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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Application de l'article 11 de la Constitution

Discussion générale commune

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois

Mme Éliane Assassi

M. Yves Détraigne

M. Jacques Mézard

Mme Hélène Lipietz

M. Hugues Portelli

M. Jean-Pierre Michel

M. Ronan Dantec

M. Jean-Yves Leconte

Discussion des articles du projet de loi organique

Article premier A

Article 7

Mme Hélène Lipietz

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois

Interventions sur l'ensemble

M. Bruno Retailleau

M. Jean-Jacques Hyest

Discussion des articles du projet de loi ordinaire

Article premier A

Article premier

Article 3 ter (Supprimé)

Article 3 quater

Compétitivité (Questions cribles thématiques)

M. Dominique Watrin

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique

M. Jean-Vincent Placé

M. François Fortassin

M. Jean-Pierre Raffarin

M. Aymeri de Montesquiou

M. Jean-Jacques Mirassou

M. Francis Delattre

M. Yannick Vaugrenard

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Décès d'anciens sénateurs

Vote blanc

Discussion générale

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois

M. François Fortassin

Mme Hélène Lipietz

M. Pierre Charon

M. Jean-Yves Leconte

Mme Cécile Cukierman

M. Yves Détraigne

M. Alain Vidalies, ministre délégué

Discussion des articles

Articles additionnels

Article 4

Article additionnel

Décision du Conseil constitutionnel

Maisons de naissance

Discussion générale

Mme Muguette Dini, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

M. Gilbert Barbier

Mme Aline Archimbaud

M. René-Paul Savary

Mme Catherine Génisson

Mme Laurence Cohen

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Mme Dominique Gillot

Mme Marisol Touraine, ministre

Organisme extraparlementaire (Appel à candidatures)




SÉANCE

du jeudi 28 février 2013

67e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

Secrétaires : M. Hubert Falco, Mme Catherine Procaccia.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Application de l'article 11 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion commune du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 11 de la Constitution et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 11 de la Constitution.

Discussion générale commune

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Nous abordons la discussion de deux projets de loi relatifs à la mise en oeuvre du référendum d'initiative partagée, après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Notre démocratie est fille de Montesquieu et de Rousseau : démocratie représentative et souveraineté populaire vont de pair. L'article 11 énonce les conditions dans lesquelles une révision constitutionnelle peut être effectuée. Le président de la République peut, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, organiser un référendum mais le champ en est strictement défini : organisation des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ratification d'un traité ayant des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Ces deux projets de loi mettent en oeuvre la révision constitutionnelle de 2008. Initiative partagée, faut-il dire alors qu'on parle improprement d'initiative populaire.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Eh oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - La discussion de ces projets de loi a été demandée par le groupe UMP...

M. Charles Revet.  - Oui.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - ...pour faire échec à l'examen du projet de loi relatif au mariage pour tous.

M. Charles Revet.  - Pas du tout !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les députés UMP ont demandé qu'ils soient débattus avant l'examen du projet de loi sur le mariage pour tous. Nous divergeons donc sur les circonstances dans lesquelles vous avez formulé cette demande.

La voie référendaire ne change en rien le champ d'application énoncé par l'article 11 de la Constitution. Ce texte a été remanié par la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les défauts du texte adopté en janvier 2012 par l'Assemblée nationale sont tels que j'aurais préféré travailler sur un autre texte. La commission des lois a procédé à sa réécriture.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Ample !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le texte a été amélioré en effet.

Le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale prévoyait une commission indépendante pour recueillir les signatures de parlementaires et des soutiens des électeurs. Le texte que vous avez élaboré confie au ministère de l'intérieur ce recueil, sous contrôle du Conseil constitutionnel, en portant le délai de trois à six mois. Ce sont des améliorations substantielles.

Il ne s'agit pas d'un référendum d'initiative populaire.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Nous ne l'avons jamais dit.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Toutes ces dernières semaines, nous avons entendu répéter qu'il fallait donner la parole au peuple, renouer avec la souveraineté populaire...

M. Charles Revet.  - Oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Nous devons respecter la Constitution. Il y a eu des débats à propos du champ de l'article 11. La question de savoir s'il fallait inclure les questions de société a été posée par le législateur.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Le constituant !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Vous avez raison ! Les mots comptent. Le constituant a considéré que les sujets de société ne devaient pas être inclus dans le champ référendaire. Il n'y a donc pas lieu de redonner la parole au peuple ! La souveraineté appartient au peuple mais il n'est pas disponible pour l'exercer au quotidien : la démocratie, pour Montesquieu, ne saurait être que représentative.

M. Charles Revet.  - Le peuple a du bon sens !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Oui, mais le bon sens ne fait pas nécessairement de bonnes lois. Je vous renvoie à René Char : « La bêtise aime à gouverner. Ôtons-lui toutes ses chances et commençons par mettre le feu dans les villages du bon sens ».

Jean-Jacques Rousseau convenait, avec Montesquieu, que le peuple peut confier sa souveraineté à ses représentants mais s'en écartait en considérant que mandat était impératif.

Nous sommes donc davantage dans le droit de pétition que dans la voie référendaire. Le peuple est appelé à soutenir une initiative parlementaire. Le président de la République observe si, au terme de quatre mois selon les députés (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, le confirme), le Parlement ne s'est pas saisi de la proposition de loi, et alors il interroge le peuple par référendum.

La commission des lois a proposé d'élaborer un type particulier de proposition de loi à cette fin. Le Conseil constitutionnel disposait d'un mois pour constater le respect du champ référendaire puis d'un mois encore pour vérifier que les soutiens sont crédibles, fiables.

Il faudrait 185 parlementaires. Cette voie d'initiative partagée est donc réservée aux grands groupes. (M. Jacques Mézard le déplore)

Mme Hélène Lipietz.  - Eh oui !

M. Jacques Mézard.  - C'est l'UMPS.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Dans vos débats en commission, votre rapporteur, M. Sueur, se référait à l'admirable Robert Badinter, citant Giraudoux : l'imagination est la première forme du talent juridique (M. René Garrec s'exclame), avant de rappeler ce bon mot de Clemenceau : qu'est-ce qu'un chameau ? Un cheval dessiné par une commission parlementaire...

M. Charles Revet.  - Ce n'est guère élogieux pour le Parlement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - J'espère que les travaux de ce jour rendront au chameau toute son allure. Il y a une course de haies avant de parvenir à consulter le peuple. Je devrai dire que la manoeuvre de l'UMP...

M. Charles Revet.  - Ce n'est pas une manoeuvre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - ...aura abouti à une impasse. Il ne sera pas possible d'utiliser le référendum pour le mariage pour tous. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois .  - Ces textes ont été inscrits par le groupe UMP du Sénat dans le cadre de son temps réservé et, de peur que nous ne puissions en achever l'examen aujourd'hui, dans le prochain temps et même le suivant.

Rapporteur, je pouvais proposer à la commission des lois de considérer qu'il y avait là quelque manoeuvre : faire en sorte de parler de référendum au moment où un projet de loi amène un certain nombre de personnes à souhaiter un tel référendum. Nous aurions pu voter une question préalable. Ce ne fut pas mon choix, ni celui de la commission.

MM. Charles Revet et René Garrec.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Je revendique cette attitude foncièrement et résolument républicaine. Il y a notre Constitution et son article 11, modifié en 2008. Quelles qu'aient été nos convictions à l'époque, c'est notre Constitution, celle de tous les Français. Il est écrit qu'une loi organique est nécessaire. Dès lors, le législateur ne peut dire qu'il n'y a pas lieu de voter une loi organique.

L'article 11 nouveau est un trompe-l'oeil. Beaucoup de nos concitoyens croient à tort qu'il instaure un référendum d'initiative populaire alors qu'il instaure un référendum d'initiative partagée.

Vous avez eu raison de rappeler que Robert Badinter soulignait qu'il s'apparente davantage à une pétition. Il faut qu'un cinquième des parlementaires signent un texte qui prenne la forme d'une proposition de loi. Le Conseil constitutionnel vérifiera qu'elle est conforme à la Constitution. Pour que la procédure continue, il faut qu'un dixième de l'électorat, soit 4,5 millions de personnes, apportent leur soutien.

Puis, « si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le président de la République la soumet à référendum ». Ainsi, les 4,5 millions de signataires n'ont que l'effet de signifier au Parlement qu'il doit examiner cette question. Parlons clair : il y a six groupes au Sénat et autant à l'Assemblée nationale. Chaque groupe dispose d'un temps réservé : il suffit que l'un d'eux l'inscrive dans son temps et la proposition de loi est examinée, quelle que soit l'issue du vote. Le président de la République, dès lors que chaque assemblée en aura traité, ne pourra plus organiser de référendum puisqu'il ne peut soumettre la question à référendum que si les deux assemblées ne l'ont pas traitée.

M. René Garrec.  - Il le « doit » !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Il s'agit donc d'une procédure compliquée pour faire en sorte que le Parlement traite d'un sujet.

Mais autant dire que c'est un trompe-l'oeil, qui s'applique à un faux-semblant. Bien des gardes des sceaux, bien des premiers ministres et des constitutionnalistes ont dit et répété que le champ de l'article 11 ne s'étend pas aux sujets dits de société. M. Toubon l'a rappelé en son temps, très clairement.

Nous allons examiner ce texte car nous avons un devoir républicain de respecter la Constitution et d'élaborer la loi organique. La plupart des amendements que j'ai proposés sont intégrés dans le texte de la commission.

J'ai proposé, premièrement, de prendre à la lettre la Constitution : il s'agit d'une initiative signée par un cinquième des parlementaires qui « prend la forme d'une proposition de loi ». D'où notre proposition de créer une proposition de loi d'un type nouveau, la proposition de loi référendaire, signée par les parlementaires des deux assemblées. Il est impossible de faire autrement. Nous demandons que les signataires, députés et sénateurs, disent sur le bureau de quelle assemblée ils la déposent.

Pour recueillir les 4,5 millions de signataires, nous proposons de porter le délai de trois à six mois, mais nous réduisons la période durant laquelle le Parlement doit examiner le sujet de douze à neuf mois.

Je propose ensuite de supprimer le délai de quatre mois qu'à tort, les députés ont donné au président de la République pour soumettre le texte à référendum. Cela est contraire à la Constitution et excède les pouvoirs du législateur organique. Il n'y aura plus de délais. Dès le lendemain de l'expiration du délai de neuf mois, le président de la République pourra soumettre le texte à référendum. Une fois que celui-ci aura eu lieu, le président de la République aura quinze jours pour promulguer la loi.

Les députés ont proposé que le recueil des signatures des citoyens ne puisse avoir lieu que par voie électronique. Nous ne sommes pas d'accord. Nos concitoyens doivent pouvoir remplir un formulaire écrit.

Nous renvoyons au décret pour les modalités.

Nous supprimons donc l'obligation d'installer une borne électronique dans chaque chef-lieu de canton, dont on ne sait de toute façon quel sera l'avenir avec l'adoption de certain projet de loi en navette...

Le contrôle du dispositif revient, selon la Constitution, au Conseil constitutionnel. Je ne vois pas de fondement à la commission créée par les députés. Nous vous proposons de maintenir la totalité des prérogatives du Conseil constitutionnel, qui pourra s'adjoindre du personnel pour les exercer.

Nous proposons de clarifier et de mieux codifier les dispositions pénales prévues pour sanctionner toute fraude relative au recueil ou à l'usage de signature. Nous avons rencontré la présidente de la Cnil, dont le concours nous a été précieux.

Nous avons tiré toutes les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel, de 2000, selon laquelle les dispositions d'organisation du référendum étaient fixées à chaque fois par décret. D'où l'insertion d'un titre nouveau dans le code électoral.

Telles sont les six modifications substantielles que nous proposons. J'ai interrogé la commission sur le financement de la campagne pour recueillir les signatures, certains ayant émis l'idée de la participation d'autres instances que les partis politiques à cette campagne. La commission des lois a estimé qu'il était sage de s'en tenir aux dispositions existantes pour éviter des détournements, voire du lobbying, et de s'en remettre au bénévolat des citoyens.

Notre attitude est républicaine. Par ces amendements, nous changeons profondément le texte adopté par l'Assemblée nationale afin qu'il soit le plus possible fidèle à la lettre et à l'esprit de la Constitution. (Applaudissements à gauche)

Mme Éliane Assassi .  - Ces propositions de loi ont été inscrites à la demande du groupe UMP pour mettre en oeuvre des dispositions que nous avions dénoncées dès l'origine comme mort-nées.

Comme l'a confirmé la commission des lois, nous ne débattons que d'une nouvelle forme d'initiative parlementaire soutenue par le droit de pétition. La réforme voulue par Nicolas Sarkozy en 2008, présentée comme un pas en avant vers l'initiative citoyenne, n'était qu'un leurre. Il ne s'agit pas d'initiative partagée mais d'initiative parlementaire, validée par une forme de pétition.

La commission Vedel, mise en place par Français Mitterrand en 1993, avait proposé un dispositif similaire mais le projet préparé par le Gouvernement retenait un référendum d'initiative populaire, excluant l'initiative parlementaire. Il ne fut jamais soumis au vote.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Et pour cause !

Mme Éliane Assassi.  - En 2008, Arnaud Montebourg avait tenté d'y revenir par amendement avant de se rallier à celui du rapporteur, M. Warsmann, qui devint ensuite le dispositif d'initiative partagée modifiant l'article 11 de la Constitution.

Tous les observateurs ont noté le caractère rédhibitoire du nombre de signatures à recueillir dans le délai fixé, même allongé par la commission des lois. Six mois, c'est un délai extrêmement court. D'autant que le double contrôle du Conseil constitutionnel limitera l'initiative parlementaire, à supposer qu'elle s'exerce un jour, ce dont nous doutons.

Ces textes sont trompeurs. C'est seulement fin décembre 2011, cinq ans après l'adoption de la révision de l'article 11, que François Fillon les a soumis au vote des députés. Michel Vauzelle avait dit alors que l'initiative référendaire ne se partage pas. Est-il acceptable que la gauche fasse sien ce projet qu'elle décriait hier ? Nous sommes partisans d'une profonde réforme des institutions, sinon la fracture entre représentants et représentés s'accentuera d'année en année. Notre peuple, attentif à la chose publique et passionné de débats, perd confiance et croit de moins en moins à l'action politique. Il veut participer au pouvoir...

M. Charles Revet.  - Il le peut.

Mme Éliane Assassi.  - Or la participation des citoyens, malgré l'illusion de la réactivité que suscitent les réseaux sociaux, régresse en fait. Le résultat des élections italiennes devrait alerter.

De quel monstre accouchera la soumission de la politique aux marchés ? Nous réclamons depuis des années le référendum d'initiative populaire. La gauche au pouvoir, loin de la poudre aux yeux sarkosystes, devrait changer les institutions, renouveler la démocratie, convoquer une assemblée constituante, écouter la colère qui monte des villes et des campagnes. Nous ne participerons pas à ce vote. Nous appelons à une vraie rénovation de nos institutions qui fasse droit à l'initiative populaire et citoyenne. (Applaudissements sur quelques bancs à gauche, M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois, applaudit aussi)

M. Yves Détraigne .  - Je constate avec une certaine satisfaction que nous arrivons au terme de l'examen de ces textes, le principe d'un référendum d'initiative partagée ayant connu une longue gestation depuis les commissions Vedel et Balladur.

Avant la Ve République, seuls les élus pouvaient exprimer la volonté générale ; le référendum, rappelant l'usage plébiscitaire qu'en firent Napoléon 1er et Napoléon III, suscitait le soupçon.

Nos concitoyens ont désormais un rôle éminent à jouer. Le Conseil constitutionnel a estimé, dès 1962, que l'adoption d'une proposition de loi par le peuple par référendum vaut expression directe de la souveraineté reconnue du pouvoir constituant originaire. Le constituant de 1958 voulait que l'exécutif pût surmonter l'opposition du Parlement. Le référendum ressortit au parlementarisme rationalisé, le peuple étant l'organe constitutionnel suprême pour résoudre les litiges entre le Gouvernement et le Parlement. Mais les citoyens demeurent passifs dans une telle conception de l'association du peuple.

Le président Sueur a justement noté que ce référendum est d'initiative parlementaire appuyée par la volonté populaire. C'est un nouveau moyen mis à disposition des groupes minoritaires et de l'opposition pour invoquer la volonté du peuple face au pouvoir en place.

J'ai néanmoins quelques doutes sur l'applicabilité de cette procédure lourde et contraignante, soumise au contrôle de recevabilité du Conseil constitutionnel. Chaque étape agit comme un filtre puissant qui en limitera la portée. Le référendum existera juridiquement, mais sera-t-il opérant ?

