. Vous avez donc toute liberté de vous exprimer.

M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. - Je vous remercie de votre accueil. Je suis très heureux de pouvoir vous présenter nos activités.

Le changement de dimension des crises appelle une planification plus concrète, plus lisible et prenant en compte le temps long. Depuis la fin du premier confinement, nous travaillons à cette remise à plat de notre préparation aux crises, en lien notamment avec les conclusions du rapport de votre commission d'enquête sur la gestion de la pandémie de covid.

En effet, si nous savons collectivement réagir aux catastrophes et aux crises de courte durée, la crise que nous venons de traverser, qui a entrainé l'interruption des échanges humains et économiques à l'échelle mondiale, a complètement modifié nos scénarios, car il n'était plus possible de s'approvisionner grâce au commerce international, ni de recourir à la solidarité de nos voisins, eux-mêmes touchés par le virus.

Nous travaillons à un nouveau dispositif fondé sur le concept de résilience. Ce terme désigne, en physique, le retour d'un matériau à son état initial après un choc, et en psychologie, l'aptitude d'un individu ou d'un groupe d'individus à se reconstruire après un événement traumatique. Ce concept est évoqué au sein de l'Union européenne, mais aussi au sein de l'OTAN, puisqu'il sera à l'ordre du jour du sommet qui se réunit à partir d'aujourd'hui.

La démarche de résilience comporte trois étapes : la réévaluation des risques et menaces, l'élaboration d'une politique d'atténuation de nos vulnérabilités et le développement des capacités nécessaires au rétablissement du fonctionnement normal. Nous refondons l'ensemble de nos plans et nous les complétons dans cette perspective.

Nous disposons actuellement d'une quinzaine de plans qui représentent 1 500 pages, comprennent 1 000 fiches de mesures et prévoient 100 domaines d'application. En période de crise, malgré les formations que nous dispensons, les responsables ont parfois du mal à s'y retrouver. Nous travaillons donc à rationaliser ces plans et à mieux les articuler entre eux. Nous développons un outil numérique pour agréger le suivi des mesures prises, organiser une meilleure communication de ces mesures entre l'administration centrale et l'administration territoriale, rassembler l'ensemble des éléments législatifs et réglementaires qui doivent être mis en oeuvre et assurer le suivi budgétaire.

Enfin, nous devons mieux former les responsables, dès leur formation initiale et tout au long de leur carrière.

Nous élaborons donc une demi-douzaine de nouveaux plans génériques, conçus autour de situations de référence : les violences extrêmes, les troubles sociétaux graves, les crises cybernétiques, les risques naturels technologiques ou industriels et les risques sanitaires. Nous croiserons ces plans avec une vingtaine de fonctions thématiques - alimentation et eau, communications, transports, lieux recevant du public ...- afin de disposer d'un tableau complet nous permettant de parer à toutes les situations. L'objectif est de parvenir, par ces arborescences logiques, à une utilisation plus facile pour les ministères et à une plus grande souplesse d'évolution de la planification.

Nous préparons ainsi, avec le ministère de la santé, un plan générique commun à l'ensemble des maladies infectieuses hautement pathogènes qui comportera un guide d'aide à la décision proposant une déclinaison spécifique pour chaque type de pathologie, complété par un contrat capacitaire prévoyant les ressources critiques mobilisables pour mettre en oeuvre le plan, et un guide de déclinaison territoriale.

Nous présenterons une première ébauche de ce premier plan à la rentrée.

Nous travaillons également sur la notion de gestion de crise. Lorsque la crise a éclaté, en janvier 2020, le ministre de la santé a été désigné par le Premier ministre comme le ministre « menant ». Ce dernier a mobilisé le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss) en coordination avec la cellule interministérielle de crise (CIC). Deux cellules se sont ainsi constituées : l'une pour gérer l'ensemble des problèmes relatifs à la santé, l'autre pour traiter les problèmes de la vie quotidienne des Français. Chaque jour, une réunion de synthèse en présence du Premier ministre ou de son directeur de cabinet permettait de prendre les arbitrages nécessaires.

