SÉANCE

du jeudi 28 février 2013

67e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

Secrétaires : M. Hubert Falco, Mme Catherine Procaccia.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Application de l'article 11 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion commune du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 11 de la Constitution et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 11 de la Constitution.

Discussion générale commune

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Nous abordons la discussion de deux projets de loi relatifs à la mise en oeuvre du référendum d'initiative partagée, après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Notre démocratie est fille de Montesquieu et de Rousseau : démocratie représentative et souveraineté populaire vont de pair. L'article 11 énonce les conditions dans lesquelles une révision constitutionnelle peut être effectuée. Le président de la République peut, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, organiser un référendum mais le champ en est strictement défini : organisation des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ratification d'un traité ayant des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Ces deux projets de loi mettent en oeuvre la révision constitutionnelle de 2008. Initiative partagée, faut-il dire alors qu'on parle improprement d'initiative populaire.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Eh oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - La discussion de ces projets de loi a été demandée par le groupe UMP...

M. Charles Revet.  - Oui.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - ...pour faire échec à l'examen du projet de loi relatif au mariage pour tous.

M. Charles Revet.  - Pas du tout !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les députés UMP ont demandé qu'ils soient débattus avant l'examen du projet de loi sur le mariage pour tous. Nous divergeons donc sur les circonstances dans lesquelles vous avez formulé cette demande.

La voie référendaire ne change en rien le champ d'application énoncé par l'article 11 de la Constitution. Ce texte a été remanié par la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les défauts du texte adopté en janvier 2012 par l'Assemblée nationale sont tels que j'aurais préféré travailler sur un autre texte. La commission des lois a procédé à sa réécriture.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Ample !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le texte a été amélioré en effet.

Le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale prévoyait une commission indépendante pour recueillir les signatures de parlementaires et des soutiens des électeurs. Le texte que vous avez élaboré confie au ministère de l'intérieur ce recueil, sous contrôle du Conseil constitutionnel, en portant le délai de trois à six mois. Ce sont des améliorations substantielles.

Il ne s'agit pas d'un référendum d'initiative populaire.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Nous ne l'avons jamais dit.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Toutes ces dernières semaines, nous avons entendu répéter qu'il fallait donner la parole au peuple, renouer avec la souveraineté populaire...

M. Charles Revet.  - Oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Nous devons respecter la Constitution. Il y a eu des débats à propos du champ de l'article 11. La question de savoir s'il fallait inclure les questions de société a été posée par le législateur.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Le constituant !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Vous avez raison ! Les mots comptent. Le constituant a considéré que les sujets de société ne devaient pas être inclus dans le champ référendaire. Il n'y a donc pas lieu de redonner la parole au peuple ! La souveraineté appartient au peuple mais il n'est pas disponible pour l'exercer au quotidien : la démocratie, pour Montesquieu, ne saurait être que représentative.

M. Charles Revet.  - Le peuple a du bon sens !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Oui, mais le bon sens ne fait pas nécessairement de bonnes lois. Je vous renvoie à René Char : « La bêtise aime à gouverner. Ôtons-lui toutes ses chances et commençons par mettre le feu dans les villages du bon sens ».

Jean-Jacques Rousseau convenait, avec Montesquieu, que le peuple peut confier sa souveraineté à ses représentants mais s'en écartait en considérant que mandat était impératif.

Nous sommes donc davantage dans le droit de pétition que dans la voie référendaire. Le peuple est appelé à soutenir une initiative parlementaire. Le président de la République observe si, au terme de quatre mois selon les députés (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, le confirme), le Parlement ne s'est pas saisi de la proposition de loi, et alors il interroge le peuple par référendum.

La commission des lois a proposé d'élaborer un type particulier de proposition de loi à cette fin. Le Conseil constitutionnel disposait d'un mois pour constater le respect du champ référendaire puis d'un mois encore pour vérifier que les soutiens sont crédibles, fiables.

Il faudrait 185 parlementaires. Cette voie d'initiative partagée est donc réservée aux grands groupes. (M. Jacques Mézard le déplore)

Mme Hélène Lipietz.  - Eh oui !

M. Jacques Mézard.  - C'est l'UMPS.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Dans vos débats en commission, votre rapporteur, M. Sueur, se référait à l'admirable Robert Badinter, citant Giraudoux : l'imagination est la première forme du talent juridique (M. René Garrec s'exclame), avant de rappeler ce bon mot de Clemenceau : qu'est-ce qu'un chameau ? Un cheval dessiné par une commission parlementaire...

M. Charles Revet.  - Ce n'est guère élogieux pour le Parlement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - J'espère que les travaux de ce jour rendront au chameau toute son allure. Il y a une course de haies avant de parvenir à consulter le peuple. Je devrai dire que la manoeuvre de l'UMP...

M. Charles Revet.  - Ce n'est pas une manoeuvre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - ...aura abouti à une impasse. Il ne sera pas possible d'utiliser le référendum pour le mariage pour tous. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois .  - Ces textes ont été inscrits par le groupe UMP du Sénat dans le cadre de son temps réservé et, de peur que nous ne puissions en achever l'examen aujourd'hui, dans le prochain temps et même le suivant.

Rapporteur, je pouvais proposer à la commission des lois de considérer qu'il y avait là quelque manoeuvre : faire en sorte de parler de référendum au moment où un projet de loi amène un certain nombre de personnes à souhaiter un tel référendum. Nous aurions pu voter une question préalable. Ce ne fut pas mon choix, ni celui de la commission.

MM. Charles Revet et René Garrec.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Je revendique cette attitude foncièrement et résolument républicaine. Il y a notre Constitution et son article 11, modifié en 2008. Quelles qu'aient été nos convictions à l'époque, c'est notre Constitution, celle de tous les Français. Il est écrit qu'une loi organique est nécessaire. Dès lors, le législateur ne peut dire qu'il n'y a pas lieu de voter une loi organique.

L'article 11 nouveau est un trompe-l'oeil. Beaucoup de nos concitoyens croient à tort qu'il instaure un référendum d'initiative populaire alors qu'il instaure un référendum d'initiative partagée.

Vous avez eu raison de rappeler que Robert Badinter soulignait qu'il s'apparente davantage à une pétition. Il faut qu'un cinquième des parlementaires signent un texte qui prenne la forme d'une proposition de loi. Le Conseil constitutionnel vérifiera qu'elle est conforme à la Constitution. Pour que la procédure continue, il faut qu'un dixième de l'électorat, soit 4,5 millions de personnes, apportent leur soutien.

Puis, « si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le président de la République la soumet à référendum ». Ainsi, les 4,5 millions de signataires n'ont que l'effet de signifier au Parlement qu'il doit examiner cette question. Parlons clair : il y a six groupes au Sénat et autant à l'Assemblée nationale. Chaque groupe dispose d'un temps réservé : il suffit que l'un d'eux l'inscrive dans son temps et la proposition de loi est examinée, quelle que soit l'issue du vote. Le président de la République, dès lors que chaque assemblée en aura traité, ne pourra plus organiser de référendum puisqu'il ne peut soumettre la question à référendum que si les deux assemblées ne l'ont pas traitée.

