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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Dépôt d'un rapport

Organisation des collectivités territoriales

I. Le point de vue de la mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales

II. Le point de vue des groupes politiques

III. Le débat interactif et spontané

Fin d'une mission temporaire

Lutte contre l'inceste sur les mineurs (Proposition de loi)

Discussion générale

Discussion des articles

Article premier

Articles additionnels

Article 4

Intitulé de la proposition de loi

Clôture de la session ordinaire




SÉANCE

du mardi 30 juin 2009

124e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Philippe Nachbar, M. Jean-Paul Virapoullé.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Dépôt d'un rapport

M. le président.  - J'informe le Sénat que M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers, m'a remis le sixième rapport annuel de cet organisme pour l'exercice 2008, établi en application de l'article L. 621-19 du code monétaire et financier.

Acte est donné du dépôt de ce rapport. Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

Organisation des collectivités territoriales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales.

Je salue la présence de M. Hortefeux, nouveau ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, ainsi que de M. Alain Marleix, secrétaire d'État chargé de l'intérieur et des collectivités territoriales. Nous sommes appelés à nous revoir souvent, et je vous souhaite au nom du Sénat de réussir pleinement dans vos fonctions. (MM. les ministres en remercient M. le président)

La représentation des collectivités territoriales est l'un des piliers de la légitimité constitutionnelle de notre assemblée. Nous avons déjà eu le 18 mars dernier, dans le cadre de la nouvelle semaine de contrôle, un débat sur l'organisation des collectivités territoriales à l'occasion de la publication du rapport d'étape de la mission temporaire chargée de cette question. Aujourd'hui nous sommes appelés à débattre de son rapport définitif. Nous serons ainsi parfaitement informés au moment d'entamer, avant les députés, l'examen du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales.

La mission soumet à notre appréciation 87 propositions, ce qui témoigne de la richesse de ses travaux ; notre débat du 18 mars y a peut-être contribué. Je veux témoigner ma gratitude à l'égard des membres de la mission, en particulier de son président, de ses rapporteurs et de ses vice-présidents, qui pendant huit mois ont arpenté notre territoire, mené des auditions et approfondi leur réflexion, illustrant l'identité du Sénat qui est un lieu de rencontres et d'échanges. Ils ont ainsi contribué à la clarté du débat démocratique. Au nom du Sénat tout entier, qu'ils en soient remerciés.

I. Le point de vue de la mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales

M. Claude Belot, président de la mission temporaire.  - Dans quelques heures, quand tous les orateurs se seront exprimés, je pourrai dire : « mission accomplie ». Nous avons mené ces derniers mois un travail passionnant et su dépasser les clivages partisans pour faire acte d'intelligence collective : voilà le Sénat que j'aime. Je suis plus convaincu que jamais de notre légitimité dans ce domaine, car nous avons à nous tous accumulé des siècles d'expérience dans la conduite des collectivités territoriales. Quelles que soient leur taille ou leurs missions, c'est nous qui en tenons les manettes depuis 40 ans.

Merci à tous ceux qui furent présents pendant huit mois sur le terrain. Le bonheur du président Larcher entouré d'élus locaux faisait plaisir à voir, il illustrait la légitimité du Sénat dans les terres de France.

Bien des choses ont changé depuis quelques décennies. Les paroisses et les provinces sont tombées dans l'oubli ; aux départements et aux communes se sont ajoutées les régions et les intercommunalités ; les lois de décentralisation ont libéré les forces créatrices. Nul ne peut contester la réussite des collectivités : elles ne supportent que 10 % de l'endettement public, alors qu'elles étaient responsables en 2008 de 73 % de l'investissement public. Je suis heureux de constater qu'elles ont répondu cette année à l'appel du Gouvernement et accepté de contribuer massivement au plan de relance : elles ont pour la plupart pris des initiatives fortes, et je ne m'étonnerais pas qu'elles soient en 2009 à l'origine de 80 % de l'investissement public. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Ne ruinons par cet édifice institutionnel indispensable à notre réussite collective. Je ne dis pas que tout fonctionne parfaitement : d'importantes marges de progression existent. Mais il est impossible de se passer des dizaines de milliers de bénévoles qui administrent les collectivités territoriales françaises. Que l'on cesse de les montrer du doigt ! (Marques d'approbation)

Il faut mettre de l'ordre dans l'intercommunalité, qui peut être la meilleure ou la pire des choses. Certaines structures intercommunales sont remarquablement administrées, d'autres sont inefficaces et coûteuses, faute d'avoir la taille critique. (M. Yvon Collin le reconnaît)

La mission ne s'est pas contentée de propositions molles : nous avons eu le courage de proposer de véritables changements. Nous serons à vos côtés, monsieur le ministre, dans cette réforme.

Nous avons beaucoup travaillé sur les régions et les départements, contraints par un cadre constitutionnel qu'il n'était pas question de modifier. Nous sommes parvenus à la conclusion qu'il était nécessaire de clarifier les compétences entre ces deux types de collectivités, afin que les unes ne puissent s'ingérer dans le domaine des autres. (Mme Nathalie Goulet s'en réjouit) Il y va de leur avenir.

Diverses voies s'ouvrent à nous, mais je crois important pour le Sénat et pour le pays que nous sachions nous réunir pour élaborer un texte consensuel, susceptible de recueillir ici une large majorité de suffrages. Je suis convaincu que c'est possible.

Mais je laisse la parole aux rapporteurs, qui sauront mieux que moi vous exposer les conclusions de la mission. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire  - Il est impossible de présenter en quelques minutes toutes les propositions de réforme adoptées par notre mission. Je n'aborderai donc que quelques thèmes qui reflètent nos travaux.

La mission n'a pas dressé de réquisitoire contre les collectivités territoriales. Au contraire, elle leur adresse plutôt un satisfecit puisqu'elles ont réalisé 73 % des investissements publics en 2008, qu'elles ne représentent que 10 % de l'endettement public de notre pays et qu'en cette année 2009, elles ont massivement répondu aux sollicitations pressantes du Gouvernement de soutenir l'économie nationale en crise : 93 départements, 20 régions et un grand nombre de communes ont signé avec l'État une convention en ce sens. C'est révélateur de leur bon état d'esprit et de leur bonne santé : les collectivités ne méritent pas les critiques injustes qui leur sont adressées par certains responsables publics.

Mme Nathalie Goulet.  - Irresponsables...

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.  - La mission ne propose pas un retour en arrière en matière de décentralisation et d'intercommunalité dont les textes fondateurs ont provoqué la révolution douce des 25 dernières années dans les territoires. Au contraire, nous voulons poursuivre la décentralisation. Si la solidarité financière, républicaine, doit être la règle entre l'État et les collectivités locales, elle ne doit pas se traduire par une mise sous tutelle ou une recentralisation rampante, à contresens de l'histoire et de la démocratie qui veut que le pouvoir de décider soit rapproché du citoyen.

La mission a toutefois confirmé le besoin de réformes importantes dans la répartition des compétences entre les trois niveaux de collectivités, dans la gouvernance et, surtout, dans la fiscalité locale.

Enfin, la mission s'est refusée à porter atteinte à notre socle républicain commun, inscrit dans la Constitution et qui s'appuie sur les trois niveaux de collectivités reconnus, les communes et leurs groupements, les départements et les régions.

Les communes et les intercommunalités sont les vecteurs de la proximité. L'intercommunalité a apporté des réponses aux attentes de nos concitoyens et couvert des champs de compétences autrefois en friche. Elle doit être rapidement achevée, rationnalisée, rendue plus pertinente, tant en ce qui concerne les communautés de communes que les communautés d'agglomération ou urbaines et les métropoles. Les compétences attribuées à chacun de ces niveaux de coopération doivent être augmentées.

Pour les métropoles, notre mission propose, par délibération des membres à une majorité très qualifiée, de franchir le pas de la dotation globale de fonctionnement métropolitaine unique et celui de la fiscalité métropolitaine unique par une harmonisation progressive des taux comme cela a été fait pour la TPU.

En ce qui concerne la gouvernance de l'ensemble des étages de l'intercommunalité, la mission propose d'élire les délégués communautaires dans les communes de plus de 500 habitants par fléchage lors d'un scrutin à la proportionnelle de liste avec prime majoritaire, tout en maintenant la désignation par le conseil municipal dans les communes plus petites.

La mission propose de fixer par la loi le nombre maximum des membres des exécutifs communautaires en fonction de la population des groupements. Contrairement au comité présidé par M. Balladur, la mission n'a pas retenu l'hypothèse de l'évaporation des communes dans l'intercommunalité.

Votre mission confirme que les départements sont les garants de la solidarité sociale et territoriale. Contrairement au comité Balladur, elle n'a pas retenu la proposition de les supprimer à terme. Elle propose la liberté de déléguer certaines compétences aux métropoles et aux agglomérations. Elle souhaite voir consolidées les recettes des départements par la fiscalité locale plutôt que par des dotations de l'État. Ceux qui proposent le démembrement des communautés urbaines et des agglomérations avec transfert à celles-ci des compétences sociales départementales, n'ont pas mesuré les inégalités financières considérables que cela générerait dans les ressources des nouvelles collectivités.

Notre mission a retenu l'élection de tous les conseillers généraux ensemble, tous les six ans, désignés par les citoyens pour mettre en oeuvre les compétences départementales dans des cantons redécoupés pour tenir compte des évolutions démographiques.

La mission n'a pas retenu l'hypothèse des conseillers territoriaux parce qu'elle ferait évidemment des conseils généraux une simple filiale du conseil régional. Cette hypothèse lui apparaît d'une constitutionnalité contestable et la réduction du nombre d'élus de 30 % conduisant à l'élection d'environ 4 000 conseillers territoriaux occupant en fait 4 000 mandats dans les départements et 4 000 autres mandats dans les régions, si elle réduit d'environ 2 000 le nombre des élus, augmente par ailleurs de 2 000 le nombre de mandats !

Pour la gouvernance territoriale infradépartementale, la mission propose de créer une conférence des exécutifs aux réunions trimestrielles, rassemblant le président du conseil général et les présidents des intercommunalités, et qui aurait pour mission le pilotage négocié des politiques territoriales infradépartementales par exemple le logement et l'habitat, l'accueil de la petite enfance, les équipements sportifs et socio-éducatifs structurants, etc. Cette conférence des exécutifs serait présidée par le président du conseil général, l'ordre du jour serait fixé par lui et complété à la demande des autres membres.

La mission confirme la mission des régions d'élaborer et de mettre en oeuvre les stratégies qui préparent l'avenir, la compétitivité des territoires et des entreprises, la formation des hommes. Elles doivent recevoir davantage de compétences qu'aujourd'hui. En particulier, elles sont les mieux placées pour répartir les fonds européens. Vous trouverez dans le rapport les détails des nouvelles responsabilités qui devraient leur être attribuées. Leur rôle de chef de file dans nombre de compétences partagées doit être mieux reconnu.

Pour Paris et l'Ile-de-France, il semble indispensable de faire émerger une gouvernance métropolitaine démocratique sur le périmètre de la mégapole parisienne, d'apporter un soutien au plan de développement des transports en IIe-de-France -à condition qu'il soit élaboré conjointement par l'État et le conseil régional-, de recourir à des agences pour la mise en oeuvre des politiques partagées -par exemple le développement économique, l'habitat et le logement social-, de renforcer par la voie législative les instruments et la mise en oeuvre des solidarités entre les territoires qui composent la mégapole.

L'État ne peut être épargné et la mission réaffirme des principes : ceux de libre administration des collectivités territoriales, de libre coopération entre elles -qu'elles soient de même niveau ou de niveaux différents-, de non-tutelle de l'État sur elles, de non-tutelle d'une collectivité sur une autre, d'autonomie fiscale et financière.

La mission propose d'attribuer les parties du pouvoir réglementaire liées à leurs compétences aux départements et aux régions, ce qui aurait pour conséquence, dans les compétences transférées, de supprimer les interventions des services déconcentrés de l'État. La France est le seul pays d'Europe à avoir conservé des services déconcentrés pour des compétences transférés aux collectivités locales, ce qui engendre pour l'État des coûts importants.

Au plan de la gouvernance infrarégionale, la mission constate les rôles essentiels joués par le conseil régional, les conseils généraux, les conseils des communautés urbaines et d'agglomérations, ceux des grosses communautés de communes, mais aussi de l'intercommunalité en général, dans le développement du territoire régional. Elle souligne l'indispensable besoin de coopération entre tous ces partenaires et propose de créer, par la loi, un conseil régional des exécutifs regroupant les présidents des collectivités région, départements, métropoles, communautés urbaines et agglos, ainsi que ceux des communautés de communes de plus de 50 000 habitants, auxquels se joindrait un représentant des intercommunalités, élu dans chaque département. Ce conseil régional des exécutifs présidé par le président de région, tiendrait des réunions obligatoires et trimestrielles, aurait pour mission de retenir les grandes orientations stratégiques ; il devrait faciliter les arbitrages nécessaires à la conduite des politiques territoriales ; l'ordre du jour, obligatoire, prendrait en compte les demandes particulières des différents membres. Le conseil régional des exécutifs harmoniserait les positions des différents partenaires sur les schémas d'orientation, il organiserait l'exercice des compétences partagées, préparerait la rédaction des conventions de délégation de compétences entre les membres, organiserait les chefs de files, les guichets uniques et l'instruction unique des dossiers de subventions. II ferait régulièrement le bilan de l'avancement des contrats de projets État/région. Regroupant des partenaires importants autres que les seuls présidents de région et de département, il serait le meilleur outil pour un pilotage global de l'action publique territoriale à l'intérieur du territoire régional, pour les actions interrégionales et les relations avec l'État et l'Europe.

J'en viens à la clause de compétence. Aucune collectivité n'agit en tous domaines, mais elle répond toujours aux sollicitations des administrés et, très souvent... de l'État, par exemple pour le financement des lignes à grande vitesse, des routes nationales, pour le logement, le soutien à l'emploi, la téléphonie mobile, le haut débit, la TNT. La mission propose d'attribuer aux collectivités une simple compétence d'initiative, indispensable, fondée sur l'intérêt territorial. Pour « border » cette compétence, elle propose de prévoir une procédure de « constat de carence » favorisant une approche négociée de l'intervention des collectivités dans le cadre de la subsidiarité.

La mission se prononce pour une refondation des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales subordonnant toute nouvelle décision à une concertation préalable et codifiée avec les trois associations nationales de collectivités. Après avoir réaffirmé la nécessité de préserver l'autonomie financière, la mission demande qu'on procède à la révision générale et à la modernisation des valeurs locatives.

Une procédure de réévaluation régulière est en outre indispensable, à laquelle les collectivités territoriales pourraient prendre part dans un cadre défini par le législateur. La mission demande à l'État de cesser de créer de nouveaux dégrèvements et exonérations et de résorber progressivement le stock existant en ces matières. Elle a retenu les principes suivants : attribution de deux types de ressources fiscales par niveau de collectivité ; limitation du cumul d'impôts sur une même assiette ; maintien d'un impôt lié à l'activité économique, celui-ci pouvant être assis pour une part sur le foncier, sous réserve d'une actualisation des valeurs locatives, et pour une autre sur la valeur ajoutée. Il est en outre essentiel que les collectivités attributaires puissent voter des taux, même encadrés. La mission propose également d'élargir la cotisation minimale de taxe professionnelle ; elle a relevé que l'attribution aux collectivités de parts d'impôts nationaux n'était envisageable que si elle ne traduisait par une réduction de leur autonomie fiscale.

La mission s'est enfin penchée sur la question de la péréquation. Elle a retenu une péréquation nationale, sous la responsabilité de l'État, et une péréquation horizontale obligatoire entre collectivités de même niveau. Les ressources nécessaires pourraient être trouvées à partir d'une réforme des dotations forfaitaires, qui doivent être corrigées dans le sens d'une plus grande équité. La mission propose d'étendre par la loi à tout le territoire, sur une base régionale, les mécanismes du fonds de solidarité des communes d'Ile-de-France ; de conserver l'écrêtement sur les établissements exceptionnels au titre de la taxe professionnelle ; de réduire le nombre de bénéficiaires des différents mécanismes de péréquation -aucune dotation ne devrait par principe bénéficier à plus de la moitié des collectivités d'une même catégorie ; de définir pour la répartition des indices synthétiques.

La mission s'est enfin interrogée sur les modalités de financement des infrastructures de transport ; les élus ont envie d'être en cette matière au côté de l'État. La mission propose la création d'un livret d'épargne populaire dédié, ouvrant droit à des prêts bonifiés.

Nous avons travaillé huit mois sérieusement, en toute liberté et dans une ambiance consensuelle. J'en remercie le président Belot, Mme Gourault, les vice-présidents et tous ceux qui ont pris une part active à des débats parfois vifs mais toujours respectueux. Nous proposons une révolution douce, mais une vraie révolution qui devra être mise en oeuvre progressivement, en faisant le pari de la confiance dans l'intelligence territoriale. (Applaudissements à gauche, sur les bancs du RDSE et sur plusieurs bancs au centre et à droite)

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.  - J'ai eu beaucoup de plaisir à co-rapporter cette mission. Nos confrontations d'idées, nos débats, nos visites se sont toujours déroulés dans un climat de confiance et de respect. Merci au président Belot, à mon co-rapporteur M. Krattinger et à tous mes collègues.

Comme beaucoup d'entre vous, j'ai organisé des réunions dans mon département sur le sujet de la réforme des collectivités territoriales, autour de trois thèmes qui sont à mes yeux indissociables : l'architecture et la gouvernance, les compétences et les finances locales. De ces fructueux échanges je retiens que les élus sont définitivement prêts à parfaire la décentralisation.

La nécessité d'une réforme fait consensus : il faut éviter l'enchevêtrement des compétences, améliorer l'efficacité de l'intervention publique, simplifier les trop nombreuses procédures. Chacun s'accorde de même sur une réforme globale de la fiscalité locale, les élus ne cachant pas leur inquiétude sur la pérennité à moyen et long terme des ressources des collectivités territoriales. Fait aussi consensus la nécessaire clarification des missions de l'État comme des relations financières entre celui-ci et les collectivités territoriales en termes de gouvernance, de compétence et d'autonomie financière.

Chacun connaît l'extrême diversité de nos territoires selon leur localisation, leur densité de population, leurs traditions organisationnelles. Ici la coopération prendra une grande place, comme en Bretagne ; on trouvera là une appartenance identitaire forte ; dans ma région, les liens historiques avec la capitale sont si forts que la tradition jacobine l'emporte. C'est dire que s'il faut une loi-cadre, les outils nécessaires à la gouvernance territoriale devront être adaptés. Cette situation impose aussi des lois électorales équilibrées, qui permettent de représenter tout à la fois les territoires, les populations et les courants d'opinion, en un mot l'unité de la République dans sa diversité.

La mission a fait 90 propositions qui font consensus ; chacun défendra son point de vue lors des débats parlementaires à venir pour enrichir ce travail fondateur. Sur la question de la clarification des compétences, la mission souhaite renforcer les compétences obligatoires par niveau de collectivités territoriales, et reconnaître dans le même temps à chacun de ces niveaux une compétence d'initiative fondée sur l'intérêt territorial, dans le respect de la répartition des compétences entre les différents échelons et du principe de subsidiarité. Ce qui implique d'ouvrir à une collectivité la possibilité d'agir sur la base d'un constat de carence, pour une approche négociée de la répartition des compétences. Les élus doivent conserver cette capacité d'initiative. Ce sont les hommes et les femmes qui font la vie politique territoriale et le succès des projets qu'ils portent.

La mission souhaite en outre que la carte de l'intercommunalité soit achevée et rationalisée ; elle propose de réformer les commissions départementales de coopération intercommunale et de permettre aux élus de les saisir.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.  - Elle préconise de réduire le nombre de syndicats intercommunaux et de procéder à l'élection des conseillers communautaires par fléchage sur la liste des candidats aux élections municipales -avec comme corollaire l'abaissement du seuil de panachage. Je souhaite, à titre personnel, qu'on mesure bien toutes les conséquences d'un tel fléchage.

La mission s'est accordée sur la réaffirmation de l'autonomie financière, sur le maintien du lien entreprise-territoire, sur la révision des bases, sur la nécessité d'une véritable péréquation.

La Cour des comptes s'inquiète de l'extension, en 2009, du périmètre de l'enveloppe normée incluant le Fonds de compensation de la TVA. En effet, s'agissant d'une dépense dynamique (+ 33,22 % de 2005 à 2008), la confirmation de cette tendance conduirait à la réduction de certaines dotations ou compensations, afin de respecter la norme d'évolution globale. Autres points qui font consensus en la matière : le maintien du lien entre les entreprises et les territoires ; la révision des bases ; la nécessité d'une véritable péréquation.

La mission a reconnu le fait métropolitain et a proposé plusieurs étapes dans sa mise en oeuvre. L'accord est général là-dessus.

S'agissant du rapprochement entre le département et la région, elle propose de remplacer la conférence régionale des exécutifs par un conseil régional des cinq exécutifs, dont les réunions seraient obligatoires, pour retenir les orientations et faciliter les arbitrages nécessaires à la conduite des politiques territoriales, qui seraient déclinées sur le plan départemental. La mission n'a pas retenu l'idée de créer des conseillers territoriaux proposée par le comité Balladur -dont les conclusions n'ont pas force de loi. Voilà la position de notre mission aujourd'hui. Chacun évolue entre le début et la fin des travaux, M. Balladur lui-même a reconnu avoir évolué sur ce point. L'intercommunalité a montré que les consciences évoluaient dans le temps. Je me souviens des réticences initiales -notre collègue Chevènement ne les a sans doute pas oubliées lui non plus !- et l'intercommunalité a fait l'unanimité, même si cette réussite est encore susceptible d'améliorations.

Je vous le dis tout net : si l'on engage la réforme territoriale en proclamant que son but est de supprimer un tiers des élus, c'est raté -comme lorsqu'on parle de supprimer la moitié des fonctionnaires. Ce serait un très mauvais signal, chacun connaît le rôle des élus sur le territoire. Et si vous supprimez en grand nombre des élus, souvent bénévoles, vous risquez de devoir créer des postes de fonctionnaires. (Applaudissements à gauche et au centre) Il peut se faire que la réforme territoriale ait pour conséquence une diminution du nombre d'élus, pourquoi pas, mais poser celle-ci en principe est inacceptable pour le Sénat.

Les élus sont nombreux à avoir un souci de clarification, de simplification, et d'efficacité. Nous sommes conscients du contexte et des efforts nécessaires face à la crise, moi la première, qui ai été rapporteur du projet de loi sur la fonction publique territoriale.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.  - J'en ai gardé un excellent souvenir.

Mme Jacqueline Gourault rapporteur de la mission temporaire.  - J'espère que l'important travail fait par les sénateurs inspirera le Gouvernement et le Président de la République dans la volonté de réforme qui est la sienne et dont nous sommes très nombreux à sentir la nécessité. Nous sommes prêts. Et vous, monsieur le ministre, êtes-vous prêt à faire confiance à l'intelligence territoriale ? (Applaudissements sur les bancs centristes et socialistes)

M. Pierre-Yves Collombat. vice-président de la mission temporaire.  - « Pourquoi, oui pourquoi [est-il] si difficile de réformer notre pays ? » se demandait à haute voix Nicolas Sarkozy, la semaine passée. Peut-être parce qu'il a compris que ce qu'on lui présente comme des réformes sont des contre-réformes, non un progrès mais une régression. Mais, me direz-vous, aller en avant ou en arrière, c'est toujours bouger -la seule chose qui compte en ces temps médiatiques.

La réforme, pour nos collectivités, c'est approfondir la décentralisation. Processus lent d'abord, accéléré depuis 1982, libérant l'initiative et les énergies locales par la démocratie, elle a transformé notre pays au point qu'on pourrait parler des « Vingt-cinq glorieuses de la décentralisation ».

Aujourd'hui, une part grandissante des dépenses sociales et de l'investissement public est assurée par les collectivités territoriales. En 2008, les dépenses sociales des départements auront représenté 46 % des dépenses sociales du budget de l'État. La contre-réforme, ce serait casser cette dynamique au moment même où la crise rend l'engagement des collectivités encore plus essentiel : sans le concours des collectivités, le plan de relance aurait perdu son point d'appui le plus solide.

Selon le Gouvernement, leur effort d'investissement atteint 153 milliards, une hausse de 18,7 milliards par rapport à la moyenne annuelle 2004-2007. Chiffres à comparer aux 4 milliards d'investissements prévus par l'État et aux 4 milliards de dépenses supplémentaires des grandes entreprises publiques, EDF, SNCF, RATP.

« Les élus territoriaux ont parfaitement joué le jeu de la mobilisation quelle que soit leur casquette politique » a d'ailleurs reconnu le ministre. Sans les collectivités territoriales, pas d'accompagnement social de nos concitoyens les plus fragiles. Or, après deux ans de baisse, le nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion est reparti à la hausse ; pour le RSA, 100 000 demandes ont été validées fin mai et 300 000 à la mi-juin 2009, soit seulement 15 % des bénéficiaires potentiels, la plupart des travailleurs pauvres ne s'étant pas encore manifestés. Le dispositif RMI basculant sur le RSA, cela ferait 1,5 million d'allocataires début juillet. Quant à l'APA, elle poursuit son irrésistible ascension.

Vous vouliez des propositions de réformes ? Nos rapporteurs vous en ont donné ! Reconnaissance de l'autonomie fiscale des collectivités avec un mécanisme permanent de révision des bases de l'impôt sur les ménages, un impôt sur l'activité économique, dynamique, équitable, peu sensible à la conjoncture, non pénalisant pour les entreprises qui investissent ou sont le plus exposées à la concurrence internationale. Création de nouvelles ressources pour permettre aux collectivités de financer les infrastructures de transport, désormais de leur responsabilité. Généralisation de la taxe sur les poids lourds. Taxation des plus-values foncières.

Mise en place de dispositifs de péréquation, péréquation verticale par une réforme des dotations d'État et la création d'un fonds national ; péréquation horizontale sur le modèle du Fonds de solidarité de l'Ile de France.

Achèvement, rationalisation, démocratisation de l'intercommunalité ; création des métropoles qui pourront devenir des collectivités locales de plein exercice, avec mutualisation des dotations et des ressources fiscales, sur délibérations concordantes des communes membres. Dotées d'un bloc minimal de compétences obligatoires et aussi d'une capacité d'initiative pour la mise en réseau du territoire péri-métropolitain, elles pourront exercer par délégation des compétences du département, de la région ou de l'État.

Coordination institutionnelle entre les acteurs principaux d'un territoire : conseils régionaux des exécutifs et conférences départementales des exécutifs.

Possibilité pour les régions d'animer les politiques économiques, de la recherche, de l'enseignement supérieur et de la formation, et aussi d'exercer la compétence emploi, actuellement de la responsabilité de l'État. Y a-t-il meilleur moyen de répondre aux besoins des entreprises et des travailleurs, d'impulser des politiques économiques vraiment anticipatrice ? L'État n'exerçant plus ce rôle, le département mettrait à disposition des communes rurales et de leurs intercommunalités l'ingénierie publique qui leur manque.

En revanche, réduire le nombre des élus locaux serait une contre-réforme démocratique pour d'hypothétiques économies dérisoires. Ce serait se priver du concours de bénévoles non indemnisés.