Faut-il revoir ce dispositif pour lui substituer un centre de crise unique ? Nous pourrons y revenir en détail, mais j'estime, pour ma part, qu'une amélioration de la coordination effectuée par le Premier ministre serait souhaitable.

J'en viens au deuxième point sur lequel vous m'avez interrogé : le développement de nouvelles menaces, hybrides, qui s'appuient sur la numérisation de nos sociétés et qui permettent à des acteurs étrangers, soit par des attaques cybernétiques, soit par des actions d'exploitation des réseaux sociaux, de nuire à notre pays.

Pendant la crise sanitaire, l'ANSSI a été avertie de plusieurs milliers de cyber-attaques, dont une vingtaine de grosses opérations visant des médias, des entreprises et des administrations. Par ailleurs, nous avons subi des campagnes de fake news, notamment à l'automne dernier. Ces attaques sont difficiles à gérer, car elles ne sont pas attribuables à un commanditaire immédiatement. Nous nous attendons à ce que ce type d'attaques se développe à l'approche des élections présidentielles et législatives. C'est pourquoi nous travaillons sur les dispositifs que nous pouvons mettre en place pour les contrer.

La troisième menace, de nature juridique, est le lawfare, qui désigne la capacité d'un État étranger à imposer à tous les autres États ses propres normes pour des raisons monétaires ou commerciales. Nous agissons très fortement sur cette forme de menace.

Les fonds alloués dans le cadre du plan de relance permettront de remédier au manque de protection, notamment des hôpitaux et des collectivités territoriales, contre les menaces cybernétiques. De même, d'autres dispositifs, comme la création, en lien avec les régions, de centres de réponse aux incidents cybernétiques (CSIRT), visent à doter les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) de meilleures protections contre les cyber-attaques et les rançongiciels.

J'en viens à la menace d'ingérence numérique. En 2018, vous avez voté la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Certaines dispositions de la loi relatives à l'élection du Président de la République au suffrage universel visent également à lutter contre les fausses nouvelles et leur diffusion.

Nous avons travaillé avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui est chargé de la lutte contre la manipulation de l'information, mais aussi avec le Conseil d'État et bientôt avec le Conseil constitutionnel et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

Notre objectif est de créer un outil utile à ces institutions et au succès de leurs missions pendant la campagne présidentielle. Il s'agit aussi, plus globalement, dans le cadre de l'article 12 de la loi de 2018, de pouvoir aider le CSA à lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public ou de porter atteinte à la sincérité d'un des scrutins.

Pour ce faire, nous avons l'intention de créer par décret en Conseil d'État un service à compétence nationale qui travaillera auprès du SGDSN, en complémentarité avec l'ANSSI. Cette structure ne sera pas un service de renseignement, mais elle oeuvrera avec l'ensemble des administrations, dont le ministère des affaires étrangères, pour détecter et caractériser les menaces qui viennent de l'étranger.

Il n'est pas question de nous mêler de la vie politique en France lorsque tel ou tel responsable politique livrera une information qui mériterait d'être corrigée. Ce qui nous importe, c'est de suivre le parcours des informations, par exemple lorsqu'elles proviennent d'une agence de presse étrangère avant d'être reprises, puis développées et amplifiées sur les réseaux sociaux par le biais de robots, d'intelligences artificielles ou d'opérateurs humains installés dans différents pays.

Certains médias choisissent les sujets de leurs reportages en fonction du nombre de reprises qui leur sont consacrés sur les plateformes numériques. Les chaînes de télévision nationales les reprennent ensuite. Une sorte de feu de forêt prend ainsi et s'étend. Notre objectif est de pouvoir remonter jusqu'à l'incendiaire, le plus vite possible, afin de faire intervenir le CSA, le Conseil d'État, le ministère de la justice au titre de la loi de 1880, ou encore le Service d'information du Gouvernement (SIG) en les avertissant que telle ou telle information circule pour nous nuire et a fait l'objet d'un gonflement artificiel. De fait, c'est à ces instances et pas à nous qu'il reviendra d'intervenir. A ce titre, le Quai d'Orsay pourra ainsi faire des observations à ses homologues concernés, le SIG pourra produire un contre-discours, le ministère de la justice pourra lancer des poursuites, et le CSA pourra faire des recommandations aux plateformes numériques pour leur demander d'intervenir.

