Jeudi 6 avril 2023

- Présidence de M. Alain Cadec, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Institutions européennes - Conseil européen des 23 et 24 mars 2023 - Audition de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe

M. Alain Cadec, président. - Le président Rapin reçoit aujourd'hui dans son département la visite du président du Sénat ; aussi m'a-t-il prié de le suppléer pour présider notre réunion ce matin.

Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe, afin qu'elle nous rende compte de la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars dernier.

Une fois encore, l'Ukraine a constitué un point majeur de cette réunion. Nous sommes particulièrement mobilisés contre les transferts forcés d'enfants ukrainiens ; notre commission a adopté à cet effet une proposition de résolution européenne, examinée hier par la commission des affaires étrangères et donc appelée à devenir dans quelques jours résolution du Sénat. Avez-vous des éléments plus précis à nous apporter au sujet de l'initiative conjointe de la Pologne et de la Commission européenne, annoncée le 27 février dernier, destinée à recueillir des données et des preuves ? Nous nous interrogeons notamment sur son articulation avec l'enquête menée par Eurojust.

Notre proposition de résolution européenne appelle l'Union à élargir ses sanctions à l'ensemble des parties prenantes au système mis en place pour déporter et « russifier » les enfants ukrainiens. Dans ses conclusions, le Conseil européen envisage de nouvelles sanctions : celles-ci pourraient-elles aller dans le sens que nous préconisons ? Il confirme aussi la nécessité d'éviter le contournement des sanctions : à ce sujet, le bureau de la commission a pu échanger la semaine dernière avec M. Denis Redonnet, directeur général adjoint de la DG Commerce de la Commission européenne et chargé d'assurer le respect des règles du commerce : M. Redonnet a estimé que les sanctions frappaient 50 % des exportations et 70 % des importations de la Russie, que leur impact était réel et qu'il irait croissant, à condition toutefois d'en éviter le contournement, notamment via la Turquie et l'Asie centrale. Comment l'Union peut-elle minimiser ce contournement ?

Nous notons aussi l'appui du Conseil européen à l'égard de la Moldavie, confrontée à des manoeuvres internes de déstabilisation. Une délégation de notre commission s'y rendra à la fin du mois d'avril pour manifester le soutien, côté parlementaire, de notre pays, soutien dont vous avez déjà témoigné, madame la secrétaire d'État, en vous rendant à Chisinau début mars.

Second grand enjeu de cette réunion du Conseil européen : la compétitivité, la résilience et l'autonomie européenne. À ce sujet, je veux vous alerter sur quelques points de vigilance. Le premier concerne la réforme du marché de l'électricité. Le Conseil européen encourage son adoption d'ici à la fin de l'année, alors qu'elle a été présentée le mois dernier par la Commission européenne : au vu des premières réactions des États membres, jugez-vous cette ambition réaliste ? Le second concerne l'intelligence artificielle : le Conseil européen encourage le recours aux outils numériques et entend soutenir les entreprises du secteur pour que l'Union européenne reste à l'avant-garde dans ce domaine. Or l'Italie vient de décider d'interdire l'usage du robot conversationnel d'OpenAI, ChatGPT, qui ne respecterait pas la réglementation européenne en matière de protection des données. Notre commission vient d'ailleurs d'adopter une proposition de résolution européenne appelant à un déploiement de l'intelligence artificielle conforme aux valeurs européennes. La décision italienne mine l'unité européenne sur ce dossier structurant pour l'avenir ; savez-vous comment l'Union compte réagir ?

Enfin, dernier sujet sur lequel je souhaite attirer votre attention : le Conseil européen confirme sa volonté de réduire les dépendances européennes sur les chaînes de production stratégiques, notamment la microélectronique. C'est en particulier l'objet du Chips Act, porté par le commissaire Breton et destiné à réduire notre dépendance en matière de semi-conducteurs. Or, on nous remonte du terrain des inquiétudes fortes : les industriels estiment que le plan Breton vise la production en Europe de puces dont les caractéristiques ne répondent pas aux besoins premiers de l'industrie. Stellantis, par exemple, serait freiné dans sa production par le manque de ces puces de base, que la Chine produit mais dont elle a réduit l'exportation pour fournir sa propre industrie, aux besoins croissants. Le Gouvernement a-t-il été sensibilisé à ce sujet ?

Avant de vous céder la parole, je précise que cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo qui est retransmise en direct sur le site du Sénat et qui sera disponible en vidéo à la demande.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe. - Je vous remercie de votre accueil.

Il y avait trois points principaux à l'ordre du jour de cette réunion du Conseil européen : le soutien à l'Ukraine, la compétitivité avec notamment la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act (IRA) américain et à la recomposition énergétique, et enfin les questions de migration et de commerce.

Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, est intervenu au Conseil européen en faveur du renforcement de la coopération entre l'Union européenne et l'ONU, surtout à l'aune de la guerre en Ukraine. Ce fut l'occasion de souligner la nécessité d'une réponse multilatérale face à la violation flagrante des principes fondamentaux de la charte des Nations unies et de traiter des biens publics mondiaux : la protection de l'environnement, la lutte contre la pollution, la préservation des écosystèmes, la santé, la sécurité alimentaire et l'aide humanitaire.

