Mardi 28 novembre 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Transformation et fonction publiques » - Programme « Fonction publique » - Examen du rapport pour avis

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons ce matin le programme « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques » du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Cet avis budgétaire porte prioritairement sur la fonction publique de l'État et précisément sur le programme 148, destiné à compléter les actions des ministères en matière de ressources humaines.

Mon propos sera structuré en trois parties : premièrement, les effectifs et la masse salariale de l'État ; deuxièmement, le programme 148 en tant que tel ; et, troisièmement, la qualité de vie au travail et la santé des agents publics.

Concernant les effectifs, au 31 décembre 2021, la fonction publique compte près de 5,72 millions d'agents, dont 44,1 % dans la fonction publique de l'État (FPE), 34,6 % dans la fonction publique territoriale (FPT) et 21,3 % dans la fonction publique hospitalière (FPH). Par rapport à la fin de l'année 2020, les effectifs ont augmenté de 0,03 %.

Cette légère augmentation s'explique par la hausse du nombre de contractuels, dont la part au sein de l'ensemble des agents publics est passée de 21 % en 2020 à 21,5 % en 2021.

La dynamique s'agissant des effectifs de l'État pour 2024 est comparable à celle qui est poursuivie en 2023, confirmant ainsi l'abandon par le pouvoir exécutif de l'objectif de suppression de postes précédemment affiché.

Pour 2024, est prévue la création de 8 301 emplois en équivalents temps plein (ETP), dont plus de 80 % pour l'État - 6 731 ETP -, notamment dans les ministères régaliens, avec 2 661 ETP pour l'intérieur et l'outre-mer, et 1 918 ETP pour la justice.

Concernant la durée légale de travail, vous le savez, la loi de 2019 de transformation de la fonction publique a abrogé les régimes légaux dérogatoires de travail antérieurs à la loi du 3 janvier 2001 et a imposé aux collectivités territoriales concernées de définir de nouvelles règles de travail. Toutefois, comme le souligne la Cour des comptes dans son bilan d'étape de novembre 2023 sur l'application de cette loi, les régularisations sont en cours.

La Cour note également qu'aucun bilan relatif aux régimes de travail des services de l'État n'a été dressé depuis 2019. De plus, le rapport, prévu par la loi, sur les actions mises en oeuvre au sein de la fonction publique de l'État pour assurer le respect des dispositions sur la durée de travail effectif n'a toujours pas été remis au Parlement, près de trois ans et demi après l'échéance fixée par la loi.

S'agissant de la masse salariale de l'État, dans le projet de loi de finances pour 2024, elle progresse de près de 6 % par rapport au PLF pour 2023, pour atteindre, hors pensions, 106,415 milliards d'euros.

Cette forte augmentation est liée, à titre principal, à la revalorisation du point d'indice de 1,5 %, entrée en vigueur le 1er juillet 2023, succédant à une revalorisation de 3,5 % intervenue au 1er juillet 2022. Son coût est estimé en année pleine à 1,5 milliard d'euros pour le versant étatique.

De plus, au 1er janvier 2024, 5 points d'indice supplémentaires seront attribués à tous les agents publics, pour un coût estimé à 2,15 milliards d'euros en 2024.

Par ailleurs, le solde du glissement vieillesse technicité (GVT) correspondra en 2024 à une augmentation de 505 millions d'euros, tandis que le coût des créations de postes s'élèvera à 447 millions d'euros.

À cela, s'ajoutent plusieurs mesures catégorielles annoncées lors de la conférence salariale de juin 2023, dont la prime de pouvoir d'achat exceptionnelle pour les agents de la FPE et la FPH dont la rémunération perçue entre le 1er juillet 2022 et le 30 juin 2023 est inférieure à 39 000 euros bruts. Le versement de cette prime n'est pas obligatoire dans la FPT, en vertu du principe de la libre administration territoriale.

Figurent également, parmi les mesures annoncées en juin 2023, la reconduction pour 2023 de la garantie individuelle du pouvoir d'achat (Gipa) ; la revalorisation des frais de mission ; le relèvement de 50 % à 75 % de la prise en charge des transports collectifs des agents de l'État ; et la revalorisation de 10 % du barème de monétisation des jours de compte épargne-temps (CET).

Le coût prévisionnel de l'ensemble des mesures catégorielles pour 2024 s'élève à 3,705 milliards d'euros pour le versant étatique, soit une augmentation de 119 % par rapport au PLF pour 2023.

Permettez-moi de faire un premier focus sur le chantier dit « APR », relatif à l'accès, aux parcours et aux rémunérations, qui a été ouvert par le ministre de la transformation et de la fonction publiques en février 2023.

Il s'est d'abord traduit par une première phase de concertation avec les employeurs publics représentant les trois versants ; »les premiers travaux devraient aboutir dans le courant de l'année 2024.

Ce chantier vise à fluidifier l'accès à la fonction publique, à dynamiser les parcours professionnels et à rendre plus agile le système de rémunération. Concernant ce dernier item, il me semble indispensable de refondre les grilles indiciaires, eu égard notamment au phénomène de « tassement des grilles » induit par les revalorisations successives du Smic et de l'indice minimum de traitement, dans un contexte d'inflation élevée. Cette refonte doit concerner les grilles des trois catégories afin que l'ensemble des rémunérations soit cohérent avec la progression de carrière des agents et les exigences propres à chaque catégorie.

Par ailleurs, concernant les accords du Ségur de la santé et du social, s'il est vrai que la situation salariale d'une grande partie des personnels non médicaux a été améliorée, il n'en demeure pas moins qu'environ 3 000 agents restent exclus du bénéfice du complément de traitement indiciaire (CTI), notamment les agents publics titulaires et contractuels des filières administrative, technique et ouvrière, ainsi que les agents des services hospitaliers qualifiés de la filière soignante des établissements publics sociaux et médico-sociaux autonomes. Le Conseil d'État devrait se prononcer demain sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée à ce sujet par la Fédération hospitalière de France (FHF).

J'évoquerai maintenant le programme 148.

Il finance les actions interministérielles en matière de formation des fonctionnaires, d'action sociale et de gestion des ressources humaines. Piloté par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), il est mobilisé en complément des initiatives de chaque ministère. Aucun emploi n'y est inscrit.

Le montant des autorisations d'engagement (AE) prévues par le PLF pour 2024 est en diminution de près de 7 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2023, passant de 295,5 millions d'euros à 275,8 millions d'euros.

L'action « Formation des fonctionnaires » représente 32,2 % des créditsdu programme en AE, contre 41,3 % en LFI de 2023, car les crédits afférents à l'Institut national du service public (INSP) ont été transférés sur le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » pour 40,1 millions d'euros en AE.

En conséquence, l'action « Action sociale interministérielle » représente 57,5 % des crédits du programme en AE, contre 48,7 % en LFI de 2023.

À périmètre constant, en tenant compte de l'ensemble des transferts de crédits sortants et de crédits entrants, le montant du programme 148 connaît une augmentation de près de 6,8 % en AE.

L'action « Formation des fonctionnaires » concerne l'organisation des sessions de concours d'accès aux cinq instituts régionaux d'administration (IRA), des prépas Talents du service public et des bourses Talents, ainsi que des plans de formation interministérielle. Le montant des crédits alloués aux dépenses d'intervention connaît une augmentation de 41 %, passant de 22,8 millions à 38,7 millions d'euros en AE.

Les subventions allouées aux prépas Talents et aux bourses Talents sont stables. Ce dispositif vise à renforcer l'égalité des chances pour l'accès à la fonction publique. Les prépas Talents, autrefois classes préparatoires intégrées, reçoivent une subvention de 6 500 euros par élève effectivement accueilli, pour un total de 12,2 millions d'euros en AE. Chaque étudiant reçoit une bourse d'un montant de 4 000 euros. Le montant des subventions correspondantes versées par la DGAFP s'élève à 8,3 millions d'euros en AE.

Mon second focus porte sur l'apprentissage dans la fonction publique territoriale.

Pour la première fois, l'action « Formation des fonctionnaires » porte les crédits relatifs au financement de l'apprentissage dans la fonction publique territoriale, pour un montant de 15 millions d'euros versés au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

L'inscription de ces crédits au PLF pour 2024 ne doit pas faire oublier la modification fondamentale, apportée par un amendement du Gouvernement au PLF pour 2023, aux règles de financement de l'apprentissage dans la fonction publique territoriale. En séance, nous avions supprimé cet amendement, mais il a été rétabli par l'Assemblée nationale, actant ainsi le désengagement financier de l'État.

D'une part, la contribution versée par l'État au CNFPT a désormais un simple caractère facultatif, de même que la contribution annuelle versée par France compétences. D'autre part, la convention d'objectifs et de moyens conclue à cette fin entre l'État et le CNFPT n'a plus nécessairement un caractère annuel.

La convention d'objectifs et de moyens pour les années 2023 à 2025, signée à la mi-novembre, maintient, pour ces trois années, l'engagement de l'État à hauteur de 15 millions d'euros par an, sous réserve de l'inscription annuelle des crédits en loi de finances.

En revanche, dans une circulaire du 10 mars 2023, la Première ministre a annoncé la dégressivité de la contribution versée par France compétences, qui serait plafonnée à 10 millions d'euros en 2024 et à 5 millions en 2025, contre 15 millions en 2023.

Dans les faits, depuis le 1er janvier 2023, la seule contribution assurée dont bénéficie le CNFPT consiste donc en la cotisation complémentaire plafonnée à 0,1 % et assise sur la masse salariale des collectivités territoriales. Le montant de cette cotisation s'élève à 45 millions d'euros, permettant le financement de 4 500 contrats environ ; or plus de 12 600 contrats ont été conclus en 2022.

La volte-face du Gouvernement à l'automne 2022 demeure incompréhensible. Je rappelle que le Gouvernement soutient l'apprentissage dans le secteur privé par le versement d'une aide aux employeurs privés de 6 000 euros par apprenti et d'une subvention annuelle d'équilibre à France compétences comprise entre 1 et 2 milliards d'euros.

Ainsi, les nouvelles règles de financement font peser un risque majeur sur le développement de l'apprentissage public local, alors que 18 000 intentions de recrutement ont été recensées en 2023.

À l'heure où l'apprentissage constitue une composante à part entière de la politique des ressources humaines des collectivités territoriales, ainsi qu'une voie majeure d'insertion professionnelle des jeunes, cette situation est plus que regrettable.

C'est pourquoi je présenterai en séance, en mon nom propre, un amendement sur les crédits non rattachés afin de rétablir des conditions financières satisfaisantes pour le développement de l'apprentissage dans la fonction publique territoriale.

Le deuxième volet du programme 148 concerne l'action sociale interministérielle.

À ce titre, ce programme finance quatre prestations individuelles, directement gérées par la DGAFP au niveau central, et cinq dispositifs collectifs, qui font l'objet de délégations de crédits vers le niveau déconcentré.

Dans le PLF pour 2024, le montant des prestations individuelles s'élève à 93,8 millions d'euros en AE, soit une diminution de 6 % par rapport au PLF pour 2023.

Cette baisse s'explique principalement par le recentrage de la prestation des chèques-vacances pour les agents actifs de l'État à compter du 1er octobre 2023, qui entraînera une économie estimée à 5,8 millions d'euros en 2024.

L'autre aide aux familles correspond au chèque emploi service universel (Cesu) pour la garde d'enfants de moins de six ans ; le montant de cette dotation est stable, avec des AE à hauteur de 40,1 millions d'euros.

Enfin, deux prestations individuelles relèvent de l'aide au logement : l'aide à l'installation des personnels de l'État et le logement temporaire ; leurs montants sont également stables.

La dotation pour les prestations d'action sociale collective s'élève, quant à elle, à 29,6 millions d'euros en AE, soit une hausse de 15 % par rapport au PLF pour 2023.

Les réservations de berceaux en crèche bénéficient ainsi d'une augmentation des crédits de 4,6 millions d'euros, pour 4 930 places offertes, soit un nombre stable.

Les réservations de logements sociaux bénéficient de près de 1 million d'euros complémentaires pour favoriser l'accès au logement des agents publics en Île-de-France.

L'action sociale interministérielle est adossée, dans le programme de performances annexé au PLF pour 2024, à un objectif, « optimiser la réponse aux besoins des agents en matière d'action sociale », et à un indicateur, le « taux de satisfaction des bénéficiaires de certaines prestations d'action sociale ».

Comme en 2023, j'émets des réserves quant à la pertinence de cet indicateur, qui ne permet notamment pas de connaître les coûts de gestion des prestations d'action sociale, dont la maîtrise demeure un enjeu important. En outre, cet indicateur est partiel, en ne portant que sur le Cesu pour la garde d'enfants de moins de six ans ; il est également peu révélateur en ce qu'il atteint, depuis son introduction en 2022, un niveau très élevé, si bien que les marges de progression pour les années à venir sont faibles.

Comme l'an passé, je vous proposerai un amendement visant à réintroduire les deux indicateurs de performance relatifs à l'action sociale tels qu'ils figuraient dans le PLF pour 2021.

J'en viens au troisième volet du programme 148, à savoir l'appui en matière de ressources humaines.

En plus des crédits relatifs au centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines (CISIRH), l'action « Appui et innovation des ressources humaines » comprend les crédits relatifs à un certain nombre de fonds à vocation interministérielle, voire inter-versants.

Les années 2023 et 2024 sont marquées par la suppression de deux de ces fonds. Le fonds d'accompagnement interministériel des ressources humaines (FAIRH), créé pour promouvoir les outils introduits par la loi de transformation de la fonction publique, a été supprimé par la loi de finances pour 2023, tandis que le fonds d'innovation des ressources humaines (FIRH), créé en 2016, est, à son tour, supprimé dans le PLF pour 2024. Aussi, la création de fonds gagnerait probablement à être moins systématique, pour éviter de devoir les supprimer dès lors que l'on constate leur faible valeur ajoutée.

Enfin, je vous rappelle que, depuis le 14 avril 2023, le site Place de l'emploi public a été remplacé par le site Choisir le service public (CSP), afin de valoriser la marque employeur des services publics. Toutefois, ce simple changement de nom ne suffira probablement pas à faire émerger un espace numérique unique qui favorise les mobilités entre les versants. Là encore, je ne suis pas certaine que le nouvel indicateur « Recrutement dans la fonction publique » et le sous-indicateur « Nombre moyen de candidats ayant consulté une fiche de poste publiée sur CSP » soient entièrement pertinents. D'une part, la consultation d'une fiche n'est pas, en tant que telle, signe de l'attractivité d'un poste ; et, d'autre part, la cible, fixée à vingt candidats pour les trois prochaines années, semble assez peu ambitieuse. Aussi, je vous proposerai un amendement visant à remplacer cet indicateur par un indicateur relatif au taux de candidatures reçues pour une fiche de poste publiée par rapport au nombre de consultations de cette même fiche de poste.

Avant d'aborder la troisième partie de mon intervention, je tiens à déplorer les conséquences de la suppression, dans la loi de finances de 2023, du rapport sur l'état de la fonction publique et les rémunérations, qui était annexé au PLF. L'année dernière, le Gouvernement avait argué qu'il faisait doublon avec le rapport annuel de la DGAFP. Or la date de parution de ce dernier est très aléatoire : j'en veux pour preuve qu'il n'est toujours pas publié à ce jour, alors même que nous devons donner notre avis sur les crédits du programme 148 !

Enfin, j'évoquerai la qualité de vie au travail et la santé des agents publics.

Depuis plusieurs années, la question de l'attractivité de la fonction publique fait débat, de nombreux employeurs publics rencontrent des difficultés de recrutement.

Au-delà des inévitables considérations salariales, le renforcement de l'attractivité de la fonction publique passera également par l'amélioration des conditions de travail offertes aux agents, celles-ci devenant de plus en plus déterminantes dans les choix de carrière effectués par les candidats et les agents en poste.

Initié par le ministre de la transformation et de la fonction publiques, le programme « Fonction publique + » vise ainsi à améliorer la qualité de vie et les conditions de travail des agents publics. L'été dernier, tous les agents publics ont été invités à répondre à une consultation en ligne sur les modes et les conditions de travail. Seuls 110 253 agents y ont participé.

Ce programme repose sur les six axes suivants : l'évolution des pratiques managériales ; l'amélioration du cadre de travail et de la santé au travail ; l'adaptation des espaces de travail aux nouveaux usages collaboratifs et numériques et au télétravail ; la simplification du quotidien des agents en matière de ressources humaines ; la poursuite de l'engagement pour l'égalité professionnelle ; et l'amélioration de l'offre de logement à destination des agents publics.

En outre, la protection sociale complémentaire est un outil managérial important. L'ordonnance du 17 février 2021 a rendu obligatoire la participation des employeurs publics en santé à hauteur d'au moins 50 %, a fixé des conditions socles des contrats éligibles en santé et a prévu la participation facultative en matière de prévoyance dans la fonction publique d'État, ainsi que la participation obligatoire en matière de prévoyance dans la fonction publique territoriale à hauteur de 20 % d'un montant de référence.

Le calendrier et l'avancement des négociations diffèrent sensiblement d'un versant à l'autre.

Pour la FPE et la FPT, les nouvelles règles en matière de santé et de prévoyance entrent en vigueur progressivement. En revanche, dans la FPH, la seule certitude à ce jour concerne la date d'entrée en vigueur de la protection sociale complémentaire (PSC), au 1er janvier 2026 ; les négociations sur ses modalités et son champ doivent encore avoir lieu. Notons que les fonctionnaires hospitaliers bénéficient déjà de la gratuité des soins et des médicaments dans l'établissement où ils sont en activité. Le cas échéant, cette disposition pourrait être élargie à l'ensemble des établissements du territoire national ainsi qu'à leurs ayants droit .

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique », sous réserve des deux amendements que je vous présenterai dans un instant.

Mme Françoise Gatel. - Je remercie Catherine Di Folco pour sa rigueur et sa précision. Je veux parler de la fonction publique territoriale et de l'apprentissage.

Les collectivités locales participent largement à l'effort national d'intégration professionnelle et de formation des jeunes. Or elles sont confrontées à un déficit d'attractivité. Il importe qu'elles créent un vivier d'apprentis. Une collectivité qui forme un apprenti en fera bénéficier une autre ultérieurement. À cet égard, je ne comprends pas qu'il y ait deux catégories d'apprentis et d'employeurs, selon qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé. N'oublions pas que les collectivités doivent également participer au financement de la formation et qu'elles ont supporté des charges supplémentaires à hauteur de 2,5 milliards d'euros entre 2017 et 2021 pour faire face à la complexité des normes et à la revalorisation du point d'indice.

L'apprentissage est un enjeu majeur pour la société. Face au déficit de citoyenneté et de civisme observé chez les jeunes, l'apprentissage leur permettra d'avoir un regard différent sur la sphère publique. Aussi, je soutiendrai avec enthousiasme et conviction les amendements proposés par le rapporteur.

M. Hussein Bourgi. - Je remercie le rapporteur, car c'est toujours avec minutie et perspicacité qu'elle nous présente son avis budgétaire. Je partage l'ensemble de ses propos et j'ajouterai trois observations.

Concernant l'attractivité de la fonction publique territoriale, nous espérons que le projet de loi annoncé par le ministre Stanislas Guerini n'est pas l'Arlésienne. Un nombre de plus en plus important de contractuels sont recrutés dans les collectivités, car les métiers de la FPT n'attirent plus. Or cette situation pose des difficultés en matière de productivité et de compétences.

J'évoquerai aussi la question de l'apprentissage. En tant que délégué du CNFPT au titre de la région Occitanie, je reçois quotidiennement des courriers des élus locaux exprimant leur mécontentement. Alors que les collectivités étaient proactives et assuraient un accompagnement humain des apprentis, elles doivent aujourd'hui limiter leur action à un apprenti par collectivité à cause du désengagement de l'État, ce que nombre de communes ne comprennent pas. Elles se retrouvent donc privées de cette main-d'oeuvre.

Enfin, le ministre de l'intérieur a annoncé la création d'une école de police municipale. Or je rappelle que le Président de la République avait annoncé la création d'une académie de police, dont nous attendons toujours de connaître les contours. D'ailleurs, en quoi cette école sera-t-elle différente des délégations régionales du CNFPT ? Cet opérateur fait bien son travail et investit des montants considérables. La création de cette énième école m'interpelle..

Nous suivrons l'avis du rapporteur.

M. Philippe Bas. - Je salue le travail du rapporteur, qui maîtrise bien ces questions complexes relatives aux trois fonctions publiques.

Je veux revenir sur l'évolution des effectifs de la fonction publique, qui ne diminuent pas depuis très longtemps. Cette question était au coeur du débat politique il y a quelques années. Vous avez indiqué que les effectifs allaient augmenter l'an prochain - il est important de renforcer nos ressources humaines dans les secteurs de la justice, de la police et de la gendarmerie -, mais on ne saurait s'en contenter sans en diminuer par ailleurs. Cette augmentation ne peut pas continuer indéfiniment à ce rythme, même s'il est moins important.

Aussi, je suggère que nous fassions part au Gouvernement de notre mécontentement de voir qu'aucune réforme de l'État n'est mise en oeuvre pour maîtriser la dépense de la fonction publique, qui est le principal poste de dépenses de l'État - outre les intérêts de la dette.

M. Olivier Bitz. - Merci au rapporteur pour le travail réalisé. Je partage ses inquiétudes sur la question de l'apprentissage dans les collectivités locales. Nous sommes manifestement dans un bras de fer entre l'État et le CNFPT. Il faut que nous nous penchions de près sur cette question, car les textes prévoient expressément que le CNPFT assume des responsabilités en la matière, et bénéficie en conséquence de recettes pérennes. La question est donc de savoir s'il rencontre des difficultés pour assumer ses compétences, car ce sont les jeunes qui en font les frais. Nous sommes les garants de l'équilibre des comptes de l'État, et devons savoir qui va assumer ces missions, alors même que les crédits qui lui sont octroyés sont identiques à ceux qui étaient prévus pour 2023 et en 2022.

M. Alain Marc. - Balayons aussi devant notre porte ! Chaque fois que la loi nous a obligés à modifier l'architecture de nos institutions, cela s'est traduit par l'augmentation du nombre de fonctionnaires. Aux termes de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la compétence « eau » et « assainissement » va revenir aux intercommunalités, avec pour conséquence l'augmentation du nombre de fonctionnaires dans les intercommunalités.

J'aimerais que l'on crée une mission d'information sur l'augmentation du nombre de fonctionnaires territoriaux. Parallèlement au transfert de compétences, constate-t-on une baisse du nombre de fonctionnaires dans la fonction publique d'État ? Outre le fait que la loi NOTRe a fait beaucoup de dégâts, il serait très intéressant de connaître l'évolution des effectifs en fonction des lois qui ont été adoptées.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Monsieur Bourgi, le projet de loi que nous attendons devrait être présenté au début de l'année prochaine ; ses trois axes seraient le recours au contrat, la rémunération et la protection fonctionnelle.

Concernant l'apprentissage, le CNPFT comble jusqu'à présent le déficit, grâce à la cotisation complémentaire des collectivités territoriales à hauteur de 0,1 % de la masse salariale, alors que sa principale mission concerne la formation des agents. Le montant de cette cotisation permet le financement de quelque 4 500 contrats par an ; or plus de 12 000 contrats ont été conclus en 2022 et 18 000 intentions de recrutement ont été recensées pour 2023. Veut-on augmenter la cotisation complémentaire ? Je ne suis pas sûre que les collectivités y soient favorables étant donné leurs charges accrues dans bien d'autres domaines.

