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Table des matières



Modification à l'ordre du jour

Zones d'exclusion pour les loups

Discussion générale

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi

M. Stéphane Mazars, rapporteur de la commission du développement durable

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

M. Michel Teston

M. Jean-Paul Amoudry

M. Jean-Vincent Placé

M. Pierre Bernard-Reymond

M. Gérard Bailly

M. François Fortassin

M. Charles Revet

M. Ladislas Poniatowski

Mme Delphine Batho, ministre

Discussion de l'article unique

Article additionnel avant l'article unique

Article unique

Engagement de procédure accélérée

Débat sur la suppression de la taxe professionnelle

M. Charles Guené, rapporteur de la mission commune d'information

Mme Marie-France Beaufils

M. Pierre Jarlier




SÉANCE

du mercredi 30 janvier 2013

53e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

Secrétaires : M. Marc Daunis, M. Alain Dufaut.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Modification à l'ordre du jour

Mme la présidente.  - Par lettre en date du 28 janvier 2013, le Gouvernement a demandé le retrait de l'ordre du jour du projet de loi autorisant l'approbation du protocole commun relatif à l'application de la convention de Vienne et de la convention de Paris, dont l'examen était prévu le mardi 5 février 2013.

En conséquence, l'ordre du jour du mardi 5 février s'établit comme suit :

MARDI 5 FÉVRIER 2013

A 9 heures 30 :

1°) Questions orales

A 14 heures 30 :

2°) Sept conventions internationales examinées selon la forme simplifiée

3°) Suite éventuelle de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale.

4°) Projet de loi portant création du contrat de génération.

De 18 heures 30 à 19 heures 30 :

5°) Débat, sous forme de questions-réponses, préalable à la réunion du Conseil européen des 7 et 8 février 2013.

A 21 heures 30 :

6°) Suite du projet de loi portant création du contrat de génération.

Zones d'exclusion pour les loups

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer des zones d'exclusion pour les loups.

Discussion générale

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi vise en réalité à créer des zones de protection renforcée contre les loups, comme l'a décidé la commission du développement durable.

Il ne s'agit pas d'éradiquer le loup de nos territoires, comme je l'ai entendu dire, mais de protéger le loup là où il doit vivre et l'agro-pastoralisme là où il doit persister. Bref, le texte protège le loup comme l'homme. Il reprend les dispositions prévues par la convention de Berne, le traité européen de 1992 et le code de l'environnement.

Les dommages causés à l'élevage sont-ils importants ? Selon la préfecture Rhône-Alpes, sur la période de 2008-2011, les attaques indemnisées passent de 736 en 2008 à 1 415 en 2011, soit une hausse de 92 % ! Les victimes sont principalement des ovins, mais aussi des caprins, des bovins, des équins, et même des chiens. Le loup n'épargne pas ses frères...

Cette tendance n'est pas acceptable, encore qu'elle ne reflète qu'une partie des dégâts. Il y a aussi des bêtes traumatisées, apeurées qui perdront leur fécondité -seront vides, comme on dit à la campagne- ou qui donneront naissance à des agneaux non viables.

Vingt, trente ans de travail peuvent ainsi s'envoler avec une seule attaque de loup. Quel chef d'entreprise accepterait ainsi de voir son outil de travail saccagé légalement sans pouvoir le protéger ? Aucun !

La population de loups serait de 250 sur le territoire français, avec un accroissement en tendance de 17 % par an rapport à l'hiver 2010-2011, peu neigeux, peu rigoureux. Le chiffre réel est sans doute plus élevé. La situation est insupportable.

Existe-t-il une solution efficace pour protéger les élevages ? A en juger par l'accroissement des dommages, non. A en juger par les sagas médiatiques qui montrent les enclos et regroupements en montagne protégés par des chiens patou, peut-être.

Mais ce scénario ne s'applique pas en moyenne montagne ou en zone de plain-pied. Dans des territoires étendus, l'agro-pastoralisme rend impossible la surveillance permanente des troupeaux, tout l'inverse des hauts alpages. Il n'existe donc pas de solution adaptée à la moyenne montagne. Ce n'est pas le plan Loup de 2012 -qui a prévu l'abattage de onze loups, dont cinq semblent avoir été réalisés- qui résoudra le problème.

Les éleveurs travaillent déjà douze heures par jour. (M. Charles Revet le confirme) S'il leur fallait en outre réaliser enclos et protections, ils ne dormiraient plus, et ne verraient plus leurs épouses ni leurs enfants !

M. Jacques Mézard.  - Très bien !

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.  - Pour eux, les dépenses pharaoniques, l'accompagnement psychologique proposé par la MSA ne sont pas des solutions satisfaisantes.

Les zones de protection renforcée sont-elles une bonne réponse ? (On le confirme unanimement sur les bancs du RDSE) Oui, car elles sont territorialisées, contrairement au plan Loup. Elles seront redéfinies annuellement. Elles seront destinées aux zones de piémont ou de moyenne montagne, caractérisées par l'élevage extensif, organisé par fermes, avec une succession de petites parcelles.

La zone de protection renforcée (ZPR) nuit-elle au maintien de l'espèce loup sur le territoire ? Non, sinon nous ne la proposerions pas ! Les ZPR sont territorialisées, elles regroupent des communes où les dégâts sont importants : elles ne visent pas l'ensemble des zones de présence du loup. Les destructions nécessaires décidées par arrêté préfectoral seront contrôlées et effectuées sous l'autorité de votre ministère. Le loup est reconnu permanent dans de très nombreux départements. (L'orateur les énumère, applaudi par les sénateurs concernés) Bientôt, toutes les Pyrénées, toutes les Alpes, les Vosges, le Jura : la moitié du territoire national ! (On le confirme sur de nombreux bancs)

Les ZPR ne mettront pas en cause la protection du loup. Faut-il une loi ? Oui, car la législation n'est pas adaptée, il faut la changer. Oui, car les éleveurs sont épuisés. Si le vote était libre, je ne doute pas que cette loi serait largement adoptée. Votons-là : l'Assemblée nationale pourra tenir compte des prochaines évolutions du plan Loup, ainsi que le Sénat en deuxième lecture.

Vu l'accroissement annuel, nous aurons bientôt 500 loups en France -au bas mot !

En Lozère, même les administrateurs du parc naturel des Cévennes ont voté très majoritairement contre la présence du loup. Le président du parc souhaite être reconnu comme ZPR.

Cette proposition de loi est un texte de bon sens, d'équilibre, qui vient au bon moment, avant que la guerre n'éclate dans nos campagnes, dont le loup lui-même pâtirait. Nous avons le devoir de protéger les biens et les personnes, de protéger l'agro-pastoralisme.

Certains, pensant défendre le loup, avancent de bien curieux arguments. L'impact du loup devrait être relativisé et servirait à masquer les difficultés de la profession. Je ne commente pas...

L'élevage serait subventionné, les attaques du loup ne seraient qu'une menace parmi d'autres ; la filière ovine serait en déclin depuis vingt ans ; la brucellose tuerait plus que le loup...

M. Roland Courteau.  - Ça, c'est vrai !

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.  - Les chiens errants tueraient plus que le loup -ils existent mais l'agriculteur sait faire la différence ! Certains éleveurs, dans d'autres pays, sont confrontés non seulement au loup mais aussi au grizzli, au lynx et au coyote : de quoi se plaint-on ? (Sourires) Les super-prédateurs ne se multiplieraient pas. (Exclamations à droite)

Enfin, on entend dire que les brebis tuées par le loup ne souffrent pas et meurent sur la pâture où elles vivaient. (Rires)

M. Pierre-Yves Collombat.  - C'est la chèvre de M. Seguin ! (Sourires)

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.  - J'arrête là. Les éleveurs ne veulent pas de compensation financière mais vivre en paix de leur métier. Le loup est vecteur de discorde, les agriculteurs se sentent abandonnés. Ils n'ont pas vocation à racheter seuls la bonne conscience de la société moderne.

Bien sûr, nous aimons les animaux, mais nous devons concilier leur protection et celle de l'activité humaine.

M. Charles Revet.  - Très bien.

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.  - La création des ZPR est une absolue nécessité.