L'Union européenne a rappelé son soutien indéfectible à l'Ukraine, sa détermination, son unité, sa volonté d'accroître la pression sur la Russie, y compris via les sanctions, et de travailler au plafonnement du prix du pétrole. Il a également été question de la nécessité d'assurer la mise en oeuvre effective des sanctions et de lutter contre leur contournement par les pays tiers. Le Conseil européen a apporté son soutien à la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU appelant à une paix juste et durable et au plan de paix du président Zelensky.

La France a soutenu l'accord pour livrer en urgence des munitions à l'Ukraine ; cet accord se décline en trois actions : l'utilisation des stocks existants des États membres, le renforcement des capacités de production et un dispositif d'achat conjoint, les financements européens devant servir à l'achat de productions européennes.

Il a également été discuté de la lutte contre l'impunité, notamment en matière d'enlèvements et de déportations d'enfants en Russie. Ces actes ne sauraient rester impunis. Je salue à cet égard la proposition de résolution européenne de M. Gattolin adoptée le 9 mars dernier par votre commission sur ce sujet. Un sujet si grave exige une expression forte, ferme et unie du Parlement. L'accueil par le Sénat du président de la Rada d'Ukraine y contribue.

Le second point à l'ordre du jour de cette réunion concernait les enjeux économiques et la compétitivité. La dynamique vers une stratégie de souveraineté européenne, conforme à nos ambitions écologiques, est en train de se déployer. On le voit dans les orientations du Conseil européen et les propositions de la Commission.

Je propose de décliner les textes qui sous-tendent cette stratégie du « Made in Europe». Celle-ci repose sur une vision industrielle ambitieuse et fixe des objectifs pour 2030 afin d'inciter à l'implantation de capacités de production européennes répondant à nos besoins stratégiques en ce qui concerne les matières premières, les semi-conducteurs et les technologies participant à la transition verte. L'objectif premier est de réduire les dépendances de l'Union européenne à l'égard des énergies fossiles et de réaliser la transition écologique en créant des emplois. Les propositions de la Commission en matière d'aides d'État, les mesures visant à se protéger contre les distorsions de concurrence en provenance de pays tiers, les règlements sectoriels sur les matières premières critiques forment un premier socle de travail.

Les financements consacrés à cette stratégie devront être à la hauteur des ambitions et les assouplissements réglementaires envisagés devront être efficaces et lisibles. Le principe de neutralité technologique, qui laisse aux États membres la faculté de définir leur bouquet énergétique, doit être préservé.

Il est nécessaire de renforcer nos capacités d'investissement public et privé, notamment dans la recherche et développement et dans la formation dans un contexte où beaucoup d'Etats membres ont atteint le plein emploi. . Nous devons arriver à augmenter les viviers de talents européens et, pour cela, il faut diversifier les offres de formation et accroître le volume des reconversions, afin de répondre aux besoins futurs dans les secteurs clefs. En soutien à l'effort d'investissement, il importe également d'achever l'union de capitaux et l'union bancaire.

La question du fonds de souveraineté a été reportée à la prochaine réunion du Conseil européen en juin.

Toujours sur le volet industriel, nous travaillons aussi à assurer notre souveraineté en ce qui concerne les matières premières, en diversifiant nos sources d'approvisionnement ou en en organisant l'extraction chez nous, de façon propre, quand nous en avons. Il nous faut en outre investir dans les secteurs stratégiques et simplifier la réglementation des aides d'État, en considérant les crédits d'impôt. Enfin, il convient d'assurer la protection et l'essor du marché intérieur ; je pense aux mécanismes anti-subvention, antidumping, anti-coercition et à l'exigence de réciprocité. Quant au commerce international, il doit répondre à deux impératifs : nous concluons des accords internationaux à la double condition que soient respectés les accords de Paris et les engagements relatifs au climat et à la biodiversité et que la réciprocité des standards et des normes européens soit assurée, afin que les produits qui arrivent sur notre marché respectent les normes auxquelles sont soumis nos producteurs, notamment agricoles.

Sur la révision de la gouvernance économique, des conclusions avaient été adoptées par le conseil des ministres Écofin lors de sa réunion du 14 mars dernier, notamment sur la politique économique de la zone euro. Nous examinerons attentivement les propositions législatives de la Commission en la matière au cours des prochaines semaines. L'objectif est d'assurer la soutenabilité des finances publiques, la croissance et le soutien aux investissements.

J'en viens à la politique énergétique. En prévision de l'hiver prochain, nous prévoyons des mesures de stockage et la diminution de la consommation de gaz ; nous avons déjà réduit notre consommation de 20 % au cours de l'hiver dernier, ce qui est considérable. Nous mettrons en outre en place une plateforme d'achat conjoint, qui permettra de coordonner les achats de gaz, l'objectif étant de contenir les prix en utilisant ensemble notre pouvoir de marché. Une satisfaction en cette sortie d'hiver est que nos stocks sont à un niveau supérieur à ce qui était attendu.