Le CNPFT puise pour l'instant dans ses réserves, avec une contribution de 30 millions d'euros pour 2023, dont la moitié pour financer des contrats conclus en 2021 et 2022.

J'ai parlé de désengagement de l'État, car la convention d'objectifs et de moyens revêt maintenant un simple caractère facultatif, ce qui est de nature à créer une incertitude permanente. Pour les années 2023 à 2025, l'État s'est engagé à hauteur de 15 millions d'euros, mais la contribution de France compétences va diminuer, jusqu'à extinction.

Article 38 (État G)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Les amendements LOIS.1 et LOIS.2 visent à remplacer l'indicateur de performance relatif à l'action sociale interministérielle, d'une part, et l'indicateur de performance relatif au recrutement dans la fonction publique, d'autre part, par des indicateurs plus précis et opérationnels. Les amendements LOIS.1 et LOIS.2 sont adoptés.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

La réunion, suspendue à 10 h 10, est reprise à 17 h 30.

Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. François-Noël Buffet, président. - Nous sommes rassemblés ce soir pour évoquer, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, le budget de la justice dans toutes ses dimensions.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis très heureux de vous retrouver pour aborder ce sujet pour la quatrième année consécutive.

Le projet de budget du ministère de la justice pour 2024 s'inscrit dans un contexte tout à fait particulier puisque le Sénat a adopté définitivement la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ce dont je veux ici vous remercier. Cette loi pérennise les hausses de moyens destinées à renforcer notre justice en la rendant plus proche, plus protectrice et plus rapide pour chacun de nos concitoyens - l'objectif est ambitieux !

L'enjeu est avant tout aujourd'hui pour moi de vous démontrer comment, concrètement, le Gouvernement tient les engagements qu'il a pris devant vous et devant les Français.

Le projet de budget pour 2024 du ministère de la justice respecte à la lettre la trajectoire budgétaire que nous donne la loi de programmation, conformément à l'engagement du Président de la République et à la volonté de la Première ministre, grâce au soutien du ministre délégué chargé des comptes publics.

Ce nouveau budget vise à améliorer la qualité de la justice qui doit être rendue aux justiciables. Il vient s'ajouter à des années d'augmentation, qui ont permis au budget du ministère de passer de 6,9 milliards en 2017 à 9,6 milliards d'euros en 2023. La hausse se poursuivra en 2024.

On peut dire que c'est historique. Le projet de budget de la justice que je vous soumets dépasse la barre symbolique des 10 milliards, pour atteindre 10,1 milliards d'euros. Entre 2023 et 2024, la hausse représente près d'un demi-milliard d'euros supplémentaires - 503 millions très précisément -, soit près de 5,3 % d'augmentation.

Rien que pour les rémunérations versées aux agents du ministère, hors cotisations retraite, l'enveloppe passera de 4,7 milliards d'euros en 2023 à 5,1 milliards en 2024, soit une hausse proche de 8 %, parmi les plus importantes que le ministère a connues. C'est la traduction directe et concrète de la politique de ressources humaines que nous menons, celle de recrutements massifs conjugués à une forte revalorisation des rémunérations.

Le défi du ministère dans les quatre années à venir ne consistera pas à savoir si nous allons recruter, mais plutôt de savoir comment nous réussirons à pourvoir la totalité des nouveaux emplois que nous créerons. D'où l'importance, à côté des recrutements que j'ai annoncés, de renforcer l'attractivité des métiers de la justice.

Au terme de la loi de programmation, en 2027, le budget du ministère frôlera les 11 milliards d'euros, soit une hausse de près de 60 %.

Dans le détail, ces moyens importants alimenteront chacune des grandes composantes du ministère, pour lesquelles les hausses annuelles de crédits, hors cotisations retraite, évolueront de la manière suivante.

Une augmentation de 12 % concerne les services judiciaires, qui atteindront ainsi 3,8 milliards d'euros en 2024, contre 3,4 milliards en 2023. Depuis mon arrivée en 2020, le budget des services judiciaires aura connu une hausse d'environ 30 %.

Le budget de l'administration pénitentiaire se stabilise en 2024 par rapport à 2023, avec 3,9 milliards d'euros. La progression du budget de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) reprendra en 2025, à la faveur d'une dernière vague de mises en chantier d'établissements pénitentiaires, conformément au programme immobilier pénitentiaire. Ce dernier prévoit 15 000 places de prison supplémentaires - 18 000 places, me demande-t-on parfois de dire, mais j'attends qu'on me soumette des propositions en ce sens.

Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) progresse de 3 %. Il atteindra 950 millions d'euros en 2024, contre 922 millions en 2023.

Enfin, le secrétariat général du ministère voit son budget augmenter de 9 %, passant ainsi de 642 millions d'euros en 2023 à 702 millions en 2024.

L'année 2024 représente donc une étape majeure dans le rattrapage de ces années d'abandon budgétaire, politique et humain, auxquelles le Président de la République a décidé de mettre un coup d'arrêt. On ne répare pas un abandon de trente ans en un claquement de doigts, mais nous sommes, me semble-t-il, en bonne voie ; 2021, 2022, 2023, 2024, l'année change, mais le cap reste le même : restaurer la place de la justice à la hauteur de la mission fondamentale qui est la sienne, de l'engagement de ceux qui la servent et, surtout, des attentes des Français au nom de qui elle est rendue.

Je veux solennellement remercier votre commission et le Sénat dans son ensemble, qui, par son vote, a accompagné chacune de ces hausses massives de moyens.

Il est désormais essentiel que, de manière très concrète, celles-ci améliorent directement le fonctionnement de la justice, comme nous commençons à le percevoir par l'effet des moyens déployés lors des précédentes lois de finances. Je prendrai un seul exemple : les délais de justice.

Lors de la présentation du plan d'action pour la justice, j'ai fixé un objectif clair, celui de réduire de manière draconienne tous les délais de justice. Cela passe d'abord par la réduction des stocks d'affaires. Je souligne que, grâce aux moyens supplémentaires et à l'engagement de nos magistrats, de nos greffiers et de nos contractuels, nous avons obtenu entre janvier 2021 et la fin de 2022 une baisse des stocks allant jusqu'à 30 %, selon les matières et les juridictions. Le 1er novembre dernier, nous avons mis en place une politique de l'amiable qui vise également à réduire les délais en matière civile.

Mais je veux être clair : il faut aller plus loin et il faut que chacun prenne sa part dans cet effort collectif. Les Français ne comprendraient pas que l'État consacre autant d'argent à notre justice - et vous savez combien je me suis battu pour obtenir ces budgets - sans que de tels moyens améliorent effectivement le service public de la justice qui leur est rendu. Les efforts des contribuables nous obligent à des résultats.

Les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur moi pour obtenir des budgets à la hausse, sur le Parlement pour les voter ; je sais qu'on peut compter sur leur engagement pour que ces moyens tant attendus, et mérités, produisent rapidement des effets concrets au service des justiciables. C'est un impératif et il y va de la crédibilité de notre justice.

En ce qui concerne les emplois, la priorité du budget 2024 est d'accélérer le rythme de recrutement, pour tenir le cap fixé par la loi de programmation qui prévoit la création de 10 000 emplois durant ce quinquennat. Nous dépasserons ainsi en 2027 la barre des 100 000 agents au sein du ministère. Afin de conserver une certaine flexibilité, ces 10 000 emplois seront répartis année après année, en fonction des besoins des métiers, de l'avancement des projets et des capacités de recrutement et de formation des écoles.

Comme le prévoit la loi d'orientation et de programmation, nous créerons 1 500 postes de magistrats et, grâce au Sénat, 1 800 postes de greffiers pendant le quinquennat. Par ailleurs, entre 2023 et 2025, 1 100 attachés de justice seront recrutés, afin de constituer une véritable équipe autour du magistrat, ce qui lui permettra de se concentrer sur son coeur de métier : dire le droit, trancher les litiges, rendre la justice.

Je voudrais insister sur un point qui n'a pas toujours été bien compris - parfois de bonne foi, parfois de mauvaise foi - notamment au cours des débats parlementaires : ces créations d'emplois sont des créations nettes. Il est bon de le répéter. Autrement dit, elles viennent en plus du remplacement de tous les départs en retraite. Les 1 500 postes supplémentaires de magistrats, par exemple, représentent en réalité un recrutement de près de 2 800 magistrats, pour compenser les départs en retraite. Les chiffres que je vous présente ne sont pas des trompe-l'oeil ; ils induisent une augmentation concrète, précise, vérifiable, des effectifs dans les juridictions par rapport à aujourd'hui.

J'ai eu l'occasion d'annoncer, le 31 août dernier à Colmar, la répartition géographique par cour d'appel des renforts judiciaires. Je citerai quelques exemples : 91 magistrats supplémentaires dans le ressort de la cour d'appel de Douai, au moins 127 greffiers supplémentaires dans le ressort de la cour d'appel de Versailles, 72 attachés de justice d'ici à 2025 dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Cette première répartition géographique traduit deux principes cardinaux.

D'une part, la répartition nationale entre cours d'appel tient compte de plusieurs critères objectifs : le niveau des stocks, l'évolution du nombre des affaires au cours des dix dernières années, la délinquance, des données socioéconomiques et des prévisions de croissance démographique.

D'autre part, la répartition relative à ce qu'on appelle « le dernier kilomètre » repose sur les acteurs de terrain. J'ai souhaité que le détail de la répartition des emplois revienne aux chefs de cour d'appel, afin de répartir les efforts au plus près des besoins des juridictions de leur ressort, qui sont mieux connus d'eux que du garde des sceaux. C'était une demande forte des chefs de cour que d'entreprendre un dialogue de gestion rénové avec les différents tribunaux judiciaires placés sous leur direction.

Nous connaîtrons très prochainement cette répartition. J'ai pour ma part annoncé les chiffres cour d'appel par cour d'appel. À charge ensuite pour les chefs de cour, au terme d'un dialogue avec les chefs de juridiction, de leur attribuer tel ou tel nombre de postes de magistrats, greffiers ou contractuels.

Outre les remplacements de départs en retraite, le ministère obtient pour 2024 une autorisation de recrutement maximale de 2 110 équivalents temps plein (ETP). Par comparaison avec les créations nettes d'emplois accordées globalement par l'État, le ministère de la justice représentera près du tiers de l'ensemble des agents publics recrutés en 2024.

Pour rappel, en 2022, 720 emplois avaient été créés par le ministère de la justice. Nous avons triplé ce nombre en 2023. Les créations se maintiendront à ce niveau exceptionnel en 2024.

Sur le total de 2 110 ETP, 1 307 concerneront la justice judiciaire, avec 327 magistrats, 340 greffiers, 400 attachés de justice, et 33 postes, dont 22 de magistrats, spécifiquement alloués au renforcement des capacités de formation de l'École nationale de la magistrature (ENM). La promotion actuelle de l'ENM, ainsi que la prochaine, sont historiques. Il a fallu trouver de nouveaux locaux à l'école, tant ses effectifs d'élèves sont importants.

L'administration pénitentiaire comptera jusqu'à 599 ETP supplémentaires, dont 512 surveillants. Ce nombre inclut une possibilité de rattrapage de 149 ETP, à la suite d'une sous-exécution de crédits antérieurs. L'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) bénéficiera du renfort de trois emplois.

La PJJ gagne 92 ETP. Les 112 ETP restants bénéficieront à la coordination de la politique publique de la justice et, plus particulièrement, au secrétariat général.

J'en viens aux rémunérations.

Elles concourent évidemment à l'attractivité des métiers de la justice, nécessaire afin d'assurer un niveau inédit de recrutement.

À mon arrivée en 2020, l'enveloppe catégorielle servant à revaloriser les professionnels du ministère s'élevait à 17 millions d'euros. Elle est passée à 50 millions d'euros par an en 2021 et 2022, puis à 110 millions en 2023, dont 80 millions de mesures nouvelles. J'ai le plaisir d'annoncer que cette enveloppe catégorielle augmentera de même significativement en 2024, pour atteindre un montant de plus de 170 millions d'euros, dont 64 millions de mesures nouvelles. Cela représente une multiplication par dix depuis ma prise de fonctions. Une telle progression nous engage.

Par ailleurs, les crédits interministériels financeront les mesures catégorielles issues de la conférence salariale du mois de juin 2023, à hauteur de 33 millions d'euros pour le ministère de la justice. Ces mesures permettront l'injection de 5 points d'indice supplémentaires pour l'ensemble des agents du ministère dès le 1er janvier 2024, afin de prendre en compte l'inflation.

Au titre des grandes mesures financées par l'enveloppe catégorielle de 170 millions d'euros, et comme annoncé en 2022, une revalorisation sans précédent du traitement des magistrats a été mise en place depuis octobre 2023. Elle s'élève en moyenne à 1 000 euros brut par mois par magistrat. La mesure représente un effort budgétaire de 88,5 millions d'euros en 2024. Elle est nécessaire au maintien de l'attractivité du métier, de même que pour aligner la rémunération de nos magistrats de l'ordre judiciaire avec celle de leurs collègues de l'ordre administratif. Les premiers n'avaient pas obtenu de revalorisation indiciaire depuis 1996 et, à l'exception de modestes revalorisations spécifiques, leur régime indemnitaire n'avait pas connu de modification depuis des temps très anciens. La mesure témoigne également de notre reconnaissance à leur égard.

J'ai annoncé en février dernier qu'à compter du 1er janvier 2024, les surveillants pénitentiaires passeront en catégorie B, tandis que les officiers passeront en catégorie A, avec des revalorisations indemnitaires et indiciaires correspondantes. Les contours de cette réforme seront bientôt tracés. Je peux déjà dire que 47 millions d'euros seront sanctuarisés pour la financer. Elle-même inédite, elle est destinée à rendre hommage au personnel de l'administration pénitentiaire, ainsi qu'à recruter. Il s'agit de reconnaître l'importance des métiers pénitentiaires, de prendre en compte la difficulté et, parfois, la dangerosité des missions qui y sont attachées.

Je porte la même attention aux autres fonctionnaires du ministère, qui ne seront pas oubliés.

Une revalorisation indiciaire et indemnitaire concernera en particulier les personnels de greffe, à hauteur de 15 millions d'euros. Ce sera la première étape d'une réforme approfondie de ce corps.

Le secrétariat général du ministère continue de porter des mesures transversales, pour un montant de 15,5 millions d'euros. Des mesures en faveur des corps spécifiques de la PJJ représenteront un montant de 3 millions d'euros. La revalorisation du corps de direction de la DAP et des agents du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) s'élèvera à 1 million d'euros.

Outre l'enveloppe de 170 millions d'euros, une mesure complémentaire de revalorisation des magistrats et une mesure catégorielle en faveur des greffiers seront octroyées, avec un budget pouvant atteindre 22,5 millions d'euros en 2024.

Pour les personnels de greffe, ces mesures s'accompagnent d'une réforme statutaire d'envergure. Conformément à l'accord majoritaire signé le mois dernier avec trois des quatre organisations syndicales représentatives, elle s'articulera autour de trois axes.

La restructuration du corps des greffiers de catégorie B permettra d'abord une accélération de leur carrière et un accès plus ouvert à l'échelon sommital de greffier principal. La création d'un corps de greffiers de catégorie A de 3 200 agents favorisera ensuite la reconnaissance de l'expertise des greffiers, notamment des greffiers principaux et fonctionnels, dans leurs missions juridictionnelles. Enfin, un plan pluriannuel de requalification des agents de catégorie C, ceux qu'on appelle les « faisant fonction », reconnaîtra les compétences de métiers absolument indispensables à la justice de notre pays. Nous procédons par ailleurs sans attendre à la mise en oeuvre immédiate de la nouvelle grille indiciaire, annoncée en septembre dernier.

Un greffier en milieu de carrière, affecté à des missions classiques, percevait au 31 décembre 2021 2 312 euros brut mensuels, au titre de son traitement de base et de ses primes. Il perçoit aujourd'hui 2 606 euros brut, ce qui représente une augmentation de 294 euros brut par mois, soit une progression mensuelle de sa rémunération de l'ordre de 13 %.

Mon cap est clair en matière de revalorisation : c'est celui de l'attractivité de tous les métiers de la justice, de la fidélisation des femmes et des hommes qui oeuvrent au service de nos concitoyens. Il s'y attache un enjeu de reconnaissance de leur engagement.

Quant à la programmation immobilière pénitentiaire, les crédits de 2024 permettront de poursuivre le plan de construction voulu par le Président de la République. Ce plan portera à plus de 75 000 le nombre total de places de prison disponibles à l'horizon de 2027, avec la création de 51 nouveaux établissements pénitentiaires. Je suis pleinement engagé dans sa réalisation. Fin 2024, nous aurons parcouru la moitié du chemin, avec 23 nouveaux établissements opérationnels.

En 2023, ce sont 11 établissements qui auront été mis en service, comme je m'y étais engagé devant vous l'année dernière.

En 2024, le programme de construction continuera avec la même intensité. Il concernera sept chantiers. Quatre nouveaux établissements seront livrés : à Toulon, Noisy-le-Grand, Colmar et Nîmes. Trois sites pénitentiaires achèveront leur première phase de travaux : Bordeaux-Gradignan, Basse-Terre et Baie-Mahault. Pour la réalisation du programme de construction pénitentiaire, c'est un total de 308 millions d'euros qui sont inscrits au budget de 2024.

À ce jour, ce sont près de 2 milliards d'euros qui ont été investis dans ce plan de construction, pour un coût estimatif total de 5 milliards.

Au titre des réhabilitations d'établissements existants, les opérations courantes de maintenance représenteront 130 millions d'euros en 2024. Nous conservons ce très haut niveau d'investissement annuel, deux fois supérieur à celui qui était investi entre 2012 et 2017. Un budget de 2 millions d'euros sera consacré aux études relatives à la réhabilitation, devenue absolument indispensable, des établissements de Fresnes et de Poissy.

Je souhaite évidemment poursuivre l'effort de modernisation et d'agrandissement de l'immobilier judiciaire, afin de permettre l'accueil des renforts humains que j'ai décrits. Un total de 362 millions d'euros sera ainsi alloué en 2024 à l'immobilier judiciaire en pleine propriété, contre 269 millions en 2023, soit une hausse qui avoisine 35 %.

Ces crédits permettront notamment de poursuivre les 20 principaux chantiers engagés, dont 3 nouveaux palais de justice, 15 restructurations-extensions de palais de justice existants et 2 réhabilitations de bâtiments tiers pour construire des annexes de palais de justice.

En conclusion de ce propos introductif, je souhaite mettre en lumière quelques enveloppes budgétaires qui me tiennent à coeur, car elles ont vocation à moderniser et à améliorer concrètement le service public de la justice, ainsi que le bien-être de ses agents.

Dans les crédits d'investissement informatiques, les techniques d'enquêtes numériques judiciaires sont portées à 209 millions d'euros, soit une hausse de 7,2 % en un an. L'ensemble de ces crédits servira en particulier à poursuivre la mise en oeuvre du second plan de transformation numérique de la justice en France, lequel comprend deux projets principaux.

D'un côté, le soutien des agents du ministère sur le terrain, spécialement au sein des juridictions, passe par le recrutement en 2023 de 100 techniciens informatiques de proximité (TIP) - 80 ont d'ores et déjà été recrutés -, puis de 100 autres en 2024. Ceux qui, comme vous, se rendent dans les juridictions le savent : le « plantage » d'une machine un vendredi soir est insupportable... Il produit de la difficulté et de la frustration. Récemment encore, il fallait remonter l'information à la direction des services judiciaires (DSJ), voire au secrétariat général du ministère. Nous envoyons donc les techniciens informatiques sur le terrain, au plus près de ceux qu'ils aident.

D'un autre côté, la modernisation des logiciels métiers vise un objectif de numérisation à 100 %, de « zéro papier », d'ici à la fin du quinquennat. Nous progressons. J'en donnerai un exemple. À mon arrivée, la procédure pénale numérique (PPN) s'en tenait à l'état embryonnaire : environ 500 procédures par mois étaient transmises de manière dématérialisée des enquêteurs vers les tribunaux. Depuis juin dernier, avec l'aide du ministère de l'intérieur et des outre-mer, ce nombre a été multiplié par près de 300. Nous en sommes à 143 000 procédures transmises mensuellement. Une direction de programme unique, commune au ministère de l'intérieur et des outre-mer et au ministère de la justice, a été créée en juin 2023, de manière à accélérer de façon décisive le déploiement de la PPN.

Par ailleurs, l'enveloppe de crédits consacrés aux dépenses de frais de justice est portée à 674 millions d'euros en 2024, afin de renforcer les moyens d'enquête et d'expertise de la justice, ce qui équivaut à une hausse de 14 millions par rapport à 2023. En 2017, le budget qui leur était alloué s'élevait à 496 millions d'euros. En comparaison de cette année, l'augmentation atteint près de 36 %. La poursuite de notre effort doit faciliter le déstockage des affaires.

Enfin, les crédits alloués à l'accès au droit et à la justice s'élèveront à 734 millions d'euros en 2024, soit une hausse d'environ 3 % par rapport aux crédits de 2023, qui s'établissaient à 714 millions. Plus spécifiquement, dans cette enveloppe, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle continueront à croître en 2024, pour atteindre 657 millions d'euros, soit 16 millions de plus en un an. Parallèlement, l'aide aux victimes est portée à 47 millions d'euros, soit une hausse de 2 millions en comparaison de 2023.

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Alors que l'encre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice est à peine sèche, nous voilà de nouveau à échanger sur la trajectoire et les crédits budgétaires de votre ministère.

Nous nous félicitons une fois de plus de l'augmentation de ces crédits et des moyens, avant tout humains, qu'ils représentent. Le recrutement de 1 500 magistrats, ou 2 800 si nous prenons en compte le remplacement des départs en retraite, pourvoira - nous l'espérons - les 400 postes actuellement vacants dans nos juridictions ; celui de 1 800 greffiers renforcera également les équipes juridictionnelles.

Néanmoins, si la question se pose de savoir comment recruter, elle se pose également de savoir pourquoi.

La charge de travail des magistrats est en cause. Le référentiel sur lequel la DSJ a travaillé avec les représentants des organisations syndicales représentatives de magistrats est en cours d'expérimentation pour les juridictions de première instance et semble manifestement prêt. Quand sera-t-il dévoilé ?

La restructuration de l'équipe autour du magistrat et la réorganisation de son travail constituent par ailleurs un axe fort, car il ne suffit pas d'accorder des moyens supplémentaires. Les greffiers s'interrogent aujourd'hui sur la place qu'ils occuperont dans cette équipe. S'ils se réjouissent des revalorisations qui les concernent et du passage en catégorie A d'une partie d'entre eux, ils nourrissent aussi des inquiétudes sur les changements qui interviennent. Nous apprécierions davantage de clarté sur votre vision de l'équipe qui se formera autour du magistrat.

Nous observons une progression en flèche des crédits alloués à la prise en charge des frais de justice. Pensez-vous que vous parviendrez à les juguler ? Dans l'affirmative, comment vous y prendrez-vous ?

En 2024 se tiendront les jeux Olympiques et Paralympiques. Une telle manifestation laisse présager de fortes sollicitations des juridictions, qui pèseront sur la chaîne pénale. Les juridictions seront-elles prêtes ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Merci pour les techniciens informatiques que vous dépêchez dans les tribunaux. Ils aideront beaucoup les greffiers et les magistrats tant, en effet, les pannes sont régulières. Deux noms reviennent depuis quatre ans dans nos conversations, ceux des programmes Portalis et Cassiopée. Quand cesserons-nous d'en parler, sauf pour enfin reconnaître qu'ils fonctionnent ?