M. Josselin de Rohan.  - Des voitures pour tout le monde !

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire.  - Faute de chiffres nationaux, j'ai évalué, à partir d'un échantillon de cinq départements -Aube, Landes, Rhône, Hauts-de-Seine, Var- ce que coûtaient leurs élus : 0,28 % des dépenses réelles de fonctionnement ! Soit 128 millions pour l'ensemble des départements. En supprimer 30 % représenterait donc une économie de 38 millions -à supposer, encore, qu'il n'y ait aucune charge à compenser !- soit le tiers du budget de l'Élysée pour 2009, une misère ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et ceux du RDSE)

M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire.  - Depuis de nombreuses années, nous dénonçons l'enchevêtrement des prérogatives des acteurs publics locaux et nationaux, source de confusion des responsabilités, de pertes de temps. On ne peut que saluer la décision du Président de la République d'ouvrir un grand chantier pour réformer les structures des administrations locales. Créée en octobre dernier par le Président Larcher, la mission temporaire devait formuler des propositions dans le cadre d'une commission rassemblant toutes les sensibilités. Je félicite le président Belot pour le travail réalisé qui n'était pas chose aisée au regard du nombre et de la puissance des intérêts en jeu, parfois contradictoires.

Je félicite également les rapporteurs pour le bon climat qui a régné, alors que quelques divergences se sont manifestées, ce qui était d'ailleurs normal compte tenu du caractère pluraliste de la mission dont les travaux sont le fruit d'un véritable débat démocratique.

Je regrette pourtant que nous ne soyons pas parvenus à un consensus sur les 90 propositions. Je suis en phase sur un certain nombre de points comme le renforcement du rôle des communes, échelon de proximité par excellence, et du couple commune-communauté de communes, l'amélioration de la péréquation entre les collectivités territoriales, la préservation de l'autonomie financière et fiscale des collectivités avec la révision des valeurs locatives, l'accentuation du lien fiscal entre les collectivités territoriale et les entreprises. Les propositions relatives aux finances locales vont indéniablement dans le bon sens.

Je suis plus réservé sur celles relatives aux compétences territoriales, mais les divergences de vue font partie du débat démocratique. Le couple départements-régions devrait fonctionner comme le couple communes-communautés de communes. Comme les communes qui conservent la compétence générale et délèguent des compétences spécifiques aux communautés de communes, le département devrait avoir une compétence générale et déléguer des compétences spécifiques aux régions.

Certaines propositions seront complexes à mettre en oeuvre, comme la proposition 39 qui permet à une collectivité d'agir sur la base d'une procédure de « constat de carence », favorisant une approche négociée de la répartition des compétences. Or, l'arbitrage sera difficile à rendre et risque de ralentir les projets.

J'approuve les 21 premières propositions relatives à la gouvernance territoriale. En revanche, je suis plus réservé sur l'instauration d'un conseil régional des exécutifs ou la conférence départementale des exécutifs. Ces organes seront-ils à même de résoudre la concurrence institutionnelle et de permettre la cohésion des politiques ? Après ces grands-messes, chacun revient avec de belles idées qui se traduisent rarement dans les faits.

Avec Charles Guéné, j'estime que le remplacement des conseillers généraux et territoriaux par des conseillers territoriaux qui siégeraient à la fois aux conseils général et régional mettrait un terme aux concurrences institutionnelles et financières entre régions et départements qui sont apparues au cours de ces deux dernières décennies. (Applaudissements à droite) Une telle réforme clarifierait les compétences et réduirait les financements croisés. Les politiques des départements et des régions seraient plus complémentaires et le rôle des élus territoriaux renforcé ; pour ces derniers, le mode de scrutin reste à déterminer. Nous avons le choix entre le scrutin de liste départemental qui politise davantage l'élection, le scrutin de liste au sein des départements ou encore un scrutin mixte, avec la proportionnelle dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants et un scrutin uninominal à deux tours sur des cantons élargis afin de mieux identifier les élus. (Applaudissements à droite) Le scrutin de liste risque en effet de trop politiser l'élection et de ne pas faire émerger les élus de qualité non inscrits.

J'en viens à la diminution du nombre d'élus. Il ne faudra pas simplement s'en tenir à des critères démographiques mais prendre aussi en compte l'étendue des départements et surtout leur situation économique afin que les plus fragiles ne soient pas sous-représentés. Il faudra également tenir compte de l'espace rural et des problèmes de désertification. La ruralité ne doit pas s'effacer devant les zones urbaines, comme c'est souvent le cas dans des scrutins de liste départementaux. (Applaudissements à droite) Une diminution de 25 à 30 % du total des élus départementaux et régionaux permettrait de conserver une gestion de proximité.

La cohérence des politiques permettra de réaliser des économies, plus que la simple diminution du nombre des élus. Nous mènerons cette réforme à bien en sortant du jardin à la française, en renforçant la légitimité des élus et en améliorant la gestion publique : aujourd'hui, il faut deux fois plus de temps en France pour réaliser des projets structurants que dans les autres pays européens !

Nous espérons que le projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales s'inspirera des travaux de la mission sénatoriale et de ce débat. Le pire serait d'aboutir à une demi-réforme sans ambition et sans impact sur les défauts les plus criants du système actuel. (Applaudissements à droite) Nous devons faire fi des intérêts particuliers, faire preuve de courage et d'audace pour aller de l'avant. Il nous faut être à la hauteur des enjeux. Compte tenu de la responsabilité particulière que la Constitution lui confère dans l'organisation des collectivités territoriales, le Sénat aura un rôle majeur à jouer dans cette réforme : comme l'a dit notre Président Gérard Larcher dans les Pyrénées, le Sénat devra être un partenaire actif.

Voilà les quelques réflexions que je voulais vous livrer, suite à la présentation de ce rapport riche en propositions précises : ce rapport est le point de départ d'une réforme ambitieuse qui répond aux attentes de tous les Français ! (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

II. Le point de vue des groupes politiques

M. le président.  - Nous allons poursuivre le débat. A l'issue des points de vue des groupes politiques, M. le ministre de l'intérieur interviendra, puis nous entamerons le débat interactif et spontané : chaque sénateur pourra intervenir deux minutes et la mission ou le Gouvernement pourront répondre aux interrogations ou aux interpellations formulées.

M. Jacques Mézard.  - (Applaudissements sur les bancs du RDSE) Avec ma collègue Anne-Marie Escoffier, nous avons été des membres assidus de la mission temporaire. La sagesse et l'expérience du président Belot en ont fait un lieu d'écoute et de propositions pour améliorer le fonctionnement et la gestion de nos collectivités.

Une simplification des structures et de la fiscalité locale sont nécessaires. Lors de la remise du rapport de la commission Balladur, le Président de la République a souligné l'ambivalence des aspirations des Français, valorisant la proximité et l'adaptation aux réalités locales tout en dénonçant le gaspillage généré par l'empilement des structures. Il en a conclu à Versailles qu'il ne se déroberait pas devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux, devant le problème de la répartition des compétences, ni devant l'effort qui sera demandé à toutes les collectivités. Il nous est demandé d'investir davantage mais de réduire les frais de fonctionnement : le message est clair.

Nous attendions un mot sur la péréquation : considérons qu'il en fut question lorsqu'il dit : « Je veux dire que pour atteindre l'égalité, il faut savoir donner plus à ceux qui ont moins ». Dans ces temps de crise, il faudrait rajouter : « Il faut donner moins à ceux qui ont plus ».

M. Yvon Collin.  - Voilà une belle formule !

M. Jacques Mézard.  - Tel est le véritable enjeu de la péréquation : tant qu'à capital foncier égal, les habitants de Mende, d'Aurillac, et de nombreuses villes moyennes paieront cinq à dix fois plus d'impôt local que ceux de Paris, de Toulouse ou de Neuilly, il ne sera pas de vraie réforme ! Pourtant, il ne faudrait pas tenter de passer en force, en préparant l'opinion publique par un discrédit jeté sur des élus locaux prétendument trop nombreux, mauvais gestionnaires, augmentant constamment l'impôt local et les déficits publics.

Encourager la fusion de communes et d'intercommunalités est un objectif sage, mais qui prendra du temps. N'oublions pas que plusieurs centaines de milliers de conseillers municipaux bénévoles permettent de renforcer le lien social.

Si l'enjeu fondamental est de diminuer de moitié ou du tiers le nombre de conseillers généraux et régionaux, on passera à côté de l'essentiel -à moins que le véritable objectif ne soit une digestion lente de l'échelon départemental par le régional, ce que Jean-François Copé a dit clairement ces derniers jours.

Nous attendons des actes en harmonie avec les discours. Ainsi du financement des routes nationales : il y a quatre ans, l'État transférait aux départements une grande partie de celles-ci avec l'engagement de bannir les financements croisés et de ne plus rien demander pour ce réseau.

M. Yvon Collin.  - Paroles, paroles !

M. Jacques Mézard.  - Ces promesses n'ont engagé que ceux qui les ont reçues car l'État demande aux collectivités locales, d'ici le 15 juillet, 30 % de cofinancement.

Le rapport de la mission sénatoriale a recueilli jusqu'à l'avant-dernier soir un très large consensus, mais d'aucuns considèrent aujourd'hui que ses propositions ne vont pas suffisamment dans le sens de la réforme. La représentation de chaque strate tend à revendiquer la clause de compétence générale afin de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens. Or, si les transferts ont pesé lourd dans l'augmentation des dépenses de personnel des collectivités locales, passées de 32 milliards d'euros en 2001 à 46 milliards en 2007, qui niera que le service décentralisé est naturellement plus coûteux ? L'exemple des lycées et des collèges est révélateur.

On constate également une accumulation de frais de fonctionnement dans de multiples structures à chaque niveau -agences économiques, touristiques, etc.- et, au nom de la proximité, des concurrences de pouvoir émanant de toutes les sensibilités politiques. Il serait toutefois excessif de parler de féodalité...

Mme Nathalie Goulet.  - Pas du tout.

M. Jacques Mézard.  - Des progrès importants sont à réaliser en matière de mutualisation des services.

Quant à la jungle de la fiscalité locale, incompréhensible par le citoyen mais sensible à son portefeuille, les élus locaux n'en sont point responsables car l'échéance de la réforme a été maintes fois repoussée. Le rapport de la mission sénatoriale peut ouvrir la voie à une réforme profonde et sage.

Réserver la clause de compétence générale aux communes et aux départements est acceptable si les départements et les régions disposent de compétences spéciales larges, complétées par quelques compétences facultatives. Il faut préserver la possibilité de contractualiser et de planifier pour les dossiers structurels.

Pour ce qui est de la gouvernance, l'objectif est de boucler la carte intercommunale pour 2011, en augmentant progressivement les compétences obligatoires et en fléchant l'élection communautaire -je connais les réserves de Jean-Pierre Chevènement sur ce point-, en absorbant les syndicats intercommunaux et en confortant les grandes métropoles d'équilibre. La question des conseillers territoriaux est certainement le point le plus conflictuel. Un nouveau découpage cantonal est indispensable. (Mme Nathalie Goulet approuve) Il pourrait constituer un socle pour l'élection des conseillers régionaux, aujourd'hui sans prise directe avec le territoire, mais nous ne voulons pas d'une manoeuvre électorale instaurant de la proportionnelle en zone urbaine et conduisant à l'effacement progressif des départements, des sous-préfectures et de certaines préfectures. Sur les conseils des exécutifs, la mission propose un moyen de coordination, donc d'économie, entre les collectivités.

Pour les finances locales, la mission a confirmé son attachement à l'autonomie des collectivités. Les compétences doivent être spécialisées sur un nombre limité d'entre elles, avec des assiettes larges et une réelle capacité de fixer les taux, et en cessant de créer de nouveaux dégrèvements et exonérations. Il est urgent d'actualiser les valeurs locatives car le système actuel, obsolète, aggrave les déséquilibres entre les territoires. Un large consensus s'est fait sur la nécessité de maintenir un impôt économique lié au territoire.

La mission a placé au centre de sa réflexion l'instauration d'une véritable péréquation entre les territoires : la diversité doit être compatible avec la justice. Il s'agit de dégager des ressources à partir des dotations forfaitaires, de réduire le nombre des bénéficiaires et de créer un fonds national de péréquation. Si la péréquation ne constitue pas un des axes fondamentaux de la réforme, ce sera une faute lourde de conséquences, le déni d'une véritable politique d'aménagement des territoires.

Le 1er avril 1999, devant cette assemblée, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur, a rappelé qu'il n'y avait pas de solidarité territoriale sans mutualisation des ressources, qu'il ne fallait pas opposer le rural et l'urbain, que son projet de loi comportait des dispositions porteuses d'efforts importants à moyen et long terme. Veillons à ne pas connaître l'inverse. Il ne s'agit pas de surfer sur les attentes contradictoires de nos concitoyens, mais de rendre le meilleur service au meilleur coût sur l'ensemble du territoire. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE ; Mme Nathalie Goulet applaudit aussi)

M. Jean-François Voguet.  - Devant le Congrès, le Président de la République a déclaré vouloir aller « jusqu'au bout de la réforme des collectivités locales. Nous ne nous déroberons pas devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux. Nous ne nous déroberons pas devant le problème de la répartition des compétences. Nous ne nous déroberons pas devant l'effort qui sera demandé à toutes les collectivités ». L'objectif est donc fixé : la réduction du nombre, de l'action et des dépenses des collectivités locales, la déstabilisation de toute l'organisation territoriale de notre République. Ainsi, après avoir changé de République, nous sommes appelés à changer la République... Nous ne pouvons que mesurer les limites de notre mission car l'avis des sénateurs ne semble pas intéresser le Président. Nous le déplorons car ce rapport maintient les trois niveaux de collectivités et la clause de compétence générale. Tout va donc se jouer au cours du prochain débat parlementaire et notre responsabilité est engagée pour soutenir d'autres propositions.

Sous couvert de réorganisation, il s'agit de supprimer les communes en renforçant les intercommunalités. Le rapport de force, le fait majoritaire remplacera la coopération librement consentie. Dans les métropoles, le pouvoir des villes centres va s'imposer et la perte d'autonomie s'annonce. Et, ne nous y trompons pas, c'est la fin des départements. En créant les conseillers territoriaux, on cherche à supprimer l'autonomie départementale et non à faire quelques économies ridicules. Les possibilités d'action des conseillers territoriaux ne siégeant qu'en formation départementale seront limitées par un encadrement strict, par le renforcement des compétences de la région et par la création de métropoles.

Le but ultime de la réforme est de créer les conditions d'une évolution lente, mais assurée, vers une organisation territoriale reposant uniquement sur des intercommunalités et des métropoles devenues des collectivités locales de plein exercice, et sur des régions aux pouvoirs étendus, le pouvoir central n'assurant plus que les fonctions régaliennes. Les politiques publiques seraient alors régionalisées et la gestion des affaires courantes relèverait des intercommunalités. C'est toute l'histoire démocratique de notre pays, la forme actuelle de notre République, l'équilibre des pouvoirs qui sont appelés à disparaître. Les lieux de décision s'éloigneront toujours plus des citoyens, notre vitalité démocratique sera mise à mal. L'engagement, le bénévolat, les solidarités locales perdront de leur sens et s'effaceront.

L'avenir même des services publics locaux est en question, tout comme nos institutions et notre conception du vivre ensemble et de la fraternité. Pour résister contre ce projet, nous en appelons à la mobilisation des élus locaux et de la population. Pour cela, nous devons ouvrir la voie à des transformations utiles car il n'est pas possible de maintenir le statu quo. Nous réaffirmons la nécessité de l'existence et de l'autonomie de toutes les collectivités locales, du développement de leur coopération, du renforcement de leurs moyens pour répondre aux attentes des populations et renouveler la démocratie locale. Pugnace et déterminée pour résister et proposer, telle sera notre attitude dans le débat qui va s'ouvrir. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Peyronnet.  - Au nom du groupe socialiste, je félicite l'équipe qui a animé pendant huit mois les travaux de la mission : son président, ses deux vice-présidents et ses deux rapporteurs ont travaillé dans un esprit de consensus pour aboutir à une position synthétique reflétant l'opinion de notre assemblée. Les représentants du groupe socialiste ont joué le jeu du travail collectif, au point même de demander à ce que des votes soient différés lorsque la gauche se trouvait être majoritaire dans la mission car, dans ce cas, celle-ci n'était pas représentative du Sénat. Ils n'en ont été que plus consternés par l'attitude du groupe UMP qui, le dernier jour de nos travaux, a présenté une contribution qui semblait devoir se substituer à certaines parties approuvées du rapport.

Finalement renvoyée en annexe après avoir été édulcorée des propositions surprenantes comme la réduction du nombre de conseillers municipaux, même ruraux, cette contribution n'en suggère pas moins qu'il ne s'est rien passé au Sénat depuis la lettre de mission du Président de la République au comité Balladur. Ainsi, bien des propositions de l'UMP contredisent ce que ses représentants avaient approuvé au sein de la mission. Je pense aux transferts en bloc des compétences départementales aux métropoles ; je pense à la clause générale de compétence, que l'UMP réserve aux seules communes ; je pense enfin à la substitution inattendue des conseillers territoriaux aux conseillers généraux ou régionaux. Tout cela est surprenant, car aucun consensus ne s'était dégagé en ce sens.

On peut désormais s'interroger sur la valeur de l'énorme travail fourni par la mission. Doit-on le considérer inutile ? Doit-on considérer que le Sénat n'adoptera pas de position claire sur la réforme des collectivités territoriales ? Doit-on considérer que nous réfléchirons exclusivement aux propositions des seuls conseillers de l'Élysée ? Ce serait humiliant pour la mission, en particulier pour son président, un sénateur UMP de grande qualité. Mais ce serait encore plus humiliant pour le Président du Sénat, qui avait souhaité au lendemain de son élection rendre sa force à l'initiative parlementaire, conformément aux principes affichés de la révision constitutionnelle.

Monsieur le Président du Sénat, il me semble que vous devez dire votre sentiment. Nous saurons alors si cette mission était un leurre ou si vous comptez promouvoir ses travaux afin que l'initiative parlementaire trouve pour une fois sa juste place. Peut-on avancer dans ce pays sans que la majorité parlementaire ne se couche systématiquement devant l'exécutif ? Peut-on enfin reconnaître que l'on peut dialoguer avec l'opposition ?

Nous approuvons les propositions de la mission et souhaitons qu'elle inspire la réforme à venir. Certes, il n'y a pas de big bang, mais il n'y a pas non plus de conservatisme. La mission propose une réforme profonde passant par une mine de retouches renforçant l'intercommunalité, clarifiant les compétences et confortant la coordination entre les divers niveaux, sans parler de la péréquation fiscale. Nous approuvons cette démarche.

Nous avons quelques droits à nous prétendre les auteurs d'une décentralisation violemment combattue par la droite parlementaire dans les années 80, avant que l'ensemble de l'échiquier politique ne reconnaisse ses mérites. Du moins officiellement, car les projets dont nous avons connaissance suggèrent que certains n'ont pas bien accepté ce qui, pour le coup, était une révolution. La première loi de décentralisation n'a que 27 ans, mais le processus initial ne fut achevé en 1988. Notre conception était d'ailleurs celle d'une évolution permanente. Ainsi, la loi du 12 juillet 1999 sur l'intercommunalité fut une étape majeure. La réforme Raffarin de 2003-2004 relevait du même processus évolutif.

Que nous propose-t-on aujourd'hui, en marge de la mission sénatoriale ? De supprimer les départements et les communes, pour ne conserver que l'intercommunalité et la région, conformément aux préconisations du comité Balladur.

En effet, le mode d'élection qui se profile pour les intercommunalités fera émerger de super maires ne laissant aux maires de communes que la police et l'état civil.

Mme Catherine Tasca.  - Et les cimetières !

M. Jean-Claude Peyronnet.  - La mission ne soutient pas cette perspective.

Là où existent des métropoles, le transfert en bloc des compétences départementales signera la mort brutale du département. Dans le reste du territoire, la création de conseillers territoriaux siégeant à la région et au département transformera celui-ci en subdivision hiérarchiquement soumise à la région, qui ne s'en portera d'ailleurs pas mieux en raison de sa cantonalisation. Au début, les départements pourront distribuer encore la grande prestation nationale, comme l'APA ou le RSA, mais n'être qu'un guichet n'est pas le propre d'une réelle collectivité territoriale.

Par ailleurs, en réduisant de 30 % à 50 % le nombre des conseillers, on rendra leur mission impossible. Un document de mon département recense quelque 500 organismes où le conseil général est officiellement représenté. Il en va sans doute de même dans les autres départements, car les conseils généraux créent du lien social précisément grâce à ces rapports avec le monde socioprofessionnel, culturel, sportif ou administratif. C'est ainsi qu'ils sont à l'écoute de la population, ce qui est le propre de la décentralisation. C'est cela que l'on voudrait casser ! Comment un conseiller territorial, vice-président du conseil général à l'économie pourrait-il être aussi vice-président du conseil régional à la culture ?

En clair, vous supprimez les deux seules collectivités territoriales de proximité.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.  - Où avez vous vu ça ?

M. Jean-Claude Peyronnet.  - En effet, le nombre insuffisant de conseillers les empêchera d'assurer une bonne administration, alors que la carence de l'État place nombre de départements en cessation de paiement.

Contrairement à bien d'autres, je n'avais jamais dit jusqu'ici que l'on allait vers une recentralisation, mais je crois désormais à un retour en arrière vers l'État centralisateur, avec la réforme générale des politiques locales et la mise sous tutelle de collectivités territoriales via la disparition de leur autonomie fiscale. Tout cela est cohérent avec la mise au pas d'autres pouvoirs intermédiaires.

Je passe vite sur un thème dangereux consistant à jouer sur le registre du coût des élus. (Sur les bancs socialistes, on crie au « Poujadisme ») Je ne conseille à personne de flatter ainsi les instincts les plus bas de la population en suggérant que les élus sont « tous pourris », alors que leur coût est modique, ainsi que M. Colombat l'a rappelé.

Mais le véritable objectif de la réforme consiste à récupérer au profit de la droite le terrain perdu dans les départements et les régions ! (Applaudissements sur les bancs socialistes. Mme Jacqueline Gourault applaudit également)

M. Yves Détraigne.  - S'il est un point d'accord entre les élus territoriaux, c'est bien que la prochaine réforme des collectivités territoriales devrait clarifier leurs architectures et la simplifier pour la rendre lisible. (Vifs applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite) Telle n'a pas été la caractéristique de bien des lois intervenues depuis le début des années 80. Je pense notamment à celles qui ont créé les schémas de cohérence territoriale (Scot), les « pays » et les communautés, chacune de ces entités ayant un territoire spécifique. Je pense aussi à la loi d'août 2004, présentée comme l'acte II de la décentralisation, mais qui ne lui a pas donné un nouveau souffle.

La réforme dont nous débattrons ne devra pas être en demi-teinte.

Son premier objectif doit être de mettre fin à l'empilement des structures et au chevauchement des compétences, pour que l'existant soit compris et approprié par les élus et les habitants. Or, si de nombreux responsables exécutifs pensent que la complexité est inévitable, beaucoup d'élus locaux s'interrogent sur la répartition des compétences et souhaitent quelque chose de plus clair et de plus simple, tout comme un nombre croissant de nos concitoyens. (On le conteste sur les bancs socialistes)

Il faut donc approcher la réforme en termes de services, non de pouvoir. Lorsque j'entends dire que des collectivités distinctes doivent assurer la construction, l'équipement et l'entretien des lycées d'une part, la construction, l'équipement et l'entretien des collèges d'autre part, je constate que des nuances m'échappent... (Applaudissements sur divers bancs au centre à droite)

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.  - Bravo !

M. Yves Détraigne.  - ...et que la question est abordée en termes de pouvoir, plus que la clarté. (On s'insurge à gauche contre cette interprétation)

Être durable constitue le deuxième objectif de cette réforme, ce qui suppose la refonte complète des finances locales et la fin des modifications au coup par coup dans les lois de finances successives. Cela suppose aussi la fin des doublons de compétences et des empilements de structures.

La généralisation de l'intercommunalité à fiscalité propre me paraît souhaitable et inévitable, encore faut-il qu'elle soit comprise par la population. Il faudra donc insister sur la cohérence des territoires intercommunaux et remodeler si nécessaire le périmètre de communautés existantes : on ne peut conserver des communautés territorialement disjointes ou dont le périmètre doit aux accointances entre élus plus qu'à la réalité d'un bassin de vie.

De même, il faudra supprimer nombre de Sivom et de Sivu. Dans le même ordre d'idées, je ne pense pas souhaitable d'introduire une nouvelle forme d'intercommunalité, appelée « métropole », à moins de réserver cette nouvelle forme d'organisation aux agglomérations de taille très importante et au rayonnement incontestablement international, en leur transférant non seulement les compétences d'une communauté urbaine, mais aussi celles exercées aujourd'hui sur leur territoire par le département. La « métropole » doit prendre en compte le caractère spécifique de nos plus grandes agglomérations.

Enfin, comme la commune, le département est une collectivité de proximité ; ces deux entités sont parfaitement identifiées par la plupart de nos concitoyens, ont vocation à s'épauler, alors que la région s'occupe des grandes infrastructures, de la recherche et de l'université. Ce n'est pas parce qu'il a deux siècles d'existence, que le département doit faire les frais de la réforme. Si les communes rurales ont besoin du département, l'État et l'Europe ont besoin des régions.

La commission Belot a lancé des pistes intéressantes. Le Sénat doit maintenant s'en emparer afin que la réforme réponde aux attentes et aux besoins. (Applaudissements sur la plupart des bancs de l'Union centriste et de l'UMP)

Mme Marie-France Beaufils.  - Le Président de la République et le Gouvernement appellent à une véritable casse de notre organisation démocratique parce qu'ils n'admettent pas que nos collectivités puissent être des lieux de résistance à leur politique et qu'on y fasse vivre le service public. Les citoyens doivent pourtant pourvoir trouver des services de qualité à tous les moments de leur vie ; les collectivités y consacrent les moyens nécessaires et les habitants s'en félicitent. C'est pourquoi le Gouvernement a choisi d'attaquer la réforme sans en dire la profondeur. C'est clair, les métropoles signent la fin des communes comprises dans leur aire géographique, la fin de la relation privilégiée entre les élus et les citoyens qui, de nombreux témoignages l'ont montré, tissent la vie démocratique. Nous voulons pour notre part développer cette vie démocratique et permettre aux citoyens de mieux saisir tout ce qui façonne leur quotidien. C'est pourquoi nous nous attachons à développer des services publics de qualité ; c'est aussi pourquoi nous ne pouvons approuver la suppression de cette ressource dynamique qu'est la taxe professionnelle. Cet impôt économique permet aux communes, aux intercommunalités, aux départements et régions de réaliser des infrastructures indispensables et d'assurer aux entreprises des salariés bien formés.

« Allons-nous continuer à taxer la production et le travail alors que nous savons bien que nous détruisons l'emploi et l'industrie », demande le Président de la République. Nous ne partageons pas ce constat car, si malgré son plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée, la taxe professionnelle pèse plus sur la production, c'est que personne n'a accepté d'étudier notre proposition d'inclure dans sa base la richesse financière de manière à mieux assurer l'égalité et la péréquation. Le Président de la République et le Gouvernement affirment que c'est une entrave dont il faut se défaire, « un choix stratégique pour l'emploi », mais alors, pourquoi refuser de faire le bilan des réductions et dégrèvements : qui a mesuré leur efficacité ? Le rapport Cotis dont ce n'était pas l'objet a fourni le seul éclairage dont on dispose en révélant que la rémunération des actionnaires s'est accrue aux dépens de l'investissement. Voilà ce qui fait courir de grands risques à notre économie, voilà le bilan sur lequel M. Novelli s'est gardé de répondre lors du débat du 10 juin ! Il n'y a pourtant pas de bon traitement sans un bon diagnostic...