M. René Garrec.  - Il le « doit » !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Il s'agit donc d'une procédure compliquée pour faire en sorte que le Parlement traite d'un sujet.

Mais autant dire que c'est un trompe-l'oeil, qui s'applique à un faux-semblant. Bien des gardes des sceaux, bien des premiers ministres et des constitutionnalistes ont dit et répété que le champ de l'article 11 ne s'étend pas aux sujets dits de société. M. Toubon l'a rappelé en son temps, très clairement.

Nous allons examiner ce texte car nous avons un devoir républicain de respecter la Constitution et d'élaborer la loi organique. La plupart des amendements que j'ai proposés sont intégrés dans le texte de la commission.

J'ai proposé, premièrement, de prendre à la lettre la Constitution : il s'agit d'une initiative signée par un cinquième des parlementaires qui « prend la forme d'une proposition de loi ». D'où notre proposition de créer une proposition de loi d'un type nouveau, la proposition de loi référendaire, signée par les parlementaires des deux assemblées. Il est impossible de faire autrement. Nous demandons que les signataires, députés et sénateurs, disent sur le bureau de quelle assemblée ils la déposent.

Pour recueillir les 4,5 millions de signataires, nous proposons de porter le délai de trois à six mois, mais nous réduisons la période durant laquelle le Parlement doit examiner le sujet de douze à neuf mois.

Je propose ensuite de supprimer le délai de quatre mois qu'à tort, les députés ont donné au président de la République pour soumettre le texte à référendum. Cela est contraire à la Constitution et excède les pouvoirs du législateur organique. Il n'y aura plus de délais. Dès le lendemain de l'expiration du délai de neuf mois, le président de la République pourra soumettre le texte à référendum. Une fois que celui-ci aura eu lieu, le président de la République aura quinze jours pour promulguer la loi.

Les députés ont proposé que le recueil des signatures des citoyens ne puisse avoir lieu que par voie électronique. Nous ne sommes pas d'accord. Nos concitoyens doivent pouvoir remplir un formulaire écrit.

Nous renvoyons au décret pour les modalités.

Nous supprimons donc l'obligation d'installer une borne électronique dans chaque chef-lieu de canton, dont on ne sait de toute façon quel sera l'avenir avec l'adoption de certain projet de loi en navette...

Le contrôle du dispositif revient, selon la Constitution, au Conseil constitutionnel. Je ne vois pas de fondement à la commission créée par les députés. Nous vous proposons de maintenir la totalité des prérogatives du Conseil constitutionnel, qui pourra s'adjoindre du personnel pour les exercer.

Nous proposons de clarifier et de mieux codifier les dispositions pénales prévues pour sanctionner toute fraude relative au recueil ou à l'usage de signature. Nous avons rencontré la présidente de la Cnil, dont le concours nous a été précieux.

Nous avons tiré toutes les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel, de 2000, selon laquelle les dispositions d'organisation du référendum étaient fixées à chaque fois par décret. D'où l'insertion d'un titre nouveau dans le code électoral.

Telles sont les six modifications substantielles que nous proposons. J'ai interrogé la commission sur le financement de la campagne pour recueillir les signatures, certains ayant émis l'idée de la participation d'autres instances que les partis politiques à cette campagne. La commission des lois a estimé qu'il était sage de s'en tenir aux dispositions existantes pour éviter des détournements, voire du lobbying, et de s'en remettre au bénévolat des citoyens.

Notre attitude est républicaine. Par ces amendements, nous changeons profondément le texte adopté par l'Assemblée nationale afin qu'il soit le plus possible fidèle à la lettre et à l'esprit de la Constitution. (Applaudissements à gauche)

Mme Éliane Assassi .  - Ces propositions de loi ont été inscrites à la demande du groupe UMP pour mettre en oeuvre des dispositions que nous avions dénoncées dès l'origine comme mort-nées.

Comme l'a confirmé la commission des lois, nous ne débattons que d'une nouvelle forme d'initiative parlementaire soutenue par le droit de pétition. La réforme voulue par Nicolas Sarkozy en 2008, présentée comme un pas en avant vers l'initiative citoyenne, n'était qu'un leurre. Il ne s'agit pas d'initiative partagée mais d'initiative parlementaire, validée par une forme de pétition.

La commission Vedel, mise en place par Français Mitterrand en 1993, avait proposé un dispositif similaire mais le projet préparé par le Gouvernement retenait un référendum d'initiative populaire, excluant l'initiative parlementaire. Il ne fut jamais soumis au vote.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Et pour cause !

Mme Éliane Assassi.  - En 2008, Arnaud Montebourg avait tenté d'y revenir par amendement avant de se rallier à celui du rapporteur, M. Warsmann, qui devint ensuite le dispositif d'initiative partagée modifiant l'article 11 de la Constitution.

Tous les observateurs ont noté le caractère rédhibitoire du nombre de signatures à recueillir dans le délai fixé, même allongé par la commission des lois. Six mois, c'est un délai extrêmement court. D'autant que le double contrôle du Conseil constitutionnel limitera l'initiative parlementaire, à supposer qu'elle s'exerce un jour, ce dont nous doutons.

Ces textes sont trompeurs. C'est seulement fin décembre 2011, cinq ans après l'adoption de la révision de l'article 11, que François Fillon les a soumis au vote des députés. Michel Vauzelle avait dit alors que l'initiative référendaire ne se partage pas. Est-il acceptable que la gauche fasse sien ce projet qu'elle décriait hier ? Nous sommes partisans d'une profonde réforme des institutions, sinon la fracture entre représentants et représentés s'accentuera d'année en année. Notre peuple, attentif à la chose publique et passionné de débats, perd confiance et croit de moins en moins à l'action politique. Il veut participer au pouvoir...

M. Charles Revet.  - Il le peut.

Mme Éliane Assassi.  - Or la participation des citoyens, malgré l'illusion de la réactivité que suscitent les réseaux sociaux, régresse en fait. Le résultat des élections italiennes devrait alerter.

De quel monstre accouchera la soumission de la politique aux marchés ? Nous réclamons depuis des années le référendum d'initiative populaire. La gauche au pouvoir, loin de la poudre aux yeux sarkosystes, devrait changer les institutions, renouveler la démocratie, convoquer une assemblée constituante, écouter la colère qui monte des villes et des campagnes. Nous ne participerons pas à ce vote. Nous appelons à une vraie rénovation de nos institutions qui fasse droit à l'initiative populaire et citoyenne. (Applaudissements sur quelques bancs à gauche, M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois, applaudit aussi)

M. Yves Détraigne .  - Je constate avec une certaine satisfaction que nous arrivons au terme de l'examen de ces textes, le principe d'un référendum d'initiative partagée ayant connu une longue gestation depuis les commissions Vedel et Balladur.

Avant la Ve République, seuls les élus pouvaient exprimer la volonté générale ; le référendum, rappelant l'usage plébiscitaire qu'en firent Napoléon 1er et Napoléon III, suscitait le soupçon.

