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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



CMP (Candidatures)

Organismes extraparlementaires (Candidatures)

Journée nationale de la Résistance

Discussion générale

M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la proposition de loi

M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants

M. Bernard Fournier

Mme Isabelle Pasquet

M. Jean Boyer

M. Robert Tropeano

M. André Gattolin

Mme Gisèle Printz

M. Didier Guillaume

M. Alain Néri

Discussion des articles

Article premier

M. Roland Courteau

Mme Frédérique Espagnac

M. Jacques Berthou

Article additionnel

Interventions sur l'ensemble

M. Jean-Jacques Mirassou

M. Jean-Claude Requier

Mme Corinne Bouchoux

M. Didier Guillaume

M. Bernard Fournier

M. Jean Boyer

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales

M. Kader Arif, ministre délégué

CMP (Nominations)

Organismes extraparlementaires (Nominations)

Avis sur une nomination

Questions d'actualité

Logement

M. Claude Bérit-Débat

Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement

Qualité du débat public

Mme Corinne Bouchoux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Chypre (I)

Mme Isabelle Pasquet

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances

Chypre (II)

M. Jean-Pierre Chevènement

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances

Budget de la défense

M. Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Enjeux économiques

M. Vincent Capo-Canellas

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances

Emploi

Mme Frédérique Espagnac

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Manifestation contre le mariage pour tous

M. Pierre Charon

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur

Enseignement supérieur et recherche

M. Michel Berson

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Chiffres du chômage

M. Jean-François Humbert

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Gouvernance européenne

M. Pierre Bernard-Reymond

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger

Modification à l'ordre du jour

Racolage public

Discussion générale

Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi

Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Mme Laurence Cohen

Mme Chantal Jouanno

M. Stéphane Mazars

M. André Gattolin

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Philippe Kaltenbach

M. Jean-Pierre Godefroy

M. Michel Savin

Mme Laurence Rossignol

Discussion des articles

Article premier

Mme Claudine Lepage

M. Richard Yung

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

Article additionnel

Article 2

Articles additionnels




SÉANCE

du jeudi 28 mars 2013

78e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires : M. Hubert Falco, M. Jacques Gillot.

La séance est ouverte à 9 h 5.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

CMP (Candidatures)

M. le président.  - La commission des lois a procédé à la désignation des candidats aux éventuelles commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux et du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, actuellement en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

Ces listes ont été affichées conformément à l'article 12, alinéa 4, du Règlement et seront ratifiées si aucune opposition n'est faite dans le délai d'une heure.

Organismes extraparlementaires (Candidatures)

M. le président.  - M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de deux sénateurs titulaires et de deux sénateurs suppléants désignés pour siéger au sein de la formation élargie du Conseil national du numérique, institué par le décret du 13 décembre 2012.

La commission des affaires économiques et la commission du développement durable ont fait connaître qu'elles proposent respectivement les candidatures de M. Bruno Retailleau et de M. Pierre Camani pour siéger en qualité de membres titulaires au sein de cet organisme extraparlementaire.

Par ailleurs, la commission des finances et la commission de la culture ont fait connaître qu'elles proposent respectivement les candidatures de M. Yvon Collin et de Mme Sophie Primas pour y siéger en qualité de membres suppléants.

D'autre part, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom d'un sénateur pour siéger comme membre suppléant au sein du Conseil national de la mer et des littoraux.

La commission du développement durable a fait connaître qu'elle propose la candidature de Mme Hélène Masson-Maret pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

Journée nationale de la Résistance

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance.

Discussion générale

M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements à gauche) Le 27 mai 2013, il y aura soixante dix ans qu'a eu lieu la première réunion constitutive du Conseil national de la Résistance (CNR), présidé par Jean Moulin.

Depuis le 11 novembre 1942, la zone libre n'existe plus ; l'Allemagne nazie et le régime complice de Pétain accentuent la répression à l'encontre de la Résistance, que son absence de coordination, en dépit de l'appel du 18 juin, fragilisait. C'est pourquoi le général de Gaulle et l'ensemble des dirigeants de la France libre ont compris la nécessité d'unifier les différents mouvements de Résistance. Son délégué général Jean-Moulin, parachuté en France en janvier 1942, a su gagner leur confiance et les inciter à travailler ensemble.

La création du CNR est l'aboutissement de ces efforts. Sa première réunion, au premier étage du 48, rue du Four, chez René Corbin, réunissait 19 personnes, toutes recherchées, dans la plus grande clandestinité : huit grands mouvements de résistances, la CGT, la CFTC et les six grands partis de la IIIe République qui se reconnaissaient dans les idéaux républicains. Ce fut un acte fondateur qui a rassemblé des personnalités d'horizons différents autour des valeurs de la République.

Le CNR s'est assigné deux missions : mettre en oeuvre un plan de lutte immédiat et efficace de lutte contre l'occupant et le régime de Vichy, élaborer les mesures à appliquer après la Libération : ce fut le programme du CNR, qui visait à restaurer la démocratie sous toutes ses formes et à mettre en place des réformes économiques et sociales qui façonnent encore notre société.

L'arrestation, le 21 juin 1943, de Jean Moulin à Caluire et sa disparition auraient pu mettre le CNR en péril. Tel ne fut pas le cas, et le CNR représentera jusqu'au bout le refus de la capitulation, à l'instar du général de Gaulle qui s'imposa comme l'incarnation de ce refus.

Telle fut l'épopée du CNR. Certains ont payé au prix fort le refus de se soumettre à un ordre totalitaire et leur volonté de reconquérir pour le bien de tous les droits fondamentaux. Le personnage le plus emblématique du Conseil, Jean Moulin, a payé de sa vie l'attachement à son idéal et repose depuis 1964 au Panthéon, ce n'est que justice. Mais l'hommage de la patrie va à tous les résistants qui font partie « des martyrs, des vaillants, des forts » chantés par Victor Hugo.

Voilà qui justifie cette proposition de loi, qui instaure une journée nationale pour assurer la transmission de la mémoire et rendre hommage aux acteurs de la Résistance, dont certains sont encore vivants.

Certains esprits chagrins craignent que l'on encombre le calendrier mémoriel. Mais aucune journée commémorative n'est dédiée spécifiquement à la Résistance. Il y a ceux qui écrivent l'Histoire et ceux qui la font : ce sont ces derniers que je privilégie. Un récent sondage révèle que près des deux tiers des jeunes de 15 à 24 ans ignorent ce que fut la rafle du Vel d'Hiv. C'est dire que la route est longue. Et 85 % de nos concitoyens estiment important de transmettre cette mémoire aux jeunes, alors que le négationnisme et le révisionnisme ressurgissent. A nous d'aider notre jeunesse à appréhender son propre avenir en tirant les leçons de l'Histoire. « Celui qui ignore son passé » disait Churchill, « se condamne à le revivre»...

Dans de nombreux départements et établissements scolaires, le Concours de la Résistance et de la Déportation participe de cette oeuvre pédagogique, mais il n'est pas partout suivi.

Les anciens résistants demandent depuis longtemps la mise en place d'une telle journée. Bien des collectivités territoriales ont relayé cette demande des associations.

Le 27 mai ne sera ni férié, ni chômé. L'article 3 a fait l'objet d'une concertation avec le rapporteur, M. Kerdraon : il concerne les actions pédagogiques à mener auprès des élèves de collèges et lycées. Alors que notre pays, écrasé sous la botte nazie et le régime de Vichy, était près de sombrer dans la résignation, des femmes et des hommes se sont levés, dans un formidable élan de volontarisme et de lucidité, allant jusqu'à imaginer la société de demain, démarche concrétisée dans le programme du CNR qui évoque « les jours heureux » : c'était rompre avec le fatalisme pour influer sur le cours des choses. C'est là l'acte fondateur. Alors que le fossé se creuse entre l'opinion et le monde politique, c'est nous inviter à la réconcilier avec la chose publique que d'aller chercher dans l'Histoire des raisons d'espérer en une République plus juste et plus fraternelle. Cette proposition de loi entend apporter une modeste contribution à cette belle entreprise. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Je salue l'excellente initiative de M. Mirassou, qui s'est exprimé avec son talent habituel. Le 27 mai 1943 eut lieu la première réunion du CNR qui réalisait l'union politique des mouvements de résistance, partis et syndicats derrière le général de Gaulle. Il est urgent de renouer avec les valeurs qu'il a promues. Cette proposition de loi s'inscrit dans la suite de celle sur le 19 mars, marquant la fin de la guerre d'Algérie, que nous devons à Alain Néri.

L'instauration d'une telle journée est un devoir de mémoire et d'histoire. Parmi les hommes et les femmes de la Résistance, 20 000 tués au combat, 30 000 fusillés, plus de 60 000 déportés. Il faut faire connaître ce dévouement à la jeunesse. Les valeurs de la Résistance doivent nous être une référence à transmettre. Les valeurs de paix et de démocratie sont essentielles à l'heure où tant de conflits frappent le monde.

Le temps passe mais la reconnaissance de la nation doit demeurer toujours aussi vive. Il faut éclairer l'Histoire par les lois et les lois par l'Histoire, écrivait Montesquieu ; c'est dans cette logique que nous nous plaçons.

Quel courage, quelle abnégation chez les combattants qui ont lutté contre l'occupant ! Jean-Pierre Azéma, lors de son audition, a souligné que c'est bien l'unification politique de la Résistance qui a préservé la France des luttes pour le pouvoir qui ont suivi la libération dans d'autres pays européens, comme en Grèce et en Yougoslavie.

L'histoire de la Résistance figure dans les programmes de troisième et de première. Le Concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD) joue un rôle majeur de mémoire. Il faut donner aux établissements et enseignants volontaires, avec cette journée, la possibilité d'approfondir, en leur laissant une grande souplesse -pour ne pas répéter l'erreur de la lettre de Guy Moquet.

Le programme du CNR préfigurait les grandes réformes sociales de l'après-guerre, pour une France plus juste et plus solidaire. Que d'avancées ne devons-nous pas à la Résistance, depuis le droit de vote des femmes jusqu'au Préambule de la Constitution de 1946, en passant par la sécurité sociale et les nationalisations. En instituant cette journée, voulue par de nombreuses associations et de nombreux parlementaires, dont beaucoup furent précurseurs -comme André Vallet, Gisèle Printz ou Guy Fischer-, nous aurons fait oeuvre utile. Il ne s'agit pas ici d'alourdir le calendrier mémoriel ni de prescrire une vision officielle de l'Histoire mais de saluer l'action de la France libre, dont Jean Moulin fut l'une des grandes figures. En juin 1940, dans une lettre adressée à sa mère, il écrit : « Je ne savais pas qu'il était si simple de faire son devoir quand on est en danger ». Malraux, dans son discours d'hommage au Panthéon, voyait en lui un Carnot qui avait su donner corps à cette armée de l'ombre.

L'actualité des valeurs pour lesquelles se sont battus les résistants, dont les derniers représentants disparaissent au fil des ans, comme Stéphane Hessel ou Robert Galley, mérite d'être rappelée. André Malraux, encore, disait : « Dans un univers passablement absurde, il y a quelque chose qui n'est pas absurde, c'est ce que l'on peut faire pour les autres ». Cette phrase résume à merveille le dévouement et le courage des soldats de l'ombre. Le choix de la date du 27 mai s'imposait.

Au-delà des cérémonies officielles, il s'agira, et c'est l'objet de l'article 3 du texte, de rappeler le rôle des jeunes dans la Résistance. Élu des Côtes d'Armor, je veux rendre un hommage particulier au lycée Anatole Le Braz de Saint-Brieuc et à ses lycéens martyrs. Le 10 décembre 1943, la Gestapo fait irruption dans l'établissement et en ressort avec 21 élèves accusés de résistance, dont Pierre Le Cornec, Yves Salaün et Georges Geffroy. Quelques semaines plus tôt, à Plérin, la commune dont je suis maire, ils ont tué un SS. Ils seront fusillés au Mont-Valérien le 21 février 1944. Ils avaient 18 ans. « Mon cas était plus grave que je ne le pensais », écrit Georges Geffroy dans une dernière lettre aux siens. « J'ai joué, j'ai perdu, ce que d'autres gagneront, j'ai combattu pour un grand idéal : la liberté » écrit Yves Salaün. « Ma vie a été courte, mais j'ai le sentiment qu'elle a été belle, car j'avais un idéal », écrit Pierre Le Cornec. Ces témoignages méritent d'être transmis aux jeunes générations. Certains, comme Louis Le Faucheur, décédé la semaine dernière, connaîtront le cauchemar de la déportation. Au total, 81 élèves et un professeur du lycée Le Braz sont morts pour la France. L'établissement a reçu la Croix de guerre avec étoile d'argent.

Les jeunes sont porteurs des valeurs des mouvements de jeunesse de l'entre-deux-guerres. Unis par un même désir de liberté, de la guerre d'Espagne à la Résistance, ils ont exprimé leur foi dans les valeurs de la République.

Marc Bloch, dans L'étrange défaite, évoquait un nouveau printemps. Je pense aussi à René Char pour qui résistance rimait avec espérance. Rendons hommage à cette croyance indéfectible dans les valeurs républicaines en adoptant cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants .  - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Merci au président Bel de présider cette séance : sa présence m'honore et je sais l'importance qu'il accorde à cette journée au regard de son histoire. (Applaudissements)

Je salue MM. Mirassou et Kerdraon, respectivement auteur et rapporteur de cette proposition de loi.