Toujours concernant l'énergie, se pose la question de la réforme du marché de l'électricité. Je salue vos initiatives à ce sujet, dont l'organisation par votre commission d'une table ronde sur la nouvelle politique de l'énergie. Le fait d'être soutenu par les initiatives et propositions du Parlement nous aide beaucoup à affirmer nos objectifs face à nos partenaires. Nous souhaitons l'adoption de la réforme du marché de l'électricité d'ici à la fin de 2023, tout en respectant bien entendu les prérogatives du Parlement européen. L'objectif est de soutenir le pouvoir d'achat de nos ménages et la compétitivité de nos entreprises. Les premières propositions vont dans ces sens, car elles prennent en compte les capacités nucléaires existantes et offrent la possibilité de conclure des contrats de long terme, afin de diminuer la corrélation au prix du gaz ; ce découplage devrait faire baisser les prix.

En tout état de cause, nous sommes très attachés à la neutralité technologique. Nous nous battrons pour ce principe, afin de soutenir la reconnaissance du rôle du nucléaire dans la décarbonation de l'économie.

Voilà ce que je pouvais vous dire sur la proposition de règlement pour une Industrie zéro émission nette (Net Zero Industry Act), qui constitue la réponse européenne à l'IRA, et la réforme du marché de l'électricité.

Enfin, cette réunion a été l'occasion de faire un suivi des conclusions du Conseil européen de février dernier sur les migrations. La Commission a fait un point d'étape des actions conduites depuis deux mois. L'importance du travail avec les pays tiers et d'origine a été rappelée et, pour ce qui concerne l'intérieur, le Conseil européen appelle les colégislateurs à poursuivre les négociations en cours concernant le pacte sur la migration et l'asile, dans la perspective d'une adoption à la fin de la législature.

Ayant présenté les enjeux majeurs du Conseil européen, je me propose de répondre maintenant un peu plus précisément à vos questions.

Je commence par la question sur les enfants ukrainiens. Le caractère massif des déportations et du processus d'assimilation forcée mis en oeuvre par les autorités russes est avéré. Des témoignages ont été recueillis par la Rada et un recensement effectué par le gouvernement ukrainien comptabiliserait déjà des milliers d'enfants déportés. Cette pratique constitue un crime de guerre et les responsables russes de ces crimes seront jugés. Nous soutenons l'initiative conjointe de la Commission européenne et de la Pologne pour recueillir les preuves de ces exactions et traduire les responsables en justice. Cette initiative doit aussi permettre de recueillir des informations sur le sort de ces enfants et leur lieu d'établissement. La France est favorable à l'adoption de sanctions européennes contre les personnes et institutions russes responsables : il s'agit principalement de geler les avoirs et d'interdire de voyager. Des dizaines de mesures personnelles ont déjà été adoptées. Nous travaillons à leur renforcement.

Le contournement des sanctions sera un point d'attention pour nous au cours des mois qui viennent. Les sanctions visent actuellement 1 473 personnes et 205 entités qui ont soutenu ou financé l'agression de l'Ukraine ou qui y ont participé, mais aussi ceux qui en tirent avantage. Il s'agit de sanctions économiques contre la Russie, mais aussi contre la Biélorussie et l'Iran, ainsi que contre le groupe Wagner, qui agit notamment en Afrique.

Pour lutter contre le contournement des sanctions, nous voulons notamment empêcher la réexportation vers la Russie, via des pays tiers, de biens ou matières européens sensibles ou sous sanction, car cela sape nos efforts. La France travaille avec d'autres États membres à des pistes concrètes pour empêcher ces réexportations. David O'Sullivan a été nommé envoyé spécial de l'Union européenne pour les sanctions et conduit les démarches diplomatiques auprès des pays tiers. En tout état de cause, le contournement des sanctions est documenté et passible de sanctions. Il reste à le faire comprendre aux pays concernés.

M. Alain Cadec, président. - Ce ne sera pas le plus simple...

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Non, mais il faut le faire.

Nous pouvons par ailleurs aider la Moldavie de trois façons.

D'abord, nous pouvons lui fournir une aide administrative. En effet, pour mettre en place les acquis de l'Union, il faut une structure administrative robuste. Nous demandons donc à la Commission de fournir plus de personnes pour aider les Moldaves à définir et mettre en oeuvre les actions nécessaires pour passer du statut de candidat au stade de l'ouverture des négociations. Le Conseil de l'Europe peut également aider ; je compte sur vous pour l'inciter fortement à le faire.

Si l'accueil du prochain sommet de la Communauté politique européenne représente un défi non négligeable pour un pays comme la Moldavie, cela va conforter sa place dans la famille européenne et lui permettre d'obtenir des aides bilatérales.

Enfin, il y a le sujet de la désinformation. La Moldavie a fermé les chaînes de télévision russe, donc elle dispose de beaucoup moins de contenus audiovisuels. J'ai contacté Arte, qui va mettre gratuitement à disposition de ce pays des contenus, documentaires et films européens, ce qui permettra de contrebalancer les contenus russes ou biélorusses et de sensibiliser les Moldaves à notre culture.