Nos concitoyens ont désormais un rôle éminent à jouer. Le Conseil constitutionnel a estimé, dès 1962, que l'adoption d'une proposition de loi par le peuple par référendum vaut expression directe de la souveraineté reconnue du pouvoir constituant originaire. Le constituant de 1958 voulait que l'exécutif pût surmonter l'opposition du Parlement. Le référendum ressortit au parlementarisme rationalisé, le peuple étant l'organe constitutionnel suprême pour résoudre les litiges entre le Gouvernement et le Parlement. Mais les citoyens demeurent passifs dans une telle conception de l'association du peuple.

Le président Sueur a justement noté que ce référendum est d'initiative parlementaire appuyée par la volonté populaire. C'est un nouveau moyen mis à disposition des groupes minoritaires et de l'opposition pour invoquer la volonté du peuple face au pouvoir en place.

J'ai néanmoins quelques doutes sur l'applicabilité de cette procédure lourde et contraignante, soumise au contrôle de recevabilité du Conseil constitutionnel. Chaque étape agit comme un filtre puissant qui en limitera la portée. Le référendum existera juridiquement, mais sera-t-il opérant ?

Le groupe UDI-UC soutient la démarche quasi consensuelle et réfléchie de la commission des lois à l'initiative de son président-rapporteur, en cohérence avec notre soutien à la révision constitutionnelle de 2008, laquelle, malgré les critiques virulentes exprimées à l'époque, a réellement fait avancer notre démocratie et revalorisé le Parlement. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

M. Jacques Mézard .  - Nous, radicaux, avons toujours pensé le plus grand mal de la Constitution de la Ve République. Elle existe, il faut l'appliquer, nous voterons le texte élaboré proposé par le président de la commission des lois et adopté par la majorité de ses membres.

Michel Rocard a dit éloquemment ce qu'il fallait penser du référendum sous la Ve République : on pose une question, les gens s'en posent d'autres et ils votent sans tenir compte de la question. Le référendum s'est peu à peu délité pour devenir un outil dont les gouvernants, qui peuvent se tromper lourdement -voyez celui de 2005- pensent connaître le résultat à l'avance, pour recueillir l'assentiment du peuple à des décisions déjà toutes faites.

Il s'agissait en 2008, nous a-t-on dit, de « mieux associer le peuple aux prises de décision », pour, soi-disant, combler le « fossé » entre le peuple et le législateur.

De qui relève in fine la légitimité de la décision politique ? L'article 3 de la Constitution rappelle que la souveraineté appartient au peuple et non aux groupes de pression. Qu'est-ce que l'opinion publique ? Les travaux d'éminents sociologues montrent qu'elle n'existe pas -Pierre Bourdieu- mais se fabrique -Patrick Champagne.

« Agiter le peuple avant de s'en servir », disait Talleyrand ! (Sourires) Nous, radicaux de gauche, nous méfions des professionnels de la pétition et des maîtres des techniques de communication, aptes à vendre une idée pour servir leurs intérêts.

Ce référendum conserve toute son utilité s'il est l'approbation ultime par le peuple -non par l'opinion publique- des grandes décisions affectant l'avenir de la Nation. Nous nous en remettons à la démocratie représentative, même si elle peut appeler des aménagements. La sanction du peuple, c'est le scrutin électoral -dont les modifications perpétuelles ne sont pas toujours synonymes de progrès. (On s'amuse à droite) Et, entre les scrutins, les occasions ne manquent pas, pour le peuple, de dire ce qu'il pense.

La révision de 2008 serait un approfondissement de la démocratie ? Mais on n'a pas mis une grande célérité à en permettre l'application. Certes, le comité Vedel, la commission Balladur avaient fait des propositions, dont le texte de l'article 11 s'est finalement écarté. Malgré les aménagements de la commission des lois, le dispositif ne sera guère opérationnel. C'est une course d'obstacles quasi-infranchissables pour les pétitionnaires, qui déclenchera bien des insatisfactions. En cela, ce système est vicié, il n'a d'initiative populaire que le nom puisque le déclenchement de la procédure est aux mains des parlementaires -c'est-à-dire, au regard de l'obligation de recueillir la signature d'un cinquième des membres du Parlement, aux mains, que certains ne le prennent pas en mauvaise part, de l'UMPS. (Mouvement de surprise sur divers bancs) Se trouve ainsi renforcé le caractère artificiel, manichéen de la bipolarisation...

Mme Hélène Lipietz.  - Eh oui !

M. Jacques Mézard.  - ...qui est l'essence même de la Ve République. Pas plus de 97 parlementaires de la majorité n'appartenant pas au groupe socialiste, pas plus de 60 parlementaires de l'opposition n'appartenant pas au groupe UMP : on ne peut donc échapper au fait majoritaire ; où est le progrès ? L'adoption d'une motion de rejet vaut, de surcroît, examen : on n'organisera jamais autre chose que des débats. Les élus minoritaires deviennent des élus d'appoint, de témoignage -nous en avons pris l'habitude mais on peut se lasser...

« La démocratie participative », nous dit-on ? Comme si la démocratie pouvait ainsi se diviser.

M. Jean-Claude Carle.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - Avec l'hypermédiatisation et l'immédiateté ad nauseam, on n'a fait que désacraliser les élus. Des groupes de pression, c'est un risque réel, pourraient profiter de la brèche ainsi ouverte, quel que soit le résultat final. Sans parler des pressions auxquelles pourraient être soumis les élus, au risque de renouer avec le mandat impératif, interdit par l'article 27 de notre Constitution.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Absolument ! Il est souvent oublié !

M. Jacques Mézard.  - Il faudra, ensuite, une mobilisation massive des électeurs. Mais n'est-ce pas le rôle des partis que d'exprimer dans un cadre institutionnel les voeux des citoyens ? N'allons pas ouvrir la voie à d'autres organismes ou groupements, ce serait un recul dangereux.

Nous apprécions le choix de la commission des lois qui n'a pas cédé aux sirènes du modernisme sur la procédure. Le vote électronique ne présente pas suffisamment de garanties. Nous apprécions également qu'une base légale soit donnée au contrôle du Conseil constitutionnel sur les opérations d'organisation des référendums.

Notre groupe n'est pas un thuriféraire de la démocratie participative. Nous faisons d'abord confiance au peuple, non à une opinion publique fabriquée à coup de sondages. La sanction du scrutin est la seule indiscutable, aussi injuste qu'elle puisse parfois apparaître.

Notre commission a fait un excellent travail : nous voterons unanimement son texte. (Applaudissements sur divers bancs)

Mme Hélène Lipietz .  - Je salue le travail de clarification du président Sueur. Il aura fallu cinq ans pour mettre en oeuvre cette révision constitutionnelle. Certes, il faut légiférer sereinement mais les délais doivent rester raisonnables, leur allongement a autorisé tous les fantasmes. On a fait croire à un référendum d'initiative populaire : il n'en est rien ; la commission des lois a dissipé l'ambiguïté en changeant l'intitulé du texte. Les cas d'application effective du dispositif seront très limités. Voyez le mariage pour tous : les opposants, malgré une campagne de grande ampleur, peinent à rassembler le million de signature. Il en faudra 4,5 millions ! Les parlementaires qui réussiront à les recueillir mériteront une statue -qui ne sera malheureusement ni en marbre rouge, ni en marbre vert... Au-delà de cet écueil, le travail parlementaire sera la norme : le texte sera passé à sa moulinette.