Je remercie notre excellent rapporteur aveyronnais qui a amélioré le texte et su convaincre la commission du développement durable. La situation est claire : soit nous intervenons en adoptant ce texte raisonnable, soit cette situation alarmante va encore s'aggraver.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.  - Nous n'avons pas le droit de laisser la montagne face à ce handicap cruel. J'en appelle à mes collègues, des villes et des champs, pour donner plus de protection aux loups comme aux éleveurs ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception du groupe écologiste)

M. Stéphane Mazars, rapporteur de la commission du développement durable .  - Cette proposition de loi répond à un constat : face à des attaques de plus en plus nombreuses, les éleveurs n'ont pas les moyens suffisants pour protéger leur outil de travail.

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les loups étaient présents sur 90 % du territoire français, malgré les tentatives de destruction. Au XIXe siècle, celles-ci se sont systématisées et le loup avait disparu dans les années 1930. Depuis, il est revenu d?Italie d'abord, dans le Mercantour, puis dans toutes les Alpes, avant de traverser le Rhône pour s'installer en Lozère, dans l'Aveyron, les Pyrénées...

Cette proposition de loi s'inscrit dans le cadre des dérogations possibles à la protection du loup, prévues par la convention de Berne, par la directive Habitat-faune-flore de 1992 et par l'article L.411-1 du code de l'environnement. Le loup est aujourd'hui strictement protégé en droit interne et international. La politique nationale du loup s'inscrit dans le cadre d'un plan quadriennal : le plan Loup, qui sera bientôt actualisé.

Cette proposition de loi a fait l'objet de débats au sein de notre commission. Elle a été déposée il y a plusieurs mois. Le Sénat représentant des territoires, il doit adresser un message clair.

Ce texte aura vocation à être discuté à l'Assemblée nationale, puis à nouveau au Sénat : nous pourrons alors tenir compte des conclusions du groupe de travail sur le plan Loup. Le droit international et européen prévoit qu'il peut être dérogé à la protection du loup dans trois cas : quand il n'existe pas de moyens de protection suffisants, quand la dérogation ne nuit pas à la survie de l'espèce sur le territoire et quand les dommages occasionnés sont importants. En droit français, le code de l'environnement retranscrit ces possibilités de dérogation. L'arrêté du 9 mai 2011 autorise les tirs d'effarouchement, de défense et de prélèvement.

Ces possibilités de dérogations ne sont malheureusement pas suffisantes. En 2011, 1 415 attaques ont fait 4 900 victimes, donnant lieu à indemnisations, qui ont augmenté de 30 %, la plus forte étant en région Paca.

Au 31 décembre 2012, cinq loups seulement ont pu être prélevés, dont deux issus du braconnage. La réponse est trop ponctuelle et insuffisante. L'État indemnise systématiquement les dégâts causés par les grands prédateurs, ce qui a un coût certain ! En 2011, les indemnisations dépassaient 5 millions d'euros, pour le ministère de l'environnement, contre 490 000 euros en 2004.

Le financement des enclos par le ministère de l'agriculture a coûté 8 millions d'euros en 2012, et ces dépenses ne feront qu'augmenter.

L'agro-pastoralisme doit être protégé. Pratiqué depuis des siècles, il l'est de moins en moins aujourd'hui du fait, entre autres, du loup. Or cette activité protège les paysages et maintient des emplois dans les campagnes. En moyenne montagne, les clôtures, les regroupements, les chiens patou ne donnent pas de résultats satisfaisants.

La proposition de loi crée des zones dans lesquelles le prélèvement de loups serait autorisé. Il ne s'agit pas d'abattre tous les loups présents sur la zone. Il faudra cumuler les trois critères prévus par la convention de Berne et la directive. Les modalités d'application sont renvoyées à un décret en Conseil d'État.

La commission du développement durable a examiné le texte le 23 janvier. Dans sa majorité, elle a constaté la réalité du problème et l'insuffisance de solutions existantes. Ce texte nous est apparu comme une réponse pragmatique, équilibrée. La commission a adopté deux amendements, pour modifier l'intitulé d'abord, car il ne s'agit pas, là encore, d'abattre tous les loups, et pour préciser que les ZPR seront délimitées par arrêté préfectoral.

Je veux remercier le président Vall de m'avoir commis d'office pour être rapporteur de ce texte. J'ai d'abord cru à un bizutage, avant de me prendre de passion pour le sujet. (Sourires) Le travail réalisé en commission arrive à un bon point d'équilibre. A titre personnel, le parlementaire pragmatique que j'essaie de devenir n'a pas trahi l'enfant que j'étais, qui allait admirer les loups du parc de Gévaudan, créé par un grand défenseur de la cause animale.

Ce texte est aussi un texte de protection. « Il faut savoir : veut-on qu'il y ait encore des paysans, des bergers ? Une fois, nous avons eu un loup sur le Larzac. Ça s'est terminé ainsi : on a retrouvé le squelette du loup sur un clapas. Personne ne sait ce qui s'est passé. C'est très bien comme ça. » : qui a dit cela ? M. José Bové, député européen et éleveur. (Applaudissements sur tous les bancs sauf sur les bancs écologistes)

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie .  - Le loup, grand prédateur sauvage, fait partie de notre patrimoine national. Sa cohabitation avec l'homme est un défi. J'ai souhaité que cette question soit traitée avec pragmatisme. J'ai mesuré la détresse et l'exaspération des éleveurs dans les Alpes-Maritimes : les attaques sont en hausse de 65 %. Je leur ai dit que mon devoir est d'assurer la protection de la biodiversité face à l'extinction des espèces et de garantir le respect du droit international mais aussi que l'État ne les abandonnera pas : je refuse d'opposer élevage et écologie.

Nous voulons garder une montagne vivante ; les indemnisations ne compensent pas les préjudices. Les éleveurs savent qu'il ne peut être question d'éradiquer le loup : il faut organiser la coexistence.

J'ai annoncé un nouveau plan Loup, après avoir évalué en profondeur le plan 2008-2012. Un groupe de travail tient des réunions thématiques et nous avons commandé plusieurs rapports d'information sur le sujet. Il y a aussi eu de nombreux rapports internes.

M. Rémy Pointereau.  - Ça ne sert à rien !

Mme Delphine Batho, ministre.  - Le loup est réapparu en France il y a vingt ans. L'État s'est progressivement doté d'outils pour y faire face ; dès 1993, un plan d'action propre au Mercantour, puis dans le cadre de deux programmes européens Life. Ils reposent sur la concertation et sur le suivi annuel de l'évolution de l'espèce. On voit les limites de cette politique : 5 848 victimes indemnisées en 2012, pour un coût de 2 millions. L'aire de répartition du loup s'étend, la population augmente. Le nombre de victimes de prédateurs a doublé en quatre ans. Dans certains territoires, les attaques ont lieu toute l'année. L'État consent des moyens importants : 7,5 millions d'euros.

En cas de dommages exceptionnels malgré les tirs de défense, des tirs de prélèvement sont autorisés, avec un plafond de onze loups. Pour la saison 2012-2013, dans la pratique, il y en a eu trois de fructueux.

Les situations varient selon les territoires ; il faut en tenir compte. Les troupeaux transhumant dans les Alpes sont moins exposés, d'autres types d'élevage le sont davantage.

Certains massifs du sud des Alpes font ainsi l'objet de prédations plus importantes. Devant le groupe national Loup, j'ai insisté sur la nécessité d'une gestion différenciée adaptée à chaque type de situation. C'est l'orientation sur laquelle il travaille. Dans les Alpes de Haute-Provence, la prédation recule...

M. Claude Domeizel.  - Elle augmente ailleurs !

Mme Delphine Batho, ministre.  - Absolument. Il faut en tenir compte. Les conclusions du groupe national Loup seront rendues le 5 février ; elles feront l'objet d'une consultation publique. Le nouveau plan Loup entrera en vigueur avant l'été. Deux parlementaires participent aux travaux, dont Marc Daunis.

Face à un problème complexe, nous devons faire preuve d'intelligence collective pour conserver une montagne vivante. Faisons confiance au travail en cours.