Si demain les collectivités ne répondent plus aux attentes des citoyens, des PME et des artisans, ils vous demanderont des comptes. Parce que nous ne voulons pas de ce scénario, nous invitons chacun à agir pour satisfaire ces attentes. (Applaudissements à gauche)

M. Charles Guené.  - (On applaudit sur les bancs UMP) Le 22 juin, devant le Congrès, le Président de la République a réaffirmé sa volonté d'aller jusqu'au bout de la réforme des collectivités locales et de ne se dérober ni devant la réduction du nombre des élus, ni devant la répartition des compétences. Le groupe UMP du Sénat soutient cette volonté avec conviction : rien ne serait pire qu'une demi-réforme qui repeindrait les murs de l'immobilisme et du conservatisme.

Les déplacements de la mission Belot, nos contacts montrent l'ampleur des attentes. Les maires en ont assez des doublons administratifs, des procédures interminables, des financements croisés... (Exclamations à gauche et applaudissements sur plusieurs bancs UMP) Ils nous demandent de clarifier, de simplifier et de renforcer la légitimité des élus en renforçant la lisibilité de l'action publique. Nous partageons ce constat avec la mission, même si nous divergeons sur certaines solutions.

Je salue l'esprit de dialogue et d'ouverture dans lequel a travaillé la mission. En matière d'intercommunalité, ses propositions ne sont pas très éloignées de celles du groupe de travail animé par MM. Perben et Courtois, et auquel j'ai participé. Très attachés à la commune, nous souhaitons lui réserver, ou à l'intercommunalité par délégation, la clause de compétence générale. Nous proposons d'achever la carte de l'intercommunalité d'ici 2011, de réformer les commissions départementales de coopération intercommunale pour y renforcer les intercommunalités et leur donner davantage d'autonomie -j'ai parlé d'un pouvoir de décision. Un système plus souple de fusion pourrait être mis en place avec pragmatisme ; on ne créerait plus de pays et ceux qui existent s'insèreraient dans les coopérations intercommunales tandis que les délégués seraient élus au suffrage direct par un système de fléchage et proportionnellement à la taille des communes. L'accord de la commune rassemblant la majorité de la population serait requis pour les décisions la concernant et la section d'investissement du budget communautaire serait votée à la majorité qualifiée. Enfin, le panachage serait supprimé à partir de 500 habitants et le nombre de membres des exécutifs communautaires limité. On voit que nous partageons le constat et la plupart des orientations du rapport Gourault-Krattinger.

Je ne reviendrai pas ici sur la fiscalité, dont j'ai traité le 10 juin lors du débat sur la taxe professionnelle.

En revanche, les divergences sont plus profondes sur les métropoles et sur la gouvernance. Nous devons les assumer clairement et dans l'esprit de dialogue insufflé par le Président du Sénat. L'opposition a pu largement s'exprimer durant les travaux de la mission (remerciements ironiques sur les bancs socialistes) et nous avons demandé à joindre une contribution au rapport de la mission. Nous tenons d'abord à réaffirmer notre volonté de créer sept à huit métropoles aux pouvoirs renforcés tandis que des groupements métropolitains de projets pourraient s'organiser autour d'initiatives locales. Les métropoles jouiraient de la clause de compétence générale, de la compétence départementale et partageraient la compétence économique avec la région, de manière à avoir les moyens de leurs ambitions à l'échelle européenne. Les conseillers métropolitains seraient élus au suffrage universel direct selon un système de fléchage et à la proportionnelle des résultats aux municipales. Nous avons besoin d'une gouvernance claire pour des politiques fortes et cohérentes. Il conviendra de privilégier les réponses pragmatiques à la question du périmètre, et respecter la partie du département non intégrée : nous sommes pour les grandes métropoles mais contre la fracture territoriale.

La mission a débattu deux options sur la gouvernance et la répartition des compétences. La première, qu'il privilégie, est un conseil régional des exécutifs (marques d'approbation sur les bancs socialistes) ainsi qu'une conférence départementale des exécutifs. Cela risque de ne pas aller dans le sens de la simplification ; de plus, ces cénacles de rencontre valent surtout par la bonne volonté de leurs membres. Il faudrait être dans la cité idéale décrite par Platon ou Thomas Moore pour qu'ils imposent leurs décisions à des collectivités de plein exercice ! La réforme doit s'appuyer sur une clarification nette des compétences et une gouvernance rationalisée entre départements et régions.

M. Jean-Patrick Courtois.  - Très bien !

M. Charles Guené.  - Faute d'avoir tranché sur la répartition des compétences, l'aménagement du territoire et les enjeux de pouvoir, la mission aurait dû porter le fer sur la gouvernance.

A trop vouloir être consensuelle, la mission a abouti à des propositions timides qui préservent le statu quo. Le groupe UMP, au contraire, veut faire preuve d'audace pour proposer à notre pays la réforme qu'il attend. (Applaudissements sur de nombreux bancs à droite) Nous sommes par exemple très majoritairement favorables à l'instauration de conseillers territoriaux siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional, non par idéologie mais par pragmatisme. (Exclamations à gauche ; applaudissements sur de nombreux bancs UMP)

Voix à gauche.  - Par intérêt électoral !

M. Charles Guené.  - Il faut spécialiser les compétences des départements et des régions pour mettre un terme aux financements croisés et accroître l'efficacité des politiques. Le mieux serait que les mêmes élus prennent les décisions aux deux échelons ; ils exerceraient ainsi un seul mandat mais deux fonctions. Outre le fait que des élus moins nombreux seraient mieux connus des électeurs, cette mesure favoriserait l'harmonisation des politiques et mettrait fin à la concurrence institutionnelle et financière qui s'est développée au cours des vingt dernières années entre les régions et les départements. (Protestations à gauche ; marques d'approbation à droite)

M. Jean-Patrick Courtois.  - Très bien !

M. Charles Guené.  - Nous n'ignorons pas que cette réforme pose des problèmes techniques, qu'il faut s'assurer de sa constitutionnalité et définir le mode d'élection des nouveaux conseillers. Nous restons très attachés à l'ancrage territorial des élus et à l'échelon cantonal, notamment en milieu rural. (On ironise à gauche) Afin que l'on ne nous accuse pas de changer les règles du jeu à la veille du scrutin, nous proposons une mise en oeuvre progressive : les conseillers régionaux seraient élus en 2010 selon le mode de scrutin actuel pour un mandat de quatre ans, et la moitié des conseillers généraux en 2011 pour un mandat de trois ans, toujours selon les règles en vigueur.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Pourquoi trois ans ?

M. Charles Guené.  - L'élection générale des conseillers territoriaux n'aurait lieu qu'en 2014. (On s'en félicite sur divers bancs à droite)

Cette mesure est la pierre angulaire de la réforme ambitieuse que nous appelons de nos voeux. Il faut enfin sortir du « jardin à la française » pour mieux prendre en compte la diversité territoriale du pays, et améliorer la gouvernance des collectivités pour renforcer la légitimité des élus et accroître l'efficacité des politiques publiques tout en réduisant leur coût. Tel est le sens de la réforme que nous souhaitons engager pour répondre aux attentes des élus locaux et de l'ensemble des Français. (Applaudissements à droite ; vives protestations à gauche)

M. Jean Louis Masson.  - Les conclusions du comité Balladur m'ont semblé dans l'ensemble très judicieuses. (On s'en réjouit à droite) Je pense notamment à la clarification des compétences des intercommunalités, au mode de désignation des délégués intercommunaux et à la modernisation du mode de scrutin dans les communes comptant entre 500 et 3 500 habitants.

Il faut également revoir la répartition des rôles entre les départements et les régions. En empêchant les chevauchements de compétences, on mettra fin aux rivalités et aux financements croisés qui nuisent à l'efficacité des politiques publiques.

Je suis partisan de l'instauration de conseillers territoriaux qui siégeront à la fois dans les conseils généraux et régionaux, afin de rapprocher ces deux niveaux de décision.

M. Alain Gournac.  - Très bien !

M. Jean Louis Masson.  - Cependant, j'exprimerai deux réserves importantes. Tout d'abord, les nouvelles règles doivent être définies honnêtement, sans arrière-pensées politiciennes.

M. Didier Guillaume.  - C'est un aveu !

M. Jean Louis Masson.  - Évitons de monter une usine à gaz pour l'élection des conseillers territoriaux, comme pour celle des députés européens. Choisissons soit un mode de scrutin proportionnel infradépartemental, comme le préconisait le comité Balladur, soit un mode de scrutin uninominal à deux tours, au lieu de vouloir ménager la chèvre et le chou.

Cette réforme doit aussi être appliquée avec honnêteté, monsieur le ministre. Le risque est celui du charcutage. (On renchérit bruyamment à gauche) J'ai assisté dans ma carrière politique à bien des projets de redécoupage électoral, depuis celui de 1986. Si l'on veut que la création des conseillers territoriaux fasse consensus, il faut éviter de reproduire les mêmes abus qu'auparavant.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean Louis Masson.  - J'en ai presque terminé. Je souhaitais ajouter ceci : puisque l'on a créé une commission, censément neutre et objective, chargée de donner son avis sur le projet de redécoupage des circonscriptions législatives, il conviendrait de suivre son avis plutôt que de s'asseoir dessus ! Souhaitons au moins que cela ne se reproduise pas lors de la définition du mode d'élection des conseillers territoriaux.

M. Gérard Collomb.  - J'espère que l'on m'excusera dans cette enceinte républicaine, pour saluer la présence au banc du Gouvernement de M. Mercier, de citer une formule de Saint Augustin : credo quia absurdum, j'y crois parce que c'est absurde. (Rires) Oui, j'ai envie de croire qu'il est possible de mener une réforme guidée par l'intérêt supérieur du pays, qui renforce l'efficacité des politiques locales et ouvre la voie de l'excellence tant aux villes qu'aux campagnes. J'ai envie de croire que M. le Président du Sénat souhaite cette réforme.

Mais à entendre MM. Pointereau et Guené, je ne suis pas sûr que la majorité s'engage dans cette voie. De deux choses l'une : soit on a en vue l'intérêt supérieur du pays et l'on s'assigne la compétitivité, soit on défend de petits intérêts. Certains reprochent aux collectivités locales d'être trop dépensières, alors qu'elles sont responsables de 73 % des investissements publics et n'émargent que pour 10 % à la dette publique. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Serait-ce un prétexte pour réduire l'autonomie financière et fiscale des collectivités ? La majorité entend diminuer les charges des entreprises et est à la recherche d'un magot pour financer cette mesure ; souhaiterait-elle en faire supporter le coût aux collectivités locales, et par là même aux ménages ?

J'en viens à la question des conseillers territoriaux. Je suis sûr qu'une manoeuvre aussi sordide n'entre dans les vues de personne, et de M. Marleix moins que d'aucun autre, mais il ne faudrait pas aboutir à une situation ubuesque où les conseillers seraient élus au scrutin uninominal dans les campagnes et au scrutin proportionnel dans les grandes villes, afin de favoriser dans chaque cas la droite. (Applaudissements sur les bancs socialistes) J'en suis sûr, un tel machiavélisme relève du fantasme !

Le développement des territoires est indispensable à la vitalité de notre pays. Dans les zones rurales, les départements constituent la principale armature institutionnelle. L'essor des campagnes est aussi important que celui des villes !

Vous prétendez renforcer la coopération entre les métropoles et les communes. Mais elles coopèrent déjà très bien ! J'en ai l'expérience dans ma propre communauté urbaine. Ce que souhaitent les élus des métropoles lyonnaise, stéphanoise et iséroise, mais aussi ceux de Metz et de Nancy, de Nantes et de Saint-Nazaire, c'est pouvoir organiser leur territoire sur une plus grande échelle. Quel que soit le nom que l'on donne à ces nouvelles entités -appelons-les, si vous voulez, « métropoles »- elles devront relever quatre grands défis : tout d'abord, celui de la planification urbaine, pour éviter que de grandes agglomérations tentaculaires ne dévorent les espaces naturels et agricoles tout alentour ; cela implique de développer les transports en commun. Il faudra aussi faire travailler ensemble nos universités, nos centres de recherche, nos pôles de compétitivité.

Il nous faut créer avec la région une autorité organisatrice des transports qui soit à l'échelle de la métropole, capable d'investir dans un maillage complet de réseaux. Il faut enfin mutualiser nos moyens lors des grands évènements culturels pour les faire rayonner au-delà de la région.

Messieurs les ministres, si vous portez une telle réforme, alors, oui, vous aurez fait changer notre pays. Mais si vous portez l'autre réforme, bien sûr vous redeviendrez présidents de conseil général ou régional -sièges gagnés au tapis vert plus que par l'élection-, mais vous ne resterez pas dans l'Histoire ! (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Hervé Maurey.  - Dans ce domaine comme en beaucoup d'autres, notre pays a besoin d'une réforme, d'une vraie réforme, d'une réforme ambitieuse, pas d'une réformette. Trop souvent, dans notre pays, l'absence de courage politique a conduit, dans le passé, à des réformettes successives plutôt qu'à une vraie réforme, si bien que les élus locaux doivent évoluer dans un paysage complexe et changeant. Ces élus locaux sont beaucoup plus ouverts qu'on ne le pense et peut-être même beaucoup plus ouverts qu'un certain nombre d'entre nous à la réforme. J'ai adressé aux maires de mon département un questionnaire à la suite du rapport Balladur : 88,5 % jugent nécessaire une réforme des collectivités locales ; 68 % souhaitent la fin des financements croisés, devenus illisibles ; 77 % considèrent le rapport Balladur comme une bonne base ; 59 % sont même favorables à un développement des intercommunalités aboutissant à la création de communes nouvelles. En revanche, 85 % d'entre eux jugent que les élus ne sont pas assez associés à la réflexion en cours. Messieurs les ministres, il faut les y associer ; la consultation des associations représentatives n'est pas suffisante !

Lors de notre précédent débat, j'avais quelques inquiétudes quant à la détermination du Gouvernement sur le sujet et je craignais qu'on n'accouche d'une souris ou, pour reprendre les mots de M. Mercier, qu'on ne se contente « d'un coup de ripolin ». L'intervention du Président de la République devant le Congrès m'a rassuré. J'ai noté sa volonté de ne pas se dérober devant la réduction du nombre d'élus départementaux et régionaux, ni devant le problème de la répartition des compétences. Je m'en réjouis car avec la grande majorité du groupe de l'Union Centriste et notamment des sénateurs du Nouveau Centre, je partage pleinement cette vision.

Nous pensons que le conseiller territorial dès lors qu'il conservera un lien réel avec un territoire est une bonne chose puisqu'il permettra de conserver le département et la région tout en assurant une meilleure cohérence. Il est indispensable de mettre fin à ces incroyables enchevêtrements de compétences et de financements auxquels personne ne comprend plus rien. Il faut terminer la mise en place de l'intercommunalité et améliorer son fonctionnement en allant plus loin dans le seuil minimum des compétences exercées par les intercommunalités. Il faut tendre vers la prise en charge par les communautés de communes des structures et services qui ont un intérêt communautaire ; il n'est pas normal que certains bourgs-centres financent des équipements culturels, sportifs ou sociaux utilisés souvent majoritairement par des habitants de communes voisines. Comme l'a relevé M. Pozzo di Borgo il faudra aussi réformer la loi PLM.

Sur la désignation des élus communautaires, j'appellerai à la prudence : si je peux comprendre le souhait qu'ils soient désignés par les citoyens, je ne suis pas favorable à l'extension du scrutin de liste à toutes les communes de plus de 500 habitants. Le seuil devrait être plus élevé car il y a là un risque de politisation des petites communes. (Protestations à gauche)

Le Sénat doit être aux côtés du Président de la République et du Gouvernement dans sa volonté réformatrice. (Applaudissements à droite) Il ne doit pas faire preuve de frilosité, se contenter de demi-mesures ou rester dans l'ambiguïté. Nous attendons avec impatience le ou les projets de loi sur le sujet et je peux vous assurer que le groupe de l'Union centriste, tout en y apportant les modifications qui lui sembleront nécessaires, soutiendra le Gouvernement pour une vraie réforme des collectivités locales. (Applaudissements sur la plupart des bancs à droite et au centre)

M. Christian Poncelet.  - (Applaudissements à droite) Je souhaite à mon tour féliciter le président de la mission, ses deux rapporteurs et l'ensemble de ses membres pour la qualité de leur travail. L'intérêt du rapport réside dans ses propositions mais aussi dans la démarche de dialogue et d'ouverture dont il découle. La mission que vous a confiée le Président du Sénat vous a conduits à aller à la rencontre des élus locaux sur le terrain pour étudier les problèmes particuliers des territoires ruraux et de montagne. J'ai moi-même conduit cette démarche d'écoute et de proposition avant ce qu'on a appelé l'acte II de la décentralisation, et j'en ai mesuré l'intérêt.

Fort de cette expérience, je souhaite insister aujourd'hui sur le lien entre la clarification des compétences et leur financement. La répartition des compétences entre collectivitésterritoriales est devenue complètement illisible, pour nos concitoyens mais aussi pour les élus locaux qui ne savent plus à qui s'adresser et perdent un temps considérable dans de multiples circuits de décision. La clarification, aujourd'hui indispensable, doit être aussi nette que possible, sans craindre de remettre en cause certaines habitudes. Je pense par exemple à la clause de compétence générale qui doit être réservée à la commune, ou à l'intercommunalité par délégation de la commune, car il s'agit du principal échelon de proximité, celui que nous devons conforter. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jacques Legendre.  - Très bien.

M. Christian Poncelet.  - Les compétences départementales et régionales doivent, pour leur part, demeurer spécialisées afin d'éviter les doublons et les financements croisés et de simplifier les procédures. (Applaudissements à droite)

Mais, en même temps que nous les clarifierons, nous devrons nous occuper du financement de ces compétences. Le grand principe de la compensation du transfert des compétences édicté par les premières lois de décentralisation n'a pas été respecté ni par les gouvernements de gauche, ni par ceux de droite. (« Eh oui ! » sur divers bancs) Le Sénat avait adopté à mon initiative, le 26 octobre 2000, une proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières. La révision constitutionnelle de 2003 a constitué un certain progrès dans ce domaine, n'est-ce pas, monsieur le premier ministre ?

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Absolument !

M. Christian Poncelet.  - La vraie question est celle du dynamisme comparé des compétences et des ressources transférées. S'il est un domaine où le dynamisme structurel de la dépense impose de nous interroger sur le financement des dépenses transférées, c'est celui de l'action sociale et médico-sociale. Les rapporteurs de la mission temporaire proposent de conforter le département dans son rôle de chef de file de l'action sociale en renforçant la cohérence de son intervention avec les autres acteurs, en particulier l'Agence régionale de santé et les organismes de sécurité sociale. Ils proposent surtout de nouveaux transferts de compétences. Seraient ainsi transférés aux départements le financement de l'allocation adulte handicapé et de l'ensemble du financement des établissements et services d'aide par le travail ainsi que la compétence en matière de médecine scolaire, à titre expérimental. Pourtant, l'aide sociale aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou à l'enfance et le revenu minimum d'insertion représentent déjà 89 % des dépenses d'aide sociale des départements. Et que dire de l'impact financier futur du RSA ? Toutes ces dépenses sont particulièrement dynamiques pour des raisons à la fois conjoncturelles et structurelles. Le RMI, premier poste de dépense, est très lié à la conjoncture et on peut craindre des difficultés à court terme du fait de la crise.

La situation est plus inquiétante encore pour l'aide sociale aux personnes âgées et aux personnes handicapées, dont les dépenses sont structurellement élevées et en croissance inéluctable. C'est particulièrement vrai pour la dépendance. Selon l'Insee, le nombre de personnes de plus de 85 ans va augmenter de moitié d'ici 2015 -c'est demain... Et en 2025, les dépenses liées à la dépendance représenteront 1,5 % de la richesse nationale. C'est dire que le défi est considérable pour les finances publiques et particulièrement celles des départements, dont la structure des recettes est inadaptée. Quand on sait que certains d'entre eux sont déjà au bord de l'asphyxie... C'est tout l'enjeu du cinquième risque évoqué par MM. Marini et Vasselle au nom de la mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance. Je sais que cette question ne relève pas directement de la réforme des collectivités territoriales, mais on ne peut se permettre d'évoquer de nouveaux transferts de compétences sans se poser la question de leur financement à long terme, qu'il s'agisse de transferts entre l'État et les collectivités ou entre échelons de collectivités. Il n'y aura de compétences bien exercées que bien financées. C''est l'un des enjeux majeurs de la réforme que nous appelons tous de nos voeux. (Applaudissements au centre et à droite, sur les bancs du RDSE et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Bruno Retailleau.  - Le rapport Balladur donnait une vision plutôt urbaine, une organisation territoriale appuyée sur une intercommunalité de plein exercice et des régions de taille plus vaste. La mission temporaire, dont je salue le travail et l'esprit, n'a pas tenté de faire des contre-propositions, mais de dégager le socle d'une réforme qui pourrait être acceptée par le plus grand nombre.

Elle a écarté l'idée d'un grand soir de l'architecture territoriale, au nom de ce que nous sommes, au nom de notre géographie et de notre histoire. La fusion de départements ou de régions ne sera possible qu'avec le consentement populaire. Ainsi la commune doit-elle rester le chaînon élémentaire de l'organisation de notre vie collective -l'intercommunalité ne fait que procéder d'elle. Ainsi avons-nous réfléchi à une meilleure articulation entre départements et régions. Il y a bien sûr le fameux sujet du conseiller territorial ; mais au-delà de la conformité de celui-ci à la Constitution, il est essentiel, notamment en milieu rural, que soit préservé le scrutin uninominal majoritaire, qui est le scrutin de la responsabilité personnelle et de l'enracinement territorial. (Applaudissements à droite)

La mission propose un juste compromis en matière de répartition des compétences. Elle a réaffirmé le principe de la liberté d'initiative, au nom de la libre administration et de l'efficacité. Qui peut soutenir que tous les territoires doivent être gérés de la même façon ? Mais elle l'a encadré, et poussé plus avant clarification et spécialisation. Cette liberté s'arrête là où commence celle d'une autre collectivité qui a une compétence exclusive ou spécialisée. Et il doit y avoir pour l'exercer un intérêt local.

Un accord très large s'est dégagé en matière de fiscalité. La mission a refusé tout découplage entre la liberté de décider de la dépense et la responsabilité de voter l'impôt. C'est la confirmation du principe de l'autonomie fiscale plus que financière, du principe de responsabilité. (Applaudissements sur divers bancs à gauche) Elle n'a pas plus souhaité que les ressources fussent déconnectées de l'activité économique et confirmé la nécessité d'un impôt économique local.

Il n'existe pas deux France, l'une des territoires et l'autre du pouvoir central, pas plus qu'il n'y a concurrence entre l'État et les collectivités territoriales. La décentralisation n'a jamais blessé le principe républicain de l'unité nationale. Au contraire : dans nos sociétés complexes et ouvertes, l'action publique de proximité est un gage d'efficacité et de renforcement du lien social. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Claude Bérit-Débat.  - Je salue à mon tour le travail de la mission et remercie son président, ses vice-présidents et ses rapporteurs pour le climat très constructif qu'ils ont su y faire régner. Mais en écoutant à l'instant mes collègues du groupe majoritaire, après avoir lu leur contribution du 17 juin, il m'a semblé distinguer le projet de loi que le Gouvernement va bientôt nous soumettre... Notre travail aurait-il été inutile ?

La mission s'est largement accordée sur l'intercommunalité, la nécessité d'en achever la carte et de revisiter les intercommunalités existantes avec le souci de rationaliser territoires et compétences. De même sur le renforcement des pouvoirs de la commission départementale de coopération intercommunale et de la place qu'y tiennent les représentants de l'intercommunalité. Je veux aussi souligner l'avancée que constitue le système de fléchage pour l'élection des conseillers communautaires, qui permettra à toutes les communes de plus de 500 habitants d'avoir des représentants.

Consensus encore pour élargir les compétences des communautés d'agglomération et de communes, par exemple à l'assainissement, à l'eau et aux déchets, ou pour mettre rapidement en cohérence les différents documents d'urbanisme, PLU, PLH, PDU et Scot -nous en reparlerons lors du Grenelle II.

La clause de compétence générale s'appellera désormais clause d'initiative. En matière de gouvernance, je me félicite de la création à l'échelon régional d'un conseil des exécutifs, où siègeront les présidents de conseil général, ceux des communautés d'agglomération et des représentants des communautés de communes ; et de la création à l'échelon du département d'une conférence des exécutifs où siègeront des représentants des intercommunalités. L'action menée y gagnera en cohérence.

En matière de finances locales, le Président de la République a supprimé la taxe professionnelle. Nous n'étions pas d'accord mais c'est fait. Par quoi la remplacer ? Tout le monde est d'accord pour un impôt économique. Je souhaite qu'il ait deux assiettes : un foncier bâti rénové et la valeur ajoutée. Dans les deux cas, la fixation du taux devrait être laissée à l'initiative des collectivités territoriales.

M. Roland du Luart.  - C'est très dangereux.

M. Claude Bérit-Débat.  - Un taux national imposé nous laisserait peu de marges de manoeuvre. Il importe aussi de renforcer la péréquation, tant verticale qu'horizontale.

La réflexion menée par la mission pourra servir de base à une proposition de loi ou à notre débat sur un projet de loi. En tout état de cause, il faudra tenir compte de la réalité du terrain -sur lequel nous sommes tous les jours. Les parlementaires que nous sommes doivent donc avoir leur mot à dire. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Bruno Sido.  - La réforme des collectivités locales doit s'appréhender globalement. Communes, intercommunalités, départements, régions sont autant de pièces d'une même mécanique institutionnelle, celles de la démocratie locale. En modifier une, c'est les modifier toutes. Le Président de la République nous appelle aujourd'hui à mener une réforme d'ensemble qui parachève et rationalise la décentralisation.

Concernant le constat cent fois répété de l'émiettement communal, je rappelle que la loi Marcellin de 1971 qui encourageait les fusions de communes a été un échec, mais qu'en revanche l'intercommunalité, c'est-à-dire la coopération, est une grande réussite. Il faut aujourd'hui l'approfondir et la simplifier.

C'est aussi à un aggiornamento que nous sommes invités avec la prise en compte du fait métropolitain. Si le phénomène de concentration urbaine n'a rien de nouveau, il s'est accéléré, rendant obsolètes les limites administratives de nombreuses villes. La même problématique concerne les départements et les régions. Depuis trente ans, l'État ne cesse de transférer de nouvelles compétences aux départements, preuve, s'il en était besoin, que cet échelon territorial né de l'esprit des Lumières et de la Révolution reste apprécié, efficace et moderne. Il est présent de la naissance, avec la protection maternelle et infantile, jusqu'au maintien à domicile et aux maisons de retraite.