J'en viens au plan Breton. Le Chips Act européen est notre équivalent du Chips Act américain, comme le Net Zero Industry Act est la réponse à l'IRA. Il vise l'approvisionnement en semi-conducteurs et le développement technologique pour la maîtrise et la production des puces avec une gravure de 2 nanomètres. Lors des négociations au Conseil, il avait été envisagé d'autoriser les aides d'État uniquement pour les installations pionnières de puces, les industries très novatrices. La France a demandé que ce soit élargi, afin d'intégrer aussi les technologies plus matures, comme cela se fait d'ailleurs aux États-Unis. Ainsi, si vous entendez sur le terrain qu'il y a des dispositifs à amender ou à revoir, il faut nous le dire pour que ce soit corrigé à l'échelon européen.

Le Président de la République est attentif aux semi-conducteurs. Aujourd'hui, 80 % de leur production est concentrée à Taiwan, donc il faut diversifier nos sources d'approvisionnement. Nous empruntons une voie distincte de celle des États-Unis. Les États-Unis ont tenté de bloquer l'exportation vers la Chine d'une gamme de semi-conducteurs produits par la société néerlandaise ASML et les Pays-Bas ont justifié la mise en place de contrôle sur ces exportations au nom du risque d'usage militaire. Nous devons avoir une doctrine européenne unifiée sur les exportations, au-delà des biens à double usage.

Enfin, sur l'intelligence artificielle, le robot conversationnel ChatGPT est soumis, comme toute application, au règlement sur l'intelligence artificielle, notamment pour ce qui concerne la transparence. Les développeurs d'OpenAI sont en outre sensibles aux biais détectés et corrigent les dérives. Les applications comme ChatGPT n'entrent pas dans le champ des systèmes d'intelligence artificielle à haut risque ; en revanche, des usages de cette application pourraient en relever. Pour adapter les règles, il faut en effet distinguer entre le modèle d'intelligence artificielle et ses usages. Les autorités françaises sont très sensibles à cette question, mais interdire brutalement l'usage de l'application ne me semble pas efficace.

M. André Reichardt. - Je veux vous interroger sur la compétitivité de l'Union européenne. Nous avons progressé en matière de défense commerciale, dites-vous, mais j'ai lu dans les conclusions du Conseil européen à l'issue de sa dernière réunion qu'il avait « tenu un débat stratégique sur les aspects géopolitiques du commerce et mis en avant la contribution de la politique commerciale à la compétitivité de l'UE ». C'est un peu court. Pourriez-vous développer les orientations sous-jacentes de la politique commerciale ? Le ministre français Bruno Le Maire a déclaré que l'Union européenne devait s'engager en faveur d'une politique de préférence européenne. J'y suis également favorable, mais je ne vois rien venir.

Charles Michel plaidait pour l'amélioration de la méthode de négociation des accords commerciaux et pour leur ratification par les États membres, mais la Commission propose de scinder les accords pour ne laisser à l'examen des parlements nationaux que la portion congrue, celle qui correspond aux compétences partagées. Le Président de la République a déclaré que la France s'opposerait à tout traité ne respectant pas les accords de Paris ou ne contenant pas les clauses miroirs, mais cette position de la Commission n'empêcherait-elle pas toute capacité de veto des États membres ? Pouvez-vous nous rassurer sur la volonté sincère de l'Union européenne d'être à la hauteur du défi qui nous est imposé par l'IRA ?

M. André Gattolin. - J'ai travaillé pour la rédaction de la proposition de résolution européenne relative aux déportations d'enfants avec l'association « Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ». La France a le leadership et l'initiative sur cette question. L'Ukraine nous en est reconnaissante. Cette proposition de résolution européenne a été adoptée hier à l'unanimité par la commission des affaires étrangères. Selon l'Ukraine, 109 personnes sont impliquées dans ces déportations. Il faudra se fonder sur cette liste pour établir les sanctions à venir.

Le contournement des sanctions ne concerne pas que la Turquie. Cela concerne des États européens ou non. Du reste, cette question n'est pas étrangère aux missions de Frontex, au travers du contrôle du fonctionnement douanier. Il faut trouver un mécanisme pour empêcher ces contournements.

Au sujet des contenus audiovisuels qui pourrait bénéficier à la Moldavie, vous avez évoqué Arte, mais nous avons une chaîne excellente, Euronews, que nous sommes en train de laisser mourir, et qui est la seule chaîne de langue française à parler de l'Europe, tous les jours. Je vous le signale.

Une rumeur fait état d'une volonté de la Commission de rouvrir les négociations de l'Accord global sur les investissements entre l'Union européenne et la Chine. C'est étonnant. La Fédération des industries allemandes (Bundesverband der Deutschen Industrie ou BDI) met en cause cette réouverture, en signalant que les choses ont beaucoup changé depuis les premières négociations. Sans doute, il ne se passera rien avant les élections européennes, mais on sent une différence d'appréciation entre Charles Michel et Ursula von der Leyen sur ce point.

M. Jacques Fernique. - Aujourd'hui, 6 avril, est la date limite pour se joindre au recours de la Commission et du Parlement européen à la Cour de justice contre la Hongrie, qui n'a pas abrogé sa loi contre l'homosexualité. Onze États l'ont fait ; la France n'en fait pas partie.