J'entends les interpellations que traduit cette proposition de loi mais le Gouvernement ne peut qu'y être défavorable. (Exclamations de déception sur les bancs du RDSE et sur de nombreux bancs à droite) Sur la forme, il n'est pas respectueux du travail de concertation en cours... (Exclamations sur les mêmes bancs)

M. Jean-Louis Carrère.  - Et le Parlement ?

Mme Delphine Batho, ministre.  - Sur le fond, ensuite, le principe en droit français et international est la protection du loup. Des dérogations existent, strictement encadrées. Cette proposition de loi n'est pas compatible avec la protection du loup qui ne prévoit qu'un prélèvement au niveau national et non par zone.

De plus, ce texte créerait une distorsion de concurrence entre zones de tensions insupportable. D'ailleurs, toutes les discussions que j'ai pu avoir avec les éleveurs ont démontré leur opposition à l'instauration de telles zones. (M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi s'exclame)

Je tenais à vous dire quelle est la position du ministère. (Exclamations sur divers bancs ; M. Jean-Vincent Placé applaudit) Nous travaillons main dans la main avec le ministre de l'agriculture et refusons d'opposer les uns aux autres. Le plan Loup doit s'appliquer. Le pragmatisme doit l'emporter. (Applaudissements sur les bancs écologistes, CRC et la plupart des bancs socialistes)

présidence de M. Charles Guené,vice-président

M. Michel Teston .  - Les indicateurs de présence du loup sur de nouveaux territoires se sont multipliés récemment. Plusieurs attaques ont eu lieu, avec une « responsabilité du loup non écartée », selon la prudente formule de l'administration. Les agriculteurs ont été exaspérés, à juste titre. Les éleveurs ont besoin d'être soutenus. Je comprends donc la position de M. Bertrand ; néanmoins, un nouveau plan Loup 2013-2017 est en cours d'élaboration.

La discussion de cette proposition de loi ne doit pas virer à la caricature : il n'y a pas d'un côté ceux qui voudraient voir les loups proliférer partout et, de l'autre, ceux qui voudraient les abattre tous. Les ministères de l'agriculture et de l'écologie partagent le même sentiment que des compromis sont souhaitables et possibles. Nous devons donc rechercher un équilibre entre deux protections, celle des troupeaux et celle des loups, conformément au droit international et européen.

Cette proposition de loi apporte-t-elle des éléments efficaces pour répondre à l'inquiétude des éleveurs ? Mon intime conviction est que tel n'est pas le cas.

Ses dispositions ne sont pas en conformité avec la convention de Berne et la directive Habitat. La Cour de Luxembourg les a rappelées le 14 juin 2007 : la chasse au loup ne peut intervenir qu'en l'absence de toute autre solution satisfaisante, après évaluation de l'état de conservation de l'espèce et en ayant identifié les loups causant les dommages. En autorisant l'abattage des loups sans conditionnalité, les « zones de protection renforcée » ne sont pas plus conformes au droit européen et international que les zones d'exclusion.

Le plafond de prélèvement fixé annuellement est assez souple. Certes, l'activité du pastoralisme doit se dérouler de façon sereine mais le zonage fait peu de cas de la mobilité du loup. Le problème se déplacera dans des zones non couvertes.

Deuxième réserve : les dispositions du plan Loup répondent aux inquiétudes des éleveurs ; les interventions peuvent aboutir à la chasse au loup. Avec la protection des troupeaux par des tirs d'effarouchement, puis de prélèvement, on agit en conformité avec le droit. Un éleveur ardéchois de troupeaux a subi la moitié des dégâts dans tout le département : le préfet l'a autorisé à effectuer des tirs.

M. Pierre Bernard-Reymond.  - Quel résultat ?

M. Michel Teston.  - Il n'a plus subi d'attaque. Pourtant, l'Ardèche ne figure pas sur la liste de prélèvement. La plan Loup est donc adaptable, souple.

Troisième raison de ma grande réserve : ce texte est inopportun alors que le nouveau plan Loup est en pleine discussion. Il serait malvenu que le Parlement adopte de nouvelles dispositions alors que le plan Loup devrait être connu dans les jours prochains. Ce serait nier tout le travail fait par les différents acteurs.

Mme la ministre a indiqué que, pour être efficace, il fallait tenir compte des différentes situations. Peut-elle nous confirmer que les éleveurs confrontés au loup pourront bénéficier de mesures spécifiques ?

Il est compréhensible que M. Bertrand se soit saisi de ce dossier mais sa proposition de loi n'apporte pas une réponse adaptée, surtout du fait de l'élaboration du prochain plan Loup.

M. Jean Desessard.  - Très bien !

M. Michel Teston.  - Dans sa très grande majorité, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi inadaptée, qui risque de créer une insécurité juridique sans vraie amélioration de la situation de nos éleveurs. (Applaudissements sur les bancs écologistes et sur la plupart des bancs socialistes)

Mme Évelyne Didier.  - Il y a près de vingt-cinq ans, le loup rentrait en France après avoir été exterminé depuis le début du xixe siècle pour disparaître en 1939. Ce prédateur social et intelligent se nourrit essentiellement d'espèces sauvages. (Exclamations à droite)

Certes, le nombre d'attaques d'ovins augmente mais cela est dû à l'extension de l'aire de vie du loup, pas à sa densification. Cet accroissement n'a pas vocation à être infini, mais nous sommes conscients du désarroi des éleveurs. L'indemnisation ne compense pas le préjudice subi.

Le zonage proposé se ferait au niveau de la commune, soit sur quelques dizaines de kilomètres carrés, pour une espèce dont le territoire est de 200 à 300 kilomètres carrés. Il pourrait évoluer d'année en année de manière à ce que l'on puisse abattre des loups dans des proportions déterminées, selon des modalités qui ne sont pas précisées. On ne dit pas non plus quelle signification juridique pourrait avoir la notion de « perturbation de grande ampleur ».

La France est tenue par ses engagements internationaux. Cette protection nationale et internationale a permis la protection du loup. Le groupe CRC est profondément attaché à la préservation du loup, qui rend de grands services environnementaux. Comme ailleurs le panda ou la baleine bleue, il assure à d'autres espèces la protection secondaire de ce qu'il est convenu d'appeler son parapluie. La régulation de la population de loups se fait naturellement. Les hommes sont autorisés à prélever les individus qui causent des dégâts aux troupeaux, ce qui est d'ailleurs prévu par la convention de Berne.

Le plan Loup s'appliquait sous le gouvernement précédent, n'est-ce pas ? Les difficultés du pastoralisme ne datent pas du loup mais de la concurrence de la Nouvelle-Zélande et d'autres pays tiers. L'État soutient la filière ovine et continuera à la faire. Le plan Loup donne l'occasion de dresser un état des lieux et de mener une concertation. Le plan 2013-2017 est en cours d'élaboration, ce travail doit aller à son terme, au reste proche. Les dispositifs d'accompagnement existent, ainsi que les mesures de prélèvement. Il convient sans doute d'aller plus loin et d'accepter des expérimentations.

Le loup a sa place en France, où il doit pouvoir coexister avec le pastoralisme. Les déclarations de Mme la ministre vont dans le bon sens : laissons le travail se poursuivre dans le calme. Cette proposition de loi cliverait le débat. Dans sa grande majorité, mon groupe ne la votera pas. (Applaudissements sur les bancs écologiques et sur certains bancs socialistes et CRC)

M. Jean-Paul Amoudry .  - Cette proposition de loi met en évidence la contradiction entre deux politiques, celle qu'incarne la loi Pastorale de 1972 et celle qui relève de la protection de la vie sauvage et du milieu naturel européen, formalisée par la convention de Berne et la directive Habitat.

Traditionnellement source de richesses et facteur de diversité biologique et paysagère, le pastoralisme favorise une gestion équilibrée des éléments naturels et une reconquête des espaces. La réouverture des paysages par la lutte contre la friche, la prévention des risques d'avalanches par l'entretien de sols, l'ouverture des espaces à un public de plus en plus nombreux sont autant de résultats à mettre à son actif. Les finances publiques ont été mobilisées pour opérer les restructurations foncières. Les aides européennes sont venues soutenir cette politique.

L'apparition des loups depuis vingt ans est venue contrarier cette évolution positive. On peut être réservé sur la nécessité de préserver cette espèce. Pourquoi accepter le stress dans les montagnes, pourquoi désespérer les éleveurs ? Les pouvoirs publics ont décidé d'indemniser les troupeaux touchés. La présence des chiens de troupeau pose également des problèmes et les tirs d'effarouchement sont inefficaces car le loup est intelligent et il s'adapte. Les coûts de protection des troupeaux s'élèvent à 8 millions d'euros, sans parler des dépenses liées au personnel mobilisé.