Il y a quelques mois, j'étais à El Alamein pour l'anniversaire de cette bataille qui marqua un tournant de la deuxième guerre mondiale. J'étais accompagné d'un ancien combattant de la France libre. Ce héros de la guerre eut le discours le plus élogieux que j'ai pu entendre sur les résistants, animés, à ses yeux, par un sens du devoir hors du commun.

Les combattants de l'ombre, disait-il, ont mis leur vie en danger à toute heure du jour et de la nuit, ainsi que celle de leurs proches, ce qui n'a pas été le cas du soldat que j'étais.

Robert Chambeiron, président d'honneur de l'Office des anciens combattants, Daniel Cordier, qui faisait le guet, le 27 mai, rue du Four, qui frappe par la modestie de son héroïsme, méritent, avec tous ceux de la Résistance, un juste et nécessaire hommage. Leur lutte contre le nazisme et la barbarie fut exemplaire. En cette année anniversaire, instituer cette journée a toute sa justification, pour perpétuer la mémoire de chair de ces temps avant qu'elle ne devienne mémoire de pierre. Denise Vernay, Françoise Seligmann, Alain Plantey ou Stéphane Hessel, sans oublier Pierre Brossolette, ont déjà rejoint la longue cohorte des héros disparus.

La flamme de la Résistance ne doit pas s'éteindre, disait le général de Gaulle. C'est à cet appel que répond ce texte. La coordination qu'opéra le CNR a non seulement contribué à libérer la France mais inspiré l'essentiel des lois votées après-guerre, et permis la reconstruction du pays.

Les valeurs de solidarité, de justice, de fraternité, de courage et de combat seront, le 27 mai, mises à l'honneur et le sacrifice de ces hommes et de ces femmes sera rappelé, comme celui de Manouchian et des fusillés au Mont Valérien parce qu'étrangers et résistants. Il faut rappeler les valeurs qu'ils ont défendues en le payant de leur vie, les transmettre à notre jeunesse. Je salue les enseignants qui déjà s'y attèlent ; avec ce texte, ils garderont toute leur liberté pédagogique.

Ce texte reçoit le plein soutien du Gouvernement. Je suis pour une mémoire non pas éteinte mais vive, vivante, qui honore et aide à avancer vers plus de tolérance, plus de respect, plus de liberté. De ces femmes et de ces hommes, j'ai retenu qu'ils étaient modestes et tolérants ; ils sont l'honneur de la République, de ce que doivent être une République apaisée et une mémoire elle-même apaisée. (Applaudissements)

M. le président.  - Merci, monsieur le ministre, pour vos propos.

M. Bernard Fournier .  - Cette proposition de loi a le soutien de nombreuses associations d'anciens combattants et amis de la Résistance. Elle rencontre mon approbation : elle rend hommage à des hommes et des femmes qui sont allés jusqu'au sacrifice suprême pour défendre des valeurs intemporelles et universelles. Peu nombreux, souvent jeunes, ils étaient la France et ont fait la France. Faisant fi de leurs différences, ils se sont réunis autour de Jean Moulin, sous l'autorité du général de Gaulle, pour faire triompher leur idéal. Ils luttaient contre l'esprit de collaboration, pour un ordre social plus juste.

Le programme économique et social du CNR a encore une influence considérable dans notre société. Il est un bel exemple de ce que des femmes et des hommes déterminés peuvent faire de mieux pour une cause qui les transcende. Il a permis à notre pays de se relever et d'espérer. Il a créé les fondements de notre République sociale, créé la sécurité sociale et consacré les droits inscrits au préambule de 1946.

Il est de notre devoir, alors que seuls 23 des 1 038 Compagnons de la Libération sont encore en vie, de rendre hommage à l'armée des ombres et de transmettre à notre jeunesse les valeurs d'indépendance et de liberté qu'elle a portées.

Le 27 mai ne sera ni férié ni chômé : je m'en réjouis car les journées commémoratives instaurées ces dernières années ont abondé le calendrier, depuis l'abolition de l'esclavage du 10 mai jusqu'au 5 décembre pour les morts de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, en passant par l'hommage aux harkis du 25 septembre ou aux combattants de la guerre d'Indochine le 8 juin...

M. Alain Néri.  -  Et le 19 mars ?

M. Bernard Fournier.  - Je ne l'oublie pas, nous l'avons célébré tout récemment.

La commission des affaires sociales a amélioré la proposition initiale : seuls les établissements du second degré seront concernés par les actions pédagogiques, pour lesquelles les enseignants garderont leur liberté pédagogique. Je salue la suppression du terme « déportation », trop large et peu qualifiant car elle ne fut pas l'apanage du seul régime nazi.

Le groupe UMP votera de façon quasi-unanime cette proposition de loi et je veux conclure en rendant ici un vibrant hommage à la Résistance française. (Applaudissements)

Mme Isabelle Pasquet .  - Le groupe CRC formule une telle proposition depuis des années. Elle répond à une demande récurrente des associations d'anciens combattants et de résistance. Certes, il y a déjà le 18 juin ou le 8 mai mais célébrer le 27 mai, c'est reconnaître l'apport inestimable de la Résistance à la reconstruction du pays et rendre hommage à l'armée de l'ombre.

Cette date, qui marque le début du processus politique de libération, fait l'unanimité : elle symbolise l'unification de la résistance et marque la participation du peuple français à l'entreprise de libération.

N'oublions jamais ceux qui ont fait ce choix de l'engagement au péril de leur vie pour offrir un avenir à tous leurs concitoyens. Cette période nous enseigne aussi qu'aucune destinée personnelle ne peut s'extraire d'une volonté collective partagée. L'action collective de la Résistance a rendu à la France, à la Libération, ses lettres de noblesse et fait échec à la volonté britannique et américaine de mettre notre pays libéré sous la tutelle de leur administration.

Retenir la date du 27 mai, c'est aussi célébrer le programme et l'héritage du CNR, que certains s'acharnent, aujourd'hui, à tenter de démanteler -on se souvient des déclarations de Denis Kessler. Nombreux furent ceux, parmi lesquels Stéphane Hessel, qui s'élevèrent, dans un appel, contre ces attaques répétées. Au nom de quel dogme doit-on sacrifier les principes qui ont guidé l'élaboration du programme des « jours heureux » ? La haine prospère sur le terrain de l'exclusion, du renoncement et du sentiment de l'impuissance. Quand sombre le collectif, c'est alors que s'ouvre la boîte de Pandore.

Ce programme appelait à l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale : droit au travail et au repos, au retour à la nation des richesses du pays, à une retraite digne pour les vieux travailleurs. Toute politique publique doit être évaluée à cette aune.

En adoptant cette proposition de loi, nous rendrions un bel hommage à Stéphane Hessel, qui a consacré sa vie à faire vivre la flamme de la Résistance. (Applaudissements)

M. Jean Boyer .  - Dans deux mois, la France inscrira dans sa mémoire une date marquée par un homme exceptionnel : Jean Moulin. De tels hommes sont rares.

Chaque jour, les dernières paupières se ferment, les derniers résistants succombent au combat de la vie. Aujourd'hui, notre pays est en paix. Qu'il n'oublie pas le 8 mais 1945.

En juillet dernier, je représentais le Sénat à Vichy pour célébrer les 80 parlementaires qui avaient dit non à la résignation, à la défaite. Il est plus facile aujourd'hui de penser que nous aurions tous été résistants ; à l'époque, c'était autrement difficile. Jean Moulin a été un résistant de la première heure.

Cher Jean-Jacques Mirassou, vous n'étiez pas encore né, dans ce beau département de la Haute-Garonne. Vos parents ne savaient pas si vous seriez un brillant élève, un chirurgien-dentiste qui rendrait cet hommage aux résistants. (Applaudissements à gauche) Le 15 août 1944, j'avais 7 ans, je gardais les vaches avec ma mère. Je me souviens encore du tract tombé du ciel où je lus que la victoire était certaine. Je ne le relis pas, je le connais par coeur !

Les semailles de l'espérance avaient été plantées dès le 18 juin 1940, par le plus grand des Français du XXe siècle. En France, un patriote français refusait la résignation. Il allait finir trahi, décédant dans le train qui le menait à la déportation, des suites des tortures subies. Nous devons parler, au nom de la France, de l'idéal, de la solidarité, de la fraternité. Jean Moulin a enduré des souffrances morales et physiques exceptionnelles. Nous lui devons hommage.

En 1943, la France avait peur. Aujourd'hui, elle s'engage, au Mali et dans les actions humanitaires. Nous vivons un moment fort autour de cette journée nationale de la Résistance. Le groupe UDI-UC votera des deux mains cette proposition de loi. (Applaudissements)

M. Robert Tropeano .  - Cette proposition de loi ponctuera le calendrier commémoratif national d'un nouvel hommage attendu aux combattants de l'ombre qui sont l'honneur de la France. Le groupe du RDSE a toujours soutenu les initiatives exprimant la reconnaissance de la Nation aux victimes et militaires.

La Résistance a dévié le destin de notre pays. Répondant à l'appel du 18 Juin, des hommes et des femmes se sont résolument engagés. Plus de 80 000 personnes ont été déportées pour fait de résistance ; 35 000 sont mortes. Près de ma commune, 18 résistants ont été fusillés...

L'instauration d'une journée nationale de la Résistance est une demande ancienne et consensuelle. L'article premier devrait donc être approuvé à l'unanimité. Je m'en réjouis. Le choix du 27 mai s'impose. Derrière le CNR, il y a une grande figure de l'engagement et du patriotisme : Jean Moulin. Le courage, la grandeur, le dévouement, l'abnégation : les mots manquent pour qualifier l'action de l'homme au chapeau.

Rendre hommage à ces hommes, c'est donner aux jeunes un exemple de fraternité, leur transmettre les valeurs de la République. J'approuve la rédaction retenue par la commission des affaires sociales : les élèves sont très réceptifs aux actions des enseignants, dont la liberté pédagogique mérite d'être respectée. Stéphane Hessel nous a quittés le 27 février dernier, après Raymond et Lucie Aubrac, qui allaient à la rencontre des lycéens pour leur communiquer l'histoire de la Résistance.

Cette proposition de loi maintiendra le lien mémoriel entre les générations. C'est un hommage à ceux qui « sont morts dans les caves sans avoir parlé », auxquels André Malraux a su rendre un si vibrant hommage. Apportons une nouvelle pierre au bel édifice de la mémoire collective. (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - Il y a un an, nous adoptions une proposition de loi créant le conseil des communes « Compagnons de la Résistance ». Ce texte va dans le même sens : refuser que s'éteigne la mémoire de ceux qui ont lutté contre l'occupant. Je rendais alors hommage à Stéphane Hessel, homme exceptionnel qui nous a quitté depuis, après Lucie et Raymond Aubrac, Louise London, Maurice Voutey, Germaine Tillon et tant d'autres. Ces femmes et ces hommes consacraient leur dernière énergie à témoigner. Leur message, c'était l'esprit de la Résistance. Leur disparition laisse un vide qui ne pourra être comblé. Plus le temps passe, plus la flamme sera difficile à porter dans un pays qui n'aura jamais connu une aussi longue période de paix.

Le mouvement politique auquel j'appartiens a toujours été réticent à l'égard des lois mémorielles. Mais ce texte-ci ne peut être taxé d'électoralisme ou de nationalisme cocardier puisque la République a aussi connu un passé collaborationniste et que la Résistance eut aussi une dimension internationale, y compris en Allemagne même.

En outre, on ne nous propose pas un nouveau jour chômé ou férié mais un travail de mémoire. Le choix du 27 mai 1943 est une référence judicieuse. On aurait pu penser au 15 mars 1944, jour où fut adopté le programme du Conseil national de la Résistance mais à cette date, Jean Moulin n'était plus vivant. Il était bon aussi que la date retenue ne tombe pas pendant les vacances scolaires. Le débat sur la Résistance doit-il toutefois se cantonner au cadre scolaire ? Le 27 mai doit être un jour pour tous. Les thèmes de la Résistance ne doivent pas être cantonnés aux cours d'histoire. Ils peuvent être l'occasion de découvrir les écrits de Jacques Decour, les peintures d'André Girard, fondateur du réseau Carte, les poèmes de René Char ou encore le Chant des marais composé par le musicien allemand Rudi Goguel.

Ce texte est un passage de témoin, qui appelle les simples citoyens, les exploités, les humiliés à ne pas se laisser impressionner par les dérives actuelles qui menacent la paix et la démocratie. Le groupe écologiste le votera (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Gisèle Printz .  - Nous célébrons chaque année, le 8 mai, la victoire sur la barbarie nazie, victoire des valeurs démocratiques et humanistes sur une conception raciste et barbare de la société. La France a dû surmonter la période d'abandon et d'indignité commencée le 10 juillet 1940, quand une majorité de parlementaires ont voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. La République avait été ainsi souillée par l'esprit collaborationniste qui a conduit à la rafle du Vel d'Hiv et aux exactions de la milice. La Résistance était toutefois en marche ; elle a commencé avec le refus de 80 parlementaires de voter les pleins pouvoirs. Diverse, dispersée, mal organisée, elle était le fait d'hommes et de femmes dotés d'un formidable courage et d'une foi inébranlable dans les valeurs de la République. Citons les époux Aubrac, Germaine Tillon, Stéphane Hessel, Françoise Seligmann, Pierre Mendès-France, Geneviève de Gaulle, Simone Weil.

La Résistance de l'intérieur complétait celle organisée par le général de Gaulle depuis Londres. C'est à sa demande que le Conseil national de la Résistance a vu le jour le 27 mai 1943, sous la présidence de Jean Moulin. Son programme appelle à un véritable redressement. Il promet une République nouvelle, démocratique et sociale.