L'objectif de « zéro papier » en 2027 s'étend au-delà de la seule PPN et se révèle plus ambitieux. Ne faut-il pas se concentrer d'abord sur la PPN ? Pour l'heure, ce sont très majoritairement les procédures dites « petits x » qui remontent de cette manière. Nous n'en sommes pas encore à la transmission de dossiers effectivement traités par des magistrats.

Sur l'immobilier judiciaire, les utilisateurs nous font observer que les travaux n'ont pas été suffisamment anticipés et qu'ils n'ont été que trop peu associés à la programmation. Nous vous remercions des nombreux recrutements, mais comment faire avec des bâtiments qui, pourtant neufs, s'avèrent déjà trop exigus ? Entendez-vous modifier la méthode d'élaboration de la programmation relative aux prochains bâtiments ?

Vous n'avez par ailleurs pas évoqué de politique d'économies d'énergie. La meilleure façon de trouver de l'argent consiste à ne pas le dépenser inutilement ! Or certains tribunaux sont de véritables passoires thermiques. Prévoyez-vous d'agir dans ce domaine ?

Nous avons soutenu une proposition d'expérimentation de tribunaux des affaires économiques. Quand les juridictions d'expérimentation seront-elles connues ? Par ailleurs, une contribution pour la justice économique a été créée dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027. Existe-t-il une possibilité de flécher cette recette sur le budget de la justice, voire sur celui des tribunaux de commerce ou des futurs tribunaux des affaires économiques ? Cela permettrait aux magistrats et juges concernés de disposer de ressources fort utiles.

Enfin, à quand des adresses mail dédiées pour les juges des tribunaux de commerce ?

Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse. - Merci, monsieur le ministre, pour votre présentation. On constate une relative stabilité du budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui augmente de 3 %, mais il faut souligner que l'augmentation était de 10 % l'an passé. Des efforts particuliers sont engagés depuis plusieurs années, notamment sur la question des rémunérations. Néanmoins, le bilan est en demi-teinte.

Ma première question concerne les centres éducatifs fermés (CEF), dispositif auquel vous êtes attaché ; l'ouverture de 20 centres est prévue d'ici à 2027. Pourtant, un rapport récent de la Cour des comptes fait état d'un taux d'occupation de seulement 68 % et de nombreux professionnels évoquent un risque d'éviction, c'est-à-dire le fait qu'en recourant aux CEF, on délaisse des places existant dans d'autres types de centres, ce qui pourrait les conduire à réduire leur offre de placement, dont nous avons pourtant besoin.

Ma deuxième question porte sur l'impact de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs : elle se traduit par une diminution de la durée des placements. Sur le fond, c'est une bonne chose, mais les personnels de la PJJ la jugent problématique car historiquement, la durée moyenne d'un parcours était de 6 mois minimum. Or aujourd'hui la durée de placement est de 4 mois et demi en moyenne. Les pratiques professionnelles en sont bouleversées : comment concilier désormais le tempo de l'éducatif et le tempo judiciaire ? Qu'advient-il des séjours de rupture de plusieurs mois, qui ont prouvé leur efficacité, mais qui deviennent plus rares avec cette réforme ?

Enfin, j'aimerais connaître le calendrier d'aboutissement de Parcours, la Cour des comptes évoquant en effet la date de 2032. Ce dispositif a déjà coûté 10 millions d'euros pour la mise en oeuvre du premier volet de la première partie et le choix - que l'on peut comprendre -, d'impliquer les acteurs dans sa construction, a ralenti le processus. Par ailleurs, le secteur associatif habilité n'est toujours pas associé, alors qu'il représente la grande majorité des placements.

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'administration pénitentiaire. - Monsieur le ministre, il faut saluer votre action puisque le budget de la justice augmente globalement, y compris pour l'administration pénitentiaire, et il était grand temps ! Mais, au sein de ce budget, les crédits prévus pour l'insertion et la probation sont en baisse. Or l'insertion et la probation sont unanimement considérées comme les meilleurs moyens de lutter contre la récidive. Comptez-vous revaloriser ce secteur et comment ?

On dit couramment que la surpopulation carcérale est liée à l'augmentation des peines et que les alternatives à la prison permettraient de réduire le nombre de détenus. Mais le récent rapport de la Cour des comptes dont il a été question montre qu'en réalité les deux courbes croissent parallèlement : il y a, à la fois, une augmentation du nombre de détenus et du nombre de personnes condamnées à des peines alternatives. Face à ce constat, comment comptez-vous agir pour réduire efficacement le nombre de détenus ?

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». -En tant que rapporteure pour avis de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », je me suis notamment penchée sur les crédits et l'activité de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) et de la direction interministérielle du numérique (Dinum).

J'ai pu étudier les récents rapports de la CGLPL ainsi que les grands projets numériques de votre ministère. Afin de réduire la surpopulation carcérale, préoccupation récurrente de la CGLPL, le Gouvernement prévoit un plan de construction de 15 000 places de prison d'ici à 2027, revu à la hausse par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. La CGLPL qualifiait en juillet dernier ce programme d'irréaliste. Ce plan sera-t-il suffisant pour résoudre la crise actuelle ? Le calendrier des livraisons prévues pour 2024 sera-t-il tenu ? Ainsi, le centre pénitentiaire de Gradignan compte déjà 825 détenus : la nouvelle construction de 602 places sera en suroccupation au moment de son ouverture.

Par ailleurs, dans son rapport d'activité, la CGLPL observe que le suivi de ses recommandations par les ministres demeure un exercice formel et fastidieux, mentionnant un taux de réalisation relativement faible : existe-t-il un suivi effectif des rapports et recommandations de cette autorité indépendante ?

La transformation numérique est une autre priorité du budget de la justice pour 2024. Parmi les 52 grands projets numériques qui font l'objet d'un suivi par la Dinum, 7 sont portés par votre ministère. Lors de l'exercice précédent, les écarts budgétaires et calendaires de ces projets accusaient une hausse de 5 % des coûts et de 7 % de la durée par rapport aux estimations initiales ; ces écarts s'accroissent pour 2024 avec des hausses respectives de 15 % et 29 %. Pourriez-vous expliquer ces dérives ? Comment ces projets ainsi que le deuxième plan de transformation numérique dans son ensemble sont-ils suivis et pilotés par les services de votre ministère ? Quelle a été la portée des recommandations éventuellement formulées par la Dinum ?

Enfin, les personnels réclament la modernisation du matériel, en vain car il serait trop cher. Ainsi, au centre pénitentiaire de Gradignan, les surveillants attendent : des drones d'interception et de surveillance, pour faire face aux drones livrant drogues et objets divers ; des pistolets à impulsion électrique pour les fouilles de cellule ; ainsi que des caméras-piéton à utiliser dans les sas, lorsque les surveillants hommes se retrouvent seuls avec des détenues femmes.

M. Philippe Bonnecarrère. - Monsieur le ministre, la remise à niveau de la justice française est indiscutablement à porter à votre crédit. Les questions portent maintenant sur la mise en oeuvre.

Je partage le tropisme de Dominique Vérien sur la question informatique. Vous avez évoqué 209 millions d'euros d'investissement dans le budget 2024. Quel est le taux d'exécution de ces investissements informatiques qui se situent autour de 190 millions d'euros ?

La gestion de nos collectivités locales nous a appris que les bonnes réalisations reposent sur une bonne maîtrise d'ouvrage, une bonne maîtrise d'oeuvre et un bon dialogue entre les deux. Comment cela est-il organisé dans votre ministère ? J'aimerais savoir qui, dans vos services, sur le terrain, s'occupe de la maîtrise d'oeuvre : est-elle totalement externalisée ? Comment le dialogue avec la maîtrise d'ouvrage fonctionne-t-il ?

M. Alain Marc. - À mon tour, je me félicite de l'augmentation du budget. Je me suis rendu à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) à Agen il y a deux ans. Il m'avait été souligné à cette occasion la sous-exécution du recrutement des surveillants pénitentiaires lors des années précédentes, et un niveau de recrutement qui est en conséquence très bas. Or les prisons sont aujourd'hui dotées de cellules de renseignement qui exigent, entre autres, de savoir rédiger des rapports synthétiques, ce qui suppose des qualités rédactionnelles et une culture de base. Comment comptez-vous améliorer l'attractivité de ces métiers ?

Je pense également que les conciliateurs de justice pourraient être plus nombreux si les bénévoles, souvent de jeunes retraités, s'y investissaient davantage. Cela soulève la question de la publicité faite autour de ce dispositif.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez publié le 23 novembre dernier, soit juste avant la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, un décret instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel - ces pôles seront généralisés au 1er janvier 2024. Pourriez-vous en donner les détails budgétaires et en termes de ressources humaines ? En effet, le nombre de plaintes déposées augmente très significativement. On peut se réjouir de cette libération de la parole, mais les services de police et de justice manquent de personnels face à ces demandes. Les magistrats ont du mal à rester longtemps dans des fonctions qui entraînent une lourde charge mentale.

M. Hussein Bourgi. - Monsieur le ministre, je me réjouis cette année encore de l'augmentation du budget.

Les pôles spécialisés évoqués par Marie-Pierre de La Gontrie ont déjà été mis en place dans certaines juridictions, avant la parution du décret, mais d'autres juridictions m'ont fait part de leurs inquiétudes. En effet, les magistrats chargés des violences intrafamiliales conservent les attributions antérieures qui étaient les leurs. Certains disent ainsi de manière un peu provocatrice qu'ils prioriseront les violences intrafamiliales au détriment du reste. Ils s'inquiètent de devoir négliger les autres types de contentieux et que l'opinion publique se retourne contre cette grande cause qu'est la lutte contre les violences faites aux femmes, à laquelle elle adhère jusqu'à présent.

Aujourd'hui, dans les services du juge aux affaires familiales (JAF) du tribunal judiciaire de Montpellier, 350 décisions de justice attendent d'être mises en forme et notifiées aux parties et, de même, 300 audiences sont prévues mais n'ont pas encore été notifiées aux avocats. Dans le contentieux familial, et particulièrement lorsqu'il y a des enfants, ces délais enveniment les situations. On m'alerte sur le manque de greffiers. Si les convocations arrivent tard, les avocats risquent de demander des reports d'audience. Les mêmes difficultés structurelles m'ont été rapportées pour d'autres tribunaux. Comment pensez-vous résoudre ce problème ?

Mme Marie Mercier. - En 2016 a été mise en place la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO) à titre expérimental : une évaluation de ce dispositif a-t-elle été menée et celui-ci sera-t-il pérennisé ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Vos nombreuses questions montrent tout l'intérêt que vous portez à la justice.

Madame Canayer, vous me demandez comment piloter la montée en charge du plan de recrutement. Il s'agit de 10 000 recrutements nets, inscrits dans la loi d'orientation et de programmation. Je prévois d'abord de sanctuariser 1 500 magistrats et 1 800 greffiers. Les 10 000 recrutements représentent une hausse de 11 % des effectifs actuels, qui s'élèvent à 92 000 agents. La répartition plus fine se fera année par année, en fonction des besoins de chaque métier, de l'avancement des projets pénitentiaires et naturellement des capacités de recrutement et de formation des écoles.

J'ai accueilli récemment la prestation de serment de la toute dernière promotion de l'École nationale des greffes qui compte désormais quatre promotions par an au lieu de deux. L'École nationale de la magistrature (ENM) a vu son budget augmenter d'un tiers, ce qui permet de recruter de nouveaux enseignants, d'élargir les salles de cours, de décupler la capacité de formation des auditeurs de justice. La prochaine promotion sera très importante puisqu'elle frôlera les 500 auditeurs de justice.

Ces recrutements imposent d'adapter le parc immobilier judiciaire qui compte actuellement 699 bâtiments en activité : il va falloir poursuivre l'effort de modernisation et de construction avec une programmation immobilière quinquennale en cours de révision, à la hausse. L'année 2024 verra ainsi : la construction de trois nouveaux palais de justice à Lille, Saint-Benoît à la Réunion, Saint-Laurent-du-Maroni ; deux réhabilitations pour construire des annexes au palais de justice, à Niort et à Valenciennes ; et enfin quinze restructurations de palais de justice existants à Arras, Bayonne, Bourges, Bourgoin-Jallieu, Chaumont, Carcassonne, Évry, Fort-de-France, Mâcon, Nancy, Nantes, Nanterre, Paris-Cité, Versailles et Vienne.

Sur les frais de justice, nous avons porté deux actions principales. Le 9 mai dernier, j'ai signé une dépêche relative aux dépenses, invitant les chefs de pôle et les chefs de juridiction à activer ensemble les leviers qui sont à leur main, pour maîtriser les coûts. J'ai mis en place un plan de maîtrise selon six axes en cours de mise en oeuvre : revoir l'organisation des juridictions, automatiser les dépenses de traduction, mutualiser les frais de gardiennage, mettre en place une tarification sur le recours aux laboratoires, et sur les investigations numériques, expérimenter un processus de destruction des armes avec le ministère de l'intérieur. Je peux vous donner ultérieurement des détails supplémentaires sur ces dépenses afférentes aux frais de justice si vous le souhaitez.

Vous m'avez interrogé sur les jeux Olympiques et Paralympiques : ils sont attendus avec beaucoup d'enthousiasme, mais ils nous contraignent à faire des choix. Les juridictions concernées devront être renforcées. Nous serons prêts, car nous avons anticipé cet événement de longue date, en région parisienne, à Lyon, à Marseille et en outre-mer : nous allons recruter 164 contractuels pour faire face à la hausse d'activité, 49 magistrats en surnombre dans les juridictions de la région parisienne. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) prévoit des transfèrements pour libérer des places dans les établissements pénitentiaires : en effet, un afflux massif de population va provoquer une inflation de la délinquance avec les pickpockets, les questions de dopage, la fausse billetterie. Ainsi, le centre pénitentiaire de Caen-Ifs qui vient d'être inauguré, pourra, avec ses 1 000 places, accueillir des détenus de région parisienne pour que nous soyons opérationnels.

Madame Vérien, à propos de Portalis, j'ai constaté à mon arrivée au ministère une dérive du projet. On est donc revenu à l'objectif premier, à savoir déployer un logiciel unique pour tout le contentieux civil et nous allons donc remplacer huit applicatifs. Une première version de l'applicatif a été déployée à titre expérimental dans neuf juridictions. La généralisation à l'ensemble des prud'hommes se déroule jusqu'à la mi-2024. Ensuite, nous le déploierons pour les contentieux relatifs au droit de la famille. Je rappelle que ce sont les deux contentieux civils les plus importants dans la vie de nos concitoyens.

Le déploiement ira de plus en plus vite, parce que les principaux obstacles techniques ont été surmontés. L'avancée du projet est décisive pour l'ambition « zéro papier », que les juridictions administratives ont réussi à mettre en oeuvre : c'est donc parfaitement possible. On a maintenant un secrétaire général adjoint qui s'occupe de ces questions numériques, et on avance très rapidement.

Vous m'avez parlé de la charge de travail des magistrats et du fameux référentiel, cet outil ancien, délaissé, auquel j'ai décidé de revenir. C'est long, mais il a fallu quatre ans à l'Allemagne pour élaborer sa propre version. Nous y travaillons avec les syndicats et nous avons pu adopter 16 référentiels pour la première instance, soit 11 pour les fonctions du siège et 5 pour les fonctions du parquet. Les travaux sont en voie de finalisation pour les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et l'activité de soutien au siège et au parquet avec les spécificités des chefs de juridiction doit être examinée prochainement.

Je n'ai pas la prétention de dire que ces budgets vont tout régler, mais on avance. Tout ne sera pas réglé d'ici à 2027, mais nous sommes sur une trajectoire où la justice est enfin considérée comme essentielle. Je rappelle qu'à une époque, le budget des anciens combattants était supérieur à celui de la justice, qui connaissait des taux de croissance de 1 %... Ces temps sont révolus. On a tous collectivement compris à quel point il était important de donner à la justice des moyens supplémentaires, et on ne sera plus dans l'abandon humain, budgétaire et politique.

La création prochaine de tribunaux des activités économiques (TAE) suscite beaucoup de candidatures, je m'en réjouis. On se concerte, des parlementaires l'appellent de leurs voeux dans leur circonscription, on fait des expertises. L'ouverture est prévue pour 2025.

Au sujet des adresses mail des juges consulaires, il y a eu un très faible usage du service : quinze connexions par mois sur un ressort de 147 juges. Nous échangeons avec la direction des services judiciaires (DSJ) et les juges consulaires afin d'affiner plus précisément les besoins.

Enfin, s'agissant des rénovations énergétiques du parc immobilier, on construit et on réhabilite « vert ». J'ai par exemple demandé à la DAP si les toitures des établissements pénitentiaires, qui sont vastes, ne pourraient pas être équipées de panneaux. Il y a possiblement des problèmes de sécurité, mais c'est en cours d'étude. Mais les dépenses d'investissement dédiées à la rénovation du parc immobilier judiciaire sont en constante augmentation depuis 2020 et la quasi-totalité des tribunaux doivent atteindre l'objectif de réduction de 40 % de leurs dépenses énergétiques d'ici à 2030.

Madame Harribey, vous avez raison, je suis attaché aux CEF, malgré les critiques. En effet, un rapport de la PJJ que je tiens à votre disposition indique que les CEF permettent une diminution de la récidive importante. Il y a dans les CEF plus d'éducateurs que de jeunes, afin de leur apporter tous les soins - psychologique, psychiatrique, sanitaire - et l'attention qui leur permettent de s'épanouir. On apprend aux jeunes à lire, à écrire, à faire de la mécanique... Naturellement, on ne peut pas sauver tous les enfants qui s'y trouvent, mais les succès rencontrés pour quelques-uns justifient l'existence de ces centres. On n'oublie pas les centres éducatifs renforcés non plus. D'ailleurs, j'ai toujours été favorable à un partenariat entre la PJJ et l'armée. Certains de ses jeunes ont besoin de l'autorité bienveillante des militaires. J'ai vu une expérimentation séduisante à Coëtquidan et, dans le cadre de notre travail post-émeutes, nous allons accélérer ce partenariat entre la PJJ et l'armée.

Vous m'interrogez sur l'impact du code de la justice pénale des mineurs (CJPM). Il est vrai que la phase antérieure à l'audience de culpabilité ne permet pas un placement de plus de trois mois. L'objectif du CJPM était de raccourcir les délais. On peut améliorer les choses, on a deux ans d'expérimentation. La PJJ estime qu'il s'agit d'un beau texte, majoritairement apprécié par les juges des enfants. Avant son entrée en vigueur, un mineur sur deux était jugé quand il était majeur, ce qui était insensé. Le message pédagogique arrivait bien trop tard, tout le monde perdait son temps, son énergie : juger un jeune homme de 16 ans quand il en a 21, s'il a sombré dans la délinquance, il n'aura que faire du jugement d'un tribunal pour enfants, s'il en est sorti, le juger ne sert plus à rien.

En ce qui concerne le déploiement du logiciel Parcours, nous procédons par étape et les choses devraient être réglées en 2025 pour le secteur associatif. Il a fallu du temps pour le mettre en place. Vous l'avez dit : ceux qui ont les mains dans le cambouis l'ont créé et c'est son grand avantage, puisqu'il prend en compte les réalités.

Monsieur Vogel, les missions réalisées par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip), en milieu ouvert comme en milieu fermé, doivent continuer à être développées. En 2024, la dotation se maintiendra au niveau élevé de 51,8 millions d'euros, après avoir été de 53,4 millions d'euros en 2023. Ce budget représente une hausse de 30 % par rapport à celui de 2022, qui s'élevait à 39,8 millions d'euros.

J'en viens à la surpopulation carcérale, qui est le sujet difficile par définition et ne souffre pas la caricature. Dominique Simonnot me rappelle régulièrement que nous avons un problème en la matière - cette difficulté ne m'a pas échappé et elle me hante. Elle souhaiterait que nous libérions un grand nombre de personnes et, chaque fois que j'échange avec elle, on me parle de ce qu'a fait Nicole Belloubet. Cependant, cette dernière a agi pendant la période du covid, quand il s'agissait de protéger la santé des détenus et des agents pénitentiaires, dont certains sont morts. C'était indispensable, et je l'ai dit à l'époque.

Mais les choses ont changé. D'abord, il faudrait assumer la responsabilité politique de libérer des milliers de gens. Je ne suis pas sûr que les Français aient envie d'une telle mesure. En revanche, je suis sûr que certains mouvements très à droite en bénéficieraient, par contrecoup.

Dominique Simonnot propose que nous adoptions des quotas, ce qui signifie que, dans un établissement pénitentiaire qui n'est pas plein, nous pourrions incarcérer à tour de bras...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - ... il s'agirait de régulation. Vous avez pourtant dit que le sujet ne souffrait pas la caricature.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je travaille sur le sujet, madame la sénatrice, et je souhaite que nous trouvions les bonnes solutions. Ma porte est ouverte et je vous invite à venir me voir.

C'est ce que Dominique Simonnot propose : on incarcère là où il y a de la place et pas là où il n'y en a plus, ce qui pose des difficultés. Pourquoi l'un bénéficierait d'une clémence en raison de la surpopulation ? De plus, cette solution vient percuter l'indépendance des magistrats qui ont décidé de la peine.

Dans le dernier texte voté par le Sénat, nous avons étendu les travaux d'intérêt général (TIG) au secteur associatif. Je rappelle que le TIG est réservé à la délinquance de basse intensité. Nous avons aussi avancé sur l'assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse), dans ce texte que nous avons construit ensemble et que vous avez amélioré. Des pistes existent donc.

Par ailleurs, j'ai conditionné les réductions automatiques de peine à l'effort car on n'a rien sans rien. Nous avons donc augmenté de façon considérable le nombre d'emplois pénitentiaires, qui bénéficient d'un contrat d'emploi pénitentiaire. Ces mesures sont novatrices et incitatives.

La construction d'établissements pénitentiaires constitue l'autre levier d'action. Elle permet d'assurer une réponse pénale ferme, de régler la question de la détention indigne, sur laquelle la commission des lois du Sénat a produit un très beau texte, mais aussi d'améliorer la sécurité et le confort du personnel pénitentiaire. Plus les conditions sont dignes, plus le personnel peut mettre en place la réinsertion. Nous avons développé les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), pour permettre à des détenus d'être au plus près des différents organismes pouvant les aider à se réinsérer et à trouver du travail. Ces dispositifs permettent de réduire la récidive.

Par ailleurs, nous avons mis en place la libération sous contrainte (LSC), qui est entrée dans les moeurs judiciaires. Elle permet une libération avec une obligation de logement quand le reliquat de peine est de trois mois ou moins. Il s'agit d'éviter les sorties sèches, pour empêcher la récidive.

Nous travaillons, mais ma réflexion sur le sujet n'est pas encore aboutie et, si vous avez des idées à partager, je suis preneur. Ces questions sont complexes et nous vivons dans une époque qui ne connaît plus la nuance.

S'agissant du taux d'exécution en matière informatique, j'y suis très attentif et 100 % des crédits numériques votés par le Parlement seront utilisés pour 2023. Vous pouvez délivrer un petit satisfecit au ministère !

Je vous donne le mode opératoire du deuxième plan de transformation numérique du ministère de la justice : sur chaque projet, un responsable rapproche maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre. Par ailleurs, nous internalisons les compétences informatiques et les effectifs numériques du secrétariat général sont passés de 450 à près de 900 depuis 2017. En 2024, nous recruterons encore 55 ingénieurs, pour limiter le recours aux prestations extérieures. Les consultations sont beaucoup plus systématiques sur le terrain.