Nous regrettons que la France n'ait pas émis de réserves lors de la ratification de la convention de Berne, comme le firent nombre d'autres pays. Même remarque pour la directive Habitat. Dans les massifs français, la population des loups est en constante augmentation, malgré certaines dérogations accordées. Le pastoralisme doit être une priorité.

Mon groupe votera, dans sa grande majorité, cette proposition de loi. (Applaudissements à droite et au centre, sur les bancs du RDSE et sur certains bancs socialistes)

M. Jean-Vincent Placé . - (Manifestations bruyantes sur de nombreux bancs) J'entends déjà hurler les loups ! (Sourires)

En tant qu'écologiste, ce débat me passionne. Le loup, traqué et exterminé, avait disparu dans les années 1930. Protégé, il est ensuite revenu dans notre pays en 1992. A l'heure actuelle, on compte 250 individus revenus sur 0,5 % de son aire de répartition naturelle. Le retour du loup est une bonne nouvelle pour la biodiversité.

Le loup, prédateur naturel, empêche la concentration des cochons sauvages (M. Jean-Louis Carrère le conteste), des grands ongulés sauvages, des chiens errants. (Exclamations à droite) En s'en prenant aux individus faibles et malades, il empêche la propagation des maladies. (M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi, s'esclaffe) Nous nous sommes dotés d'une batterie de textes pour protéger la biodiversité et nous nous réjouissons de la loi annoncée par le Gouvernement.

Nous saluons les grandes lois de protection... à l'étranger mais nous combattons celles qui s'appliquent en France.

Le loup est le Janus des montagnes. D'un côté, il fascine, attire le tourisme, essentiel aux territoires de montagne ; de l'autre, il alimente des peurs ancestrales, disproportionnées. (Exclamations)

M. Jean-Louis Carrère.  - N'est pas chaperon rouge qui veut !

M. Jean-Vincent Placé.  - En 2012, près de 4 920 attaques probables de loups pour 700 000 ovins sur ces zones, soit 0,06 % sur l'ensemble des troupeaux ! Le loup est une cause infime de la mortalité des bêtes.

M. Jean-Louis Carrère.  - Il y a aussi l'ours !

M. Jean-Vincent Placé.  - Vous faites du loup un bouc-émissaire. (Exclamations) Or qui dit bouc-émissaire dit innocence ! Il est plus simple de tirer sur le loup que de s'en prendre à ces normes du commerce international qui nuisent tant à notre pastoralisme. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Ladislas Poniatowski.  - Quelle caricature !

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.  - Il existe le bon sens ? Il fallait écouter ce que nous avons dit !

M. Gérard Bailly.  - Ils n'ont aucune idée de ce que c'est qu'un éleveur.

M. Jean-Vincent Placé.  - La filière ovine se porte mal et les deux tiers des revenus des éleveurs proviennent des aides publiques. Les difficultés des éleveurs ne tiennent pas aux loups.

Je félicite Mme la ministre pour son discours : attendons la semaine prochaine pour connaître le plan Loup. Tirer sur les loups de servira à rien. Le groupe écologiste votera bien évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Pierre Bernard-Reymond .  - Avec une certaine gravité, je m'adresse à vous sur un sujet de société. Quelle conception se fait-on du travail des hommes, quel respect leur apporte-t-on ? Peut-on prendre le risque de voir s'agrandir la fracture entre mondes urbain et rural ?

La présence du loup dans les montagnes est insupportable. Les éleveurs s'inquiètent du mode de garde, et notamment des patous qui font fuir les touristes. Derrière ces problèmes se pose la question de la dignité de ces éleveurs. Ils ne peuvent accepter qu'on leur refuse un droit à la légitime défense. (Applaudissements à droite, sur les bancs du RDSE et sur quelques bancs socialistes) Comment défendre le bien-être animal et accepter que des moutons soient égorgés ?

Si cette situation devait perdurer, l'élevage en montagne s'éteindrait. Or il est essentiel en matière d'aménagement du territoire. Les alpages préservent des broussailles, limitent la progression de la forêt, protègent des avalanches. En juin, quelle profusion florale sur ces terres d'altitude ! Il convient donc de trouver un nouvel équilibre.

En 2009, un seul loup a pu être abattu, alors que l'objectif était d'en abattre huit. Et cela a continué les années suivantes. Il faut passer d'une approche quantitative à une approche territoriale : le droit de légitime défense doit être reconnu dans les zones d'alpage. Le loup, animal intelligent, saura éviter les zones de protection renforcée.

Cette permission de tir devra être encadrée, bien sûr. Si cette mesure n'était pas prise...

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Vincent Placé.  - Vous aviez trois minutes !

M. Pierre Bernard-Reymond.  - La solidarité nationale doit être aussi de comportement. Puisque les Parisiens aiment tant les loups, qu'on en lâche au bois de Vincennes, au bois de Boulogne, sur les Champs Élysées ! (Exclamations ironiques sur les bancs écologistes et certains bancs socialistes)

Dommage que la raison du plus fort soit toujours la meilleure ! Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements à droite et sur les bancs du RDSE ; MM. Jean-Louis Carrère et Claude Domeizel applaudissent aussi)

M le président.  - Je tiens à vous rappeler que le temps est mesuré.

M. Gérard Bailly .  - Président du groupe Élevage, je ne peux être d'accord avec Mme la ministre. Je trouve que la proposition de loi est bien timide, en dépit de son titre initial.

Je ne suis pas hostile au maintien du loup, pourvu qu'on en limite le nombre car sa présence est insupportable dans les alpages. Bien sûr, la filière pastorale est confrontée à des problèmes économiques, mais le loup en rajoute. Les éleveurs se sentent trahis pour cause de biodiversité et pour faire plaisir aux écologistes.

Êtes-vous crédible, madame la ministre, de prôner le bien-être animal alors que vous laissez 5 000 ovins se faire égorger chaque année ? Faut-il attendre des attaques sur les enfants pour se mobiliser ?

M. Jean Desessard.  - Ce sont les chiens qui attaquent les enfants !

M. Gérard Bailly.  - Le lynx provoque aussi beaucoup des dégâts.

J'en reviens à mes moutons. (Sourires) Dans le Jura, j'ai vu une agricultrice pleurer devant les cadavres de quinze brebis. Pour ne plus vivre un tel cauchemar, elle a vendu ce qui restait de son troupeau. Je pense à cette femme comme vous, vous pensez aux loups.

Cette proposition de loi ne vise pas à donner bonne conscience : le nombre de loups doit diminuer, comme le nombre de lynx dans le Jura. Je vous interrogerai prochainement sur le coût de ces prédateurs. L'abandon de l'élevage coûtera très cher. En 1980, il y avait 12 849 000 ovins en France ; 8 490 000 en 2006 ; 7 959 000 en 2012. Nous perdons 300 000 ovins chaque année et la France importe 55 % de sa viande ovine !

Mon combat se poursuivra tant que l'on ne s'en prendra pas à ce prédateur.

Vous avez dit, madame la ministre, que vous étiez opposée à ce texte.

Mme Delphine Batho, ministre.  - Les éleveurs n'en veulent pas.

M. Gérard Bailly.  - Voulez-vous que chaque année en France, 5 000 moutons meurent sous les dents des loups ? Les agneaux ont autant le droit de vivre que les loups ! Pourquoi désespérer les éleveurs ?

M. François Fortassin .  - Je salue les propos enthousiastes, mesurés et de bon sens de nos excellents collègues Bertrand et Mazars.

De votre intervention, madame la ministre, j'ai retenu, outre votre débit rapide, des propos sur le plan Loup que vous avez qualifié d'intelligent, ce qui, a contrario, voulait dire que ses opposants ne le sont pas.

Des générations ont vécu pendant des siècles avec la peur au ventre, la crainte permanente des prédateurs. Dans ma jeunesse, un homme racontait avoir été attaqué par des loups et il n'avait dû sa survie que grâce au braiement d'un âne. Toute sa vie, il a été hanté par les loups. Il faisait de nombreux cauchemars à cause d'eux, ce qui l'angoissait plus que ses souvenirs de Verdun où il a perdu un bras.