Le sujet est sensible, car il est politique. Nous devons donc déployer des dispositifs de contrôle très forts. Le Parlement y participera pleinement par le contrôle qu'il exerce sur le SGDSN ; votre commission au premier chef. De plus, nous avons proposé de constituer un comité éthique et scientifique qui sera présidé par un conseiller d'État et dans lequel siégeront un membre du CSA, un magistrat désigné par le ministère de la justice, un représentant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, par exemple un chercheur du CNRS, des journalistes et une ou des personnalités connaissant bien les plateformes numériques.

Cette structure devrait être opérationnelle d'ici au mois de septembre prochain, et dotée de 40 personnes à la fin de l'année, puis 60 personnes dans le courant de l'année 2022. Nous pourrons faire le point avec vous, après les élections présidentielles, notamment sur l'éventuelle nécessité d'amender la législation contre la manipulation de l'information.

Certains États nous préoccupent particulièrement, dont ceux qui sont très actifs dans le domaine cybernétique et que vous connaissez déjà. Ils sont aussi actifs dans le domaine des ingérences numériques. D'autres s'y ajoutent, dont certains dans la péninsule arabique ou sur le plateau iranien. D'autres encore sont des mouvements d'opinion comme QAnon, très actif dans les élections allemandes qui auront lieu au mois de septembre prochain. Nous travaillons de manière transversale avec tous les ministères qui sont concernés afin de ne pas perdre de vue ces perturbateurs.

M. Christian Cambon, président. - Un certain nombre de services amis, dont celui des États-Unis, nous prodiguent des soins attentifs par l'intermédiaire d'autres services amis, comme celui du Danemark.

Je voudrais rappeler l'extrême fragilité des parlementaires sur ces sujets. Nous avons beaucoup utilisé, dans la période récente, des plateformes de communication comme Zoom. Le directeur de l'ANSSI nous a fait de nombreuses recommandations concernant ce que nous ne devons pas faire, mais qui nous laissent dans l'incertitude par rapport à ce que nous devons faire.

Or ces moyens de communication sont appelés à se multiplier. Lors de certaines auditions d'ambassadeurs menées dans ce format, nous avons noté une grande retenue dans les propos des intervenants, liée au risque d'être écoutés par d'autres que nous. Cela nuit au processus parlementaire et démocratique.

La quantité de documents et d'informations que nous échangeons a une importance capitale. La ministre des armées m'a appelé, hier soir, pour évoquer des sujets sensibles. Je ne sais pas si son téléphone était crypté, mais le mien ne l'était pas.

Certains sénateurs, notamment ceux qui représentent les Français de l'étranger, séjournent souvent dans d'autres pays que la France. D'autres sont chargés de sujets très sensibles. Les parlementaires sont très exposés, mais aucun dispositif de protection n'est prévu. Nous sommes victimes de fake news, face auxquelles on ne peut se contenter de compter sur notre sagesse et notre bon sens. Nous représentons une source importante d'évasion de l'information.

J'irai visiter cet après-midi une entreprise d'armement, qui est un sous-traitant de sous-traitant. Elle ne bénéficie évidemment pas de la même protection qu'un acteur comme Thalès, alors qu'elle représente quand même un enjeu important.

M. Bruno Sido. - En 2014, le SGDSN a joué un rôle important dans le traitement du problème du survol des centrales nucléaires par des drones. Dans quelle mesure s'implique-t-il aujourd'hui dans la lutte anti drones ? Quels sont les chantiers en cours dans ce domaine ? Quels sont les enjeux et quelles initiatives envisagez-vous de prendre ?