Disposant de la taille critique pour investir massivement tout en restant une collectivité de proximité, capable de faire du sur mesure pour adapter ses politiques aux besoins de nos concitoyens et aux réalités du terrain, les départements sont irremplaçables. On a éprouvé le besoin d'imiter l'Allemagne en créant des régions en France. C'est oublier qu'en Allemagne les régions sont en fait des États fédérés et qu'historiquement le centre procède de la périphérie et non l'inverse. Nos régions n'ont rien à voir avec ce modèle. Depuis 1982, elles sont des collectivités locales qui, indépendamment du talent des hommes et de la volonté de servir l'intérêt général, peinent à trouver leur place, entre l'État et les départements.

Pour éviter les doublons, réduire les chevauchements de compétences, faire des économies sur le fonctionnement, sans doute faut-il établir un lien organique entre les conseils généraux et les conseils régionaux. Ce lien, les conseillers territoriaux peuvent l'incarner.

L'état des finances publiques est très préoccupant. Le Gouvernement mène de courageuses réformes structurelles pour permettre au pays de revenir à l'équilibre une fois la croissance revenue. Comme l'a dit le Président de la République à Versailles : « Nous ne nous déroberons pas devant le problème de la répartition des compétences. Nous ne nous déroberons pas devant l'effort qui sera demandé à toutes les collectivités. Ce qui est en cause, c'est la même Nation, le même citoyen le même contribuable. L'effort doit être partagé ». Les conseils généraux comme l'ensemble des collectivités territoriales sont appelés par l'État à supporter une partie du fardeau.

Comme nombre de mes collègues présidents de conseils généraux, je soutiens le principe d'un redécoupage des circonscriptions d'élections afin de réduire les disparités entre cantons, tout en réaffirmant notre attachement au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, à l'exception du milieu urbain où je comprends le désir de certains d'introduire la proportionnelle. Nos concitoyens sont très attachés à un mode de scrutin qui leur permet d'identifier leur conseiller général.

La commission Belot, dont je tiens à saluer le souci permanent d'associer les élus locaux à sa réflexion, a formulé quelques pistes de réforme partagées par nombre de présidents de conseil généraux.

S'il convient de clarifier les compétences de chaque collectivité, une définition trop abrupte poserait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. Qu'on dise « clause de compétence générale », « compétence d'initiative » ou transfert de compétence négocié de la commune au conseil général, il faut certes mieux préciser qui fait quoi, mais sans vouloir tout graver dans le marbre. Les conseils généraux doivent conserver la possibilité d'investir pour réaliser des projets structurants.

Nombre de mes collègues au sein du groupe des départements de droite, du centre et des indépendants souhaitent que soit procédé au renouvellement des conseillers généraux en une seule fois tous les six ans. L'équipe sortie des urnes doit pouvoir mettre en place une politique nouvelle en un seul mandat.

Mieux clarifier les missions de chaque échelon territorial pour mettre un terme aux doublons, tout en laissant aux collectivités une possibilité, fût-ce par délégation de compétences, de réaliser tel ou tel projet d'envergure ; approfondir et simplifier l'intercommunalité ; établir un lien organique, par les élus, entre le département et la région en conservant en règle générale le scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans un cadre modernisé ; voilà quelques pistes pour la réforme des collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Gérard Miquel.  - La crise affecte les comptes des collectivités et fait grimper les dépenses sociales des départements. Les recettes liées aux droits de mutation subissent une chute de 20 à 50 % depuis le début de l'année Cette conjoncture particulièrement défavorable s'ajoute à une situation financière déjà dégradée, à cause notamment des insuffisantes compensations par l'État des derniers transferts de charges, qu'il s'agisse du RMI, de l'APA et de la PCH. L'avenir ne paraît guère plus réjouissant : les projets de réforme de la fiscalité locale laissent entrevoir des perspectives inquiétantes pour les conseils généraux.

La disparition de la taxe professionnelle et, pour les départements, de la taxe d'habitation, aura pour effet de diviser par trois les recettes issues de la fiscalité locale directe. Que reste-t-il de l'autonomie financière des collectivités ? L'asphyxie financière menace, à brève échéance, les conseils généraux.

M. Christian Poncelet.  - Oui, c'est vrai !

M. Gérard Miquel.  - Depuis le lancement de la réflexion sur la refonte de l'organisation territoriale, ceux-ci sont cloués au pilori. Ce réquisitoire surprend d'autant plus qu'ils ont été dotés de compétences majeures par les lois de décentralisation successives.

Pour certains, la panacée de la gouvernance locale s'incarnerait dans un concept nouveau d'élu territorial, à la fois conseiller général et conseiller régional. Cette invention est un leurre en termes de rationalisation et une hérésie sur le plan démocratique. On laisse croire à une confusion des responsabilités entre ces deux collectivités qui ne se chevauchent en fait que très peu. C'est en outre contredire la volonté affichée de distinguer les compétences entre niveaux territoriaux en diluant l'ancrage territorial des élus.

Nous partageons tous l'idée d'une clarification des compétences, avec une refonte de l'intercommunalité et la suppression d'un grand nombre de syndicats intercommunaux. Mais cela ne doit pas conduire à supprimer la clause générale de compétence dévolue aux départements. Je souscris aux sages conclusions de la mission Belot qui appelle, à l'unisson des associations d'élus, à préserver la capacité d'initiative des différentes collectivités. On nous propose une réponse globale alors que la diversité des territoires exigerait un traitement différencié : quoi de commun entre un département de 2 millions d'habitants doté d'une métropole et celui du Lot qui en compte 176 000, avec une ville chef-lieu de 20 000 habitants ?

Pour esquisser les bonnes réponses, la question à se poser est celle de l'échelon pertinent pour exercer telle compétence. Dans de très nombreux départements, le conseil général a prouvé qu'il était le bon niveau d'organisation pour remplir de multiples missions.

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Gérard Miquel.  - J'invite l'État à balayer devant sa porte avant de donner de belles leçons d'organisation aux collectivités. Il a engagé une restructuration de ses services au plan local ; le Lot fut département-test et je m'en suis félicité. Mais l'État doit aller plus loin et supprimer tous les services qui empiètent sur les champs de compétences des collectivités et entravent parfois l'efficacité dans l'action.

La clé de la réussite de la décentralisation, c'est d'abord la confiance faite aux élus locaux dans leur capacité à organiser, au plus proche de nos concitoyens, les services dont ils ont besoin et, par voie de conséquence, à mieux gérer les finances publiques. Il ne faut pas tourner le dos à cette relation d'égalité et de respect, et négliger les initiatives locales innovantes. Collectivité pivot des solidarités sociales et territoriales de proximité, le département semble être la première victime de la volonté recentralisatrice des élites. Car l'architecture territoriale qui se dessine marque un recul profond de la décentralisation, voulue par des hommes courageux et visionnaires.

Notre ami Pierre Mauroy était Premier ministre et, avec Gaston Defferre, ils ont porté la décentralisation. Dans les rangs de la majorité sénatoriale, les critiques étaient nombreuses. A l'époque, il leur fallait du courage car la majorité sénatoriale détenait aussi la majorité dans toutes les collectivités de France

M. Alain Gournac.  - Ça a changé !

M. Gérard Miquel.  - Malgré tout, la décentralisation a été votée, ce qui a permis de modifier du tout au tout l'organisation des collectivités.

M. Yvon Collin.  - C'est exact !

M. Gérard Miquel.  - Je tenais à rendre hommage à Pierre Mauroy pour ce beau travail (Applaudissements socialistes)

M. Alain Gournac.  - Depuis, les progressistes ont changé de camp et les conservateurs aussi ! (Exclamations à gauche)

M. Gérard Miquel.  - La réforme d'aujourd'hui m'apparaît totalement à rebours des attentes de nos concitoyens, notamment des urgences écologiques auxquelles nous sommes confrontés.

La réforme de notre organisation territoriale ne peut se faire aux forceps, contre les élus et les citoyens. La mission sénatoriale a rendu des conclusions ambitieuses et pragmatiques pour toutes les collectivités. Je forme le voeu qu'elles ne restent pas lettre morte et qu'elles contribuent à former l'ossature de la réforme qui nous sera soumise demain. (Applaudissements à gauche)

Mme Gisèle Gautier.  - Les métropoles sont un enjeu majeur en termes de développement, de gouvernance et de financement.

Constituer de grandes métropoles françaises de taille européenne est un défi qu'il nous appartient de relever.

Au Royaume-Uni existe le Grand Londres. Lisbonne, Barcelone et Madrid disposent de statuts particuliers. Milan et Francfort mènent une réflexion sur la modernisation de leurs statuts. La France est en retard : nous devons favoriser le développement de grands centres d'activités économiques, démographiques ou universitaires capables de rivaliser avec des villes européennes.

L'objectif est de rendre plus lisible et plus efficace l'action publique pour offrir de nouvelles conditions de développement à nos grandes aires métropolitaines afin d'assurer leur compétitivité en Europe et dans le monde.

Ces nouvelles métropoles, en nombre limité, devront avoir un statut, un périmètre et des compétences clairement définis. Aujourd'hui, le fait métropolitain recouvre des situations disparates. Ainsi en est-il de la métropole Nantes-Saint Nazaire dont l'image est floue et les moyens mal définis.

Une métropole ne peut être conçue comme un simple prolongement d'un comité d'agglomération. Son périmètre devra dépasser celui des intercommunalités et même du département.

Il ne s'agit pourtant pas de couvrir la France de métropoles : il serait cohérent de les limiter à six. La mission sénatoriale en évoque, pour sa part, huit. Pour éviter une éventuelle fracture territoriale, il faudra parvenir à un équilibre entre les métropoles et le reste du territoire.

Ces métropoles devraient mener trois politiques complémentaires : urbaine, sociale, même si elle doit rester dévolue aux départements -mais en auront-ils les moyens ?- et économique, aujourd'hui confiée à la région.

Il faudra aussi clarifier les compétences des uns et des autres pour éviter les doublons et les financements croisés auxquels nous sommes, de longue date, opposés. Mettons un terme à cette politique des guichets, comme le disait François Fillon lorsqu'il était président de région.

Les métropoles devront disposer de moyens financiers à la hauteur de leurs ambitions. Rien ne serait pire qu'un colosse territorial aux pieds d'argile. Les rapporteurs ont également évoqué l'instauration d'une DGF métropolitaine et d'une fiscalité communautaire se substituant progressivement aux fiscalités communales.

Le fait urbain s'impose à tous : il convient donc d'adapter nos institutions locales à cette réalité. Les métropoles seraient des collectivités locales qui bénéficieraient de la clause de compétence générale.

Les conseillers métropolitains devraient être élus au suffrage universel direct en même temps que les élections municipales. Cette question est toujours pendante pour les EPCI : c'est une véritable arlésienne. Enfin, un siège au moins devrait être attribué à chaque commune membre dans le conseil métropolitain.

Il est évident que les collectivités locales sont appelées à jouer un rôle croissant dans les développements économiques et sociaux dans notre pays. Les grandes agglomérations devront disposer des moyens à la hauteur de ces défis. Ce sera tout l'enjeu de la création des métropoles. Additionner les poids démographiques, les talents, les atouts des territoires, c'est à coup sûr nous donner les moyens de réussir cet ambitieux projet. (Applaudissements à droite)

M. François Patriat.  - Même si je ne suis pas convaincu de l'urgence de mener à bien cette réforme, personne ne peut reprocher au chef de l'État et au Gouvernement de vouloir la conduire à terme dans les délais qu'il s'est imparti. Le débat qui nous réunit et le long travail que nous avons mené avec le président Belot, intéressent les élus. Intéressent-t-ils les Français ? En tout cas ils les concernent directement dans leur vie quotidienne, leur éducation, leur travail, leur santé et leurs déplacements.

Le 8 octobre dernier, j'ai interrogé votre prédécesseur, Mme Alliot-Marie, à l'occasion des questions d'actualité : « Le débat sur la réforme des collectivités locales est engagé. Pouvez-vous me dire si le scénario est déjà écrit ou bien si le débat qui s'engage va être long, fructueux, ouvert et si, comme l'a dit notre Président, nous devons être imaginatifs et ne rien nous interdire ? » Sept mois plus tard, je m'aperçois que le scénario est en partie écrit. (On le conteste à droite) Pourtant, nous y avons cru en nous engageant dans ce débat avec passion. Le maire de Lyon a cité Saint Augustin. Avec autant de personnes qui veulent arriver à un bon résultat, je me suis dit, comme Teilhard de Chardin : « Tout ce qui monte converge ». Mais je m'aperçois aujourd'hui que tout ce qui monte peut parfois diverger.

Partant de l'a priori que personne ne voulait remettre en cause les différentes collectivités, il fallait les passer au peigne fin et faire, comme l'a dit Mme Gourault, oeuvre de simplification et de clarification, dans un souci d'efficacité et, bien sûr, d'économies... Aujourd'hui, les masques sont tombés : le but était de modifier le mode de scrutin et de créer des conseillers territoriaux. Vous allez peut-être nous apporter quelques éclaircissements, monsieur le ministre : du choix qui sera fait, la collectivité qui sera supprimée ou maintenue en dépendra. Si tous les conseillers territoriaux élus par les départements siègent à la région, alors le sort des départements est scellé. Si, au contraire, une partie seulement des conseillers territoriaux siègent à la région, c'est celui de la région qui est scellé !

Je me tourne vers Pierre Mauroy : lors des premières lois de décentralisation, je siégeais à l'Assemblée nationale et je me souviens des débats houleux, tumultueux du mois d'août, mais qui ont abouti à ce que tout le monde qualifie aujourd'hui de grande réforme.

J'ai vu ce matin que dans la réforme de la taxe professionnelle, la partie qui reviendra aux régions sera d'une part un tiers de la valeur ajoutée et, d'autre part, une dotation de l'État. Comme le taux de la valeur ajoutée sera fixé par ce dernier, c'en est fini de la liberté et de l'autonomie fiscale ! Demain, les collectivités disposeront de budgets qui leur seront attribués. Ce matin, je rappelais à M. Mariton, le grand inquisiteur contre les collectivités, qu'il avait dit un jour qu'il ne fallait jamais faire ce pour quoi on n'avait pas été élu. Dans le cadre du plan de relance, le Gouvernement me dit : je vais financer 50 % de la déviation de la voirie de la Nièvre, mais il faut que la région et le département apportent les financements complémentaires.

Comment, d'un côté, reprocher aux collectivités locales d'être trop dépensières et, de l'autre, leur imposer de financer des compétences pour lesquelles elles n'ont pas été élues ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des clarifications et nous informer sur le scénario prévu ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bernard Saugey.  - Monsieur Patriat, tout ne semble pas déjà décidé. (Protestations sur les bancs socialistes)

M. Bernard Frimat.  - Demandez à Charles Guéné !

M. Bernard Saugey.  - Vous entendez même des voix discordantes au sein de l'UMP.

La mission a fait un très bon travail, mais le contenu de son rapport ne sera pas intégralement repris. Il s'agit d'une boîte à outils, tout comme le rapport du comité Balladur et celui de l'Assemblée nationale, dans laquelle le Gouvernement piochera.

Certains sujets coulent de source, tel le maintien des communes. Contrairement à ce qu'ont avancé les plus pessimistes de mes collègues, celles-ci ne seront pas réduites au rôle de pot de fleur. Nous ferons tout pour qu'elles restent bien vivantes. De même pour l'intercommunalité : nous y sommes presque tous, il faut en achever la mise en place. Quant aux grandes métropoles, il est essentiel d'avoir de grands pôles même si nous connaissons quelques divergences, notamment pour Paris. Nous n'étions pas tous d'accord sur le mode de désignation des conseillers communautaires, mais le fléchage sur la liste des candidats aux municipales devrait mettre tout le monde d'accord.

La seule révolution concerne les conseillers territoriaux, comme l'ont indiqué nos collègues de gauche. Au lieu de 4 000 conseillers généraux et de 2 000 conseillers régionaux, il ne resterait tout au plus que 3 000 élus. Dans les réunions publiques auxquelles j'ai assisté dans mon département, on se réjouissait de cette diminution. (Protestations sur les bancs socialistes) Selon François Patriat, cela signifie la mort d'un conseil ou de l'autre. J'ai été, vers 1974, à la fois conseiller général et régional, et cela ne m'empêchait pas de remplir ces deux fonctions.

M. Gérard Longuet.  - Et très bien, on s'en souvient !

M. Bernard Saugey.  - Certes, il est difficile de supprimer 3 000 sièges d'élus et je souhaite bonne chance à MM. les ministres pour le travail qu'ils devront accomplir ! Il faudra regrouper les petits cantons : dans mon département, trois ou quatre ne comptent que 2 000 habitants quand deux autres comptent 45 000 habitants chacun.

Mme Nathalie Goulet.  - C'est la même chose dans le mien.

M. Bernard Saugey.  - C'est un problème. A Saint-Pierre-et-Miquelon, dans le département de Denis Detcheverry, il y a un conseil général pour 6 000 habitants avec dix-neuf conseillers généraux...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Et aussi un sénateur et un député !

M. Bernard Saugey.  - C'est un record.

Et avec un mode de scrutin uninominal à deux tours pour les petits cantons, proportionnel dans les grandes villes, où faudra-t-il placer le curseur ? Je souhaite à nouveau bon courage aux ministres...

Pour ce qui est des compétences, nous devrions dépasser les procès d'intention pour trouver un accord. Il n'y a rien de pire que les compétences générales. Je suis élu depuis longtemps, et l'expérience m'a appris qu'il vaut mieux que chaque assemblée ait une compétence particulière.

Messieurs les ministres, tous mes voeux vous accompagnent. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Louis Pinton.  - Réformer le fonctionnement de nos collectivités territoriales est une nécessité. Notre réflexion doit être inspirée par trois principes qui devraient toujours guider la pratique de notre démocratie : simplicité, efficacité, responsabilité. L'échelon local étant le premier lieu de la rencontre entre la politique et le citoyen, si l'on oublie ces principes, le citoyen boude les urnes et renonce à s'impliquer dans la vie de la cité. Un tel repli individualiste est fatalement préjudiciable au sentiment civique fondamental qui cimente la collectivité et fonde les solidarités.

Selon la règle constitutionnelle, notre République est décentralisée. Dans ce cadre, comment démultiplier les lieux de pouvoir tout en les inscrivant dans la diversité territoriale et en évitant l'éparpillement des compétences et des financements ? Pour ce qui est de l'ensemble formé par les communes et les communautés de communes, si l'on considère que les secondes constituent un outil à la disposition des premières, il n'est pas obligatoire de modifier le mode de désignation des conseillers communautaires.

J'oserai l'analogie entre les rapports entre communes et communautés de communes et les départements et régions, qui pourrait justifier la requalification des régions en communautés de départements. François Patriat a posé une bonne question : quel échelon aura la prééminence ? Comme pour les EPCI, je propose qu'une liste de compétences soit définie, certaines étant obligatoires pour l'une des collectivités, d'autres facultatives et exercées par l'une ou l'autre. Cela permettrait à chaque territoire de s'organiser en fonction de ses nécessités et déboucherait sur l'élection d'un conseiller territorial commun au département et à la région.

Ces propositions, simples et lisibles, favorisent l'efficacité et l'adaptabilité. Elles confortent la place centrale de la commune et du département dans l'esprit républicain, source de nos valeurs communes et qui imprègne notre imaginaire et nos comportements collectifs. La réussite de la réforme territoriale rejoint un enjeu de taille : la réaffirmation de cet esprit républicain. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.  - Je vous remercie pour ce débat et ces interventions. S'il existe des divergences, des différences, des nuances, chacun s'est efforcé de dépasser la critique pour apporter sa contribution positive. En tant qu'ancien ministre des collectivités territoriales, cela me rappelle la réforme de la fonction publique territoriale, à laquelle Jacqueline Gourault a participé, et qui concernait 1,8 million de personnes.

Je suis heureux que le premier débat parlementaire auquel je participe dans le cadre de mes nouvelles fonctions ministérielles porte sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales. Le Président de la République m'a confié, ainsi qu'à Alain Marleix, la mission de préparer la réforme des collectivités territoriales : si les grandes lignes en sont tracées, le débat n'est pas figé.

Conformément à la logique de notre Constitution, c'est au Sénat qu'il m'appartient de vous faire part d'observations et d'orientations privilégiées par le Gouvernement. Si le Président de la République a souhaité un débat national sur ce sujet, c'est parce qu'il est convaincu que l'organisation territoriale actuelle n'est plus adaptée.

En écoutant les intervenants, il m'est apparu aujourd'hui que ce constat était partagé par l'ensemble de la Haute assemblée.

Confiant en octobre à M. Balladur la présidence du comité pour la réforme des collectivités territoriales, le Président de la République a écrit : « Depuis vingt ans, on a beaucoup approfondi la décentralisation, on a transféré beaucoup de compétences, on a créé de nouveaux échelons d'administration ; mais on a peu réfléchi aux structures profondes de notre organisation locale, presque rien changé à la fiscalité locale, laisser dériver les finances locales. Cette situation ne peut plus durer. Le chantier est d'une grande difficulté, mais personne ne peut en contester ni la nécessité impérieuse, ni l'urgence manifeste ». Des divergences portent aujourd'hui sur les modalités de la réforme, pas sur son opportunité.

La première vertu du rapport remis par M. Balladur est d'avoir permis un débat serein. Grâce à l'expérience d'homme d'État de l'ancien Premier ministre, grâce à sa connaissance des affaires publiques et à sa grande sagesse, des propositions de grande qualité ont dessiné un chemin réaliste de réforme. Bien sûr, la composition du comité -rassemblant des personnes éminentes venant d'horizons variés, au-delà des clivages partisans- a facilité l'émergence d'un consensus. Je remercie l'ancien Premier ministre Pierre Mauroy, le sénateur Gérard Longuet, les députés Dominique Perben et André Vallini, sans oublier les autres membres du comité.

Qui pourrait contester que le « jardin à la française » -si vous m'excusez de citer le titre d'un livre que j'ai écrit, mais dont la diffusion a été très limitée- (sourires) ait été envahi par de mauvaises herbes, au point d'évoquer une friche ?

Tout d'abord, les échelons des collectivités sont trop nombreux et mal articulés ; la multiplicité des niveaux de décision et l'enchevêtrement des compétences ne sont pas compris parce qu'ils sont incompréhensibles. Dans les zones rurales, coexistent souvent sur un même périmètre des communes, une communauté de communes, les syndicats intercommunaux, un pays, la structure spécifique gérant le Scot, sans compter le conseil général, ni le conseil régional ! La situation est comparable en zone urbaine, bien que les citoyens ne connaissent que leur maire. M. Gérard Collomb a d'ailleurs indiqué que cette situation lui convenait. (Sourires) Il est normal que les citoyens s'y perdent, mais il serait anormal d'en rester au statu quo, source croissante d'indifférence civique.

Ensuite, la confusion des responsabilités et des financements conduit à des dérapages financiers supportés par les contribuables. Ainsi, les prélèvements obligatoires des administrations publiques locales sont passés de 5 % à 5,7 % du PIB entre 2003 et 2007, soit une hausse de 14 % ; simultanément, les prélèvements opérés par l'État ont diminué de 14,8 % à 13,9 %, soit une baisse de quelque 6 %. (Exclamations indignées sur les bancs socialistes) Je m'attendais naturellement à ce sympathique mouvement collectif... L'évolution des prélèvements aurait pu être comprise, vu la décentralisation, si les collectivités locales n'avaient pas augmenté leurs dépenses à périmètre constant.

Enfin, la fiscalité locale est devenue totalement illisible, car selon l'adage « chacun mange dans la même assiette » collectivités territoriales et intercommunalités prélèvent une part des mêmes impôts locaux, sans que les contribuables ne sachent qui est responsable. La situation est véritablement baroque, puisque l'État est devenu le premier contribuable local...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Il l'a voulu !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Le Gouvernement Jospin a donné l'exemple.

Difficile d'imaginer un système plus compliqué.

Le moment est donc venu de réformer profondément et durablement nos collectivités territoriales.

Le rapport du comité Balladur comporte des pistes de réforme ambitieuses, à la mesure du défi à relever. Parmi ses vingt propositions, seize ont été votées à l'unanimité. C'est la preuve que le chemin de la réforme peut, lui aussi, être consensuel.

Je suis heureux que le Sénat, qui « assure la représentation des collectivités territoriales de la République », apporte une contribution très approfondie, dont je remercie le président de la mission, les deux rapporteurs et les deux vice-présidents. Je salue également la contribution des groupes -notamment de l'UMP et de l'Union centriste, dont les orateurs ont été particulièrement éloquents. J'ai également noté les positions contrastées des associations d'élus.

Nous ne devons pas manquer ce rendez-vous. A défaut d'exprimer une attente, nos compatriotes nous encouragent à plus d'efficacité. Une réforme réduite au plus petit dénominateur commun ne serait pas bonne.

Le Président de la République a déclaré le 22 juin devant le Congrès que nous irions jusqu'au bout de la réforme des collectivités territoriales, sans nous dérober à la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux, car l'État ne peut seul transformer l'économie française   l'effort doit être partagé au sein de la Nation. Cet engagement sera tenu. (Applaudissements à droite et sur les bancs de l'Union centriste) Au Parlement, nous définirons ensemble les voies du possible. Il est désormais très dangereux de ne rien faire !

Le Gouvernement déposera donc en septembre un texte ambitieux sur le Bureau du Sénat.

En premier lieu, nous voulons mieux dessiner la carte territoriale. D'abord, en achevant et rationalisant vite la carte de l'intercommunalité. La commune et son maire resteront les contacts directs des concitoyens, mais des intercommunalités de projet couvriront l'ensemble du territoire national. Naturellement, l'Ile-de-France fera l'objet d'un regard particulier.

L'intercommunalité à fiscalité propre doit devenir dans les plus brefs délais la règle sur la totalité du territoire. Ces intercommunalités devront être élargies pour que leurs assises permettent d'exercer des compétences renforcées. La concertation devrait parvenir à des périmètres intercommunaux plus larges et cohérents, mais l'État prendrait ses responsabilités en cas d'échec : après avoir saisi les commissions départementales de coopération intercommunale renouvelées, le préfet devrait arbitrer. Parallèlement, nous devrons mettre fin à de nombreux syndicats intercommunaux qui n'ont plus d'activité propre ou de justification. Cette simplification sera source d'économies.

Pour parachever la carte territoriale, nous voulons créer quelques véritables « métropoles » pouvant intervenir à l'échelle de toute l'agglomération. Le principe de leur création est largement approuvé, mais avec une définition variable du concept. Le rapport de M. Balladur proposait de rassembler toutes les communes de la « métropole » en une collectivité unique exerçant aussi les compétences du département, voire certaines compétences régionales. Nous devons engager la réflexion, pour que les métropoles d'envergure européenne puissent agir dans un environnement international très compétitif. Un simple ravalement des communautés urbaines doit être écarté.

En deuxième lieu, nous voulons mieux articuler les niveaux régional et départemental.

C'est l'enjeu de la création du conseiller territorial. Assez de fantasmes ! Il n'est pas question de supprimer un échelon local, mais la coexistence de 4 000 conseillers généraux et de 2 000 conseillers régionaux n'est pas toujours comprise et n'est pas systématiquement utile. Il est curieux que nul n'ait envisagé ici la concurrence institutionnelle, donc financière, entre les deux collectivités. Le Gouvernement souhaite que les conseillers territoriaux siègent à la fois au conseil régional et le conseil général. Le moment venu, nous précisons le mode de scrutin. Vous connaissez la fertile imagination de M. Marleix... (Très vives exclamations sur les bancs socialistes)

Monsieur le secrétaire d'État, je ne sais pas si vous rassurez tout le monde dans cette assemblée.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Nous lui accordons une confiance totale !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - M. Marleix, qui dispose de plusieurs flèches dans sa besace, a examiné et comparé les pratiques des grandes démocraties européennes.