Le préambule de 1946 consacre ces valeurs ; la IVe République mettra en oeuvre les propositions politiques du CNR. Les résistants ont permis à la nation toute entière de s'engager dans l'oeuvre de redressement national. Nous avons besoin de cet esprit aujourd'hui.

André Malraux, lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, souligna le rôle de ce jeune préfet dans la création de « l'armée des ombres ». Le 8 juillet 1943, il devait mourir en route pour la déportation.

La journée instaurée par cette proposition de loi permettra de faire mieux connaître aux lycéens et collégiens une page glorieuse de notre histoire, de transmettre les valeurs et les idéaux de la République. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Didier Guillaume .  - Merci, cher Jean-Jacques Mirassou, de nous permettre de mettre ce matin l'histoire sur le devant de la scène, pour que le passé ne se répète pas. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Le 27 mai 1943, à quelques rues d'ici, se réunissaient des hommes et des femmes unis par un même amour de la patrie et un même idéal de la liberté. Le Conseil national de la Résistance a un nom : Jean Moulin. C'est grâce à lui que nous sommes ce que nous sommes. L'appel du 18 Juin résonne encore. Comment ne pas se rappeler Jean Moulin, Lucie et Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Elsa Triolet et Louis Aragon, toutes ces femmes et tous ces hommes célèbres ? Mais la Résistance, ce sont aussi les anonymes, parfois nos pères ou grands-pères.

Qui, parmi nous, peut dire ce qu'il aurait fait le 20 juillet 1940 ? Saluons les 80 parlementaires qui ont dit : la France restera debout.

La Drôme a connu le maquis du Vercors, c'était la maison de ceux qui refusaient le STO, la barbarie nazie. Sous la houlette du colonel Triboulet, le Vercors a tenu. Une pensée pour les 16 fusillés de la Chapelle-en-Vercors, une pensée pour Vassieux-en-Vercors anéantie par 72 planeurs allemands. Une pensée pour la grotte de la Luire, l'hôpital du Vercors, où les blessés ont été achevés, les soignants déportés.

Nous ne voulons pas revisiter l'histoire mais préparer l'avenir. Si nous oublions, rien ne sera demain comme aujourd'hui. Encore un grand merci à Jean-Jacques Mirassou. Nous sommes unis par une seule cause : la défense de la France, de la liberté, de la République. Faisons oeuvre utile pour la Nation ! (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Alain Néri .  - Nous vivons un moment d'une importance capitale. Nous allons rendre hommage à ceux qui se sont mobilisés dans les maquis, avec les Forces françaises libres (FFL), mais qui ont aussi préparé l'avenir, les avancées sociales dont nous jouissons aujourd'hui.

Le programme du CNR est trop oublié : rappelons-le aux jeunes et aux moins jeunes. La Résistance a commencé même avant l'appel du 18 Juin. Certains avaient compris qu'il y a un moment où un pays doit se lever pour vivre ou se coucher pour mourir. Ils ont affronté les dangers, peut-être avec l'inconscience de leur jeunesse pour lutter. Je pense aussi aux 80 parlementaires qui ont refusé les pleins pouvoirs à Pétain. Qu'aurions-nous fait en 1940 ? Personne ne peut le dire. J'espère que je ne me serais pas trompé... Les résistants des maquis étaient les héritiers des sans-culottes de Valmy.

Souvenons-nous du chant du partisan : « Ami, entends-tu le bruit sourd du pays qu'on enchaîne ». Mal armés, mal préparés, ceux qui se sont levés ne voulaient pas d'un pays qu'on enchaîne.

Je veux ici adresser une pensée aux maquis d'Auvergne. « On est d'Auvergne et on ne lâche pas ! » dit notre proverbe. Cela supposait de s'organiser. C'est pourquoi l'oeuvre de Jean Moulin fut fondamentale. Il sut réunir « celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas ». Il sut rassembler, autour d'une même vision de la France.

Le programme du CNR, c'est la sécurité sociale, le droit de vote aux femmes, les retraites, les conditions de travail. Ils avaient l'audace de penser l'avenir, cette République de progrès social, cette République de liberté, d'égalité, de fraternité.

Jean-Jacques Mirassou nous permet de faire oeuvre d'éducation civique et politique, à l'heure où il nous faut lutter contre le révisionnisme, le retour des théories les plus réactionnaires, qui nous rappellent des périodes sombres. Je me félicite de l'instauration de cette journée mais surtout de son enseignement dans toutes les écoles de France, qu'il faudrait généraliser à toutes ces journées commémoratives.

« Souviens-toi, jeunesse de France ! » exhortait André Malraux au Panthéon. Nous devons faire en sorte que la jeunesse de France se souvienne, que tous les républicains se réunissent pour défendre la liberté et la démocratie ! (Applaudissements)

La discussion générale est close.

présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président

Discussion des articles

Article premier

M. Roland Courteau .  - Ce texte rend hommage à ceux qui n'ont pas parlé sous la torture, qui ont choisi de lutter, de ne pas se soumettre. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas, nous ne voulons pas oublier que d'autres ont frayé un chemin, au prix du sang et des larmes, et que nous leur devons notre liberté. La mémoire, c'est la première justice rendue aux victimes, le premier rempart contre la guerre. Un peuple sans mémoire est un peuple sans identité, sans avenir. Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre. « Le plus grand défaut de l'homme, c'est sa mémoire courte » me disait un élève de sixième.

Que toujours et sans cesse souffle le vent de l'histoire pour rappeler le sacrifice de ceux qui perdirent la vie. Que toujours et sans cesse souffle le vent de l'histoire pour rappeler aux jeunes générations ce que nous sommes, d'où nous venons. Que toujours et sans cesse souffle le vent de l'histoire pour rappeler que d'un côté on se bat pour la paix tandis que de l'autre on opprime et on torture.

Merci à Jean-Jacques Mirassou de vouloir perpétuer le souvenir de Jean Moulin et de toutes ces femmes et tous ces hommes qui entrèrent en résistance. Victor Hugo écrit : « Les souvenirs sont une force, ils dissipent les ténèbres ; quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer de grandes dates, comme on allume des flambeaux ». Le 27 mai sera un tel flambeau, qui éclairera le passé et l'avenir. (Applaudissements)

Mme Frédérique Espagnac .  - Les hommes qui se réunirent le 27 mai rue du Four n'étaient pas seuls : des millions d'hommes et de femmes étaient entrés, comme ceux, en résistance. Les Français résistants devenaient ce jour la Résistance française, véritable « armée des ombres ».

Combien de jeunes aujourd'hui peuvent encore citer ces héros, entonner le Chant des partisans ? Le temps fait implacablement son oeuvre, l'enseignement de l'histoire est sans doute trop parcellaire...

Pourtant, nous ne pouvons tolérer que la bravoure de ces hommes et de ces femmes tombe dans l'oubli, sans avoir jamais reçu l'hommage de la Nation. Je conclurai en citant à mon tour André Malraux évoquant « ce terrible cortège, avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; les 8 000 Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à un résistant. Entre le peuple né de l'ombre et disparu avec elle, nos frères dans l'ordre de la Nuit ». (Applaudissements)

M. Jacques Berthou .  - Le 27 mai 1943, alors que Paris vit sous la surveillance de l'oppresseur, que toute la France est occupée, le CNR se réunit pour la première fois autour de Jean Moulin, dans le 6e arrondissement, dernier pied de nez à l'envahisseur avant sa capture. Le souvenir de la Résistance est encore vif chez les plus âgés d'entre nous : nos parents, nos grands-parents, les témoignages rappellent cette période où la France n'était plus la France, cette période du STO, de la soumission au régime nazi du maréchal Pétain.

Cette proposition de loi s'adresse à tous ceux qui ont cru en des lendemains meilleurs, qui écoutaient clandestinement les messages de la France libre. Les réseaux de la Résistance ont écrit, le 27 mai, ce que serait la France de demain. Avant, il y avait des résistances ; après, la Résistance. Ce jour-là, le CNR accorde au général de Gaulle une légitimité incontestée, la France devient un pays allié à part entière.

Je veux évoquer le souvenir des maquisards de l'Ain. Le 11 novembre 1943, à Oyonnax, ils défilaient à la barbe de l'occupant, malgré l'interdiction, pour déposer une gerbe portant l'inscription « Des vainqueurs de demain à ceux de 14-18 ». Ce fut un acte de résistance, de combat, qui continue de nous émouvoir.

La proposition de loi de Jean-Jacques Mirassou est une ode à la Résistance mais aussi un message aux générations futures. La force de la Résistance dépasse nos différences, nos divergences. Nous avons tous un devoir de mémoire. Il y a toujours eu des Français pour s'opposer à la soumission, à la confiscation de leur liberté de penser ou d'agir. C'est là le sens de cette proposition de loi.

Le CNR a forgé la France de l'après-guerre. Le gouvernement provisoire de la République française en a appliqué les recommandations, avec la création de la sécurité sociale et le vote des femmes.

Alors que les derniers résistants s'éteignent, il fallait faciliter la transmission pour ceux qui n'ont pas connu les humiliations ; les blessures de la population française furent le creuset dont s'élevèrent les résistants. Stéphane Hessel disait que résister, c'est créer comme créer, c'est résister. A la mémoire des résistants, il est de notre devoir d'adopter cette proposition de loi.

L'article premier est adopté, ainsi que les articles 2 et 3.

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. J. Boyer.

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Chaque année, il est institué dans chaque département un concours national de la Résistance et de la Déportation.

M. Jean Boyer.  - Pour conserver le souvenir dans la jeunesse, le prix de la Résistance est organisé dans beaucoup de départements. Ceux qui ont porté le flambeau disparaissent l'un après l'autre. Pour que les élus et les anciens combattants, La Marseillaise et Le chant des partisans continuent de vivre ensemble, inscrivons dans la loi ce concours national. Camus disait que la meilleure générosité envers l'avenir, c'est de donner beaucoup au présent : un propos d'une brûlante actualité. (Applaudissements)

M. Ronan Kerdraon, rapporteur.  - Je partage votre flamme, d'autant que j'ai eu l'occasion de participer, comme enseignant, au concours de la Résistance et de la Déportation. Mais je ne crois pas utile d'inscrire ce concours dans la loi. La volonté politique de pérenniser cette manifestation, à laquelle participent 40 000 élèves chaque année, est bien là.

M. Kader Arif, ministre délégué.  - Ce concours est un vecteur essentiel de transmission aux jeunes générations de la mémoire de la Résistance. Je travaille activement avec Vincent Peillon pour le rendre plus visible encore. Vous pouvez compter sur moi : ce concours ne doit pas disparaître. C'est pourquoi il ne me semble pas utile de l'inscrire dans la loi.

M. Jean Boyer.  - Je retire l'amendement car la volonté est là, cette proposition de loi en témoigne.

L'amendement n°1 est retiré.

Interventions sur l'ensemble

M. Jean-Jacques Mirassou .  - Je félicite le rapporteur qui a beaucoup oeuvré pour élaborer la rédaction de l'article 3. Merci à notre assemblée, qui a été à la hauteur des enjeux. Ce texte aura le mérite d'éveiller les consciences. J'ai coutume, en Haute-Garonne, d'évoquer Jean Moulin, prototype le plus noble de ce que peut produire la République et qui avait déjà refusé, comme préfet, le parjure, mais aussi Marcel Langeais, juif polonais qui, ayant participé à la guerre d'Espagne, a animé la trente cinquième brigade FTP-MOI, avant de mourir, dans des conditions dramatiques, le 23 juillet 1943. L'un et l'autre n'étaient pas prédestinés à se rencontrer : la Résistance les a réunis. Marcel Langeais, guillotiné comme un détenu de droit commun à Toulouse, est mort en criant « Vive la République ».

J'ai voulu nous mettre en capacité collective de faire vivre cette République. Le 27 mai sera une pierre blanche dans notre mémoire collective. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jean-Claude Requier .  - Je veux saluer la lucidité et le courage des résistants. J'ai moi aussi enseigné l'histoire de cette période et recueilli des témoignages de résistants, souvent réticents à évoquer une époque si difficile. L'oeuvre de la Résistance est indéniable, tant la France était à genoux : Henri Amouroux parle de « 40 millions de pétainistes ». Les patriotes, qui ont subi la torture, la déportation, méritent toute notre reconnaissance. Que soit ici honorée leur mémoire, tant bafouée à l'époque, quand la propagande de l'occupant les qualifiait de « terroristes ».

Je voterai ce texte des deux mains. (Applaudissements)

Mme Corinne Bouchoux .  - « Le verbe résister se conjugue toujours au présent », disait Lucie Aubrac : nous voterons ce texte. (Applaudissements)

M. Didier Guillaume .  - « L'essentiel n'est pas d'entretenir les cendres, c'est de raviver la flamme » disait Jean Jaurès. Merci à tous ceux qui étaient là ce matin, merci à Jean-Pierre Bel, président du Sénat, et à Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, d'avoir présidé cette séance et contribué à sa solennité. Je salue Jean-Jacques Mirassou, traversé par son histoire familiale, pour avoir eu l'initiative de ce texte. Nos parents, nos oncles et tantes, nos grands-parents nous parlent de cette période. Les jeunes d'aujourd'hui n'ont pas cette chance. Quand auront disparu les derniers combattants du feu, les derniers résistants, il faudra entretenir la mémoire. Tel était le sens de l'amendement de Jean Boyer : retenir un moment pour que les jeunes s'approprient cette mémoire. Je le remercie de l'avoir retiré mais j'insiste, monsieur le ministre, pour que la flamme se transmette. Je pense à cet ancien résistant qui, malgré son grand âge, fait chaque année le tour des lycées de mon département, s'employant à transmettre cette mémoire. Le temps passe, les enfants d'aujourd'hui n'ont pas la même culture ni la même éducation que celle que nous avons reçue.