Alors que le trafic de drones ne cesse de se densifier, où en est-on dans la mise en place d'un cadre règlementaire et d'un outil de gestion de l'espace aérien de basse altitude ? Des avancées sont-elles possibles au niveau national ou cela doit-il se faire à l'échelle européenne ? Le SGDSN envisage-t-il d'imposer aux opérateurs d'importance vitale de se doter de systèmes de détection de drones ?

Quant à la question qui suit, elle vient de mon collègue Cigolotti. Le projet de loi sur le terrorisme et le renseignement, en cours d'examen au Parlement, prévoit d'appliquer l'arrêt sur la quadrature du net rendu par le Conseil d'État, le 21 avril dernier, qui reprend l'arrêt « Tele2 Sverige » de la Cour de justice de l'Union européenne, en 2016. Le Conseil d'État avait indiqué que la conservation généralisée des données indispensables aux services de renseignement resterait possible tant que la France serait soumise à une menace terroriste grave. Chaque année, un décret doit justifier de l'existence de cette menace. La conservation des données par les opérateurs cessera-t-elle dès que le niveau de la menace diminuera ? Ce serait catastrophique pour les services de renseignement.

M. André Gattolin. - Je vous remercie d'avoir apporté des précisions sur l'outil de détection des menaces et ingérences étrangères. Il s'agit en quelque sorte d'une nouvelle agence de deuxième cercle. En raison de la multiplicité des crises, les agences se sont également multipliées. Tout l'enjeu est qu'elles puissent coordonner leurs travaux.

Cette nouvelle entité comportera une quarantaine de personnes, ce qui est restreint par rapport à l'ampleur de la tâche. Comment coordonnera-t-elle son action avec le Commandement de la cyberdéfense (Comcyber) du ministère des armées, et avec la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) ?

Plus généralement, cette autorité préfigurera-t-elle le projet européen d'une grande agence de protection de la démocratie et de la vie démocratique ?

Mme Vivette Lopez. - Je participe à la sixième session de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) sur les enjeux et stratégies maritimes. La France occupe un certain nombre de positions stratégiques grâce aux outre-mer, qui sont presque comme des porte-avions déployés dans le monde. Quel type de collaboration entretenez-vous avec ces territoires ? Travaillez-vous sur une stratégie en Indopacifique ?

En 2022, la France assurera pour six mois la présidence de l'Union européenne. Des propositions seront-elles faites dans ce cadre en matière de sécurité européenne ?

M. Olivier Cadic. - Je ne peux tout de même pas m'empêcher d'avoir le sentiment que nous jouons toujours avec les noirs et jamais avec les blancs...

L'industrie des rançongiciels se développe. Aux États-Unis, on envisage de rendre illégal le paiement de rançons. Qu'en est-il en France ?

L'ANSSI constitue un point fort dans notre stratégie et elle porte un pan important de notre défense, comme je l'ai dit à son directeur, Guillaume Poupard. Cependant, elle représente aussi potentiellement un point faible, dans la mesure où sa réputation risque d'être affaiblie en cas d'attaques cyber réussies. Nous devrions anticiper la multiplication de ces problèmes. Qu'avez-vous prévu pour cela ?

En ce qui concerne le plan de relance cyber, Guillaume Poupard nous a confié que les opérateurs d'importance vitale (OIV) n'avaient souscrit qu'à 10 % des possibilités issues du plan d'audit dont ils avaient fait l'objet. Le problème n'est-il pas administratif ?

En effet, hier, à la Paris Cyber Week, les entrepreneurs de la cyber m'ont dit à propos du dispositif « Diag Cyber », proposé par Florence Parly, qu'il était très difficile d'y accéder à cause de formulaires trop nombreux et complexes à remplir. Ne faudrait-il pas revoir le processus d'accès aux aides que nous proposons ?

Que pensez-vous du centre de recherche sur l'intelligence artificielle de Huawei, installé entre le Parlement et Matignon ?

Il y a un an, dans un rapport sur la désinformation et les cyberattaques que nous avions intitulé « L'autre guerre du covid-19 », nous avions émis en première recommandation de mettre en oeuvre une « force de réaction cyber » pour lutter contre les campagnes de désinformation ou d'influence de certains acteurs étrangers. Nous nous réjouissons que vous ayez annoncé le développement d'une nouvelle agence, en septembre prochain. Cependant, nous n'avons pas été consultés à ce sujet, et le Parlement, attaqué récemment par des fake news, est comme un trou dans la raquette, en matière de protection.