Je proposerai au Président de la République de consulter les partis politiques sur le mode de scrutin qui réponde à une seule exigence qu'est l'expression démocratique, la représentation de nos concitoyens.

M. Jacques Blanc.  - Et des territoires.

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Il importe de clarifier la répartition des compétences, ensuite. Quelle que soit la solution juridique, il faut sortir enfin de l'ambigüité et définir dans la loi qui fait quoi. Il n'y a pas de responsabilité sans règle. Il faut mettre fin à l'enchevêtrement des compétences et aux excès des financements croisés, sources de surcoûts, de frais de fonctionnement et d'allongement des délais. Sauf exception, une collectivité ne doit plus intervenir dans le domaine de compétence d'une autre.

Nous serons attentifs à la concertation mais le pragmatisme ne saurait justifier l'immobilisme : nous devons vraiment clarifier.

Sur la fiscalité locale, il a été dit dès la fin du sommet social que la réforme de la taxe professionnelle serait intégralement compensée (exclamations ironiques sur les bancs socialistes) globalement et pour chaque collectivité, par une ressource fiscale qui maintiendrait le lien entre les entreprises et le territoire. Plusieurs pistes sont à l'étude.

Il reviendra à l'automne au Parlement de poser les bases de cette réforme fondamentale. Je suis attaché à la concertation et nous la mènerons réellement, ce qui n'empêche pas la détermination. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP) Le texte que nous proposerons sera l'expression de la détermination du Gouvernement à tenir les engagements pris devant les Français en vue d'améliorer les services rendus par l'administration territoriale, de moderniser, de simplifier, de rendre plus lisible et plus efficace. Avec la réforme des collectivités territoriales, nous avons rendez-vous avec l'histoire institutionnelle. Réussissons-le ensemble ! (Applaudissements sur de nombreux bancs UMP et UC)

III. Le débat interactif et spontané

M. François Marc.  - Les engagements pris par le Président de la République seront tenus, a dit le ministre. Quel plaisant propos quand on se rappelle les engagements pris par les gouvernements de l'UMP depuis 2002. La décentralisation passait par l'inscription solennelle dans la Constitution de l'autonomie financière et fiscale des collectivités et de la péréquation. Une loi organique a été votée pour préciser l'exigence de l'autonomie mais, pour que les engagements soient tenus, il faut que les recettes fiscales de substitution permettent aux collectivités de voter le taux de la contribution. Cela sera-t-il bien le cas ?

Quant à la péréquation, sur laquelle le rapport de la mission temporaire insiste beaucoup, la loi organique n'est jamais venue. Là encore, les engagements seront-ils tenus ? On en doute quand on voit ce qu'il en est des précédents.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - La compensation des transferts de charges est une obligation constitutionnelle. La commission d'évaluation s'est réunie à 25 reprises. Elle a travaillé pour que cette disposition constitutionnelle soit une réalité concrète. L'État a le souci d'organiser une péréquation efficace et répartit la DGE et la DGF de manière à soutenir les collectivités qui sont dépourvues de ressources ou doivent supporter le plus de charges. Entre 2005 et 2008, la part de la DGF consacrée à la péréquation est passée de 19 à 22 % pour les communes, de 9,2 à 11 % pour les départements et de 1,9 à 2,9 % pour les régions. En 2009, la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale ont augmenté de 6 %, et cette dernière a augmenté trois fois plus vite que la moyenne de la DGF. Nous veillerons à ce que l'objectif de péréquation soit bien respecté car il y va de l'égalité des chances entre les citoyens et entre les territoires.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - L'excellent rapport de la mission temporaire et le discours d'orientation du ministre m'ont laissé sur ma faim. (Exclamations à gauche) On nous dit que nos concitoyens ne comprennent pas l'enchevêtrement des structures et des compétences, mais cela n'est pas seulement d'ordre institutionnel : l'eau est distribuée par un syndicat régional ; les déchets font l'objet d'une organisation spéciale et si l'état civil relève des communes, on leur impose de fabriquer des passeports avec une machine qui ne fonctionne pas. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Quand nous aurons terminé l'organisation intercommunale, va-t-on réintégrer tout ce qui est parti vers des syndicats mixtes ou autres, de manière à ce que nos concitoyens aient en face d'eux des élus responsables et aux compétences précises ? Ni le rapport Balladur, ni la mission Belot, ni le discours du ministre ne répondent sur cette réintégration de compétences pourtant liées à la vie quotidienne. (Applaudissements à droite)

M. Brice Hortefeux, ministre.  - la réalité est là, quoi qu'on en dise : nos concitoyens ne comprennent pas la multiplicité des syndicats intercommunaux. (Protestations à gauche) La Fondation nationale des sciences politiques avait même montré que 3 % croyaient qu'aux élections cantonales, on désignait les... cantonniers. Le rôle et la place des syndicats intercommunaux sont mal compris alors que l'intercommunalité concerne désormais 97 ou 98 % des communes. L'objectif est maintenant de rationaliser, de simplifier, de rassembler les compétences : il faut tirer les conséquences de la simplification.

Mme Nathalie Goulet.  - Lors du dernier débat interactif -une formule innovante-, je m'étais interrogée sur l'absence de dispositions relatives au cumul des mandats.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Tout en un...

Mme Nathalie Goulet.  - Le conseiller territorial aura un mandat pour deux fonctions. Nous proposerez-vous quelque chose à ce sujet ?

Nos concitoyens réclament plus de proximité et de lisibilité, et je crois qu'ils aimeraient être éclairés sur ce point.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Conformément aux recommandations du comité Balladur, nous considérons que les conseillers territoriaux exerceraient un seul mandat, mais deux fonctions.

Dans le cadre de l'avant-projet de loi de modernisation de la démocratie locale que j'avais préparé en arrivant place Beauvau, j'avais proposé des améliorations du statut des élus locaux et abordé le problème du cumul des mandats. Une fonction au sein d'une intercommunalité doit-elle être considérée comme un mandat ? Le débat reste ouvert. Ce problème entrera dans le champ du projet de loi que le Gouvernement présentera au Parlement à la rentrée.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.  - Je remercie notre collègue d'avoir posé cette question, mais la réponse de M. le ministre me laisse dubitative. Un délégué au sein d'une intercommunalité, qui n'est pas une collectivité territoriale, pourrait donc être frappé par l'interdiction du cumul des mandats tandis qu'un conseiller territorial, exerçant deux fonctions importantes, serait considéré comme n'exerçant qu'un seul mandat ? Voilà qui donnerait matière à réflexion au Conseil constitutionnel... (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - La création des intercommunalités fut une révolution tranquille, qui a permis aux communes d'exercer des compétences stratégiques dans les domaines du développement économique et du logement, grâce à des ressources tout aussi stratégiques, notamment la taxe professionnelle de plus en plus souvent unique. Cette taxe garantissait aux intercommunalités des ressources importantes et dynamiques.

Pour compenser la perte de cette ressource, Mme Lagarde a suggéré de transférer aux collectivités locales la cotisation minimale de taxe professionnelle et la taxe spéciale sur les conventions d'assurance, qui rapportent à elles deux 10,3 milliards d'euros, tandis que le produit de la taxe professionnelle était de 16,62 milliards. La commission des finances, de son côté, a émis une proposition à laquelle Mme Lagarde s'est déclarée favorable, et qui consiste à transférer la taxe d'activité économique, assise sur la propriété foncière et rapportant 5,67 milliards d'euros, ainsi que diverses taxes sectorielles auxquelles on ajouterait des transferts d'impôt.

Cette compensation laborieuse ne suffit pas à garantir le dynamisme des ressources des collectivités ; je rappelle que les bases de la taxe professionnelle progressaient plus rapidement que celles des autres impôts locaux. (M. Jean-Pierre Fourcade en convient) Le produit des taxes transférées pourrait d'ailleurs diminuer, suite à la baisse des valeurs foncières en temps de crise.

Cela risque de porter un rude coup au développement des intercommunalités, qui ont besoin de ressources importantes pour continuer à offrir à leurs habitants les services dont ils ont besoin, et pour mener une politique de la ville ambitieuse qui empêche la ghettoïsation de certains quartiers. Quelle ressource dynamique le Gouvernement compte-t-il leur affecter pour compenser équitablement leurs pertes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et RDSE. Mme Jacqueline Gourault et M. Yves Krattinger, rapporteurs, applaudissent également)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Je salue le dixième anniversaire de la loi Chevènement qui instaura l'intercommunalité avec le succès que l'on sait.

M. Christian Poncelet.  - Et avec la collaboration du Sénat !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Aujourd'hui 95 % de nos concitoyens vivent dans une structure intercommunale, et la tâche du Gouvernement consiste à combler les lacunes subsistantes, à approfondir l'intercommunalité et à revoir la composition et les missions de la commission départementale de coopération.

Vous soulevez le problème des ressources des intercommunalités. C'est au Parlement de voter l'impôt, et cette question est actuellement à l'étude au sein des commissions des finances des deux assemblées, qui travaillent en concertation avec Mme Lagarde et M. Woerth. Des simulations sont en cours à Bercy. Le Gouvernement partage pleinement votre volonté de préserver les ressources budgétaires des intercommunalités, dont le rôle dans le dynamisme économique de notre pays est inappréciable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le Gouvernement, pour justifier sa réforme, allègue le coût excessif de l'organisation territoriale en France. Je suppose qu'il est fondé à le faire, et j'aimerais qu'il fournisse à la représentation nationale des éclaircissements à ce sujet.

Les études comparatives sont difficiles puisque l'organisation territoriale diffère d'un pays à l'autre, mais dans la plupart des pays d'Europe il existe trois niveaux de collectivités. D'après une étude de la banque Dexia, le coût de fonctionnement des collectivités territoriales en France est assez faible en comparaison d'autres pays européens. Les écarts de dépenses sont dus aux services publics importants assurés par nos collectivités.

Quant aux élus, le montant de leurs indemnités représente un pourcentage très faible du budget des collectivités : 0,05 %.

M. Didier Guillaume.  - A peine !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Quels sont donc ces surcoûts dont parle le Gouvernement ? (Applaudissements à gauche)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Vous dites qu'il existe dans les pays européens trois niveaux de collectivités : c'est vrai en Espagne et en Allemagne, mais cela ne préjuge pas d'éventuels surcoûts de fonctionnement liés à notre organisation territoriale. Tous les intervenants au cours de ce débat ont reconnu l'existence de financements croisés. (Protestations à gauche)

Il est indéniable que les rémunérations des élus, étant donné la difficulté de leur travail, ne représentent aucun surcoût. D'ailleurs elles ne représentent qu'environ 70 millions d'euros par an, ce qui est très raisonnable.

Mais pour revenir à la question de l'intercommunalité, il est regrettable qu'il existe encore aujourd'hui des Sivu et des Sivom ! Leurs dépenses s'élèvent à près de 15 milliards d'euros par an, dont plus d'une moitié de frais de fonctionnement. Ces chiffres sont parfaitement établis ! Nous souhaitons donc parvenir rapidement, comme le souhaite la mission, à la suppression des derniers syndicats intercommunaux.

Puisque vous parlez de l'Europe, je vous rappelle que la France fut en 2008 et sera encore en 2009 le premier contributeur net au budget européen, devant l'Allemagne, et le dernier consommateur des fonds européens.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - La structure territoriale française est si complexe que l'on a du mal à employer des crédits souvent considérables ! N'est-ce pas saisissant ? (Protestations à gauche)

Voix à gauche.  - Et l'administration centrale, que coûte-t-elle ? Elle gère ces fonds.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.  - Vous dites, monsieur le ministre, que les financements croisés occasionnent des surcoûts. C'est peut-être vrai marginalement. Mais le financement croisé ne change rien au coût des projets ! (Applaudissements à gauche) Pour construire une salle polyvalente d'un coût d'un million d'euros, on fait appel au financement de la région, du département et de la commune, mais cette somme provient toujours en définitive de la poche des contribuables ! En revanche, nous souhaitons simplifier l'instruction des dossiers et mettre en place un dossier unique. (Même mouvement)

Quant au nombre des élus... il y a aujourd'hui 4 200 conseillers généraux et 2 000 conseillers régionaux, soit 6 200 élus au total. Si le nombre de conseillers territoriaux était de 30 % inférieur à ce total, il y en aurait 4 000 environ. Le nombre d'élus départementaux resterait stable, mais il y aurait deux fois plus d'élus régionaux ; il faudrait donc reconstruire les hémicycles.

Où serait l'économie ? (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Paul Fournier.  - Je n'ai pas partagé toutes les conclusions des différents travaux menés sur le sujet au cours de ces derniers mois, mais je tiens tout de même à souligner ici la qualité des débats que nous avons eus au sein de la mission temporaire.

Nos concitoyens attendent de nous que nous fassions preuve d'audace quitte à bousculer quelques habitudes. Je suis pour ma part convaincu que nous devons aller clairement vers la fusion des départements et des régions afin de mieux répondre aux grands enjeux économiques et d'aménagement du territoire auxquels la France est confrontée. Comme de nombreux collègues, je crois nécessaire de créer des conseillers territoriaux. Mais ce mouvement prendra du temps, ne serait-ce qu'en raison des dates des futurs renouvellements des assemblées. Il nous faut donc agir en parallèle dès maintenant pour préparer cette évolution dans les meilleures conditions. Cela passe par une série de décisions simples et d'application immédiate.

Premièrement, renforcer l'échelon intercommunal en favorisant le regroupement des EPCI. Il faut, pour cela, lever les freins existants. Par exemple, la perte de la dotation de développement rural lors du passage de certains seuils de population en cas de regroupements intercommunaux peut se révéler terriblement dissuasive.

Deuxièmement, il faut mettre un terme à la clause de compétence générale qui est source de gaspillages (« Ce n'est pas vrai ! » sur les bancs socialistes) et d'inefficacité des politiques publiques Cela pourrait être effectif dès 2010 pour les départements et être progressivement étendu aux autres collectivités par la suite.

Troisièmement enfin, il convient de mettre en place un véritable statut de l'élu qui réponde aux problèmes concrets vécus par les élus locaux et en particulier les maires de communes rurales, en leur offrant une vraie possibilité de formation, une véritable couverture sociale et une protection juridique adaptée. Il faudrait d'ailleurs faire en sorte que les moyens mis à la disposition des élus pour exercer leurs mandats ne soient pas prélevés sur le budget des communes car, en dessous du seuil de 3 500 habitants, les budgets communaux ne permettent aux élus de s'accorder des indemnités décentes. Je souhaiterais qu'on examine la possibilité que, pour les petites communes, ces moyens soient prélevés directement sur le budget de l'État.

Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ces trois sujets ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Sur la DSR et la dotation de développement rural, nous progressons.

Le rapport Belot propose que l'on améliore le statut juridique de l'élu local, conformément à une demande récurrente de l'Association des maires de France. Mais ce statut est déjà relativement complet et les gouvernements successifs l'ont amélioré ces dernières années. La question de la responsabilité pénale a été réglée par la loi Fauchon du 10 juillet 2000... En matière de protection sociale les garanties sont également assez complètes, notamment en matière d'autorisations d'absence, de suspension du contrat de travail, et la protection sociale est analogue à celle des salariés. D'autres avancées figureront dans les textes que le Gouvernement présentera à l'automne.

Mme Jacqueline Gourault.  - Je voudrais revenir, monsieur le ministre, sur la consommation des fonds européens. Sur ce sujet, il faut former les élus locaux car ce sont les villes ou les départements où le zonage existait qui attirent le plus ces fonds. Par ailleurs je ne suis pas certaine que l'État et ses fonctionnaires favorisent leur consommation, tant ils nous réclament de dossiers et de papiers. Il faudrait aussi vérifier si l'Alsace ne consomme pas davantage ces fonds que les autres régions. Là-bas, c'est le conseil régional qui les répartit et nous demandons que ce système soit généralisé, parce que c'est plus efficace...

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Cette non-consommation -qui porte sur des sommes considérables- est devenue un problème récurrent depuis plusieurs années. Alors qu'autrefois notre pays était le bon élève de la classe en matière de consommation, depuis l'élargissement, il est devenu le premier contributeur et l'un des plus mauvais consommateurs. C'est aux préfets de région de veiller à la consommation de ces crédits et donc, de faire un travail d'explication et de formation des élus. Sinon, ces fonds retournent à Bruxelles !

Par dérogation en Alsace -comme en Auvergne, je crois- le conseil régional gère lui-même ces fonds européens, mais les résultats ne sont pas plus probants qu'ailleurs. Il faut expliquer aux préfets la nécessité de se mobiliser, de sensibiliser les élus et de les familiariser avec des procédures qui sont complexes, mais qui le sont également pour les autres pays européens...

M. Pierre Mauroy.  - De ce débat que j'ai écouté avec intérêt, je retire le même sentiment que des travaux du comité Balladur. Nous avons répondu favorablement à dix-huit des vingt questions qui avaient été posées mais sur deux d'entre elles, nous avons calé. La première portait sur la taxe professionnelle -qu'on supprime de façon inacceptable mais c'est un autre débat- et la seconde sur les conseillers territoriaux. Lorsque cette innovation nous est arrivée, d'ailleurs, j'ai mesuré qu'on s'attaquait là aux fondements d'une politique menée depuis 25 ans et reprise par tous les gouvernements. Voilà une rupture ! Pourquoi ? Pour supprimer le conseil général, indispensable institution de proximité ? Ou pour supprimer le conseil régional, assemblée tout aussi indispensable pour orienter et fixer le cap ? Nous n'avons pas eu de réponse.

Je félicite la mission Belot de ne pas avoir repris cette proposition. Ce conseiller territorial, c'est la pierre d'achoppement, c'est le glissement politique qui annonce une menaçante volonté de rupture. Nous ne pouvons pas accepter qu'on mette ainsi fin au grand élan de la décentralisation et de la loi Chevènement. Je vois là-dessous une volonté qui va plus loin que ce qu'on veut bien nous dire. Le débat reprendra en automne... (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Je suis d'accord avec vous, monsieur le Premier ministre : nous reprendrons le débat, lorsque le Gouvernement présentera son texte à la rentrée. L'institution du conseiller territorial vise à rapprocher le département de la région. Le Gouvernement ne veut supprimer ni l'un, ni l'autre. Il veut seulement rendre plus proches deux assemblées qui sont les piliers de nos institutions territoriales.

M. Pierre Mauroy.  - Il faudra nous en dire plus !

M. Philippe Dallier.  - En plus de quatre heures de débat, seuls deux orateurs ont évoqué le Grand Paris, M. Saugey qui a parlé des métropoles et le ministre, au détour d'un développement sur l'intercommunalité. Alors que la région Ile-de-France accueille le cinquième de la population française et crée 30 % de la richesse nationale, il semble que nous nous acheminions doucement vers une loi qui l'ignorera. On parle de rupture, de la création de sept ou huit métropoles, mais pour la région Ile-de-France, ce sera une non-réforme, parce qu'on n'aura pas eu le courage de poser les vraies questions, parce qu'on aura eu peur de déplaire à tous ceux qui ne veulent partager, qui la richesse et qui le pouvoir. C'est la région la plus riche de France, c'est aussi celle où la cohésion sociale et urbaine est le plus en danger. Et nous n'en parlons pas ! A l'automne, nous discuterons de projets ou de dérogations aux règles d'urbanisme, mais pas de l'essentiel : de la gouvernance !

Alors monsieur le ministre : oui ou non et à quelle échéance allons-nous en débattre ? Si oui, allez-vous décréter un moratoire sur l'intercommunalité à la petite semaine qui se développe en première couronne parisienne ? Les conclusions du comité Balladur lui ont donné un formidable coup d'accélérateur, tous ceux qui hier se récriaient veulent aujourd'hui en être. Et dans mon département, que voit-on ? Des socialistes avec des socialistes, des communistes avec des communistes, des UMP entre eux et des Nouveau centre de même. Il faut y mettre un frein.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Et les financements ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Je vous répondrai : les projets d'abord, les institutions ensuite. (Protestations sur les bancs socialistes : « avec les conseillers territoriaux le Gouvernement fait le contraire ») Le comité Balladur s'est prononcé pour une structure qui aurait les compétences d'une intercommunalité, M. Balladur lui-même pour une communauté urbaine englobant les communes voisines de Paris. La mission du Sénat propose de poursuivre la réflexion.

Il est vrai qu'alors que toutes les métropoles du monde comptent plus de 10 millions d'habitants, il paraît indispensable de donner à Paris les moyens de tenir son rang. Mais il faut une vision d'ensemble. En l'absence de consensus, il est raisonnable, comme le Président de la République l'a souhaité, de commencer par des projets concrets. Je suis convaincu que les structures les plus aptes à les porter en découleront.

Le Gouvernement examine attentivement les projets d'intercommunalité dont vous avez parlé. Il est vrai que les choses évoluent rapidement. Nous avons réuni les préfets il y a quelques mois, nous le ferons à nouveau.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.  - La mission n'a pas parlé du Grand Paris... mais du « périmètre de la mégapole parisienne »... la différence est mince. Nous avons évoqué la nécessité d'une gouvernance démocratique. Je constate que les choses bougent, sauf la réflexion interterritoriale. Il est vrai que la région est une de celles où les inégalités sont les moins contestables, mais la prudence s'impose : les grandes mégapoles du monde n'ont pas toujours trouvé des solutions à ce problème. Ce qui veut dire aussi qu'il faut des corrections et un fonds de solidarité considérablement renforcé.

C'est au Gouvernement d'apporter des réponses législatives, mais peut-être est-il comme tout le monde et attend-il d'y voir plus clair sur ce qui peut être construit avec les acteurs locaux. On ne peut agir pour le Grand Paris à l'inverse de ce qu'on fait partout ailleurs en France. L'intercommunalité, c'est d'abord des projets, et surtout des projets partagés. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Blanc.  - Les conseillers territoriaux sont des facteurs essentiels de changement. (Mouvements divers à gauche) Il faudra qu'ils soient tous membres de l'assemblée départementale et de l'assemblée régionale.

M. Bruno Sido.  - Bien sûr !

M. Jacques Blanc.  - Mais il faudra prendre en compte d'autres critères que la population : l'assemblée régionale devra assurer la représentation des territoires. Je pense entre autres à mon département, qui sans cela serait bien mal représenté -d'autant qu'il va perdre un de ses députés.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - La représentation des petits départements est en effet un problème. Il se pose pour la Lozère, qui compte 75 000 à 80 000 habitants et n'a que deux représentants au conseil régional sur 80, comme pour d'autres départements.

M. Jean-Pierre Bel.  - L'Ariège !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - On pourrait utilement revoir la représentation de ces petits départements au sein des conseils régionaux.

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire.  - La création de conseillers territoriaux pose problème. On va réduire le nombre de conseillers généraux et demain la Lozère sera gérée par, disons, trois ou quatre personnes... Et l'on va multiplier par deux le nombre des conseillers régionaux. Je veux bien admettre le subtil distinguo entre fonction et mandat, mais nous aurons des élus qui feront tous la même chose... Et nous aurons résolu en passant le problème du cumul des mandats...

On dit que la création de ces conseillers est justifiée par l'existence de financements croisés et un manque de coordination. Est-ce par vice que les premiers ont vu le jour ? Pour financer de grands projets, il faut se mettre à plusieurs ; et l'État a bien montré le chemin ! On pourra toujours préciser les compétences : si les financements ne suivent pas, personne ne pourra agir. Dire ensuite que la coordination y gagnera, c'est supposer que départements et régions sont gérés par la même majorité...

M. le président.  - Veuillez conclure !

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire.  - Les conseils des exécutifs sont une bien meilleure solution. Les conseillers territoriaux créeront plus de difficultés qu'ils n'en résoudront.

M. François Fortassin.  - Quand on fait une grande réforme institutionnelle, il y faut une ligne directrice. Aujourd'hui les communes sont le lieu où s'exerce le mieux la démocratie locale ; si on transforme la maire en chef de village, on nie son autorité. Les départements sont le lieu où s'exerce la solidarité territoriale et sociale.

Or, tout cela va être détruit. Si l'on fait une réforme, c'est aussi pour parvenir à un aménagement harmonieux et équilibré du territoire national. Mais nous n'en prenons pas vraiment le chemin, d'autant que cette ligne directrice n'a pas été évoquée.

Enfin, j'ai l'impression que la contribution du groupe UMP arrive un peu tardivement : il n'a peut-être pas l'intention de tailler en pièces le travail de la mission Belot, mais cela y ressemble furieusement ! (Applaudissements socialistes)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Je ne peux être d'accord avec vous, monsieur Fortassin. Il n'est absolument pas question de toucher à nos communes qui sont la base de la démocratie locale et le lieu par excellence de la solidarité sociale ! Leur existence est vitale à l'organisation territoriale de notre pays.

Les communes pourront disposer de moyens plus importants et s'associer à de réels projets en rejoignant les intercommunalités. Je tiens d'ailleurs à vous féliciter, monsieur le sénateur, car je sais que vous poussez vos communes à se rassembler : le taux d'intercommunalités sur votre département est remarquable. On travaille mieux à plusieurs. Notre but est donc bien de privilégier le développement des communes dans le cadre de l'intercommunalité.

M. Robert Navarro.  - Avant tout, je tiens à dire ma fierté de travailler dans cette assemblée depuis octobre. Sur des sujets comme celui-ci, le Sénat montre qu'il est possible de dépasser les discours démagogiques. J'en veux pour preuve les conclusions de la mission temporaire, comparées à d'autres propositions : certains vont jusqu'à prévoir une réduction de 30 % à 50 % du nombre des élus départementaux et régionaux, sous le prétexte que ces élus coûtent cher et ne servent pas à grand-chose. C'est peut-être vrai pour ceux qui tiennent ce discours, mais c'est faux dans l'immense majorité des cas.

Les élus de tous bords sont dévoués à la cause qu'ils défendent : même si l'on ne partage pas les mêmes orientations, il n'est pas possible de prétendre que l'élu qui les porte est inutile ! Je veux remercier le président Belot et les membres de la mission pour le courage dont ils ont fait preuve en défendant leurs positions. On ne peut prétendre que la suppression de 2 000 élus soit l'alpha et l'oméga d'une politique de l'aménagement du territoire.

La mission s'est saisie de questions de fond : ainsi la création des conseillers territoriaux dès 2014 n'a pas été retenue. Nos concitoyens veulent que la politique soit compréhensible : les conseillers territoriaux fragiliseraient le maillage du territoire.

Bien sûr, une clarification s'impose et c'est pourquoi la mission estime que chaque échelon territorial doit remplir des missions bien distinctes. Les départements jouent un rôle essentiel en matière de solidarités sociale et de proximité. Les régions ont, quant à elles, des missions stratégiques pour le développement futur du territoire. Pourquoi vouloir casser ces deux instituions qui marchent très bien ?

M. le président.  - Il est temps de conclure !

M. Robert Navarro.  - Ces deux mandats n'ont donc rien à voir l'un avec l'autre et il serait aberrant de les regrouper. J'espère que les vacances aidant, nos travaux seront reconnus et écoutés à la rentrée.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - M. Navarro est élu d'un département que j'aime beaucoup et je vais tenter de le rassurer : le Gouvernement n'entend rien casser. Il veut simplement clarifier les compétences entre les départements et les régions. C'est tout le débat que nous avons depuis le début de cet après-midi et que nous aurons à la rentrée avec l'examen des textes que nous vous avons annoncés.