Je veux alerter sur le recueil des signatures par voie électronique, alors que la fracture numérique, culturelle, éducative, générationnelle est patente. Entre 1995 et 2011, la Suisse a organisé 49 référendums.

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Ce n'est pas un modèle !

Mme Hélène Lipietz.  - Peut-être, mais la manière de recueillir des signatures l'est. Le porte-à-porte crée un contact nécessaire avec les citoyens. C'est le rapport de citoyen à citoyen qui doit primer, non le rapport à la machine. Ne déshumanisons pas la démocratie, elle n'est pas un luxe.

Les écologistes sont attachés à toutes les formes de démocratie citoyenne. Notre commission pourrait être plus ambitieuse, en actant un droit d'initiative citoyenne tel qu'il fonctionne au niveau européen. Souvenons-nous du droit de pétition consacré par l'article 4 de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Et de l'article 88 du Règlement du Sénat, qui stipule que les pétitions doivent être renvoyées à la commission des lois pour instruction. Nous ne les respectons pas !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Mais si ! Nous les examinons !

Mme Hélène Lipietz.  - Elles ne sont même pas archivées sur le site internet du Sénat.

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Heureusement !

Mme Hélène Lipietz.  - Nous voulons de vraies initiatives citoyennes, qui permettent d'inscrire à l'ordre du jour des sujets qui préoccupent nos concitoyens. Nous voulons aussi des référendums d'initiative locale pour que les citoyens reviennent aux urnes, qu'ils redeviennent acteurs de la politique, locale et nationale.

La démocratie telle que la concevait Montesquieu, ou même Rousseau, ne correspond plus à notre vision. Montesquieu ignorait que les femmes font partie du peuple : « Leurs avantages naturels sont autant de compensations à leur inégalité de droit mais la nation a distingué les hommes par la force et la raison », écrivait-il ! (Mouvements divers et exclamations)

Le projet « Parlement et citoyens », initiative que nous approuvons, rapproche les citoyens de l'exercice démocratique dans un esprit d'enrichissement mutuel. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Hugues Portelli .  - Ce texte est d'initiative partagée, dans son contenu comme dans sa procédure. Je m'en réjouis. Nous ne sommes pas, madame la garde des sceaux, à l'Assemblée nationale : si nous avons inscrit ce texte dans notre niche, ce n'est pas manoeuvre. Oubliez-vous que le texte sur le mariage sera discuté dans la niche du groupe socialiste ?

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Absolument.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je le salue !

M. Hugues Portelli.  - Le travail de notre commission des lois est d'excellente qualité, nous n'avons rien à y redire.

Ce texte est une loi organique : il vise à mettre en oeuvre la Constitution. On ne saurait, ici, innover. J'étais très réservé sur la révision de 2008, et le suis toujours. Je fus l'élève, non loin d'ici, à la faculté de droit, de René Capitan, dont on connaît la vénération pour Jean-Jacques Rousseau. Lorsque celui-ci fit oeuvre de constituant à la demande des dirigeants de la Pologne, il mit dans sa poche le contrat social... Son projet de constitution pour la Pologne n'avait pas grand-chose à voir avec la démocratie directe...

Le délai ? Oui, il a été trop long ; il l'est encore plus pour la responsabilité du chef de l'État, qui n'est toujours pas en vigueur -seule la partie relative à son immunité l'est. La loi organique, écrite dès 2007, n'a été examinée qu'en 2011 par l'Assemblée nationale. A quand un examen au Sénat ?

J'en viens au contenu du texte. Nous souscrivons aux amendements proposés par le rapporteur. La loi sera l'initiative parlementaire : autant dire que l'initiative sera réservée aux grands partis. C'est dommage. Oui, le juge constitutionnel doit être chargé du contrôle. Sur le contenu de l'article 11, le débat court depuis 1962. Par exemple, qu'est-ce que l'organisation des pouvoirs publics ? Il faudra bien, avec ces textes d'initiative, que le Conseil constitutionnel se prononce. Lors de la révision de 1995, on avait éclairci le sens de la notion de réforme économique et sociale, mais il n'y a eu aucune application de l'article 11 depuis. De la réduction du temps de travail à la réforme des retraites, les occasions n'ont pourtant pas manqué.

Autre point d'importance, les signatures. La commission des lois a bien fait d'allonger le délai, mais six mois seront-ils suffisants ? Le recueil des signatures conditionnera la délibération parlementaire : on ne pourra enterrer facilement 4,5 millions de signatures. Et l'on sera bien mal, avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête...

La commission des lois a changé l'intitulé de la loi d'initiative, pour la nommer loi d'initiative référendaire. Mais quid si cette loi n'est examinée que par le Parlement ? Ce sera une loi ordinaire, au même titre que celles qui figurent dans le reste de l'article 11.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Absolument.

M. Hugues Portelli.  - La loi n'est donc pas potentiellement référendaire. Est-il légitime de lui accoler ce qualificatif ? Qu'en pensera le Conseil constitutionnel ?

Nous avons eu un débat sur le financement de la campagne. Faire signer 4,5 millions de personnes, c'est enclencher une vraie campagne d'opinion. On risque de voir des groupes d'intérêt puissants se mettre en branle. Évitons donc de tenter le diable en ouvrant les possibilités de financement. Ne remettons pas en cause les acquis de la loi de 1993.

Nous allons voter des dispositions qui ont peu de chance d'être jamais mises en oeuvre. Je ne suis pas un thuriféraire de la démocratie représentative à la française, le pays en a payé le prix à plusieurs reprises, notamment en 1940. Elle n'a pas que des vertus. Une expérience de démocratie directe dans le cadre imposé par la Constitution, celui du respect des droits fondamentaux, vaudrait d'être tentée. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Michel .  - Les lois organiques sont faites pour appliquer la Constitution. Or, le Gouvernement a attendu cinq ans.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Pas tant !

M. Jean-Pierre Michel.  - Et il n'a jamais mis en oeuvre les dispositions relatives à la responsabilité du chef de l'État. Il a fallu ici l'initiative de Robert Badinter. Mais les choses sont restées en l'état. On sait que l'actuel chef de l'État veut les revoir.

Ces textes viennent dans la niche UMP, c'est bien. Mais on a entendu un ancien ministre et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy vitupérer et réclamer à tout prix un référendum sur le mariage pour tous.

M. Gérard Bailly.  - C'est dommage !

M. Jean-Pierre Michel.  - Propos léger quand on sait que le champ de l'article 11 n'a pas été modifié par la révision de 2008. La question s'est posée du temps de François Mitterrand, en 1984, avec la réforme de l'école, lequel estimant qu'il n'était pas inconcevable de soumettre une telle réforme au référendum. Un texte a été déposé devant le Parlement. Le Sénat a adopté une question préalable, avant que l'Assemblée nationale ne l'adopte puis que le Sénat le rejette à nouveau, mettant ainsi fin à l'initiative du président de la République. Le parlementaire que j'ai cité tout à l'heure aurait mieux fait de se taire...

Les socialistes, sur l'article 11, furent assez divisés en 2008. A l'Assemblée nationale, un amendement Montebourg proposait un référendum d'initiative populaire sur le modèle de 1984. Au Sénat, on entendit des voix contradictoires : Bernard Frimat approuvant, Robert Badinter se prononçant contre.