Le groupe UDI-UC soutient la démarche quasi consensuelle et réfléchie de la commission des lois à l'initiative de son président-rapporteur, en cohérence avec notre soutien à la révision constitutionnelle de 2008, laquelle, malgré les critiques virulentes exprimées à l'époque, a réellement fait avancer notre démocratie et revalorisé le Parlement. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

M. Jacques Mézard .  - Nous, radicaux, avons toujours pensé le plus grand mal de la Constitution de la Ve République. Elle existe, il faut l'appliquer, nous voterons le texte élaboré proposé par le président de la commission des lois et adopté par la majorité de ses membres.

Michel Rocard a dit éloquemment ce qu'il fallait penser du référendum sous la Ve République : on pose une question, les gens s'en posent d'autres et ils votent sans tenir compte de la question. Le référendum s'est peu à peu délité pour devenir un outil dont les gouvernants, qui peuvent se tromper lourdement -voyez celui de 2005- pensent connaître le résultat à l'avance, pour recueillir l'assentiment du peuple à des décisions déjà toutes faites.

Il s'agissait en 2008, nous a-t-on dit, de « mieux associer le peuple aux prises de décision », pour, soi-disant, combler le « fossé » entre le peuple et le législateur.

De qui relève in fine la légitimité de la décision politique ? L'article 3 de la Constitution rappelle que la souveraineté appartient au peuple et non aux groupes de pression. Qu'est-ce que l'opinion publique ? Les travaux d'éminents sociologues montrent qu'elle n'existe pas -Pierre Bourdieu- mais se fabrique -Patrick Champagne.

« Agiter le peuple avant de s'en servir », disait Talleyrand ! (Sourires) Nous, radicaux de gauche, nous méfions des professionnels de la pétition et des maîtres des techniques de communication, aptes à vendre une idée pour servir leurs intérêts.

Ce référendum conserve toute son utilité s'il est l'approbation ultime par le peuple -non par l'opinion publique- des grandes décisions affectant l'avenir de la Nation. Nous nous en remettons à la démocratie représentative, même si elle peut appeler des aménagements. La sanction du peuple, c'est le scrutin électoral -dont les modifications perpétuelles ne sont pas toujours synonymes de progrès. (On s'amuse à droite) Et, entre les scrutins, les occasions ne manquent pas, pour le peuple, de dire ce qu'il pense.

La révision de 2008 serait un approfondissement de la démocratie ? Mais on n'a pas mis une grande célérité à en permettre l'application. Certes, le comité Vedel, la commission Balladur avaient fait des propositions, dont le texte de l'article 11 s'est finalement écarté. Malgré les aménagements de la commission des lois, le dispositif ne sera guère opérationnel. C'est une course d'obstacles quasi-infranchissables pour les pétitionnaires, qui déclenchera bien des insatisfactions. En cela, ce système est vicié, il n'a d'initiative populaire que le nom puisque le déclenchement de la procédure est aux mains des parlementaires -c'est-à-dire, au regard de l'obligation de recueillir la signature d'un cinquième des membres du Parlement, aux mains, que certains ne le prennent pas en mauvaise part, de l'UMPS. (Mouvement de surprise sur divers bancs) Se trouve ainsi renforcé le caractère artificiel, manichéen de la bipolarisation...

Mme Hélène Lipietz.  - Eh oui !

M. Jacques Mézard.  - ...qui est l'essence même de la Ve République. Pas plus de 97 parlementaires de la majorité n'appartenant pas au groupe socialiste, pas plus de 60 parlementaires de l'opposition n'appartenant pas au groupe UMP : on ne peut donc échapper au fait majoritaire ; où est le progrès ? L'adoption d'une motion de rejet vaut, de surcroît, examen : on n'organisera jamais autre chose que des débats. Les élus minoritaires deviennent des élus d'appoint, de témoignage -nous en avons pris l'habitude mais on peut se lasser...

« La démocratie participative », nous dit-on ? Comme si la démocratie pouvait ainsi se diviser.

M. Jean-Claude Carle.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - Avec l'hypermédiatisation et l'immédiateté ad nauseam, on n'a fait que désacraliser les élus. Des groupes de pression, c'est un risque réel, pourraient profiter de la brèche ainsi ouverte, quel que soit le résultat final. Sans parler des pressions auxquelles pourraient être soumis les élus, au risque de renouer avec le mandat impératif, interdit par l'article 27 de notre Constitution.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Absolument ! Il est souvent oublié !

M. Jacques Mézard.  - Il faudra, ensuite, une mobilisation massive des électeurs. Mais n'est-ce pas le rôle des partis que d'exprimer dans un cadre institutionnel les voeux des citoyens ? N'allons pas ouvrir la voie à d'autres organismes ou groupements, ce serait un recul dangereux.

Nous apprécions le choix de la commission des lois qui n'a pas cédé aux sirènes du modernisme sur la procédure. Le vote électronique ne présente pas suffisamment de garanties. Nous apprécions également qu'une base légale soit donnée au contrôle du Conseil constitutionnel sur les opérations d'organisation des référendums.

Notre groupe n'est pas un thuriféraire de la démocratie participative. Nous faisons d'abord confiance au peuple, non à une opinion publique fabriquée à coup de sondages. La sanction du scrutin est la seule indiscutable, aussi injuste qu'elle puisse parfois apparaître.

Notre commission a fait un excellent travail : nous voterons unanimement son texte. (Applaudissements sur divers bancs)

Mme Hélène Lipietz .  - Je salue le travail de clarification du président Sueur. Il aura fallu cinq ans pour mettre en oeuvre cette révision constitutionnelle. Certes, il faut légiférer sereinement mais les délais doivent rester raisonnables, leur allongement a autorisé tous les fantasmes. On a fait croire à un référendum d'initiative populaire : il n'en est rien ; la commission des lois a dissipé l'ambiguïté en changeant l'intitulé du texte. Les cas d'application effective du dispositif seront très limités. Voyez le mariage pour tous : les opposants, malgré une campagne de grande ampleur, peinent à rassembler le million de signature. Il en faudra 4,5 millions ! Les parlementaires qui réussiront à les recueillir mériteront une statue -qui ne sera malheureusement ni en marbre rouge, ni en marbre vert... Au-delà de cet écueil, le travail parlementaire sera la norme : le texte sera passé à sa moulinette.

Je veux alerter sur le recueil des signatures par voie électronique, alors que la fracture numérique, culturelle, éducative, générationnelle est patente. Entre 1995 et 2011, la Suisse a organisé 49 référendums.

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Ce n'est pas un modèle !

Mme Hélène Lipietz.  - Peut-être, mais la manière de recueillir des signatures l'est. Le porte-à-porte crée un contact nécessaire avec les citoyens. C'est le rapport de citoyen à citoyen qui doit primer, non le rapport à la machine. Ne déshumanisons pas la démocratie, elle n'est pas un luxe.

Les écologistes sont attachés à toutes les formes de démocratie citoyenne. Notre commission pourrait être plus ambitieuse, en actant un droit d'initiative citoyenne tel qu'il fonctionne au niveau européen. Souvenons-nous du droit de pétition consacré par l'article 4 de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Et de l'article 88 du Règlement du Sénat, qui stipule que les pétitions doivent être renvoyées à la commission des lois pour instruction. Nous ne les respectons pas !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Mais si ! Nous les examinons !

Mme Hélène Lipietz.  - Elles ne sont même pas archivées sur le site internet du Sénat.

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Heureusement !

Mme Hélène Lipietz.  - Nous voulons de vraies initiatives citoyennes, qui permettent d'inscrire à l'ordre du jour des sujets qui préoccupent nos concitoyens. Nous voulons aussi des référendums d'initiative locale pour que les citoyens reviennent aux urnes, qu'ils redeviennent acteurs de la politique, locale et nationale.

La démocratie telle que la concevait Montesquieu, ou même Rousseau, ne correspond plus à notre vision. Montesquieu ignorait que les femmes font partie du peuple : « Leurs avantages naturels sont autant de compensations à leur inégalité de droit mais la nation a distingué les hommes par la force et la raison », écrivait-il ! (Mouvements divers et exclamations)

Le projet « Parlement et citoyens », initiative que nous approuvons, rapproche les citoyens de l'exercice démocratique dans un esprit d'enrichissement mutuel. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Hugues Portelli .  - Ce texte est d'initiative partagée, dans son contenu comme dans sa procédure. Je m'en réjouis. Nous ne sommes pas, madame la garde des sceaux, à l'Assemblée nationale : si nous avons inscrit ce texte dans notre niche, ce n'est pas manoeuvre. Oubliez-vous que le texte sur le mariage sera discuté dans la niche du groupe socialiste ?

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Absolument.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je le salue !

M. Hugues Portelli.  - Le travail de notre commission des lois est d'excellente qualité, nous n'avons rien à y redire.

Ce texte est une loi organique : il vise à mettre en oeuvre la Constitution. On ne saurait, ici, innover. J'étais très réservé sur la révision de 2008, et le suis toujours. Je fus l'élève, non loin d'ici, à la faculté de droit, de René Capitan, dont on connaît la vénération pour Jean-Jacques Rousseau. Lorsque celui-ci fit oeuvre de constituant à la demande des dirigeants de la Pologne, il mit dans sa poche le contrat social... Son projet de constitution pour la Pologne n'avait pas grand-chose à voir avec la démocratie directe...

Le délai ? Oui, il a été trop long ; il l'est encore plus pour la responsabilité du chef de l'État, qui n'est toujours pas en vigueur -seule la partie relative à son immunité l'est. La loi organique, écrite dès 2007, n'a été examinée qu'en 2011 par l'Assemblée nationale. A quand un examen au Sénat ?

J'en viens au contenu du texte. Nous souscrivons aux amendements proposés par le rapporteur. La loi sera l'initiative parlementaire : autant dire que l'initiative sera réservée aux grands partis. C'est dommage. Oui, le juge constitutionnel doit être chargé du contrôle. Sur le contenu de l'article 11, le débat court depuis 1962. Par exemple, qu'est-ce que l'organisation des pouvoirs publics ? Il faudra bien, avec ces textes d'initiative, que le Conseil constitutionnel se prononce. Lors de la révision de 1995, on avait éclairci le sens de la notion de réforme économique et sociale, mais il n'y a eu aucune application de l'article 11 depuis. De la réduction du temps de travail à la réforme des retraites, les occasions n'ont pourtant pas manqué.

Autre point d'importance, les signatures. La commission des lois a bien fait d'allonger le délai, mais six mois seront-ils suffisants ? Le recueil des signatures conditionnera la délibération parlementaire : on ne pourra enterrer facilement 4,5 millions de signatures. Et l'on sera bien mal, avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête...

La commission des lois a changé l'intitulé de la loi d'initiative, pour la nommer loi d'initiative référendaire. Mais quid si cette loi n'est examinée que par le Parlement ? Ce sera une loi ordinaire, au même titre que celles qui figurent dans le reste de l'article 11.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Absolument.

M. Hugues Portelli.  - La loi n'est donc pas potentiellement référendaire. Est-il légitime de lui accoler ce qualificatif ? Qu'en pensera le Conseil constitutionnel ?

Nous avons eu un débat sur le financement de la campagne. Faire signer 4,5 millions de personnes, c'est enclencher une vraie campagne d'opinion. On risque de voir des groupes d'intérêt puissants se mettre en branle. Évitons donc de tenter le diable en ouvrant les possibilités de financement. Ne remettons pas en cause les acquis de la loi de 1993.

Nous allons voter des dispositions qui ont peu de chance d'être jamais mises en oeuvre. Je ne suis pas un thuriféraire de la démocratie représentative à la française, le pays en a payé le prix à plusieurs reprises, notamment en 1940. Elle n'a pas que des vertus. Une expérience de démocratie directe dans le cadre imposé par la Constitution, celui du respect des droits fondamentaux, vaudrait d'être tentée. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Michel .  - Les lois organiques sont faites pour appliquer la Constitution. Or, le Gouvernement a attendu cinq ans.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Pas tant !

M. Jean-Pierre Michel.  - Et il n'a jamais mis en oeuvre les dispositions relatives à la responsabilité du chef de l'État. Il a fallu ici l'initiative de Robert Badinter. Mais les choses sont restées en l'état. On sait que l'actuel chef de l'État veut les revoir.

Ces textes viennent dans la niche UMP, c'est bien. Mais on a entendu un ancien ministre et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy vitupérer et réclamer à tout prix un référendum sur le mariage pour tous.

M. Gérard Bailly.  - C'est dommage !

M. Jean-Pierre Michel.  - Propos léger quand on sait que le champ de l'article 11 n'a pas été modifié par la révision de 2008. La question s'est posée du temps de François Mitterrand, en 1984, avec la réforme de l'école, lequel estimant qu'il n'était pas inconcevable de soumettre une telle réforme au référendum. Un texte a été déposé devant le Parlement. Le Sénat a adopté une question préalable, avant que l'Assemblée nationale ne l'adopte puis que le Sénat le rejette à nouveau, mettant ainsi fin à l'initiative du président de la République. Le parlementaire que j'ai cité tout à l'heure aurait mieux fait de se taire...

Les socialistes, sur l'article 11, furent assez divisés en 2008. A l'Assemblée nationale, un amendement Montebourg proposait un référendum d'initiative populaire sur le modèle de 1984. Au Sénat, on entendit des voix contradictoires : Bernard Frimat approuvant, Robert Badinter se prononçant contre.

Rousseau triomphe en Suisse, qui le lui doit bien... (Sourires) Montesquieu a triomphé en France, même s'il a eu quelques mots datés sur les femmes -à l'époque maîtresses des rois et pas grand-chose d'autre... (Exclamations sur divers bancs)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Oh !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Sauf Olympe de Gouges et Théroigne de Méricourt !

M. Jean-Pierre Michel.  - Jean-Pierre Sueur l'a dit : nous appliquons, ici, la Constitution. Nous faisons un travail républicain et je m'étonne d'entendre les représentants de l'opposition dire qu'ils refuseront de voter quelque disposition que ce soit d'une future réforme constitutionnelle. N'y a-t-il donc aucun sujet qui fasse consensus ? Responsabilité de chef de l'État, réforme du CSM, réforme du Conseil constitutionnel ? Cette opposition frontale est dérisoire...

M. Charles Revet.  - Vous nous avez donné l'exemple !

M. Jean-Pierre Michel.  - ... et antirépublicaine.

Jean-Pierre Sueur a fait un travail remarquable, sur un projet initial bâclé, comme si le gouvernement qui avait fait voter la réforme de 2008 ne croyait pas lui-même à l'article 11. Il a nommé une nouvelle proposition de loi, la proposition de loi référendaire. Il est vrai qu'il faudra éviter qu'une telle initiative vienne en concurrence avec les voies traditionnelles d'initiative, gouvernementale et parlementaire.

Il n'était pas constitutionnel d'enfermer le président de la République dans des délais : nous avons supprimé cette disposition, comme nous avons supprimé la « commission de contrôle indépendante », terme qui me fait toujours dresser les cheveux sur la tête tant j'ai vu de personnalités « indépendantes » membres de commissions « indépendantes » grassement récompensées pour leurs bons offices. Je préfère de loin le contrôle du Conseil constitutionnel ; si on peut s'interroger sur sa composition, on sait que souvent l'habit fait le moine.

Le groupe socialiste votera ce texte utilement amendé. Au-delà des calculs politiciens des uns et des autres sur d'autres textes ici présentés, il est de notre intérêt à tous de montrer, ce matin, que le Sénat a une place dans l'élaboration de la loi et de ne pas le condamner à rester muet en CMP. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

M. Ronan Dantec .  - Hélène Lipietz a dit combien le référendum d'initiative partagé manquait d'ambition. Pourtant, il a suscité en Bretagne un débat riche et passionné...

MM. Ronan Kerdraon et Yannick Botrel.  - C'est vrai !

M. Ronan Dantec.  - ...preuve que le débat public n'est pas aussi atone qu'on ne le pense. L'amendement Le Fur-de Rugy, déclinant le référendum d'initiative partagée à l'échelle d'un département ou d'une région sur les limites administratives régionales, a répondu à de légitimes aspirations.

M. Ronan Kerdraon.  - Très bien !

M. Ronan Dantec.  - A une question démocratique, le référendum peut être la bonne réponse. Alors que se crée un pôle métropolitain unique en Bretagne, la question n'est pas de nostalgie historique mais bien d'efficacité de l'action publique. On ne cesse d'invoquer la modernisation de celle-ci et on laisserait subsister deux réseaux administratifs distincts...

M. Ronan Kerdraon.  - Eh oui !

M. Ronan Dantec.  - La suppression en commission de l'article 3 ter, au motif qu'il serait un cavalier, suscite en Bretagne la consternation.