J'en viens à la question des drones. Nous avions constaté que certains procureurs faisaient des choses formidables dont les autres ne profitaient pas. Nous avons donc regroupé ces bonnes pratiques sur un site, que les magistrats pouvaient consulter et compléter. Nous avons même franchi nos frontières pour découvrir un travail réalisé en Italie, où la pénitentiaire s'est rapprochée de l'aviation. Des moyens de sécurisation importants ont été mis en place, notamment des filets. Il reste des choses à faire, puisqu'on peut apprendre dans la presse que des détenus se sont fait livrer en produits stupéfiants ! C'est insupportable. Nous sommes attentifs et proactifs. Il faudrait s'inspirer de la pratique italienne, en s'assurant d'abord de sa faisabilité. J'en ai parlé au ministre des transports, pour essayer de déployer une réponse ferme et précise. Il faut nous adapter aux techniques utilisées. Les moyens alloués pour sécuriser les personnels et les établissements pénitentiaires sont importants.

En ce qui concerne les pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales, j'ai signé une circulaire de mise en oeuvre le lendemain de la publication au Journal officiel, le 24 novembre, du décret instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel. L'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2024, 179 chargés de mission seront déployés et 17,2 millions d'euros leur seront consacrés dans le budget pour 2024.

Cette organisation est indispensable. Nul ne conteste la grande qualité du travail réalisé par nos parlementaires, dont Dominique Vérien. La proposition des tribunaux spécialisés n'a pas été retenue, de façon légitime, et les magistrats n'en voulaient pas. Pour anticiper, il ne faut plus fonctionner en silo et les différents acteurs - JAF, juge de l'application des peines (JAP), procureur ou forces de sécurité intérieure - doivent se parler. Ce fonctionnement serait à l'inverse de ce qui s'est passé dans l'affaire de Mérignac. Selon l'inspection générale de la justice (IGJ), il n'y a pas eu de faute individuelle dans cette affaire, mais de mauvaises habitudes, qui font que les uns et les autres ne se parlent pas. La catastrophe est ainsi arrivée. À cette époque, j'avais pris une circulaire, qui avait été qualifiée de comminatoire, pour rappeler que les bracelets anti-rapprochement ne devaient pas rester dans les tiroirs. Les magistrats sont sensibilisés à ces questions des violences intrafamiliales, ils ont reçu une formation à l'ENM et bénéficient d'une formation continue.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez évoqué le chiffre de 17,2 millions d'euros ; s'agit-il de crédits supplémentaires ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Non, c'est le budget pour 2024.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il s'agit donc d'un redéploiement ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je donne le chiffre pour répondre à la question de l'allocation. Par ailleurs, l'autre partie de la solution pour que les pôles puissent se mettre en place réside dans les personnels envoyés. Ainsi, nous envoyons des magistrats, des greffiers et des contractuels.

J'en viens à l'équipe autour des magistrats, qui doit permettre à ces derniers de se recentrer sur leur coeur de métier et de diviser par deux le délai de jugement. J'ai constaté, lors de mes déplacements, que les greffiers craignent la concurrence des attachés de justice, d'autant que ces derniers devraient prêter serment. Je les ai rassurés chaque fois que possible, les assurant du fait que leur place reste essentielle dans l'équipe, eu égard à leur connaissance de la procédure et du magistrat, ainsi qu'à leurs réflexes judiciaires dont on ne peut se passer. Lors de chacun de mes déplacements, j'entendais leurs craintes...

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis. - ...nous les entendons encore.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je les entends de moins en moins. Cette équipe ne se constituera pas sans eux. Dès que l'équipe se mettra en place, les greffiers constateront qu'ils en occupent le coeur.

En ce qui concerne la TMFPO, je me tiens à la disposition de la commission pour que l'on détaille, si vous le souhaitez, les dispositions réglementaires qui ont été prises et les deux nouvelles procédures que nous avons mises en place.

D'abord, elles visent à ce que le justiciable se réapproprie son procès. Il s'agit de procédures civiles qui touchent à l'intime et, parfois, le justiciable ne voit pas son juge ; comment les gens peuvent-ils aimer la justice quand elle n'est pas incarnée ?

Je porte ces sujets avec beaucoup d'enthousiasme. Nous avons mis en place les ambassadeurs de l'amiable, parmi lesquels se trouvent des professeurs de droit, des avocats, des magistrats, des notaires ou des commissaires de justice. Ils se déplaceront dans toutes les cours d'appel pour expliquer les deux nouvelles procédures. S'agit-il d'un modèle économique viable pour les avocats ? Oui.

Ensuite, ces nouvelles procédures contribueront à replacer le juge au coeur de son métier. Tant de questions ont été évoquées par les magistrats quand ils se sont exprimés sur leur mal-être. Ils s'interrogent sur le sens de leur mission.

Enfin, le dispositif permettra d'aller beaucoup plus vite. Nous comptons 1 % de procédures de médiation, quand ce pourcentage s'élève à 70  % ou 80 % au Canada. Dans ce pays comme dans d'autres pays anglo-saxons, il s'agit d'un réflexe. Mais l'évolution implique un changement de paradigme : les avocats ne doivent plus privilégier systématiquement la culture de la castagne et accepter de se mettre autour de la table. Quand deux personnes trouvent un accord grâce à ces procédures, elles en sont toutes les deux satisfaites. Au terme d'un procès, il y a une personne satisfaite et une personne déçue, qui pense que la justice n'a pas bien fonctionné. Si nous voulons améliorer le lien de confiance entre nos compatriotes et la justice, nous n'avons aucune raison de nous priver de cette évolution. Conciliateurs et médiateurs nous sont indispensables. La TMFPO est un dispositif expérimental. Ses résultats n'étant pas encore clairs, j'ai prolongé l'expérimentation pour quelques années et à périmètre constant.

S'agissant de l'attractivité de la DAP, sur les 162 recrutements non effectués par rapport à l'objectif de 2022, 149 sont imputables à l'administration pénitentiaire au titre des personnels de surveillance. Le métier de surveillant pénitentiaire est difficile et souffre d'un manque d'attractivité. C'est la raison pour laquelle j'ai annoncé le 21 février dernier qu'à compter du 1er janvier 2024, le corps des surveillants passerait de la catégorie B à A. Il s'agissait d'une revendication portée par les personnels pénitentiaires depuis plus de 20 ans.

Enfin, le budget de la DSJ augmente de 36 % et nous passons de 2,8 milliards en 2020 à 3,2 milliards d'euros en 2024. Priorité au service judiciaire.

M. François-Noël Buffet, président. - Merci, monsieur le ministre, pour ce débat fourni.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.

Mercredi 29 novembre 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, Mme Catherine Di Folco, Mme Françoise Dumont, Mme Françoise Gatel, M. Hussein Bourgi, M. Jérôme Durain, Mme Patricia Schillinger comme membres titulaires, et de Mme Nadine Bellurot, Mme Marie Mercier, Mme Dominique Vérien, Mme Laurence Harribey, Mme Cécile Cukierman, M. Pierre-Jean Verzelen et M. Guy Benarroche comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur pour avis. - L'examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » s'inscrit cette année dans un contexte particulièrement incertain pour les collectivités. La persistance de l'inflation, l'inefficacité du « filet de sécurité » ou encore les perspectives financières contrastées auxquelles nous devons faire face sont autant de facteurs d'inquiétude pour les élus locaux.

Face à ces inquiétudes, et malgré certains signaux positifs, le soutien financier apporté par l'État à nos collectivités n'est pas à la hauteur. À cet égard, la mission dont il m'appartient de vous présenter les crédits ne fait pas exception.

Avant d'évoquer en détail l'analyse des crédits, permettez-moi de dire un mot du contexte dans lequel s'inscrit l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 du point de vue des finances locales.

Nous pouvons tout d'abord nous féliciter de l'abandon par le Gouvernement du mécanisme de contractualisation coercitif - dans la lignée des contrats de Cahors - dans lequel il entendait enfermer les collectivités territoriales à l'occasion du vote du projet de loi de programmation des finances publiques. Si le Sénat a obtenu gain de cause sur ce point, je ne peux m'empêcher d'y voir une occasion manquée de redéfinir les contours d'une véritable relation de confiance entre l'État et les collectivités territoriales. En lieu et place, nous mesurons la défiance qui irrigue trop souvent les relations financières entre l'État et les collectivités, et dont les élus locaux se font souvent le relais.

En outre, le PLF pour 2024 marque un nouveau recul des marges de décision des collectivités territoriales, à deux titres.

Sur le plan fiscal, d'abord, puisque le PLF entérine, avec la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la disparition - une de plus ! - d'une ressource fiscale sur laquelle les collectivités territoriales disposaient d'une marge de manoeuvre. En plus d'éroder la démocratie locale, l'affaiblissement continu du pouvoir fiscal local donne lieu à une compensation financière insatisfaisante. Peut-on indéfiniment réduire l'autonomie fiscale des collectivités et remplacer les recettes des impôts supprimés par des affectations de TVA, par ailleurs largement disputées entre différents niveaux de collectivités ?

Sur le plan financier, ensuite, le soutien apporté par l'État aux collectivités ne pallie qu'imparfaitement les effets de l'inflation. C'est particulièrement le cas du filet de sécurité, qui a manifestement manqué sa cible puisque 3 245 collectivités doivent rembourser les avances qui leur avaient été accordées, ce qui représente plus de 80 % des bénéficiaires desdites avances ! Je rappelle que les annonces initiales faisaient état de 20 000 collectivités potentiellement bénéficiaires de ce filet de sécurité : seules quelques centaines d'entre elles en bénéficieront finalement.

Parallèlement, la hausse de 320 millions d'euros de la dotation globale de fonctionnement (DGF) annoncée la semaine dernière par la Première ministre, si elle est bienvenue, ne suffira toujours pas à compenser l'inflation, et représente encore une diminution en volume de l'ordre de 1,5 %. Je précise que je ne prends pas en compte dans ce calcul d'autres critères, notamment ceux qui sont portés par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, qui, avec le « panier du maire » évalue à plus de 7 % la hausse des prix enregistrée par les communes sur leurs dépenses.

Dans ce contexte, les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » connaissent une baisse regrettable de 4,5 % en crédits de paiement (CP), soit une diminution de 180 millions d'euros à l'échelle de la mission, répartie sur deux programmes.

Le premier, le programme 122, qui regroupe des crédits destinés à financer le soutien de l'État à des collectivités territoriales confrontées à des situations exceptionnelles, connaît une baisse significative des CP de l'ordre de 27 %, soit 80 millions d'euros. Cette diminution s'explique essentiellement par des facteurs paramétriques, à savoir l'extinction de dispositifs exceptionnels liés, notamment, à la crise du covid.

Le second, à savoir le programme 119, concentre des dotations de soutien à l'investissement et des compensations financières des charges et connaît, quant à lui, une baisse de l'ordre de 3 % en CP, soit plus de 100 millions d'euros. Cette baisse est le résultat de deux facteurs aux effets contradictoires.

Elle résulte, d'une part, d'une réduction paramétrique des crédits, liée à la fin de l'abondement de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) exceptionnelle et à la diminution de la dotation générale de décentralisation (DGD) des régions, pour un montant cumulé de plus de 200 millions d'euros.

D'autre part, cette tendance est partiellement compensée par une hausse des dotations particulières de soutien aux communes de 105 millions d'euros, répartie entre la dotation pour les titres sécurisés (DTS) et la dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité et pour la valorisation des aménités rurales, qui sont toutes deux portées à 100 millions d'euros, en autorisations d'engagement (AE) comme en CP.

Les crédits ouverts pour le soutien à l'investissement aux collectivités territoriales ne connaissent qu'une légère baisse en euros courants. Néanmoins, celle-ci représente une érosion des crédits de paiement de près de 4 % en volume par rapport à 2023, après la prise en compte du niveau estimé d'inflation pour 2024.

Au-delà de la question du montant des crédits, j'attire également votre attention sur la contrainte croissante exercée par l'État sur le versement des dotations de soutien à l'investissement, qui laisse de moins en moins de place aux élus locaux. Entre le développement de la logique contractuelle et la fixation de priorités thématiques par le Gouvernement, le fléchage des dotations s'apparente à une « recentralisation des crédits », au mépris de la confiance qui devrait être accordée à l'intelligence locale et à la capacité des élus à effectuer les bons choix.

Le PLF 2024 s'inscrit dans ce mouvement puisqu'il porte à 30 % pour la DSIL, à 25 % pour la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) et à 20 % pour la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) la part des crédits qui devront servir à financer des projets concourant à la transition écologique. Si l'objectif de verdissement des investissements ne soulève pas de difficultés dans son principe, les marges de décision des collectivités et la lisibilité des modalités d'attribution des dotations doivent être préservées.

J'en viens maintenant aux articles rattachés, dont l'examen offre l'opportunité d'apporter des ajustements tendant à renforcer les garanties financières accordées à certaines communes ainsi que la lisibilité des dotations d'investissement pour les élus.

En premier lieu, s'agissant des enjeux de libre emploi et de lisibilité des modalités d'attribution des dotations d'investissement que je viens d'évoquer, je vous proposerai d'adopter trois amendements reprenant une position régulièrement défendue par notre commission.

Le premier prévoit que les décisions d'attribution de la DSID soient prises par le préfet de région après avis des présidents de conseil départemental, rendu dans un délai de quinze jours ; le deuxième vise à renforcer l'information des membres de la « commission DETR » en prévoyant que lui soit communiquée, avant la fin du premier trimestre de chaque année, la liste de l'ensemble des demandes éligibles et recevables - et non les seules opérations à subventionner, comme c'est actuellement le cas ; le troisième a pour objet de revenir sur la faculté, ouverte aux préfets par la loi de finances pour 2023, de moduler le taux de subvention d'un projet en fonction de son caractère écologique.

En deuxième lieu, les articles 57 et 58 réforment respectivement les règles d'attribution de la dotation relative aux « aménités rurales » et de la DTS. Si la hausse des crédits alloués à ces dispositifs ne peut qu'être saluée, les garanties accordées aux communes actuellement éligibles à ces dotations ne sont pas suffisantes.

S'agissant particulièrement de la dotation « aménités rurales », l'article 57 modifie les conditions d'éligibilité et les modalités de sa répartition en des termes d'une grande imprécision. L'objectif affiché de la réforme étant d'élargir le périmètre des communes éligibles, je vous proposerai un amendement visant à garantir, a minima, aux communes qui sont aujourd'hui éligibles qu'elles ne percevront pas, au titre du nouveau dispositif, un montant inférieur à celui dont elles ont bénéficié en 2023.

L'article 58, quant à lui, réforme les modalités de répartition de la DTS en supprimant sa part forfaitaire, actuellement versée aux communes en fonction du nombre de stations d'enregistrement des demandes de titres. Afin de garantir aux communes une visibilité sur l'évolution du soutien qui leur sera apporté et de ne pas laisser toute latitude au pouvoir réglementaire, je vous proposerai un amendement tendant à maintenir une référence législative à cette part forfaitaire.

En troisième lieu, je me félicite que le Gouvernement se rallie à la position de notre commission en ce qui concerne la part « protection fonctionnelle » de la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux, dite dotation particulière « élu local » (DPEL).

En effet, l'article 59 étend aux communes de moins de 10 000 habitants le dispositif de compensation par l'État des coûts de la couverture assurantielle pour la protection fonctionnelle que doivent obligatoirement souscrire l'ensemble des communes de France. Ce faisant, elle reprend une mesure figurant dans la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, adoptée par le Sénat à l'unanimité le 10 octobre 2023.

En quatrième lieu, l'article 56 procède à des ajustements en matière d'éligibilité aux dotations de péréquation que sont la dotation nationale de péréquation (DNP) et la dotation de solidarité rurale (DSR), afin de lisser les effets de seuils que peuvent subir les petites communes éligibles à certaines fractions de ces dotations. En complément de ces mesures, je vous proposerai d'adopter un amendement visant à revaloriser le critère de voirie pour les communes de montagne bénéficiaires de la fraction « péréquation » de la DSR, en triplant la longueur de la voirie classée dans le domaine public communal prise en compte pour l'attribution d'une fraction de la dotation - alors qu'elle est seulement doublée actuellement. Je précise que cet amendement a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, mais qu'il n'a pas été conservé après le recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Je profite de cette occasion pour rappeler qu'une réforme profonde de la DGF est plus que jamais nécessaire. Chacun d'entre nous a conscience du degré d'illisibilité, d'incompréhension et, parfois, d'iniquité qu'a atteint ce système. Il nous appartiendra donc, collectivement, de mener une réflexion globale sur l'évolution de cette dotation.

J'évoque pour finir deux dispositifs introduits par le Gouvernement à l'Assemblée nationale qui, s'ils ne sont pas formellement rattachés à la mission, concernent de très près les finances locales.

Il s'agit, d'une part, de l'obligation pour les collectivités de plus de 3 500 habitants, de mettre en place un « budget vert » sous la forme d'une annexe budgétaire retraçant l'impact de leurs investissements sur la transition écologique. Le seuil retenu me semble inadapté, tout particulièrement pour la ruralité : si rien ne s'oppose à ce que les collectivités volontaires puissent élaborer un « budget vert », l'obligation ne devrait s'imposer, dans un premier temps, qu'aux grandes collectivités. Je déposerai un amendement en ce sens.

D'autre part, le Gouvernement s'est enfin saisi de la problématique des baisses de dotation subies par les communes nouvelles. J'ai eu l'occasion d'échanger sur ce point avec Françoise Gatel, dont je salue l'engagement en vue d'obtenir un dispositif abouti et pérenne pour ces communes.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, en dépit des aspects positifs que j'ai mentionnés par souci d'honnêteté intellectuelle et des améliorations que nous pourrons apporter via les amendements que je vous soumets, je vous proposerai d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

Article 56

L'amendement LOIS.1 est adopté.

Article 57

L'amendement LOIS.2 est adopté.

Article 58

L'amendement LOIS.3 est adopté.

Après l'article 58

Les amendements LOIS.4, LOIS.5 et LOIS.6 sont adoptés. 

M. Pierre-Alain Roiron. - Je remercie le rapporteur pour la pertinence de son propos et de son analyse, que nous partageons largement.

Cette année encore, l'examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » s'inscrit dans un climat complexe et angoissant pour de nombreux élus. Cette mission, dont les crédits représentent seulement 8 % des concours financiers de l'État aux collectivités et 4 % du total des transferts financiers, est à replacer dans un contexte plus large.

Dans un contexte économique marqué par l'inflation, les incertitudes financières pour l'année prochaine ont un impact significatif sur les plans d'investissements des collectivités territoriales, les élus locaux attendant un PLF pour 2024 à la hauteur de leurs inquiétudes. Je tiens à souligner notre attachement à l'autonomie financière et fiscale, principe fondamental des lois de la République et de la décentralisation dont nous sommes les héritiers.

Nous rejoignons l'analyse de la Cour des comptes selon laquelle la fiscalité des collectivités locales est mise à mal par une croissance de 1 %, dans un contexte inflationniste. La même juridiction annonce un besoin de financement des collectivités de 2,6 milliards d'euros pour 2023, chiffre qui devrait atteindre 2,9 milliards d'euros l'année suivante, soit un constat peu optimiste, contrairement à ce qu'a annoncé le Gouvernement.

Si nous saluons l'augmentation de la DGF, nous souhaiterions qu'elle soit indexée sur l'inflation : cela permettrait de renforcer la capacité d'autofinancement des collectivités locales, condition essentielle d'une décentralisation effective. Cette indexation donnerait aux collectivités une meilleure visibilité et leur permettrait de programmer leurs investissements comme il se doit. Quoi qu'il en soit, le PLF pour 2024 ne répond pas à cette question de la visibilité.

Par ailleurs, force est de constater, comme vous l'avez indiqué, que le filet de sécurité mis en place par le Gouvernement dans le domaine de l'électricité n'a répondu que très partiellement à la situation d'urgence. À l'été 2022, il avait en effet été indiqué que 22 000 communes seraient concernées, avant que les critères précisés en octobre 2022 ne réduisent leur nombre à 7 000. Finalement, ce sont moins de 2 500 communes qui en bénéficieront.

Une vive inquiétude s'est exprimée lors du congrès de l'AMF la semaine dernière s'agissant des conditions de remboursement des avances perçues au titre de ce filet de sécurité, et nous attendons toujours des précisions à ce sujet.

Par ailleurs, je note à regret que les montants de la DETR et de la DSIL ne connaissent pas la hausse attendue, alors que les besoins sont de plus en plus considérables. Nous souhaiterions d'ailleurs que la DETR soit prioritairement ciblée sur les territoires ruraux, et que la DSIL soit attribuée après avis d'une commission départementale.

Il semblerait également pertinent que la DETR soit moins fléchée, car le système actuel entraîne une restriction de la liberté d'action des conseils municipaux. Nous regrettons ainsi que leur liberté en matière d'investissements ne soit pas préservée.

Concernant le fonds vert, nous saluons la reconduction de cet outil de soutien à la transition écologique, mais nous attirons l'attention du Gouvernement sur le manque de pédagogie fournie auprès des élus locaux, ainsi que sur les grandes disparités existant entre les territoires sur ce sujet, ce qui freine l'utilisation de ce dispositif.

Pour toutes ces raisons, nous avons un avis réservé sur cette mission.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport pour avis

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - J'ai souhaité m'intéresser cette année aux moyens dont l'administration territoriale de l'État (ATE) dispose pour exercer ses missions, notamment la délivrance des titres sécurisés qui connaît encore d'importants dysfonctionnements malgré les mesures d'urgence mises en oeuvre par l'État en 2022.

Je ne peux que saluer l'effort historique consenti pour renforcer les effectifs de l'État déconcentré, après plus d'une décennie de coupes budgétaires drastiques et d'augmentations en trompe-l'oeil. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 prévoit la création de 232 postes, dont 110 pour renforcer les missions préfectorales en tension - instruction et délivrance des titres de séjour, lutte contre la radicalisation, gestion de crise et accueil des usagers -, conformément aux objectifs fixés dans le cadre des missions prioritaires des préfectures pour 2022-2025. Cette inflexion confirme la prise de conscience, par l'État, de la nécessité de renforcer son administration de proximité.

Elle est cependant loin d'être suffisante pour compenser la perte de 14 % des effectifs de l'ATE entre 2010 et 2021, d'une part ; et pour faire face aux nouveaux défis que l'État territorial doit relever, notamment à l'approche des jeux Olympiques et Paralympiques, d'autre part. Au total, le PLF pour 2024 ne propose qu'une augmentation de 0,41 % des effectifs de l'ATE !

La délivrance des titres sécurisés est un exemple symptomatique du manque de moyens dont souffre le ministère de l'intérieur et des outre-mer pour accomplir ses missions de service public. Bien que la situation ne soit plus aussi dramatique que l'année dernière, lorsque le délai moyen de prise de rendez-vous en mairie avait atteint 77 jours, elle est loin d'être satisfaisante, malgré le déploiement d'un plan d'urgence par le ministère en mai 2022.

L'objectif de 20 jours fixé par la Première ministre en avril 2023 n'est toujours pas atteint dans la mesure où le délai de délivrance est de 24,6 jours en moyenne pour les passeports et les cartes nationales d'identité (CNI). De plus, l'accroissement structurel de la demande de titres fait craindre une mise sous tension continue de l'ensemble de la chaîne de délivrance, de la prise de rendez-vous en mairie à la production des titres par l'Imprimerie nationale en passant par l'instruction des dossiers dans les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT).