M. Roland Courteau.  - Absolument.

M. Didier Guillaume.  - Notre pays est souvent traversé par des vents violents, mais qui n'égaleront jamais la vigueur de la tempête de l'Occupation. N'oublions jamais que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise. Il est de notre devoir de nous rassembler autour des valeurs communes de la République et de tracer des perspectives, pour que l'histoire de nos grands-parents et de nos parents passe à nos enfants. (Applaudissements)

M. Bernard Fournier .  - Le groupe UMP, à l'unanimité moins une voix, votera ce texte qui aidera à porter la flamme de la mémoire. (Applaudissements)

M. Jean Boyer .  - Le groupe UDI-UC votera unanimement ce texte, Christian Namy nous a rejoints. Élu de Verdun, il connait bien les horreurs de la guerre. C'est pour qu'il n'y ait aucune ombre sur notre vote que j'ai retiré mon amendement. (Applaudissements)

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales .  - Notre assemblée est aujourd'hui unie autour de nos valeurs fortes. Merci, monsieur le ministre, pour la force et la sincérité de vos propos. Le maquis du Vercors, c'est aussi l'Isère, avec le Gisant de Malleval, village martyr de la Résistance.

Je pense aussi à notre collègue Guy Fischer, dépositaire d'une proposition de loi analogue, qui est avec nous dans la pensée. Je veux l'associer à notre vote, alors qu'il est engagé dans une autre sorte de résistance. (Applaudissements unanimes)

M. Kader Arif, ministre délégué .  - Je veux saluer la présence de Jean-Pierre Raffarin, comme j'ai salué tout à l'heure celle de Jean-Pierre Bel au plateau : elle rehausse notre débat. Merci à tous de m'avoir donné l'occasion de vous écouter, merci pour la richesse de vos propos. Les mots de courage, de sacrifice, de liberté, de résistance, de devoir sont trop souvent, aujourd'hui, galvaudés. Merci d'avoir rappelé le courage de ces hommes et de ces femmes, leur diversité, qui est aussi géographique.

Partout où je serai invité dans ce cycle mémoriel, je viendrai car je m'y nourris dans ma personne aussi. Merci d'avoir rappelé les valeurs du CNR et la devise de la République, liberté, égalité et fraternité.

Merci enfin, par votre unanimité, de rendre hommage à ceux qui incarnent encore la Résistance, de réchauffer leur coeur en faisant connaître et partager l'honneur de la Résistance, qui est celui de notre pays.

A la demande du groupe socialiste, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 348
Nombre de suffrages exprimés 348
Majorité absolue des suffrages exprimés 175
Pour l'adoption 346
Contre 2

Le Sénat a adopté.

(Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement)

Ce me fut un honneur tout particulier que de présider cette séance.

CMP (Nominations)

M. le président.  - Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion de commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux et du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, il va être procédé à la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires.

Les listes des candidats ont été affichées ; je n'ai reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 12 du Règlement.

En conséquence, ces listes sont ratifiées et je proclame représentants du Sénat à ces éventuelles commissions mixtes paritaires, titulaires : MM. Jean-Pierre Sueur, Michel Delebarre, Philippe Kaltenbach, Mme Eliane Assassi, M. Jean-Jacques Hyest, Mme Catherine Troendle, M. Michel Mercier ; suppléants : Mme Nicole Bonnefoy, M. Pierre-Yves Collombat, Mmes Jacqueline Gourault, Virginie Klès, MM. Jean-René Lecerf, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz.

Ces nominations prendront effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de ces commissions mixtes paritaires et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.

Organismes extraparlementaires (Nominations)

M. le président.  - La commission des affaires économiques, la commission du développement durable, la commission des finances et la commission de la culture ont proposé quatre candidatures pour le Conseil national du numérique.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement. En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Bruno Retailleau et Pierre Camani comme titulaires du Conseil national du numérique et M. Yvon Collin et Mme Sophie Primas membres suppléants.

La commission du développement durable a proposé une candidature pour le Conseil national de la mer et des littoraux. La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement. En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame Mme Hélène Masson-Maret membre suppléant du Conseil national de la mer et des littoraux.

Avis sur une nomination

M. le président.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 prises pour son application et de l'article 10 de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, la commission des affaires économiques a émis, à l'unanimité des présents, lors de sa réunion du 26 mars 2013, un avis favorable à la nomination de M. Jean-Yves Le Gall comme président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales.

La séance est suspendue à 11 h 40.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Vous connaissez la règle : 2 minutes 30 par intervenant.

Logement

M. Claude Bérit-Débat .  - Ma question s'adresse à Mme Duflot. Je salue les mesures annoncées jeudi dernier par le Premier ministre en faveur du logement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Le plan d'investissement répond à l'urgence sociale et économique. Les professionnels du BTP, les bailleurs sociaux, tous les acteurs concernés l'ont accueilli favorablement. La baisse de la TVA à 5 % pour le logement social était attendue. La précédente majorité l'avait porté de 5,5 à 7 %. L'abaissement devrait mécaniquement générer 25 000 logements sociaux. (Exclamations à droite, applaudissements à gauche)

La volonté de lutter contre les recours malveillants et l'inflation des normes est aussi à saluer. Ce plan répond aux attentes actuelles. (Exclamations à droite)

M. Alain Gournac.  - Ils sont heureux !

M. Claude Bérit-Débat.  - Il fixe un cap ambitieux et mobilise tous les acteurs, publics et privés.

M. Alain Gournac.  - La question ?

M. Claude Bérit-Débat.  - Quels sont les effets à attendre de ce plan en termes de construction et d'emploi ? Il y a urgence : quels seront le contenu et le calendrier des ordonnances annoncées ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement .  - Cette deuxième étape, après les mesures d'urgence prises en début de mandature, est un moment important, qui s'appuie sur le travail des parlementaires. Merci au président Raoul de m'avoir invitée hier pour l'exposer devant votre commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Nous répondons aux attentes de la profession, en mobilisant toutes les entreprises, grâce à l'autoliquidation de la TVA et aux avances de trésorerie. Ce qui va être décisif, c'est la TVA à 5 % pour le logement social. De nombreuses opérations nouvelles de construction et de rénovation seront lancées. Le Premier ministre signera, avant la fin du mois de mai, un pacte avec l'Union sociale de l'habitat pour tenir les objectifs ambitieux fixés par le président de la République. Avec ce plan d'urgence, avec la loi à venir, nous levons les verrous et nous attaquons aux difficultés en profondeur.

Sur les normes et les recours malveillants, rendez-vous avant la fin mai pour examiner la loi d'habilitation, qui pourrait être votée avant l'été. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Qualité du débat public

Mme Corinne Bouchoux .  - L'histoire ne se répète pas mais il faut en tirer les enseignements. Les propos tenus ces dernières semaines dans le débat politique n'en donnent pas une image reluisante... A la pipolisation exacerbée par la communication en direct s'ajoutent petites phrases et dérapages verbaux. Ainsi des jugements portés récemment, au mépris de la séparation des pouvoirs, sur une décision de justice. Conséquence, un juge aurait reçu des menaces de mort.

Comment faire en sorte que notre débat politique reste de bonne tenue et que les affrontements restent républicains ? Sinon, craignons que l'abstention explose et que les électeurs portent leurs voix, comme en Italie, sur des amuseurs publics. Comment avoir ici, à partir du 4 avril, avec l'examen du projet de loi sur le mariage pour les couples de même sexe, un débat courtois et républicain ? (Applaudissements à gauche)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Les petites phrases, les dérapages ternissent la démocratie, c'est vrai. Nous sommes dans un État de droit -l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme consacre la séparation des pouvoirs. La parole parlementaire ne peut se porter inconsidérément contre l'institution judicaire, épine dorsale de notre démocratie.

L'ensemble des personnels judiciaires ont la confiance du Gouvernement. J'ai saisi le Conseil supérieur de la magistrature pour l'interroger sur l'impact de ces propos sur le bon fonctionnement de la justice. Un juge a reçu des menaces... (Exclamations à droite)

M. François Grosdidier.  - Les élus aussi en reçoivent !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - L'élection est un surplus d'obligation, dit Emmanuel Lévinas, par lequel se profère le je de la conscience morale. Il faut une parole publique responsable à la hauteur de cette conscience éthique. (Applaudissements à gauche)

Chypre (I)

Mme Isabelle Pasquet .  - Monsieur le ministre des finances, vous avez qualifié l'économie de Chypre, paradis fiscal dans la zone euro, d'économie de casino. Va-t-on attendre que les faillites d'État se multiplient pour enfin lutter contre cet « ennemi sans visage », dont avait parlé François Hollande, qu'est le monde de la finance ? Le chiffre d'affaires de BNP-Paribas est l'équivalent du PIB de la France. Quand ces richesses seront-elles employées au service de la croissance ? Chypre va être condamnée à la récession et au chômage. Voulez-vous en faire un modèle pour tous les peuples européens ? Quand allez-vous faire entendre en Europe la voix de la France, au lieu de nous aligner sur les exigences allemandes ? Allez-vous nettoyer les écuries d'Augias du secteur bancaire luxembourgeois ? Étiez-vous hostile, comme on le dit, au règlement proposé pour Chypre ? N'y a-t-il pas un déni de démocratie poussé à la caricature par ce conseil des ministres européens qui décide de mettre un peuple à genoux ? Il faut défendre l'Europe en s'attaquant aux prédateurs de la finance, pas en assommant les populations. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances .  - (Mmes et MM. les sénateurs socialistes se lèvent et applaudissent longuement) Il n'est pas question d'évoquer Chypre comme un modèle. J'ai parlé d'économie casino, de plate-forme financière off shore indéfendable. Vous n'allez pas, vous, défendre une telle économie où l'encours du secteur financier représente sept à huit fois le PIB, où les dépôts sont rémunérés à 5 ou 6 %, où les non-résidents représentent 45 % des déposants, où l'on soupçonne des pratiques de blanchiment, où le taux de l'impôt sur les sociétés est à 10 %. Nous devions intervenir et c'est exceptionnel. Non, il n'y pas là de modèle de résolution. La voix de la France, que j'ai portée, a parlé pour protéger les dépôts inférieurs à 100 000 euros. La démocratie ? L'Eurogroupe n'impose pas : ce sont les autorités chypriotes qui ont adopté ces mesures.

Il reste beaucoup à faire pour aller vers l'union bancaire, l'équilibre entre l'Europe de la croissance et le rétablissement des comptes. Il faut faire preuve de solidarité envers Chypre mais il fallait agir. La solution apportée, après la première, est une bonne solution, juste et globale. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Chypre (II)

M. Jean-Pierre Chevènement .  - La première proposition du président de l'Eurogroupe a dû être retirée ; une deuxième, tout aussi arbitraire, impose à Chypre une profonde restructuration bancaire. Ceux qui ont prix des risques doivent assumer leurs responsabilités, dit M. Dijsselbloem ; les déposants, les actionnaires et les créanciers obligataires doivent y participer... Cela veut dire que les pays les plus riches de la zone euro veulent limiter la participation du Mécanisme européen de solidarité. Est-ce un cas exceptionnel ou ce traitement risque-t-il d'être appliqué à d'autres pays, aux paradis fiscaux de la zone euro ? Le risque de fuite de capitaux peut-il être évité ? Jusqu'où l'Eurogroupe peut-il imposer à un pays de changer son modèle économique ? Menacer de couper le robinet, comme l'a fait M. Draghi au nom de la BCE, n'est-ce pas utiliser la Grosse Bertha... (Murmures à droite) On sait que la Russie utilise Chypre : y a-t-il un dialogue entre l'Union européenne et la Russie ?

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances .  - La situation de Chypre est exceptionnelle, elle ne peut être en rien un exemple. Son modèle menaçait de s'effondrer.

L'Eurogroupe est intervenu alors que le système était sur le point de faire défaut. La faillite aurait été un cataclysme, pour son économie et sa population ; un choc peut-être fatal pour la zone euro. Nous devions agir. La décision n'a pas été arbitraire. La discussion, à laquelle ont participé les ministres des finances, la BCE, le FMI et la Commission, portait sur un programme. La première proposition a été refusée par le parlement chypriote ; la seconde est équilibrée.

La BCE a été dans son rôle. La BCE, c'est nous-mêmes : solliciter le MES, c'est mettre nos finances publiques à contribution ! Il y avait des responsables à cette hypertrophie du système bancaire chypriote. Nous avons trouvé, à mon sens, une solution, après que, à l'occasion de la première réunion de l'Eurogroupe, j'aie souligné les difficultés créées par la mise à contribution de tous les déposants. Il reste à restructurer l'économie chypriote.

La Russie, que je vous sais chère, a été associée au processus. Elle a estimé qu'il revenait aux Européens de régler la situation, mais le dialogue se poursuit. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Budget de la défense

M. Jean-Pierre Raffarin .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) « Armée amputée, France déclassée » titrait hier Le Monde. Quel paradoxe que d'engager l'armée française au Mali et de créer les conditions budgétaires de son démantèlement ! Dans cinq ans, nous ne pourrons plus assumer une telle intervention. Après la professionnalisation de l'armée engagée sous le président Chirac et avec la rationalisation budgétaire, l'armée a consenti des efforts importants.

Nous attendons encore de connaître les arbitrages budgétaires à la suite du Livre blanc pour la prochaine loi de programmation militaire. Un large consensus existe au Sénat, sous l'égide du président Carrère, pour demander que l'on fixe le plancher des dépenses de défense à 1,5 % du PIB. Y renoncer reviendrait à placer notre sécurité sous le parapluie américain (applaudissements à droite), à abandonner les grands programmes de notre industrie de défense, avec combien de destructions d'emplois à la clé...