Nous vous proposerons son rétablissement, tant il est démocratiquement vivifiant. (Vifs applaudissements sur les bancs écologistes et sur plusieurs bancs socialistes)

MM. Ronan Kerdraon et Joël Labbé.  - Très bien !

M. René Garrec.  - Vive la Bretagne !

M. Jean-Yves Leconte .  - En utilisant sa niche parlementaire, le groupe UMP nous offre l'opportunité de revenir sur la réforme constitutionnelle et de travailler, en républicains, à mener à terme une réforme votée il y a plus de quatre ans.

Il y a un an, en pleine campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy annonçait qu'il entendait faire trancher les Français sur les grands arbitrages chaque fois qu'il y aurait un blocage. Avait-il donc oublié la réforme de 2008 et le choix renouvelé, depuis les déclarations de Jacques Toubon en 1995, d'exclure les questions de société pour ne pas faire du référendum un instrument de démagogie ?

Ici, ce n'est pas un référendum d'initiative populaire que l'on met en place. Mais il est bien des aspects timorés dans cette réforme. Ce n'est en rien un bouleversement institutionnel qui permettrait de remettre en cause des engagements de campagne clairs, comme le mariage pour tous.

J'en viens au fond. Saluons d'abord le travail de notre rapporteur. Le délai de recueil des signatures a été allongé, la procédure en a été simplifiée et rendue possible sur papier. La Conseil constitutionnel retrouve ses prérogatives.

On peut être très réservé sur le référendum d'initiative populaire, par attachement à la démocratie représentative, ou estimer qu'il mérite d'être encouragé. Dans les deux cas, la question du recueil des signatures est centrale. Une signature de soutien n'est pas un vote mais un engagement politique public. C'est dire que la liste des soutiens sera publiée ; si elle a vocation à être détruite, n'oublions pas les réseaux sociaux, qui ignorent l'oubli.

C'est la pratique qui dira si les exigences mises dans cette loi sont adéquates et peuvent être réutilisées pour un éventuel référendum d'initiative populaire.

Quant au financement des campagnes, il relève de l'action politique. Ne rompons pas, comme l'a souligné le président Mézard, avec tous les efforts déployés depuis des années en faveur de la transparence des financements politiques. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques joue un rôle essentiel. Nous ne voulons pas de super-PAC à l'américaine, soumettant l'action politique à des intérêts privés.

Le groupe socialiste votera ces propositions de loi amendées sans enthousiasme excessif, en restant vigilant. Nous appelons l'ensemble des forces politiques à la responsabilité. Nous ne pouvons pas faire croire qu'il s'agirait d'un référendum d'initiative populaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Monsieur Portelli, sur l'appellation « proposition de loi référendaire », j'ai bien entendu votre remarque. Il fallait la qualifier conformément à la lettre et à l'esprit de l'article 11 de la Constitution. Il s'agit bien d'une proposition de loi spécifique. A la suite du recueil des signatures, si elle est approuvée par le Parlement, elle perdrait ce statut et deviendrait une proposition de loi comme les autres.

Madame Lipietz, la commission des lois organise une réunion chaque année, en général à la fin de la session, pour examiner les pétitions qui nous sont adressées.

La discussion générale commune est close.

Discussion des articles du projet de loi organique

Article premier A

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Le dépôt d'une proposition de loi référendaire est sans préjudice de l'application des dispositions des articles 39 et 48 de la Constitution.

M. Jean-Pierre Michel.  - Précision utile.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - En effet.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Cet amendement est une précaution pour éviter que ce nouveau type de loi aille contre celles des articles 39 et 48. Dans la mesure où votre analyse diverge de celle de l'Assemblée nationale, cette précision est utile. Je suis donc favorable à cet amendement.

L'amendement n°1 rectifié est adopté.

L'article premier A modifié est adopté.

Les articles premier, 2, 3 et 4 sont successivement adoptés.

Les articles 5 et 6 demeurent supprimés.

Article 7

Mme Hélène Lipietz .  - Cet article prévoit que la liste des soutiens pourra être consultée par toute personne. Rien n'empêchera de copier cette liste diffusée par voie électronique. Nul ne pourra donc s'assurer de sa totale destruction. La confiance excessive en la machine pose un problème démocratique.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois .  - C'est une question de transparence que l'ensemble de la liste puisse être consultée par quiconque, comme les listes électorales. Je comprends vos craintes d'un détournement ou d'un usage commercial, par exemple. Elles me sont l'occasion de préciser que toute utilisation à une autre fin que celle de la mise en oeuvre des dispositions constitutionnelles sur le référendum serait sanctionnée pénalement, en vertu de la loi Informatique et libertés.

L'article 7 est adopté.

Les articles 8 et 9 sont adoptés.

Les articles 10, 11, 12, 13, 13 bis, 13 ter, 14, 15, 16, 17, 18 et 19 demeurent supprimés.

L'article 20 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. le président.  - Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.

M. Bruno Retailleau .  - Je me réjouis de cette injection d'une dose de démocratie directe à côté de la démocratie représentative.

Les citoyens doivent participer à l'élaboration de la décision publique. Nous n'ignorons pas les dérives possibles mais notre démocratie verticale a néanmoins tout intérêt à s'horizontaliser.

Il demeure une incertitude dans la nature et la portée du dispositif. C'est un référendum d'initiative parlementaire ou, selon l'expression du doyen Vedel, « d'initiative minoritaire ». Dès lors qu'il y aura un vote du Parlement, le rejet sera définitif, ne nous leurrons pas. J'ajoute que le seuil de 4,5 millions de signataires n'a jamais été atteint en France pour aucune pétition. Voyez l'article 11 du traité de l'Union européenne : il n'y est prévu que le recueil de 1 million de signatures, dans sept pays.

Je voterai ce dispositif néanmoins.

M. Jean-Jacques Hyest .  - La commission des lois a fait un travail utile en supprimant toutes les dispositions qui débordaient le strict cadre de l'article 11, comme la création d'une commission de contrôle. Lorsqu'il a examiné, en 2008, l'extension de cet article, au-delà de l'organisation des pouvoirs publics et des traités internationaux, le Parlement fut extrêmement prudent. Comme il le fut lors de l'examen de la loi de 1984 car il était clair que certains voulaient revenir, par cette voie, sur l'abolition de la peine de mort.

C'est la dernière loi organique issue de la révision de 2008 non encore adoptée. Qui veut revenir aujourd'hui sur les nouvelles prérogatives dévolues au Parlement par cette révision dont on nous a dit tant de mal ? Personne. L'extension de l'article 11 en fait partie. M. Jean-Pierre Michel a rappelé les divergences qui ont traversé les groupes, pas seulement le sien, le nôtre aussi. Combien de temps a-t-il fallu pour établir la question prioritaire de constitutionnalité ? Pour que les citoyens puissent saisir le Conseil supérieur de la magistrature ? Ce sont des progrès qui grandissent la démocratie.

La révision de 2008 n'a pas été votée par tous mais personne ne la remet en cause aujourd'hui, je le rappelle. Faut-il revoir à nouveau le statut pénal de chef de l'État, la composition du Conseil supérieur de la magistrature ? Je ne parle pas du parquet.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je vous écoute au soupir près !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Quand nous examinerons ces projets de loi, nous penserons non en opposants mais en protecteurs des autorités publiques. Attention à ne pas verser dans la démagogie, en prévoyant que le président de la République et les ministres soient passibles de n'importe quel tribunal.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Personne ne le prévoit.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je ne suis pas prêt à laisser affaiblir la République !

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Très bien !

Le scrutin public est de droit.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 327
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 327
Contre 0

Le Sénat a adopté à l'unanimité.

(Applaudissements)

Discussion des articles du projet de loi ordinaire

Article premier A

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Sueur, au nom de la commission.

Alinéa 3

Remplacer les mots :

organisées en application de l'article 11 de la Constitution

par le mot :

référendaires

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Amendement de précision

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Favorable.

L'amendement n°5 est adopté.

L'article premier A, modifié, est adopté.

Article premier

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait, pour une personne, d'usurper l'identité d'un électeur inscrit sur la liste électorale ou de tenter de commettre cette usurpation, dans le but de se substituer à cette personne dans le cadre d'une proposition de loi référendaire est puni de dix huit mois d'emprisonnement et 20 000 € d'amende.

Mme Hélène Lipietz.  - Nous en avons beaucoup débattu en commission des lois, aussi je le reprends ici. Il convient d'introduire une incrimination supplémentaire entre celle d'usurpation d'identité générale et l'usurpation du fait d'un participant à la procédure de recueil des soutiens. Il faut absolument faire la différence entre l'électeur et la personne qui participe au soutien à cette proposition de loi référendaire.

Si l'amendement n'est pas adopté, le juge pourra du moins se reporter à notre débat, lors d'éventuels contentieux.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Votre amendement est satisfait. Dans cette procédure, il n'y a pas deux catégories de citoyens, organisateurs du recueil de signatures ou simples participants. Nous ne sommes pas dans un processus électoral. L'article L. 558-38 du code électoral s'applique. Votre proposition recoupe le texte du projet de loi. Le dispositif de recueil peut être exercé par tous les citoyens. Retrait.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Votre amendement fait référence au code électoral et au code pénal. Vous proposez une sanction plus faible alors qu'outre la personne individuelle, il est fait atteinte à la démocratie. L'article premier, tel qu'il est rédigé, convient. Comme le président de la commission des lois, nous pensons que votre préoccupation est satisfaite. Le Gouvernement préférerait que vous le retiriez : il me serait très désagréable de ne pas vous être agréable.

Mme Hélène Lipietz.  - Les juges pourront se référer à nos débats.

L'amendement n°2 est retiré.

L'article premier est adopté.

L'article 2 demeure supprimé.

L'article 3 est adopté.

L'article 3 bis demeure supprimé.

Article 3 ter (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié nonies, présenté par M. Guerriau, Mmes Jouanno et Bruguière, MM. J. Gautier et Milon, Mlle Joissains et MM. de Legge, Deneux, Zocchetto, J.L. Dupont, Leleux et P. Leroy.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L'article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Un département peut demander, sur proposition d'un cinquième des membres de son assemblée délibérante, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales dans ce département, une modification des limites régionales visant à inclure le département dans le territoire d'une région qui lui est limitrophe. » ;

2° Au deuxième alinéa, les mots : « chacune des deux régions concernées » sont remplacés par les mots : « la région dans laquelle le département a demandé à être inclus » ;

3° A la dernière phrase du troisième alinéa, les mots : « dernière délibération » sont remplacés par le mot : « demande ».

M. Dominique de Legge.  - Cet amendement n'introduit rien de nouveau mais rétablit ce qui avait été adopté à l'Assemblée nationale sur la proposition de MM. Le Fur et de Rugy. Il s'agirait, selon le rapport de M. Sueur, d'un cavalier. Mais l'article 11 a trait à l'organisation des pouvoirs publics. C'est le cas, s'agissant d'un référendum permettant à un département d'exprimer le souhait de rejoindre une autre région. Nous divergeons sur ce point. Cette préoccupation n'est pas exclusivement bretonne, même s'il y a urgence depuis quarante ans que cela traîne...

M. le président.  - Amendement identique n°4 rectifié, présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Bouchoux, M. Placé, Mmes Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Benbassa et Blandin, MM. Desessard et Gattolin et Mme Lipietz.

M. Ronan Dantec.  - Je rappelle l'article 45 de la Constitution : tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte. C'est bien le cas, comme vient de le dire M. de Legge.

Il s'agit ici de l'organisation des pouvoirs publics au niveau des collectivités territoriales : il est logique d'en discuter ce matin. Et il est un peu cavalier de nous dire, contrairement à l'Assemblée nationale, qu'il s'agirait d'un cavalier. (Sourires) Il faut enfin mettre en oeuvre un véritable processus démocratique, nous en sommes d'accord sur tous les bancs. Ne ratons pas cette occasion ! Ne fermons pas le débat, au moment où nous discutons d'introduire un peu plus de démocratie participative dans notre pays. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs écologistes et sur plusieurs bancs socialistes, au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Nous avons beaucoup de sympathie pour le département de Loire-Atlantique, la région Bretagne, la région Pays de Loire et l'ensemble des départements et régions ! (Rires et exclamations sur divers bancs) Mais ce sont des questions de droit qui motivent notre avis unanime. Ce projet de loi ne porte que sur l'article 11 de la Constitution. Or le référendum d'initiative locale relève de l'article 72-1 de la Constitution.

MM. Ronan Dantec, Jean-Vincent Placé et Bruno Retailleau.  - Non !

M. Christian Cointat.  - Mais si.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - La partie de l'article 11 dont nous débattons instaure un référendum d'initiative partagée entre le Parlement et 10 % du corps électoral, mais non pas sur les collectivités locales. Votre amendement n'a pas sa place dans le texte dont nous débattons. Il a certes été adopté à l'Assemblée nationale mais contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur qui s'y opposaient pour ces mêmes raisons de droit.

J'ajoute que l'amendement tel que vous l'avez écrit ne relève pas de l'article 72-1 de la Constitution, qui crée le référendum d'initiative locale : vous proposez une simple consultation qui n'emporte pas de décision.

Cette consultation sur un enjeu régional, que je ne mésestime pas, relève de la loi ordinaire. Vous avez deux occasions prochaines : la loi électorale dont nous débattrons dans quelques jours et le futur projet de loi de décentralisation qui pourrait inclure vos propositions si le Parlement en décide.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Cette explication est presque exhaustive, le Gouvernement la partage, même s'il comprend aussi votre impatience à voir cette procédure de consultation rendue possible. Mais ce texte n'est pas le bon support. Je m'interdis toujours de dire qu'un amendement est un cavalier : c'est un argument d'autorité déplaisant que l'on oppose à des amendements qui ouvrent souvent de vrais débats susceptibles de déboucher sur des changements législatifs, réglementaires ou de politiques publiques. Ces amendements ne sont donc pas inutiles.

Des occasions se présenteront rapidement. La réforme portée par Mme Lebranchu en est une, comme l'a dit le président de la commission des lois. Avis défavorable, donc, même si je reconnais la pertinence de cette revendication, qui pourra être traduite dans la loi grâce à votre pugnacité.

M. François Marc.  - Je ne suis pas convaincu par l'argument de droit. Cet article a été introduit à l'initiative de l'Assemblée nationale par un vote réunissant des députés de tous les groupes politiques, ce qui est assez rare pour être souligné. Il s'agit de favoriser une respiration démocratique. Un référendum peut aider à trancher des questions qui ne peuvent l'être par les partis ou groupes politiques, précisément parce qu'ils sont divisés à leur propos.

Cet amendement propose un cadre sans présumer du résultat.

M. Jean-Claude Peyronnet.  - Encore heureux !

M. François Marc.  - D'où une procédure en deux temps, pour consulter le département concerné puis la région d'accueil. Le conseil général de Loire-Atlantique a déjà manifesté à plusieurs reprises son souhait, de même que la région Bretagne, sous la présidence de Josselin de Rohan comme sous celle de Jean-Yves Le Drian.

L'amendement n'offre qu'une faculté référendaire. J'y suis tout à fait favorable. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Ronan Kerdraon.  - Nous sommes au coeur du débat de ce matin. Il s'agit de donner la possibilité pour un département de choisir sa région d'appartenance sans que la région d'origine puisse s'y opposer. Ouvrons la porte au débat ! C'est une revendication qui a été portée, en particulier, par la gauche, que de reconstituer la Bretagne historique.

MM. Dantec, Marc et de Legge ont parfaitement expliqué en quoi ce texte n'est pas un cavalier, puisqu'il renforce la démocratie locale et traite de l'organisation des pouvoirs publics. Il serait paradoxal que notre assemblée et notre majorité bloquent un processus démocratique. Nous sommes au coeur même de la décentralisation, du débat sur les langues et cultures régionales, en cohérence avec les motions adoptées par de nombreuses collectivités bretonnes. Je voterai cet amendement. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Yannick Botrel.  - Depuis plusieurs décennies, cette question se pose...

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Nous ne sommes pas au Parlement de Bretagne !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Que chacun s'exprime !

M. Yannick Botrel.  - ...mais j'a jamais été sérieusement examinée. Regardez l'Alsace : à l'initiative des assemblées alsaciennes, une consultation sera organisée sur une réorganisation territoriale.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Attendons le résultat.

M. Yannick Botrel.  - Sur le territoire de la République, les citoyens doivent pouvoir être à l'origine d'avancées. Je voterai cet amendement avec enthousiasme.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je peux comprendre votre enthousiasme à défendre la Bretagne, pas pour la procédure proposée. Ce n'est pas parce que l'Assemblée nationale a adopté cette disposition qu'elle est parfaite. Le Conseil constitutionnel censurerait cet article qui n'a rien à voir avec le débat d'aujourd'hui. Il y a déjà des référendums d'initiative locale. Votre texte est incomplet.