Je regrette par ailleurs que notre gouvernement ait fait en sorte d'écarter le secteur nucléaire des sanctions contre la Russie. Le nucléaire russe est à l'abri des sanctions, notre nationalisme industriel le protège. Cet entêtement aura-t-il une limite ?

Sur la politique industrielle européenne, le Président de la République promet une stratégie industrielle forte face à l'IRA, mais le plan de la Commission n'est pas à la hauteur. Un changement de cap du Conseil est-il envisageable ? Le fonds de souveraineté industrielle est reporté sine die, le fonds social reste faible, les critères de sécurité d'approvisionnement sont flous... Bref, ce n'est pas suffisant. Surtout, il manque un Buy European Act. Il faut privilégier, à travers nos marchés publics, la production en Europe.

Sur les accords commerciaux, où sont les mesures miroirs promises ?

Mme Colette Mélot. - Ma première question porte sur le déploiement accéléré de la stratégie de souveraineté européenne. De nouvelles propositions ont été annoncées dans le domaine commercial. Cet ensemble de mesures ambitionne de répondre à l'Inflation Reduction Act. Il est important, en effet, que l'Europe puisse rivaliser avec les autres grandes puissances ; telle est l'ambition du plan industriel du Pacte vert. Pouvez-vous nous en dire encore davantage sur le sujet ?

Aujourd'hui, le président de la République est en visite en Chine avec la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. D'autres mesures seront peut-être annoncées concernant les relations commerciales avec la Chine. Quelle stratégie faut-il adopter pour rendre plus compétitif le « Made in Europe » ?

Enfin, je m'interroge sur les offres de formation et de reconversion. Des annonces sont-elles prévues pour aller plus loin dans le développement d'un marché européen de l'emploi ?

Mme Laurence Boone. - Si l'on veut être honnête et réaliste, on doit reconnaître que les moins bons promoteurs de l'Europe, ce sont les Européens. Quand on explique aux Américains ce que nous sommes en train de faire, ils nous regardent d'un oeil tout à fait différent.

Notre stratégie s'appuie sur plusieurs piliers. Le premier concerne le déploiement du plan industriel du pacte vert, avec notamment le Net Zero Industry Act,, réponse européenne à l'IRA ; son ampleur financière - 400 milliards d'euros - rivalise avec les fonds prévus par l'IRA, sachant que cette décision a été prise en trois mois seulement et alors que l'IRA n'est toujours pas mis en oeuvre.

Pour ce plan industriel, nous avons avancé dans le sens d'une plus grande simplification. Des crédits d'impôt ont pu être octroyés dans le cadre d'aides d'État, ce qui favorise la prévisibilité et la simplicité. Nous avons également adopté des dispositions simplifiant les procédures d'autorisation d'implantation de sites industriels.

Simplifier ne signifie pas réduire : simplement, plutôt que de séquencer les différents processus, nous les menons en parallèle. Prenons l'exemple du projet important d'intérêt européen commun (Piiec) en matière d'hydrogène : autrefois, il fallait deux, trois ou quatre ans avant d'obtenir une autorisation, contre moins de six mois aujourd'hui.

Enfin, ce plan industriel a une vocation stratégique. Il s'agit de ne pas disperser les deniers ni les efforts, mais de les concentrer dans les technologies numériques de pointe - avec le Chips Act - et, plus globalement, dans tout ce qui concerne la transition numérique et écologique. En France, la santé est également un domaine stratégique.

Un autre pilier concerne le marché intérieur. Nous souhaitons trois choses : la protection, la réciprocité et la possibilité d'être offensif lorsque nous avons des intérêts à défendre. Concernant la protection, je pense aux instruments mis en place pendant la présidence française de l'Union européenne contre les subventions, le dumping et le rachat de nos entreprises par des entreprises étrangères subventionnées par leur État. La réciprocité consiste à pas ne laisser une entreprise d'un pays n'ouvrant pas son marché public candidater à des marchés publics sur notre territoire. Cette réciprocité se retrouve également dans les accords commerciaux. Sur le fait d'être offensif, jamais dans l'histoire de l'UE nous n'avions mis en place autant de sanctions aussi rapidement. Si l'on souhaite entrer sur notre territoire, il convient désormais de souscrire à nos règles sociales, environnementales et phytosanitaires.

Monsieur le sénateur Gattolin, vous avez mentionné l'accord global sur les investissements entre l'UE et la Chine (Comprehensive Agreement on Investment - CAI). La position de l'UE comme celle de la France est très claire : il n'y aura pas de signature de cet accord avec la Chine tant que les sanctions sur les parlementaires européens ne seront pas levées. L'accord est bloqué et les pays sont unanimes sur le sujet.

Nous avons, en Europe, 440 millions de consommateurs, avec un pouvoir d'achat de 25 000 euros par habitant. L'Europe est la plus grande économie du monde et nous n'avons pas à rougir de nos avancées technologiques. Qui dispose de la 5G dans le monde ? L'Europe. Qui fabrique les puces les plus avancées en matière de lithographie ? Une entreprise des Pays-Bas. Il faut que arrêtions de nous sous-estimer et que nous assumions d'être une économie forte, avec des personnes éduquées. À l'avenir, nous aurons encore plus besoin de talents ; d'où le déploiement d'un plan Talents dans le cadre de « l'année des compétences ».