Rousseau triomphe en Suisse, qui le lui doit bien... (Sourires) Montesquieu a triomphé en France, même s'il a eu quelques mots datés sur les femmes -à l'époque maîtresses des rois et pas grand-chose d'autre... (Exclamations sur divers bancs)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Oh !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Sauf Olympe de Gouges et Théroigne de Méricourt !

M. Jean-Pierre Michel.  - Jean-Pierre Sueur l'a dit : nous appliquons, ici, la Constitution. Nous faisons un travail républicain et je m'étonne d'entendre les représentants de l'opposition dire qu'ils refuseront de voter quelque disposition que ce soit d'une future réforme constitutionnelle. N'y a-t-il donc aucun sujet qui fasse consensus ? Responsabilité de chef de l'État, réforme du CSM, réforme du Conseil constitutionnel ? Cette opposition frontale est dérisoire...

M. Charles Revet.  - Vous nous avez donné l'exemple !

M. Jean-Pierre Michel.  - ... et antirépublicaine.

Jean-Pierre Sueur a fait un travail remarquable, sur un projet initial bâclé, comme si le gouvernement qui avait fait voter la réforme de 2008 ne croyait pas lui-même à l'article 11. Il a nommé une nouvelle proposition de loi, la proposition de loi référendaire. Il est vrai qu'il faudra éviter qu'une telle initiative vienne en concurrence avec les voies traditionnelles d'initiative, gouvernementale et parlementaire.

Il n'était pas constitutionnel d'enfermer le président de la République dans des délais : nous avons supprimé cette disposition, comme nous avons supprimé la « commission de contrôle indépendante », terme qui me fait toujours dresser les cheveux sur la tête tant j'ai vu de personnalités « indépendantes » membres de commissions « indépendantes » grassement récompensées pour leurs bons offices. Je préfère de loin le contrôle du Conseil constitutionnel ; si on peut s'interroger sur sa composition, on sait que souvent l'habit fait le moine.

Le groupe socialiste votera ce texte utilement amendé. Au-delà des calculs politiciens des uns et des autres sur d'autres textes ici présentés, il est de notre intérêt à tous de montrer, ce matin, que le Sénat a une place dans l'élaboration de la loi et de ne pas le condamner à rester muet en CMP. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

M. Ronan Dantec .  - Hélène Lipietz a dit combien le référendum d'initiative partagé manquait d'ambition. Pourtant, il a suscité en Bretagne un débat riche et passionné...

MM. Ronan Kerdraon et Yannick Botrel.  - C'est vrai !

M. Ronan Dantec.  - ...preuve que le débat public n'est pas aussi atone qu'on ne le pense. L'amendement Le Fur-de Rugy, déclinant le référendum d'initiative partagée à l'échelle d'un département ou d'une région sur les limites administratives régionales, a répondu à de légitimes aspirations.

M. Ronan Kerdraon.  - Très bien !

M. Ronan Dantec.  - A une question démocratique, le référendum peut être la bonne réponse. Alors que se crée un pôle métropolitain unique en Bretagne, la question n'est pas de nostalgie historique mais bien d'efficacité de l'action publique. On ne cesse d'invoquer la modernisation de celle-ci et on laisserait subsister deux réseaux administratifs distincts...

M. Ronan Kerdraon.  - Eh oui !

M. Ronan Dantec.  - La suppression en commission de l'article 3 ter, au motif qu'il serait un cavalier, suscite en Bretagne la consternation.

Nous vous proposerons son rétablissement, tant il est démocratiquement vivifiant. (Vifs applaudissements sur les bancs écologistes et sur plusieurs bancs socialistes)

MM. Ronan Kerdraon et Joël Labbé.  - Très bien !

M. René Garrec.  - Vive la Bretagne !

M. Jean-Yves Leconte .  - En utilisant sa niche parlementaire, le groupe UMP nous offre l'opportunité de revenir sur la réforme constitutionnelle et de travailler, en républicains, à mener à terme une réforme votée il y a plus de quatre ans.

Il y a un an, en pleine campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy annonçait qu'il entendait faire trancher les Français sur les grands arbitrages chaque fois qu'il y aurait un blocage. Avait-il donc oublié la réforme de 2008 et le choix renouvelé, depuis les déclarations de Jacques Toubon en 1995, d'exclure les questions de société pour ne pas faire du référendum un instrument de démagogie ?

Ici, ce n'est pas un référendum d'initiative populaire que l'on met en place. Mais il est bien des aspects timorés dans cette réforme. Ce n'est en rien un bouleversement institutionnel qui permettrait de remettre en cause des engagements de campagne clairs, comme le mariage pour tous.

J'en viens au fond. Saluons d'abord le travail de notre rapporteur. Le délai de recueil des signatures a été allongé, la procédure en a été simplifiée et rendue possible sur papier. La Conseil constitutionnel retrouve ses prérogatives.

On peut être très réservé sur le référendum d'initiative populaire, par attachement à la démocratie représentative, ou estimer qu'il mérite d'être encouragé. Dans les deux cas, la question du recueil des signatures est centrale. Une signature de soutien n'est pas un vote mais un engagement politique public. C'est dire que la liste des soutiens sera publiée ; si elle a vocation à être détruite, n'oublions pas les réseaux sociaux, qui ignorent l'oubli.

C'est la pratique qui dira si les exigences mises dans cette loi sont adéquates et peuvent être réutilisées pour un éventuel référendum d'initiative populaire.

Quant au financement des campagnes, il relève de l'action politique. Ne rompons pas, comme l'a souligné le président Mézard, avec tous les efforts déployés depuis des années en faveur de la transparence des financements politiques. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques joue un rôle essentiel. Nous ne voulons pas de super-PAC à l'américaine, soumettant l'action politique à des intérêts privés.

Le groupe socialiste votera ces propositions de loi amendées sans enthousiasme excessif, en restant vigilant. Nous appelons l'ensemble des forces politiques à la responsabilité. Nous ne pouvons pas faire croire qu'il s'agirait d'un référendum d'initiative populaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Monsieur Portelli, sur l'appellation « proposition de loi référendaire », j'ai bien entendu votre remarque. Il fallait la qualifier conformément à la lettre et à l'esprit de l'article 11 de la Constitution. Il s'agit bien d'une proposition de loi spécifique. A la suite du recueil des signatures, si elle est approuvée par le Parlement, elle perdrait ce statut et deviendrait une proposition de loi comme les autres.

Madame Lipietz, la commission des lois organise une réunion chaque année, en général à la fin de la session, pour examiner les pétitions qui nous sont adressées.

La discussion générale commune est close.

Discussion des articles du projet de loi organique

Article premier A

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Le dépôt d'une proposition de loi référendaire est sans préjudice de l'application des dispositions des articles 39 et 48 de la Constitution.

M. Jean-Pierre Michel.  - Précision utile.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - En effet.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Cet amendement est une précaution pour éviter que ce nouveau type de loi aille contre celles des articles 39 et 48. Dans la mesure où votre analyse diverge de celle de l'Assemblée nationale, cette précision est utile. Je suis donc favorable à cet amendement.