Au-delà de l'effet de rattrapage observé en 2022, la demande de titres sécurisés est appelée à se maintenir à un niveau bien supérieur à celui qui était observé avant la crise sanitaire : 14 millions de passeports et de CNI devraient être produits en 2024, contre 9 millions en 2019.

Je salue évidemment les mesures déjà prises par le Gouvernement pour enrayer la dégradation des délais de délivrance des titres. Je citerai notamment à cet égard le déploiement, par l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), d'une plateforme de rendez-vous pour la délivrance des passeports et des cartes d'identité, à laquelle 75 % des communes équipées d'un dispositif de recueil sont désormais raccordées et qui permet la prise de 30 000 rendez-vous en mairie par jour.

Ce dispositif s'ajoute au renforcement des effectifs des CERT, aux 10 millions d'euros consacrés à l'amélioration de l'équipement des mairies en dispositifs de recueil et à l'acquisition d'équipements complémentaires par l'Imprimerie nationale.

Pour autant, l'ensemble du système est encore sous tension, en particulier en ce qui concerne la délivrance des passeports. En juillet 2023, 98,97 % des passeports étaient encore produits en dehors des délais contractuellement fixés avec l'Imprimerie nationale. Je ne peux évidemment pas me satisfaire d'une telle situation, d'autant que le risque de surcharge est accru par la généralisation de l'identité numérique régalienne en 2024, dont l'accès est conditionné à la détention de la nouvelle version de la CNI.

L'application France Identité, d'abord utilisée par une jauge restreinte de 45 000 utilisateurs, a été élargie à 100 000 utilisateurs à partir du mois de novembre 2023 en vue de sa généralisation en 2024. Les usages de l'identité numérique sont multiples : connexion sécurisée à FranceConnect, production de preuve d'âge, dématérialisation du permis de conduire, dématérialisation totale des procurations électorales, etc.

Elle repose sur deux conditions : la détention d'une nouvelle CNI et la certification du compte par une vérification des empreintes du détenteur en mairie. Pour l'heure, la certification n'est expérimentée que par un nombre très restreint de communes : Alfortville, Boulogne-Billancourt et Puteaux, ainsi que les communes volontaires des départements d'Eure-et-Loir, du Rhône et des Hauts-de-Seine. Il s'agit, bien sûr, d'un vecteur de simplification administrative pour les citoyens. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de m'interroger sur les paramètres de cette expérimentation très confidentielle, le ministère de l'intérieur et des outre-mer n'ayant pas fixé d'objectifs chiffrés en termes de communes participantes ou de procurations à établir.

Je crains donc que le nombre de citoyens en mesure de tester ce dispositif en vue des élections européennes qui se tiendront en juin 2024 ne soit très restreint. J'ajoute que les conditions de financement de cette nouvelle mission, qui incombe aux mairies déjà surchargées, doivent être clarifiées. Je crains, par ailleurs, que la généralisation de l'identité numérique régalienne ne crée un nouvel engouement pour la CNI qui alimenterait encore davantage la crise de la délivrance des titres sécurisés.

Compte tenu des dysfonctionnements qui continuent d'affecter cette mission et de l'accroissement de son niveau d'activité, je me félicite du renforcement des moyens dédiés à l'ANTS, dont le plafond des taxes affectées est relevé à hauteur de 23,6 millions d'euros pour permettre l'augmentation de 9 % de ses effectifs.

Pour autant, l'évolution globale des crédits du programme 354 « Administration territoriale de l'État », qui diminuent de 5,60 % en AE, me conduit à déplorer, une fois encore, le décalage entre un discours gouvernemental axé sur le « réarmement » de l'État territorial et sa traduction budgétaire décevante, loin d'être à la hauteur des enjeux auxquels l'administration territoriale de l'État doit répondre.

Je terminerai en indiquant que les crédits des deux autres programmes de la mission n'appellent pas d'observations particulières de ma part. Le programme 232 « Vie politique », qui finance l'organisation des élections, est structurellement volatile. Le calendrier électoral chargé de 2024, avec les élections européennes en juin et les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie en mai, explique l'explosion de ses crédits (+ 127,35 % en autorisations d'engagement (AE), + 115,38 % en crédits de paiement (CP)), qui ne représentent toutefois que 6 % de l'ensemble des crédits de la mission.

Les crédits du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » continuent de croître (+ 38,26 % en AE, + 2,88 % en CP) pour financer deux projets immobiliers structurants du ministère, à savoir la création d'un site unique du renseignement intérieur, qui représente 91 % des AE dédiées à l'action « Affaires immobilières » du programme, et l'installation d'un pôle transversal des directions supports du ministère de l'intérieur et des outre-mer au sein du futur village olympique de Saint-Denis.

Sans remettre en cause la nécessité de ces projets, j'appelle le ministère à ne pas réduire sa stratégie immobilière au financement de projets structurants au détriment de l'entretien et de l'adaptation des sites existants.

Au global, les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » augmentent de 15 % en AE et de 2 % en CP par rapport à la loi de finances pour 2023. Mais cette augmentation est portée par les programmes 232 et 216, tandis que les moyens dédiés au programme 354 « Administration territoriale de l'État » diminuent, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire. Il convient bien d'analyser les crédits strate par strate et de ne pas s'arrêter aux moyennes.

Je vous proposerai donc, pour toutes ces raisons, un avis défavorable aux crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

M. Éric Kerrouche. - Merci pour ce rapport particulièrement exhaustif. L'examen du programme 354 - le plus important -, qui concerne les effectifs de l'administration déconcentrée, permet de constater que la question du retrait de l'État territorial n'est toujours pas tranchée, en dépit des annonces du Gouvernement.

Dans son rapport de mai 2022, la Cour des comptes avait souligné que l'ATE avait perdu 14 % de ses effectifs en l'espace d'une dizaine d'années, ce qui représente environ 2 500 équivalents temps plein (ETP). Elle avait également pointé, dans les préfectures et les directions départementales interministérielles (DDI), une baisse disproportionnée des effectifs par rapport aux autres missions du ministère de l'intérieur. Cette suppression d'effectifs en préfectures avait été jugée irréaliste par la Cour, qui a également jugé que les schémas d'emplois postérieurs à 2018 avaient mis à mal le renforcement des missions prioritaires des préfectures.

Dans le rapport d'information qu'Agnès Canayer et moi-même avons produit sur le sujet de l'ATE, nous avons indiqué que les effectifs des DDI ont chuté de 36 % en l'espace de dix ans, tandis que ceux des préfectures et des sous-préfectures ont diminué de plus de 10 %. Seules trois préfectures ont vu leurs effectifs augmenter sur le même laps de temps, quand 35 préfectures ont perdu au moins 59 ETP ; seules cinq sous-préfectures ont enregistré une hausse des effectifs, alors que 59 d'entre elles ont connu une baisse d'effectifs comprise entre 10 ETP et 20 ETP.

De la même manière, notre collègue Isabelle Briquet, dans son rapport d'information de 2022 consacré aux secrétariats généraux communs, avait souligné que la réforme avait engendré « une perte de compétences importante », et que certains agents avaient fait le choix de ne pas suivre leur poste. Pourtant essentielle au sein de l'administration territoriale, l'expertise - comme l'expérience - s'étiole.

Comme vous l'avez relevé, madame la rapporteure, une lente remontée des effectifs est à l'oeuvre, mais cette dernière n'est absolument pas en phase avec le discours du « réarmement » porté par le Gouvernement. Ainsi, 232 ETP supplémentaires sont annoncés, dont 110 pour les préfectures et les sous-préfectures, dans des secteurs dits prioritaires ; 77 emplois nouveaux d'experts de haut niveau pour accompagner le corps préfectoral dans la mise en oeuvre des politiques publiques ; et 45 emplois supplémentaires au sein de plateformes régionales des ressources humaines. Il s'agit peut-être d'une « hausse inédite », comme le Gouvernement la qualifie, mais, à ce rythme, il faudrait vingt-deux ans pour retrouver les effectifs de 2012, ce qui reste assez problématique.

Vous avez également mis en exergue les difficultés en matière de délivrance des titres. Nous ne pouvons que constater avec vous l'existence d'un décalage entre l'affichage initial de la mission et la réalité au sein des différents programmes.

Nous vous suivrons donc en exprimant un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission, qui ne sont absolument pas alignés avec la volonté affirmée du Gouvernement. Cette dernière nous semble être, en l'espèce, en trompe-l'oeil.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - La volonté de remettre de l'humain dans les préfectures et les sous-préfectures existe, mais nous sommes encore loin du compte à l'heure où les collectivités territoriales ont besoin d'un accompagnement de plus en plus important, qu'il s'agisse du fonds vert ou du programme Villages d'avenir.

Concernant les titres sécurisés, un nouvel appel d'air risque de se produire sur les cartes d'identité et je crains que la délivrance des titres ne reste complexe en 2024.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Justice » - Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » - Examen du rapport pour avis

Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Le programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) représente 9,4 % des crédits de la mission « Justice » inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Il est doté de 1,160 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1,125 milliard d'euros en crédits de paiement (CP), soit une relative stabilité après l'augmentation de l'ordre de 10 % qui avait marqué l'année 2023. Hors compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, ces crédits s'élèvent à 950 millions d'euros et sont en hausse de 28 millions d'euros, ce qui représente une hausse de 3 % par rapport à 2023.

Les crédits alloués au programme se décomposent, comme les années passées, en trois actions : l'action nº 01 « Mise en oeuvre des décisions judiciaires », qui concentre 84,4 % des crédits du programme ; l'action n° 03 « Soutien », qui représente 11,7 % des crédits, correspond au financement de la fonction de pilotage, de gestion, d'animation et de coordination assumée à titre principal par l'administration centrale de la PJJ ; l'action n° 04 « Formation », enfin, regroupe les crédits de l'École nationale de la PJJ et représente 3,9 % des crédits du programme.

Dans le prolongement de l'important travail accompli par Maryse Carrère au cours de ses avis budgétaires successifs sur la PJJ entre 2018 et 2022, je propose de concentrer ce rapport sur quatre défis majeurs : le programme de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) d'ici à 2027 ; l'enjeu de l'ouverture de la PJJ sur l'extérieur ; les enjeux liés à l'attractivité des métiers de la PJJ ; enfin, la mise en oeuvre fastidieuse de l'applicatif PARCOURS.

Je tiens à accorder une attention particulière aux CEF, dans le prolongement des avis budgétaires de Maryse Carrère et du rapport « Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive » rendu public en 2022 et établi par la mission d'information que j'avais conduite aux côtés de Muriel Jourda, Bernard Fialaire et Céline Boulay-Espéronnier.

Le plan de construction de ces 20 CEF concerne 15 centres associatifs et 5 centres publics ; trois ont déjà été ouverts à Bergerac en Dordogne, à Épernay dans la Marne et à Saint-Nazaire en Loire-Atlantique, permettant de porter le parc de CEF à 54 établissements, dont 36 sont gérés par le secteur associatif habilité (SAH) et 18 par le secteur public.

Le récent rapport de la Cour des comptes et nos auditions mettent en évidence trois difficultés. La première tient à la sous-utilisation des centres existants, dont le taux d'occupation s'établissait en 2022 à 68 %, alors que le taux « cible » était de 85 %.

La seconde découle des différences de coût entre les CEF publics et les CEF associatifs, le coût des CEF du SAH se situant nettement en deçà de celui des CEF publics. Cet écart n'a d'ailleurs pas été expliqué, la Cour des comptes demandant une évaluation sur ce point.

La troisième difficulté - et peut-être la principale - tient à l'impact de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) depuis 2021, qui a induit une baisse de la durée des placements : celle-ci s'est établie en moyenne à 4,1 mois en 2022, tandis que 82 % des placements ont duré moins de six mois. Or cette durée de six mois était précédemment la durée de référence du placement, à partir de laquelle était conçu un parcours décomposé en trois phases pour favoriser la réinsertion des mineurs et préparer leur sortie. Un problème de différentiel entre le temps éducatif et le temps judiciaire existe donc, et, si l'on peut se satisfaire de la diminution du temps judiciaire, le temps éducatif devrait être adapté en conséquence, ce qui n'est pas le cas.

Face à cette évolution, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a annoncé qu'elle engagerait, à la fin de l'année 2023, une actualisation du cahier des charges des CEF. Pour autant, on peut douter que cette initiative suffise à résoudre les dysfonctionnements constatés dans un contexte où, de l'aveu général, les placements sont désormais orientés par les échéances judiciaires et non par le projet éducatif proposé au mineur. C'est ce que nous avions souligné à l'occasion de la réforme du CJPM.

De fait, on peut s'interroger sur un possible « effet d'éviction » favorisant les CEF au détriment d'autres formes de placement, notamment les établissements à double habilitation civile et pénale, ou les alternatives au milieu fermé. La faiblesse du recours à la justice restaurative, qui est à la fois une alternative au milieu fermé, mais aussi un « module » ouvert en parallèle d'un placement en CEF ou en centre éducatif renforcé (CER), en fournit un exemple : alors que 27 millions d'euros avaient été prévus par le PLF pour 2021, seuls 13 millions d'euros sont aujourd'hui affectés à la justice restaurative. Il existe là une incohérence et une contradiction par rapport à ce qui avait été annoncé.

Nous appelons le Gouvernement à prendre toute la mesure de cette situation et à suivre les judicieuses recommandations de la Cour des comptes, en reconnaissant l'impérieuse nécessité, « avant de lancer de nouveaux projets de CEF au-delà de ceux déjà engagés, d'établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l'offre existante et la réalisation de schémas régionaux tenant compte des autres dispositifs de placement de la PJJ et intégrant les conséquences de la réforme de la justice pénale des mineurs ».

Il nous semble important de tenir compte de la nécessité d'inscrire les CEF dans une « palette » de réponses possibles et de ne pas se limiter à la logique actuelle, qui tend à faire des CEF une solution « par défaut », loin de leur philosophie initiale qui en faisait un élément parmi d'autres dans un arsenal plus large.

Le deuxième défi majeur a trait à l'ambition affichée depuis plusieurs années de l'ouverture de la PJJ sur l'extérieur avec la volonté de renforcer les partenariats entre la PJJ et les services d'autres ministères, qui est régulièrement réaffirmée, comme l'a encore fait le garde des sceaux hier en évoquant la relation avec le ministère des armées. Pour autant, cette volonté peine à se traduire par des actions concrètes.

S'agissant justement du ministère des armées, les actions mises en avant par le ministère de la justice se limitent à la participation de la DPJJ depuis 2016 à un organisme de réflexion et d'action « destiné à favoriser la connaissance entre les armées et les jeunes », à l'inscription depuis 2021 des mineurs détenus et pris en charge par la PJJ aux Journées défense et citoyenneté. De fait, aucune action particulière ne semble avoir été déployée au-delà d'un renforcement des dispositifs existants.

Un constat analogue peut être dressé s'agissant de l'objectif affiché par la PJJ de développer l'insertion par le sport. Bien qu'un plan d'action « PJJ jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et au-delà » ait été élaboré avec des actions à première vue innovantes, on peut déplorer que cette démarche ait été sous-dotée en moyens humains. Ceux-ci représentent en effet 3 équivalents temps plein travaillé (ETPT), auxquels s'ajoutent 4,5 ETPT d'éducateurs accordés par le ministère de la justice pour un « renforcement temporaire » en Île-de-France et dans les villes hôtes avant, pendant et après les Jeux. Je me suis amusée à regarder les offres d'emploi correspondantes, qui ne semblent pas avoir trouvé preneur alors que les jeux Olympiques approchent, ce qui soulève un certain nombre de questions.

Le troisième défi a trait aux ressources humaines et à l'amélioration de l'attractivité des métiers de la PJJ.

La PJJ consent d'importants efforts, depuis plusieurs années, pour renforcer l'attractivité des postes qu'elle offre à ses personnels, sur concours comme sur contrat. Mais les derniers concours de recrutement des éducateurs peinent à faire le plein, le niveau baisse et le recours important à la liste complémentaire trouve des limites.

En ce qui concerne les contractuels, la DPJJ a mis en place au cours de ces derniers mois des mesures visant à accroître l'attractivité de ses postes, mais le problème de l'insertion à terme de ces contractuels dans la fonction publique reste posé. Certes, la DPJJ a opéré une revalorisation des rémunérations, et lancé des campagnes d'information, mais celles-ci n'ont pas prouvé leur efficacité pour l'instant.

Une autre voie développée est celle de la mise en place de la réserve de la PJJ depuis un décret de juin 2023. Là encore intéressant sur le papier, le dispositif semble très limité avec seulement 10 contrats à 20 contrats signés, ce qui est très loin des objectifs fixés.

Le dernier point que j'évoquerai est celui de la mise en oeuvre aussi urgente que contrariée du logiciel PARCOURS.

Déjà étudié par Maryse Carrère à l'occasion de son avis sur le PLF pour 2023, l'applicatif PARCOURS doit permettre à terme d'assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ, un projet dont l'objectif est tout à fait louable, mais dont la mise en oeuvre reste balbutiante. Le total des dépenses engagées atteint déjà, pourtant, 10 millions d'euros, sans oublier le fait que le SAH, qui assure une part substantielle du suivi des jeunes, n'y est pas associé.

En conclusion, considérant que ce budget traduit une relative stabilité après l'augmentation de l'ordre de 10 % en 2023, et que nous sommes dans la continuité de la réforme du CJPM dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182, tout en recommandant de mettre en place les éléments d'une veille pour en suivre l'évolution, en particulier au regard des défis que j'ai tenté de mettre en exergue.

À la suite des préconisations de la Cour des comptes, il faudrait travailler sur les CEF et sur l'articulation entre le SAH et le secteur public.

M. Christophe Chaillou. - Parmi les quatre défis qui ont été soulignés, je souhaite insister sur la sous-utilisation des CEF, alors que les coûts qu'ils occasionnent sont importants, ainsi que sur les questionnements liés à l'entrée en vigueur du nouveau CJPM.

La pertinence des financements considérables accordés aux CEF peut en effet être débattue alors qu'ils sont utilisés par défaut et non dans le cadre d'un parcours éducatif et de réinsertion, d'autant qu'ils n'accueillaient que 455 jeunes fin 2022.

L'autre défi majeur a trait à l'attractivité des métiers, car nous avons besoin que des hommes et des femmes s'investissent dans ces structures. Même si des dispositions ont été prises, les difficultés liées à la rémunération subsistent. Plus fondamentalement, nous devrions nous pencher sur la reconnaissance et la valorisation de ces professions.

Au regard des signaux envoyés et des efforts fournis depuis l'an dernier, ces questionnements ne font cependant pas obstacle à un avis favorable de la commission.

M. Olivier Bitz. - La PJJ n'a pas été oubliée dans le cadre de l'augmentation des crédits du ministère de la justice intervenue ces dernières années. Je m'interroge néanmoins sur la répartition des crédits en son sein : si la PJJ se mobilise pour les nouveaux CEF, qui correspondent à un engagement pris par le Président de la République lors de la dernière campagne électorale, nous avons parfois tendance à oublier qu'elle est également chargée du suivi des mineurs dans les établissements pénitentiaires, qu'il s'agisse des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ou des quartiers pour mineurs. Si nous pouvons saluer le renforcement des moyens sur la prise en charge en milieu ouvert et en CEF, restons vigilants sur ce point, car le milieu pénitentiaire accueille les mineurs les plus en difficulté, qui ont justement un fort besoin d'accompagnement. L'évolution de cette mission particulière de la PJJ n'est guère lisible.

Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Vous avez raison de souligner que les CEF absorbent l'essentiel du budget. Dans le même temps, des problèmes de foncier sont à l'origine d'un report de l'ouverture de nouveaux CEF en 2025 au lieu de 2024. Par ailleurs, les EPM sont bien dotés, mais les quartiers pour mineurs le sont moins. C'est tout l'enjeu de l'univers carcéral qui sera évoqué dans l'avis « Administration pénitentiaire » que nous examinerons également dans la matinée.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Justice » - Programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice » - Examen du rapport pour avis

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis. - L'examen de ce projet de loi de finances (PLF) intervient dans un contexte quelque peu spécifique. Quelques semaines seulement après l'adoption de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) 2023-2027, cet exercice peut avoir un goût de déjà-vu !

De fait, nous ne pouvons que constater que les crédits ouverts pour ce PLF pour 2024 sont en augmentation et, surtout, conformes à la trajectoire que nous venons d'adopter dans le cadre de la LOPJ. Nous nous en félicitons et nous vous proposerons en conséquence d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits.

Cet avis favorable ne vaut pas, pour autant, quitus. En effet, c'est une chose de bénéficier de crédits en hausse ; c'en est une autre de les dépenser efficacement ! Nous nous sommes donc attachés à examiner d'éventuels gisements de performance pour le ministère de la justice, qui sont au demeurant bien connus de notre commission.

En premier lieu, nous souhaitons donc saluer la hausse des crédits proposés pour le ministère de la justice. Sur le périmètre de l'avis, cette hausse est de 4,37 % en autorisations d'engagement (AE) et de 8,66 % en crédits de paiement (CP). Plus encore, il en résulterait une légère croissance du budget alloué aux juridictions judiciaires, passant de 36 % en 2023 à 38 % en 2024 du total des crédits de la mission.

Si les prévisions budgétaires pour 2025 nous conduisent à tempérer ce constat - le programme 166 « Justice judiciaire » diminuant ainsi en 2025 de 1,08 % en volume -, le Gouvernement a, pour ce premier exercice postérieur à l'adoption de la loi de programmation, respecté l'engagement budgétaire pris devant le Parlement, et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis. - En deuxième lieu, nous souhaitons néanmoins attirer l'attention sur la performance de la dépense associée à cette hausse des crédits. Alors que les pouvoirs publics consentent un important - mais nécessaire - effort budgétaire au profit de la justice judiciaire, il convient de s'assurer que celui-ci porte les fruits attendus.

Or force est de constater que le ministère de la justice ne dispose pas en la matière des atouts les plus manifestes, notamment en raison d'une capacité budgétaire et statistique largement perfectible.

D'une part, nous avons constaté que la performance se dégrade sur certains indicateurs particulièrement critiques. Je pense en particulier à la dégradation tendancielle du délai moyen de traitement des procédures civiles hors procédures courtes. Alors que nos concitoyens reprochent souvent à la justice sa lenteur, un tel allongement est problématique.

D'autre part, l'ambition même du ministère de se doter d'une culture de la performance peut être interrogée, tant ses choix d'indicateurs laissent perplexes et sa culture statistique semble faire défaut. Estimez-vous normal, mes chers collègues, que nous ne puissions pas connaître le taux de cassation des décisions pénales rendues en appel, en raison du simple déploiement de Cassiopée au niveau des cours d'appel ? Comment expliquer que le taux de récidive ne prenne pas en compte la réitération, indicateur nettement plus fiable de l'échec du condamné à se réinsérer ?

Enfin, nous l'évoquons régulièrement, le budget de la justice souffre d'un déficit chronique d'exécution. À quoi sert que nous autorisions des crédits élevés s'ils ne sont pas consommés, au bénéfice des justiciables et des personnels en juridiction ? Nous sommes particulièrement inquiètes, à cet égard, de l'incapacité tendancielle du ministère à atteindre son plafond d'emplois, eu égard aux engagements ambitieux - et à nouveau nécessaires ! - que le Gouvernement a pris en matière de recrutement.

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis. - Cette alerte de portée générale étant faite sur l'ensemble du budget, nous avons approfondi trois points de vigilance plus spécifiques.

Le premier porte précisément sur le recrutement, dont la qualité et la répartition devront désormais faire l'objet d'un contrôle particulièrement sourcilleux de notre part.