Pensez-vous que la règle des 3 % puisse être assouplie pour exclure les dépenses de défense du calcul ? Souhaitons que demain, la presse puisse titrer : « Armée soutenue, France défendue » ! (Applaudissements à droite et au centre, MM. Jean-Pierre Chevènement et Nicolas Alfonsi applaudissent aussi)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre .  - Vous imaginez bien que si le président de la République a pris la décision d'engager nos forces au Mali, ce n'est pas pour, demain, entraver les capacités de notre armée. La mission que nous avons engagée avec l'approbation de la communauté internationale vise à défendre l'intégrité du Mali mais c'est aussi une lutte sans merci contre le terrorisme, qui concerne toute l'Europe et au-delà.

Le président de la République a voulu la mise à jour du Livre blanc, qui sera adoptée fin avril. Je souhaite que le Parlement puisse en débattre avant l'été, j'en prends devant vous l'engagement. Il présentera les risques et les menaces auxquels la France doit faire face, analysera le contexte géopolitique, définira les types d'engagements. Il faut prendre en compte des risques nouveaux, intérieurs et extérieurs, qui doivent être abordés de concert. Le modèle de nos armées qui découlera de ces travaux sera conforme à l'ambition de la France dans le monde et répondra aux nouveaux enjeux -cyberdéfense, renseignement, transport stratégique.

Je veux saluer le professionnalisme de notre armée au Mali. Ce n'est pas maintenant que nous allons baisser la garde et je salue l'esprit de rassemblement des parlementaires de tous les groupes. Je les remercie au nom de la France et en celui de nos soldats.

Viendra ensuite la loi de programmation militaire, en cohérence avec le modèle que je viens d'évoquer, qui préservera l'excellence de notre industrie de défense, essentielle stratégiquement et économiquement.

Certains titres de presse m'ont surpris. Cessons de nous faire peur avec des scénarios catastrophes qui n'ont jamais été envisagés ! Extraire les dépenses militaires du calcul du déficit, ce serait une facilité. La vraie question, c'est la défense européenne, qui a pris trop de retard. Il n'est pas juste que la Grande-Bretagne et la France assument seules tout l'effort.

Notre autonomie stratégique dépend tout autant de notre modèle d'armée que de notre capacité à redresser nos finances publiques, à laquelle chaque ministère doit prendre sa part. Je suis frappé par une certaine forme d'injustice à l'égard du Gouvernement. Voyez la précédente loi de programmation militaire : à peine votée, déjà oubliée. Evitons donc les fausses querelles et les excès.

Je veux que s'instaure sur notre modèle de défense un dialogue serein. Nous partageons sur ce sujet, monsieur le Premier ministre Raffarin, la même ambition. La France est une grande nation : ce qu'elle fait au Mali, elle pourra le faire dans cinq ans ! (Applaudissements à gauche)

Enjeux économiques

M. Vincent Capo-Canellas .  - Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré à l'Assemblée nationale : je sais où je vais. La France a des atouts, elle ne peut se résigner au déclin. La crise, vous l'avez d'abord niée avant de la sous-estimer : chômage à un niveau historique, pouvoir d'achat en baisse. Or vous n'avez pas d'emblée dit aux Français qu'il fallait réformer pour nous en sortir. Pour cela, il faut revoir notre modèle de production, notre modèle social et en finir avec les lourdeurs. Au lieu de cela, ce ne sont que palinodies sur les retraites, la compétitivité, le dialogue social, la réforme des collectivités.

Le désespoir guette, la révolte n'est pas loin. Vous êtes face à un choix : implorer la croissance, selon la méthode Coué, ou plutôt la méthode Ayrault... (exclamations à gauche) ou changer de politique pour redresser le pays grâce à un nouveau compromis social et économique en faveur de l'emploi -celui que nos voisins ont déjà mis en oeuvre. Qu'allez-vous faire ? (Applaudissements au centre et à droite)

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances .  - Redresser le pays ? J'aime ce mot. Oui, le Gouvernement sait où il va, le Président de la République rappellera le cap, qui est celui du redressement. Cela suppose qu'il y a eu dégradation, ce qui devrait vous appeler à une certaine discrétion. (Marques d'approbation à gauche) Car vous nous avez laissé un boulet (applaudissements à gauche ; exclamations à droite), celui des déficits publics qui était, en mai 2012, sur une tendance nettement supérieure à 5 %, celui d'une compétitivité qui s'est dégradée en dix ans...

M. Alain Gournac.  - Et les 35 heures ? (On renchérit à droite)

M. Pierre Moscovici, ministre.  - ...celui de la désindustrialisation.

M. Ladislas Poniatowski.  - Rendez-nous Cahuzac, il était meilleur !

M. Pierre Moscovici, ministre.  - Nous, nous sommes au travail. Le redressement de nos finances publiques prend du temps. Nous nous y employons. Nous avons sauvé la zone euro, qui était menacée lorsque vous étiez aux responsabilités.

M. Alain Gournac.  - C'est Sarkozy qui l'a sauvée !

M. Pierre Moscovici, ministre.  - Nous avons obtenu un pacte de compétitivité sans précédent. Nous avons créé la BPI. (Marques d'impatience à droite)

Redresser le pays, oui, parce que vous l'avez dégradé. Nous savons où nous allons. Les résultats seront au rendez-vous. Je reprends devant vous l'engagement d'inverser la courbe du chômage d'ici la fin 2013. (Applaudissements à gauche)

Emploi

Mme Frédérique Espagnac .  - J'ai été surprise des leçons de gestion données par M. Copé au Gouvernement. Quand on a un bilan aussi catastrophique que celui du quinquennat Sarkozy, on reste modeste... (Exclamations à droite ; marques d'approbation sur les bancs socialistes) Quand des plans sociaux ont été volontairement retardés, on ne se pose pas en donneurs de leçon !

Nous, nous travaillons. (Exclamations ironiques à droite) Le président de la République s'est engagé à inverser la courbe du chômage fin 2013 : 150 000 emplois d'avenir, 500 000 emplois de génération, le CICE, l'extension du crédit impôt recherche...

M. Alain Gournac.  - Pipeau !

Mme Frédérique Espagnac.  - Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous détailler l'action du Gouvernement contre ce fléau qu'est le chômage ? (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social .  - Vous soulignez la continuité de la hausse du chômage ; 22 mois ? Non, 57 mois ! La vérité c'est qu'il augmente tous les mois, à une exception près, depuis mai 2008. Au-delà des chiffres, cela signifie de plus en plus de jeunes sans emploi et sans formation, de plus en plus de seniors poussés hors de l'emploi.

M. François Grosdidier.  - Sarkozy n'est plus là ; la crise, si !

M. Michel Vergoz.  - La crise, c'est Sarkozy !

M. Michel Sapin, ministre.  - Vous devriez avoir la modestie de ceux qui regardent la vérité en face !

M. François Grosdidier.  - La crise, vous l'avez niée !

M. Michel Sapin, ministre.  - Nous avons agi pour les jeunes, avec les contrats d'avenir et les contrats de génération...

M. Alain Gournac.  - Pipeau !

M. Michel Sapin, ministre.  - Il s'est même trouvé des parlementaires intelligents, dans vos rangs, pour les soutenir ici.

Nous avons accordé 4 000 emplois supplémentaires à Pôle Emploi en moins d'un an, quand vous en avez supprimé 2 000 alors que le chômage explosait. C'est par des dispositifs législatifs, par des actions concrètes, par un accompagnement personnalisé des chômeurs que l'on mettra fin à la montée jusqu'alors inexorable du chômage. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)

Manifestation contre le mariage pour tous

M. Pierre Charon .  - Le 24 mars, les opposants au mariage pour tous se sont à nouveau réunis pour une manifestation familiale et pacifique. (Exclamations à gauche) Une fois de plus, vous avez minimisé la participation et menti aux Français : les manifestants n'étaient pas 300 000 mais plus d'un million ! Je comprends que le Gouvernement soit agacé par une mobilisation aussi massive mais rien ne justifie ni la manipulation grossière des chiffres ni les instructions données par vous depuis la salle de commandement de la préfecture. Comment expliquer l'usage, comme vous dites, « d'aérosols »...

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Les salariés connaissent ça depuis des années !

M. Pierre Charon.  - ...contre des mères de famille et des enfants ? (Exclamations à gauche) Cela s'appelle des gaz lacrymogènes ! Vous avez parlé, hier encore, de groupes extrémistes. (Exclamations à gauche) Vos extrémistes, ce sont des fillettes de 8 ans, des personnes âgées, des mères de famille nombreuse et des élus de la République ! (Exclamations à gauche) Un garçon de 14 ans est encore hospitalisé. Quand le pouvoir s'en prend aux enfants, c'est la République qui saigne. (Vives protestations à gauche)

M. David Assouline.  - C'est honteux !

M. Pierre Charon.  - Une semaine plus tôt, les CRS restaient impassibles devant les syndicalistes de PSA qui investissaient cette même avenue de la Grande Armée. Les organisateurs ont été débordés ? C'est que vous aviez évalué les manifestants attendus, au doigt mouillé, à 100 000 : quinze fois moins que le chiffre réel ! C'est une irresponsabilité du préfet de police de Paris, M. Boucault, d'avoir figé les manifestants, sans prévoir d'issues au cortège. C'est comme remplir les boîtes de nuit sans sortie de secours ! Quand on nomme un directeur de l'ENA responsable du maintien de l'ordre et qu'on court du grand Rex à la salle de commandement de la Préfecture de police, il ne faut pas s'étonner que ça déborde...

Nous avons décidé de demander l'ouverture d'une commission d'enquête pour comprendre les errements de la préfecture. Vous avez menti aux Français ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur .  - Que cherchez-vous, monsieur Charon ? Entendez-vous mettre en cause la parole de l'État ? Celle du préfet de police ? Contestez-vous la légitimité du Parlement, celle des représentants de la nation qui, à l'Assemblée nationale, ont adopté le texte sur le mariage pour tous ? Vous avez gouverné, vous avez été confrontés à des mouvements sociaux, à la nécessité du maintien de l'ordre, à la colère des Français. Et vous venez nous donner des leçons ? (Vifs applaudissements à gauche ; mouvements divers à droite)

Vous avez fréquenté souvent la préfecture de police, vous savez que la méthode de comptage n'a pas changé. A qui ferez-vous croire qu'il y avait, dimanche, un million de manifestants dans la rue ? Pourquoi pas deux, trois millions ? Tout cela n'a aucun sens ! Vous essayez de tromper les Français ! Ils étaient 300 000, chiffre déjà élevé...

M. Pierre Charon.  - Et pourquoi pas 100 000 !

M. Manuel Valls, ministre.  - Ne croyez pas les officines, monsieur Charon, que vous avez trop fréquentées ! (Applaudissements à gauche) Nous avions prévu 2 000 policiers et gendarmes, le nombre était adapté. Je tiens les preuves, les photos à votre disposition, nous n'avons rien à cacher. Cette polémique n'a pas lieu d'être. Les débordements qui ont eu lieu alors que des consignes claires avaient été données sont inacceptables. Je m'étonne qu'un tenant du « parti de l'ordre » soutienne ceux qui s'en prennent aux forces de l'ordre et bravent les décisions préfectorales ! (Vifs applaudissements et huées à gauche)

Les médias l'ont montré, les organisateurs pas plus que vous ne pouvaient ignorer le rôle des extrémistes, membres du Bloc identitaire, du Renouveau français ou du Gud. Vous les excusez ? (Applaudissements sur les bancs socialistes) Les forces de l'ordre sont intervenues parce qu'on ne peut, en démocratie, admettre les débordements. Les mettre en cause, mettre en cause comme vous le faites un serviteur de l'État, le préfet de police de Paris, c'est inacceptable ! (Applaudissements à gauche)

Enseignement supérieur et recherche

M. Michel Berson .  - Notre système d'enseignement supérieur et de recherche, avec le projet de loi dont nous avons été saisis, va enfin être replacé au coeur des efforts de redressement du pays, au service de sa compétitivité et de la croissance. L'État va enfin redevenir stratège. (M. Alain Gournac s'exclame) La France est un grand pays, elle a des atouts formidables.

M. François Grosdidier.  - Et un petit président !

M. Michel Berson.  - Notre recherche publique est mondialement reconnue, les prix Nobel et les médailles Fields l'attestent. Mais notre industrie souffre, en revanche, d'un manque d'innovation. Les PME ne sont pas assez soutenues. La stratégie nationale lancée en 2006-2007 a été un échec par manque de clarté et de suivi. Après une série de réformes brouillonnes, notre système est devenu illisible. Comment entendez-vous remettre de l'ordre dans sa gouvernance, favoriser les transferts de technologie au service de l'emploi, organiser de nouvelles coopérations entre université et organismes de recherche, renforcer les partenariats avec le monde économique ? (Applaudissements à gauche)

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Dynamiser la recherche est notre objectif prioritaire. Le projet donne priorité à la réussite étudiante, pour une compétitivité par la qualité, la seule durable -c'est la voie que suivent les pays émergents. Avec 2,2 % du PIB, nous sommes loin des objectifs de Lisbonne, des Allemands, qui sont à 3 %, ou de la Corée -naguère ruinée, aujourd'hui à 4,3%.