La réponse doit être globale et prendre en compte tous les acteurs. L'exécutif n'est pas le seul pouvoir à être attaqué ; le législatif l'est aussi. Disposons-nous d'une capacité offensive pour retourner leur arme contre ceux qui nous attaquent ? Les interventions du Quai d'Orsay ne suffisent pas, car les fake news sont restées publiées sur le site de l'ambassade de Chine, alors même que l'ambassadeur avait été convoqué. En revanche, si notre ambassade à Pékin publie une fausse information sur son site, la Chine le fermera tout simplement. Une contre-attaque rapide devrait consister à fermer systématiquement tous les sites qui publient des fake news, même s'ils sont gouvernementaux. Si nous ne le faisons pas, nous ne serons jamais protégés.

Je crains que la création de cette agence, que l'on peut interpréter comme la volonté d'apporter une réponse aux fausses informations sous le contrôle de l'État, ne permette pas de rétablir la confiance de la population. Il faut absolument que nous étudiions ce dispositif ensemble - exécutif et Parlement -avant la rentrée de septembre.

M. Christian Cambon, président. - La création d'une agence de cette importance sans même consulter le Parlement pose problème. Nous aurions dû être informés en amont de la mise en place d'un tel dispositif.

M. Pascal Allizard. - L'article 18 du projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement prévoit la possibilité de brouiller les drones menaçants sur le territoire national, afin de lutter contre ces engins, notamment lors de grands événements, et de protéger les enceintes militaires.

Quel est aujourd'hui notre niveau de maîtrise technique dans ces opérations de brouillage ? Est-il exact que des solutions plus ciblées sont actuellement à l'étude ?

Lors des grands événements, sera-t-il possible de créer une sorte de « bulle » de protection permettant de ne pas paralyser les autres modes de communication ?

M. Guillaume Gontard. - La crise sanitaire a révélé un certain nombre de dysfonctionnements, notamment dans l'approvisionnement en médicaments. Nous nous intéressons au Sénat - je pense à la proposition de résolution de notre collègue Françoise Laborde - à la question du lien entre la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale, notamment au travers de la protection des terres agricoles ou de la sécurisation du foncier agricole. Ce sujet fait-il partie de vos réflexions ?

M. Stéphane Bouillon. - Je souhaiterais tout d'abord répondre à M. Cadic à propos du futur dispositif visant à lutter contre les fake news.

Il ne s'agira pas d'une agence, mais d'un service administratif à compétence nationale rattaché au SGDSN. Il ne s'agit pas d'un service de renseignement. Le décret est actuellement en cours de rédaction. Nous cherchons à faire en sorte que la réponse soit la plus transparente possible : nous ne sommes pas en train de mettre en place un ministère de la vérité.

Par ailleurs, le dispositif a vocation à devenir pérenne et à se développer, y compris dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Il devra faire preuve de souplesse. Ses effectifs ne seront pas très importants, mais très spécialisés : il faudra à la fois des techniciens experts des réseaux sociaux, des analystes et des geeks assez pointus. Ces personnels auront pour mission de couvrir l'ensemble du spectre des attaques contre les valeurs démocratiques avec, à brève échéance, l'enjeu de la campagne présidentielle et des élections législatives de 2022.

Cet organisme est évidemment à votre disposition, puisqu'il doit servir l'ensemble de la République. C'est pourquoi il est aussi susceptible de collaborer avec les grands opérateurs privés, dans les secteurs du transport, de l'énergie ou de l'alimentaire notamment. Je pense en particulier à Danone qui a fait l'objet d'attaques très virulentes il y a deux ans.

Comme pour l'ANSSI, et contrairement à son homologue américain, nous ne prévoyons pas de doter ce service de capacités offensives. Sa mission est avant tout de protéger la sécurité nationale.