Avec MM. Repentin et Bailly, nous sommes allés en Haute-Savoie où 1 400 brebis s'étaient précipitées dans un ravin à cause d'une attaque de loups. Quel triste spectacle !

M. Jean Desessard.  - Et les accidents de la route ! (Marques de consternation à droite)

M. François Fortassin.  - Certes, le gagne-pain des éleveurs est en cause, mais il faut également prendre en compte le lien affectif qui se tisse entre l'éleveur et ses bêtes.

Et puis, l'élevage ovin, c'est le dernier rempart avant la friche. Si les éleveurs sont obligés de parquer leurs bêtes...

M. Jean-Louis Carrère.  - Les camarades Verts viendront nettoyer !

M. François Fortassin.  - ...les paysages seront alors fermés, avec des conséquences environnementales dramatiques.

Je voterai ce texte avec enthousiasme car il protège l'activité humaine sans pour autant menacer le loup.

M. Jean-Louis Carrère.  - Je suis pour la parité : 50 % d'hommes !

M. François Fortassin.  - Comme le dit un tube à la mode, n'attendez pas de moi que l'agneau invite le loup à le manger. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, à droite et sur les bancs du groupe UDI-UC ; M. Jean-Louis Carrère applaudit aussi)

M. Charles Revet .  - S'il peut être étonnant d'entendre un élu normand évoquer ce sujet (on le confirme sur les bancs écologistes)...

Mme Hélène Lipietz.  - Il y a aussi des loups de mer...

M. Charles Revet.  - ...le problème du loup concerne tous les éleveurs. Leur désarroi, leur sentiment d'abandon par les responsables publics est palpable.

Je vous rassure, point de loup sur les collines normandes. (Marques de soulagement) Mais d'autres types de prédateurs se sont développés de manière anarchique : est-il normal de voir des renards fouiller dans les poubelles des banlieues des grandes villes ?

M. Jean Desessard.  - Il y en a à Paris !

M. Charles Revet.  - Le risque de rage existe. Les sangliers aussi se sont multipliés, occasionnant des dégâts importants aux récoltes.

M. Henri de Raincourt.  - Considérables !

M. Charles Revet.  - Idem pour les cerfs et les biches. Dans mon département, une attaque de tuberculose a conduit le préfet à ordonner l'abattage des bêtes malades -mais entre temps le cheptel avait été contaminé... Je ne dis pas qu'il faut supprimer tous ces animaux mais il faut mieux réguler les espèces, pour un meilleur équilibre entre activité agricole et présence de la faune sauvage. Cela suppose une concertation au plus près du terrain, sous la responsabilité du préfet. Les choses ne doivent plus se décider à Paris.

Le groupe UMP soutient cette proposition de loi. (Applaudissements à droite et sur les bancs du groupe RDSE)

M. Ladislas Poniatowski .  - Tout a été dit et très bien dit. Je remercie MM. Bertrand et Mazars d'avoir présenté et rapporté ce texte sur ce magnifique animal qu'est le loup. Comme souvent, la position française est bien dogmatique. En Suède, il existe de facto un plan de chasse. En Espagne, les chasseurs peuvent obtenir une licence de tir dans les zones où le loup est surabondant -le produit est utilisé à la compensation des dommages. La Fédération nationale des chasseurs a étudié les pratiques en Europe ; elle devrait faire des préconisations le 7 février.

Le statut d'espèce sauvage du loup ne doit pas nous exonérer de tout effort de gestion-régulation : le refuser par idéologie, sans support scientifique, ne serait pas acceptable. Il faut dire ce que sont les objectifs du plan Loup, tenir compte de la prédation -y compris sur le chevreuil et le mouflon, celui-ci en voie d'extinction-, chercher l'acceptation locale des éleveurs, des élus et des habitants, associer évidemment les chasseurs, enfin définir des aires géographiques pertinentes.

Dans certains pays, la gestion est adaptative et différenciée par grands massifs : faisons de même. Et inspirons-nous des principes définis par le Conseil de l'Europe.

Donnons au loup toute sa place, mais rien que sa place. Cela suppose d'abandonner l'idéologie et de faire primer les exigences locales. Cette proposition de loi y contribue, mais on peut sans doute progresser encore sur cette voie. Il faudra, plus largement, réfléchir au statut de l'animal, sujet que le Saint-Hubert Club a évoqué dans nos murs lors d'un colloque récent.

Le groupe UMP votera ce texte et demandera un scrutin public car il faut que les positions des uns et des autres soient claires. (Applaudissements à droite)

Mme Delphine Batho, ministre .  - En effet, monsieur Teston, la gestion différenciée est la réponse clé mais il faut l'articuler avec une approche globale, avec un plafond national de prélèvement, conformément à nos engagements internationaux. Je vous confirme qu'il y aura des mesures adaptées à chaque territoire, et donc pour le Massif central.

Merci, madame Didier, d'avoir appelé à un débat serein. M. Amoudry regrette que la France n'ait pas émis de réserves sur la convention de Berne. Nous sommes en discussion permanente avec la Commission européenne, auprès de laquelle nous défendons une approche équilibrée : avec 250 loups, l'espèce peut encore disparaître.

Monsieur Placé, la loi annoncée, qui sera présentée le 12 février au Conseil national de la transition énergétique, créera l'Agence nationale de la biodiversité ; des discussions auront lieu ensuite dans les régions. Stéphane Le Foll soutient l'élevage extensif dans le cadre du verdissement de la PAC.

Monsieur Bernard-Reymond, l'extension des tirs de défense là où c'est nécessaire est envisagée par le futur plan Loup.

Monsieur Bailly, je n'ai pas parlé de bien-être animal. Les éleveurs ne soutiennent pas cette proposition de loi.

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.  - C'est faux !

Mme Delphine Batho, ministre.  - C'est vrai ! Ils ne veulent pas de distorsion de concurrence entre élevages.

Monsieur Fortassin, je n'ai à aucun moment mis en cause la légitimité du Parlement à débattre, je crois à sa sagesse. Je souhaite que la discussion d'aujourd'hui permette d'éclairer le Sénat sur le travail du Gouvernement.

M. Revet a évoqué les espèces nuisibles, c'est un autre sujet.

Monsieur Poniatowski, je ne crois pas faire preuve d'idéologie. J'ai souligné la nécessité de respecter nos engagements internationaux, mais aussi notre volonté de répondre à la détresse des éleveurs. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

Article additionnel avant l'article unique

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Revet et Pointereau.

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 411-2 du code de l'environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans chaque département, il appartient au préfet de prendre des dispositions pour réguler le développement de la population des animaux sauvages pouvant modifier un fonctionnement équilibré des espèces animales et avoir des conséquences sur les activités qui en dépendent. Celui-ci, chaque année, organise une réunion d'information des différents acteurs concernés. »

M. Charles Revet.  - Si l'on veut être efficace, il faut rapprocher la décision du terrain, déterminer dans chaque département la régulation de chaque espèce. On sait très bien que, quand les décisions sont prises au niveau national, neuf fois sur dix, il n'en sort rien...

M. Stéphane Mazars, rapporteur.  - Votre amendement étend à toutes les espèces nuisibles le dispositif de la proposition de loi. Ce texte concerne spécifiquement le loup, animal sauvage protégé, et recherche un point d'équilibre entre protection de l'espèce et agro-pastoralisme. Restons-en là. Les problèmes dont vous faites état sont traités par le décret du 23 mars 2012. Tout en comprenant votre préoccupation, je vous demande de retirer votre amendement.

Mme Delphine Batho, ministre.  - Même avis. Votre amendement dresse un parallèle entre espèces nuisibles et protégées. Le précédent gouvernement a en outre porté au niveau national les dispositions relatives aux espèces nuisibles. Retrait, sinon rejet.

M. Rémy Pointereau.  - C'était un amendement d'appel. Il est souhaitable de décentraliser les décisions, que les préfets soient responsables des plans de régulation au niveau local. La population de loups est plus proche de 300 ou 400 que de 250 : en prélever onze, c'est très peu au regard des dégâts qu'ils causent.

M. Charles Revet.  - Nous voterons la proposition de loi car il y a urgence. J'ai voulu alerté mes collègues sur d'autres problèmes. Je le répète, il ne faut pas traiter ces questions au niveau national ! Le décret évoqué ne répond pas aux difficultés.