L'amendement n°1 rectifié est adopté.

L'article premier A modifié est adopté.

Les articles premier, 2, 3 et 4 sont successivement adoptés.

Les articles 5 et 6 demeurent supprimés.

Article 7

Mme Hélène Lipietz .  - Cet article prévoit que la liste des soutiens pourra être consultée par toute personne. Rien n'empêchera de copier cette liste diffusée par voie électronique. Nul ne pourra donc s'assurer de sa totale destruction. La confiance excessive en la machine pose un problème démocratique.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois .  - C'est une question de transparence que l'ensemble de la liste puisse être consultée par quiconque, comme les listes électorales. Je comprends vos craintes d'un détournement ou d'un usage commercial, par exemple. Elles me sont l'occasion de préciser que toute utilisation à une autre fin que celle de la mise en oeuvre des dispositions constitutionnelles sur le référendum serait sanctionnée pénalement, en vertu de la loi Informatique et libertés.

L'article 7 est adopté.

Les articles 8 et 9 sont adoptés.

Les articles 10, 11, 12, 13, 13 bis, 13 ter, 14, 15, 16, 17, 18 et 19 demeurent supprimés.

L'article 20 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. le président.  - Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.

M. Bruno Retailleau .  - Je me réjouis de cette injection d'une dose de démocratie directe à côté de la démocratie représentative.

Les citoyens doivent participer à l'élaboration de la décision publique. Nous n'ignorons pas les dérives possibles mais notre démocratie verticale a néanmoins tout intérêt à s'horizontaliser.

Il demeure une incertitude dans la nature et la portée du dispositif. C'est un référendum d'initiative parlementaire ou, selon l'expression du doyen Vedel, « d'initiative minoritaire ». Dès lors qu'il y aura un vote du Parlement, le rejet sera définitif, ne nous leurrons pas. J'ajoute que le seuil de 4,5 millions de signataires n'a jamais été atteint en France pour aucune pétition. Voyez l'article 11 du traité de l'Union européenne : il n'y est prévu que le recueil de 1 million de signatures, dans sept pays.

Je voterai ce dispositif néanmoins.

M. Jean-Jacques Hyest .  - La commission des lois a fait un travail utile en supprimant toutes les dispositions qui débordaient le strict cadre de l'article 11, comme la création d'une commission de contrôle. Lorsqu'il a examiné, en 2008, l'extension de cet article, au-delà de l'organisation des pouvoirs publics et des traités internationaux, le Parlement fut extrêmement prudent. Comme il le fut lors de l'examen de la loi de 1984 car il était clair que certains voulaient revenir, par cette voie, sur l'abolition de la peine de mort.

C'est la dernière loi organique issue de la révision de 2008 non encore adoptée. Qui veut revenir aujourd'hui sur les nouvelles prérogatives dévolues au Parlement par cette révision dont on nous a dit tant de mal ? Personne. L'extension de l'article 11 en fait partie. M. Jean-Pierre Michel a rappelé les divergences qui ont traversé les groupes, pas seulement le sien, le nôtre aussi. Combien de temps a-t-il fallu pour établir la question prioritaire de constitutionnalité ? Pour que les citoyens puissent saisir le Conseil supérieur de la magistrature ? Ce sont des progrès qui grandissent la démocratie.

La révision de 2008 n'a pas été votée par tous mais personne ne la remet en cause aujourd'hui, je le rappelle. Faut-il revoir à nouveau le statut pénal de chef de l'État, la composition du Conseil supérieur de la magistrature ? Je ne parle pas du parquet.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je vous écoute au soupir près !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Quand nous examinerons ces projets de loi, nous penserons non en opposants mais en protecteurs des autorités publiques. Attention à ne pas verser dans la démagogie, en prévoyant que le président de la République et les ministres soient passibles de n'importe quel tribunal.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Personne ne le prévoit.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je ne suis pas prêt à laisser affaiblir la République !

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Très bien !

Le scrutin public est de droit.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 327
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 327
Contre 0

Le Sénat a adopté à l'unanimité.

(Applaudissements)

Discussion des articles du projet de loi ordinaire

Article premier A

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Sueur, au nom de la commission.

Alinéa 3

Remplacer les mots :

organisées en application de l'article 11 de la Constitution

par le mot :

référendaires

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Amendement de précision

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Favorable.

L'amendement n°5 est adopté.

L'article premier A, modifié, est adopté.

Article premier

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait, pour une personne, d'usurper l'identité d'un électeur inscrit sur la liste électorale ou de tenter de commettre cette usurpation, dans le but de se substituer à cette personne dans le cadre d'une proposition de loi référendaire est puni de dix huit mois d'emprisonnement et 20 000 € d'amende.

Mme Hélène Lipietz.  - Nous en avons beaucoup débattu en commission des lois, aussi je le reprends ici. Il convient d'introduire une incrimination supplémentaire entre celle d'usurpation d'identité générale et l'usurpation du fait d'un participant à la procédure de recueil des soutiens. Il faut absolument faire la différence entre l'électeur et la personne qui participe au soutien à cette proposition de loi référendaire.

Si l'amendement n'est pas adopté, le juge pourra du moins se reporter à notre débat, lors d'éventuels contentieux.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Votre amendement est satisfait. Dans cette procédure, il n'y a pas deux catégories de citoyens, organisateurs du recueil de signatures ou simples participants. Nous ne sommes pas dans un processus électoral. L'article L. 558-38 du code électoral s'applique. Votre proposition recoupe le texte du projet de loi. Le dispositif de recueil peut être exercé par tous les citoyens. Retrait.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Votre amendement fait référence au code électoral et au code pénal. Vous proposez une sanction plus faible alors qu'outre la personne individuelle, il est fait atteinte à la démocratie. L'article premier, tel qu'il est rédigé, convient. Comme le président de la commission des lois, nous pensons que votre préoccupation est satisfaite. Le Gouvernement préférerait que vous le retiriez : il me serait très désagréable de ne pas vous être agréable.

Mme Hélène Lipietz.  - Les juges pourront se référer à nos débats.

L'amendement n°2 est retiré.

L'article premier est adopté.

L'article 2 demeure supprimé.

L'article 3 est adopté.

L'article 3 bis demeure supprimé.

Article 3 ter (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié nonies, présenté par M. Guerriau, Mmes Jouanno et Bruguière, MM. J. Gautier et Milon, Mlle Joissains et MM. de Legge, Deneux, Zocchetto, J.L. Dupont, Leleux et P. Leroy.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L'article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Un département peut demander, sur proposition d'un cinquième des membres de son assemblée délibérante, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales dans ce département, une modification des limites régionales visant à inclure le département dans le territoire d'une région qui lui est limitrophe. » ;

2° Au deuxième alinéa, les mots : « chacune des deux régions concernées » sont remplacés par les mots : « la région dans laquelle le département a demandé à être inclus » ;

3° A la dernière phrase du troisième alinéa, les mots : « dernière délibération » sont remplacés par le mot : « demande ».