Oui l'État stratège est de retour. Il n'y avait plus de coordination : nous y remédions. Nous pouvons être fiers de nos prix Nobel et de nos médailles Fields, mais la recherche technologique, les transferts, les cloisonnements sont nos points faibles. Nous voulons atteindre un niveau de formation de notre jeunesse de 50 % ; nous allons lancer un agenda stratégique et des appels à projet pour répondre aux enjeux sociétaux au niveau national comme européen, pour une société basée sur la connaissance, la croyance dans l'avenir et l'innovation. J'irai tout à l'heure libérer les chercheurs des contraintes qui pèsent sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires. (Applaudissements à gauche)

Chiffres du chômage

M. Jean-François Humbert .  - Monsieur le ministre Sapin, qui peut encore croire à la promesse de François Hollande d'inverser la courbe du chômage d'ici fin 2013 ? Personne ! Plus des deux tiers des Français sont inquiets pour leur avenir -ils peuvent l'être, leur pouvoir d'achat a enregistré le plus fort recul depuis 1984, en raison de ponctions sociales et fiscales inégalées.

La France, les Français souffrent. L'appel à la mobilisation générale lancé par le Premier ministre est pathétique ! Au lieu de lutter contre le chômage, vous avez multiplié les réformes sociétales en faveur de quelques minorités. Les emplois d'avenir, les contrats de génération ne font pas une politique ! C'est des entreprises que viendra la croissance de demain. Or, vous les accablez.

Quand allez-vous enfin mettre de la cohérence dans votre politique, cesser de dresser les Français les uns contre les autres, redonner enfin confiance au pays ? (Applaudissements à droite)

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social .  - Je me souviens de quelqu'un qui, à peine élu, disait qu'il allait « chercher la croissance avec les dents ». (Rires à gauche) Ces cinq dernières années, la croissance a été de zéro. Zéro ! Vous êtes dans votre rôle en posant ces questions mais faites-le avec la modestie de ceux qui ont échoué ! (Applaudissements sur les bancs socialistes) Et si vous donnez des conseils, faites-le avec retenue.

Vous tournez en dérision les contrats d'avenir ?

M. François Grosdidier.  - C'est Mme Aubry !

M. Michel Sapin, ministre.  - Les collectivités territoriales, y compris dans le Doubs, embauchent des jeunes grâce à ce dispositif. Réunissons-nous dans cette bataille pour l'emploi. Les emplois d'avenir sont en route. Les contrats de génération viennent d'entrer en vigueur : ils seront efficaces. Employeurs, PME, artisans et commerçants de votre région et d'ailleurs sont en train de s'emparer de ce bel outil. Réunissons-nous pour inverser -enfin- la courbe du chômage ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Gouvernance européenne

M. Pierre Bernard-Reymond .  - Ma question s'adressait au ministre des affaires étrangères. C'est au milieu de l'hiver que l'Europe a annoncé la baisse de ses crédits d'aide alimentaire. Alors que beaucoup de parents ne connaissent de l'Europe que le programme Erasmus, les crédits de celui-ci sont aussi annoncés en baisse. Au lendemain du scandale de la viande de cheval, l'Europe autorise à nouveau les farines animales. Et voilà que l'affaire chypriote vient ébranler la confiance -qui fut pourtant le maître mot de la réaction des États dans la crise financière. Alors que les États doivent juguler d'énormes dettes, alors que la relance aurait pu venir de l'Europe qui, elle, n'est pas endettée, l'Union européenne choisit de réduire son budget. Les institutions européennes ont-elles décidé de faire le jeu du populisme, du nationalisme, du séparatisme ? La France ne doit-elle pas proposer une nouvelle réforme institutionnelle, avec une gouvernance plus intégrée pour un vrai projet européen ? (Applaudissements sur quelques bancs à droite)

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger .  - Je vous prie d'excuser M. Repentin, retenu à l'Assemblée nationale. L'Europe traverse la pire crise économique de son histoire. Le président de la République a engagé, dès son élection, la réorientation de la politique européenne vers la croissance et l'emploi. Les résultats sont là : pacte pour la croissance, brevet européen unifié, régulation de la finance, taxe sur les transactions financières, supervision bancaire -prélude à l'union bancaire.

Le programme Erasmus n'est pas menacé. Ses crédits augmenteront en termes réels. Sur les farines animales, la décision, à laquelle la France s'était opposée, n'entraîne aucun risque sanitaire. L'aide aux plus démunis était dans le viseur de la précédente majorité, nous l'avons préservée dans une certaine mesure. Nous aurions souhaité un budget européen plus ambitieux mais le compromis trouvé préserve les outils de croissance, et le Parlement européen devrait l'améliorer. De grands chantiers ont été lancés, qui renforceront l'Union européenne dans la mondialisation.

Voilà le chemin que nous traçons pour l'Europe de demain. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La séance est suspendue à 16 h 15.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

La séance reprend à 16 h 25.

Modification à l'ordre du jour

Mme la présidente.  - La conférence des présidents a fixé au mercredi 3 avril 2013 à 18 h 30 l'examen de la proposition de résolution relative au respect des droits et libertés des collectivités territoriales. Le Gouvernement sollicite l'accord du Sénat pour que cet examen soit reporté à 21 h 30 le même jour. Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Racolage public

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la proposition de loi visant à l'abrogation du délit de racolage public. Je vous rappelle que nous sommes dans un ordre du jour contraint et que la séance ne peut excéder quatre heures. Elle sera donc levée à 20 h 30.

Discussion générale

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Mieux vaudrait 20h15 afin que nous puissions écouter M. le président de la République.

Mme la présidente.  - Ce peut être le cas si chacun fait un effort de concision mais, pour ce qui me concerne, c'est 20 h 30, ni plus ni moins.

Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi .  - L'histoire de la prostitution et de ses perceptions est aussi celle des pudeurs d'une société, de ses occultations, de ses transgressions et de ses violences. C'est vers 1800, au lendemain d'une Révolution marquée par des appels sporadiques à une libéralisation des moeurs, que le Consulat inaugure une politique cohérente : la conviction que légiférer en matière de prostitution salirait le législateur mais qu'il faut aussi éclairer de la lumière du pouvoir l'univers obscur de la vénalité sexuelle. D'où la naissance du réglementarisme, le French system, inspiré de l'idée du mal nécessaire formulée par le philosophe Augustin qui jugeait les prostituées méprisables mais craignait la répression des pulsions. La fermeture des maisons closes par la loi Marthe Richard du 13 avril 1946 mit un terme à l'ère réglementariste.

L'histoire de la prostitution en France n'est pourtant pas seulement celle du réglementarisme : fascination et rejet vont de pair. Sous le gouvernement d'ordre moral d'Albert de Broglie, sous la présidence de Mac-Mahon, la question de la prostitution émerge d'une manière aiguë. Huysmans, Edmond de Goncourt, Zola font des prostituées des héroïnes de roman. Pendant la Grande Guerre, on est loin de décourager l'afflux des prostituées dans les gares par lesquelles les soldats reviennent du front. Lors de l'Occupation, les Allemands, pourtant obnubilés par l'impératif sanitaire, sacrifient eux aussi au « mal nécessaire » dont parlait Augustin, pour canaliser les pulsions des soldats.

L'histoire politique de la vénalité sexuelle oscille ainsi entre le moral, le médical, le social et la considération du mal nécessaire. Elle semble surtout soumise « à la peur d'une triple dégradation : celle de la femme prostituée, celle de son partenaire, celle de l'argent et, par ce biais, celle de l'ordre social », comme dit Alain Corbin. Plusieurs courants de pensée s'emparent du problème. Le prohibitionnisme, né au sein du féminisme compassionnel et prédicateur anglais des années 1870, considère les prostituées comme des victimes qu'il faut arracher à leur mauvaise vie. Face à lui, il y a les abolitionnistes libéraux, parmi lesquels je me reconnais avec le journaliste féministe Yves Guyot, Elisabeth Badinter ou Yvette Roudy qui, ministre des droits de la femme en 1981, envisageait de dépénaliser les prostituées. Je condamne le réglementarisme dégradant et le proxénétisme, mais pas la prostitution.

Le 23 août 2012, Elisabeth Badinter, Georges Vigarello, Elisabeth de Fontenoy ou Claude Lanzmann se sont élevés, dans le Nouvel Observateur, contre la pénalisation du client, qui fait de la prostituée une complice. Selon eux, l'idéologie abolitionniste repose sur deux postulats : la sexualité tarifée est une atteinte à la dignité des femmes ; les prostituées sont toutes des victimes et leurs clients, tous des salauds. Or la réalité de la prostitution est bien plus complexe.

Outre que les prostituées n'exercent pas toutes sous la contrainte, on oublie volontiers que des hommes aussi se prostituent. Par-delà les représentations littéraires chez Carco, Proust, Gide, Genet, Sachs ou Jouhandeau, et par-delà les constats alarmants des spécialistes de l'enfance, la prostitution masculine est restée un impensé que l'on n'a pas songé à évaluer. On oublie les Grands Boulevards à la Belle Époque, Blanche, Montmartre ou Pigalle dans les années 20, Saint-Germain-des-Prés pendant les Trente Glorieuses, la rue Sainte-Anne dans les années 70. Des femmes qui font appel aux services de prostitués masculins, on ne parle jamais.

L'abrogation du délit de racolage, souhaitée par tous les féministes, n'est que le début du chemin. Pourquoi ne pas stopper sans délai le harcèlement dont les prostituées sont victimes, plusieurs fois par an, en vain ? N'en déplaise à certains, les gardes à vue n'ont pas facilité la lutte contre les proxénètes. En revanche, les rapports de l'Igas ou de Médecins du Monde soulignent les méfaits de la loi de 2003 : dégradation des conditions sanitaires, hausse des violences, développement de la prostitution indoor, facteur d'isolement supplémentaire qui coupe les personnes des associations.

La frontière entre racolage actif et passif est bien floue. La Cour de cassation a considéré que le délit n'est pas constitué par le fait de stationner légèrement vêtue la nuit et de répondre aux sollicitations du client. Pourquoi pénaliser encore ces personnes fragiles, qui ne font cela que pour survivre ?

Femme, immigrée, enseignante, humaniste, je ne peux accepter cet état de fait. Ce sont les plus vulnérables qui sont frappées, pas les escort girls et encore moins leurs riches clients.

Cette abrogation créerait un vide juridique ? Je ne le crois pas. Faut-il sanctionner les prostituées pour les punir d'avoir péché ? Il faut une grande loi de prévention, inspirée du dispositif italien : les prostituées sans papiers qui sortent du réseau reçoivent sans autre condition un permis de séjour.

Permettons aux transgenres de changer de prénom, même s'ils n'ont pas subi une coûteuse opération, pour les aider à trouver un emploi sans être acculé(e)s à la prostitution. Les subventions aux associations d'aide aux personnes prostituées ont diminué, augmentons-les. Surtout, luttons contre la traite des êtres humains.

Il n'est pas question ici de vertu, de morale. Faisons oeuvre de justice. La législation n'est pas là pour se contenter de « surveiller et punir ». (Applaudissements sur les bancs écologistes, RDSE, socialistes et au centre)

Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois .  - Ce texte comprend huit mots : « l'article 225-10-1 du code pénal est abrogé ». Quel poids dans ces huit mots ! Quelle attente pour les 30 000 personnes prostituées concernées, principalement des femmes ! Ce sont d'abord des victimes. Cet article 225-10-1 les a confortées dans cette place de victimes, les a vulnérabilisées, les a stigmatisées, les a éloignées du droit, des associations d'aide.

Le droit français, pourtant, veille toujours à protéger les plus vulnérables. Or, en 2003, au motif de lutter contre les proxénètes, on choisit un moyen injuste. Construisons l'outil qui permettra réellement d'aider les prostituées, de lutter contre les réseaux. Si c'était facile, ce serait déjà fait. Cela ne l'est pas car on touche là au plus intime, à la pauvreté et à la précarité, à des mafias, à l'argent sale... Fallait-il pour autant introduire encore plus de confusion dans l'esprit de nos concitoyens et créer cet outil que la police même ne semble pas juger très efficace ?

Que l'on entende les prostituées sous garde à vue ou sous le statut de témoin assisté, elles ne disent rien. On peut seulement fouiller leur sac à main et en sortir leur téléphone portable : c'est lui qui est parlant. Comment s'imaginer que l'on fera parler ces femmes quand même l'interprète refuse d'entrer dans le bureau du policier car s'y trouve la photo du proxénète et que tous craignent pour leur famille restée au pays ? Fabriquer un délit de racolage ne les rendra pas plus loquaces. Imaginerait-on fabriquer un délit pour forcer les femmes victimes de violences conjugales à venir dénoncer leur tortionnaire ? Qui sont les clients ? Des Monsieur-tout-le-monde, sans doute, pas que des pervers, heureusement pour les prostituées.

Alors que la prostitution n'est pas illégale, ce délit a nourri la confusion. On veut réprimer des actes sexuels sur la voie publique ? Ils sont déjà interdits, tout comme le tapage nocturne. Il n'était pas nécessaire de transformer les prostituées en délinquantes pour régler ces problèmes. Les associations et le monde de la santé appellent l'attention sur les dangers que cette pénalisation a fait courir aux personnes prostituées. Luttons plutôt contre la prostitution sur internet, contre les réseaux de proxénétisme. Le chantier est immense, commençons par regarder les choses en face. Le premier pas à faire, la première main à tendre, c'est de dire aux prostituées : la prostitution n'est pas interdite, le racolage n'est pas un délit.