Vous reprenez à l'identique le texte de l'Assemblée nationale pour assurer un vote conforme mais vous devez savoir que cette procédure sera inapplicable. Nous sommes un jeudi matin, il y a des majorités de rencontre (protestations sur les bancs écologistes) mais nous sommes là pour faire des lois applicables : je ne voterai pas ces amendements.

M. Philippe Bas.  - J'ai de la sympathie pour ces amendements. La loi du 5 décembre 2010 ouvre déjà la possibilité de réunir département et région, mais rien n'existe pour rattacher un département à une autre région, pour mieux coller aux réalités géographiques et historiques -et l'on sait comment se fit, en son temps, le découpage. Il faut mieux reconnaître la capacité des citoyens de décider de leur rattachement. Les arguments juridiques de la commission des lois et de M. Hyest sont, cela étant, insurmontables. Si nous les ignorions, le Conseil constitutionnel saurait nous les rappeler. La sanction serait regrettable pour notre assemblée de sage.

Mme la garde des sceaux a déclaré cette revendication pertinente. Viendra donc le moment d'adopter ces dispositions. Nous saurons rappeler alors cet engagement. Pour l'heure, je m'abstiendrai.

M. Ronan Dantec.  - Je suis conscient de l'immodestie de mon intervention mais l'article 72-1 en son alinéa 3 me parait suffisamment clair. Il serait dommage de ne pas saisir l'occasion de modifier l'article 41-1-1 du code général des collectivités territoriales.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Cela n'a rien à voir.

M. Ronan Dantec.  - Votons l'amendement et laissons le Conseil constitutionnel se prononcer : s'il sanctionne, nous aurons les éléments pour écrire le texte adéquat, et le Gouvernement pourra déposer un projet de loi. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Christian Cointat.  - Comme membre de la commission des lois, je reconnais que les arguments de droit sont imparables. S'il faut modifier la loi, que ce soit dans un autre cadre.

Fils d'un député de Bretagne, j'avais une certaine sympathie pour ces amendements, mais ce que j'ai entendu me fait froid dans le dos : reconstituer la Bretagne historique ! Et la France ?

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Très bien !

M. Christian Cointat.  - Que faites-vous des droits des autres départements ? N'allons pas modifier la Constitution pour satisfaire les choix de quelques-uns. Il faut de la cohérence nationale. Il y va du sort de la France entière.

M. François Fortassin.  - Ces amendements présentent tous les atouts de la séduction mais je ne les voterai pas.

Les Hautes-Pyrénées pourraient rejoindre la région Paca, en quittant Midi-Pyrénées ? Cela se ferait au détriment de la République. Si nous votions cet amendement, quelle que soit ma sympathie pour les Bretons, les Basques et les Catalans, craignons la dissolution de l'unité républicaine.

M. Henri de Raincourt.  - Eh oui !

M. René Garrec.  - En 1872, le Conseil d'État a mis fin à l'obstination de certains instituteurs secrétaires de mairie à forcer ceux qui portaient mon patronyme à le franciser en se faisant appeler Legarrec.

Je parle peu le breton, que l'on me défendait d'utiliser à l'école, sauf pour aller à la pêche et à la chasse.

Un officier s'est présenté devant moi, lorsque j'ai rejoint le 2e Rima en Algérie, comme Mignard, deuxième royal de Bretagne. J'ai été un peu étonné, avant de comprendre qu'il se mettait ainsi au service de la France.

Je suis sensible aux arguments du président de la commission des lois. Si mes amis bretons présentent un nouveau texte, je le voterai mais le lieu est ici mal choisi. Je ne voterai pas ces amendements.

M. Jacques Mézard.  - Toutes les frontières administratives ne sont pas intangibles mais il y faut une réflexion globale, dans la concertation avec tous les élus du territoire. Quand j'entends parler de reconstituer la Bretagne historique, je bondis !

Pourquoi ne pas rétablir la monarchie ? (M. Ronan Dantec proteste)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Ils ne vont pas jusque-là !

M. Jacques Mézard.  - Héritiers de ceux qui ont construit la République, nous ne pouvons accepter que l'on procède ainsi, en réalisant une embuscade médiatique.

M. Hugues Portelli.  - Enfin, nous sortons du consensus mou autour d'un dispositif qui ne s'appliquera pas ! Nous parlons d'un sujet qui intéresse les gens, dans la vraie vie. Je suis professeur de droit constitutionnel, l'amendement est inconstitutionnel, c'est sûr, mais je le voterai quand même. Et que la navette se poursuive !

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.  - Erreur !

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Il n'y aura pas de navette sur cet article, monsieur le professeur, puisqu'il sera voté conforme !

M. Hugues Portelli.  - il faudra que le Gouvernement se prononce

Mme Éliane Assassi.  - Je suis dionysio-séquanaise, l'amendement m'est sympathique et je comprends le souci de mes collègues. Mais je suis attachée à l'indivision de notre République : l'amendement aurait mieux sa place dans le texte sur la décentralisation.

M. Dominique de Legge.  - Je remercie ceux qui soutiennent cet amendement, qui est plus que sympathique car il porte une espérance. Car beaucoup ont relevé, ici, que cet article 11 n'aurait guère l'occasion de prendre corps. Et voilà que lorsque vient le moyen de lui donner corps, certains manifestent leurs craintes...

Je maintiens que cet amendement est constitutionnel parce que l'article 11 traite de l'organisation des pouvoirs publics. Je préfère tenir que courir : pourquoi reporter à demain ce qui peut être fait aujourd'hui ?

Bien des Bretons éminents, à commencer par M. Le Drian et Mme Lebranchu, se sont exprimés : il faut une consultation des habitants ; à l'État de dire s'il veut engager cette consultation. Il faut attendre un autre texte ? Nous rappellerons à cette occasion l'engagement que vous avez pris aujourd'hui, madame le garde des sceaux.

M. François Zocchetto.  - La question est de savoir quelle démocratie nous voulons : exclusivement représentative ou avec un peu de consultation ? Voyez l'exemple des élections italiennes. Je fais partie d'un département rattaché, de force, à la région Pays de la Loire. Le conseil général avait émis un autre souhait. On ne pouvait, à l'époque, demander à la population son avis, et c'est dommage. On en subit les conséquences.

Si doute juridique il y a, au Conseil constitutionnel de trancher. Je suis prêt à passer outre aujourd'hui, pour toutes les raisons que j'ai dites, et c'est pourquoi, j'ai cosigné l'amendement n°1 rectifié nonies.

A la demande du groupe du RDSE, les amendements identiques n°1 rectifié nonies et 4 rectifié sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 316
Majorité absolue des suffrages exprimés 159
Pour l'adoption 58
Contre 258

Le Sénat n'a pas adopté.

(Murmures de désappointement sur les bancs écologistes)

M. Jean-Pierre Michel.  - Très bien ! Vive la République !

L'article 3 demeure supprimé.

Article 3 quater

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Sueur, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 15

Remplacer les mots :

en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, en Polynésie française, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les îles Wallis et Futuna

par les mots :

chaque collectivité d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie

II.  -  Alinéa 16

Après les mots :

Aux îles Wallis et Futuna,

insérer les mots :

à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin,

III.  -  Alinéa 18

Compléter cet alinéa par les mots :

et, aux îles Wallis et Futuna, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, au niveau de la collectivité d'outre-mer

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur de la commission des lois.  - Cet amendement institue une commission de recensement dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et étend à ces deux collectivités la faculté ouverte pour Wallis-et-Futuna de désigner des fonctionnaires comme membres de la commission de recensement du fait de l'éloignement de la juridiction d'appel.

Il prévoit, en outre, un recensement des résultats au niveau non pas de la commune mais de la collectivité d'outre-mer pour Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et Saint-Martin qui ne connaissent pas de découpage communal sur leur territoire.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Avis favorable. L'amendement tient compte de la diversité de l'outre-mer.

L'amendement n°6 est adopté.

L'article 3 quater, modifié, est adopté.

L'article 4 est adopté.

Le projet de loi, modifié, est adopté à l'unanimité.

La séance est suspendue à 12 h 30.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.

Compétitivité (Questions cribles thématiques)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle des questions cribles thématiques sur la compétitivité.

M. Dominique Watrin .  - La compétitivité de nos entreprises est une question récurrente. Elle est souvent instrumentalisée, par le Medef au premier chef, pour obtenir une baisse des charges et un transfert des dépenses sociales aux salariés via une hausse de la TVA par exemple. L'accord interprofessionnel minoritaire que vous vous apprêtez à transposer se situe dans cette ligne. Ma question est simple : le Gouvernement prendra-t-il des mesures courageuses en réduisant les charges financières des entreprises qui pèsent deux fois plus lourd sur leur budget que le coût du travail ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique .  - Le Gouvernement a la volonté de s'attaquer à tous les éléments de la compétitivité hors prix en ce temps de crise ; le pacte pour la compétitivité et la croissance, avec ses trente-quatre mesures, en témoigne. L'accord interprofessionnel majoritaire du 11 janvier est historique ; il offre d'abord un levier pour sécuriser l'emploi, lutter contre la précarité et l'améliorer en généralisant les CDI. Les PME et les très petites entreprises, gisements d'emplois, seront les premières à bénéficier de ces mesures. Enfin, les salariés verront leurs droits individuels et collectifs renforcés.

M. Dominique Watrin.  - Merci pour cette réponse. La crise ne frappe pas tout le monde de la même manière : depuis cinq ans, les dividendes des entreprises du CAC 40 sont restés stables, entre 35 et 40 milliards d'euros. Ce sont toujours les mêmes qui paient et doivent se sacrifier : les salariés ! L'accord est minoritaire : ceux qui l'ont signé ne représentent que 38 % des syndiqués aux élections prud'homales, 28 % aux récentes élections dans les très petites entreprises.

M. Jean-Vincent Placé .  - Si la crise est là, faut-il rogner sur les acquis sociaux et la protection de l'environnement ? Non, pour relancer l'économie, il est une autre voie : l'économie circulaire, un concept qui englobe l'éco-conception, le réemploi et la collecte. Notre modèle de productivité est à bout de souffle ; en dépit des discours de certains matamores, le temps est venu de l'économie verte qui réduira l'usage des matières premières et créera des emplois non délocalisables. La Chine, l'Allemagne, le Japon, tant vantés pour leur croissance et leur compétitivité, s'engagent résolument dans cette voie. Allez-vous les suivre ? Le député écologiste François-Michel Lambert a lancé la création d'un observatoire de l'économie circulaire. Le Gouvernement compte-t-il entrer dans cette logique ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - La feuille de route pour la transition écologique traduit la volonté du Gouvernement de promouvoir des modèles d'économie plus vertueux et durables. Nous encourageons la capacité à valoriser les sous-produits, comme les déchets d'ameublement. En 2013, 250 millions d'euros sont affectés au plan d'investissement d'avenir pour l'économie circulaire. Nous nous attachons également à sécuriser les débouchés des éco-industries avec M. Montebourg.

M. le président.  - Rapidement, monsieur Placé, car vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Pour tourner en rond. (Sourires)

M. Jean-Vincent Placé.  - Merci de cette réponse, madame la ministre, car les enjeux sont majeurs, il faut vraiment encourager ces efforts vers l'économie verte, c'est l'avenir. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. François Fortassin .  - L'agro-alimentaire représente 13 % de nos exportations en 2012 et 415 000 salariés, dont 17 000 dans ma région où prédominent les industries des produits laitiers et de la viande. Midi-Pyrénées est la première région française pour la salaisonnerie sèche, dont la Rolls Royce du jambon sec, le noir de Bigorre. (Sourires)

Malheureusement, cette industrie fait face à la hausse des coûts de production et à une concurrence étrangère souvent déloyale. Notre savoir-faire est pillé. Nous devons défendre notre industrie agro-alimentaire, comme s'y sont engagés les ministres de l'agriculture et du redressement productif dans un communiqué conjoint du 27 novembre dernier. Quelles mesures concrètes et quel calendrier ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Le rapport Gallois a souligné le décrochage de notre compétitivité et la nécessité de briser le cercle vicieux né d'un défaut de spécialisation. Ce n'est pas en agissant sur les coûts que nous nous en sortirons par le haut : 60 % des salariés dans les abattoirs allemands sont des étrangers. Outre la mise en place du CICE, nous élaborons une stratégie de montée en gamme des produits et une marque France pour être plus visibles auprès des consommateurs.

M. François Fortassin.  - Je me réjouis du lancement de la marque France le 30 janvier. J'insiste sur la traçabilité de la viande, dont l'origine et les dates d'abattage devraient être connues. C'est la vérité que nous devons aux consommateurs. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Raffarin .  - Je suis heureux, madame Pellerin, de vous voir sur le banc des ministres pour transmettre au Gouvernement l'avis de tempête annoncé pour notre industrie en 2013, afin qu'il prenne conscience de la gravité de la situation. Le nombre de faillites vient d'augmenter de 42 % !

M. David Assouline.  - Qu'avez-vous fait en dix ans ?

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Il n'y a rien de politique dans mon intervention, monsieur Assouline. Ce dont il s'agit n'est ni de droite ni de gauche. C'est une bataille qu'il faut mener ensemble, comme l'a dit le Premier ministre. Moi, je pense d'abord aux 700 salariés menacés d'Autolib à Poitiers ; je pense à ceux des Fonderies de Renault l'an passé ! (Applaudissements à droite)

Je sais que les ressources budgétaires sont très rares pour les entreprises en ce moment. Certaines réformes ne coûtent rien, il faut absolument lisser les effets de seuils ; celui de 50 salariés par exemple.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Le Gouvernement est tout entier conscient de la gravité de la situation.

M. Francis Delattre.  - Pas tous ses membres.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Nous voulons lever les verrous qui bloquent le développement de nos entreprises, en particulier les PME. Nous réfléchissons à la simplification administrative afin qu'elles n'aient à transmettre les documents à l'administration qu'une fois et non plusieurs fois par an.

La réflexion porte aussi sur la question des seuils, dont il est difficile à l'heure actuelle de quantifier les effets macro-économiques. Sachez, en tout cas, que cette question est au coeur de nos préoccupations.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Merci de cette réponse... partielle. Élu depuis trente ans, je n'ai jamais connu une situation économique aussi dramatique.

M. Aymeri de Montesquiou .  - Vous avez hérité d'une situation difficile que vous avez aggravée en supprimant la TVA sociale. Votre CICE ne favorisera que les entreprises en croissance et les grands groupes qui travaillent surtout à l'étranger ; pour les autres, rien. Votre crédit d'impôt se résume en fait à un crédit d'embauche dans les grosses sociétés. Votre politique de matraquage fiscal a découragé l'investissement. Que comptez-vous faire pour relancer enfin la croissance et l'innovation ? (Applaudissements à droite)

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Le CICE est destiné en premier lieu aux PME. Nous allons informer les préfets dans les régions des modalités de préfinancement. Les PME connaissent bien son fonctionnement puisqu'il est analogue à celui du crédit impôt recherche. Il représente l'équivalent d'un allégement de charges de 12 milliards d'euros en 2013, 20 milliards en 2014. Vous ne pouvez donc pas dire que nous ne faisons rien.

Oséo en tiendra compte dès cette semaine. D'une manière générale, nous avons pris des mesures pour soulager la trésorerie des PME les plus fragilisées, à hauteur de 300 millions d'euros. Grâce au crédit impôt recherche, les PME pourront également anticiper sur leurs créances. La BPI, qui fonctionne depuis la semaine dernière, soutiendra les PME et les entreprises de croissance. Les assises de l'entreprenariat sont un événement tout à fait inédit dans l'histoire de la Ve République.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Votre réponse ne me satisfait pas ; Jean-Pierre Raffarin l'a dit, la situation est dramatique : le nombre de faillites s'est accru de 42 % ! Le CICE s'adresse aux entreprises qui embauchent (On le conteste sur les bancs socialistes) Or ce n'est pas le cas des PME. Il faut redonner l'envie d'investir par une fiscalité incitative. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Mirassou .  - L'industrie pharmaceutique participe à réduire notre déficit du commerce extérieur. Mais les lendemains pourraient ne pas être de ceux qui chantent car on sert davantage les actionnaires en réduisant la recherche développement. C'est mettre en danger le potentiel de recherche ; les chercheurs sont inquiets, ils doivent pouvoir se consacrer à leur coeur de métier qui est, faut-il le rappeler, soigner les gens. Quel est le sentiment du Gouvernement à ce sujet ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Je reviens sur le chiffre des faillites en 2012 : 59 000 défaillances d'entreprises, cela représente 2,5 % de plus qu'en 2011. Le CICE s'applique à toutes les entreprises.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Lisez L'Expansion : la hausse serait de 42 %.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Quelque 300 000 personnes travaillent dans l'industrie du médicament, qui est en pleine transformation. Beaucoup de PME y sont actives, aux côtés des grands groupes. La prochaine réunion du conseil stratégique des industries de santé aura lieu en juin 2013. La filière doit être mieux structurée au plan national. La feuille de route du conseil stratégique est orientée vers le soutien à la recherche et à l'emploi.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Dans cette filière plus que dans toute autre, le Gouvernement dispose d'un droit d'ingérence puisque le remboursement des médicaments comme le crédit impôt recherche sont financés par les citoyens.