Mme Delphine Batho, ministre.  - C'est le précédent gouvernement qui l'a pris.

L'amendement n°2 rectifié est retiré, ainsi que l'amendement n°3 rectifié.

Article unique

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Jouanno et M. Namy.

Supprimer cet article.

Mme Chantal Jouanno.  - Je reste fidèle à mes anciennes fonctions comme à mes convictions. Ce débat n'est pas nouveau -nous l'avions eu également sur les ours. Il est difficile de rivaliser avec les discours entendus sur le terrain affectif.

Certes, rien n'est parfait, la réapparition du loup a des conséquences négatives. Il fallait rappeler à la fois la nécessité des équilibres écosystémiques et l'importance de l'élevage et de l'agro-pastoralisme. Mais le dispositif de cette proposition de loi est illégal au regard de la directive Habitat. Elle serait sans doute inapplicable, tant il est difficile de repérer les animaux pour effectuer des tirs. Le plan Loup est une bonne méthode ; sans doute aurait-il fallu davantage associer les représentants de l'agro-pastoralisme. Mais les choses ont évolué ; Nathalie Kosciusko-Morizet avait ouvert des possibilités de tirs de défense. Faisons confiance au plan Loup. (Applaudissements sur les bancs CRC écologistes)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Certains craignent un télescopage entre notre débat et l'annonce du plan Loup. Je pense au contraire que la confrontation de deux diagnostics est une bonne chose. Les éleveurs ont raison de s'alarmer, les chiffres le montrent. Pour que la discussion progresse, il faut tenir compte de leur position exprimée ici par leurs représentants.

La directive Habitat n'a pas empêché la progression de la population. La loi sur la biodiversité sera bienvenue, mais il faut d'abord répondre à la détresse des éleveurs. Nous sommes ici pour défendre le pastoralisme et les territoires. Rien n'est incompatible. Il faudra à terme que l'agro-pastoralisme sorte par le haut. Je fais confiance à l'intelligence collective. La départementalisation des décisions va dans le bon sens. Rapprochons les comités d'experts hors sol, les acteurs de terrain et les élus locaux que nous représentons. Avec vingt quatre collègues socialistes, je voterai sans état d'âme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, sur quelques bancs socialistes et à droite)

M. Claude Domeizel.  - Cette proposition de loi est dans le droit fil de plusieurs de mes propositions sur ce sujet. Mon département est l'un des plus touchés par le loup : entre 2011 et 2012, les attaques ont augmenté de 40 % et fait 1 000 victimes ! Toutes les indemnités, tous les discours, toutes les conventions de Berne ou d'ailleurs ne compenseront pas le préjudice financier, et surtout affectif, des bergers. J'en ai rencontré : voir disparaître une partie de son troupeau, qu'on a élevé, soigné, suivi, ça fait mal. Indemnités et discours n'apaiseront pas non plus l'angoisse des bergers. Venez voir dans quelles conditions ils travaillent, à 2 000 mètres d'altitude, je vous y conduirais ! Il n'y a pas contradiction entre le travail réalisé par le groupe Loup et le nôtre. Entre le loup et la défense du pastoralisme, j'ai choisi et je voterai la proposition de loi d'Alain Bertrand. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et à droite)

M. Rémy Pointereau.  - Je remercie MM. Bertrand et Mazars...

M. Jean Desessard.  - Il y a des loups, dans le Cher ?

M. Rémy Pointereau.  - ...d'avoir permis une discussion intéressante. Quand il y a du flou, il y a un loup... (Sourires) Un loup, ça va, 300, bonjour les dégâts ! Attention que les loups n'entrent pas dans Paris !

C'est un texte de bon sens, d'équilibre. Et il n'y a pas d'équilibre sans régulation, on le voit pour les sangliers. Mieux réguler, c'est mieux respecter la biodiversité. Prélever onze loups sur 300, c'est insuffisant, quand un loup coûte 6 000 euros par an ! Les éleveurs sont fatigués, désespérés. Pensons aussi aux hommes, à leur détresse, faisons en sorte qu'ils puissent vivre dignement de leur travail. Le groupe UMP a choisi de défendre les éleveurs. L'espèce menacée en France, ce ne sont pas les loups ou les ours mais les bergers ! Le pastoralisme, l'économie de montagne sont les derniers remparts contre la désertification rurale. (Applaudissements à droite et sur les bancs du RDSE)

M. Gérard Bailly.  - Je partage les propos qui viennent d'être tenus. Dans les Alpes-Maritimes, la production ovine s'effondre avec les conséquences que l'on sait. Les éleveurs font dix à douze kilomètres dans la montagne pour sécuriser leurs animaux. Y en a-t-il beaucoup qui consentiraient de tels sacrifices ? La ministre de l'agro-alimentaire dit craindre la végétalisation de la France : l'élevage est menacé, attention ! Je comprends les éleveurs qui jettent l'éponge après des attaques répétées. Des mots, des mots, des mots : les agriculteurs en ont assez !

Le lynx aussi sévit dans le Jura ; mais le préfet a fait discrètement relâcher en forêt un de ces animaux qui avait été blessé, puis soigné... Comment voulez-vous que les éleveurs vivent ça ? Ils ne comprennent plus !

Je regrette que l'amendement n°2 rectifié ait été retiré. Nous souhaitons l'extension de ce texte à toute la faune sauvage.

M. Charles Revet.  - Nous y reviendrons !

M. Gérard Bailly.  - Les éleveurs qui tuent un loup sont traînés devant les tribunaux, condamnés à des amendes. Votons ce texte. Onze loups abattus chaque année ? Quand on sait que les effectifs augmentent dans le même temps de 60 ou 70...

M. François Fortassin.  - Je suis souvent d'accord avec Mme Jouanno, je respecte son point de vue, mais voter son amendement reviendrait à rejeter la proposition de loi... Notre débat n'aurait servi à rien. Nous sommes généralement décentralisateurs ; ici, on ne veut pas de décisions prises localement : où est la cohérence ? Il faudra y revenir.

M. Charles Revet.  - C'est ce que nous ferons, n'en doutez pas !

M. François Fortassin.  - Il faudra prendre les décisions au plan local car ce sont les locaux qui subissent les préjudices ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE et à droite)

M. Michel Teston.  - Un membre de la commission nationale Loup, représentant du monde agricole, juge irréaliste la mise en oeuvre de cette proposition de loi. Il ne croit pas du tout aux zones d'exclusion.

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.  - Qu'en sait-il de plus que nous ?

M. Michel Teston.  - Il a le droit d'accorder des interviews, il est normal que j'en parle ! La majorité des membres du groupe socialiste voteront cet amendement de suppression. (Applaudissements sur les bancs écologistes et sur quelques bancs socialistes)

M. Stéphane Mazars, rapporteur.  - Je demande à Mme Jouanno de retirer son amendement. Le débat a été passionné et passionnant, autant qu'il aille à son terme !

Pour ma part, je ne sais rien de ce qui filtre de la commission Loup. Vous semblez mieux informé que nous, même si vous ne citez pas vos sources. Au Sénat, nous représentons les territoires et ils se sont exprimés cet après-midi avec talent et émotion. Rien ne remplace la voix éraillée, la voix étranglée des éleveurs qui demandent des comptes non aux commissions d'experts mais aux parlementaires !

Mme Delphine Batho, ministre.  - On ne peut prétendre que les membres de la commission Loup soient coupés des réalités : ONCFS, FNSEA, associations d'agriculteurs, de chasseurs, d'élus...

Je remercie Mme Jouanno de sa confiance. Il ne s'agit pas de voter sur l'utilité du débat. La détresse des éleveurs exige des réponses concrètes, pas des faux-semblants qui ne tiendront pas la route juridiquement. Je redoute que l'adoption de cette inutile proposition de loi ne fragilise un processus qui est en train d'aboutir. Le Gouvernement est favorable à l'amendement de suppression. (Applaudissements sur les bancs écologistes et sur quelques bancs socialistes)

A la demande des groupes RDSE et UDI-UC, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 348
Nombre de suffrages exprimés 341
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l'adoption 133
Contre 208

Le Sénat n'a pas adopté.

(Applaudissements à droite)

Mme Hélène Lipietz.  - C'est loupé !