M. Dominique de Legge.  - Cet amendement n'introduit rien de nouveau mais rétablit ce qui avait été adopté à l'Assemblée nationale sur la proposition de MM. Le Fur et de Rugy. Il s'agirait, selon le rapport de M. Sueur, d'un cavalier. Mais l'article 11 a trait à l'organisation des pouvoirs publics. C'est le cas, s'agissant d'un référendum permettant à un département d'exprimer le souhait de rejoindre une autre région. Nous divergeons sur ce point. Cette préoccupation n'est pas exclusivement bretonne, même s'il y a urgence depuis quarante ans que cela traîne...

M. le président.  - Amendement identique n°4 rectifié, présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Bouchoux, M. Placé, Mmes Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Benbassa et Blandin, MM. Desessard et Gattolin et Mme Lipietz.

M. Ronan Dantec.  - Je rappelle l'article 45 de la Constitution : tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte. C'est bien le cas, comme vient de le dire M. de Legge.

Il s'agit ici de l'organisation des pouvoirs publics au niveau des collectivités territoriales : il est logique d'en discuter ce matin. Et il est un peu cavalier de nous dire, contrairement à l'Assemblée nationale, qu'il s'agirait d'un cavalier. (Sourires) Il faut enfin mettre en oeuvre un véritable processus démocratique, nous en sommes d'accord sur tous les bancs. Ne ratons pas cette occasion ! Ne fermons pas le débat, au moment où nous discutons d'introduire un peu plus de démocratie participative dans notre pays. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs écologistes et sur plusieurs bancs socialistes, au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Nous avons beaucoup de sympathie pour le département de Loire-Atlantique, la région Bretagne, la région Pays de Loire et l'ensemble des départements et régions ! (Rires et exclamations sur divers bancs) Mais ce sont des questions de droit qui motivent notre avis unanime. Ce projet de loi ne porte que sur l'article 11 de la Constitution. Or le référendum d'initiative locale relève de l'article 72-1 de la Constitution.

MM. Ronan Dantec, Jean-Vincent Placé et Bruno Retailleau.  - Non !

M. Christian Cointat.  - Mais si.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - La partie de l'article 11 dont nous débattons instaure un référendum d'initiative partagée entre le Parlement et 10 % du corps électoral, mais non pas sur les collectivités locales. Votre amendement n'a pas sa place dans le texte dont nous débattons. Il a certes été adopté à l'Assemblée nationale mais contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur qui s'y opposaient pour ces mêmes raisons de droit.

J'ajoute que l'amendement tel que vous l'avez écrit ne relève pas de l'article 72-1 de la Constitution, qui crée le référendum d'initiative locale : vous proposez une simple consultation qui n'emporte pas de décision.

Cette consultation sur un enjeu régional, que je ne mésestime pas, relève de la loi ordinaire. Vous avez deux occasions prochaines : la loi électorale dont nous débattrons dans quelques jours et le futur projet de loi de décentralisation qui pourrait inclure vos propositions si le Parlement en décide.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Cette explication est presque exhaustive, le Gouvernement la partage, même s'il comprend aussi votre impatience à voir cette procédure de consultation rendue possible. Mais ce texte n'est pas le bon support. Je m'interdis toujours de dire qu'un amendement est un cavalier : c'est un argument d'autorité déplaisant que l'on oppose à des amendements qui ouvrent souvent de vrais débats susceptibles de déboucher sur des changements législatifs, réglementaires ou de politiques publiques. Ces amendements ne sont donc pas inutiles.

Des occasions se présenteront rapidement. La réforme portée par Mme Lebranchu en est une, comme l'a dit le président de la commission des lois. Avis défavorable, donc, même si je reconnais la pertinence de cette revendication, qui pourra être traduite dans la loi grâce à votre pugnacité.

M. François Marc.  - Je ne suis pas convaincu par l'argument de droit. Cet article a été introduit à l'initiative de l'Assemblée nationale par un vote réunissant des députés de tous les groupes politiques, ce qui est assez rare pour être souligné. Il s'agit de favoriser une respiration démocratique. Un référendum peut aider à trancher des questions qui ne peuvent l'être par les partis ou groupes politiques, précisément parce qu'ils sont divisés à leur propos.

Cet amendement propose un cadre sans présumer du résultat.

M. Jean-Claude Peyronnet.  - Encore heureux !

M. François Marc.  - D'où une procédure en deux temps, pour consulter le département concerné puis la région d'accueil. Le conseil général de Loire-Atlantique a déjà manifesté à plusieurs reprises son souhait, de même que la région Bretagne, sous la présidence de Josselin de Rohan comme sous celle de Jean-Yves Le Drian.

L'amendement n'offre qu'une faculté référendaire. J'y suis tout à fait favorable. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Ronan Kerdraon.  - Nous sommes au coeur du débat de ce matin. Il s'agit de donner la possibilité pour un département de choisir sa région d'appartenance sans que la région d'origine puisse s'y opposer. Ouvrons la porte au débat ! C'est une revendication qui a été portée, en particulier, par la gauche, que de reconstituer la Bretagne historique.

MM. Dantec, Marc et de Legge ont parfaitement expliqué en quoi ce texte n'est pas un cavalier, puisqu'il renforce la démocratie locale et traite de l'organisation des pouvoirs publics. Il serait paradoxal que notre assemblée et notre majorité bloquent un processus démocratique. Nous sommes au coeur même de la décentralisation, du débat sur les langues et cultures régionales, en cohérence avec les motions adoptées par de nombreuses collectivités bretonnes. Je voterai cet amendement. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Yannick Botrel.  - Depuis plusieurs décennies, cette question se pose...

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Nous ne sommes pas au Parlement de Bretagne !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Que chacun s'exprime !

M. Yannick Botrel.  - ...mais j'a jamais été sérieusement examinée. Regardez l'Alsace : à l'initiative des assemblées alsaciennes, une consultation sera organisée sur une réorganisation territoriale.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Attendons le résultat.

M. Yannick Botrel.  - Sur le territoire de la République, les citoyens doivent pouvoir être à l'origine d'avancées. Je voterai cet amendement avec enthousiasme.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je peux comprendre votre enthousiasme à défendre la Bretagne, pas pour la procédure proposée. Ce n'est pas parce que l'Assemblée nationale a adopté cette disposition qu'elle est parfaite. Le Conseil constitutionnel censurerait cet article qui n'a rien à voir avec le débat d'aujourd'hui. Il y a déjà des référendums d'initiative locale. Votre texte est incomplet.

Vous reprenez à l'identique le texte de l'Assemblée nationale pour assurer un vote conforme mais vous devez savoir que cette procédure sera inapplicable. Nous sommes un jeudi matin, il y a des majorités de rencontre (protestations sur les bancs écologistes) mais nous sommes là pour faire des lois applicables : je ne voterai pas ces amendements.

M. Philippe Bas.  - J'ai de la sympathie pour ces amendements. La loi du 5 décembre 2010 ouvre déjà la possibilité de réunir département et région, mais rien n'existe pour rattacher un département à une autre région, pour mieux coller aux réalités géographiques et historiques -et l'on sait comment se fit, en son temps, le découpage. Il faut mieux reconnaître la capacité des citoyens de décider de leur rattachement. Les arguments juridiques de la commission des lois et de M. Hyest sont, cela étant, insurmontables. Si nous les ignorions, le Conseil constitutionnel saurait nous les rappeler. La sanction serait regrettable pour notre assemblée de sage.