M. Francis Delattre .  - Par les lois de cet été, le Gouvernement a prélevé 13 milliards d'euros de taxes et impôts supplémentaires sur les entreprises. La TVA anti-délocalisation a été, dans le même temps, supprimée, ce qui est absurde. Vous avez tenté de réparer cette bévue en adoptant partiellement l'analyse du rapport Gallois.

Au-delà du verbiage des instructions fiscales, quelles modalités d'emploi du dispositif de 20 milliards d'euros annoncé par le pacte pour la compétitivité et l'emploi ? Quid des mesures préconisées par le rapport Gallois pour renforcer les fonds propres des entreprises ? De la réorientation vers les PME du PEA et, plus généralement, de la visibilité des placements d'épargne productive ? (Applaudissements à droite)

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Le CICE représente en effet un effort de 20 milliards d'euros. La TVA frappe les consommateurs. Il s'agit bien de créer, comme le préconisait Louis Gallois, un choc de compétitivité. Les PME pourront solliciter le préfinancement du CICE auprès d'Oséo. Le mécanisme est extrêmement simple. Pour les fonds propres des entreprises, la BPI sera dotée de 40 milliards d'euros. Le président de la République s'est engagé à mettre en oeuvre un PEA-PME.

M. Francis Delattre.  - Bref, c'est la BPI qui financera les dépenses.

M. David Assouline.  - Une avance !

M. Alain Gournac.  - Il n'y a pas d'argent.

M. Francis Delattre.  - Le problème, ce sont les fonds propres. L'actionnariat et l'épargne privée doivent être accompagnés car la BPI et les fonds publics ne suffiront pas.

M. Yannick Vaugrenard .  - Relancer la compétitivité des entreprises, c'est aussi simplifier les procédures administratives. L'action des élus locaux est entravée par quelque 400 000 règlements et circulaires. Cela ne date pas d'hier. Il faut six ans et demi de procédure pour construire une ligne à haute tension en France contre trois ans en Autriche. Une action concrète s'impose. Le gouvernement actuel a montré son efficacité en confiant à M. Lambert et au maire du Mans des missions ciblées. Vous avez tenu, avec M. Moscovici et Mme Lebranchu, une réunion de concertation avec les entreprises. Qu'en est-il sorti ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - En effet, un groupe interministériel de coordination s'est réuni pour simplifier les démarches des entreprises. Les projets sur lesquels nous travaillons sont très concrets. Il s'agit de réguler puis de réduire les principales déclarations sociales : 250 000 entreprises rempliront une déclaration simplifiée et la dématérialisation se poursuit. Nous allons mettre en oeuvre un portail unique regroupant les milliers d'aides publiques aux entreprises et simplifier les formalités prises en charge par les CFE. Nous allons aussi lutter contre la surtransposition du droit communautaire.

M. Yannick Vaugrenard.  - Le Gouvernement est très sensible aux préoccupations des entreprises. Il est à l'écoute et n'a pas la responsabilité de la phase difficile que nous traversons ; il est inconvenant que ceux qui ont été dix ans au pouvoir la lui imputent, qui plus est après avoir masqué les suppressions d'emplois avant les élections présidentielles. (Vives protestations à droite)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - On parle beaucoup du coût du travail, peu des coûts liés à l'immobilier et au logement. Ceux-ci grèvent toutefois autant les charges des entreprises que le pouvoir d'achat et la consommation des Français. D'après une étude de l'OCDE, une hausse de 10 % des prix de l'immobilier se traduit par une baisse de 1,3 % de nos exportations. En Allemagne, ces coûts sont bien moindres et, surtout, augmentent beaucoup moins, si bien que le pouvoir d'achat augmente, quand un smicard français consacre 40 % de son salaire à son logement.

Comment le Gouvernement entend-il réguler les prix de l'immobilier à la baisse ? Il faut produire massivement des logements sociaux à un prix abordable. Cela ne sera possible que si la TVA sur le logement social passe à 5 %.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Oui, l'inflation immobilière mine la compétitivité prix et hors prix de l'économie, elle pèse sur les entreprises comme sur les ménages. La hausse de l'immobilier se répercute sur le marché du travail, crée un effet d'éviction en orientant davantage l'épargne vers l'immobilier au détriment des entreprises.

Mme Duflot est mobilisée sur le chantier du logement social. Le relèvement du taux de TVA applicable à ce secteur est le fait du précédent gouvernement. En tout état de cause, les nouveaux taux ne seront applicables qu'en 2014, sachant que le Premier ministre a indiqué que la question du taux pour le logement social ferait l'objet d'un débat.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Merci. Vous avez raison de dire que le passage de 5,5 % à 7 % de la TVA est un handicap. Pour construire, il faut acheter des terrains et financer ces achats. Si le Gouvernement annonçait que la TVA passe à 5 %, cela aurait des effets immédiats. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Vous avez raison.

Décès d'anciens sénateurs

M. le président.  - Mes chers collègues (Mmes et MM les sénateurs se lèvent), j'ai le regret de vous faire part du décès de deux de nos anciens collègues : Henri Caillavet et Françoise Seligmann.

Figure éminente du radicalisme, Henri Caillavet, après s'être engagé dans la Résistance au sein du réseau Combat, a fortement marqué la vie politique française sous la IVe République. Nous devons à son inlassable activité de législateur l'élaboration de lois à l'origine d'importantes avancées sociétales, qu'il s'agisse du divorce par consentement mutuel, de l'interruption volontaire de grossesse ou des greffes d'organes. Il a également combattu l'acharnement thérapeutique et présidé l'Association pour le droit de mourir dans la dignité. On doit aussi à ce rationaliste ouvert au progrès scientifique et dénué de préjugés des propositions législatives sur l'homosexualité et le transsexualisme. Il a également joué un rôle dans la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et comme membre du Comité national consultatif d'éthique. Autant dire qu'il a incarné l'engagement politique dans toute sa noblesse.

Ancienne sénatrice des Hauts-de-Seine, Françoise Seligmann aura milité jusqu'à son dernier souffle pour les valeurs progressistes auxquelles elle a consacré son infatigable énergie. Résistante, féministe, proche collaboratrice de Pierre Mendès-France, présidente d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme, elle a créé le prix qui porte son nom pour encourager la lutte contre le racisme. La Fondation Seligmann, qui travaille au rapprochement des citoyens de toutes origines, s'est distinguée par son soutien aux projets de jeunes des quartiers sensibles. Je n'oublie pas non plus son action en faveur de la culture.

La séance est suspendue à 16 heures.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

La séance reprend à 16 h 5.

Vote blanc

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à reconnaître le vote blanc aux élections (demande du groupe UDI-UC).

Discussion générale

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Reconnaître le vote blanc est une démarche d'importance car elle est intimement liée à l'exercice de la démocratie représentative. La question n'est pas nouvelle, loin s'en faut. Associations et citoyens la portent depuis des années et pas moins de 69 % des Français y seraient favorables.

Dans les années 1960, le politologue Alain Lancelot estimait que le vote blanc était un acte intentionnel et politisé. Depuis la fin des années 1980, ce vote, qui se situait alors entre 1 % et 2 % a crû : il oscillerait entre 4,4 % et 6,5 %. Selon les spécialistes, cela en fait une forme d'abstention participative ou civique.

Le vote blanc plonge ses racines dans notre histoire institutionnelle. Il fut autorisé par la loi du 18 ventôse an VI, mais sa reconnaissance débattue seulement en 2003 bien que les plus anciennes propositions de loi en sa faveur remontent à 1880.

La France est loin d'être le seul pays à ne pas reconnaître le vote blanc. Seuls trois pays font exception en Europe : la Suisse, mais seulement au premier tour des élections au scrutin majoritaire ; l'Espagne, qui le reconnaît valide pour tous les scrutins mais refuse de le traduire en sièges ; la Suède, enfin, mais seulement pour certains scrutins.

La question du vote blanc est souvent liée à celle du vote obligatoire, qui n'est pas complètement étrangère à notre tradition -voir l'élection des sénateurs. Mais les exemples étrangers ne sont pas si convaincants ; il reste toujours un taux d'abstention incompressible de 5 % à 15 % selon les scrutins.

Le vote blanc ne reflète pas l'indécision de l'électeur ou son indifférence, non plus qu'il se confonde avec le vote nul. Doté d'une valeur contestataire, il heurte la conception traditionnelle du suffrage : participer à la prise de décision et sélectionner les responsables publics. Que faire ? Faut-il considérer ce vote comme un exutoire civique ? Ou comme une expression protestataire dangereuse pour notre démocratie participative ? En commission, Alain Richard a estimé justement que cette proposition de loi « coupera les pattes à ceux qui veulent délégitimer la démocratie représentative ».

Ce texte organise la reconnaissance du vote blanc aux élections. Il n'intègre pas les votes blancs dans les suffrages exprimés, le Sénat y souscrit comme l'Assemblée nationale, qui l'a adopté à l'unanimité. Cet écueil est à éviter quand l'article 7 de la Constitution dispose que le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés -si les votes blancs étaient intégrés, le chef de l'État ne serait plus élu qu'à la majorité relative et sa légitimité s'en trouverait affaiblie. Cela compliquera également la tenue des référendums -chacun se souvient des conditions de ceux organisés en 1969 et en 2005- puisque les votes blancs vaudraient pour autant de « non ». Ce n'est pas un cas d'école : le taux de votes blancs était de 16 % lors du référendum sur l'instauration du quinquennat. Les mêmes complications sont à prévoir pour les élections locales et celles qui se déroulent à la proportionnelle, ne serait-ce que parce qu'il faudrait revoir différents seuils. Et le vote blanc ne saurait conduire à l'attribution de sièges à une liste qui n'existe pas...

Le Gouvernement est contre la mise à disposition de bulletins blancs dans les bureaux de vote.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Moi aussi !

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Une telle mesure mérite, à tout le moins, une évaluation à l'heure où l'on cherche tant à économiser le papier. Il s'agirait, en outre, d'une dépense nouvelle qui tomberait sous le couperet de l'article 40 de la Constitution ; Mme Cukierman l'a relevé.

Le Gouvernement souhaite donc qu'on en reste à l'équilibre trouvé à l'Assemblée nationale. Il compte sur la tradition de pondération, de mesure et de sagesse de la Haute assemblée. (Applaudissements)

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois .  - Quelque vingt-six propositions de loi devant l'Assemblée nationale depuis vingt ans, cinq depuis dix ans au Sénat sur le vote blanc... Certaines associations en ont fait leur cause de manière militante, voire virulente. Voilà les conditions dans lesquelles a été adoptée à l'unanimité la proposition de loi Sauvadet à l'Assemblée nationale, le 22 novembre 2012.

L'article L. 66 du code électoral ne distingue pas dans les résultats du dépouillement les bulletins blancs et les bulletins nuls. Règle constante depuis que la Monarchie de juillet, en 1839, est revenue sur la reconnaissance du vote blanc en 1798 -le 18 ventôse, an VI.

Cette proposition de loi est limitée dans son objet. Son article premier, le plus important, d'où tout découle, prévoit un décompte séparé des votes blancs et nuls. L'Assemblée nationale, par un amendement du rapporteur, a prévu qu'une enveloppe vide valait vote blanc. Ce dernier, contrairement au vote nul qui relève d'une erreur matérielle ou d'une volonté de faire exploser le système, est le fait d'électeurs politisés. Certains affirment qu'il n'y a là que sémantique ; à voir... En toute hypothèse, ce texte rendra justice aux électeurs qui font l'acte positif de se déplacer au bureau de vote, même si l'offre politique ne leur convient pas. Je vois à ce décompte du vote blanc un grand avantage : nous pourrons enfin évaluer le phénomène plutôt que de spéculer, cela évitera certaines instrumentalisations.

Notre commission a longuement débattu de l'éventuelle reconnaissance du vote blanc dans les suffrages exprimés, avant de se prononcer contre de façon transpartisane. L'Assemblée a réussi à trouver un compromis après les efforts conjoints de son rapporteur et du groupe socialiste, je souhaite le sauvegarder. Notons qu'une telle reconnaissance aurait peut-être empêché l'élection de M. Chirac en 1995 et de M. Hollande en 2012. Certes, mais l'élection présidentielle relève de la loi organique. Même démonstration pour les référendums, où voter blanc équivaudrait à voter non : locaux, ils dépendent de la loi organique ; nationaux -aussi bizarre que cela puisse paraître-, du Règlement. Reste que nous introduirions une confusion dans l'esprit des électeurs : le vote blanc n'aurait des incidences que sur certaines élections.

En outre, ses effets devraient être pris en compte sur toutes les règles électorales liées au seuil de suffrages exprimés : le remboursement forfaitaire des frais de campagne, le droit d'accéder au second tour, l'autorisation de fusionner deux listes, et j'en passe...

En réalité, ce débat nous renvoie à la définition même du vote. Un député de la Monarchie de juillet disait : « un billet blanc, 1 000 billets blancs, 10 000 billets blancs ne sauraient faire un parlementaire » ; et la loi veut faire un parlementaire. Nous faisons nôtre sa maxime.

Si nous approuvons le texte de l'Assemblée nationale, la commission, à l'initiative de M. Cointat, a décidé de ne pas considérer une enveloppe vide comme un bulletin blanc.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - A l'unanimité !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Un point reste en débat : faut-il mettre des bulletins blancs à disposition dans les bureaux de vote et les envoyer aux électeurs ? (Applaudissements)

M. François Fortassin .  - Nos collègues du groupe UDI-UC nous invitent à une réflexion sur le sens du suffrage. Le vote blanc, autorisé en 1798, connut un destin singulier et chaotique jusqu'à la loi de 1913 qui l'a assimilé au vote nul, une loi importante dans l'histoire de République puisqu'elle a garanti la confidentialité du vote. La proposition de loi est bienvenue mais elle ne va pas assez loin à nos yeux.

Le populisme et la démagogie, qui gagnent du terrain en temps de crise, nous le savons, affaiblissent la légitimité des institutions et, par ricochet, l'action politique. Le vote blanc implique un geste positif, un déplacement au bureau de vote. La démocratie est le pire des systèmes à l'exception de tous les autres, disait Churchill.

Pour mon groupe, qui ne méconnaît pas les contraintes juridiques, il aurait fallu aller au bout de la logique en intégrant les votes blancs dans les suffrages exprimés. Nous avons finalement renoncé à déposer un amendement, considérant que ce texte constituait une première étape. Nous regrettons également que la commission n'ait pu se mettre d'accord sur les modalités de mise à disposition de bulletins blancs dans les bureaux de vote.

Le chantier est vaste et passionnant, poursuivons la réflexion sur le sens du vote. En attendant, si un scrutin public est organisé sur ce vote, le groupe du RDSE s'abstiendra de déposer un bulletin blanc. (Sourires et applaudissements)

Mme Hélène Lipietz .  - Pourquoi blanc, ce vote ? Il aurait pu être vert, rose, bleu ou encore arc-en-ciel... Car, en fait, il s'agit de reconnaître le vote non nominatif. Quand l'abstention marque un désintérêt, quand le vote nul est le résultat d'une erreur ou d'un rejet du système, le vote blanc traduit une volonté de participer sans trouver l'offre politique satisfaisante. Faut-il citer les propos amènes du marquis de l'Estourbeillon sur le vote, jugeant qu'un vote non assisté pouvait devenir un vote débridé et évoquant « la foule d'individus abandonnés à leurs passions, à leurs vices et à leur vulgarité » ? Sans parler des femmes, auxquelles on a nié le droit de vote parce qu'elles ne savaient pas penser... Lors de certains de nos débats, on pourrait croire que ces idées ont encore cours...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, et M. François Zocchetto, rapporteur.  - Oh !

Mme Hélène Lipietz.  - Les écologistes, trente ans après la proposition de loi du socialiste René Chazelle, invitent leurs collègues à renouveler leur foi dans les électeurs. L'opinion de ceux qui ne veulent pas choisir doit être reconnue. Le groupe de rap Sexion d'Assaut chante « Qu'est-ce qu'on fait devant Nico et Marine ? Rien ». Quant à l'argument selon lequel l'intégration dans les suffrages exprimés conduirait à une impasse, un pays comme la Colombie y a répondu.