Nous sommes une puissance internationale capable de rivaliser avec les États-Unis et la Chine. Nous pouvons vendre des produits non stratégiques à la Chine, nous sommes en mesure de discuter avec elle de climat, de lui demander de ne pas soutenir la Russie dans la guerre contre l'Ukraine, ou encore de ne pas lui livrer de technologies sensibles.

Les accords commerciaux doivent répondre à trois critères. Premièrement, aucun accord n'est signé sans respect de nos engagements écologiques et environnementaux. Deuxièmement, ces accords doivent être équilibrés en termes de concessions ; je pense, par exemple, à l'accord signé avec la Nouvelle-Zélande. Troisièmement, ces accords doivent être stratégiques pour nous, comme ce fut le cas avec le Chili.

Nous demandons des mesures miroirs, c'est-à-dire transverses, afin que l'on ne soit pas obligé de négocier ces clauses pour chaque accord commercial et qu'elles mesures s'appliquent à tous. La Commission européenne est tout à fait sur cette ligne.

Vous avez évoqué le Buy European Act. Le « Made in Europe » embarque tous les pays de l'UE. Ce que nous voulons, c'est produire en Europe pour créer des entreprises et des emplois en Europe. Et nous le faisons en respectant des règles, contrairement à certains États tiers, car l'ordre et les règles doivent nous permettre d'avancer dans un monde juste et efficace. Il est donc important, comme nous y travaillons avec le plan industriel, de favoriser l'implantation d'usines en Europe.

Sur le Critical Raw Materials Act, encore une fois, nous sommes très pragmatiques. L'objectif est d'assurer l'approvisionnement en matières premières dont nous avons besoin pour la transition énergétique et la transition numérique. Pour cela, il s'agit de stocker, d'exploiter là où on peut le faire et dans de bonnes conditions écologiques, et de diversifier nos sources d'approvisionnement. Nous sommes alliés avec le « G7+ », de manière à être une force capable de peser sur le marché international des matières premières. Cela marque la fin d'une certaine naïveté sur le sujet et un retour au pragmatisme.

Concernant la situation des LGBT en Hongrie, nous travaillons à une coordination franco-allemande sur le sujet. La date limite est effectivement fixée à aujourd'hui.

Vous avez évoqué l'uranium et les sanctions sur le nucléaire. Le 28 février dernier, en marge du Conseil informel des ministres européens de l'énergie, la France a proposé à ses partenaires des approvisionnements alternatifs à la Russie. Nous voulons, à l'image de ce qui est fait aux États-Unis, développer des solutions européennes souveraines de combustibles. La France ne dépend pas de la Russie pour le fonctionnement de son parc électronucléaire. En revanche, nous avons recours, pour une part minoritaire de notre approvisionnement, à des services d'enrichissement d'uranium naturel en Russie.

Maintenant que l'agence Frontex a un nouveau directeur général, elle va pouvoir accroître ses effectifs. La question des contournements est en discussion avec les pays et les entreprises concernés. Je crois savoir que des bateaux ont été stoppés.

M. Didier Marie. - Madame la secrétaire d'État, je partage vos propos sur la force de l'UE. La différence avec les États-Unis et la Chine, c'est que l'UE est composée de 27 pays, avec autant de gouvernements et d'intérêts particuliers qui ont parfois des difficultés à s'entendre, comme on peut le constater lors de chaque réunion du Conseil européen.

Concernant l'Ukraine, il était prévu de mettre sur la table un onzième paquet de sanctions. Cela a été discuté, puis repoussé. Quels sont les éléments bloquants ?

Par ailleurs, nous nous sommes engagés à fournir à l'Ukraine tout l'armement nécessaire pour résister à l'offensive russe et préparer une éventuelle contre-offensive. Aujourd'hui, nous sommes dans l'incapacité de lui fournir les munitions dont elle a besoin dans la durée. Le commissaire Thierry Breton a effectué une tournée européenne pour mesurer ce qu'il était envisageable de faire ; manifestement, tout cela prendra du temps et nous sommes obligés aujourd'hui d'acheter sur étagère ce qui existe pour accompagner l'Ukraine. Se posent donc à fois la question de nos capacités industrielles et militaires et celle de notre capacité financière à dégager les moyens nécessaires.

Sur le sujet du marché de l'électricité, vous nous présentez les choses de façon très positive. Or, j'ai cru comprendre que l'Allemagne s'opposait à la reconnaissance du nucléaire comme énergie neutre. Où en sont les négociations avec notre partenaire sur le sujet ?

Vous avez évoqué la réponse à l'IRA. Concernant l'engagement de « zéro émission nette », je distingue quatre points de vigilance, sur lesquels vous pouvez peut-être donner votre appréciation. Premièrement, comment finance-t-on tout cela ? Cela renvoie à la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. Les ressources propres sont pour le moment limitées. Un deuxième point de vigilance concerne le risque de distorsion entre les pays qui auront les capacités de financer par eux-mêmes les investissements et ceux qui ne les auront pas. Une Europe à deux vitesses est susceptible de s'installer. Que prévoient la Commission et le Conseil pour éviter ce risque de distorsion ? Ma troisième inquiétude porte sur l'absence d'objectifs contraignants. Enfin, dernier point de vigilance : les questions de simplification administrative, qui ne doivent pas s'accompagner d'un recul sur le respect de nos normes, notamment en matière environnementale.