S'agissant des magistrats, les prévisions de recrutement communiquées par la Chancellerie impliqueront un renforcement très significatif des capacités d'accueil de l'École nationale de la magistrature (ENM). L'École verrait ainsi ses effectifs renforcés en 2024 à hauteur de 33 équivalents temps plein (ETP) et un second site serait inauguré en 2024 pour accueillir les nouveaux auditeurs.

À cet égard, nous nous félicitons que l'attractivité de la fonction ait été renforcée par la revalorisation indemnitaire d'en moyenne 1 000 euros pour l'ensemble des magistrats, ce qui devrait faciliter l'atteinte des cibles de recrutement.

Si le nombre de recrutements ne doit donc pas constituer un problème majeur, nous appelons l'attention sur la répartition de ceux-ci. Les besoins sont inégaux sur le territoire, certaines juridictions comptant davantage de postes vacants que d'autres. Surtout, l'outil d'évaluation de la charge de travail des magistrats n'est toujours pas finalisé, malgré des travaux très avancés selon les organisations syndicales représentatives de magistrats. Il convient désormais de faire aboutir ce chantier au plus vite, pour objectiver les difficultés rencontrées par les magistrats en juridiction.

Nous sommes en revanche plus perplexes s'agissant des personnels de greffe. Notre visite de l'École nationale des greffes à Dijon a permis de constater que la création de 1 800 emplois de greffier pourrait, au prix d'un ajustement de son calendrier de formation, être absorbée par l'École. Nous souhaitons à cette occasion remercier chaleureusement la direction de l'établissement pour sa disponibilité et la qualité de nos échanges.

En revanche, malgré des mesures catégorielles particulièrement bienvenues, nous souhaitons vous alerter sur l'avenir de cette profession, à trois égards.

Tout d'abord, le recrutement en juridiction d'un nombre important de contractuels a pu conduire au sentiment d'une déstructuration des équipes. Alors que « l'équipe autour du magistrat », dont le greffe constitue, selon nous, une part essentielle, peine encore à se structurer, les personnels de greffe peuvent ressentir ce « millefeuille de professions » diverses, au statut parfois plus avantageux que le leur, comme une menace pour l'avenir de leur cadre et de leur profession.

Ensuite, la situation du corps spécifique des directeurs de greffe doit faire l'objet d'une attention particulière. De petite taille, ce corps pourrait se voir concurrencer, notamment par la création d'un corps de débouché de carrière de catégorie A pour les greffiers, dotés à ce titre de missions d'encadrement.

Enfin, nous appelons à une réflexion prospective sur l'impact de l'intelligence artificielle générative sur les tâches des personnels de greffe, dont certaines pourraient de ce fait devenir automatisables à brève échéance.

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis. - Nos deux derniers points de vigilance sont bien connus de notre commission et concernent le numérique et l'immobilier.

En matière numérique, malgré une hausse des crédits dévolus à ce poste de dépense, nous appelons à une nécessaire priorisation des objectifs, au nombre de neuf, du plan de transformation numérique. Leur nombre et leur diversité ne doivent pas nuire à la poursuite de chantiers essentiels tels que la mise en service ou la refonte d'applicatifs, dont Portalis, la procédure pénale numérique (PPN) et Cassiopée. Je note d'ailleurs que le ministre m'a répondu, lors de son audition par notre commission le 28 novembre dernier, sur Portalis, mais pas au sujet de Cassiopée. L'objectif « zéro papier 2027 » paraît ainsi de second rang et sa pertinence gagnerait à être interrogée.

S'agissant de l'immobilier, nous avons constaté que l'immobilier judiciaire demeure une source de frustration pour les personnels. D'une part, le défaut d'anticipation de la Chancellerie est régulièrement souligné : l'exemple du nouveau palais de justice de Lille, décrit comme déjà sous-dimensionné alors qu'il n'a pas encore été livré, apparaît particulièrement préoccupant. D'autre part, l'inadaptation de certains projets pourrait être palliée par la meilleure association des personnels concernés en amont. Enfin, la réhabilitation de l'immobilier judiciaire est encore très attendue par les personnels en juridiction et une stratégie cohérente en matière de rénovation thermique nous paraît encore à construire.

Au bénéfice de ces observations, et malgré les quelques réserves ici exprimées, nous vous proposons donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - À l'instar des rapporteurs, nous émettrons un avis favorable sur les crédits de ces programmes.

Nous nous livrons à un exercice paradoxal ce matin : depuis plusieurs années, le garde des sceaux nous annonce à chaque occasion que l'augmentation du budget de la justice est historique. Si nous y avions vu une forme d'autocongratulation la première année, force est de constater que le propos reflète la réalité d'une augmentation absolument considérable du budget de la justice. Attendue, cette hausse est aussi bienvenue qu'inespérée.

Reste à savoir si ces moyens supplémentaires remédieront aux nombreux problèmes existants. Nous partageons les points de vigilance et d'exigence soulevées par les rapporteurs. Comme l'ont montré les auditions auxquelles j'ai pu assister, de nombreux postes sont ouverts, mais sans la certitude de pouvoir procéder à un nombre suffisant de recrutements, de greffiers par exemple. Espérons que les revalorisations annoncées permettent de répondre à ces inquiétudes.

De la même manière, l'évaluation de la charge de travail des magistrats reste un serpent de mer, tandis qu'en matière informatique, sujet que je sais cherà Dominique Vérien, des problèmes demeurent : les systèmes ne sont pas interconnectables et les matériels disponibles dans les bureaux ne sont parfois pas en état de fonctionner.

Enfin, le déséquilibre de la structure budgétaire reste problématique, car l'administration pénitentiaire concentre la plus grande partie des crédits. Plus globalement, mes échanges avec le garde des sceaux m'ont inquiétée, tant il semble totalement démuni - réellement ou non - face à l'enjeu de la surpopulation carcérale.

Malgré ces points de vigilance, notre avis sera donc favorable.

M. François-Noël Buffet, président. - Cette augmentation du budget du ministère de la justice, à l'oeuvre depuis plusieurs années, était nécessaire, car ce ministère régalien doit être doté de moyens à la hauteur de ses missions.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 166 « Justice judiciaire » et du programme 101 « Accès au droit et à la justice » de la mission « Justice ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Justice » - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Nous poursuivons l'examen des crédits de la mission « Justice » en abordant le programme 107 consacré à l'administration pénitentiaire.

En 2024, les crédits dépassent 5 milliards d'euros, ce qui est un seuil historique. Par rapport à 2023, les crédits augmentent de 1,5 %. L'augmentation doit cependant être relativisée, car elle résulte d'une moyenne entre une augmentation de près de 5 % des crédits de personnels et une baisse de 4,5 % des autres crédits. Si l'on ne prenait pas en compte les dépenses relatives aux pensions, l'augmentation du budget de l'administration pénitentiaire ne serait donc que de 0,8 % en 2024. De plus, l'augmentation des crédits de l'administration pénitentiaire doit être comparée aux 5,3 % d'augmentation du budget de la mission « Justice » dans son ensemble pour 2024.

Depuis 2018, le taux de croissance des budgets de l'administration pénitentiaire n'avait jamais été inférieur à 5 % et a même été supérieur à 7 % depuis 2020. La croissance des budgets marque donc le pas, mais ces derniers se stabilisent à un niveau élevé, comme l'indique le Gouvernement.

Ces moyens supplémentaires massifs sont nécessaires et servent depuis plusieurs années à mettre en place d'indispensables politiques de construction, de réhabilitation, de recrutement et de revalorisation des salaires. C'est le coeur du budget, j'y reviendrai.

Pour autant, je constate, à l'issue de mon premier exercice en tant que rapporteur pour avis, que ces moyens, et les politiques qu'ils financent, n'ont pas encore produit leurs effets dans un contexte particulièrement dégradé du fait de la surpopulation carcérale et de la perte de sens des métiers de l'administration pénitentiaire.

J'ai ainsi été frappé du consensus qui existe parmi les organisations syndicales, pourtant très divisées sur l'avenir de la profession, sur le fait que le métier de surveillant de prison n'est pas un métier que l'on exerce par vocation, mais seuls la rémunération et le statut permettaient encore d'espérer recruter, voire de conserver les effectifs existants.

J'aborderai trois points : le plan 15 000 places, ou « plan prisons », l'attractivité des métiers et enfin la surpopulation carcérale, qui conditionne tout le reste.

Les crédits relevant du programme 107 soutiennent au premier chef le plan Prisons. Contrairement aux années précédentes, en 2024, le budget de construction des 15 000 places de prison n'augmente pas. Cela tient au fait que, entre octobre 2023 et la fin de l'année 2024, 13 nouveaux établissements pénitentiaires devraient ouvrir leurs portes, marquant la fin de la première phase de construction des 15 000 nouvelles places.

L'administration pénitentiaire prévoit que les travaux du « plan 8 000 » - c'est-à-dire la deuxième phase du plan précité - s'engageront à partir de 2025.

Le directeur général de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), que j'ai auditionné dans le cadre de ce rapport, m'a indiqué que le garde des sceaux lui avait donné pour objectif une ouverture de l'ensemble des établissements en 2027.

Ce volontarisme politique, qui permet de maintenir l'impulsion initiale du projet, fait cependant face à des difficultés très concrètes qui rendent, à mon sens, plus crédible l'objectif de parvenir à des établissements en voie de finalisation en 2027.

En effet, je rappelle que si toutes les emprises foncières ont été trouvées, c'est-à-dire identifiées par les préfets pour l'implantation des nouveaux établissements prévus, les négociations avec les collectivités sont en cours, et s'avèrent pour certaines très difficiles.

Le directeur général de l'APIJ a d'ailleurs indiqué que, pour la construction d'une prison, ces négociations prenaient un tiers du temps, l'octroi des différentes autorisations administratives le deuxième tiers, et la construction et la livraison le dernier tiers. Sachant que la durée de totale de construction d'une prison varie de six à huit ans et que nous sommes fin 2023, chacun pourra faire le décompte des prisons qui seront effectivement livrées le moment venu.

Ensuite, le budget pour 2024 met en place un certain nombre de mesures devant maintenir l'attractivité des métiers de la pénitentiaire et permettre le recrutement de nouveaux personnels, des créations de postes étant également prévues. Ainsi, les mesures d'amélioration catégorielle pour les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire doivent doubler par rapport à 2023, pour atteindre 68,5 millions d'euros.

Il s'agit là de l'aboutissement d'une importante réforme statutaire, notamment permise par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) 2023-2027, qui repose, pour l'essentiel, sur le passage des surveillants pénitentiaires en catégorie B et des officiers en catégorie A. Très attendue, cette réforme intervient dans un contexte de fortes difficultés de recrutement et d'une dégradation des conditions de travail liée à la surpopulation carcérale.

La possibilité de recruter des surveillants adjoints, ouverte par la LOPJ, est une tentative de reproduire pour l'administration pénitentiaire les mécanismes de recrutement mis en place pour les forces de sécurité intérieure, particulièrement pour la police.

Enfin, je souhaiterais aborder un phénomène qui sous-tend le budget 2024 comme les précédents : l'augmentation de la population carcérale, qui a pour effet de dégrader les conditions de travail du personnel ainsi que les conditions de détention.

Vous connaissez les chiffres de cette hausse : après la forte baisse observée en 2020, en raison de la crise sanitaire, la population carcérale est repartie à la hausse et, en mars dernier, le seuil historique des 74 000 personnes détenues a été franchi, nombre en dessous duquel nous ne sommes jamais redescendus.

Cette situation est appelée à durer. Le taux de surpopulation carcérale prévu par le Gouvernement sera supérieur à 140 % jusqu'en 2026 et le principe de l'encellulement individuel a été reporté par la dernière loi de finances jusqu'en 2027. Voilà la réalité.

Je connais les importants débats qui ont déjà eu lieu au sein de notre commission sur les moyens de remédier à la surpopulation carcérale. Dans le cadre étroit d'un avis budgétaire et à la suite des auditions que j'ai menées, je souhaiterais simplement dresser quelques constats sur ce sujet.

Premièrement, il est évident que le plan 15 000 places ne sera pas la seule solution à la surpopulation carcérale. Ce plan, nécessaire et utile, doit être mis en oeuvre, mais il a d'abord pour finalité de remédier à la vétusté des établissements actuels, en déplaçant les prisonniers pour réhabiliter ou détruire et reconstruire les établissements existants, cela étant particulièrement urgent et indispensable pour l'Île-de-France.

L'objectif de réduction de la surpopulation carcérale ne pourra donc pas être atteint dans le cadre d'une logique purement bâtimentaire, le rattrapage du retard n'étant simplement pas possible.

Deuxièmement, les alternatives à la prison ne jouent pas leur rôle : elles ne se substituent pas à la prison, mais sont réservées aujourd'hui à un autre type de population.

J'ai pu entendre deux membres de la Cour des comptes, auteures d'un rapport paru en octobre dernier sur la surpopulation carcérale. Elles ont clairement établi que la courbe de l'incarcération et celle des alternatives à la prison se développaient de manière parallèle, sans jamais que l'une n'ait une influence sur l'autre, alors qu'elles devraient, en toute logique, se rapprocher. Ces alternatives ne viennent donc pas, aujourd'hui, réduire la population carcérale.

Troisièmement, les mécanismes automatiques de sortie de prison ne sont pas pleinement satisfaisants, car ils font peser sur les services pénitentiaires une contrainte guidée par les chiffres, au détriment des projets de réinsertion.

S'il est trop tôt pour faire le bilan de la libération sous contrainte voulue par le garde des sceaux, le constat fait par les syndicats et les services pénitentiaires d'insertion et de probation est d'abord celui d'une embolie des greffes pénitentiaires pour gérer cette mesure, qui repose finalement sur le seul critère que le détenu dispose d'un logement.

Quatrièmement, la surpopulation carcérale provient d'un déficit chronique de lieux d'accueil et de traitement dédiés aux troubles mentaux. Les moyens mis sur la psychiatrie en prison sont notoirement insuffisants.

Cinquièmement, la surpopulation carcérale provient également d'un durcissement de la réponse pénale et de l'augmentation de la durée moyenne des peines. Ce point dépasse le cadre de mon rapport, mais doit conduire notre commission à s'interroger sur la politique pénale, sur la manière dont elle est définie et sur ses objectifs.

Enfin - c'est le point le plus grave, à mon sens -, la surpopulation carcérale pèse sur les perspectives de réinsertion des détenus. Je m'inscris dans la lignée des rapports d'Alain Marc pour noter la faiblesse de la culture d'évaluation en la matière et, en règle générale, le manque de données permettant de mesurer l'efficacité de nos politiques de lutte contre la récidive.

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté m'a fait part de l'exemple allemand : dans ce pays, 70 % des détenus travaillent, contre 28 % en France. Or la surpopulation carcérale empêche l'accès au travail et à toutes les activités, et détourne même de leur vocation les dispositifs de réinsertion comme les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), dont la Contrôleure générale a indiqué qu'elles sont actuellement occupées par des détenus qui ne sont pas du tout proches de la sortie, à la seule fin de soulager les maisons d'arrêt. Les instruments de réinsertion sont donc dévoyés.

Dans cette perspective, les moyens liés à l'insertion et à la probation paraissent encore insuffisants, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) étant les enfants pauvres de ce budget pour 2024.

Pour autant, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire ». En effet, en dépit des difficultés qu'il me paraissait utile de souligner, nous pouvons saluer l'effort important réalisé pour les personnels et la volonté de développer les mécanismes de réinsertion, même si celle-ci ne s'est pas encore suffisamment concrétisée. Nous restons cependant conscients de l'important chemin qu'il reste à parcourir pour garantir que la peine ait un sens et que les objectifs de lutte contre la récidive et de promotion de la réinsertion soient atteints.

Mme Laurence Harribey. - Merci au rapporteur pour ce travail édifiant et cette analyse fine qui a bien identifié les problèmes, comme l'a aussi fait la Cour des comptes, autre source particulièrement pertinente. Avec 74 000 détenus, nous avons en effet atteint un record historique. Une fois que les prisons promises auront été construites et ouvertes, le taux de surpopulation carcérale s'établira encore à 140 %.

Le cas de la Gironde illustre bien le phénomène : outre l'établissement de Gradignan, déjà occupé à 240 %, la nouvelle prison qui ouvrira cette année ou l'année prochaine sera déjà occupée à 140 % ou 150 %.

Par ailleurs, je souscris complètement à votre remarque relative à l'évaluation. Les analystes de politiques publiques ont coutume de dire qu'une politique publique se perd non pas en voulant répondre à un problème, mais en cherchant à refléter la manière dont l'opinion publique perçoit un problème. Aujourd'hui, cette perception consiste à affirmer qu'il faut enfermer tous les délinquants, et tout discours qui s'en écarte est inaudible.

Il n'en reste pas moins que vouloir enfermer à tout prix toutes les catégories de délinquants, en plaçant côte à côte les primodélinquants, les délinquants plus endurcis et ceux touchés par des troubles psychiatriques, n'aboutit qu'à fabriquer de la récidive. Nous avons été un certain nombre à participer à des missions d'information, ce qui nous a permis de constater que la question de la récidive n'est absolument pas traitée. Nous pourrions tirer d'utiles enseignements des expériences du Québec ou de l'Allemagne.

Cette situation nous conduit à nous interroger sur le sens de notre politique pénale et sur la place qu'y occupe l'incarcération. Nous sommes prêts à accompagner le président de la commission afin que le Sénat porte des propositions dans ce domaine : nous en avons le temps et la volonté. L'audition du garde des sceaux a laissé apparaître une obsession pour la construction et l'enfermement, même si ses réponses ont aussi souligné la complexité de la question. Nous sommes à la croisée des chemins, d'autant que la question carcérale renvoie à de lourds enjeux politiques : nous ne pouvons pas prendre le risque de mener une politique qui ne répondrait pas aux attentes de nos concitoyens. Prenons le rapport au mot et travaillons dans cette direction.

Mme Nathalie Delattre. - Je partage également les conclusions de ce rapport de grande qualité et m'associe à la volonté de Laurence Harribey de dépasser ce travail afin de bâtir des propositions plus audacieuses.

Face à ce triste record de surpopulation carcérale, nous plaçons notre espérance dans les livraisons de nouveaux bâtiments, même si les propos du ministre de la justice suscitent des inquiétudes. S'il paraît tout à fait sincère lorsqu'il se dit très préoccupé par la situation, il semble dans le même temps démuni. Ainsi, lorsque j'ai évoqué le cas de Gradignan et du nouveau bâtiment qui comptera 602 places alors que 840 personnes sont détenues, je n'ai obtenu que peu de réponses. Certes, le taux de surpopulation carcérale diminuera, mais, en pratique, outre l'utilisation de lits doubles dans les cellules, nous savons sera déjà que des matelas seront à nouveau installés à même le sol, ce qui est inacceptable.

Le ministre a été par ailleurs peu disert sur l'acquisition de nouveaux matériels, source de motivation qui doit accompagner la revalorisation des émoluments. Pour prendre l'exemple des drones, ces engins sont utilisés à Gradignan pour des livraisons expresses de drogue, d'armes blanches, et peut-être demain d'armes à feu. Il est nécessaire que notre personnel en soit aussi muni, ainsi que de caméras-piétons et de pistolets à impulsions électriques face aux tensions liées à la suroccupation des cellules.

Concernant le foncier, il est certain que peu de communes considèrent l'arrivée d'un établissement pénitentiaire d'un bon oeil, ce qui semble logique compte tenu des problématiques de sécurité qui se posent autour des prisons, notamment en zone urbaine : les riverains sont excédés et les maires savent d'avance qu'ils feront face à de nombreuses difficultés.

Enfin, au sujet de la psychiatrie, qui me tient particulièrement à coeur, la France compte 1 % de schizophrènes, mais la population carcérale en dénombre plus de 7 %, sans qu'aucune obligation de soin n'existe. Ces détenus n'ont rien à faire en prison et devraient aller dans des établissements spécialisés tels que celui de Cadillac, dont certains services sont d'ailleurs menacés de fermeture.

Au-delà des amendements que nous pourrions présenter dans le cadre de cette mission, il est indispensable d'établir un lien avec la commission des affaires sociales pour se joindre à la construction d'un plan dédié à la psychiatrie en milieu carcéral. En l'état, les personnes détenues et souffrant de troubles psychiatriques ressortiront sans avoir été soignées, ou du moins sans suivi, ce qui est très préoccupant pour eux et pour la société.

M. Philippe Bas. - Les enjeux de la politique pénitentiaire ont été parfaitement décrits par le rapporteur. Nous parlons soit de sous-capacité carcérale soit de surpopulation carcérale. Si les deux notions sont symétriques, l'intention qui les sous-tend n'est pas la même. La question quantitative, réelle, ne saurait être escamotée, mais est loin de résumer les enjeux de la politique pénitentiaire.

Vous avez, je crois, fait crédit au Gouvernement de son volontarisme en la matière, mais je ne partage pas cet avis. En 2017, le Président de la République avait annoncé la création de 16 000 places pour son premier mandat : on peut dire que c'était impossible, mais on ne peut pas dire qu'il ne les avait pas promises.

S'il s'agissait de volontarisme, la politique pénitentiaire aurait pris exemple sur le chantier de Notre-Dame-de-Paris ou sur les jeux Olympiques, en modifiant les règles d'urbanisme pour aller plus vite. Or rien de tel n'a été fait pour les prisons, d'où un bilan des cinq dernières années très mauvais, avec un peu plus de 2 000 places ouvertes, venant compenser certaines fermetures. J'ajoute que la construction de ces places a été lancée avant 2017.

J'apporte ces précisions par souci d'exactitude, non pas pour faire des reproches aux deux ministres de la justice et aux gouvernements qui se sont succédé depuis 2017. Il est inexact de parler de volontarisme alors que nous n'avons pas réellement pris le problème à bras-le-corps.

Par ailleurs, nous n'avons pas suffisamment réfléchi à l'élargissement de la palette des solutions d'enfermement. En fin de détention, les risques d'évasion sont ainsi plus faibles, ce qui devrait nous inciter à diversifier nos modèles de prisons.

La capacité carcérale reflète l'évolution de la délinquance et des réponses apportées. Vous avez justement souligné que l'allongement et l'aggravation des peines ne représentent pas une solution convaincante à la surpopulation, au même titre que les peines alternatives.

Concernant l'utilité de la peine et son découpage en plusieurs phases afin de préparer une éventuelle réinsertion et de prévenir la récidive, les questions de l'accès à la formation, au travail et à la santé pendant la durée de la détention sont déterminantes. Au fond, la question n'est pas tant de savoir si un délinquant ou un criminel passera cinq ou sept ans ou en prison, mais de savoir ce qu'il fera à sa sortie. La peine sert non seulement à punir, mais également à donner des chances de réinsertion ultérieure aux individus condamnés.

Il me semble qu'il s'agit de l'enjeu majeur auquel nous faisons face, et que nous avons fort à faire pour convaincre nos concitoyens que la véritable protection réside non pas dans la longueur de l'enfermement, mais dans la qualité de la sortie. Le Sénat a son rôle à jouer afin de forger des solutions équilibrées.

M. Alain Marc. - Je félicite à mon tour le rapporteur pour la qualité de ses analyses. Pour avoir été moi-même rapporteur sur ces crédits, je crains que plus personne ne se soucie des prisons une fois l'examen du projet de loi de finances passé, qu'il s'agisse de la réinsertion ou de la maladie mentale des détenus.