Je l'ai dit, notre objectif n'est pas de démontrer que nous détenons la vérité : nous voulons faire la lumière sur la viralité artificielle de certaines informations, en clarifiant la responsabilité des différentes structures responsables. S'agissant du contenu des informations en tant que tel, c'est, selon les cas, aux services d'information du Gouvernement de proposer un contre-discours ou aux médias et au personnel politique de les dénoncer. Ce n'est pas le rôle de cette future instance : sinon, elle ne sera effectivement pas crédible.

Je précise que plusieurs États ont déjà mis en place des dispositifs de ce type, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou l'Espagne.

Vous m'avez interrogé sur l'articulation entre ce service et les organismes mis en place au niveau européen. Nous avons justement eu des contacts avec la commission spéciale sur les ingérences étrangères dans les processus démocratiques de l'Union européenne, animée par les eurodéputés Raphaël Glucksmann et Nathalie Loiseau. Nous voudrions créer, au sein du Parlement européen et de la Commission européenne, une structure de coopération qui nous permette d'avancer et d'être efficaces.

Monsieur Allizard, vous m'interrogez sur les drones : ce sujet est extrêmement sensible comme le montre, je vous le rappelle, la censure de la mesure prévoyant l'utilisation d'aéronefs par certains services de l'État, notamment de police, par le Conseil constitutionnel.

La mise en oeuvre des compétences prévues par l'article 18 du projet de loi Terrorisme et renseignement sera du ressort du Premier ministre : il pourra les exercer lui-même ou décider, selon les cas, de les déléguer à un ministre, au commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes ou à un préfet, et ce pour définir la solution la plus efficace et la plus proportionnée face à une menace donnée.

Les dispositifs de brouillage prévus sont très variés et temporaires : notre but est de pouvoir détecter le plus rapidement possible les aéronefs menaçants pour, le cas échéant, les brouiller et les neutraliser. Nous suivons de près les évolutions technologiques en la matière, afin d'être en mesure d'établir le dispositif réglementaire le plus adapté possible.

La lutte contre les drones malveillants est devenue un enjeu majeur, en raison notamment de l'essor de ce type d'attaques. Nous savons en outre qu'une organisation comme Daech est en pointe dans ce domaine. Il nous reste encore du travail sur les plans technique et juridique pour être capables de répondre efficacement à ces nouvelles menaces.

Monsieur Gattolin, je vous confirme que nous prévoyons une coordination étroite entre l'organisme qui sera chargé de lutter contre la manipulation de l'information et le Commandement de la cyberdéfense. Le service aura pour mission de traiter les menaces aboutissant à la mise en cause de l'ordre public ou à la sincérité d'un scrutin, quelle qu'elle soit, sur le territoire national, métropole et outre-mer compris.

Pour prendre l'exemple du futur référendum en Nouvelle-Calédonie, nous serons très attentifs aux éventuelles ingérences de pays qui auraient intérêt à ce que ce territoire devienne indépendant.

M. Christian Cambon, président. - Cette surveillance est une précaution utile.

M. Stéphane Bouillon. - L'importance des enjeux géostratégiques et économiques en Nouvelle-Calédonie doit conduire à une vigilance particulière. Ainsi, il est de notoriété publique que la Chine est très intéressée par les nombreuses mines de nickel de l'archipel, qui seraient très utiles pour la production de leurs batteries.

M. Christian Cambon, président. - Je rappelle que notre commission a prévu de parler aux deux « camps » dans le cadre d'une mission sénatoriale. N'oublions pas que le Sénat est la chambre des territoires.

M. Stéphane Bouillon. - À cet égard, le SGDSN a été une cheville ouvrière, puisque nous avons élaboré un document présentant les avantages et les inconvénients du oui et du non lors du prochain référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Nous avons organisé de nombreuses réunions pour expliquer aux Calédoniens toutes les conséquences économiques et financières qui en résulteraient. Cette demande du Gouvernement était bienvenue, car, jusqu'à présent, on n'était pas entré dans des détails aussi précis, pensant que le non l'emporterait systématiquement. Notre document très fourni a été lu avec beaucoup d'attention, suscitant des interrogations sur les complications à venir. Nous sommes donc extrêmement attentifs sur ce sujet.