M. Michel Teston.  - (« Oh ! » à droite) Je me suis exprimé déjà longuement au nom de la majorité du groupe socialiste. Je ne vous inflige pas une nouvelle intervention. (On apprécie sur plusieurs bancs)

Mme Évelyne Didier.  - Il a beaucoup été question de détresse des éleveurs. Cette détresse, je l'ai aussi connue lors de la vache folle et dans d'autres situations qui posaient bien des problèmes.

Nous sommes aujourd'hui en train de renouveler ce plan Loup ; il s'agit de nous conformer aux directives européennes. (M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi, s'exclame) Il y a quelques mois, une autre majorité dirigeait notre pays et invoquait la législation européenne et internationale.

M. Pierre Hérisson.  - Subsidiarité !

Mme Évelyne Didier.  - Il y a coresponsabilité sur la gestion de ce sujet. Évitons les caricatures qui ne nous grandissent pas.

A la demande du groupe UMP, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 208
Contre 131

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à droite et au centre)

En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

La séance, suspendue à 17 h 40, reprend à 17 h 45.

Engagement de procédure accélérée

Mme la présidente.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi portant prorogation du mandat des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger, déposé sur le bureau du Sénat le 30 janvier 2013.

Débat sur la suppression de la taxe professionnelle

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l'État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale.

M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE, auteur de la demande.  - La mission commune d'information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle a été constituée en juillet 2011. J'avais cédé la place de président à Mme Escoffier, avec M. Guené comme rapporteur. Ils ont fourni un travail très important sur un dossier difficile.

Leurs travaux ont apporté un éclairage nouveau sur la réforme controversée de la taxe professionnelle. Notre Haute assemblée s'honore à publier de telles études et à organiser de tels débats, d'autant qu'en application de l'article 24 de la Constitution, elle représente les collectivités locales.

M. Alain Gournac.  - Pourvu que ça dure !

M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE.  - Nous avons mis ce débat à l'ordre du jour de notre espace réservé alors qu'il a toute sa place dans une semaine de contrôle du Sénat mais nous n'avons pu l'obtenir malgré nos demandes réitérées en conférence des présidents. Je rappelle que la mission d'information avait retardé la publication de ses conclusions pour ne pas interférer avec la campagne électorale et dans l'attente de données que nous n'avons pu finalement obtenir.

Un peu d'histoire, tout d'abord ! Nous avions eu une longue, et parfois fastidieuse, discussion, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, sur la réforme de la taxe professionnelle. J'ai relu ces débats et vos contributions à l'Assemblée nationale furent fort intéressantes, monsieur le ministre.

Notre groupe a toujours porté un regard assez critique sur cette réforme, qui a été élaborée de façon trop précipitée et sans concertation. Les élus locaux et les parlementaires n'ont pas été écoutés. Le manque de clarté avait conduit les rapporteurs généraux des deux chambres à réécrire intégralement l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010 : il avait fallu plus de treize heures de débat au Sénat pour examiner les 514 alinéas du fameux amendement Marini...

Nous avions regretté l'absence de simulation des effets de cette réforme sur les collectivités locales, mais aussi sur l'État et les entreprises.

Cette réforme méritait donc d'être observée avec une grande attention après sa mise en place : un bilan était d'ailleurs prévu. Plus de trois ans après, les travaux de la mission commune d'information ont été rendus plus difficile par la non-communication de données chiffrées. Je crains que l'absence de simulation qui entrave le travail parlementaire n'appartienne pas qu'au passé. Certains exemples récents en témoignent... Je pense au débat rapide du 14 décembre, à l'Assemblée nationale, sur le fonds de péréquation.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Absolument !

M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE.  - Mon discours ne varie pas en fonction des gouvernements en place.

M. Alain Gournac.  - Très bien !

M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE.  - Je souhaite que ces errements ne se reproduisent pas. C'est aussi cela, le changement, sinon c'est la continuité aujourd'hui...

Lors du débat sur la taxe professionnelle, M. Jean-Marc Ayrault déclarait à l'Assemblée nationale : « c'est donc une décision extrêmement lourde de conséquences que vous prenez sans simulation nécessaire ». L'alternance doit s'accompagner de nouvelles pratiques.

La réforme avait pour premier objectif d'accroître l'attractivité de notre territoire. La taxe professionnelle avait été réformée 68 fois en trente trois ans ; elle était à bout de souffle et il fallait effectivement la réformer. A-t-on renforcé la compétitivité des entreprises, mis un coup de frein à la délocalisation ? Je crains que non. La situation a même empiré. Trois ans plus tard, nous nous posons toujours les mêmes questions ; le rapport Gallois a proposé des pistes de réflexion intéressantes sur le sujet.

La réforme de la taxe professionnelle n'était pas une panacée. D'ailleurs, personne ne croyait avoir trouvé le remède miracle. Le rapport souligne que la contribution économique territoriale n'a jamais fait partie des préoccupations centrales des entreprises : la fiscalité locale n'est pas déterminante pour les décisions d'implantation.

Les effets de cette réforme sont contrastés, comme le démontre le rapport.

Les allégements résultant de cette réforme sont contrebalancés par des augmentations de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés.

Il est difficile d'affirmer que la réforme de la taxe professionnelle a davantage aidé les entreprises menacées de délocalisation. Son coût pour l'État est estimé à 4,5 milliards en rythme de croisière.

Ceci dit, il est très difficile d'évaluer les effets exacts de la réforme faute de renseignements fournis par le Gouvernement.

Autre objectif : simplifier la fiscalité locale. Est-ce le cas ? Certes non ! Les collectivités locales sont dans le plus grand flou sur les conséquences de cette réforme qui se met progressivement en route.

Ne s'agit-il pas d'une bombe à retardement ? Les collectivités territoriales ne s'y retrouvent pas. Les EPCI ne disposaient d'aucune simulation lorsqu'il a fallu fixer la cotisation minimale. Les collectivités territoriales ont vu leur dépendance par rapport aux dotations de l'État s'accroître et elles connaissent une grande incertitude sur les ressources, insuffisamment dynamiques, surtout en période de crise.

L'indexation sur l'inflation de l'assiette des Ifer n'a été adoptée qu'il y a un mois seulement, grâce aux efforts de François Marc.

La suppression de la taxe professionnelle a renforcé les inégalités entre les collectivités territoriales sans mettre en place de péréquation efficace.

A la page 83 du rapport, une constatation ne peut que nous inquiéter : la CVAE est concentrée à 38 % sur l'Ile-de-France, qui ne recueillait que 13,3 % de la taxe professionnelle.

Quelle est la position du Gouvernement sur les conclusions du rapport ? Quels sont ses objectifs sur la péréquation ? Les annonces récentes nous inquiètent fort. (Applaudissements au centre)

M. Charles Guené, rapporteur de la mission commune d'information .  - La suppression de la taxe professionnelle n'est pas un épiphénomène. Revenons sur la genèse de cette réforme majeure. La taxe professionnelle, instituée en 1975, cet impôt imbécile pour certains, a été supprimée dans le contexte que l'on sait ; sa réforme avait été engagée bien avant avec la suppression de la part salaire en deux temps puis la prise en compte de la valeur ajoutée.

Portée par les seuls investissements, la taxe professionnelle était alors condamnée : la CTE la remplace en 2011, à la suite de divers rapports.

Si le tableau des entreprises gagnantes et perdantes n'est pas aisé à dresser, 60 % d'entre elles y ont gagné dans le secteur industriel au détriment du secteur des services et un peu de l'intérim. Le Medef admet qu'il y a une réduction de cinq points des prélèvements. Bref, on peut parler de réussite de la réforme, malgré ses imperfections.

Les comptables peuvent se réjouir, alors qu'ils étaient confrontés à l'usine à gaz de la taxe professionnelle.

En 2010, nous avions attiré l'attention sur les carences de la contribution foncière des entreprises (CFE) minimale. Le législateur a su verrouiller efficacement le système. Le monde économique se félicite de cette réforme et d'être soumis à un taux national, même si les facteurs de compétitivité se situent ailleurs : prix de l'énergie, crédit impôt recherche, logement pour les salariés, position géographique stratégique.

Cette réforme a coûté 4,5 milliards à l'État, en année de croisière mais il a bénéficié d'un surplus d'impôt sur les sociétés ; ce différentiel aurait été moindre si le Conseil constitutionnel n'avait pas pris la décision qu'on connaît à propos des BNC.