Enfin, nous sommes confrontés aux prémices d'une crise financière. Les faillites de banques aux États-Unis ou en Suisse nous alertent. Le Conseil européen a-t-il avancé sur la nécessité de l'achèvement de l'union des marchés de capitaux (UMC) ? Le sujet de l'union bancaire a-t-il été évoqué ? On en revient aux difficultés de la relation entre la France et l'Allemagne, dans la mesure où les Allemands ne cachent pas une certaine frilosité à l'égard du mécanisme de garantie des dépôts.

M. Jean-Yves Leconte. - En novembre dernier, une décision du Conseil a précisé les choses en matière d'infraction pour les contournements. L'UE décide des sanctions, mais la mise en oeuvre dépend de chaque État. Doit-on se satisfaire des principes actuels concernant le respect des sanctions ? Ne faudrait-il pas affirmer le besoin d'un Office of Foreign Assets Control (OFAC) européen ou, à tout le moins, donner de nouvelles compétences au parquet européen sur ce sujet ? Se pose aujourd'hui la question de la crédibilité de nos sanctions par rapport à celles des États-Unis.

Avec l'aide des pays européens, les Ukrainiens ont trouvé d'autres voies que celles des ports du sud du pays pour que leurs céréales arrivent sur les marchés mondiaux. Mais, compte tenu de leur qualité et de leur prix, ces céréales restent ensuite en Europe. Que peut-on faire pour accompagner la commercialisation de la production ukrainienne, tout en faisant en sorte que cela ne déstabilise pas nos propres marchés ?

Je m'interroge également sur les prémices d'une crise financière. Les taux augmentent et cela peut engendrer de sérieux risques. Nous avons des besoins d'investissements liés au Green Deal et à l'industrie et, si les taux ne sont pas intéressants, les entreprises n'investiront pas. Nos taux sont-ils en décalage par rapport à nos besoins ?

Ma dernière remarque porte sur la question migratoire. J'ai déjà évoqué la question de la Tunisie. On a l'impression que l'UE est tétanisée par la situation. Les propos du président tunisien sur les migrants subsahariens ont engendré des départs rapides, avec beaucoup de morts, en direction de l'Europe. Se pose la question du respect de l'État de droit dans ce pays. De notre côté, aurons-nous une réaction pire que celle de 2011 ? Ou allons-nous enfin adopter une politique digne de ce nom vis-à-vis de la Tunisie ?

Depuis l'ouverture au Conseil de la négociation du pacte sur la migration et l'asile, on observe deux éléments nouveaux : l'expérience que nous avons vécue avec les Ukrainiens accueillis comme réfugiés temporaires et les évolutions sur le marché du travail. Cela mériterait que le Conseil demande à la Commission de revoir ses propositions initiales.

Mme Gisèle Jourda. - Je souhaite revenir sur la Moldavie, sur le contrat d'association et la problématique du partenariat oriental. Sachant la guerre en Ukraine et ses répercussions directes en Moldavie, l'UE a fait preuve de souplesse pour adapter ses réponses concernant les marchés, l'export et le commerce. Je souhaiterais que s'articulent les acquis du partenariat oriental et l'accord d'association entré en vigueur 2016 qui, au-delà de l'aspect commercial, prévoyait de nombreuses contraintes et de nombreux axes d'évolution ; je pense à la question des droits et de la justice, et à la lutte contre la corruption. Des instruments étaient prévus, notamment un conseil de surveillance, pour assurer l'évaluation de cet accord. Y-a-t-il une convergence entre les services de l'UE s'occupant du processus d'élargissement et ceux qui suivent le partenariat oriental ? J'ai l'impression d'une étanchéité...

Mme Laurence Boone. - Monsieur le sénateur Marie, nous sommes 27 pays et nous avons des différences. Mais, quand on discute avec des non-Européens, ils sont frappés par notre unité. Nous faisons bloc autour du règlement général sur la protection des données (RGPD), autour d'une taxe carbone aux frontières et d'une stratégie très claire à l'horizon de 2050 ou autour de la problématique des véhicules électriques avec la fin des véhicules thermiques en 2035. Vu de l'extérieur, nous sommes donc un bloc. Bien sûr, il s'agit toujours à l'intérieur d'échanger et de négocier, avec des cultures, des histoires et des économies différentes.

Nous travaillons actuellement sur le onzième paquet de sanctions. L'idée est de s'attaquer plus particulièrement à ceux qui contournent ces sanctions. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir vous voir quand tout sera finalisé.