Le suffrage est indépendant depuis cent ans, universel depuis 1944. Il nous appartient d'inclure les votes blancs dans les suffrages exprimés ! (M. André Gattolin applaudit)

M. Pierre Charon .  - L'examen de ce texte nous impose une réflexion méthodique. Quelle définition donner du vote blanc ? Comment en identifier la signification ? Quelle place lui accorder dans notre code électoral au regard de deux principes constitutionnels, l'expression pluraliste des opinions et l'élection à la majorité des suffrages exprimés des élus de la République ?

Au gré de l'histoire, le législateur s'est toujours confronté à cette question. Pourquoi ce désir de reconnaissance du vote blanc ? Il augmente à mesure de l'insatisfaction vis-à-vis de la classe politique dans une société qui doute d'elle-même, une insatisfaction qui recouvre deux messages : je ne crois pas à la sincérité de l'offre politique, cette offre ne me convient pas. Le temps est venu de garantir la pluralité politique en écoutant le message politique que nous adressent ceux qui déposent un bulletin blanc dans l'urne.

Comment matérialiser cette reconnaissance du vote blanc ? D'abord en le différenciant, dans le décompte des voix, du vote nul. Ce dernier peut s'expliquer par une erreur matérielle ou par la volonté de ne pas se soumettre aux règles démocratiques. Si le vote blanc traduit une volonté politique, il faut en préciser la définition.

Reste la question de son intégration dans les suffrages exprimés, dont il faut prendre le temps de mesurer toutes les implications. La fiction de la majorité absolue commence à s'effriter, le vote blanc est le thermomètre de la démocratie, non une fantaisie des électeurs. M. François Hollande devrait peut-être faire preuve de plus d'humilité, sachant que son score n'a été que de 48 % si l'on tient compte du vote blanc. Ce qui ne retire rien à la légitimité de l'élection mais pourrait inciter la majorité à davantage de finesse dans l'exercice du pouvoir...

Il faut à coup sûr faire la différence entre celui qui reste au lit le dimanche matin et l'électeur qui se déplace jusqu'au bureau de vote. Le groupe UMP votera ce texte, qui n'est qu'un premier pas. (Applaudissements au centre et à droite. M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudissent aussi)

M. Jean-Yves Leconte .  - Chacun doit avoir le droit de s'exprimer sur les sujets qui le concerne. Tous les hommes, puis les femmes, les jeunes, les ressortissants communautaires jouissent du droit de vote ; nous parachèverions cette oeuvre en votant la proposition de loi sur le vote des étrangers aux élections locales adoptée il y a un an au Sénat. L'abstention, le refus d'exprimer un vote progressent. Pour lutter contre la défiance, il importe d'abord que notre action politique soit en harmonie avec nos engagements ; ensuite que nous soyons capables de nous fixer des objectifs et de dire comment nous comptons les atteindre.

Le présent texte permet de comptabiliser les votes blancs sans toutefois les intégrer dans les suffrages exprimés ; cette solution ne modifie pas nos équilibres institutionnels. Voter blanc, ce n'est ni de l'abstention ni de l'indifférence.

Sénateur des Français de l'étranger, je le sais bien pour voir les électeurs parcourir parfois des milliers de kilomètres pour voter : quatre fois en 2012, deux fois pour les présidentielles et deux fois pour les législatives -pour lesquelles seul le vote électronique est possible. Alors oui, reconnaissons le vote blanc mais gardons-nous de la tentation de normer la contestation et de celle de dénaturer le sens du vote. La réalité est que le vote blanc équivaut au vote nul, les deux reviennent à refuser de choisir. Finalement, c'est blanc bonnet et bonnet blanc, disait Jacques Duclos.

Mme Cécile Cukierman.  - A une autre époque et dans un tout autre contexte...

M. Jean-Yves Leconte.  - Le vote blanc est lié au vote obligatoire. S'agit-il de normer l'insatisfaction, de faire rentrer les rebelles dans la même case ? N'est-ce pas plutôt aux responsables politiques, aux citoyens d'interpréter au mieux une situation politique pour y répondre ?

Les pics de votes blancs et nuls atteignent des sommets lors des référendums. Voilà qui relativise nos débats de ce matin sur l'article 11 de la Constitution et le référendum d'initiative populaire. Faut-il voir dans le vote blanc un signe d'attachement à la démocratie représentative ?

Attention à ne pas aller trop loin : si la dictature biélorusse s'est renforcée, c'est parce que le vote au Parlement a été bloqué par ce type de système. Voter, ce n'est pas exprimer un sentiment mais faire un choix.

Certes, l'effort essentiel de ceux qui se déplacent mérite que leur vote soit comptabilisé. Nous adopterons donc le texte de la commission des lois. (Applaudissements)

Mme Cécile Cukierman .  - Sur la reconnaissance du vote blanc, je tiens à traiter du fond de la question, récurrente en France. En témoigne la multiplication des propositions de loi sur le sujet, dont aucune n'a encore abouti. Celle-ci poursuit son chemin parlementaire. A l'Assemblée nationale, deux nouvelles revendications se sont fait entendre : la comptabilisation des bulletins blancs et nuls séparément ; la prise en compte des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés.

Le vote blanc est le plus souvent perçu comme un acte raisonné. Mais on interprète peut-être trop rationnellement la tendance à voter nul, blanc ou à s'abstenir, comme cela apparaît lorsqu'on discute avec les électeurs qui se sont ainsi exprimés. Cela dit, le développement des machines à voter renforce la spécificité du vote blanc. Ce vote concrétise un acte intentionnel, soit, mais il peut aussi être lu comme une opposition, une protestation ou l'expression d'une difficulté à choisir, en tout cas pas comme une simple indifférence au scrutin. Se rendre dans un bureau de vote pour y glisser un bulletin blanc dans l'urne marque un attachement à l'acte de voter mais pas à celui de choisir.

La consécration est-elle un remède à l'abstention ? En est-on sûr ? Ce n'est sans doute pas « la » réponse à la crise de la représentation politique. Lutter contre la défiance à l'égard de nos institutions suppose de les moderniser, avec l'établissement du vote à la proportionnelle et une réforme profonde de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il faut adopter notre Constitution pour répondre aux aspirations démocratiques du XXIe siècle. La reconnaissance du vote blanc n'est qu'un moyen de lutter contre l'abstention. Il nous faudra poursuivre la réflexion.

L'ampleur des réformes à mener ne doit tout de même pas écarter cette réforme modeste, que nous voterons. (Applaudissements à gauche)

M. Yves Détraigne .  - Je défends d'autant plus facilement ce texte que j'en ai déposé un semblable il y a quelques années. Cela peut apparaître comme un gadget mais, à l'heure où l'abstention croît, il est important d'encourager l'accès de nos concitoyens aux urnes, même si le choix qui leur est proposé ne leur convient pas. Rayer un bulletin, y dessiner une caricature, c'est tourner le vote en dérision. Voter blanc, c'est refuser une alternative binaire ou un choix qui ne convient pas. Ici, nous disposons de trois bulletins : favorable, défavorable et un troisième, quoique de couleur rouge, qui correspond au vote blanc.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - C'est l'abstention qui ne compte pas dans les suffrages exprimés.

M. Yves Détraigne.  - Soit. J'ai cosigné l'amendement de M. Cointat qui prévoit la mise à disposition de bulletins blancs dans les bureaux de vote.

Reste la question des suffrages exprimés. Je pense que les bulletins blancs ne manifestent pas un rejet, comme les bulletins nuls. S'il s'agit de faire revenir les électeurs dans les isoloirs, nous ferons oeuvre utile.

J'entends bien le risque de voir les bulletins blancs devenir plus nombreux et affaiblir la légitimité des élus. Le danger de les voir devenir majoritaires me paraît très ténu. L'usage des machines à voter en fait la preuve. Ces machines comportent une touche spécifique pour les votes blancs et, que je sache, les résultats ne sont pas sensiblement différents que ceux dans les autres communes de la circonscription où l'on n'utilise pas ces machines. A titre personnel, monsieur le ministre, je regrette que l'on n'encourage pas plus le vote électronique dans notre pays.

A Issy-les-Moulineaux, à Épernay, l'utilisation des machines à voter, qui a perduré, ne pose aucun problème, y compris aux personnes âgées.

Au moment où l'on envisage de fermer tous les bureaux à 20 heures, il faut rouvrir ce débat. Quelle est l'opinion du Gouvernement, monsieur le ministre ?

Le groupe UDI-UC approuve cette proposition de loi. (Applaudissements)

M. Alain Vidalies, ministre délégué .  - Notre débat fut de qualité, il augure d'un vote unanime.

Monsieur le rapporteur, vous avez posé la question de la comptabilisation des bulletins blancs comme suffrages exprimés. La distinction entre votes blancs et nuls facilitera déjà la lecture des résultats électoraux.

M. Fortassin regrette que cette proposition de loi n'aille pas plus loin. C'est un débat de fond sur notre conception de la démocratie représentative. Le choix du second tour de l'élection présidentielle entre deux candidats est lié à la légitimité essentielle et incontestable, souhaitée par notre Constitution, du choix de la personnalité élue. Si l'on s'en écarte, l'on sort du cadre.

Au Sénat, la règle de n'avoir que deux candidats au second tour aux élections locales a aussi été débattue en commission. Un peur de cohérence !

Madame Lipietz, oui, l'électeur est libre. Ne nous trompons pas de débat : personne ici ne remet en cause l'existence du vote blanc.

Monsieur Charon, vous avez raison : il y a dans le vote blanc un message politique qui n'est ni plus fort ni moins fort que celui adressé par un électeur qui choisit un candidat...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Mais il est moins clair !

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - ...mais, le plus souvent, c'est le perdant qui relève l'importance du vote blanc.

La tentation est grande. Mais, franchement, invoquer le vote blanc ne sert à rien. Court-on le risque d'affaiblir le résultat d'une élection ? Cela pose le problème de la démocratie représentative. Il doit y avoir un consensus républicain : soyons prudents ! Les populistes en appellent à la démocratie directe. Les événements récents, dans un pays voisin, doivent nous faire réfléchir.

La légitimité que donne le suffrage universel est incomparable. Tout ce qui l'affaiblit ne va pas dans le bon sens.

Merci, monsieur Leconte, de votre soutien. Le vote blanc, ce n'est pas l'indifférence, nous en sommes d'accord. Il revêt une signification politique. Il adresse un message aux partis et aux candidats. Vous avez raison de rappeler qu'élire, c'est d'abord choisir et non exprimer un état d'âme.

Madame Cukierman, vous avez bien posé les termes du débat, mais il n'y a pas de lien entre le vote blanc et le mode de scrutin, les comparaisons internationales en attestent.

Monsieur Détraigne, naturellement, vous soutenez cette initiative. La reconnaissance du vote blanc ferait-elle revenir les abstentionnistes ? Voire... Dans les pays où il a été reconnu, cela n'empêche pas des gens se sentir hors du système.

Quant aux machines à voter, elles offrent un bon exemple. A Mimizan, dans ma circonscription on les utilise depuis très longtemps ; aucune amélioration de la participation n'a été constatée.

Distinguer le vote blanc du vote nul ne serait qu'un petit pas ? Il n'y a aucune raison de ne pas le franchir, surtout quand le consensus règne. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Très bien !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Articles additionnels

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mme Lipietz.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le livre Ier du code électoral, il est ajouté un livre préliminaire ainsi rédigé :

« Livre préliminaire

« Décompte des suffrages

« Art. L. 1A. - Est un suffrage exprimé le vote par un bulletin nominatif ou par un bulletin blanc.

« Pour le second tour de l'élection présidentielle, est un suffrage exprimé le vote par un bulletin nominatif. »

Mme Hélène Lipietz.  - Imaginons qu'un jour, dans une élection, nous comptabilisions énormément de votes blancs. Qu'en ferait-on ? Rien. On le constatera, c'est tout, en se livrant à des élucubrations pour comprendre le sens du comportement du corps électoral.

Quoi qu'on en dise, le vote blanc remettra en cause la légitimité de l'élu. Tant qu'on ne le comptabilisera pas comme suffrage exprimé, l'électeur s'en donnera à coeur joie. Il faut lui dire : votez blanc, d'accord, mais sachez que ce ne sera pas sans conséquence !

L'article additionnel après l'article 4, proposé par M. Richard, peut être modifié pour reconnaître le vote blanc comme suffrage exprimé à partir de 2016 ou 2017... Allons jusqu'au bout de cette proposition de loi !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - C'est une option qui est en contradiction totale avec celle que la commission a arrêtée au terme d'un débat approfondi. Défavorable.

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Je ne reviens pas sur l'argumentation. Même avis.

L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par Mme Lipietz.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre VI du titre Ier du livre Ier du code électoral est complétée par un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Une information sur les modalités du vote blanc est affichée à l'entrée du bureau de vote. »

Mme Hélène Lipietz.  - La publicité, l'affichage du détail des conditions de vote blanc sont nécessaires, et ce devant chaque bureau de vote, pour informer les citoyens.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - La commission partage votre souci d'information mais l'amendement ne relève pas du domaine législatif. Une circulaire y pourvoira. Retrait.

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Oui. Cet amendement attire notre attention et relève effectivement de la partie réglementaire du code électoral, son article R. 56 précisément.

Mme Hélène Lipietz.  - Je le retire, mais que le Gouvernement n'oublie pas de modifier les panneaux électoraux en conséquence !

L'amendement n°2 est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié ter, présenté par MM. Cointat, Buffet, Détraigne, Fleming et Frassa, Mme Troendle et M. Vial.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l'article L. 58 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Des bulletins blancs sont mis à la disposition des électeurs dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État. »

M. Christian Cointat.  - Je n'étais pas partisan de la modification proposée mais j'ai été convaincu par les arguments que j'ai entendus, à condition de ne pas comptabiliser les votes blancs comme suffrages exprimés. Mais si nous le distinguons du vote nul, il faut le faire bien, sinon ce sera une loi de plus qui ne servira à rien.

M. René Garrec.  - Un trompe-l'oeil !

M. Christian Cointat.  - Pire, elle fera croire que nous faisons quelque chose ! Osons une comparaison : on a pris une disposition sur les sacs plastiques, grâce aux écologistes. Je suis de ceux qui oublient toujours de prendre mon sac. Reste que je peux faire mes courses car je peux acheter un sac sur place.

Il faut faire de même en fournissant des bulletins blancs parce que les gens n'en apporteront pas.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Ils le font aujourd'hui !

M. Christian Cointat.  - Ne les envoyons pas aux électeurs, pour ne pas encourager le vote blanc, mais mettons-les à leur disposition dans les bureaux de vote. La démocratie a un coût. S'il faut faire des économies, alors supprimons toutes les élections ! La fabrication des bulletins blancs sera peu couteuse puisqu'on les réutilisera aux différentes élections. Sans cela, cette proposition de loi ne sera que de la poudre aux yeux. (Mme Catherine Deroche applaudit)

Mme la présidente.  - Amendement identique n°5, présenté par Mme Lipietz.

Mme Hélène Lipietz.  - Faire des bulletins blancs n'est pas anti-écologique, comme l'ont affirmé certains en évoquant l'abattage des arbres pour fabriquer du papier : croyez-vous que les écologistes ne se soucient pas de la démocratie ? C'est vraiment se moquer du monde. Les électeurs doivent savoir qu'ils peuvent voter blanc en ayant des bulletins à leur disposition. Le coût en est infime. Au moins, il faut rappeler aux électeurs, par voie d'affiches, qu'ils doivent se munir d'un bulletin blanc : sinon, faute d'en avoir apporté, croyez-vous qu'ils reviendront voter après être retournés chez eux ?

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Comme toujours, l'apport de M. Cointat aux travaux de la commission est important ; nous l'avons suivi sur les enveloppes vides. J'ai envisagé moi aussi, dans un premier temps, qu'il y ait des bulletins blancs dans les bureaux de vote mais, après réflexion, j'y suis défavorable.

Je ne veux pas qu'il y ait égalité de traitement entre le vote blanc et le vote en faveur d'un candidat. Le vote est un processus décisionnel, de désignation. De même, à un référendum, il faut répondre par oui ou par non.

Cet amendement n'est pas dans l'esprit des auteurs de cette proposition, je m'en suis entretenu avec François Sauvadet.

Nous souhaitons connaître le vote blanc, le reconnaître, l'identifier et non l'encourager en plaçant des bulletins blancs dans les bureaux de vote. Une étude réalisée lors des élections régionales de 1998 le prouve : 27 % des électeurs déclaraient vouloir voter blanc si l'on mettait à leur disposition des bulletins dédiés, mais 5 % seulement l'avaient fait.

En outre, mettre à disposition 44 millions de petits papiers blancs, cela a un coût significatif.

J'ajoute enfin que MM. Hyest et Gélard ont finalement retiré leur signature de cet amendement n°1 rectifié ter.