Concernant la stratégie indo-pacifique, nous travaillons étroitement avec l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, l'Inde et Singapour à fortifier le dialogue géopolitique avec d'autres partenaires que la seule principale puissance de la zone.

M. Christian Cambon, président. - Le Chili a déclaré subir la même contamination et souhaiterait être relié à cet axe Paris-New-Delhi-Canberra. On imagine mal que ce pays soit demandeur, mais il est littéralement envahi par la Chine et a besoin d'aide.

M. Stéphane Bouillon. - La Polynésie française n'est pas non plus exempte d'actions similaires.

M. Christian Cambon, président. - C'est un vrai sujet !

M. Stéphane Bouillon. - Sur cette problématique considérable, nous sommes très engagés, notamment pour déployer un nouveau câble vers la Nouvelle-Calédonie. Notre engagement est non seulement militaire, avec la livraison de sous-marins à l'Australie, mais aussi économique et social afin que la Nouvelle-Calédonie ne dépende pas de la mono-industrie du nickel et puisse continuer à développer son tourisme.

S'agissant de la crise sanitaire, monsieur Gontard, nous sommes très attentifs à ses effets en matière d'alimentation. Souvenons-nous des grands magasins vides au bout de plusieurs semaines de grèves des camionneurs. Lorsqu'une grande marque française a failli se faire racheter par le canadien Couche-Tard, Bruno Le Maire a opposé son veto contre l'avis de M. Bompard. Ce sujet qui nous préoccupe fera partie des différentes actions menées dans le cadre du plan Résilience.

Pour ce qui est des circuits bancaires, un sabotage qui porterait sur les transactions par cartes bleues entraînerait des problèmes incalculables. Nous vivions dans le confort, et avec la crise du covid, le pire est arrivé, alors que personne ne l'avait imaginé. Nous devons maintenant renforcer nos capacités d'anticipation, y compris par la création d'une cellule ad hoc. Cela permettra d'éviter que nous ne nous retrouvions, comme cela s'est produit, à court de cercueils pour accueillir les corps des personnes décédées du covid. Il a fallu réinventer un dispositif pour y faire face.

La sécurisation des terrains agricoles peut être envisagée à l'aune de la stratégie indo-pacifique : des terrains agricoles achetés par un grand État ou par des sociétés fournissent tous les produits nécessaires avant d'être jetés aux orties quand ils ne sont plus utiles. Nous devons réaliser avec vous un travail approfondi afin de protéger notre territoire contre ces prédations économiques. Vous êtes tous au courant, dans vos départements, de l'arrivée de stagiaires chinois, américains, anglais ou allemands, qui prennent possession du capital de l'entreprise et des richesses intellectuelles pour leur propre pays. Nous avons prévu de nombreuses dispositions très protectrices, mais celles-ci doivent aussi s'appliquer à toutes ces pépites qui existent dans des laboratoires.

Quant à l'installation du centre de recherche Lagrange de Huawei, on ne peut pas s'y opposer ; mais nous veillons à ce qu'il travaille dans le respect de la législation commerciale. Par ailleurs, il est indéniable que Huawei cherche puissamment à défendre ses intérêts auprès des décideurs.

M. Christian Cambon, président. - J'ai une demande de rendez-vous par semaine !

M. Stéphane Bouillon. - Cela prouve votre importance. D'autres sont dans le même cas, mais cela n'enlève rien aux dangers de cette pratique. Nous travaillons avec de nombreuses entreprises chinoises, mais la composition et la nature du capital de Huawei en font un cas particulier. La loi chinoise sur le renseignement national du 27 juin 2017 affirme que toute structure nationale doit se soumettre aux ordres qu'elle reçoit... Nous examinons de près la situation des infrastructures sensibles pour nous, notamment en matière ferroviaire ou aéroportuaire, avec la volonté de les protéger. Les produits de Huawei peuvent être excellents, mais leur exploitation ne doit pas remettre en cause les intérêts fondamentaux de la Nation.