M. Louis Nègre.  - Je me félicite de l'excellent rapport de la mission Belot qui éclaire bien un sujet historique. Depuis la Révolution, nous n'avions pas connu une telle évolution institutionnelle ! (Exclamations et rires à gauche)

M. Pierre-Yves Collombat.  - N'exagérons pas !

M. Louis Nègre.  - Je veux aussi apporter mon soutien au Gouvernement : les grandes orientations décrites par M. Hortefeux me conviennent parfaitement : il est en effet grand temps de simplifier ! Comme l'a dit M. Fourcade, nos concitoyens ne s'y retrouvent plus !

En outre, nous n'avons pas été élus pour gérer l'immobilisme ! Faire avancer les choses me parait donc particulièrement bienvenu.

J'ai entendu avec satisfaction, monsieur le ministre, que vous disiez à un de nos collègues que la commune restait une institution privilégiée. Les compétences structurelles des futures métropoles devront être importantes.

M. le président.  - Veillez conclure !

M. Louis Nègre.  - Quelle place pour les communes dans les futures métropoles ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Il s'agit d'un point fort de la réforme. Une ville qui vous est chère fait partie du lot des huit métropoles futures. Nous devrons avoir un débat approfondi sur cette question. Contrairement à ce qui a été dit, le projet n'est pas écrit. La notion de métropole reste à définir. Il existe toutes sortes de métropoles en Europe : Barcelone a été métropole et ne l'est plus mais pourrait le redevenir. Milan n'a jamais vraiment été une métropole. Le Grand Londres, tout comme Berlin, sont plutôt des aires métropolitaines. Entendons-nous d'abord sur la définition. Ensuite, il y aura un débat sur le contenu. Il en va de l'avenir de nos très grandes villes sur l'échiquier européen.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.  - La question m'a semblé porter sur l'avenir des communes à l'intérieur de la métropole. (On le confirme sur les bancs socialistes) Notre vision s'est adossée aux témoignages que nous avons entendus à Lyon et à Bordeaux. Les grands élus étaient tous rassemblés sur une tribune, mais dans la salle, il y avait de nombreux maires des communes des futures métropoles. Or, ils veulent continuer à être des maires, même s'ils accepteraient probablement l'hypothèse qu'une partie de leurs moyens d'interventions leur soit attribuée par la métropole. Mais ils ne veulent pas que cette évolution soit décidée par d'autres, ailleurs, car ils veulent pouvoir l'expliquer à leurs électeurs.

Nous avons voulu ouvrir des portes : si les gens le décident ensemble, ils devraient pouvoir mettre en place une fiscalité métropolitaine unique. On l'a bien fait pour la taxe professionnelle avec une loi qui privilégiait le volontariat. Les élus s'y sont d'ailleurs engouffrés massivement. Je fais le pari que les élus sont intelligents et que, collectivement, ils le sont encore plus ! (Applaudissements socialistes) Il s'agit donc d'une porte ouverte. Ensuite, il leur reviendra de partager dans une aire métropolitaine la dotation globale de fonctionnement. Comme la loi Chevènement l'avait fait, il nous revient d'ouvrir des portes et de laisser les élus libres de choisir.

A Lyon, M. Collomb a créé des conférences de maires à l'intérieur de l'agglomération pour qu'ils puissent travailler ensemble. Il estime en effet que les écoles, les crèches, les squares sont du ressort des maires. Mais avec quel talent il a également défendu l'avenir de la métropole lyonnaise ! (Applaudissements socialistes)

Mme Bernadette Bourzai.  - J'ai organisé cinq réunions intercantonales avec 200 grands électeurs à qui j'ai adressé la synthèse du rapport Balladur et de la mission sénatoriale. Je n'ai pas rencontré un seul défenseur du comité Balladur. En revanche, je transmets les félicitations de nombreux élus à la mission pour le caractère raisonnable de ses propositions. Je me suis reconnu dans ce constat.

M. Blanc ayant évoqué la représentation des territoires de montagne, je n'y reviendrai pas. En revanche, dès que M. le ministre viendra dans le Cantal, je l'emmènerai sur le plateau de Millevaches et nous ferons le tour des six cantons qui éliront un seul conseiller territorial. Je souhaite bon courage et bonne santé à ce futur conseiller qui devra assumer ses fonctions à Tulle et à Limoges, surtout sans statut de l'élu.

Je veux également attirer l'attention sur le Conseil national de la montagne et sur les comités de massifs qui existent depuis la loi montagne de 1985. Il serait temps de moderniser ces organismes, car ils peuvent être des facteurs de cohésion territoriale. Je pense en particulier au programme opérationnel du Massif Central qui a permis de mobiliser...

M. le président.  - Veuillez conclure !

Mme Bernadette Bourzai.  - ...des fonds structurels européens durant six ans.

Enfin, les élus de la montagne veulent une juste rémunération de l'espace qu'ils entretiennent pour le mettre à disposition de tous. Cela suppose sans doute une fiscalité environnementale spécifique ou une dotation globale de fonctionnement majorée et surtout une péréquation entre les territoires. (Applaudissements socialistes)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Madame Bourzai, vous auriez pu m'inviter la semaine dernière lorsque je suis venu à Tulle participer à l'assemblée des maires de Corrèze. Je reviendrai avec plaisir pour visiter le plateau de Millevaches. Je connais les territoires désertifiés : ma circonscription, voisine de votre département, s'étendait sur plus de 380 000 hectares et comptait près de 200 communes de montagne.

Effectivement, il faut recentrer les aides à la montagne. Il y a beaucoup d'outils en faveur de ces départements, ainsi que des critères d'aide qui leur sont favorables, comme la superficie ou la densité. L'Association nationale des élus de montagne (Anem) plaide en faveur de ce recentrage car les aides, créées pour les grands massifs, soit une vingtaine de départements, en concernent aujourd'hui plus de cinquante, dont beaucoup sont davantage des zones de piémont que de montagne. Il faut trouver un consensus pour que les départements ayant des besoins spécifiques, souffrant d'enclavement, d'un long hivernage, avec une densité de population en baisse constante, soient davantage aidés.

M. Pierre Bordier.  - Je pensais que cette réforme serait l'occasion de tout remettre à plat afin de créer un système idéal en fonction de l'environnement actuel et des besoins de nos concitoyens, à l'image des Constituants lorsqu'ils ont balayé les provinces pour instaurer les conseils généraux. Si la perfection est ce vers quoi il faut tendre sans jamais l'atteindre, nous aurions ainsi adopté une démarche innovante qui aurait pu faire l'objet d'améliorations ultérieures. Or le rapport Balladur comme les missions parlementaire et temporaire sont partis de l'existant en l'adaptant.

Tous les intervenants ont parlé d'une ambition, mais je n'en vois pas beaucoup ici. M. le ministre a évoqué un rendez-vous avec l'histoire institutionnelle : je crains que nous ne le rations ! (MM. Alain Vasselle et Philippe Dallier applaudissent)

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.  - Je veux bien me prêter à l'exercice et, à partir de la carte de France, bâtir un modèle théorique. Cela ne me prendra pas quinze jours si je laisse aux autres le soin de la mettre en oeuvre, mais je leur souhaite bon vent... Il ne servirait à rien de décider d'une réforme pour qu'elle aille ensuite directement au placard.

Nous ne sommes pas partis de l'idée que ce qui existe est forcément mauvais. Nous souhaitons l'adapter et prévoir des améliorations dans le temps. Du passé faisons table rase ? Ce n'était pas notre intention et nous assumons complètement cette démarche.

M. René Vestri.  - Si le comité pour la réforme des collectivités locales est favorable à une synthèse entre la légitimité démocratique des communes et l'efficacité et la vision stratégique des intercommunalités, les maires s'opposent à toute supracommunalité qui leur serait imposée. Ils souhaitent également que l'on s'intéresse à la commande publique car le regroupement des marchés publics en volumes plus importants risque d'en éloigner les PME et les commerces des zones rurales et périurbaines. Enfin, les élus locaux demandent à être associés à cette réforme afin que les spécificités des territoires soient prises en compte et qu'un plus large consensus soit obtenu. Quelle est la position du Gouvernement sur ces sujets ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Malgré une dizaine d'années de progrès constants de la couverture intercommunale, certaines zones restent à l'écart. Il faut achever la carte des regroupements. Mais si 95 % des populations et des territoires sont couverts, le plus difficile reste à faire. Pour rallier ces derniers irréductibles, nous utiliserons la persuasion et non la contrainte. Toutefois, le moment venu, le Gouvernement prendra ses responsabilités et donnera aux préfets les outils nécessaires. Comme le souhaitent l'Association des maires de France (AMF) et l'Association nationale de l'intercommunalité, les moyens de la commission départementale de coopération intercommunale seront renforcés. La concertation sera privilégiée mais le Gouvernement interviendra en cas de blocage avant la fin de l'actuel mandat municipal.

Les petites entreprises ne seront pas exclues des commandes groupées, qui permettent de réaliser des économies d'échelle. Le droit de la commande publique permet déjà de passer des marchés par lots, plus accessibles aux PME.

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Je salue le travail de la mission présidée par Claude Belot, mais le groupe UMP a le dernier jour, d'une façon cavalière, déposé une contribution proposant de créer des conseillers territoriaux. Actuellement, le conseiller général est l'élu de proximité. Faire siéger un conseiller territorial dans les deux assemblées ne reviendrait-il pas à noyer dans l'administration régionale quelques conseillers généraux impuissants ? La simplification est souhaitable, mais ne succombons pas à une logique strictement comptable. La création du conseiller territorial va priver certains cantons de leurs meilleurs relais.

Face à cette réforme, l'attitude de mon groupe sera ouverte, mais prudente. En quoi l'apparition du conseiller territorial représentera-t-elle un progrès pour la démocratie locale, surtout pour des territoires souvent désertés par les services publics ? Qu'adviendra-t-il de l'échelon départemental ? Selon le Président François Mitterrand, si les services publics disparaissaient, le seul lien qui demeurait ensuite avec le territoire était le conseiller général. (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - N'en parlez pas à l'imparfait, le conseiller général existe toujours ! Je suis très fier d'être toujours conseiller général : c'est le seul mandat local que j'ai gardé. Brice Hortefeux l'a dit : il n'est pas question de toucher aux départements ni de supprimer les conseillers généraux. Les conseillers territoriaux seront des conseillers généraux ayant également un mandat de conseiller régional afin de rapprocher nos deux grandes institutions territoriales.

Il nous faut procéder à un redécoupage des cantons : le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont rappelé le Gouvernement à l'ordre sur ce point, qui relève du domaine réglementaire. Il y a vingt ans, le redécoupage était annuel ! Dans certains départements, les écarts de population entre les cantons vont de 1 à 45 - c'est le cas du Var. L'article 3 de la Constitution, qui impose l'équité des citoyens dans le suffrage, est foulé aux pieds. La notion de population n'est pas la seule prise en compte dans ce découpage, qui retient également les territoires. Cela explique que les écarts soient supérieurs à ceux séparant les circonscriptions législatives : 30 %, au lieu de 20 %, sont tolérés.

Ce sujet est important, car le Gouvernement a le devoir de procéder prochainement à un redécoupage de la carte des cantons.

M. Didier Guillaume.  - Nous voyons bien que la discussion d'aujourd'hui achoppe sur le conseiller territorial. Comme l'a dit Pierre Mauroy, on ne sait pas d'où ça sort. Le rapport Balladur ne le mentionne pas, celui de la mission Belot non plus, le Gouvernement n'a pris en compte ni l'un ni l'autre, c'est le groupe UMP qui l'a proposé.

A gauche, et peut-être à droite, nous pensons que c'est une mauvaise idée. Ma grand-mère, sage-femme et femme sage, disait que qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. Quand un ministre ou un élu désigne du doigt d'autres élus en les accusant de trop dépenser, nous ne sommes pas loin du populisme et de ses dérives. En entendant pareil propos, j'ai mal à la République !

A propos de la taxe professionnelle, M. Hortefeux a dit que les pertes de recettes seraient compensées à l'euro près. Est-ce au sens du RMI, où la dette de l'État s'établit à 2,5 milliards d'euros ? Ce dont ont besoin les collectivités locales, c'est d'un impôt fondé sur l'économie.

L'écrêtement de la taxe professionnelle et l'institution de fonds départementaux de taxe professionnelle dédiés à l'investissement des collectivités territoriales sont indispensables. S'ils étaient supprimés, comme le souhaite Bercy, ce serait une catastrophe pour l'aménagement du territoire ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Vous n'avez peut-être pas bien lu les suggestions de la commission Balladur : l'institution des conseillers territoriaux figure à la proposition n°3.

M. Didier Guillaume.  - Le rapport ne l'évoque pas !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Depuis la réforme de 2003, la compensation financière est une obligation constitutionnelle ; elle est assurée sous le contrôle de la commission nationale d'évaluation, actuellement présidée par M. Carcenac, député socialiste du Tarn. Je ne doute pas qu'il fasse bien son travail.

M. Didier Guillaume.  - En constatant qu'il manquait 2,5 milliards d'euros !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement est très attentif aux fonds départementaux de taxe professionnelle.

M. Michel Boutant.  - Les redites deviennent inévitables. Après s'être manifestée il y a une heure, la spontanéité est un peu retombée.

Monsieur le Président, j'ai eu de la peine pour vous lorsque le ministre de l'intérieur a réservé un enterrement de première classe à la mission Belot, que l'on appelle à l'extérieur la commission Larcher, en s'abstenant de toute référence à ses travaux.

M. François Marc.  - Scandaleux !

M. Michel Boutant.  - J'ai constaté en Charente-Maritime l'intérêt des élus pour le travail de cette commission, notamment à l'occasion d'une réunion à laquelle vous avez participé. Mais le journal Sud Ouest a renoncé à publier une enquête d'opinion, faute d'avoir recueilli suffisamment de réponses parmi ses lecteurs. Voilà pour l'intérêt des Français quant à l'excès de strates territoriales...

Aujourd'hui, j'ai eu l'impression d'assister à un procès à charge intenté aux collectivités territoriales. J'ai donc regardé les chiffres du conseil général de la Charente-Maritime : sur un budget de 457,8 millions d'euros, il en consacre 0,22 % à la rémunération et aux frais de ses élus. Mais son action rend d'immenses services ! Je ne citerai que les transports scolaires et l'aide aux personnes handicapées.

Ma question porte sur la péréquation, dont il n'a guère été question aujourd'hui, alors qu'il faut bien partager les charges entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui doivent assumer des compétences obligatoires s'ajoutant aux dépenses imposées par l'État. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - M. Hortefeux a remercié le président de la mission...

M. Bernard Frimat.  - C'est nul ! Il n'a pas parlé du rapport !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - ...et les deux rapporteurs. Le Gouvernement tiendra le plus grand compte de leurs travaux.

M. Bernard Frimat.  - Hommage posthume !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Pour le reste, j'ai déjà rappelé que la péréquation constituait un axe majeur pour l'action du Gouvernement.

M. Alain Vasselle.  - Notre collègue Bordier a raison : la réforme envisagée n'est peut-être pas à la hauteur des ambitions de nombre d'entre nous.

J'ai le sentiment que les membres de la mission souhaitaient vivement réformer, mais qu'un vent de conservatisme a soufflé. (Rires à gauche)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Vous, un révolutionnaire ! Extraordinaire !

M. Alain Vasselle.  - Le succès de la réforme suppose à mon sens de réunir trois conditions. La première est que nous laissions de côté nos arrière-pensées politiques, surtout à propos du conseiller territorial. (Exclamations narquoises à gauche, où l'on demande si le Président de la République n'en a pas) Il faut abandonner le conservatisme qui anime trop d'entre nous.

M. Paul Raoult.  - Vous êtes orfèvre !

M. Alain Vasselle.  - La deuxième condition s'adresse au Gouvernement : monsieur le ministre, n'attendez pas 2014 pour réformer ; repoussez les élections régionales d'un an et agissez dès 2011 !

Enfin, j'ai participé, avec M. Belot, à la commission spéciale consacrée à la loi Pasqua sur l'aménagement du territoire, puis à la commission sur la loi Voynet. Il est indispensable qu'une volonté politique forte donne son autonomie financière à chaque collectivité. Sinon, la réforme décevra.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - M. Vasselle a raison. D'ailleurs, le Gouvernement veut agir vite.

Ainsi, la taxe professionnelle sera réformée dès la loi de finances pour 2010. (On fait observer à gauche que cette question n'a pas été posée) La réforme des valeurs locatives est une priorité qui s'ajoute au texte institutionnel ambitieux dont le Parlement sera saisi dès la rentrée.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.  - Monsieur Vasselle, vos importantes responsabilités vous ont peut-être empêché de suivre de près les travaux de la commission, mais elle a dégagé un socle de large consensus. Bien sûr, cela n'empêche pas chacun de ses membres de reprendre ensuite sa place au sein de son groupe, pour défendre ses positions personnelles.

Enfin, ne casez pas les gens en « conservateurs » et « progressistes », car vous risquez des surprises ! (Applaudissements au centre et à gauche)

M. Jacques Berthou.  - Nous sommes tous des élus qui apprécient la proximité. Le maire est connu et reconnu. Le conseiller général vient ensuite, suivi par le conseiller régional.

La réforme du conseiller territorial éloigne les élus du terrain. Vous dites que nos administrés ne comprennent pas grand-chose au mille-feuille institutionnel. Ils connaissent au moins les élus qu'ils rencontrent !

Des élus doivent rendre compte, mais les conseillers territoriaux seront dépassés par leurs tâches, si bien que les élus départementaux et régionaux perdront le pouvoir, au profit d'une administration toute-puissante. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Je dirai un mot de l'intercommunalité.

Monsieur le ministre, avez-vous songé au fait que l'élection directe des délégués communautaires politisera l'intercommunalité, pas nécessairement dans un sens noble ? Surtout, la légitimité apportée par le suffrage universel l'érigera en quatrième niveau d'administration territoriale, alors que la loi de juillet 1999 avait simplement créé des coopératives de communes, chacune représentée par son maire. Mme Gourault vous a invité à y réfléchir.

L'esprit de la réforme territoriale éclate dans les communes nouvelles, que vous voulez substituer aux existantes au sein des EPCI.

2 600 communes se substitueront aux 36 800 qui existent : vous romprez avec l'histoire millénaire des paroisses devenues communes. Alors, quand vous en parlez comme d'un échelon de base, est-ce double langage ? Je ne peux le croire. Il vous reste donc à mettre de l'ordre dans vos idées. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Les intercommunalités votent l'impôt, fédèrent des projets politiques, structurants. Il est normal qu'elles aient l'onction du suffrage universel. C'est la raison du fléchage, qui constitue une réponse pratique et consensuelle. Il figurait dans l'avant-projet sur le développement de l'intercommunalité préparé à l'occasion du dixième anniversaire de votre loi, et nous l'avons testé devant les élus, comme à Montpellier, l'an dernier, devant 3 000 personnes. L'onction du suffrage universel ne crée nulle confusion entre le maire et le président de l'intercommunalité. Il n'y a pas un niveau supplémentaire mais une démarche volontaire.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Et la nouvelle commune ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Je remercie M. Belot, Mme Gourault, M. Krattinger et tous les membres de la mission. Ils ont défini un socle et le Gouvernement saura s'inspirer de ce travail précieux car il forme un début de consensus. On avait aussi parlé de socle pour le comité Balladur, auquel participaient MM. Mauroy et Perben, et dont seize propositions sur vingt ont obtenu un accord.

M. Pierre Mauroy.  - Il y en avait deux, essentielles, contre lesquelles j'étais. S'il y avait eu vote global, j'aurais voté contre !

M. Alain Vasselle.  - Seize sur vingt, c'est une bonne note !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Ne faisons pas marche arrière. Votre mission a défini un socle, de même que le comité Balladur. C'est sur ce fondement que le Gouvernement construira son projet.

M. Claude Belot, président de la mission temporaire.  - Dans quelques minutes la mission n'existera plus. Nous avons essayé de faire de notre mieux et le texte que nous proposons mérite attention. Vous avez des circonstances atténuantes si vous le connaissez mal : il n'a été publié qu'avant-hier.

Avec notre expérience de tête de réseau de tous les élus de notre département, nous sommes partis de cette hypothèse, de ce socle : le système a été très performant, les collectivités ont été à l'origine de la croissance de la France depuis trente ans. (Marques d'approbation sur plusieurs bancs) Les historiens diront exactement ce qu'il en est, mais nous sommes lucides. Dès lors, comment améliorer ce système, faire la chasse au gaspi, améliorer la précision de l'horloge France ? Nous n'avons pas travaillé contre le rapport Balladur : nous avons rencontré M. Balladur et je me suis entretenu avec lui à plusieurs reprises. Nous retenons l'essentiel de ses seize propositions, en les mettant à notre sauce.

Il y a des points de divergence. Nous avons voulu, conformément à l'esprit girondin qui a souvent soufflé ici, donner aux collectivités territoriales la maîtrise de leur destin. Oui, il faut de grandes métropoles, M. Collomb l'a dit pour Lyon, M. Juppé l'avait dit pour Bordeaux. Eh bien, que les gens du coin se débrouillent dès que la loi leur en donnera la capacité, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. De même pour les intercommunalités : que les communes s'y mettent, qu'on regarde celles qui coûtent cher et ne font rien, qu'on identifie celles qui sont pertinentes, et qu'on supprime les verrous que l'État avait mis à leur développement.

Alors, il y a des départementalistes et des régionalistes. M. Patriat l'a dit, la première mouture de l'élection des conseillers territoriaux était plus favorable au département que la seconde, qui entrainera la dilution des départements. J'ai été conseiller général pendant trente-huit ans et demi, longtemps président de conseil général et, dans une autre vie, vice-président de région. Il faut que les départementalistes membres du Sénat comprennent ce qui se joue car le département est un formidable outil qu'il faut faire vivre. Nous avons voulu clarifier les relations entre le département et la région, en fixant des compétences pour que, ce que fait Pierre, Paul ne le fasse pas. Cependant, il y a dix ans, personne ne pensait que les collectivités territoriales seraient des acteurs majeurs du haut débit, en dehors des grandes villes. Les collectivités doivent avoir la capacité d'agir quand c'est nécessaire, sinon, le formidable élan de la décentralisation sera complètement annihilé.

Permettez-moi une considération plus terre à terre. Lorsque j'étais conseiller général, que je siégeais à la région, j'étais aussi professeur à l'université de Poitiers, siège de la région. Je pouvais tout faire, mais au prix de combien de déplacements ? Des élus qui contrôlent, vérifient et font preuve d'imagination, c'est une grande chance pour l'économie. Ces gens ne sont pas de trop et si certains ne font rien, à leur formation politique de faire le ménage ! Sans ce contrôle, le pouvoir administratif fera n'importe quoi et ça coûtera cher.

M. Alain Vasselle.  - Exactement !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire.  - Je ne partage pas votre optimisme sur les deux mandats en un, et je m'en suis entretenu avec M. Balladur. On nous cite toujours les conseillers de Paris, qui sont certes à la fois conseillers municipaux et généraux, mais sur un même territoire, et cela change tout. Je me suis d'ailleurs laissé dire qu'il y avait un risque majeur devant le Conseil constitutionnel. J'ignore ce que diront les princes du droit mais je sais que quand je présidais mon conseil général, la plus grosse difficulté était qu'un des quinze à vingt vice-présidents soit disponible. Car quelle richesse qu'un élu qui a un métier, qui vit dans son marigot, petit ou grand, qui est maire, reconnu ! Le jour où il deviendra ce que vous voulez qu'il soit, il sera un professionnel de la politique dans un petit territoire, complètement dépendant de son parti...

M. Alain Vasselle.  - Seulement avec la proportionnelle.

M. Claude Belot, président de la mission temporaire.  - Cela deviendra mission impossible de trouver des gens qui exercent un métier, soient reconnus, et se déplacent : vous changez totalement la sociologie des élus.

Lorsque vous écrirez votre texte, vous allez regarder le nôtre et nous serons à votre disposition pour vous faire part de notre réflexion.

J'ajoute, à l'intention de M. le Président, qu'il n'est pas de texte majeur consacré aux collectivités territoriales qui ait été adopté contre le Sénat, qui n'ait pas obtenu ici une large majorité. Je souhaite vivement que nous parvenions à un texte consensuel. (Marques d'approbation sur divers bancs) Le prestige du Sénat est en cause, car la représentation des collectivités territoriales est sa première mission.

J'ai le sentiment, au cours de ces huit mois, d'avoir travaillé avec une équipe d'honnêtes gens, dont le souhait est d'améliorer l'organisation territoriale de notre pays. Nous n'avons nullement fait preuve de conservatisme ! Bien au contraire, nous avons envisagé toutes les pistes de réforme. Il revient à présent à tous les acteurs locaux de s'emparer de ce dossier. Si cette réforme aboutit, la France s'en portera mieux. (Applaudissements unanimes)

Le débat est clos.

M. le président.  - Le débat que nous venons d'avoir fait honneur à notre assemblée. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre participation et vous donne rendez-vous pour de futurs débats, où j'espère que vous saurez tenir compte de tous les points de vue.

Nous reprendrons, à titre exceptionnel, la séance à 22 heures, afin de pouvoir achever l'examen de la proposition de loi sur l'inceste avant la fin de la session ordinaire, à minuit. A défaut, il faudrait repousser la fin de cette discussion jusqu'au mois d'octobre ; or il s'agit d'un sujet grave, et il est souhaitable que la navette puisse se poursuivre dans les meilleurs délais.

La séance est suspendue à 20 h 50.

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

La séance reprend à 22 heures.

Fin d'une mission temporaire

Mme la présidente.  - Par lettre en date de ce jour, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter d'aujourd'hui, de la mission temporaire confiée à M. François Zocchetto, sénateur de la Mayenne, et à M. François-Noël Buffet, sénateur du Rhône, auprès de M. le ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance, aux termes des dispositions de l'article L.O. 297 du code électoral.

Acte est donné de cette communication.

Lutte contre l'inceste sur les mineurs (Proposition de loi)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes.

Je vous rappelle la contrainte, évoquée par le Président du Sénat cet après-midi, qui pèse sur nos travaux. En ce dernier jour de session ordinaire, la séance ne peut se prolonger au-delà de minuit. J'invite donc tous les orateurs à la plus grande concision car ce texte n'étant pas inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire, il sera, si son examen n'est pas achevé dans les délais ce soir, reporté à l'ordre du jour de la prochaine session ordinaire.

Discussion générale

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Bien que la prohibition de l'inceste fonde nos civilisations humaines, magistrats, forces de l'ordre et professionnels de l'enfance savent que la lutte contre les violences incestueuses sur les mineurs reste d'actualité. Ce texte, en inscrivant l'inceste dans le code pénal, comble une lacune de notre droit, adresse un signal fort aux victimes et aux autorités chargées de le combattre et prévoit des moyens de détecter, de prévenir et de lutter contre l'inceste.

Porté à l'Assemblée nationale par Mme Marie-Louise Fort, ce texte est le résultat d'un travail législatif approfondi. Je salue le travail remarquable de votre commission et du rapporteur. Voilà qui fait honneur à notre démocratie.

La clarté de la loi est la condition de l'efficacité de notre action. L'inceste, parce qu'il constitue une forme spécifique de violences sexuelles, appelle des dispositions spécifiques. Sans évoquer la définition proposée par votre commission, dont nous aurons l'occasion de débattre, ce texte distingue l'inceste du viol et de l'agression sexuelle -constitués par les facteurs que sont la violence, la contrainte, la menace et la surprise- par la notion de contrainte morale qui résulte de la différence d'âge et de l'autorité de l'auteur du fait.