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Défavorable. Cette proposition, si elle était adoptée, poserait de sérieux problèmes. On ne connaît pas son impact financier mais il sera réel. L'amendement a échappé à l'article 40 ; la démocratie le mérite...

La rédaction proposée ignore l'article R. 34 du code électoral qui impose l'envoi des bulletins et des professions de foi aux électeurs. Souvent, les personnes âgées préfèrent mettre leur bulletin de vote dans leur poche en partant de chez elles. Vous ne souhaitez pas qu'on fasse de même pour les bulletins blancs à chaque consultation.

Qui se chargerait de l'impression de ces bulletins ? Pas les candidats, évidemment ; ce sera l'État, mais ce n'est pas simple.

Bref, pour des raisons pratiques et de coût, qui ne sont pas négligeables, nous n'y sommes pas favorables.

M. Jean-Yves Leconte.  - Dans un premier temps, la démarche de M. Cointat paraît d'une logique implacable, mais tenons-nous en à la bonne lisibilité du vote. En fournissant des bulletins blancs, on fera croire aux électeurs que leur vote pèsera sur les résultats...

M. Christian Cointat.  - C'est déjà le cas !

M. Jean-Yves Leconte.  - Non ! Les bulletins blancs seront décomptés mais ceux qui les auront déposés dans l'urne laisseront les autres électeurs décider.

Mme Catherine Procaccia.  - Ne pas prévoir de bulletins est de la tartufferie. Allez jusqu'au bout ou abstenez-vous !

Des solutions techniques, on en trouvera si on veut appliquer ce texte. (Applaudissements à droite ; Mme Hélène Lipietz applaudit aussi)

M. Christian Cointat.  - Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il n'est pas question de faire de la publicité pour le vote blanc. C'est une faculté, non pas une obligation. Je préférerais qu'il n'y ait pas de loi. Mais si l'on veut que le vote blanc ait un sens, donnons-nous en les moyens. Sinon, nous risquons de gruger nos concitoyens. Faites attention car il y a des associations très actives !

Ce que nous a dit le rapporteur à propos des régionales de 1998 est gravissime. Ne nous voilons pas la face. Donnons aux citoyens les moyens de s'exprimer. Grâce à Nicolas Sarkozy, nous avons eu la question prioritaire de constitutionnalité. Il s'agit là de la même chose. La classe politique est mal vue par les citoyens. Si on ne leur donne pas de bulletins pour s'exprimer, on ne sera pas crédible !

« N'insulte pas le crocodile avant de traverser la rivière », dit le proverbe africain. Nous sommes en train d'insulter les citoyens alors que nous devons nous mêler à eux. Sans quoi, cette loi, je vous le dis, se retournera contre nous. (Applaudissements à droite, Mme Hélène Lipietz applaudit aussi)

M. André Gattolin.  - A partir du moment où l'on reconnaît le vote blanc, il faut une égalité de traitement absolu. Il y a des machines à voter dans 63 communes, pour deux millions d'électeurs. Elles comportent une touche « vote blanc ». Et l'on ne prévoirait pas de bulletin, c'est incohérent !

Le coût ? Mais le vote blanc, par définition, n'a pas de candidat. Donc ni profession de foi à envoyer à l'électeur ni financement public à donner à l'élu. (Applaudissements sur les bancs écologistes et UMP)

Mme Catherine Deroche.  - Bravo !

Mme Cécile Cukierman.  - On se trompe de débat. Ces questions, très largement, relèvent du domaine réglementaire. Soit l'on remet tout à plat pour assurer l'égalité de traitement de tous les votes, soit on s'en tient au texte. En tout cas, je récuse la logique de coût quand on parle de démocratie.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Revenons à la sérénité. Nous débattons souvent de sujets graves et il n'est pas de petit sujet. J'ai demandé un scrutin public pour faire valoir la position extrêmement majoritaire de la commission des lois. Je soutiens notre excellent rapporteur M. Zocchetto.

Le vote blanc serait un message extrêmement clair et définitif ? Ce n'est pas la réalité : certains votent blanc parce qu'ils trouvent que les candidats ne sont pas assez à gauche, d'autres parce qu'ils ne sont pas assez à droite, ou pas assez au centre, ou encore que les écologistes ne sont pas assez verts. (On s'amuse) Respectons ce vote dans sa grande diversité.

M. René Garrec.  - Le vote blanc est effectivement un amalgame.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Ce texte a pour seul but de distinguer le vote blanc du vote nul. Il y aura désormais deux colonnes : une pour le vote blanc et une pour le vote nul.

Des bulletins blancs à disposition dans les bureaux de vote ? J'ai entendu les considérations de M. Cointat sur ses pérégrinations à la recherche de sacs en plastique. Cela dit, trouver un bout de papier blanc chez soi ne paraît guère insurmontable. (On en convient sur divers bancs)

M. Christian Cointat.  - Encore faut-il y penser ! (Rires)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Si des bulletins blancs sont placés dans les bureaux, il faudra également les envoyer aux électeurs, M. Vidalies l'a rappelé. De plus, pourquoi ces bulletins, contrairement à tous les autres, seraient-ils financés obligatoirement et à 100 % par la seule puissance publique ?

Voila les raisons pour lesquelles notre commission, dans sa diversité politique...

M. René Garrec.  - Dans sa grande majorité !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - ...a rejeté les deux amendements identiques.

A la demande de la commission des lois, les amendements identiques nos1 rectifié ter et 5 sont mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l'adoption 22
Contre 318

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°12, présenté par le Gouvernement.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 268 du code électoral est complété par les mots : « , à l'exception des bulletins blancs ».

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Cet amendement de coordination précise, à l'article L. 268 du code électoral, que les bulletins blancs ne sont pas nuls dans le cas du scrutin de liste.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Cet amendement très technique, défendu par M. Richard à l'origine, ne présente guère d'intérêt à notre sens. D'ailleurs, son auteur l'avait retiré. Pourquoi le Gouvernement le reprend-il ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - A ce stade, le Gouvernement préfère le maintenir car il ne pourra pas être repris, en vertu de la procédure, à l'Assemblée nationale. La précision est peut-être superfétatoire mais nous préférons éviter toute ambiguïté.

L'amendement n°12 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Article 4

Mme la présidente.  - Amendement n°13, présenté par le Gouvernement.

Rédiger ainsi cet article :

 Au premier alinéa des articles L. 388 et L. 428 et au second alinéa de l'article L. 438 du code électoral, les mots : « loi n°2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique » sont remplacés par les mots : « loi n° du    visant à reconnaître le vote blanc aux élections ».

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Cet amendement rend ce texte applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Il nous semblait que l'article 4 actuel y suffisait. Avis favorable néanmoins.

L'amendement n°13 est adopté.

L'article 4 est ainsi rédigé.

Article additionnel

Mme la présidente.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par M. Richard et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La présente loi entre en vigueur le 1er mars 2014.

M. Jean-Yves Leconte.  - Défendu.

L'amendement n°8 rectifié, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et devient un article additionnel.

Mme la présidente.  - Je vais mettre aux voix le texte.

Mme Catherine Procaccia.  - Votons blanc !

Mme Hélène Lipietz.  - Y a-t-il des bulletins blancs ? (Sourires)

L'ensemble de la proposition de loi, modifiée, est adoptée.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Cette semaine a été particulièrement faste pour le Sénat et la commission des lois puisque nous avons discuté et adopté quatre propositions de loi, une du groupe socialiste, une du groupe CRC, une du groupe UMP et une du groupe UDI-UC. (Applaudissements)

Décision du Conseil constitutionnel

Mme la présidente.  - Le Conseil constitutionnel a communiqué sa décision sur le projet de loi portant création du contrat de génération.

Maisons de naissance

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi autorisant l'expérimentation des maisons de naissance, à la demande du groupe UDI-UC.

Discussion générale

Mme Muguette Dini, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Les maisons de naissance sont des structures où une sage-femme ou un binôme de sages-femmes réalisent le suivi de grossesse, l'accouchement et le suivi post-partum des femmes. Éloignées de la tradition française, elles sont fréquentes à l'étranger sans que le taux de mortalité infantile y soit plus élevé.

Le collège des gynécologues-obstétriciens approuve désormais cette expérimentation des maisons de naissance, que je défends depuis 2010 au nom du respect des femmes qui veulent accoucher autrement.

Les maisons de naissance devront être attenantes à une maternité ; un décret en Conseil d'État précisera les modalités de mise en oeuvre de l'expérimentation et les conditions de sécurité de prise en charge des parturientes. L'expérimentation, pour une durée maximale de cinq ans, pourra être interrompue à tout moment par la Haute autorité de santé (HAS).

Ce texte ne modifie en rien les règles de la profession des sages-femmes. Comme le prévoit le code de la santé publique, elles feront appel à un médecin en cas de difficulté. Il ne modifie pas non plus le remboursement à 100 % de l'accouchement. Savez-vous que les sages-femmes réalisent déjà 80 % des accouchements par voie basse, non opératoires, 92 % dans le secteur public ?

L'Allemagne et la Belgique comptent respectivement 150 et 12 maisons de naissance. Le taux de mortalité infantile y est de 3,5 ? et de 3,3 ?, contre 3,4 ? en France. Preuve est faite que ces maisons de naissance offrent des conditions de sécurité très satisfaisantes.

Je l'ai vérifié sur place et sur pièces à l'hôpital de Pontoise et au Calm (Association « comme à la maison ») à la maternité des Bluets à Paris. Depuis 2010, la maison de naissance de Pontoise refuse 150 femmes par an, bien que ce projet n'ait donné lieu à aucune publicité. Le succès de ces deux projets repose sur un triptyque entre parents, sages-femmes et maternité, mais aussi sur la bonne volonté des acteurs locaux. Reste qu'il faut sécuriser juridiquement leur statut et l'intervention des sages-femmes.

Certains s'inquiètent que ces maisons de naissance ne remplacent des petites maternités que l'on fermerait.

M. Gérard Longuet.  - Eh oui !

Mme Muguette Dini, rapporteure.  - Cela ne sera pas le cas puisque chaque maison de naissance sera attenante à une maternité. Dans ces conditions, pas de maternité, pas de maison de naissance.

La maternité n'est pas une maladie, certaines femmes veulent se réapproprier le caractère naturel de l'accouchement. Nous n'avons pas à les juger, mieux vaut les accompagner ! (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs écologistes)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé .  - La naissance d'un enfant est un moment important dans la vie d'une femme, et d'ailleurs aussi d'un homme. C'est une aventure individuelle et familiale. La responsabilité des pouvoirs publics est de tout faire pour la sécuriser dans le respect du choix de chacun. Quand la France occupe une place singulière en Europe avec son fort taux de fécondité, supérieur à deux enfants par femme, je dois proposer une politique globale ambitieuse de la périnatalité.

En quinze ans, le paysage des maternités a changé : on est passé de 800 établissements au milieu des années 1990 à 550 en 2009, avec une baisse de 11 % des maternités de niveau II et III. Le nombre de maternités pratiquant plus de 1 500 accouchements par an a triplé.

Cependant, certains indicateurs de santé périnatale ne sont guère satisfaisants : 7,7 % d'enfants prématurés, entre 8 et 12 décès de femmes sur 100 000 accouchements, sans parler des terribles inégalités sociales et territoriales. Le taux de césariennes avait baissé mais il s'est stabilisé depuis cinq ans autour de 20 %.

De là la stratégie nationale de santé mise en place par le Premier ministre. Nous nous efforcerons de mieux détecter les grossesses à risques, en lien avec les services de protection maternelle et infantile. L'élue locale que je suis ne méconnaît pas le problème des petites maternités, nous sommes sans doute allés trop loin dans les fermetures. J'ai pris la décision de maintenir la maternité de Die parce que c'était un territoire fragilisé et après avoir obtenu des garanties suffisantes de sécurité.

Sans doute sommes-nous aussi allés trop loin dans la technicisation des naissances. L'intention était bonne. Comme femme, comme mère, je crois qu'on ne peut pas balayer d'un revers de main la question de la douleur.

M. Gérard Longuet.  - Très juste.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Il fut un temps où l'on considérait que les femmes devaient souffrir. La question est aujourd'hui de préserver leur liberté de choix, y compris dans ses implications financières.

Comment faire en sorte que toutes les femmes qui le souhaitent puissent mettre au monde dans un univers moins médicalisé ? En développant les filières d'accouchement physiologique dans toutes les maternités. Cela ne relève pas de la loi, je saisirai les agences régionales de santé. Il y a quelques jours, à Quimper, j'ai visité une salle d'accouchement physiologique au sein même d'une maternité classique.

Vous avez raison de dire qu'une femme enceinte n'est pas une malade. Certaines veulent des techniques moins invasives, des équipements moins agressivement lumineux. C'est possible en maternité. Une offre complémentaire avec les maisons de naissance ? Je n'y suis pas opposée et je crois aux vertus de l'expérimentation, d'autant que les gynécologues-obstétriciens n'y sont plus opposés. Cette proposition de loi offre toutes les garanties de sécurité : maison de naissance obligatoirement attenante à une maternité, cahier des charges rédigé par la HAS, décret en Conseil d'État et établissement de la liste des maisons de naissance autorisés par le ministre.

Si les maisons de naissance ne sont pas notre priorité, nous aurons une position de sagesse sur ce texte. (Quelques applaudissements sur certains bancs socialistes et UMP)

M. Gilbert Barbier .  - Voici que ce serpent de mer refait surface. Les maisons de naissance, un projet discuté depuis 1998, ont été autorisées à titre expérimental par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, puis censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme et, peut-être, de fond car le consensus n'était pas réuni. Mme Touraine, alors députée, s'était ralliée à cette proposition en commission mixte paritaire. Le collège des gynécologues-obstétriciens serait revenu sur son refus de 2010.

La mortalité infantile a été divisée par dix en quarante ans grâce au suivi renforcé des grossesses. Certes, la maison de naissance sera attenante à une maternité avec laquelle elle passera une convention ; néanmoins, une question essentielle se pose : qui paiera ? L'État, les collectivités territoriales ou, pourquoi pas, des investisseurs privés ? Les maisons de naissance concerneront seulement quelques milliers de femmes sur 800 000 accouchements par an. Je préfère, vu l'état de nos finances publiques, consacrer nos maigres crédits à renforcer le personnel dans les maternités existantes.

Si la maison de naissance est une structure autonome, les sages-femmes devront souscrire une assurance. Et en cas de problème, après un transfert dans un service d'obstétrique, qui sera responsable ? Le gynécologue de la maternité ou la sage-femme qui aurait, par exemple, décidé trop tardivement du transfert ?

Les maisons de naissance subtiliseront un certain nombre d'actes entrant dans le cadre de la T2A des services auxquels elles seront adossées. La proposition de loi prévoit que leur activité sera comptabilisée avec celle des maternités. Quid des effets de seuil ? Quelle incidence sur la tarification ? Ces questions sont encore sans réponse.

Prenons garde de ne pas mettre le doigt dans un engrenage idéologique. (M. André Gattolin s'exclame) On sait que certaines communautés réclament des médecins uniquement féminins... (Mme Catherine Procaccia approuve)

Hier, j'ai soutenu, et je l'assume, la fermeture des petites maternités. Aujourd'hui, je m'abstiendrai sur ce texte. Pourquoi, cependant, ne pas encourager des « salles nature » au sein des maternités, avec des sages-femmes dédiées ? (M. René-Paul Savary applaudit)

Mme Aline Archimbaud .  - La médicalisation des accouchements s'est renforcée avec les avancées de la recherche. La sécurité doit être élevée et constante, pour la mère comme pour l'enfant. Cependant, des femmes considèrent que certains protocoles, y compris dans les maternités de type 1, sont encore trop médicalisés et souhaitent accoucher de manière plus naturelle, en évitant un arsenal technologique hospitalier qui peut être stressant.

L'idée est d'entendre la forte demande des femmes d'exercer une liberté de choix, de la manière la plus éclairée possible, en fonction du degré de risque de la grossesse. Il doit être très encadré sur le plan de la sécurité. L'exigence d'avoir un temps de passage de la maison de naissance au service hospitalier égal à celui du passage d'une chambre d'hôpital à la salle de naissance est non négociable.

Le problème de l'égalité d'accès aux maisons de naissance reste posé ; je plaide en tout cas pour qu'on évite les dépassements d'honoraires. Actuellement, à l'hôpital de Pontoise, les sages-femmes sont salariées à l'hôpital, le problème ne se posera pas ; mais la tarification en libéral étant inadaptée, des dépassements sont à craindre. L'assurance maladie devrait pouvoir reconfigurer la tarification des accouchements en maison de naissance, qui permettent des économies substantielles.