Cette réforme a affecté les relations entre les collectivités locales et l'État. Il faut en prendre l'exacte mesure car c'est l'aboutissement d'une mutation entamée depuis des décennies.

Nous avons vécu après la première guerre mondiale une première crise des finances publiques, qui a conduit à transférer du pouvoir fiscal aux collectivités locales pour lancer la reconstruction. Avec l'ordonnance de 1959 est née l'idée de transférer aux collectivités locales le levier fiscal, en plein pendant les Trente glorieuses.

Elle fut mise en oeuvre entre 1975 et 1983, avec les lois Defferre. Or, en 1974 éclate le premier choc pétrolier, alors que les collectivités locales se réjouissent de leur liberté acquise. L'illusion d'une autonomie fiscale perdure, alors que l'État intervient de plus en plus. Ce n'est qu'en 2002-2004 que les choses changent : avec l'inscription de l'article 72-2 dans la Constitution, l'horizon bascule ; exit l'autonomie fiscale. L'autonomie financière était née.

La réforme de la taxe professionnelle a porté le coup de grâce en réduisant le poids de l'économie dans la ressource locale. Elle va de pair avec une péréquation horizontale pour ne pas laisser subsister les inégalités territoriales. La péréquation horizontale l'emporte alors sur la péréquation verticale. Les élus ont accusé un temps de retard par rapport à l'évolution fiscale. Le mouvement n'est peut être pas inéluctable mais, pour l'instant, il s'impose.

J'en viens à l'impact de la réforme sur les collectivités. Les seules variations que nous subissons résultent de nos propres votes. Nous avons affiné les critères pour parvenir à une plus grande adéquation avec les besoins des collectivités territoriales.

Les ajustements réalisés lors des deux dernières lois de finances ont pris en compte les spécificités des entreprises industrielles. La poursuite de la péréquation est nécessaire. Ces ajustements sont essentiels. La prise en compte de la richesse, avec l'achèvement de la carte de l'intercommunalité, est une innovation majeure pour la solidarité.

Pour le bloc communal, l'introduction des revenus des ménages est utile. La loi de finances pour 2013 a apporté des correctifs utiles pour certains territoires urbains. Rappelons que l'Ile-de-France doit encore effectuer sa mue.

Il reste à progresser en termes de solidarité dans les départements et les régions. Le dossier de la CFE minimale n'a pas été abordé lors de la dernière loi de finances. Il faudra y revenir en 2014. Le Premier ministre vient d'écrire à M. Pélissard à ce sujet : sa proposition est encourageante mais trop peu opérationnelle. La répartition de la CVAE doit tenir compte des particularités des groupes. On nous a opposé le besoin de simulations mais nous n'avons rien vu venir... La revalorisation des valeurs locatives, qui est désormais programmée, aura aussi une incidence.

La mise en place d'une nouvelle fiscalité locale doit bénéficier d'une expertise qui ne soit pas à la seule initiative du Gouvernement.

La réforme de la taxe professionnelle doit être vue comme le basculement d'un monde révolu à un autre, fondé sur des espaces internationaux intégrant des espaces à autonomie financière limitée. La crise actuelle pousse à une plus forte intégration et implique une nouvelle gouvernance. J'espère que cette intégration n'ouvrira pas la voie à une nouvelle centralisation. En nous contentant de critiquer une réforme jugée hâtive et mal préparée, ne passons pas à côté de l'histoire fiscale de nos collectivités.

Mme Marie-France Beaufils .  - La disparition de la taxe professionnelle a été une mesure emblématique du quinquennat Sarkozy. Pour la plupart des entreprises, il s'agissait d'une bonne nouvelle.

Les artisans et commerçants ont toutefois dit leur amertume devant les effets pervers de la cotisation minimale.

La nouvelle assiette de la contribution économique territoriale était peu opérante. La cotisation foncière ressemble à la patente.

La plupart des entreprises ont constaté une baisse de la pression fiscale, tandis que l'impôt sur les sociétés augmentait.

Deuxième effet de cette réforme : la perte d'autonomie financière des collectivités territoriales. La progression limitée des bases d'imposition empêche de mener toute politique économique dynamique.

Les bases d'imposition de la cotisation foncière n'ont pas le même dynamisme que celles de la taxe professionnelle. Le faible produit de la CFE met en évidence des difficultés durables pour les budgets des collectivités. Les conséquences de la cotisation minimale devront être examinées attentivement.

Enfin et surtout, cette réforme n'a pas tenu compte, ou si peu, des besoins de péréquation. Que dire aussi de la situation de l'Ile-de-France ?

La péréquation horizontale prévue ne corrige pas les défauts de cette réforme. En revanche, la fiscalité locale est de plus en plus prise en charge par l'État, objectif du précédent gouvernement.

La réforme de la fiscalité locale touchant les entreprises a manqué son objectif principal : la création d'emplois. Le chômage a poursuivi sa hausse vertigineuse.

Le rapport remis le 6 novembre dernier au comité des finances locales (CFL) déclare que nous devions ressentir cet effet à moyen terme... Mais le creusement du déficit public de l'État s'est doublé d'un déficit d'emploi.

Autre victime de la réforme de la taxe professionnelle : le fonds de péréquation pour collectivités défavorisées. Nous avions bien raison de nous opposer à cette réforme. L'élargissement de la fiscalité économique locale aux actifs financiers est la piste à suivre. Il est temps de faire d'autres choix : la financiarisation de l'économie, la multiplication des plans sociaux, les délocalisations font litière des vieux discours contre la taxe professionnelle. Il faut frapper ces actifs financiers pour accompagner les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Pierre Jarlier .  - Je salue le travail mené par la mission d'information sur un sujet complexe. Je me limiterai à évoquer les modifications du panier des ressources des collectivités locales et les conséquences de la réforme sur leur attractivité.

Si la compensation à l'euro près par l'État s'est vérifiée, la contribution économique territoriale ne représente plus que 33 % des ressources du bloc communal, contre 90 % auparavant. La capacité contributrice des ménages devient déterminante, posant un vrai problème d'inégalité entre territoires : ceux qui bénéficient d'une dynamique forte de la contribution économique territoriale et du FNGIR sont les grands gagnants ; les collectivités qui perçoivent les dotations de compensation -territoires industriels et zones rurales fragiles- sont pénalisées par leur gel. On leur inflige une double peine.

Selon l'ADCF, les incidences de la réforme fiscale sur le bloc communal sont très contrastées. Certains territoires tirent leur épingle du jeu quand ils bénéficient de valeurs locatives dynamiques. Ce n'est pas le cas de ceux qui pâtissent d'un marché immobilier faible. Encore une double peine, avec le risque de baisse des dotations de l'État. Ces territoires sont malheureusement nombreux ; le nouveau fonds de péréquation communal et intercommunal n'y suffira pas. Il faut une réforme globale pour que le principe d'égalité des territoires devienne une réalité.

Mme la présidente.  - A l'évidence, nous ne pourrons finir ce débat dans les temps impartis. Ne souhaitant pas créer un précédent, je vais lever la séance et laisserai à la conférence des présidents le soin de trouver, avec le groupe du RDSE, une autre date pour poursuivre notre débat.

Prochaine séance demain, jeudi 31 janvier 2013, à 9 heures.

La séance est levée à 18 h 40.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 31 janvier 2013

Séance publique

De 9 heures à 13 heures

1. Suite de la proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels (n°555, 2011-2012)

Rapport de Mme Isabelle Debré, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°181, 2012-2013)

Texte de la commission (n°182, 2012-2013)

2. Proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable (n°682 rectifié, 2011-2012)

Rapport de M. Yvon Collin, fait au nom de la commission des finances (n°287, 2012-2013)

Résultat des travaux de la commission (n°288, 2012-2013)

Avis de M. Claude Domeizel, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n°291, 2012-2013)

Avis de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques (n°298, 2012-2013)

Avis de M. Yves Rome, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (n°299, 2012-2013)

A 15 heures

3. Questions cribles thématiques sur le commerce extérieur

De 16 heures à 20 heures

4. Proposition de loi portant réforme de la biologie médicale (n°243, 2012-2013)

Rapport de M. Jacky Le Menn, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°277, 2012-2013)

Texte de la commission (n°278, 2012-2013)