La spécificité de l'inceste implique de prendre en compte le contexte familial. De fait, l'inceste, qui repose sur l'abus de la confiance spontanée des mineurs dans les adultes qu'ils côtoient au sein de la famille, transforme un processus de construction de la personnalité en destruction de l'individu. La circonstance aggravante d'inceste que crée ce texte constitue un gain de clarté et de lisibilité de la sanction.

Mieux prendre en compte les victimes de l'inceste est la première de nos responsabilités. Le désarroi des victimes de l'inceste est souvent aggravé par le silence qui l'entoure. N'aggravons pas la loi du silence par le silence de la loi, n'ajoutons pas un tabou juridique au tabou social. En inscrivant en toutes lettres la notion d'inceste dans le code pénal, nous contribuerons à mieux répondre à ce besoin de reconnaissance.

La prévention de l'inceste est confortée avec une information dans les écoles, une sensibilisation du public dans les médias et un enseignement spécifique pour les médecins, enseignants, travailleurs sociaux et avocats.

Pour améliorer la prise en charge des victimes, il est prévu, outre la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement avant juin 2010, un déploiement des unités médico-judiciaires sur l'ensemble du territoire que Mme le ministre de la santé et moi-même soutenons. Enfin, parce que la complexité des démarches juridiques constitue un frein supplémentaire à la sanction de l'inceste, le juge désignera un administrateur ad hoc pour accompagner le mineur.

Défendre les plus fragiles, protéger l'enfance, préserver la cellule familiale relève de notre responsabilité au-delà des clivages politiques. Adapter notre droit à la lutte contre l'inceste, c'est affirmer, dans une société menacée par la perte de repères, notre attachement à la dignité humaine et aux valeurs de notre pacte social ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois.  - Dans notre pays, l'inceste est une réalité très lourde. Occultée, hélas !, par le passé, elle se dit aujourd'hui plus facilement. Mais beaucoup reste encore à faire. Bien que le code civil comporte des dispositions sur l'empêchement du mariage et que le code pénal sanctionne les infractions sexuelles commises au sein de la famille, la notion n'est pas inscrite dans notre législation, ce qui représente un grave handicap dans la lutte contre ce fléau. Malgré quelques sondages, personne ne sait aujourd'hui chiffrer cette réalité. En revanche, nous savons qu'elle est particulièrement destructrice et crée des traumatismes très profonds.

Face à ce constat, que faire ? Telle est la question que pose ce texte. Notre législation en matière de répression de la délinquance sexuelle est l'une des plus sévères d'Europe, observait Christian Estrosi dans un récent rapport. Mais la France ne pénalise pas l'inceste en tant que tel contrairement à l'Allemagne qui le réprime même entre les majeurs.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Juste !

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Ce n'est pas la tradition française, même s'il existe, chez nous, une forme légitime de réprobation morale.

En revanche, notre droit reconnaît comme circonstance aggravante le fait que le viol, l'agression sexuelle ou l'atteinte sexuelle sur mineur soit commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime. Les peines encourues sont très lourdes et vont jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle. En outre, le délai de prescription a été porté à vingt ans, soit le double du délai en matière de crimes, et court à partir de la majorité de la victime qui peut donc dénoncer les faits jusqu'à ses 38 ans. C'est une bonne chose...

Mme Isabelle Debré.  - Tout à fait !

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Car les victimes ont besoin de temps pour se libérer de la chape de plomb posée sur les faits, parfois par leur propre famille.

D'autres dispositions ont été adoptées : possibilité de désigner un administrateur ad hoc lorsque les parents ne sont pas aptes à assurer la protection des intérêts de l'enfant, privation de l'autorité parentale, etc. Enfin, depuis 2004, le code prévoit que les médecins ne peuvent être l'objet de sanctions disciplinaires lorsqu'ils ont signalé aux autorités compétentes les mauvais traitements dont ils auraient eu connaissance.

Le dispositif pénal existe donc ; aujourd'hui, nous nous interrogeons plutôt sur les conséquences de notre façon d'aborder le problème. Notre loi pénale ne nomme pas l'inceste. Pour les associations de victimes, ne pas donner de nom à la chose, c'est la nier. On n'ose pas parler d'inceste dans notre législation. Pour les victimes, cela est grave. Et nous sommes privés d'une meilleure connaissance du problème : nous ignorons son ampleur et son évolution.

La proposition de loi est le fruit d'une réflexion menée depuis un certain temps. En juillet 2005, M. Christian Estrosi avait remis un rapport au Premier ministre sur l'opportunité d'inscrire l'inceste en tant qu'infraction spécifique dans le code pénal. Puis Mme Marie-Louise Fort, députée, a recueilli un grand nombre de témoignages de victimes qui l'ont convaincue de présenter un texte en ce sens. Néanmoins, l'un comme l'autre se sont prononcés en faveur, non de la création d'une infraction spécifique d'inceste, mais du maintien du principe actuel, l'inceste considéré comme une circonstance aggravante des infractions sexuelles.

L'inscription de l'inceste dans notre législation fait l'objet d'avis contrastés : l'ancienne Défenseure des enfants, Mme Claire Brisset, ainsi que l'ensemble des associations de magistrats sont réservées voire hostiles. Nous ne pouvons négliger cette réaction. Néanmoins, j'ai eu l'occasion comme avocat de plaider de telles affaires : j'ai obtenu l'acquittement d'un père accusé par sa fille ; or, de nombreuses années après, j'ignore toujours si un innocent a fait deux ans de détention provisoire ou si la cour d'assises a libéré un coupable. Souvenons-nous d'Outreau. C'est une matière extrêmement difficile à juger. Entre le témoignage de l'enfant et les déclarations de l'adulte, un expert psychiatre dit quels propos sont les plus crédibles... Il y a très rarement un élément matériel, une preuve scientifique ; c'est le domaine de l'intime conviction et la responsabilité est lourde pour les juges.

Cela ne signifie pas qu'il ne faille rien faire. Je rejoins les associations de victimes, tout comme l'exposé des motifs de la proposition, qui souligne l'importance de « poser sur l'acte le terme qui convient ».

Le texte issu de l'Assemblée nationale posait des difficultés. La loi pénale est toujours d'interprétation stricte. S'il y a ambiguïté, celle-ci profite à l'accusé. Si les sanctions sont aggravées, elles ne s'appliqueront qu'aux infractions futures, lesquelles seront jugées dans environ vingt ans compte tenu du délai de prescription. Il ne faut pas se tromper...

La proposition fixe des catégories qui n'existaient pas dans la loi précédente. Est-ce une aggravation ou non ? Le texte sera-t-il ou non applicable ? N'y aura-t-il pas des effets pervers ? Je ne puis répondre !

Les membres de la commission des lois, de tous les groupes, ont fait ensemble un travail fructueux. La liste retenue par la proposition de loi apparaissait excessivement rigide, englobant des situations qui ne relèvent pas de façon évidente de l'inceste -par exemple un adolescent qui aurait des relations sexuelles avec l'amie de son père, de son oncle ou de son frère- et elle excluait des situations qui en relèvent de façon manifeste, je songe aux violences au sein de « quasi-fratries ». L'énumération des auteurs d'actes incestueux qui figurait à l'article premier ne recoupait qu'imparfaitement les personnes actuellement englobées dans les notions d'ascendant et de personnes ayant autorité. La commission des lois y a substitué une référence plus générale aux « violences commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur, par son ascendant ou par une personne qui dispose d'une autorité sur lui ». La nouvelle circonstance aggravante d'inceste risquait de poser de réels problèmes de droit transitoire ; nous avons préféré une « surqualification », une qualification supplémentaire se superposant aux qualifications existantes et applicable aux affaires en cours. En outre, la qualification d'inceste fera l'objet d'une question spécifique devant la cour d'assises.

Nous avons suivi M. Jean-Pierre Michel et le groupe socialiste et supprimé l'article 2 bis, qui aggravait les peines en cas d'atteintes sexuelles commises sur un adolescent âgé de 15 à 18 ans. La proposition de loi vise à inscrire l'inceste dans le code pénal afin de mieux identifier et prendre en charge les victimes, elle n'a pas pour objet d'aggraver les sanctions existantes. Enfin, la désignation systématique d'un administrateur ad hoc en cas d'inceste n'est pas souhaitable, car l'un des parents demeure peut-être apte à assurer la protection de l'enfant. En revanche, nous avons conservé, sous réserve de quelques modifications rédactionnelles, la définition de la contrainte figurant à l'article premier.

La contrainte est un élément constitutif des infractions de viol et d'agression sexuelle. Or, dans les années 1990, la Cour de cassation a considéré que la contrainte ne pouvait résulter du seul jeune âge de la victime et de la relation particulière qui la liait à son agresseur. Ce raisonnement avait conduit dans certains cas à requalifier en atteintes sexuelles des viols commis sur un mineur par une personne de sa famille. Cela avait fortement ému les associations de victimes, pour lesquelles une telle position semblait sous-entendre que l'enfant aurait pu consentir aux relations sexuelles qui lui étaient imposées -une aberration dans le cas spécifique de l'inceste. La nouvelle définition de la contrainte conduira les magistrats à ne plus retenir l'atteinte sexuelle quand ont été commises des violences au sein du cadre familial qui relèvent à l'évidence du viol ou de l'agression sexuelle.

Au-delà du vote d'une loi, la prévention et l'accompagnement des victimes relèvent du Gouvernement, soit parce que les mesures sont d'ordre réglementaire, soit parce qu'elles sont tombées sous le coup de l'article 40. Je me félicite de la sensibilisation des professionnels, il faut l'approfondir. L'Assemblée nationale a voulu créer des centres d'accueil des victimes dans tous les départements, l'amendement a été déclaré irrecevable, mais le Gouvernement se doit de prendre la mesure du problème. Je me réjouis, madame la ministre, de vos propos, car la balle est dans le camp du Gouvernement ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Muguette Dini.  - Pour une femme ou une adolescente, le risque de maltraitance ou d'agression sexuelle est plus grand à son domicile que dans la rue. C'est encore plus vrai des enfants. La plupart des abuseurs sexuels se trouvent au sein de la famille. Notre droit pénal prend-il en compte les spécificités de ces crimes ?

Les spécificités de l'inceste méritent-elles qu'il soit nommé comme un crime différent ? A ces questions, les victimes répondent par l'affirmative.

C'est vrai, le terme d'inceste n'est inscrit ni dans le code civil, ni dans le code pénal. Alors que l'anthropologue, le sociologue, le psychanalyste, l'ethnologue et l'éthologue se sont tous penchés sur l'inceste, le juriste n'y a consacré que très peu d'écrits. Tout se passe comme si la règle morale sous-jacente aux règles juridiques allait tellement de soi qu'il n'était point besoin pour notre droit d'en dire plus.

Le mot « inceste » va dans le sens d'un interdit social. Le dictionnaire de l'Académie française, dans ses vieilles éditions, l'a défini comme « la conjonction illicite entre les personnes qui sont parentes ou alliées au degré prohibé par la loi ». Le Littré parle, lui, d'« union illicite ». Au vu de ces premiers éléments, il est clair que l'« inceste » renvoit à la famille voire à la parenté. Il n'y a donc pas d'inceste sans famille au sens large.

Notre droit ne donne pas de définition de l'inceste mais l'interdit de l'inceste, quoique non désigné explicitement en tant que tel par le droit, n'en a pas moins été et demeure l'un des fondements mêmes du droit familial et un pilier fondamental de notre société. Ainsi, notre droit positif civil comporte des dispositions se rattachant à l'inceste, relatives au mariage et à la filiation. Le code civil interdit l'union incestueuse et, donc, oblige à trouver son partenaire sexuel à l'extérieur de la famille. Cette prohibition a traversé toutes les réformes du code civil. Un homme ne peut et n'a jamais pu épouser sa mère, ni sa grand-mère, ni sa soeur, ni sa fille, ni sa petite-fille. Une femme ne peut épouser son père, ni son grand-père, ni son fils, ni son petit-fils, ni son frère. La loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité a posé le même principe de prohibition. L'article 515-2 du code civil dispose qu'« à peine de nullité, il ne peut y avoir de Pacs entre ascendant et descendant en ligne directe et entre collatéraux jusqu'au troisième degré ».

La filiation incestueuse s'avère également indirectement prohibée. L'enfant né de relations incestueuses ne verra sa filiation légalement établie qu'à l'égard de l'un des deux auteurs de l'inceste.

Au plan pénal, l'inceste est aussi réprimé comme circonstance aggravante du crime de viol, du délit d'agression sexuelle ou du délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans par une personne ayant autorité.

Alors, faut-il en rester là ? Les victimes nous demandent d'aller plus loin et de reconnaître que l'inceste n'est jamais pris en considération isolément, qu'il est toujours appréhendé en même temps que tous les autres crimes d'abus d'autorité. Depuis plusieurs années, sortant de leur silence, les victimes d'actes incestueux parlent. Les poursuites pour de tels faits se multiplient mais ils ne sont jamais qualifiés comme tels. Cette répression pénale s'est accrue notamment depuis la réouverture des délais de prescription par la loi du 10 juillet 1989, ce qui ne fait plus obstacle à une action tardive de la part de victimes majeures, ayant été victime d'un inceste pendant leur minorité.

Mais les victimes ont besoin que les faits soient posés par les mots justes. La proposition de loi leur donne gain de cause. Il n'y a pas création d'une nouvelle infraction mais ce crime est, dans sa spécificité, nommé et de ce fait, reconnu.

Surtout, ce texte reconnaît la notion de « contrainte morale », pouvant résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait qu'il exerce sur cette dernière. Dans la rédaction actuelle du code pénal, quatre facteurs permettent de constituer une agression sexuelle : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Or, tout cela ne se vérifie pas en matière d'agressions sexuelles intrafamiliales. Le parent n'a pas besoin de se montrer violent avec l'enfant. Les menaces sont souvent postérieures à l'acte et donc inopérantes. La surprise est insuffisante pour rendre compte de la pérennité du phénomène. La victime est dans une situation très particulière par rapport à l'auteur de l'infraction. Elle vit avec lui et souvent elle l'aime... Cette dépendance, cette autorité font de l'inceste un crime pas comme les autres et créent les conditions du particularisme que réclament les victimes.

Cette proposition de loi n'évoque pas l'inceste entre personnes majeures mais sur le plan de l'interdit social, toute relation sexuelle intrafamiliale reste un inceste. C'est pour insister sur la différence entre inceste imposé et inceste consenti que j'ai cosigné l'amendement de François Zocchetto sur la modification du titre du texte de loi.

Nous avons le devoir de faire changer les mentalités. Ce sera un long travail qu'il convient d'entamer au plus vite, en particulier à l'école et dans les lieux de loisirs fréquentés par les enfants et les adolescents. C'est la condition d'une prise de conscience rapide chez les enfants victimes d'inceste. C'est à cette condition qu'ils seront moins nombreux et moins traumatisés. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le sens anthropologique et le sens juridique de l'inceste ne recouvrent pas le même champ, le second étant plus large que le premier. Si le droit ignore les cas où les adultes sont consentants -seule l'interdiction du mariage peut leur être opposée-, il n'ignore pas les cas d'inceste sur les enfants, même si l'inceste n'est pas nommé dans le code pénal. Mais la loi restera toujours impuissante tant que les faits resteront ignorés par la société. La grande majorité des agressions sexuelles sur les enfants ont lieu dans le cadre familial même si on a du mal à l'admettre. Les secrets de famille continuent d'être bien gardés. Le silence entourant l'inceste explique les difficultés rencontrées par les professionnels pour l'identifier, le prévenir et le sanctionner. L'enfant est agressé dans son corps mais aussi dans son psychisme, il est trahi par ceux qui sont censés lui apporter de la sécurité et de l'amour. Cette trahison enferme l'enfant, et ensuite l'adolescent et l'adulte qu'il devient, dans un silence impossible à briser. L'emprise de l'adulte sur l'enfant, le sentiment de honte, de culpabilité, la peur d'être puni ou de ne pas être cru, sont si forts qu'il s'enferme dans son silence.

La question clé, c'est la capacité de la victime à engager une action en justice et c'est pourquoi, en 2004, j'ai contribué à porter de dix à vingt ans le délai de prescription parce qu'il faut parfois atteindre l'âge adulte pour parler.

Le code pénal prend déjà en compte la réalité de l'inceste, bien qu'il ne le nomme pas expressément. Le législateur a fait le choix, jusqu'à présent, de sanctionner toute atteinte commise, même sans violence, sur un mineur : le fait que celui-ci ait moins de 15 ans constitue une circonstance aggravante, tout comme le fait que l'agresseur soit un ascendant, une personne ayant autorité sur la victime ou ayant abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions. Si les juridictions n'utilisent pas le terme d'inceste, leur sévérité est incontestable comme le constatait la Défenseure des enfants, Claire Brisset, dans son avis de 2005 : « De tels actes sont quotidiennement réprimés par les tribunaux correctionnels et les cours d'assises, d'ailleurs avec une sévérité souvent supérieure en France à celle de la plupart des autres pays européens ». Notre législation permet, grâce à l'utilisation des notions d'ascendant et de personne ayant autorité sur la victime, de prendre en compte la diversité des situations de violences sexuelles au sein de la famille.

La proposition de loi, telle qu'elle a été adoptée par les députés, présentait l'inconvénient de procéder à une stricte énumération des auteurs d'actes incestueux. L'inscription de cette liste -non exhaustive- dans le code pénal aurait exclu du champ de l'inceste des cas qui pourtant sont vécus comme tels par les victimes. La proposition de notre rapporteur -qui a fait l'unanimité- d'en revenir à une terminologie existant dans le code pénal et de ne pas retenir l'énumération prévue initialement répond mieux aux cas d'inceste dans des structures familiales dont la composition évolue rapidement. Alors que de plus en plus de familles sont recomposées et que les liens affectifs y dépassent largement ceux du sang, l'inadéquation de la liste dressée dans l'article premier initial avec la multiplicité des schémas familiaux était flagrante. Je crains que l'amendement du Gouvernement réintroduisant l'énumération dans cet article ne soit trop précis et laisse de côté des situations pourtant vécues comme des incestes. Claire Brisset s'interrogeait déjà en 2005 sur la façon de fixer la limite du cercle familial et voulait garder assez de souplesse pour délimiter le cadre intrafamilial. Il faut en rester à la position de notre commission des lois.

La définition de la contrainte proposée par l'article premier crée davantage d'insécurité juridique qu'elle n'en résorbe. Le texte prévoit que la contrainte peut être « physique ou morale ». La définition retenue pour la contrainte morale présente l'inconvénient de limiter la liberté du juge dans son appréciation de la contrainte qui aura pu être exercée sur l'enfant.

L'inceste n'est pas nécessairement caractérisé par la différence d'âge ; et on ne sait si les deux conditions seront ou non cumulatives. Pour certains auteurs, la question du consentement ne se pose pas dès lors que l'état de dépendance de la victime est tel qu'il altère son discernement. Or il ne peut y avoir consentement que s'il y a discernement.

Le volet prévention et accompagnement des victimes est enfin très décevant ; sur ce point, le texte initial était meilleur. Il est très important que les professionnels soient bien formés, aient une bonne appréciation de la parole des enfants afin de pouvoir détecter ce que les troubles de ces derniers peuvent receler. Les parlementaires ne peuvent malheureusement pas augmenter d'eux-mêmes les dotations allouées à la prévention et aux soins. Pour cette seule raison, nous nous abstiendrons.

M. Gilbert Barbier.  - Cette proposition de loi touche un domaine où la raison le cède bien souvent à l'émotion, ce qui est compréhensible. Je salue donc le travail fait par notre collègue députée Mme Fort, dans le prolongement de la mission menée par M. Estrosi, ainsi que celui de notre rapporteur M. Béteille.

L'inceste produit en nous un mélange d'incompréhension et de répulsion. Il transgresse les structures fondamentales de l'organisation de nos sociétés, porte une atteinte intolérable à la dignité de ses victimes. Les statistiques peinent à en donner une image fiable ; en extrapolant le nombre d'affaires portées devant la justice, on estime à deux millions le nombre de personnes ayant subi durant leur enfance un rapport sexuel forcé ou une tentative. Environ 20 % des procès d'assises concernent des affaires d'inceste. Tous les âges sont concernés et l'inceste par ascendant peut être le fait de la mère. C'est la violation la plus totale des droits de la personne, une des formes les plus évoluées de la barbarie. Combien de victimes ont trouvé la mort comme seule réponse à leur souffrance ? Les conséquences de l'inceste sont toujours graves : suicide, anorexie, boulimie, automutilation, toxicomanie, prostitution, alcoolisme, dépression, trouble bipolaire... Un abus sexuel intrafamilial laisse toujours des blessures psychologiques irréversibles.

L'inceste est aussi un problème de santé publique, un problème de société : il insulte nos valeurs. C'est pourquoi il nous faut donner aux pouvoirs publics les outils permettant de le combattre, de le réprimer, mais aussi et surtout de le prévenir.

La qualification juridique de l'inceste doit d'abord être inscrite dans le code pénal. Cette reconnaissance par la loi aidera les victimes dans leur thérapie : appeler les choses par leur nom empêche le refoulement et le déni de la réalité. Nier l'inceste, c'est se faire complice de l'agresseur. Le texte n'aggrave pas les peines encourues pour viol, agression sexuelle et atteinte sexuelle commis de façon incestueuse. Son article premier établit une présomption irréfragable d'absence de consentement du mineur victime de viol ou d'agression sexuelle ; jusqu'à présent, la Cour de cassation exigeait, pour reconnaître la constitution de ces deux infractions, que leur commission ait eu lieu avec violence, menace, contrainte ou surprise -raisonnement qui contraint le mineur victime à prouver qu'il n'a pas consenti, ce qui ajoute au traumatisme. De nombreuses juridictions ont été conduites à requalifier viol et agression sexuelle en atteintes sexuelles passibles de peines moins sévères.

Le texte apporte ainsi bien plus qu'une précieuse mise au point. Dans le cas de l'inceste, l'agresseur appartient à la sphère quotidienne de la victime, il exploite le modèle socialement accepté d'autorité légitime pour contraindre la victime, souvent sans violence ni menace. Les enfants sont projetés hors de leur univers, sans repère ni défense ; la force et l'autorité écrasante de l'agresseur les rendent muets et peuvent même leur faire perdre conscience.

L'accompagnement des victimes est fondamental. Il est regrettable que l'article 6, qui prévoyait la création de centres pluridisciplinaires de référence, soit tombé sous le coup de l'article 40. Il est très opportun que l'article 6 bis permette aux associations de lutte contre l'inceste de se porter partie civile : malgré l'aménagement d'un délai de prescription spécifique, la victime ne porte pas toujours l'affaire en justice. Je serais pour ma part favorable à ce que ces crimes soient imprescriptibles.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Surtout pas !

M. Gilbert Barbier.  - La nomination systématique d'un administrateur ad hoc contribuera à éloigner la victime de la cellule familiale qui n'a pas su la protéger. La création de circonstances aggravantes nouvelles plutôt que d'une nouvelle infraction permettra d'appliquer immédiatement le texte aux procédures en cours.

Au-delà des atteintes corporelles, les séquelles psychologiques, au premier rang desquelles la culpabilisation, sont malheureusement souvent présentes tout au long de la vie malgré le travail thérapeutique. La prise de conscience n'est pas une acceptation, car l'inceste demeurera intolérable. Il faut aux victimes non pas vivre en oubliant, mais vivre avec ce poids en donnant à la vie tout son sens. Je rends hommage au travail de la communauté éducative qui est le premier interlocuteur des jeunes victimes. Il est souhaitable que les établissements scolaires aient une mission particulière de pédagogie et d'information sur ces sujets ; des débats à l'école pourront peut-être libérer la parole des victimes.

Ce texte apporte une réponse pénale plus claire aux souffrances des victimes d'inceste ; sans céder à la démagogie, il s'adresse aussi aux victimes silencieuses et aux victimes refoulées, en leur disant que la société est prête â les entendre. L'inceste est plus qu'un viol car il brise le caractère protecteur qui fait de la famille l'un des socles de notre société et détruit les repères de l'enfant. Mettre des mots sur les actes, punir ceux qui les commettent, c'est aider les victimes à retrouver leur dignité. Le groupe du RDSE unanime votera ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Michel.  - Cette proposition de loi doit être examinée avec prudence. L'émotion ne doit pas prendre le pas sur la raison. L'émotion est forte, certes, quand on pense aux victimes, aux témoignages qu'elles ont osé livrer, à celles dont la vie a été brisée par l'inceste. On pense inévitablement aux chansons de Barbara, à l'Aigle noir ou à Il pleut sur Nantes, dont le sens n'a été révélé que par les mémoires de l'artiste.

Oui, l'inceste provoque un traumatisme aux conséquences graves et indélébiles sur la santé physique et psychique, sur la vie affective, sociale et familiale. C'est un véritable meurtre psychologique. L'inceste touche à l'inavouable, c'est un interdit universel, un tabou qui structure presque toutes les sociétés. Lévi-Strauss y voit même le fondement de la société en ce qu'il oblige à aller hors de son premier cercle. Je n'évoquerai qu'en passant Freud et le complexe d'?dipe.

Les victimes demandent qu'on nomme l'inceste pour mieux le stigmatiser, pour leur permettre, disent-elles, de mieux accomplir le travail psychologique indispensable à leur reconstruction. Mais l'objet de la loi est-il de compléter le travail des psychiatres et des psychologues ? Le fait que demain la Chancellerie dispose de statistiques sur les condamnations pour inceste changera-t-il les choses ?

L'émotion, la raison. Celle-ci nous commande d'examiner sérieusement ce texte sur le plan juridique. Certes l'inceste n'est pas aujourd'hui une incrimination spécifique, mais il apparaît dans le code civil parmi les prohibitions au mariage, au Pacs et, grâce au Sénat, au concubinage. C'est une très mauvaise chose qu'il soit défini différemment dans le code civil et dans le code pénal. Aujourd'hui les tribunaux condamnent au cas par cas, sur le fondement de circonstances aggravantes, et souvent très sévèrement, les faits d'inceste avérés. Mais comme le disait le rapporteur, lorsque l'inceste est révélé par une victime majeure aucune constatation ne peut être faite ; il est alors très difficile de juger. J'en ai fait l'expérience comme magistrat. La prudence se retrouve dans les demandes des associations de défense des enfants, dans les rapports de la Défenseure des enfants.

Les magistrats qui président des cours d'assises sont également très réservés quant à ces précisions. La notion d'inceste est beaucoup plus large que celle qu'on veut introduire aujourd'hui par cette incrimination nouvelle. Et de quels mineurs s'agit-il ? Mineurs de 15 ou de 18 ans ?

Je remercie notre rapporteur dont le travail précis a permis de revenir sur certaines dispositions votées par l'Assemblée nationale.

M. Alain Vasselle.  - Travail remarquable !

M. Jean-Pierre Michel.  - A trop vouloir préciser, on risque l'insécurité juridique et un traitement différent des victimes de l'inceste selon les juridictions.

Il faut tout d'abord se préoccuper de la prise en charge des victimes : introduire une incrimination dans le code pénal changera-t-il quoi que ce soit à la situation actuelle, même si elle s'est récemment améliorée ?