L'Assemblée nationale et le Sénat ont mis en place des missions pour travailler sur ce sujet. Faisons un grand texte sur ce sujet complexe, pour aider ces personnes et lutter contre le proxénétisme. Dans l'attente, la commission a donné un avis favorable à cette proposition de loi pour rappeler que les prostituées sont des victimes, pas des délinquantes. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Comment ne pas souscrire aux plaidoyers sincères que nous venons d'entendre ? Comment ne pas entendre le désarroi des victimes ? Mais comment ne pas dire, aussi, que nous devons prendre ce texte pour ce qu'il est, un premier pas ? Et faire ce premier pas, cela n'a de sens que si la marche se poursuit, sans tarder.

Je me souviens des réactions à l'instauration de ce délit, dans une loi faite, comme bien d'autres, pour frapper l'opinion. Un drame, un fait divers ignoble, et l'on se précipitait sur le perron d'un grand palais de la République en annonçant « une loi ». Est-ce ainsi que l'on règle le problème ? Cette loi, pas plus que d'autres, ne l'a réglé. Et elle a eu cet effet de transformer les victimes en coupables. Nous avions voté contre ce texte ; il est logique que nous voulions l'abroger. Je vis aussi très mal, soit dit en passant, que persistent ces peines plancher qui portent atteinte à l'indépendance du juge. On pourrait les abolir, mais ce qui doit nous guider, c'est la nouvelle politique pénale que vous élaborez, madame la garde des sceaux, dans un souci de concertation qui tranche.

Soyons modestes, soyons engagés. Si nous votons ce texte, et j'en suis partisan, n'allons pas faire croire que cela nous dispenserait de préparer un texte conséquent sur cette question de la prostitution. Je salue, madame Vallaud-Belkacem, votre souci de l'écoute dans le travail engagé et votre regard sur les exemples étrangers.

Certaines mesures qui peuvent frapper les esprits n'ont guère d'effet. Interdire la prostitution ici, c'est la déplacer ailleurs et, de faubourg en forêt, on ne règlera rien. La création du délai de racolage n'a pas fait reculer la prostitution, elle n'a pas favorisé la réinsertion des prostituées ni la lutte contre les réseaux de proxénétisme.

Nous attendons donc une loi qui devra comprendre au moins deux volets. Il s'agit d'abord d'aider les prostituées qui veulent se réinsérer. Les associations sont très présentes sur le terrain mais il ne suffira pas de les épauler, dans la loi, par de bonnes paroles. Il faudra aussi lutter contre les réseaux, ce qui requiert des moyens.

Telle est la méthode à suivre. Le respect dû à ces personnes, qui sont souvent des victimes, consiste à voter ce texte avec modestie et en prenant l'engagement d'aller plus loin. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Vous avez eu raison, monsieur le président de la commission des lois, de saluer les discours roboratifs de l'auteur et de la rapporteure de ce texte. Le candidat Hollande avait pris l'engagement d'abroger le délit de racolage. Dix ans après la loi du 18 mars 2003, occasion nous est donnée de rappeler que la plupart des prostituées sont des victimes. Le délit de racolage passif frappe des personnes vulnérables. Il les a reléguées dans des lieux où elles sont plus exposées encore à la violence : forêts, parkings, terrains vagues, loin des associations qui pourraient les aider et de tout accès à des soins. Le rapport de l'Igas, fondé sur les analyses de Médecins du monde, l'a clairement montré.

Nous entendons bien qu'il est des prostituées qui affirment un choix, mais la plupart sont des victimes qui relèvent du dispositif d'accompagnement et non de pénalisation. Pour qu'il y ait délit, il faut qu'il soit constitué. Cela suppose que les enquêteurs soient en mesure d'apporter les preuves d'une incitation : il n'est rien de plus subjectif que déterminer une incrimination. La Cour de cassation, Mme Benbassa l'a rappelé, n'en a pas jugé autrement.

Quel fut, en 2003, l'esprit qui présida au dépôt de ce texte ? L'exposé des motifs indique que la garde à vue devait permettre d'obtenir des prostituées des informations pour lutter contre le proxénétisme. Objectif louable mais moyen douteux. On transforme des victimes en indicateurs, en leurres, en appâts pour remonter jusqu'aux réseaux. Il est pour cela d'autres voies que la garde à vue. Une audition comme témoin assisté offre les mêmes possibilités. Les procureurs ont été enjoints par circulaire à pousser les services à rechercher ces informations, mais les interrogatoires n'aboutissent qu'à des déclarations standardisées qui n'apportent pas d'information.

Certes, il a y une amélioration dans l'élucidation des affaires touchant au proxénétisme : on est passé de 347 en 2000 à 565 en 2011. Rien n'indique que la disposition de 2003 y soit pour quelque chose, sachant que le nombre de gardes à vue a reculé, passant de 5 000 en 2004 à 2 000 en 2008 et à 1 595 en 2011.

Bref, on est devant un vrai problème de principe : détournement de la finalité de la loi, détournement de procédure, sans efficacité prouvée.

Il faut aussi considérer ce que doit être le devoir de la puissance publique. Étant passé d'une contravention à un délit, on est fondé à penser que le législateur entendait aggraver les peines. En réalité, il y a eu, en 2010, 70 % d'alternatives aux poursuites, 80 % en 2011. Est-ce à dire que les juges sont laxistes ? Non, mais c'est que les enquêteurs ne peuvent apporter les preuves. L'attitude vestimentaire ? Allons ! Les plus âgés se souviennent du débat sur les mini-jupes... Bref, 194 condamnations ont été prononcées en 2011 à des amendes de 300 euros, et 6 peines d'emprisonnement, dont 5 à Béziers. Allez comprendre !

Nous avons le devoir moral de lutter avec efficacité contre les réseaux de traite. Le droit offre déjà des instruments : le proxénétisme est passible de lourdes peines criminelles, jusqu'à vingt ans ou même la réclusion perpétuelle en cas de circonstances aggravantes, avec des amendes de 3,5 à 4 millions d'euros. Il faut donner à ces dispositions une application effective. Pour lutter contre la criminalité organisée, nous renforçons les Gias ; les Parquets sont incités à se saisir des incriminations les plus lourdes, telles que la traite d'êtres humains ; le mandat d'arrêt européen, l'orientation des procédures sur les éléments financiers et patrimoniaux peuvent aussi contribuer à la bataille.

Les victimes doivent être protégées. La loi, là aussi, offre des instruments. Pour les nombreuses prostituées étrangères, les dispositions de l'article 316-1 du Ceseda peuvent s'appliquer. Le statut du repenti peut être un outil. Le mot peut provoquer dans nos rangs un haut-le-coeur, mais de quoi s'agit-il ? D'une disposition qui permet à l'inculpé de s'exprimer de manière telle que l'on évite la commission d'autres actes criminels. Nous travaillons depuis plusieurs mois à mettre en place ce statut du repenti, via deux outils : réduction et exemption de peines, assorties d'un décret qui manque depuis 2004.

En avril, nous présenterons un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit international, qui inclura la lutte contre la traite et le proxénétisme. Nous travaillons aussi, sur ce sujet, à un projet de décret pour mettre en place une mission interministérielle. Une directive européenne de 2011 crée des rapporteurs nationaux chargés de ces sujets. Nous allons bientôt créer le rapporteur national pour la France.

Il y a lieu d'abroger ce délit, mais en considérant que cette abrogation s'inscrira dans un projet plus global. Faire de victimes des délinquants n'est pas acceptable, et c'est pourquoi le Gouvernement émettra un avis de sagesse favorable sur ce texte, sachant qu'il doit être suivi d'un autre, auquel Mme Vallaud-Belkacem travaille d'arrache-pied, et qu'il faut aussi nous saisir de l'arsenal existant. (Applaudissements à gauche)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement .  - Chacun des chantiers investis par mon ministère nous impose de regarder une réalité désagréable, mais qui est trop présente : celle de l'inégalité entre les sexes et des violences qu'elle engendre.

Il y a dix mois, nous avons discuté du harcèlement sexuel, que nous avons rétabli dans sa triste réalité de délit destructeur.

Les mots peuvent choquer. « Pute », c'est une insulte que les enfants lancent sans ambages dans les cours d'école, une insulte que les hommes violents utilisent comme une arme contre leur victime, dont ils nient l'identité. Traiter une femme de « pute », c'est projeter à sa figure des millénaires d'oppression et d'asservissement. Constante de la condition féminine : on tait les violences que les femmes subissent, et l'on se prive aussi des moyens d'y mettre fin.

L'inégalité n'est pas une fatalité. Autrefois, on parlait de filles de joie, de filles de noces, voire d'enjôleuses : autant de termes légers pour évoquer une réalité qui avait envahi tout le corps social. Au XIXe, les prostituées furent tolérées dans des maisons closes, et la première guerre mondiale a apporté son lot de bordels militaires de campagne, pour satisfaire les besoins d'hommes détruits par les combats. L'argument du besoin irrépressible sert encore parfois de nos jours. Mais après la seconde guerre, nous avons su tourner la page de la prostitution de masse, mis fin, avec Marthe Richard, au fatalisme.

Notre droit n'est pas resté figé depuis. Il s'est lentement construit et peut encore avancer. La prostitution a reculé. Il y a entre dix et vingt fois moins de prostituées en France qu'en Allemagne. Preuve que les choix du législateur se traduisent sur le terrain par des réalités différentes.

Il n'y a pas une réalité unique de la prostitution mais celle qui est visible, parce qu'elle s'exerce dans la rue, celle qui s'exerce sur internet, et nous échappe, ou encore la prostitution occasionnelle des étudiantes, difficile à quantifier. Il y a enfin la prostitution qui commence dès le collège, où certains se prêtent, à l'âge où l'on découvre la sexualité, à une relation tarifée, preuve que l'éducation au respect de l'autre a échoué.

Mais ce qui fait masse, c'est le trafic d'êtres humains, dont des organisations très structurées fournissent nos trottoirs en occupant la place laissée vacante par le milieu traditionnel.

Les victimes, sans attaches familiales, sans titre de séjour, condamnées à rembourser le prix exorbitant de leur voyage, sont condamnées à se prostituer : je pense aux Tziganes, Chinoises, Nigérianes... Autant de victimes emprisonnées dans des vies de misère et de violence. Les réseaux guettent les failles de notre législation. Ils ne comprennent que le message de la fermeté. Je le dis haut et fort : la France n'ouvre pas ses portes à la prostitution et les ferme au vent mauvais de la traite et des trafics. (Applaudissements à gauche)

Nous sommes guidés par une conviction, celle que la prostitution est une violence. Il faut protéger ceux qui la subissent et les aider à y échapper. La France est abolitionniste. Mais cette position ne la rend ni aveugle ni angélique.

Notre politique repose sur deux piliers : la fermeté pénale et l'insertion sociale. Le délit de racolage passif a donné lieu à l'inacceptable : punir les victimes, c'est marcher sur la tête. On ne règlera aucun problème en passant les menottes aux prostituées. On ne fera, au contraire, que favoriser les stratégies d'évitement.

Nous nous sommes engagés à abroger ce délit : l'engagement sera tenu. Mais ce n'est pas là accorder l'impunité au proxénète et c'est pourquoi cette abrogation doit s'inscrire dans un travail plus large, où est engagée, à nos côtés, la représentation nationale. Un débat serein, qui nous a tant manqué ces dernières années, conduira à un texte plus général, dont cette abrogation n'est que la prémisse.

Je veux rendre ici hommage au travail de l'Office central contre la traite des êtres humains, qui a permis le démantèlement de 52 réseaux en 2012. Nous entendons amplifier ce travail, en nous penchant sur les zones frontalières, comme la Jonquera, haut lieu de la traite et de l'exploitation, mais aussi sur les relations tarifées à l'étranger -ce que l'on appelle improprement « tourisme sexuel ».

Avec la nouvelle présidente d'Interpol, que j'ai rencontré, j'entends travailler à lutter contre la traite. Ce gouvernement s'y est déjà employé, dans plusieurs textes de loi, par la création de la Miprof, par la formation des personnels de police.

La fermeté est essentielle mais le message pénal ne vaut qu'assorti de pédagogie. Nous observons les expériences internationales, suédoise, britannique ou autres. Il faut garder à l'esprit que nous disposons, comme l'a rappelé la garde des sceaux, d'un arsenal juridique. Certaines municipalités prennent des arrêtés dans l'illégalité. Je sais que des amendements ont été déposés à ce sujet : nous y reviendrons, mais je les crois prématurés.

L'accompagnement des victimes doit aussi être une priorité. L'Igas souligne les difficultés extrêmes qu'elles rencontrent pour accéder à la santé. Cela est inadmissible. En ces temps budgétaires contraints, j'ai voulu que les associations puissent être accompagnées et je fais mienne la préconisation de l'Igas quant à leur financement et pour mobiliser les dispositifs d'aide sociale à l'enfance. La réflexion est également engagée concernant la prostitution sur internet.

Évitons, sur ce sujet, les clivages partisans, qui nuisent aux victimes. En prenant des postures morales, nous avons retardé le travail de fond.

« La prostitution est le plus vieux métier du monde » : voilà une phrase qui fait beaucoup de mal, la prostitution ne cesse de changer, de prendre de nouveaux visages. La plus vieille histoire du monde, c'est bien plutôt celle qu'évoque Victor Hugo dans Les Misérables : « On dit que l'esclavage a disparu de la civilisation européenne. Non, il existe toujours, mais ne pèse que sur les femmes, et s'appelle prostitution ».

Nous avons constaté un consensus transpartisan ; comptez sur nous pour le faire fructifier. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

Mme Laurence Cohen .  - Dix ans après la loi sur la sécurité intérieure, on ne peut que constater son échec. Le groupe CRC avait alors dénoncé l'instauration de délit de racolage, qui ne résout rien.