Mme la garde des sceaux a déclaré cette revendication pertinente. Viendra donc le moment d'adopter ces dispositions. Nous saurons rappeler alors cet engagement. Pour l'heure, je m'abstiendrai.

M. Ronan Dantec.  - Je suis conscient de l'immodestie de mon intervention mais l'article 72-1 en son alinéa 3 me parait suffisamment clair. Il serait dommage de ne pas saisir l'occasion de modifier l'article 41-1-1 du code général des collectivités territoriales.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Cela n'a rien à voir.

M. Ronan Dantec.  - Votons l'amendement et laissons le Conseil constitutionnel se prononcer : s'il sanctionne, nous aurons les éléments pour écrire le texte adéquat, et le Gouvernement pourra déposer un projet de loi. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Christian Cointat.  - Comme membre de la commission des lois, je reconnais que les arguments de droit sont imparables. S'il faut modifier la loi, que ce soit dans un autre cadre.

Fils d'un député de Bretagne, j'avais une certaine sympathie pour ces amendements, mais ce que j'ai entendu me fait froid dans le dos : reconstituer la Bretagne historique ! Et la France ?

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Très bien !

M. Christian Cointat.  - Que faites-vous des droits des autres départements ? N'allons pas modifier la Constitution pour satisfaire les choix de quelques-uns. Il faut de la cohérence nationale. Il y va du sort de la France entière.

M. François Fortassin.  - Ces amendements présentent tous les atouts de la séduction mais je ne les voterai pas.

Les Hautes-Pyrénées pourraient rejoindre la région Paca, en quittant Midi-Pyrénées ? Cela se ferait au détriment de la République. Si nous votions cet amendement, quelle que soit ma sympathie pour les Bretons, les Basques et les Catalans, craignons la dissolution de l'unité républicaine.

M. Henri de Raincourt.  - Eh oui !

M. René Garrec.  - En 1872, le Conseil d'État a mis fin à l'obstination de certains instituteurs secrétaires de mairie à forcer ceux qui portaient mon patronyme à le franciser en se faisant appeler Legarrec.

Je parle peu le breton, que l'on me défendait d'utiliser à l'école, sauf pour aller à la pêche et à la chasse.

Un officier s'est présenté devant moi, lorsque j'ai rejoint le 2e Rima en Algérie, comme Mignard, deuxième royal de Bretagne. J'ai été un peu étonné, avant de comprendre qu'il se mettait ainsi au service de la France.

Je suis sensible aux arguments du président de la commission des lois. Si mes amis bretons présentent un nouveau texte, je le voterai mais le lieu est ici mal choisi. Je ne voterai pas ces amendements.

M. Jacques Mézard.  - Toutes les frontières administratives ne sont pas intangibles mais il y faut une réflexion globale, dans la concertation avec tous les élus du territoire. Quand j'entends parler de reconstituer la Bretagne historique, je bondis !

Pourquoi ne pas rétablir la monarchie ? (M. Ronan Dantec proteste)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Ils ne vont pas jusque-là !

M. Jacques Mézard.  - Héritiers de ceux qui ont construit la République, nous ne pouvons accepter que l'on procède ainsi, en réalisant une embuscade médiatique.

M. Hugues Portelli.  - Enfin, nous sortons du consensus mou autour d'un dispositif qui ne s'appliquera pas ! Nous parlons d'un sujet qui intéresse les gens, dans la vraie vie. Je suis professeur de droit constitutionnel, l'amendement est inconstitutionnel, c'est sûr, mais je le voterai quand même. Et que la navette se poursuive !

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Erreur !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Il n'y aura pas de navette sur cet article, monsieur le professeur, puisqu'il sera voté conforme !

M. Hugues Portelli.  - il faudra que le Gouvernement se prononce

Mme Éliane Assassi.  - Je suis dionysio-séquanaise, l'amendement m'est sympathique et je comprends le souci de mes collègues. Mais je suis attachée à l'indivision de notre République : l'amendement aurait mieux sa place dans le texte sur la décentralisation.

M. Dominique de Legge.  - Je remercie ceux qui soutiennent cet amendement, qui est plus que sympathique car il porte une espérance. Car beaucoup ont relevé, ici, que cet article 11 n'aurait guère l'occasion de prendre corps. Et voilà que lorsque vient le moyen de lui donner corps, certains manifestent leurs craintes...

Je maintiens que cet amendement est constitutionnel parce que l'article 11 traite de l'organisation des pouvoirs publics. Je préfère tenir que courir : pourquoi reporter à demain ce qui peut être fait aujourd'hui ?

Bien des Bretons éminents, à commencer par M. Le Drian et Mme Lebranchu, se sont exprimés : il faut une consultation des habitants ; à l'État de dire s'il veut engager cette consultation. Il faut attendre un autre texte ? Nous rappellerons à cette occasion l'engagement que vous avez pris aujourd'hui, madame le garde des sceaux.

M. François Zocchetto.  - La question est de savoir quelle démocratie nous voulons : exclusivement représentative ou avec un peu de consultation ? Voyez l'exemple des élections italiennes. Je fais partie d'un département rattaché, de force, à la région Pays de la Loire. Le conseil général avait émis un autre souhait. On ne pouvait, à l'époque, demander à la population son avis, et c'est dommage. On en subit les conséquences.

Si doute juridique il y a, au Conseil constitutionnel de trancher. Je suis prêt à passer outre aujourd'hui, pour toutes les raisons que j'ai dites, et c'est pourquoi, j'ai cosigné l'amendement n°1 rectifié nonies.

A la demande du groupe du RDSE, les amendements identiques n°1 rectifié nonies et 4 rectifié sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 316
Majorité absolue des suffrages exprimés 159
Pour l'adoption 58
Contre 258

Le Sénat n'a pas adopté.

(Murmures de désappointement sur les bancs écologistes)

M. Jean-Pierre Michel.  - Très bien ! Vive la République !

L'article 3 demeure supprimé.

Article 3 quater

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Sueur, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 15

Remplacer les mots :

en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, en Polynésie française, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les îles Wallis et Futuna

par les mots :

chaque collectivité d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie

II.  -  Alinéa 16

Après les mots :

Aux îles Wallis et Futuna,

insérer les mots :

à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin,

III.  -  Alinéa 18

Compléter cet alinéa par les mots :

et, aux îles Wallis et Futuna, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, au niveau de la collectivité d'outre-mer

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Cet amendement institue une commission de recensement dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et étend à ces deux collectivités la faculté ouverte pour Wallis-et-Futuna de désigner des fonctionnaires comme membres de la commission de recensement du fait de l'éloignement de la juridiction d'appel.

Il prévoit, en outre, un recensement des résultats au niveau non pas de la commune mais de la collectivité d'outre-mer pour Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et Saint-Martin qui ne connaissent pas de découpage communal sur leur territoire.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Avis favorable. L'amendement tient compte de la diversité de l'outre-mer.

L'amendement n°6 est adopté.

L'article 3 quater, modifié, est adopté.

L'article 4 est adopté.

Le projet de loi, modifié, est adopté à l'unanimité.

La séance est suspendue à 12 h 30.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.