M. Christian Cambon, président. - Huawei a réussi à attirer dans son staff des responsables français de première importance, à l'instar de ces hommes politiques qui n'hésitent pas à se livrer à visage découvert à des pressions que nous refusons toujours. J'ai reçu un fournisseur important de treillis militaires, venu se plaindre d'avoir perdu un appel d'offres au profit d'une entreprise écossaise. En réalité, celle-ci faisait fabriquer ses 25 000 mètres de tissu au Bangladesh par une entreprise chinoise. Le laboratoire allemand mobilisé pour étudier les deux échantillons supposément identiques s'est rendu compte après examen au microscope que les microfibres du vêtement permettraient d'identifier par satellite le soldat qui le portait, avec tous les dangers stratégiques que cela représente. Méfions-nous des offres alléchantes ; j'ai écrit à la ministre des armées pour l'alerter sur le fait que l'équipement militaire bénéficie d'une priorité nationale. Dans le même esprit, au Haut-Karabakh, les Turcs et les Azéris étaient équipés de micro-drones qui repéraient leurs ennemis par les ondes de leurs portables. Nous entrons dans une nouvelle ère au cours de laquelle votre métier va devenir de plus en plus passionnant !

M. Stéphane Bouillon. - Au sujet de la manipulation d'informations, les militaires sont très attentifs aux fausses nouvelles qui pourraient démoraliser nos combattants. Nous devons faire preuve d'une plus grande vigilance partout, ce qui passe par une plus grande précaution des opérateurs d'importance vitale, y compris en matière de recherche scientifique. Le sujet est délicat. J'ai visité à Strasbourg le laboratoire d'un prix Nobel de chimie dans lequel on rentrait comme dans un moulin, avec des stagiaires étrangers que personne ne connaissait... Il en est de même dans les hôpitaux : entre le renforcement de la sécurité informatique et une nouvelle salle de repos, le choix est vite fait. Le mot de passe Solange 47, souvenir d'une ancienne employée, a été utilisé dans un établissement hospitalier durant des décennies ! Il y a un énorme travail à faire pour sensibiliser tous les professionnels.

M. Christian Cambon, président. - Une acculturation.

M. Stéphane Bouillon. - Je suis sensible à votre remarque sur la paperasse administrative. Dans le cadre du plan de relance, nous avons voulu décentraliser en permettant aux régions de mettre en place des cercles de travail incluant les PME, tout en espérant que les collectivités seront moins bureaucratiques que l'État. Cela commence à fonctionner dans les régions Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes. Nous attendons beaucoup de ces évolutions au plus près du terrain, avec le concours des chambres de commerce et d'industrie, car la présence des gendarmes ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) n'est pas suffisante.

M. Christian Cambon, président. - Existe-t-il des coopérations européennes avec des services identiques au vôtre ? Je serai demain soir en Estonie pour visiter notre contingent français de l'OTAN, en pointe sur la lutte contre la désinformation à travers les moyens cyber. La Lituanie a fait l'objet de 57 000 cyberattaques en un an.

M. Stéphane Bouillon. - Je suis preneur, mais le service n'existe pas encore. Le décret est en cours d'élaboration. Les échanges multiples, y compris des savoir-faire, sont souhaitables sur ce sujet, car certains pays veulent promouvoir à tout prix leurs vaccins. Vous avez évoqué la proposition de résolution faisant suite au rapport de votre commission l'an dernier. Ce fut l'une de mes premières missions en prenant mes fonctions au SGDSN. J'ai par ailleurs proposé l'institutionnalisation de la Task Force Honfleur, mais avec des contrôles renforcés. Il est très important que nous puissions vous rendre compte de nos actions.

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le secrétaire général, merci infiniment de ces éléments riches d'informations et lourds de menaces ! Pour vous donner les moyens d'y faire face au travers des budgets qui nous sont soumis, nous devons préalablement être bien informés de la situation.

La réunion est close à 11 h 55.