Concernant les munitions, cette agression de la Russie envers l'Ukraine a mis en lumière le fait que, comme d'autres pays ayant vécu en paix depuis les années 1990 et la chute du mur de Berlin, nous n'avions pas de capacités suffisantes de défense autonome. Mais je crois que nous sommes en train d'inverser très rapidement cette tendance. En moins d'un an, nous avons impulsé à la fois l'Europe de la défense - chose impensable jusqu'à cette guerre -, la boussole stratégique, des exercices militaires conjoints ou encore les fonds d'investissement portés par le commissaire Thierry Breton. Nous avons cette volonté d'accroître notre capacité de production industrielle.

Nous agissons à l'égard des Ukrainiens de manière pragmatique. Nous essayons de leur fournir ce dont ils ont besoin sans amoindrir nos capacités de défense. Nous avons mis 1 milliard d'euros en commun pour des achats conjoints et nous avons tous décidé d'accélérer la production de munitions et de missiles.

Au-delà de la question du financement s'impose l'idée d'un changement de logique industrielle ; nous étions dans une logique de réponse à la demande, alors qu'il s'agit maintenant de fournir les besoins sur étagère. Forcément, on ne change pas cela du jour au lendemain.

Jamais nous n'avons eu de taux de chômage aussi bas. Pour lancer des projets d'investissement, les ressources humaines sont décisives. Nous pouvons faire beaucoup mieux concernant l'emploi des jeunes et des seniors ; le Gouvernement s'y attache, des propositions vont dans ce sens. Nous devons aussi nous poser la question du personnel qualifié provenant d'autres pays pour nous aider à accélérer sur les industries stratégiques.

Sur la réforme du marché de l'électricité, je ne vais pas nier les divergences avec l'Allemagne. Nous n'avons pas le même mix énergétique, mais nous avons les mêmes objectifs de décarbonation ; nous mettons toujours cela sur la table pour faciliter le dialogue. Chacun part avec ses forces propres en matière de bouquet énergétique, et c'est encore le meilleur moyen d'atteindre nos objectifs de décarbonation. De notre côté, nous devons - et la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, s'y attelle - consolider notre outil nucléaire.

Dans le prolongement du Net Zero Industry Act, la Commission est en train d'estimer le besoin de financement supplémentaire. Pour les pays qui sont capables de déployer le dispositif, les règles d'aides d'État sont assouplies dans un cadre commun et les crédits d'impôt autorisés ; pour ceux qui ne le peuvent pas, il est possible d'utiliser les fonds du plan de relance et de résilience - liés à l'emprunt commun - et les fonds de cohésion, ce qui permet de maintenir des conditions équitables pour tout le monde.

Beaucoup de pays ont éprouvé des difficultés, en partie en raison de la pénurie de main-d'oeuvre, à mettre en place les plans d'investissements discutés dans le cadre du plan de relance et de résilience. Cette réorientation des fonds est donc bienvenue pour eux. Encore une fois, l'UE a su se montrer flexible et pragmatique.

Au sujet de la crise bancaire, Christine Lagarde a pu répondre aux questions des chefs d'État ou de gouvernement lors sommet de la zone euro. Il est important pour nous d'avancer sur l'union des marchés de capitaux et l'union bancaire. Sur ce sujet, les différences sont « morcelées » entre les pays européens. On a parlé d'Europe de la défense pendant des décennies, et on a fini par la faire. Alors, avec ces taux d'intérêt qui montent et les besoins d'investissement qui sont les nôtres, j'ai bon espoir que se réalisent rapidement l'union des marchés de capitaux et l'union bancaire.

Vous avez évoqué la question des céréales ukrainiennes. Comme vous le savez, nous avons d'abord contribué à faire sortir les céréales des territoires où elles étaient bloquées, pour qu'elles puissent atteindre les pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Un soutien financier est prévu pour les agriculteurs des pays voisins de l'Ukraine. Puis, nous aidons les pays de l'autre côté de la Méditerranée à acheter ces céréales quand les prix sont trop élevés. Au début, on a constaté une envolée des prix, avec peut-être de la spéculation. Nous serons vigilants afin que ces céréales puissent parvenir aux personnes qui en ont le plus besoin.

Madame la sénatrice Jourda, il est en effet toujours judicieux de mettre en cohérence les différents processus existants. Je suis allée en Moldavie, avec les ministres femmes de l'Europe, à l'occasion de la journée des femmes en mars dernier. J'ai rencontré la présidente et les ministres. Le point que vous soulevez a été évoqué, et nous l'avons rapporté à la Commission européenne à notre retour. La Moldavie a besoin d'une aide technique sur tous ces acquis et sur l'État de droit. Je sais qu'une délégation du Sénat doit se rendre prochainement en Moldavie ; si vous le souhaitez, nous pourrions échanger sur le sujet avant votre départ.

M. Alain Cadec, président. - Madame la secrétaire d'État, vous avez répondu à toutes les interrogations. À vous entendre, on a l'impression que tout va très bien. Je ne suis pas sûr de cela ; ce n'est pas une critique, c'est un constat. Vous avez indiqué que l'Europe était un bloc ; je doute que Viktor Orban dise la même chose. Cela étant, dans la situation actuelle, nous avons besoin de solidarité européenne et nous souhaitons, quelles que soient nos sensibilités, que la France soit plus présente encore au sein du Conseil européen.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 30.