Je rejoins l'avis de mes collègues Laurence Harribey et Nathalie Delattre : il me semble que nous pourrions engager, au sujet des prisons, un travail plus approfondi et dans la durée, à la différence du ministre, qui est confronté à l'urgence des situations. Nous nous honorerions à proposer des solutions qui nous permettraient, à l'occasion du prochain PLF, de guider les choix du Gouvernement, en matière de construction de prisons ou de santé mentale des détenus, en dépassant ainsi le stade du simple constat.

M. André Reichardt. - Nous sortons d'un débat sur l'immigration et l'intégration, au cours duquel les infractions commises par des immigrés irréguliers ont été évoquées. Avez-vous travaillé sur ce point précis ? Disposez-vous, notamment, de chiffres concernant les détenus en situation irrégulière ? Peut-on en tirer des conclusions sur le plan de la surpopulation carcérale ?

M. Olivier Bitz. - Je formulerai une observation, dans le cadre de ce débat budgétaire, sur l'efficience de l'utilisation de l'argent public, notamment au niveau des maisons d'arrêt, dans lesquelles les mesures de sécurité nécessitent un certain nombre d'agents pénitentiaires et induisent des coûts élevés.

Nous gagnerions à engager une réflexion sur la différenciation des régimes de détention : des détenus condamnés pour des infractions routières ne posent ainsi aucune difficulté de sécurité en détention. Si l'on souhaite optimiser la dépense en milieu pénitentiaire, cette réflexion est incontournable. Un mouvement avait été lancé quelques années plus tôt avec le module Respecto, qui confie une forte autonomie aux personnes détenues. J'estime que les efforts à fournir dans ce domaine restent nombreux dans les maisons d'arrêt.

Mme Marie Mercier. - Je partage les propos de Laurence Harribey au sujet de l'opinion publique. Gardons-nous du prêt-à-penser, car il est très facile de dire qu'il faut enfermer tout le monde et construire des prisons sans avoir évalué leur efficacité. Je souhaite d'ailleurs remercier les éducateurs, les assistants sociaux et tous les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), dont l'implication extraordinaire au service de la réinsertion devrait nous conduire à nous appuyer davantage sur leurs retours d'expérience.

Dans la majorité des cas, lorsque la prison ne fonctionne pas, il faut proposer autre chose aux détenus afin de les revaloriser. Interrogeons-nous sur les moyens d'éviter la récidive de personnes qui ont payé leur dette à la société.

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Madame Harribey, les membres de la Cour des comptes que j'ai rencontrées préparent un deuxième rapport, qui développera les hypothèses de leur première publication, les résultats les ayant elles-mêmes surprises. Il faudra suivre ces travaux, sachant qu'elles sont prêtes à venir nous les présenter.

Pour ce qui concerne l'évaluation, les personnels des Spip demandent à être associés à l'évolution des indicateurs, car ceux qui sont retenus ne reflètent absolument pas la réalité.

Madame Delattre, 5,8 millions d'euros sont consacrés à ce stade à la sécurisation des établissements et à lutte anti-drones, un montant limité qui traduit néanmoins une prise de conscience.

Monsieur Bas, vous avez évoqué comme Olivier Bitz l'élargissement de la palette des solutions d'enfermement. En réalité, la différenciation est l'une des clés du problème, les personnels ayant souvent évoqué une spécialisation des prisons en fonction du profil des détenus. Parallèlement, des pesanteurs existent du côté des syndicats, qui veulent que l'APIJ construise un certain type de prisons.

Il faut dépasser ces contradictions et aller vers la différenciation des établissements et des manières de traiter les détenus, ce qui permettrait d'ailleurs de réaliser des économies dans certains endroits et de réaffecter les moyens ailleurs.

Monsieur Marc, la commission des lois pourrait en effet conduire un travail de fond sur la politique pénale, les interrogations étant nombreuses.

Monsieur Reichardt, nous ne disposons pas de chiffres sur le nombre d'étrangers en situation irrégulière dans les prisons, hormis le fait qu'ils sont davantage incarcérés en l'absence de peines alternatives. À ce sujet, j'ai demandé aux syndicats s'ils préféraient des quartiers spécialisés dans les maisons d'arrêt ou des maisons d'arrêt spécialisées : ils plébiscitent la seconde option.

Madame Mercier, vous avez tout à fait de raison de souligner que la sortie de prison est l'enjeu le plus important, bien qu'il disparaisse du débat aujourd'hui. Le rapport a été abordé dans un premier temps au seul prisme du bâtimentaire, mais il est très vite apparu que des places supplémentaires de prison ne régleront pas les problèmes.

La seule solution viable réside, me semble-t-il, dans une véritable politique pénale qui se donne pour objectif de réduire la surpopulation carcérale. Certains établissements n'ont jamais reçu la visite de magistrats, ce qui illustre une partie de la problématique.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous avons un problème de continuum : la police fait au mieux, la justice est peu à peu remise à niveau, mais nous oublions toujours l'échelon pénitentiaire, la plus importante sur le plan budgétaire. Je crois que notre système pénal pèche au niveau de l'exécution des peines : en réalité, toutes les peines sont exécutées, mais elles le sont dans délais extrêmement variables, et parfois bien trop tardivement.

Par ailleurs, nous devons aussi diversifier les lieux privatifs de liberté et n'utilisons pas suffisamment, en particulier, la semi-liberté : une série d'infractions et des personnalités ne nécessitent pas un placement dans un endroit bardé de portes et de surveillants, mais simplement un lieu privatif de liberté permettant d'exécuter la peine dans les conditions souhaitées par les tribunaux. Ce sujet est, selon moi, essentiel.

Je vous propose donc de mettre en place, en début d'année 2024, mission d'information dédiée aux modalités d'exécution des peines, afin de donner davantage de cohérence à l'ensemble.

Par ailleurs, la construction de lieux privatifs de liberté est toujours source de difficultés, puisque tous réclament des prisons, mais à la condition de ne pas les construire sur leur territoire. Peut-être faudra-t-il instaurer un système dérogatoire afin de réussir à construire.

J'ai pu visiter des centres d'incarcération en Allemagne : nous sommes à cent lieues de nos voisins, qui réfléchissent en amont à l'immobilier et au concept du lieu privatif de liberté. En outre, les détenus travaillent le plus souvent, à la différence d'établissements français tels que celui de Gradignan.

Tous ces sujets doivent être expertisés de manière large, sans quoi nous ne dépasserons pas le stade des déclarations de principe.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'allais faire la même suggestion. Un débat très intéressant a émergé, dépassant le seul cadre budgétaire, nos positions n'étant pas nécessairement si éloignées sur ce sujet.

Mme Dominique Vérien. - L'Espagne pourrait être un cas d'étude intéressant, de nombreux responsables ayant expérimenté eux-mêmes la prison sous le franquisme avant d'avoir à traiter de la justice dans leur pays.

Mme Patricia Schillinger. - Je vous invite à venir visiter le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, ouvert récemment et déjà suroccupé. J'ajoute que la population carcérale a changé, avec de nombreuses personnes originaires d'Europe de l'Est et des dossiers impliquant des comportements plus violents. En outre, la construction de la prison de Mulhouse-Lutterbach a été l'objet d'un conflit avec les élus locaux, ce qui en fait un cas d'étude intéressant.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

La réunion est close à 10 h 55.

Jeudi 30 novembre 2023

- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 heures 30.

Mission d'information sur l'application de la loi du 19 mars 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions - Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police, préfet de la zone de défense et de sécurité de Paris

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous procédons aujourd'hui à l'audition de Laurent Nuñez, préfet de police, préfet de la zone de défense et de sécurité de Paris, dans le cadre de la mission d'information sur l'application de la loi du 19 mars 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions.

Je rappelle que la commission des lois a nommé comme rapporteurs Agnès Canayer et Marie-Pierre de La Gontrie. Je vous prie d'excuser l'absence du président François-Noël Buffet, retenu dans sa circonscription.

Monsieur le préfet, si nous vous entendons aujourd'hui devant la commission des lois, c'est qu'il nous a paru important d'avoir des précisions sur la manière dont s'organisera la circulation dans Paris et dans la zone dont vous aurez la charge pendant les jeux Olympiques.

Votre entretien accordé au journal Le Parisien a suscité un certain nombre d'interrogations sur les modalités des restrictions à la circulation et leur base légale. La multiplication et l'imbrication des dispositifs de sécurité ont pu, par le passé, poser question tant du point de vue légal que du point de vue opérationnel - nous avons tous en tête le raté de la finale de la Champions League au Stade de France.

Je vous propose donc de faire une présentation des dispositifs prévus ; puis nos rapporteurs pourront vous poser des questions, ainsi que les sénateurs qui en feront la demande.

Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

M. Laurent Nuñez, préfet de police, préfet de la zone de défense et de sécurité de Paris. - L'audition portait à l'origine sur la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), mais je comprends que l'actualité la recentre sur la question des périmètres de sécurité et de circulation que j'ai présentés hier au journal Le Parisien. Avec la maire de Paris, le président du Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop), Tony Estanguet, et le maire de Saint-Denis - particulièrement concerné avec le village olympique, le Stade de France et la piscine olympique -, nous avons présenté ces périmètres applicables à l'ensemble de l'agglomération parisienne - Paris, la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine. La présentation de ces mêmes périmètres pour les sites situés en Seine-et-Marne et dans les Yvelines viendra dans un second temps.

À cette occasion, quatre périmètres de sécurité ont été présentés à nos concitoyens afin qu'ils en prennent connaissance le plus tôt possible. Ces périmètres et les règles qui les régiront ne sont pas définitifs. Ils le seront à l'issue d'une période de concertation qui vient de commencer : ce matin, j'ai reçu les opérateurs de réseaux - téléphonie, gaz, électricité - pour définir les conditions dans lesquelles ils pourront, ou non, accéder à ces périmètres. Nous entendrons les principaux acteurs des territoires, à commencer par les élus, évidemment, mais également les grands acteurs économiques, les professionnels du transport et du bâtiment, lesquels ont manifesté leurs inquiétudes. Je le dis d'emblée pour lever tout malentendu, cette consultation qui durera jusqu'à mi-janvier, donnera lieu à des arbitrages définitifs sur les règles applicables aux périmètres. En tant que préfet de police, il me revient de prendre les arrêtés nécessaires, les mesures de police administrative pour lesquelles je suis compétent pour toute l'Île-de-France pendant la période des jeux - des délégations aux préfets de département étant bien sûr toujours possibles.

Et en tout état de cause, les périmètres seront fixés un peu avant les jeux, qui seront certainement arrêtés par l'ensemble des préfets de l'Île-de-France sur une base que nous aurons communément arrêtée. Ce sont les principes dérogatoires qui ont suscité le débat.

Quatre périmètres ont donc été définis. Les cartes sont disponibles sur le site internet de la préfecture de Paris, ainsi que ceux du Cojop et de la ville de Paris.

Le premier périmètre est le périmètre « organisateur ». Il est très restreint, et entoure les sites des compétitions, le village olympique ou encore le lieu où se déroulera la cérémonie d'ouverture. Pour les courses cyclistes, le marathon, le triathlon, un périmètre de protection sera également établi. La gestion de ce périmètre est à la main complète du Cojop.

Le deuxième périmètre, dit « de protection », pris sur la base de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (loi dite « Silt »), est contrôlé par les forces de l'ordre pour éviter que des individus ne se rendent sur un site olympique, armé ou dans l'intention de commettre une action terroriste. Il nous permet de faire des contrôles aux entrées, et notamment des fouilles et palpations.

En général, ces deux périmètres se superposent, sauf cas particuliers, comme pour la cérémonie d'ouverture, où le périmètre de protection antiterroriste sera plus large que le périmètre « organisateur », qui comprendra la parade et les quais bas de la Seine.

Ces deux périmètres « organisateur » et « antiterroriste » régissent, de fait, l'accès des piétons, mais de manière tout à fait classique. Nous les pratiquons à chaque compétition, à l'occasion d'un match au Parc des Princes ou au Stade de France par exemple, ou dernièrement pendant la Coupe du monde de rugby.

Viennent ensuite les troisième et quatrième périmètres, dits « de circulation ». Il s'agit pour le premier d'un périmètre d'interdiction de circulation routière, afin de sécuriser les flux importants de piétons qui se rendent aux différents sites olympiques ou à la cérémonie d'ouverture. Ces zones de circulation déjà très denses, avec notamment le passage des véhicules du Cojop, des livreurs et des prestataires, présentent un risque important qu'une voiture bélier entre si l'on ne procédait pas à des contrôles. Ce périmètre est donc par principe un périmètre d'interdiction de circulation.

S'il est d'usage dans le cadre des manifestations à Paris et existait déjà pendant la Coupe du monde de rugby, dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques ce périmètre implique des durées d'interdiction bien plus longues que le temps d'un match ou d'une marche. C'est pourquoi nous avons prévu un grand nombre de dérogations.

Je précise que seule la circulation routière motorisée est concernée par cet interdit. Les piétons et les vélos peuvent évidemment circuler dans ces périmètres.

L'objectif est donc de réussir à concilier cet impératif de sécurité avec la contrainte que présente cette interdiction pour les riverains, les commerces, les hôtels, et les entreprises qui sont installés dans le secteur. Compte tenu de la durée des périodes d'immobilisation, qui vont du 26 juillet au 11 août pour les jeux Olympiques, puis du 28 août jusqu'au 8 septembre pour les jeux Paralympiques, il nous est apparu déraisonnable de ne pas laisser entrer à titre dérogatoire un certain nombre de véhicules dans ces périmètres d'interdiction de circulation.

Ces dérogations ont été listées et mises à disposition du public, qui peut d'ores et déjà les consulter en ligne - c'est la base sur laquelle la concertation pourra avoir lieu. Elles concernent tout aussi bien les taxis qui déposeraient des clients résidant dans la zone, des résidents qui souhaiteraient accéder à leur parking privé, des touristes qui disposeraient d'un parking privé dans leur hôtel, des médecins, des personnes qui se rendent auprès d'un proche vulnérable... Autant de dérogations qui correspondent à la réalité de la vie personnelle et économique de ces personnes.

En fonction de la consultation qui va s'engager, cette liste a éventuellement vocation à être complétée, voire élargie.

Je reviendrai sur les modalités de contrôle de ces dérogations, puisque c'est ce qui pose problème, mais je précise d'ores et déjà que ce périmètre n'est pas fictif. Il sera tenu par des barrages des forces de l'ordre, qui laisseront ou non passer les gens. Je souhaite bien évidemment que cela se passe de la manière la plus fluide possible.

Enfin, le quatrième et dernier périmètre autour des sites apparaît en bleu sur les cartographies mises en ligne. Il s'agit d'un périmètre non pas d'interdiction, mais de réglementation de circulation. Il nous permet d'éviter la circulation de transit, autrement dit des passages d'individus se rendant d'un point A à un point B situés hors de cette zone. Là aussi, des barrages de forces de l'ordre contrôleront les déplacements, mais ce sera davantage un périmètre indicatif qui, encore une fois, ne concerne que les véhicules motorisés ; les piétons et les vélos pourront y circuler librement. Ceux qui ont vocation à y entrer n'auront pas besoin de demander une dérogation.

Dernière précision concernant le cas particulier des courses sur route. Elles peuvent être plus contraignantes, mais elles ont lieu pour l'essentiel les week-ends, souvent sur des demi-journées. Une course cycliste est prévue les 3 et 4 août et un marathon les 10 et 11 août. Nous discutons actuellement avec le Cojop pour obtenir de nombreux points de passage, de manière à faciliter les déplacements des riverains - pas pendant la course, cela va de soi !

La course cycliste paralympique prévue du 4 au 7 septembre à l'est de la Seine-Saint-Denis risque, en revanche, de créer une emprise plus forte sur la voie publique, avec d'autres épreuves qui se déroulent en même temps dans le département. Il faudra prévoir là encore le plus possible de points de passage.

Voilà pour l'architecture générale du dispositif.

Avant de répondre à vos questions sur la cérémonie d'ouverture, un point sur la plateforme d'enregistrement que nous souhaitons mettre en place. Il nous a semblé que, pour les périmètres d'interdiction de circulation motorisée, affichés en rouge sur les cartes - qui ne concernent, j'y insiste, ni les piétons, ni les vélos, ni le reste de Paris et qui correspondent à des pratiques habituelles des services de police -, il serait plus simple que les personnes concernées puissent s'enregistrer sur une plateforme, compte tenu du nombre important de dérogations potentiellement délivrées. Un justificatif leur serait ainsi donné pour leur permettre de passer plus simplement et rapidement les barrages, sans quoi on se retrouverait avec des queues énormes, où des riverains se retrouveraient bloqués, faute de pouvoir prouver leur situation.

Le recours à une plateforme se pratique assez souvent. Celaa notamment été mis en place lors du G7 organisé à Biarritz en 2019, et concernait par ailleurs également les piétons. Comme évoqué dans Le Parisien, un justificatif papier avec un QR code nous paraît plus simple d'utilisation, mais nous sommes ouverts à la discussion.

D'un point de vue sécuritaire, ce périmètre est indispensable à mettre en place. Si dérogations il y a, elles seront rigoureusement appliquées.

En termes de droit, on ne peut comparer ces dispositions à l'état d'urgence qui a été mis en place pendant la crise sanitaire, comme j'ai pu l'entendre hier. Les restrictions aux libertés, qui ont nécessité à l'époque de voter une loi, n'étaient pas du même ordre : vous deviez rester à votre domicile sous peine de contraintes pénales ! Ici, la seule chose qui pourrait vous arriver, c'est d'être obligé de garer votre voiture et de rentrer chez vous à pied.

Par ailleurs, l'état d'urgence était par ailleurs applicable sur l'ensemble du territoire national, or les restrictions de circulation que nous mettons en place ne concernent que quelques zones dans Paris et dans la région d'Île-de-France, où, hormis le cas de la ville Saint-Denis, l'impact est moindre.

Aussi, le cadre juridique dans lequel s'inscrit cette plateforme est celui de l'arrêté du 2 mai 2011 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « fichiers des résidents des zones de sécurité » créés à l'occasion d'un événement majeur, déjà soumis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Nous sommes bien dans le cadre d'un événement majeur et il s'agit bien de réglementer l'accès à une zone.

Le contenu de cet arrêté est encore plus parlant : « Le directeur général de la police nationale, le directeur général de la gendarmerie nationale et le préfet de police sont autorisés à mettre en oeuvre des traitements de données à caractère personnel dénommés "fichiers des résidents des zones de sécurité" ayant pour finalité la gestion des titres permettant l'accès des personnes ou des véhicules aux zones à l'intérieur desquelles sont apportées des restrictions à la libre circulation et à l'exercice de certaines activités, afin de prévenir les troubles à l'ordre public et de garantir la sécurité d'un événement majeur. »

Cet arrêté prévoit évidemment la catégorie des données personnelles que nous pourrons collecter. Cette zone d'interdiction de circulation devient, en quelque sorte, une zone de sécurité au sein de laquelle je vais restreindre la circulation motorisée, excepté pour certaines catégories. Le traitement que l'on propose n'est donc pas nouveau, puisqu'il est autorisé par un arrêté déjà soumis à la Cnil. Je n'ai pas l'intention de m'éloigner des conditions fixées dans l'arrêté, qui correspondent parfaitement à nos besoins.

Une loi n'est donc pas nécessaire. Dans son avis rendu à l'époque sur l'état d'urgence sanitaire, le Conseil d'État avait bien relevé que la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés déterminait les conditions générales dans lesquelles peut être autorisé un traitement de données : « La création d'un tel traitement, même lorsqu'il est mis en oeuvre par une personne publique et qu'il est d'une ampleur importante, ne nécessite pas en principe l'intervention du législateur mais uniquement un acte réglementaire. » C'est ce qui a été fait avec l'arrêté de 2011.

J'échangerai de tout cela avec la Cnil prochainement. La direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) au ministère de l'intérieur a également des contacts réguliers avec la Cnil sur ces sujets.

Par ailleurs, il était rappelé dans ce même avis du Conseil d'État que « le recours à une loi est cependant nécessaire dans l'hypothèse où le traitement envisagé ne peut être mis en oeuvre sans modification d'une disposition législative qui y fait obstacle », ce qui n'est pas le cas, « ainsi que dans celle où le traitement conduit à fixer des règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques et entre ainsi dans le champ de l'article 34 », ce qui n'est pas, là aussi, le cas - en tout, à mes yeux - du dispositif que nous mettons en oeuvre.

Voilà pour les bases juridiques de ce dispositif.

J'évoquerai pour terminer la cérémonie d'ouverture qui, bien que d'un genre à part, constitue, elle aussi, un « l'événement majeur ». Elle nécessitera par conséquent le même dispositif juridique, à la nuance près que le périmètre concernera également les piétons. Le ministre l'a rappelé sur France 2 ce matin : pour des raisons évidentes de sécurité, toute personne qui entrera dans le périmètre de protection antiterroriste mis en place quelques jours avant la cérémonie sera contrôlée. Les modalités seront définies à l'issue de la phase de consultation, notamment avec la maire de Paris et les maires d'arrondissement. Les personnes devront probablement s'enregistrer pour se rendre sur les lieux de la cérémonie.

Là encore, l'objectif est de trouver un équilibre entre les règles de sécurité et le bon déroulement des festivités. Les délégations étrangères ne comprendraient pas qu'on laisse cheminer les gens sur le périmètre de la cérémonie d'ouverture sans effectuer de contrôles. Notre dispositif doit être robuste, sans toutefois empêcher de circuler les riverains, les commerçants, les restaurateurs et les entreprises implantées dans cette zone.

Pour conclure, nous ne sommes donc pas dans le registre d'une atteinte telle à une garantie fondamentale qu'il soit nécessaire de prendre une loi. L'arrêté de 2011 régit déjà spécifiquement les zones de sécurité pour les grands événements. Je n'invente rien.

Le cadre de la consultation sera l'occasion de présenter dans le détail le dispositif aux deux chambres. Nous recueillerons toutes les observations formulées par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale. Une fois ce travail effectué, je suis prêt à présenter devant votre mission d'information le dispositif définitif avant qu'il ne soit rendu public dans la presse.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Je rappellerai, en guise de préambule, que cette audition était prévue avant vos annonces faites hier à la presse, dans le cadre de notre mission de suivi de l'application de la loi sur la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques. Ces travaux relèvent des missions de contrôle et de l'application des lois dévolues au Parlement.

La date des jeux approchant, ces annonces étaient très attendues, notamment sur la sécurisation de la cérémonie d'ouverture, dont le caractère exceptionnel, en extérieur et le long d'un fleuve, suscite encore beaucoup d'interrogations.

Vos annonces soulèvent des questions relatives à l'imbrication des différents périmètres. Nous comprenons les bases légales entre les périmètres de la loi Silt, dont la finalité est avant tout la lutte contre le terrorisme, et les périmètres de sécurisation de l'ordre public et de sécurisation routière. En revanche, nous ne comprenons pas bien comment tout cela va s'imbriquer, notamment en matière de contrôles. Sachant que les degrés d'atteinte aux libertés sont variables entre un périmètre « Silt » - fouilles possibles et contrôle systématique à l'entrée - et un périmètre « rouge » - les personnes autorisées pourront y circuler -, comment, concrètement, allez-vous passer de l'un à l'autre ?

Quid également du contrôle des « fan zones » et du parcours de la flamme olympique ? Avez-vous prévu des modalités spécifiques de sécurisation ?

Vous avez évoqué une concertation sur les dérogations pour circuler en zones rouges. Portera-t-elle également sur le tracé des périmètres ? En quoi consisteront précisément les contrôles de cette zone, notamment celui du fameux QR code ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Merci pour vos réponses, monsieur le préfet. Vos annonces d'hier ont permis à certains de prendre conscience de ce qu'impliquait l'organisation de jeux Olympiques dans une ville. Le principe de réalité les a rattrapés ! Pour ma part, je pense que tous les dispositifs de sécurité et de contrôle sont non seulement justifiés, mais nécessaires et attendus. Reste à voir comment les organiser.