Les moyens humains et financiers ne figurent pas dans la loi puisqu'ils sont de nature règlementaire. Or, ce sont eux qui sont essentiels pour lutter contre l'inceste. Je pense en particulier aux médecins scolaires qui sont souvent les premiers à détecter les violences au sein de la famille, aux magistrats, aux membres de la police et de la gendarmerie. A cet égard, je reconnais que l'accueil s'est grandement amélioré, madame la ministre, notamment grâce aux personnels féminins. A l'Assemblée nationale, des moyens supplémentaires ont été demandés : certes, il existe des centres d'accueil à Paris, notamment à l'hôpital Tenon, mais ils sont extrêmement rares.

Ce texte n'apporte aucun élément convaincant dans la lutte contre l'inceste, si ce n'est de le nommer. Mais nommer, est-ce prévenir ? Ce texte risque d'engendrer de faux espoirs pour les victimes, de la confusion pour les professionnels et des inégalités de traitement.

Sans polémiquer, cette proposition de loi s'inscrit dans une pratique éprouvée qui consiste à faire croire que les problèmes de notre société peuvent se régler au détour d'un texte. Or, la loi ne règle pas ces situations sociales désastreuses et condamnables. Les victimes de l'inceste méritent mieux : des actions interministérielles qui, dans le cadre de la loi sur la protection de l'enfance, puissent mieux former les différents intervenants qui préviennent, accueillent et sanctionnent.

Comme nos collègues du groupe CRC-SPG, nous nous abstiendrons. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Debré.  - (Applaudissements à droite) Toute violence à l'égard d'un mineur est odieuse et condamnable. L'acte incestueux est quant à lui une violence spécifique qui se nourrit du non-dit. Il constitue l'une des formes les plus abjectes des mauvais traitements infligés aux mineurs, car il est commis par ceux qui auraient dû naturellement protéger l'enfant, le former, l'éduquer et veiller à sa propre sécurité. Les conséquences de l'inceste sont catastrophiques non seulement sur le plan individuel, mais aussi pour la société. Ce fléau remet en cause les droits de l'enfant et l'institution familiale, c'est-à-dire le lieu où se transmettent les valeurs fondamentales de notre société. La famille n'est plus alors l'espace de protection et d'éducation de l'enfant, mais un lieu de souffrance et d'isolement.

La spécificité des violences qui sont infligées à la victime mérite d'être reconnue comme telle. En France, deux à trois millions de personnes ont été confrontées à une situation incestueuse et 20 % des procès d'assises concernent des infractions de ce type. Or, en dépit des immenses souffrances morales et psychologiques que cause l'inceste, notre droit n'apporte que peu de réponses à ceux ou celles qui en sont victimes. Certes, le code civil prohibe le mariage et le Pacs entre membres d'une même lignée familiale et le code pénal prévoit des peines aggravées lorsqu'une atteinte sexuelle ou un viol sont commis par une personne ayant un lien de parenté avec la victime. Mais il n'existe pour autant ni crime ni délit d'inceste. Or, cette absence d'incrimination pèse lourdement sur les victimes et nourrit leur sentiment de ne pas être reconnues de manière spécifique. Ainsi, cette proposition de loi, qui inscrit pour la première fois dans nos textes la notion d'inceste, est une avancée majeure pour les victimes et pour la justice.

M. Alain Vasselle.  - Très bien !

Mme Isabelle Debré.  - Je salue, au nom du groupe UMP, l'initiative prise par Mme Marie-Louise Fort et plusieurs de ses collègues députés, d'avoir proposé au Parlement un texte inscrivant l'inceste dans notre code pénal. Établir une différence entre l'inceste et les autres agressions sexuelles permettra de mieux reconnaître la spécificité des violences subies par les victimes et de combattre plus efficacement ce fléau.

Cette proposition de loi préserve un juste équilibre entre la répression de l'inceste, le développement de sa prévention et un meilleur accompagnement des victimes.

Dans son volet pénal, le texte précise le contenu de la notion de contrainte lorsqu'elle constitue l'élément constitutif d'un viol. Au lieu d'être nécessairement prouvée par la victime, elle pourra être déduite de la différence d'âge existant entre la victime mineure et son agresseur, ainsi que de l'autorité de droit ou de fait qu'il exerce sur elle. La nature interprétative de cette disposition permettra au juge, en vertu de l'article 112-2 du code pénal, de l'appliquer à des faits commis antérieurement à la publication de la nouvelle loi. Toutes les victimes verront donc nommé l'acte qu'elles ont subi, quelle qu'en soit la date. Ainsi, la loi du silence qui leur a été imposée si durement depuis leur agression sera brisée.

Pour ma part, je souhaite aller plus loin, s'agissant de la notion de contrainte, et j'ai déposé un amendement pour préciser que la contrainte est caractérisée en cas d'inceste sur mineur.

M. Alain Vasselle.  - Excellent amendement !

Mme Isabelle Debré.  - Un enfant n'est en effet pas en mesure de s'opposer ni de résister à son agresseur, a fortiori s'il s'agit de l'un de ses parents ou d'un membre du cercle familial. Il ne saurait être question d'un consentement de la victime en cas de relation sexuelle entre un enfant et un membre de sa famille ou une personne ayant autorité sur lui.

L'article premier propose également d'inscrire la notion d'inceste dans le code pénal : il était grand temps de nommer cette réalité pour mieux la combattre. Désormais, un viol incestueux pourra être reconnu comme tel par les juridictions pénales. Notre législation offrira aux pouvoirs publics les outils nécessaires pour mesurer l'ampleur de ce phénomène et adapter la prise en charge des victimes. A l'initiative de notre rapporteur, la commission des lois a souhaité que les auteurs d'actes incestueux ne soient pas énumérés de façon stricte. En matière de violences sexuelles incestueuses, la confiance et l'affection abusées de l'enfant importent en effet au moins autant que la filiation stricte. Il est donc essentiel que la cellule familiale soit envisagée, avant tout, comme la cellule affective dans laquelle évolue l'enfant et qu'une liberté d'appréciation soit laissée aux juges afin de leur permettre de s'adapter à toutes les configurations familiales auxquelles ils pourraient être confrontés.

Il est également indispensable que l'état du droit applicable à l'heure actuelle soit conservé afin que la définition de l'inceste, qui figurera désormais dans le code pénal, puisse être utilisée immédiatement par les juges dans les affaires en cours.

Au-delà du volet pénal, ce texte prévoit des mesures concrètes en matière de soins et de prévention. Une plus grande mobilisation de l'institution scolaire et de l'audiovisuel public contribuera à la prévention des comportements incestueux. Nul ne conteste le rôle positif et majeur que peuvent jouer l'école et les médias dans la prévention de ce véritable fléau.

Enfin, l'accompagnement des victimes sera amélioré grâce aux associations de lutte contre l'inceste. Celles-ci pourront plus facilement se constituer partie civile dans un procès. Je me félicite de cette avancée majeure car elle permettra aux victimes d'être mieux assistées.

En outre, le texte adopté par l'Assemblée nationale proposait de rendre systématique, dans l'instruction de crimes incestueux, la désignation par le juge d'instruction d'un administrateur ad hoc chargé de représenter la victime en lieu et place de ses représentants légaux. Cette mesure est essentielle car il y va de la protection de la victime qui pourra être accompagnée durant toutes les étapes de la procédure. La commission des lois a opportunément souhaité atténuer le caractère systématique de cette désignation car, comme l'a justement rappelé notre rapporteur, il est essentiel de réserver l'hypothèse où l'agresseur n'appartiendrait pas au cercle proche de l'enfant et où les parents de ce dernier, ou l'un d'entre eux, demeureraient à même d'assurer sa défense et sa protection.

Cette proposition de loi est un texte nécessaire et attendu. Parce qu'elle lève enfin le voile sur une réalité sociale trop longtemps cachée dans notre droit pénal, parce qu'elle propose également des réponses concrètes et efficaces, le groupe UMP la votera. (Applaudissements à droite)

M. Alain Milon.  - Cette proposition de loi renforce le pilier et le fondement de notre démocratie, ce qui garantit sa vitalité : les enfants et la famille. L'inceste apparaît comme un des dangers majeurs qui détruisent ces derniers. Or les cas d'abus sexuels sur mineurs commis dans le cadre familial sont parmi les affaires les plus nombreuses portées devant les tribunaux.

L'inscription de l'inceste dans le code pénal permettra de mieux l'identifier. Le silence sur cette violence spécifique revient en effet à la banaliser, alors même que toutes les civilisations humaines reconnaissent cet interdit comme structurant pour la transmission de la culture d'une génération à l'autre. Il est temps de briser la loi du silence qui invite ceux qui ne semblent pas avoir intégré cet interdit fondamental, à perpétuer un ordre social qui légitime ou banalise cette violence. Une société humaine ne peut survivre si elle renonce à lutter contre la violence de ses membres. Ce texte remédie à une carence de notre législation.

L'injonction au silence demeure extrêmement puissante pour les médecins. Les auteurs de ces actes étant les responsables de la sécurité et de l'intégrité de l'enfant, le médecin et les professionnels de santé jouent un rôle primordial. Mais s'ils sont dans l'obligation d'identifier et de détecter ces actes, encore faut-il qu'ils puissent le faire en toute liberté, en s'en remettant à la justice, qui décide de l'opportunité de déclencher une action. Or ils sont insuffisamment protégés : seules les sanctions disciplinaires ayant été interdites dans ce cas, les poursuites civiles ou pénales continuent et ils préfèrent encore souvent se taire.

A chacun son métier : au médecin le diagnostic, l'obligation de signalement ; à la justice la détermination de la réalité des faits. Le maintien des poursuites contre un médecin qui signale un cas d'inceste finalement non vérifié fait porter sur celui-ci la responsabilité d'une éventuelle décision de justice. Cela n'est pas acceptable et les conséquences en sont très graves : les médecins ne signaleraient pas 95 % des cas d'inceste.

J'ai déposé un amendement visant à briser cette loi du silence. L'abandon des sanctions disciplinaires avec la loi du 2 janvier 2004 constituait un premier pas dans ce sens, mais largement insuffisant. Il faut supprimer les poursuites civiles et pénales contre un médecin signalant un cas présumé d'inceste. Je présenterai un autre amendement permettant de garantir sa sécurité : l'identité du signalant ne serait communiquée qu'avec son consentement, comme le prévoit la loi de protection de la jeunesse du Québec. En France, le présumé agresseur peut obtenir cette information dans les heures qui suivent la réception du signalement et exercer des pressions sur le médecin.

Les médecins doivent en être explicitement informés avant même de commencer à exercer ; Mme la ministre et le rapporteur l'ont déjà indiqué. Seul un renforcement de leur formation initiale peut garantir et améliorer les signalements. Cela relève plutôt du domaine réglementaire, mais je souhaite qu'on le prévoie dans le cadre des études médicales. Une étude américaine signale que, sur 415 pédiatres, 11 % seulement n'ont jamais, durant leur carrière, observé un enfant susceptible de souffrir de maltraitance. Ce silence s'explique par le stress, la peur et la crainte de perdre son patient.

J'agis comme vous en mon âme et conscience, en qualité de citoyen fier d'appartenir à un pays qui sait à quel point la protection de la famille et de l'enfant est le fondement sans lequel aucune liberté ne peut être garantie. Je ne pourrais définir ce qu'est une bonne famille, une bonne éducation, voire l'intérêt réel de l'enfant, tellement la liberté pour laquelle nos ancêtres se sont battus est effective et ancrée dans la vie quotidienne de tous les Français. J'y suis profondément attaché, ainsi qu'à la protection de l'intégrité physique et psychique de l'enfant. L'inceste nuit à la liberté de nos concitoyens, enfants et leurs familles, ainsi qu'à l'intégrité physique et psychique de leurs agresseurs. Il faut donc le combattre sans relâche, avec un texte de loi le plus équilibré possible. (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après l'article 222-22, il est inséré un article 222-22-1 ainsi rédigé :

« Art. 222-22-1. - La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. » ;

2° La section 3 du chapitre II du titre II du livre II est ainsi modifiée :

a) Le paragraphe 2, intitulé : « Des autres agressions sexuelles », comprend les articles 222-27 à 222-31 ;

b) Le paragraphe 3, intitulé : « De l'inceste », comprend les articles 222-31-1 et 222-31-2 ainsi rédigés :

« Art. 222-31-1. - Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. » ;

« Art. 222-31-2 (nouveau). - Lorsque le viol incestueux ou l'agression sexuelle incestueuse est commis contre un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l'autorité parentale, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité en application des dispositions des articles 378 et 379-1 du code civil.

« Elle peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu'elle concerne les frères et soeurs mineurs de la victime.

« Si les poursuites ont lieu devant la cour d'assises, celle-ci statue sur cette question sans l'assistance des jurés. » ;

c) Après le paragraphe 3, sont insérés deux paragraphes 4 et 5, intitulés « De l'exhibition sexuelle et du harcèlement sexuel » et « Responsabilité pénale des personnes morales », qui comprennent respectivement les articles 222-32 et 222-33, et l'article 222-33-1 ;

3° Après l'article 227-27-1, sont insérés deux articles 227-27-2 et 227-27-3 ainsi rédigés :

« Art. 227-27-2. - Les infractions définies aux articles 227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.

« Art. 227-27-3 (nouveau). - Lorsque l'atteinte sexuelle incestueuse est commise par une personne titulaire de l'autorité parentale sur le mineur, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité en application des dispositions des articles 378 et 379-1 du code civil.

« Elle peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu'elle concerne les frères et soeurs mineurs de la victime.

« Si les poursuites ont lieu devant la cour d'assises, celle-ci statue sur cette question sans l'assistance des jurés. » ;

4° (nouveau) L'article 227-28-2 est abrogé.

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer la seconde phrase du  texte proposé par le 1° de cet article pour l'article 222-22-1 du code pénal.

M. Jean-Pierre Michel.  - La version initiale de la proposition de loi précisait que la contrainte pouvait être physique ou morale. Puis l'Assemblée nationale a ajouté que la notion de contrainte morale peut résulter « en particulier » de la différence d'âge ou de l'ascendant. Or la notion est floue et le code pénal d'application stricte. La contrainte peut résulter d'autres facteurs, tel le non-dit familial, qui équivaut à une quasi-acceptation de la situation. La précision apportée nuira à la sécurité du texte et à sa bonne application. En outre, sont ainsi confondus un élément intrinsèque de l'infraction et des circonstances aggravantes. Ainsi, il serait superflu de demander à l'enfant s'il a donné son consentement à un inceste car il a été soumis à la contrainte.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - La commission des lois a hésité sur ce sujet. Hugues Portelli a appuyé la position de Jean-Pierre Michel car un élément constitutif de l'infraction ne peut pas être également une circonstance aggravante. Nous devons être très prudents. J'aurais aimé donner un avis positif à cet amendement, mais la rédaction proposée est utile pour stabiliser la jurisprudence. Il est dommage d'être obligés de légiférer sur ce point, mais la jurisprudence est flottante.

Ainsi, en 1995, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la contrainte ne pouvait provenir du seul âge de la victime et de la qualité d'ascendant. En conséquence, des juridictions inférieures ont requalifié des viols manifestes en agressions sexuelles. Puis la Cour de cassation a validé des décisions de cour d'assises selon lesquelles la contrainte morale découlait de la différence d'âge et de l'autorité, mais l'évolution est encore implicite.

Je vous propose d'adopter la rédaction de l'Assemblée nationale avec comme modification, notamment, la suppression de la mention « en particulier » : la contrainte résulte de l'âge de la victime. Les termes proposés correspondent à des décisions validées par la chambre criminelle de la Cour de cassation, dont un arrêt du 3 mai 2008. Pour ces raisons, retrait ou avis défavorable.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Même avis. C'est aux juges d'interpréter la loi, mais ce n'est pas la première fois que le législateur la précise.

M. Jean-Pierre Michel.  - Il aurait été plus clair de supprimer cette phrase, d'autant qu'Isabelle Debré va présenter un amendement allant dans le même sens.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°8 rectifié bis, présenté par Mme Debré, M. Lardeux, Mmes Bout et Kammermann, M. Cantegrit, Mmes Rozier et Goy-Chavent, M. Mayet, Mmes Henneron, Desmarescaux et Giudicelli, MM. Gournac, Dériot, Jacques Gautier et Fourcade, Mme Bernadette Dupont et MM. Vasselle et Juilhard.

Après le 1° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après l'article 222-22-1, il est inséré un article 222-22-2 ainsi rédigé :

« Art. 222-22-2. - La contrainte est caractérisée en cas d'inceste dans les conditions définies à l'article 222-22-1. »

Mme Isabelle Debré.  - Je regrette très vivement que l'urgence nous empêche de débattre sereinement...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - L'urgence n'est pas déclarée !

Mme Isabelle Debré.  - ...puisque nous devons conclure avant minuit.

Il est inimaginable de prétendre que les enfants de 3, 4 ou 5 ans aient consenti à une agression sexuelle. Certes, la jurisprudence exclut le consentement d'un enfant de moins de 6 ans, mais ce n'est qu'une jurisprudence.

Un viol commis au sein d'une famille doit être examiné sans même envisager l'hypothèse d'un consentement.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Cet amendement renvoie à la notion d'inceste, ce qui ferait tomber sous le coup d'une incrimination toute relation sexuelle entre adultes d'une même famille.

Nous venons de redéfinir la contrainte, pour dire qu'un mineur ne peut en aucun cas consentir à des relations sexuelles avec un adulte de sa famille exerçant une autorité sur lui. Malgré les réserves qu'il nous inspirait, j'ai maintenu l'article premier, précisément pour affirmer qu'un mineur n'est jamais consentant à un inceste.

Mais n'allons pas trop loin, car l'inceste est une circonstance aggravante, qu'il ne faut pas confondre avec l'élément constitutif de l'infraction.

L'amendement n°8 rectifié bis me semble satisfait. Si Mme Debré avait un doute à ce sujet, nous pourrions revoir la rédaction au cours de la navette.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Cet amendement intéressant est satisfait par la notion de contrainte morale.

Je vais en outre adresser à toutes les juridictions une circulaire d'application où il sera précisé qu'un enfant n'a pu accepter d'acte sexuel commis sur lui par un adulte.

Mme Isabelle Debré.  - Vu cet engagement, je retire l'amendement, car je vous fais toujours confiance, madame la ministre. Je compte aussi sur le comité interministériel de prévention de la délinquance.

L'amendement n°8 rectifié bis est retiré.

Mme la présidente. - Amendement n°7, présenté par M. Zocchetto et Mme Dini.

Au premier alinéa du b) du 2° de cet article, après les mots :

de l'inceste

insérer les mots :

commis sur les mineurs 

M. François Zocchetto.  - Le texte de ce soir, qui ne traite que de l'inceste commis à l'encontre de mineurs, pourrait laisser penser que l'inceste est libéralisé entre majeurs, alors que les mineurs ne sont pas les seules victimes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Un majeur consentant n'est pas une victime !

M. François Zocchetto.  - En l'état du texte, une relation sexuelle entre frère et soeur mineurs ne serait pas considérée comme un inceste, non plus qu'entre un garçon de 19 ans et sa mère.

L'amendement n°7, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°9, présenté par le Gouvernement.

I. - Rédiger comme suit le texte proposé par le b du 2° de cet article pour l'article 222-31-1 du code pénal :

« Art. 222-31-1. - Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »

II. - En conséquence, rédiger comme suit le texte proposé par le 3° de cet article pour l'article 227-27-2 du code pénal :

« Art. 227-27-2.- Les infractions définies aux articles 227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Cette rédaction complète celle de la commission afin de réprimer expressément l'inceste entre frère et soeur -même en l'absence de relations d'autorité- ainsi que celui commis par un concubin exerçant une autorité sur le mineur.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - L'amendement n'ayant pas été finalisé lorsque la commission s'est réunie, cette dernière ne l'a pas formellement examiné, mais s'orientait vers un avis de sagesse au vu du projet communiqué par Mme la ministre.

Le cas des frères et soeurs ne soulève pas de difficultés : c'est un inceste absolu. Pour le reste, l'amendement n°9 évitera des divergences de jurisprudence et à titre personnel j'y suis assez favorable.

M. Jean-Pierre Michel.  - Nous nous abstiendrons. Je maintiens qu'il était bon de mentionner les frères et soeurs, mais, n'en déplaise à certains, les familles ne sont plus limitées au père et à la mère et à leurs enfants : il y a les décompositions, les recompositions, les partenaires de Pacs et les concubins...

M. Alain Vasselle.  - Et si une personne exerce une autorité au sein d'une famille dont elle n'est pas membre, comme par exemple un tuteur ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Il ne s'agit pas d'inceste !

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Le cas envisagé ne relève pas du texte, puisqu'il n'y a pas d'inceste, effectivement. En revanche, le code pénal aggrave le viol commis par une personne exerçant une autorité, comme un tuteur ou un instituteur...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - ...un curé au sein d'une institution religieuse, un éducateur...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ce retour à la logique du texte initial soulève bien des questions ; il faut examiner le contexte familial.

L'amendement n°9 est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

Les articles 2 bis et 3 demeurent supprimés.

Articles additionnels

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Milon, Mme Giudicelli, M. Mayet, Mme Henneron, M. Leclerc et Mmes Kammermann, Debré, Bout, Desmarescaux et Rozier.

Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 226-14 du code pénal est ainsi modifié :

1° A la première phrase du premier alinéa, les mots : « ou autorise » sont supprimés ;

2° Au deuxième alinéa 1°, le mot « informe » est remplacé par les mots : « est tenu d'informer » ;

3° A la première phrase du troisième alinéa 2°, les mots : « porte à la connaissance du procureur de la République » sont remplacés par les mots : « est tenu de porter à la connaissance du procureur de la République, des autorités judiciaires, médicales ou administratives » ;

4° A la dernière phrase du même alinéa, après le mot : « psychique », sont insérés les mots : « ou de son état de grossesse » ;

5° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Une personne qui alerte les autorités compétentes dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet, ni de poursuites ni de sanctions disciplinaires, ni de poursuites ni de sanctions en justice, pour un acte accompli de bonne foi ».

M. Alain Milon.  - Les abus resteront cachés si le signalement n'est pas rendu obligatoire : peu de parents présumés agresseurs les signalent, et leurs enfants demandent rarement de l'aide. Les médecins, qui sont en première ligne, se retrouvent confrontés, du fait de la conjonction de la loi du 2 janvier 2004 et de l'article 226-14 du code pénal, au dilemme suivant : être poursuivis pour ne pas avoir signalé, ou l'être au civil et au pénal pour l'avoir fait. Les médecins préfèrent souvent se taire, d'autant que les poursuites se retournent contre les enfants : 5 % des signalements seulement émanent des médecins. D'où cet amendement inspiré de la législation du Québec.

M. Laurent Béteille.  - Je partage très largement votre préoccupation. Toutefois, la loi de 2004 prévoit déjà une immunité disciplinaire. Ne revenons pas là-dessus. L'amendement pose une autre difficulté : l'article 226-14 est beaucoup plus large : il vise aussi les journalistes ou encore le secret bancaire. De plus, en droit, l'indicatif vaut impératif et dire « le médecin informe » signifie qu'il est tenu de le faire : l'amendement est satisfait. L'état de grossesse n'est pas notre sujet. Enfin, les poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse supposent que le signalement n'a pas été accompli de bonne foi, ce que le juge appréciera. Enfin, interdire des poursuites par principe serait contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Je souhaite donc le retrait ou le rejet de l'amendement.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Aux arguments du rapporteur, j'ajouterai que l'amendement serait inconstitutionnel car il romprait l'égalité devant la loi. Retrait ?

M. Alain Milon.  - Je retire cet amendement en rappelant que le 3 juin, à Strasbourg, la France a adopté au Conseil de l'Europe le projet de lignes directrices pour la protection de l'enfance qui recommande de rendre obligatoire le signalement et de veiller à renforcer la protection des professionnels. Je retire également l'amendement n°4 rectifié bis, qui n'a plus de raison d'être, et le 5 rectifié en raison des explications de la ministre.

L'amendement n°3 rectifié est retiré ainsi que l'amendement n°4 rectifié bis et l'amendement n°5 rectifié.

Article 4

I (Non modifié). - L'article L. 121-1 du code de l'éducation est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les écoles, les collèges et les lycées assurent une mission d'information sur les violences et une éducation à la sexualité. »

II (Non modifié). - Au premier alinéa de l'article L. 542-3 du même code, après le mot : « maltraitée », sont insérés les mots : «, notamment sur les violences intra-familiales à caractère sexuel, ».

III (Non modifié). - L'article L. 542-1 du même code est ainsi modifié :

1° Après la première phrase, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

« Cette formation comporte un module pluridisciplinaire relatif aux infractions sexuelles à l'encontre des mineurs et leurs effets. (Dispositions déclarées irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution avant l'adoption du texte par l'Assemblée nationale) » ;

2° (Dispositions déclarées irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution avant l'adoption du texte par l'Assemblée nationale).

IV. - (Supprimé)

Mme Maryvonne Blondin.  - Ce sujet gravissime méritait un autre traitement que ce texte et un autre débat. L'invocation de l'article 40 a tué dans l'oeuf l'espoir d'une prise en charge des victimes. Or la reconstruction est longue et difficile et un accompagnement est nécessaire. Quelle frustration que cette absence de moyens ! Quant à la prévention, elle est dévolue à l'éducation nationale comme si l'école pouvait tout faire, ce que je ne crois pas au vu de la démographie de la médecine scolaire. Il convient d'améliorer la prévention conformément à la convention des droits des enfants. Je rappelle que l'article 27 de la loi de mars 2007 a créé un fonds de financement pour la protection de l'enfance mais que 35 millions ont été attribués à la prévention de la délinquance. C'est un choix politique que je ne partage pas. La ministre a évoqué une prise en charge de l'accompagnement mais les bonnes intentions ne suffiront pas : tenez vos engagements ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Ce n'est pas parce que la Constitution décide qu'une disposition relève du règlement qu'elle ne sera pas prise. Quant au fond, nous sommes au coeur du sujet avec la prévention de la délinquance. Enfin, nous avons souhaité maintenir le rapport que le Gouvernement est tenu de présenter au Parlement.

L'article 4 est adopté, ainsi que les articles 5, 6 bis, 7 et 7 bis.

L'article 8 demeure supprimé.

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente.  - Amendement n°6, présenté par M. Zocchetto et Mme Dini.

Rédiger comme suit l'intitulé de cette proposition de loi :

Proposition de loi tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux 

M. François Zocchetto.  Il a été défendu.

L'amendement n°6, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et devient l'intitulé de la proposition de loi.

L'ensemble de la proposition de loi, modifié, est adopté.

(Applaudissements sur les bancs UMP)

Clôture de la session ordinaire

Mme la présidente.  - En vertu de l'article 38 de la Constitution, « le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour d'octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin ». Il est minuit, je déclare la session ordinaire 2008-2009 close.

La session extraordinaire s'ouvrira demain.

Prochaine séance, demain, mercredi 1er juillet 2009 à 14 h 30.

La séance est levée à minuit.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 1er juillet 2009

Séance publique

À 14 HEURES 30 ET LE SOIR

1. Ouverture de la session extraordinaire 2008-2009.

2. Deuxième lecture du projet de loi de programmation relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement (n° 472, 2008-2009).

Rapport de M. Bruno Sido, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (n° 488, 2008-2009).

Texte de la commission (n° 489, 2008-2009).