Nous sommes favorables à cette expérimentation. Dans cinq ans, le dispositif sera évalué précisément. Ses économies et ses bienfaits seront mesurés avant d'envisager toute généralisation. (Applaudissements sur les bancs écologistes, au centre et à droite)

M. René-Paul Savary .  - « Vivre la naissance d'un enfant est notre chance la plus accessible de saisir le sens du mot miracle », selon l'écrivain Paul Carvel. Ce miracle, de très nombreuses femmes le connaissent chaque année, mais la mortalité infantile comme la mortalité maternelle sont, en France, malheureusement supérieures à la moyenne européenne. Notre pays est passé du septième rang européen en 1999 au vingtième en 2009. Les écarts entre les départements vont de un à trois, pour un nombre équivalent de naissances, sans que les causes de ces écarts soient analysées. Il faudrait procéder à une analyse, comme le recommande la Cour des comptes -qui relève par ailleurs que 46 % des décès maternels entre 2000 et 2006 peuvent être considérés comme évitables.

Cette proposition de loi ne doit pas pour autant être écartée. Le gouvernement précédent avait souhaité expérimenter les maisons de naissance. La grossesse est un état physiologique, non pathologique, même s'il peut le devenir. La proposition de loi de Mme Dini reprend l'essentiel du texte proposé lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. L'expérimentation durera au maximum cinq ans. Les maisons de naissance seront attenantes à une structure comportant un service de gynécologie et liées avec elle par une convention. L'exigence de sécurité est respectée. C'est fondamental.

A l'échelle départementale, si une maternité ferme, il sera difficile d'expliquer à la population l'ouverture d'une maison de naissance. Expérimentation et proximité sont prévues par ce texte, un strict cahier des charges sera établi par la HAS. L'ARS pourra suspendre l'expérimentation en cas de manquement grave et immédiat à la sécurité.

Madame la ministre, mon groupe peut accepter ce texte parce qu'il remplit deux conditions : l'activité de la maison de naissance sera comptabilisée au titre de la maternité et la nouvelle structure sera adossée à celle-ci. La proposition de loi précise que les sages-femmes assureront l'accouchement des femmes dont elles ont suivi la grossesse. En France, neuf enfants sur dix naissent sous assistance médicale ; en Allemagne, les sages-femmes des maisons de naissance assurent la prévention et le suivi et n'utilisent des appareils médicaux que si cela se révèle nécessaire. L'obstétrique française mise sur la technicité et la sécurité ; les femmes n'ont guère le choix. Dans un reportage diffusé sur Arte, le 19 février 2013, Grossesse high tech ou accouchement naturel : quel choix ?, le professeur Cabrol attire l'attention sur la nécessité de faire attention à la prise en charge humaine et psychologique des parturientes, de ne pas médicaliser outre mesure. Il n'empêche qu'il faut assurer la sécurité. Pour accoucher dans une maison de naissance, la maman doit connaître une grossesse sans risques, non primipare ; le bébé doit être en bonne santé.

L'accouchement n'est pas une mince affaire, de moins en moins de femmes osent affronter la performance physique sans assistance médicale. Aujourd'hui, 20 % des accouchements sont déclenchés artificiellement, ce qui est stressant pour l'enfant. Le processus naturel trouve-t-il sa place dans notre monde moderne ? Il est difficile de convaincre certaines femmes que l'accouchement naturel peut être plus favorable à sa santé et à celle de son enfant que la césarienne.

L'accouchement naturel provoque la libération d'une grande quantité d'ocytocine, une hormone qui favorise l'attachement de la maman au bébé ; c'est une barrière contre la dépression post-partum, un atout pour commencer la vie dans de bonnes conditions. Lors d'une césarienne, ce processus n'est pas systématique.

Cette expérimentation est donc dans l'air du temps. L'accouchement est avant tout un acte naturel. S'il devient pathologique, il doit être rapidement médicalisé. C'est ce que propose ce texte, notre groupe le soutiendra. (Applaudissements du groupe écologiste et à droite)

Mme Catherine Génisson .  - Je salue la force de conviction et la qualité du rapport, très argumenté, de Mme Dini.

Cette proposition de loi arrive dans un contexte où le réseau de maternités a été profondément restructuré depuis 1998. Rien n'est plus naturel que de pouvoir bénéficier d'un suivi personnalisé et de vivre, quand c'est possible, son accouchement dans un environnement chaleureux, détendu et apaisé. Non, la grossesse, l'accouchement ne sont pas des maladies.

Reconnaissons que les progrès médicaux ont été déterminants pour le suivi de grossesses pathologiques. Quel est le bon niveau de la technique dans la prise en charge médicale ? Soyons conscients d'une possible surmédicalisation, mais fiers de ces progrès médicaux.

L'égalité d'accueil des femmes dans les maisons de naissance, dans le secteur public comme dans le secteur privé, doit être totalement respectée. Merci, madame la ministre, d'avoir tenu un langage clair car nos concitoyens s'inquiètent de voir se réduire l'offre de proximité. Madame la rapporteure, vous avez justement souligné qu'en aucun cas, une maison de naissance ne saurait se substituer à une maternité qui ferme. La fermeture de certaines maternités ne vise qu'à satisfaire l'exigence de sécurité, vous avez eu raison de le rappeler, madame la ministre. Pour autant, l'aménagement équilibré du territoire reste d'actualité.

Ce sujet est très sensible. Il serait maladroit d'expérimenter des maisons de naissance là où ferment des maternités.

Les autorisations d'expérimentation relèveront de la décision du Gouvernement. La HAS veillera au cahier des charges. Cette exigence qualitative est fondamentale. Nous en avons longuement débattu en commission. Ne pénalisons pas non plus le budget des hôpitaux. La prise en charge à 100 % de la grossesse, de l'accouchement, des soins de suite de couches doit être sanctuarisée. Pour le groupe socialiste, les Migac peuvent être sollicitées mais seulement au bénéfice du service public. Les modalités de financement doivent en outre permettre l'intervention libérale des sages-femmes en maisons de naissance lorsqu'elles revendiquent une autonomie de fonctionnement.

Notre groupe votera cette expérimentation, sachant que vous avez indiqué, madame la ministre, vouloir encourager la création de salles de naissance physiologique dans les maternités. (Applaudissements à gauche)

Mme Laurence Cohen .  - Cette proposition de loi pose de nombreuses questions et n'apporte guère de réponses concrètes, pour lesquelles elle renvoie trop largement au pouvoir réglementaire ; le dessaisissement du Parlement est important, c'est notre première critique.

N'aurait-il pas mieux valu légiférer pour permettre à toutes les femmes de choisir leur mode d'accouchement ? On en est loin, d'autant que la loi HPST a conduit à fermer des maternités de proximité. Je suis heureuse de vous avoir entendu affirmer, madame la ministre, vouloir stopper l'hémorragie des fermetures des maternités. Encore faudra-t-il leur donner des moyens financiers et humains pour fonctionner en toute sécurité.

Les sages-femmes pourraient exercer leur expertise de manière autonome si d'autres questions ne se posaient pas. Il n'est pas pertinent de s'appuyer, pour justifier des maisons de naissance, sur le recours à l'allaitement maternel, qui relève d'un choix personnel des femmes. Votre rapport ne précise à aucun moment le statut juridique des maisons de naissances. Dans les établissements privés, ce pourrait être une société d'exercice libéral de la profession de sage-femme. Nous avons vu les dégâts de la financiarisation du secteur de la biologie médicale... Comment accepter de financer sur des fonds publics des structures juridiques non définies qui pourront pratiquer des dépassements d'honoraires ? A l'inverse, les sages-femmes pourraient exercer en libéral au sein de l'hôpital public. Nous n'accepterons pas un nouveau cheval de Troie de la privatisation hospitalière. Nous refusons que les dotations MIG bénéficient à des structures qui ne sont pas publiques ou d'intérêt collectif.

Cette proposition de loi ne répond à aucune urgence, surtout lorsqu'on ferme des maternités au prétexte qu'elles ne pratiqueraient pas assez d'accouchements. Nous proposons de renforcer le secteur public hospitalier ; d'où nos six amendements. De leur adoption dépendra notre vote. En l'état, nous ne sommes pas favorables à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs CRC ; Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, applaudit aussi)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - Notre groupe soutient cette proposition de loi et salue l'engagement de Mme Dini et son excellent travail. Il s'agit d'une simple expérimentation, par nature temporaire, d'une durée maximale de cinq ans, qui sera évaluée. Son champ sera très limité : au maximum une dizaine seulement de nouvelles structures. Elle sera néanmoins utile car elle répondra à une demande réelle de parturientes souhaitant un accouchement physiologique. Leur demande est d'autant plus légitime qu'elle va dans le sens des intérêts de la collectivité : le coût d'un accouchement par voie basse sans complication est estimé à 600-700 euros, contre 2 200 euros en maternité. Il n'y a aucun lien entre ce texte et la fermeture des petites maternités, puisque les maisons de naissance seront toutes attenantes à une maternité. Là où il y a risque de fermeture, il n'y aura pas création de maison de naissance. Le texte prévoit, en outre, que l'activité de la maison de naissance sera comptabilisée avec celle de la maternité.

L'exigence centrale de sécurité est garantie : la maison de naissance sera contigüe à la maternité et devra conclure avec elle une convention organisant les conditions de transfert des parturientes. Il lui reviendra d'assurer une sécurité parfaite.

La liste des maisons de naissance autorisées sera arrêtée par le Gouvernement en fonction d'un cahier des charges établi par la HAS ; l'ARS pourra, en cas de manquement, ordonner la fermeture d'une maison de naissance.

La sécurité repose surtout sur la personnalisation du suivi, la technique ne pourra jamais se substituer à l'humain. Les maisons de naissance ne sont pas un saut dans l'inconnu, elles sont parfois la norme dans certains pays occidentaux. L'accouchement n'est pas une situation pathologique, c'est le début naturel de la vie. Notre groupe souhaite encourager cette expérimentation. (Applaudissements au centre et à droite, Mme Muguette Dini, rapporteure, applaudit aussi)

Mme Dominique Gillot .  - La sécurité périnatale est une préoccupation partagée. Vous avez rappelé, madame la ministre, qu'elle est l'objectif de santé publique fondamental, au coeur du plan périnatalité. La confiance des usagers explique l'incompréhension et le désarroi des familles et des équipes médicales devant les rares accidents de naissance.

Même les maternités de type 1 paraissent à certaines femmes trop médicalisées. Le concept des maisons de naissance est soumis à une expérimentation qui donnera lieu à une évaluation normée. Cette autorisation reconnaît la capacité et la responsabilité des sages-femmes dans l'accompagnement des femmes enceintes. Le collège national des obstétriciens ne s'oppose plus au texte. Les sages-femmes jouent un rôle clé dans les prises en charge périnatales ; elles revendiquent à juste titre une reconnaissance dont les maisons de naissance sont aussi l'expression.

Au centre hospitalier René Dubos à Cergy-Pontoise, depuis sept ans, l'accueil des femmes souhaitant une naissance plus naturelle est possible grâce à la seule volonté du directeur et à l'engagement de deux sages-femmes volontaires. Le service a dû refuser 160 femmes en 2012. La mixité sociale, la diversité des motivations sont à l'image de celles des parcours de nos concitoyennes : l'une a accouché de son premier enfant aux Pays-Bas ; l'autre veut vivre son second accouchement en conscience après avoir demandé la péridurale pour le premier, la dernière invoque la tradition.

Toutes se retrouvent dans la confiance et le partage, au cours d'un suivi qui apporte toutes les garanties de sécurité. Aucun accident, aucune césarienne non programmée en six ans. Trois femmes par an ont été orientées vers le plateau technique de l'hôpital attenant. Les diagnostics de grossesse à risques sont efficaces et l'intégration dans le service de maternité est opérationnelle.

Cette proposition de loi donne plus d'ampleur à cette démarche et confortera les équipes. C'est pourquoi je m'engage avec confiance pour cette reconnaissance institutionnelle. (Applaudissements)

Mme la présidente.  - Comme vous le savez, notre temps est contraint. Je lèverai la séance à l'issue de la réponse de la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre .  - Je suis la première à le regretter ; je ne doute pas, néanmoins, que nous y reviendrons dans quelques semaines.

Monsieur Barbier, la question de l'assurance et de la responsabilité ne se pose pas de manière différente dans ce nouveau cadre.

Madame Archimbaud, je vous assure que l'expérimentation sera évaluée, y compris sur le plan financier, préalablement à toute décision de généralisation ou autre.

Madame Génisson, vous avez raison de constater l'importance de la demande de suivi personnalisé. Souvent, les accidents surviennent lorsque les femmes se présentent à la porte de la maternité sans avoir été suivies.

Plusieurs intervenants ont évoqué les progrès médicaux, sur lesquels il n'est pas question de revenir. Au contraire, ils relèvent le niveau de sécurité des maisons de naissance. Soyons prudents quand nous comparons les différents pays. La France a des progrès à faire pour mettre en place des procédures de prévention ou de détection précoces renforcées.

Madame Cohen, je vous confirme qu'il n'est en aucun cas envisageable d'ouvrir des maisons de naissance là où fermeraient des petites maternités. Je rappelle la procédure, qui est très encadré : un décret et un agrément nominatif sur la base d'un cahier des charges.

J'entends vos préoccupations. Il est vrai que d'autres chemins peuvent être parcourus ; mais en quoi l'expérimentation proposée handicaperait-elle les autres démarches ? Les femmes qui souhaitent accoucher au sein d'une maternité pourront toujours le faire.

Monsieur Vanlerenberghe, vous avez justement indiqué que l'enjeu de la sécurité est bien identifié. J'y avais insisté lorsque je siégeais à l'Assemblée nationale. Le contrôle des ARS apporte toutes garanties. Oui, madame Gillot, nous sommes face à une évolution de la demande sociale des femmes. Certaines demandes sont très traditionnelles, d'autres le sont beaucoup moins ; entendons cette diversité sans oublier les progrès de la médicalisation ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Muguette Dini, rapporteure.  - Merci, madame la ministre de votre compréhension, de votre soutien et de vos explications.

Mme la présidente.  - Madame Dini, vous connaissez la procédure : votre groupe devra demander, lors d'une prochaine conférence des présidents, la réinscription de ce texte à l'ordre du jour.

Organisme extraparlementaire (Appel à candidatures)

Mme la présidente.  - M. le Premier ministre a demandé M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom de deux sénateurs titulaires et de deux sénateurs suppléants désignés pour siéger au sein de la formation élargie du Conseil national du numérique, institué par le décret du 13 décembre 2012.

La commission des affaires économiques et la commission du développement durable ont été saisies afin de proposer, chacune, un sénateur comme membre titulaire ; la commission des finances et celle de la culture ont été saisies afin de proposer, chacune, un sénateur comme membre suppléant.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du Règlement.

Prochaine séance, mardi 12 mars 2013 à 9 h 30.

La séance est levée à 20 h 5.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 12 mars 2013

Séance publique

A 9 heures 30

1. Questions orales

A 14 heures 30

2. Éloge funèbre de René Vestri

3. Projet de loi autorisant la ratification d'un accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et le Turkménistan, d'autre part (n°523, 2011-2012).

Rapport de Mme Josette Durrieu, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n°395, 2012-2013).

Texte de la commission (n°396, 2012-2013).

4. Projet de loi autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République argentine (n°492, 2011-2012).

Rapport de M. Alain Néri, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n°397, 2012-2013).

Texte de la commission (n°398, 2012-2013).

5. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République libanaise relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels (n°456, 2011-2012).

Rapport de M. Jean-Marc Pastor, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n°391, 2012-2013).

Texte de la commission (n°392, 2012-2013).

6. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Serbie relatif à la mobilité des jeunes (n°351, 2011-2012).

Rapport de M. René Beaumont, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n°399, 2012-2013).

Texte de la commission (n°401, 2012-2013).

7. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Monténégro relatif à la mobilité des jeunes (n°350, 2011-2012).

Rapport de M. René Beaumont, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n°399, 2012-2013).

Texte de la commission (n°400, 2012-2013).

8. Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d'Azerbaïdjan relatif à la création et aux conditions d'activités des centres culturels (n°708, 2011-2012).

Rapport de Mme Kalliopi Ango Ela, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n°402, 2012-2013).

Texte de la commission (no 403, 2012-2013)

9. Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération administrative entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Bulgarie relatif à la lutte contre l'emploi non déclaré et au respect du droit social en cas de circulation transfrontalière de travailleurs et de services (n°465, 2010-2011).

Rapport de M. Raymond Couderc, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n°393, 2012-2013).

Texte de la commission (n°394, 2012-2013).

10. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 mars 2013

A 21 heures 30

11. Projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2012-827 du 28 juin 2012 relative au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (période 2013-2020) (n°770, 2011-2012).

Rapport de Mme Laurence Rossignol, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (n°407, 2012-2013).

Texte de la commission (n°408, 2012-2013).