Sur ce point, vous faites référence à un arrêté de 2011 alors que, par principe, le périmètre « Silt » ne peut s'appliquer qu'en vertu de la loi dite « Silt » de 2017. J'imagine qu'un nouveau décret sera pris, ce qui implique une nouvelle saisine de la Cnil. Une campagne de communication qui illustrerait les différents cas pratiques permettrait à mon sens une meilleure compréhension du dispositif.

Depuis la loi JOP du 19 mai 2023, nous avons autorisé l'usage de la vidéosurveillance algorithmique. Or la presse a révélé l'existence d'une fonctionnalité de reconnaissance faciale - la ville de Deauville a d'ailleurs été condamnée pour ce fait. La préfecture de police utilise-t-elle cette fonctionnalité ?

Enfin, êtes-vous en mesure de recruter suffisamment d'agents de sécurité privée pour répondre aux besoins ? Quels seraient leurs effectifs et leur formation ?

M. Laurent Nuñez. - Sur l'imbrication des périmètres, ils sont de nature différente. Un périmètre de circulation n'est pas un périmètre de protection « Silt » qui, lui, comprend des fouilles et concerne les piétons. Il se situe au plus près du site et se pratique déjà dans le cadre de tout événement sportif. Nous l'avons mis en place pas plus tard qu'avant-hier, pour le match PSG-Arsenal.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Certes, ce périmètre se pratique déjà à l'occasion d'une manifestation ou pour accéder à un stade, mais là cela concernera des zones d'habitation.

M. Laurent Nuñez. - Aucune habitation ne se situe dans le périmètre antiterroriste de protection. Il épouse strictement celui du site olympique, excepté pour la cérémonie d'ouverture.

M. Christophe-André Frassa, président. - Ce sont les zones grises.

M. Laurent Nuñez. - Tout à fait. Il se peut que le trait bleu qui entoure ces zones grises déborde un peu si une voie nécessite d'être incluse, mais l'imbrication des périmètres se fait assez naturellement. Tout le reste est, de fait, en accès libre aux piétons. C'est principalement la circulation routière qui pose problème.

Des « fan zones », plus précisément des clubs 2024, seront organisés dans Paris et dans toute l'Île-de-France sur l'initiative des collectivités locales. Elles nécessiteront bien évidemment une protection ; c'est pourquoi nous avons souhaité, avec le préfet de région Île-de-France, en limiter le nombre, afin de ne pas surcharger les policiers municipaux et les agents de sécurité privée qui en auront la charge.

Nous étudions également la sécurisation du parcours de la flamme olympique, qui arrivera le 14 juillet à Paris et reviendra autour du 25 ou 26 juillet. Son cheminement est encadré par une bulle, il est assez mouvant et devrait causer des embarras de circulation assez limités.

La concertation porte à la fois sur les conditions d'accès et les périmètres. Des élus ont déjà évoqué la possibilité d'étendre les périmètres rouge et bleu légèrement à la marge, soit qu'ils considèrent la circulation dangereuse à tel endroit, soit pour créer une déviation un peu plus en amont. Je suis sûr que les maires d'arrondissement parisiens auront eux aussi de nombreuses remarques sur les périmètres.

Pour bénéficier d'une dérogation pour entrer en zone rouge, deux types de justificatif sont possibles : le QR code ou le justificatif papier. J'ai lu hier qu'il faudrait avoir un QR code pour se déplacer à pied dans Paris : j'insiste, c'est complètement faux. Seule la circulation routière est concernée, sur des périmètres très limités et autour de sites.

Pour obtenir cette dérogation, il faudra remplir les conditions. Le justificatif doit pouvoir être contrôlé facilement, sans quoi ce serait absolument ingérable. Encore une fois, l'alternative serait de fermer la circulation routière. Ce n'est pas ce que nous souhaitons.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Qui vérifiera sur la plateforme les justificatifs et délivrera l'autorisation d'accès ?

M. Laurent Nuñez. - Ce sont les forces de la police nationale, celles de la Préfecture de police en l'occurrence. Le contrôle et la décision d'accès relèvent du domaine régalien ; dans le droit français ces missions ne peuvent être déléguées. Le contrôle d'un QR code est beaucoup plus rapide, ce qui est à même de faciliter la fluidité des passages.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Il faudra aussi éviter les fraudes.

M. Laurent Nuñez. - Comme vous l'avez souligné, Madame de La Gontrie, la communication d'hier nous a tous ramenés à un principe de réalité.

Deux options s'offraient à nous : aller à la rencontre de l'ensemble des grands acteurs et présenter nos documents aux maires d'arrondissement et aux professionnels du secteur - ce que nous avons commencé à faire notamment auprès des professionnels du bâtiment et des travaux publics - ou bien lancer la consultation sans rendre publiques ces cartes. Vous savez aussi bien que moi qu'elles auraient de toute manière fuité dans la presse. Aussi, plutôt qu'elles se retrouvent dans les mains du public sans explications et suscitent tous les fantasmes, nous avons préféré présenter nous-mêmes directement notre base de travail. Par ailleurs, une concertation ne se lance pas à partir d'une feuille blanche.

Nous consulterons bien sûr la Cnil sur le dispositif juridique, mais je ne peux vous dire si une nouvelle saisine sera nécessaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Vous vous appuierez donc sur la loi dite « Silt » de 2017.

M. Laurent Nuñez. - Non, j'insiste. Hormis la cérémonie d'ouverture, qui est un sujet à part, nous ne nous appuierons pas sur la loi dite « Silt » de 2017, mais sur l'arrêté de 2011 qui nous permet de mettre en place un système de traitement de données aux fins contrôler une zone de sécurité dans le cadre d'un grand événement. Encore une fois, j'en discuterai avec la Cnil.

Sur les algorithmes, ce sera l'objet d'un autre débat, mais nous y travaillons en effet pour les jeux, en lien très étroit avec le ministère de l'intérieur qui est chargé de la passation du marché. Nous avons déjà plusieurs cas d'usage. En revanche, nous n'utilisons pas le logiciel de reconnaissance faciale d'une société, dont la presse a fait état. Le ministre a saisi l'inspection générale de l'administration (IGA) à ce sujet. L'utilisation de la reconnaissance faciale se fait dans le cadre bien précis d'une procédure judiciaire, mais, à ma connaissance, le logiciel utilisé n'est pas celui d'une société privée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Vous n'utilisez pas ce logiciel ?

M. Laurent Nuñez. - Nous n'utilisons pas le logiciel de la société qui a été citée.

Je ne suis pas inquiet pour le moment en ce qui concerne les effectifs de la sécurité privée. Certains lots n'ont pas été dépouillés par le Cojop ; elle sera a priori au rendez-vous.

Pour ma part, je constitue actuellement les plans des forces de sécurité intérieure - vaste travail ! Ils prévoient en moyenne 30 000 fonctionnaires de police et de gendarmerie, voire des armées, pour Paris et l'Île-de-France, avec un pic à 45 000 effectifs déployés, notamment pour la cérémonie d'ouverture.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Votre réponse me laisse perplexe. Est-ce à dire que vous n'avez pas de compétences sur la question de la sécurité privée ?

M. Laurent Nuñez. - Cela relève de l'organisateur...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Mais qui coordonne donc l'ensemble des dispositifs de sécurité si ce n'est pas vous ?

M. Laurent Nuñez. - Je coordonne toutes les forces de sécurité intérieures sur l'ensemble de la région d'Île-de-France, en lien évidemment étroit avec les préfets de département. La sécurité privée est essentiellement engagée par l'organisateur, en l'occurrence le Cojop, pour ses propres dispositifs de sécurité.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Il n'y a pas de coordination avec vous ?

M. Laurent Nuñez. - Nous nous coordonnons bien évidemment sur le plan opérationnel, mais nous n'avons pas autorité sur leurs personnels. Le Cojop est chargé de sécuriser les sites olympiques. Il a son propre périmètre qui comprend notamment les accès aux quais bas de la Seine pour la cérémonie d'ouverture.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Dans la loi sur la sécurisation des jeux Olympiques, nous avons conféré les pouvoirs de préfet de police sur l'ensemble des cinq départements durant les jeux Olympiques et Paralympiques à compter du 1er juillet 2024. Or, on le constate aujourd'hui, tout cela implique un énorme travail de préparation. N'ayant pas encore ces prérogatives complètes, ne risquez-vous pas de rencontrer des difficultés pour harmoniser et coordonner ce travail préparatoire ?

M. Laurent Nuñez. - Non, en tant que préfet de zone, j'ai déjà un pouvoir de coordination et tout se passe en bonne intelligence. Nous nous sommes accordés pour appliquer les mêmes règles de gestion des périmètres sur l'ensemble de la région.

Le Gouvernement et surtout le Comité international olympique (CIO) ont souhaité avoir un interlocuteur unique sur une zone où 85 % des jeux se dérouleront sur 26 sites. Je deviendrai effectivement compétent sur l'ensemble de cette zone à partir du 1er juillet prochain jusqu'au 15 septembre. Cela n'empêche pas de préparer ces jeux tous ensemble sans aucune difficulté. Je bénéficierai d'un certain nombre de pouvoirs de police spéciale et pourrai déléguer en grande partie ces compétences pendant les jeux, mais en cas de crise, il faut bien qu'une personne prenne les commandes.

M. Christophe-André Frassa, président. - Avez-vous une estimation du nombre de résidents, et donc de véhicules, concernés par les zones délimitées ? Concernant l'enregistrement des personnes sur la plateforme, comment seront prévenus les touristes séjournant dans les hôtels, mais aussi dans les locations Airbnb, inclus dans ces zones ?

M. Laurent Nuñez. - De mémoire, 20 000 personnes sont concernées par les zones rouges et 700 établissements commerciaux, dont un tiers de restaurants. En revanche, je ne saurais vous dire pour les véhicules. Je vérifierai auprès de la mairie de Paris qui a connaissance de tous ces chiffres. En tout état de cause, le nombre de personnes concernées n'est pas énorme.

Pour les touristes, il faut arrêter les règles à la fin du mois de janvier. Il reviendra en effet aux propriétaires d'hôtels et à ceux qui loueront leur appartement de faire connaître aux locataires et aux clients des hôtels ces règles. Nous allons discuter avec les professionnels, car plusieurs possibilités sont envisageables. Le mieux serait que l'hôtelier enregistre lui-même ses clients sur la plateforme, mais nous en discuterons avec l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih). Sinon, les touristes devront s'enregistrer eux-mêmes, ce qui peut être plus compliqué.

M. Christophe-André Frassa, président. - Un accord avec les plateformes de location comme Airbnb est-il également envisageable ?

M. Laurent Nuñez. - Nous y réfléchissons. Là encore, il faut laisser la vie économique se dérouler normalement. Concernant la cérémonie d'ouverture - car c'est bien de cela que nous parlons -, il est primordial pour nous de savoir qui réside dans les appartements et les chambres d'hôtel, qui ont notamment la Seine en visuel. Il s'agit d'un enjeu de sécurité majeur.

M. André Reichardt. - Je suis sénateur du Bas-Rhin, dont le chef-lieu est Strasbourg. Cette fille accueille chaque année le marché de Noël, qui reçoit entre 1 et 2 millions de visiteurs sur une période de trois à quatre semaines dans différents points de la ville. Nous avons une certaine expérience, même si cela n'a pas empêché un attentat d'être commis.

Vous avez insisté sur le fait que les restrictions porteraient presque uniquement sur la circulation routière : les piétons et les cyclistes ne seront pas concernés. Quid des deux-roues motorisés ? C'est ma première question.

Ma deuxième question porte sur les créneaux horaires d'interdiction de circulation. Le marché de Noël de Strasbourg ferme à une certaine heure, mais de nombreuses personnes se déplacent encore le soir pour faire la fête. Des créneaux horaires sont prévus : le marché ouvre officiellement à telle heure et ferme à telle heure. Les voitures peuvent accéder à la zone en dehors de ces horaires, notamment pour permettre aux riverains de garer leur voiture chez eux. Avez-vous prévu un dispositif du même type ? Le cas échéant, pouvez-vous nous donner des informations sur ces horaires, s'ils sont déjà fixés ?

Se pose ensuite la question du stationnement. À Strasbourg, le stationnement est strictement interdit du 22 ou 23 novembre jusqu'au 24 décembre à minuit. Là aussi, avez-vous prévu un dispositif similaire ? J'ai bien compris que, a priori, le risque porte essentiellement sur la cérémonie d'ouverture. Peut-on vraiment se limiter à un périmètre hors résidents ?

Naturellement, ces restrictions sont éminemment impopulaires. Aujourd'hui, à Strasbourg, la population est excédée par les « checkpoints » d'entrée et sortie pour ceux qui bénéficient de dérogations. C'est la raison pour laquelle je milite pour une plateforme d'inscription préalable, comme à Strasbourg. Mais cela ne suffit pas car, même si les gens ont leur badge, il faut qu'ils ouvrent le coffre de leur voiture. Ils sont excédés, de même que les artisans qui veulent accéder au centre et dont la moitié a oublié de faire la demande sur la plateforme.

Les gens se disent qu'on n'a pas empêché l'attentat en 2018 et qu'il ne vaut pas la peine de continuer ainsi. De plus, les créneaux ont été restreints, ce qui ne sert à rien. Je voudrais attirer votre attention sur le caractère sensible de ce type de démarche et sur la nécessité de faire preuve d'un maximum de bon sens pour trouver un équilibre qui permette à la fois de ne pas « emmerder » les Français et de sécuriser au mieux l'événement.

Enfin, si vous n'avez pas déjà pris contact avec la préfète de la région Grand Est et du Bas-Rhin, je vous engage à le faire car les enseignements tirés à Strasbourg sont intéressants.

M. Olivier Bitz. - J'avoue ne pas avoir compris l'émoi suscité par votre conférence de presse d'hier, monsieur le préfet. Marie-Pierre de La Gontrie a apporté un élément d'explication en évoquant le principe de réalité qui frappe certains : les conséquences de cet événement seront énormes pour la vie quotidienne des Parisiens et des Franciliens.

J'ai été adjoint au maire chargé de la sécurité à Strasbourg et, même pour le marché de Noël, qui existe depuis plus de quatre siècles, le point d'équilibre n'a pas encore été trouvé. Nous avons conscience du caractère imparfait de chaque dispositif de sécurité.

J'en reviens à l'émoi suscité par votre conférence de presse et à ce soupçon juridique qui pèse sur l'action de l'autorité administrative. Nous allons entrer dans des mois difficiles et ne pouvons faire face à des injonctions de cette nature chaque fois que les modalités du dispositif de sécurité sont précisées.

En ce qui concerne les dérogations à la circulation automobile, le critère de leur attribution sera-t-il exclusivement lié à la nécessité de se déplacer ou un criblage des personnes concernées est-il prévu pour savoir si elles sont déjà connues des services ? J'ignore ce qui est juridiquement possible mais lorsqu'autant de piétons circulent aux abords des sites de la compétition, faire entrer des véhicules représente un danger. Le bon sens me pousserait plutôt à soutenir un tel criblage, dans lequel je verrai non pas une menace pour les libertés, mais une sécurisation pour nos concitoyens, d'autant que les périmètres sont annoncés des mois à l'avance, dans un souci de transparence.

Mme Corinne Narassiguin. - Je suis sénatrice de Seine-Saint-Denis, où une grande partie des JOP auront lieu. Malgré le principe de réalité et les inquiétudes qui montent chez certains, je voudrais rappeler que nous sommes heureux d'accueillir de nombreux événements. De nouvelles infrastructures sont créées et ces jeux laisseront un héritage pour le département, que nous espérons bénéfique sur le long terme. Il s'agira aussi d'un moment de fête. Aujourd'hui, les habitants râlent mais, avec la cérémonie, l'atmosphère générale fera sans doute évoluer leur point de vue, surtout si vous parvenez à sécuriser et à apporter de la tranquillité d'esprit à chacun, sans entraver le bon déroulement des opérations.

Certes, des épisodes dramatiques se sont produits lors de la finale de la Ligue des champions l'an dernier, mais de nombreux événements ont été très bien organisés et réussis, comme l'Euro 2016 ou la Coupe du monde de rugby cette année.

Ma question portera sur les périmètres en Seine-Saint-Denis, car nous avons une inquiétude sur la manière dont les choses se mettent en place. Le département compte de très nombreux hébergements d'urgence et certains se trouvent près des sites olympiques. Certes, le filtrage concernera essentiellement la circulation automobile, mais la forte présence policière pourrait décourager nombre de ces personnes en situation de précarité de se rendre dans les hébergements d'urgence. Comment comptez-vous prendre en compte cette question ?

M. Laurent Nuñez. - Les deux-roues motorisés seront traités comme les véhicules et seront interdits dans les périmètres rouges de circulation, à moins qu'ils ne fassent l'objet d'une dérogation.

Des créneaux horaires sont prévus et nous activerons ces périmètres deux heures et demi avant le début des compétitions et les désactiverons une heure après la fin. Nous en discuterons dans le cadre de la concertation, mais l'activation est calée sur les heures de compétition, que je ne peux pas changer. Ces règles seront sans doute définitivement retenues et il n'y a pas de raison que nous les modifiions, contrairement à la cartographie des périmètres ou aux conditions des ayants droit.

Cependant, certains sites ne seront pas accessibles « H 24 », comme le village olympique de Seine-Saint-Denis ou les lieux de la cérémonie d'ouverture. Ces exceptions seront contraignantes. Le maire de Saint-Denis m'expliquait hier que plusieurs milliers de personnes habitent le périmètre rouge dans sa commune.

En ce qui concerne le stationnement dans cette zone rouge, nous le réglementerons plus tard. Mais, dans cette zone d'interdiction de la circulation, il peut y avoir des mesures de stationnement prises en plus, pour faciliter les flux de piétons et de spectateurs. Nous n'y avons pas encore travaillé car c'est encore beaucoup trop tôt. Nous autoriserons les riverains à entrer dans ces périmètres avec leur véhicule, uniquement lorsqu'ils ont des parkings privés.

S'agissant de la gestion des « checkpoints » à Strasbourg, nous avons le même débat sur la plateforme et, comme vous le dites, monsieur Reichardt : c'est le bon sens versus « emmerder » les gens. J'ai le sentiment que le bon sens plaide plutôt pour la mise en place d'une plateforme, qui permettra de moins ennuyer les riverains. En effet, ils s'enregistreront rapidement en ligne et la question sera réglée une fois pour toutes. Il ne faut pas que les gens attendent et les contrôles doivent être fluides, sinon ce sera très pénible pour les fonctionnaires de police et plus encore pour les personnes autorisées à passer.

Les coffres sont ouverts à Strasbourg parce que les voitures entrent dans le périmètre de protection. Dans le cas qui nous occupe, il n'y aura ni fouille des véhicules ni criblage. À ce stade, les périmètres de circulation ne sont pas couverts par le décret du 27 octobre 2021 portant application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Sur réquisition du procureur et lorsqu'on a connaissance d'une menace, nous pouvons faire ouvrir les coffres et effectuer un criblage, selon l'article 78 du code de procédure pénale. En dehors de ce cas, le criblage n'est juridiquement pas possible. Ces périmètres ne peuvent pas être couverts par le décret « grand événement » car nous ne contrôlerons que les véhicules qui entrent, tandis que piétons et vélos passeront librement. La mesure ne serait donc pas forcément pertinente.

M. Olivier Bitz. - Je pensais à la possible utilisation de véhicules comme voiture bélier.

M. Laurent Nuñez. - Je comprends mais, juridiquement, ce n'est pas possible.

M. Olivier Bitz. - Pensez-vous que ce serait utile ?

M. Laurent Nuñez. - Pour le faire, il faudrait que le décret inclue ces périmètres. Mais le décret ne permettant pas de cribler tout le monde, je ne suis pas certain de l'utilité de cette mesure.

Enfin, la question des hébergements d'urgence en Seine-Saint-Denis relève de ce qui pourra être discuté dans le cadre de la concertation. Il sera important que chaque maire signale les établissements de ce type situés dans le périmètre rouge et il faudra prévoir des dispositions appropriées. Ces personnes se rendant à pied dans ces centres, il n'y a aucune raison qu'elles en soient empêchées. Il faudra rester dans le bon sens et j'ai, pour ma part, un autre impératif : celui de la sécurité.

Mme Isabelle Florennes. - En tant que Francilienne et Altoséquanaise, je suis attentive à la sécurité de la population et des lieux concernés. Je vous remercie pour la concertation mise en place. Certes, il faudra de la pédagogie mais, avec la concertation et l'association des acteurs locaux, nous y parviendrons.

D'autres capitales de grands pays ont organisé des JOP, je pense notamment à Londres. Vous inspirez-vous de ce qui a déjà été mis en place ? Des leçons sont-elles tirées en matière de sécurité ? Les expériences sont-elles partagées, même si les conditions ne sont pas les mêmes, notamment pour la cérémonie d'ouverture ?

M. André Reichardt. - Si l'on passe par une plateforme comme vous le proposez, quelle sera la durée de stockage des données ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - J'ai aussi été surprise par l'émoi provoqué par la conférence de presse, même si je trouve toujours positif que les sénateurs se préoccupent des libertés publiques. On peut tout de même saluer le fait que, à 239 jours de la cérémonie d'ouverture, autant d'informations soient déjà disponibles.

M. Laurent Nuñez. - Nous nous attendons à de nombreuses questions, à mesure que nous déroulerons nos plans de sécurité. Nous nous y préparons et je reste à la disposition de votre mission d'information pour exposer à échéances régulières la façon dont nous mettons en place nos dispositifs de sécurité.

Certains de mes collaborateurs se sont rendus à Londres, pour récolter des retours d'expérience et étudier comment les choses se sont passées. De plus, nous travaillons beaucoup avec le CIO, dont le président est là en ce moment. Demain, Michel Cadot, délégué interministériel aux JOP, et moi-même plancherons sur ces sujets devant les membres du Comité, qui viennent régulièrement s'enquérir de la manière dont les choses avancent. Ils nous disent que nous sommes dans les délais sur les questions de sécurité et qu'il n'y a pas de difficultés particulières.

Contrairement à ce que j'ai entendu ces derniers jours, d'autres capitales ont mis en place des restrictions de circulation bien plus lourdes que celles que nous prévoyons de déployer. Quand on n'anticipe pas les choses, les restrictions se mettent parfois en place de facto. Nous travaillons donc beaucoup avec les membres du CIO, qui partagent aussi de nombreux retours d'expérience sur des événements pouvant avoir un impact sur la sécurité mais liés à la vie olympique, comme le transport d'athlètes ou la façon dont se comportent les délégations. Ils nous donnent de nombreuses informations, et nos échanges sont fluides.

Quant à la durée de conservation des données, elle est de trois mois au maximum selon l'arrêté. Pour ce genre de plateforme, nous n'avons pas besoin d'une durée longue. Cependant, dans la zone de Paris Centre, la période entre la mise en place du dispositif plusieurs jours avant la cérémonie d'ouverture et la fin des jeux durera un mois et demi. Dans d'autres zones, ce sera moins long. Certains sites ont vocation à exister pour les jeux Olympiques mais pas pour les jeux Paralympiques. Ainsi, deux sites disparaîtront, au Trocadéro et dans les Hauts-de-Seine.

M. Christophe-André Frassa, président. - Je vous remercie, monsieur le préfet.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 heures 50.