Il s'agissait surtout pour Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, d'assurer la tranquillité publique dans nos rues et d'expulser les prostituées étrangères. Quelle hypocrisie digne de Tartuffe : « Cachez ce sein que je ne saurais voir ». C'était se tromper de cible. Les prostituées, toujours aussi nombreuses, sont reléguées depuis dans les lieux périphériques, isolées, où elles sont privées de tout accompagnement et exposées aux violences. Les chiffres que livre l'étude conjointe de la Ligue des droits de l'homme, du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France sont éloquents.

N'oublions pas, non plus, que 95 % des prostituées sont sous le joug du proxénétisme : c'est bien lui l'ennemi. Le tout répressif, avec la culture du chiffre, empêche les forces de l'ordre de faire leur vrai travail. La CNCDH rappelle que les prostituées doivent être considérées comme des victimes contraintes ; la convention de Palerme ne dit pas autre chose.

La réponse doit être de fond. Nous avions déposé, en 2010, une proposition de loi qui prévoyait des mesures de prévention et d'accompagnement. La prostitution mérite un grand débat. Selon la réponse, on verra le projet que porte notre société : aliénant ou émancipateur. En 2013, on argue encore qu'elle serait un rempart contre le viol. Mais voyez le Nevada, où la prostitution est légale : c'est l'État américain où l'on enregistre le plus grand nombre de viols.

Cette proposition de loi est une première étape qui devra être suivie par une loi globale. Le rapport d'information Bousquet-Goeffroy est notre référence, avec trente recommandations pour une politique globale ; il y a matière à légiférer. Je me réjouis que le Gouvernement semble aller dans ce sens. (Applaudissements à gauche)

Mme Chantal Jouanno .  - Je suis clairement abolitionniste et je le revendique. Que n'ai-je entendu ! Le plus vieux métier du monde ? Aucun pays n'a réussi à éradiquer la prostitution, pas plus que les violences conjugales ou la pédophilie : est-ce pour autant acceptable ? Un mal nécessaire ? La prostitution n'est pas un commerce, mais une oppression. Soyons libéraux, disent certains : laissons la liberté aux « travailleurs du sexe ». Mais 90 % des prostituées dépendent d'un réseau mafieux !

Dans 90 % des cas, il s'agit de femmes immigrées en situation illégale, d'homosexuels, de transsexuels. N'auraient-ils pas les mêmes droits à la dignité que les autres ?

J'ai voté, en son temps, cette mesure, qui me paraissait équilibrée. Elle est restée largement lettre morte et n'a pas permis d'augmenter les procédures contre les proxénètes.

J'ai une crainte : aura-t-on le courage d'aller jusqu'au bout ? Cette proposition de loi ne sera-t-elle pas lue comme une incitation ? Pourquoi ne pas attendre la parution des rapports en préparation ?

Remplacer le délit par une contravention n'est pas une solution : on pénalise encore la victime, perçue comme coupable quand le client est considéré comme un homme respectable. Appuyons-nous sur la résolution votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, qui affirme la responsabilité du client.

Le développement de la prostitution étudiante et sur internet ne doit pas être banalisé. Il ne s'agit pas de moralisation mais de lutte contre l'exploitation.

Quand une grande marque de luxe fait l'apologie de la prostitution, pour vendre sa dernière ligne de vêtement, elle franchit une ligne rouge et on ne peut laisser passer !

Si mes amendements ne sont pas adoptés, je m'abstiendrai sur le texte. Madame la garde des sceaux, aurez-vous le courage de pénaliser non seulement les proxénètes mais aussi les clients ? (Applaudissements à gauche)

Mme Laurence Rossignol.  - Bravo !

M. Stéphane Mazars .  - La loi du 18 mars 2003 avait été débattue dans un contexte particulier, où l'on brandissait l'insécurité ou le sentiment d'insécurité pour durcir la législation tandis qu'une loi suivait chaque fait divers. Il y aurait environ 20 000 personnes prostituées en France. Le syndicat des travailleurs du sexe parle, lui, de 300 000 personnes... Le délit de racolage fut supprimé en 1994 car il était trop difficile à établir. En 2003, au vrai, c'est au motif de nettoyer la voie publique qu'il fut rétabli. Le nombre de condamnations s'est effondré, les parquets utilisant systématiquement les alternatives aux poursuites pénales.

On ne résout pas un problème comme la prostitution en l'écartant simplement du champ de vision. Le rapport de Guy Geoffroy, pourtant membre de l'ancienne majorité, dresse un bilan accablant de ses résultats. Je salue le rôle des associations en matière de prévention et de prise en charge sociale et sanitaire.

Notre groupe se réjouit de la loi à venir sur la prostitution. La seule abrogation du délit de racolage ne peut constituer une fin en soi. Pas moins de 53 associations se sont prononcées contre cette proposition car elles craignent que l'on en reste là. Il faut réfléchir à la délicate question de la pénalisation du client.

Notre groupe votera ce texte car les personnes prostituées sont des victimes mais attend avec détermination une réforme d'ampleur. Vous pouvez compter sur nous, mesdames les ministres, comme nous savons pouvoir compter sur votre détermination. (Applaudissements à gauche)

M. André Gattolin .  - Cette proposition de loi abroge un délit inefficace. Précipitation ? Après dix ans, le consensus existe. Il y a urgence à abroger ce délit. Instauré par la loi de sécurité intérieure de 2003, il affichait deux objectifs : répondre aux riverains qui se plaignaient de nuisances et lutter contre les réseaux mafieux.

Loin de remplir ces objectifs, cette mesure a causé des ravages en matière de santé publique : chassés de leurs lieux habituels de prostitution, les prostitués ont été contraints de se cacher, de s'isoler pour exercer, s'exposant à des risques accrus.

La France compterait 20 000 prostitués, l'Allemagne, 400 000. Le nombre de clients serait de 500 000 par an. Vertu ou honte ? Le chiffre n'est pas crédible : cinq actes par mois et par personne !

Rendues plus vulnérables, les prostituées sont moins à même de négocier le port du préservatif. Sans compter que l'action des associations a été entravée, le nombre de personnes infectées par le VIH ou victimes de MST aurait augmenté depuis 2003, tandis que la stigmatisation est totale. Le constat est sans appel : le délit de racolage a échoué à protéger les victimes et n'a eu aucun effet contre les réseaux. Nous ne sommes pas là en terrain idéologique. Travaillons ensemble pour élaborer la grande loi qui s'impose.

Pour l'heure, il ne s'agit encore, pour citer Albert Camus, que de sauver les corps. La répression des personnes prostituées n'a que trop duré. (Applaudissements à gauche)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - La prostitution prend des formes diverses. Elle tend toujours à effacer l'individu pour faire de la victime un objet. Ce n'est rien d'autre que de l'esclavagisme, l'exploitation mercantile des vices de notre société. Comme pour la traite des esclaves, nous sommes confrontés à des réseaux internationaux dont le bétail -c'est leur terme- provient d'Europe de l'est, d'Afrique et de Chine. L'ONU a adopté une convention contre la criminalité internationale qui condamne la traite des êtres humains ; le Conseil de l'Europe a fait de même en 2005.

Nous partageons votre diagnostic, madame Benbassa, mais pas vos conclusions. Vous voulez abroger cette mesure que vous jugez inefficace.

Je ne reviens pas sur les conditions de garde à vue depuis 2011, nous sommes en conformité avec les exigences de la Convention européenne des Droits de l'homme (CEDH). Le faible taux de condamnations pour racolage ne signifie pas que le phénomène est marginal mais traduit son caractère insidieux. Certains comportements prostitutionnels ou pré-prostitutionnels se généralisent chez des jeunes qui cherchent un appoint financier. Cette prostitution ne prend pas la forme du racolage. L'article 225-10-1 aurait été inefficace car seulement 79 personnes en auraient bénéficié ? L'emprise des proxénètes sur leurs victimes est totale : les « macs » menacent les familles des victimes, les privent de leurs papiers, les droguent.

Je ne nie pas la précarisation des personnes prostituées mais la loi de 2003 n'en est pas responsable : elle visait précisément la prostitution dissimulée. Précarisation et isolement résultent de la volonté des proxénètes d'accroître leur emprise sur leur marchandise, d'améliorer l'anonymat et le confort du client -dans un contexte hautement concurrentiel pour eux. Il serait plus pertinent de renforcer le dispositif existant, en y adjoignant un volet social. L'abroger, c'est faire le choix de l'abandon.

Enfin, il est insupportable, lassant, méprisant d'entendre sans cesse certains taxer le précédent gouvernement de racisme ou de xénophobie. Il n'a jamais été question de faire de ce dispositif un moyen détourné d'arrêter massivement les étrangers en situation irrégulière. Avez-vous lu les rapports sur l'internationalisation des réseaux de proxénétisme ? Elle entraîne mécaniquement davantage de reconduites.

Je suis très réservée sur l'utilité de ce texte pour la société comme pour la protection des personnes prostituées. Le délit de racolage passif a au moins le mérite d'exister.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Comme l'a dit devant la délégation le commissaire responsable de l'Office central de répression de la traite des êtres humains, supprimons ce délit et nous reviendrons bientôt à la situation d'il y a dix ans. Oui, tout ce qui peut compliquer le travail des réseaux est précieux. Je ne pourrai donc voter ce texte.

M. Philippe Kaltenbach .  - La Cour de cassation juge elle-même que le racolage passif ne se laisse pas aisément définir. Dix ans après sa promulgation, la loi n'a pas rempli son objectif de renforcer la lutte contre les réseaux, les chiffres sont parlants. Dans le même temps, elle aura aggravé la stigmatisation et la précarisation des personnes prostituées.

M. Roland Courteau.  - Absolument.

M. Philippe Kaltenbach.  - Nicolas Sarkozy avait choisi d'en faire des délinquantes alors qu'elles sont avant tout des victimes. Pour moi, la prostitution est toujours subie. Je ne crois pas à la fable de la prostitution libre et consentie, je ne crois pas à la notion de travailleur du sexe. Au risque d'être taxé de moralisme, j'estime que la prostitution n'est pas et ne sera jamais une profession. Les droits et la dignité humaine sont incompatibles avec le fait que quiconque puisse disposer du corps d'autrui au motif qu'il paie -voilà ce que disait François Hollande pendant la campagne électorale.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Philippe Kaltenbach.  - La France est résolument abolitionniste, l'Assemblée nationale l'a rappelé en votant à l'unanimité, en 2011, une résolution qui vise l'abolition.

S'il faut supprimer ce dispositif instauré par Nicolas Sarkozy, comme d'autres, encore faut-il proposer des alternatives. Fallait-il abroger sans délai ou inscrire cette abrogation dans le cadre d'un texte plus large ? Après discussion, le groupe socialiste a décidé de soutenir l'initiative du groupe écologiste, tout en proposant un amendement qui rétablit la contravention pour racolage actif -il y aurait, sinon, un vide juridique. Nous ne voulons pas stigmatiser les prostituées mais envoyer un message aux proxénètes qui pourraient voir, dans l'abrogation du délit, une forme d'incitation.

Poursuivons une réflexion sereine, qui s'appuiera sur les réflexions en cours dans les deux chambres, pour élaborer une loi globale. La question de l'inversion de la charge pénale devra être abordée -Mme Jouanno le fait dans un de ses amendements, qui me semble prématuré.

Ce texte devra être digéré dans un texte plus large. Continuons à travailler ensemble, au-delà des clivages, pour l'abolition. (Applaudissements sur les bancs socialistes et CRC)

M. Jean-Pierre Godefroy .  - Le délit de racolage passif doit être abrogé. Il a pénalisé les personnes prostituées, les a exposées davantage aux violences et aux risques sanitaires. Au vu des auditions, l'efficacité de cette mesure, en matière de lutte contre les réseaux, mérite d'être nuancée. Toutefois, une abrogation pure et simple serait dangereuse. Je souscris à l'appel des 53 associations réunies dans le collectif Abolition 2012, qui appellent à une réforme de fond. Cette proposition de loi est réductrice et prématurée.

Ces mesures ponctuelles ne suffiront pas, il faut une politique globale et cohérente - démantèlement des réseaux, accompagnement et protection effective des personnes prostituées, sécurité sanitaire, logement, droit au séjour... Il n'y a pas une prostitution mais des prostitutions, il faudra des réponses adaptées à chacune. S'il était adopté en l'état, ce texte supprimerait toute répression du racolage -y compris par la presse ou le téléphone. Le racolage sera libre, en contradiction avec la position abolitionniste de la France.

Depuis 2003, la prostitution a changé. Redoutons que les réseaux ne profitent de cette abrogation pour prospérer... Présentée seule, cette proposition de loi me paraît incomplète et risquée. C'est le sens de l'amendement d'appel que j'ai déposé. Attention, par une disposition hâtive, à ne pas porter atteinte aux victimes que nous voulons protéger. (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudit)

M. Michel Savin .  - La prostitution dite réglementée n'existe plus depuis la loi Marthe Richard qui a fermé les maisons de tolérance. Depuis 1946, la prostitution a beaucoup évolué. Sa situation légale est complexe : si elle n'est pas sanctionnée en elle-même, le proxénétisme, lui, l'est. On cherche à réglementer sans punir, à sanctionner sans interdire... N'oublions pas que nombre de Français sont encore attachés à certaines valeurs morales, bafouées sous couvert de progrès social. Le chiffre de 30 000 prostitués est sans doute sous-estimé ; 90 % de ces travailleurs n'ont pas choisi la prostitution. Souvent étrangers, aux mains de réseaux, ils sont exposés aux maladies et aux violences. La prostitution revêt bien des visages, exercée sous des formes variées pour répondre à des clients aux profils différents. On ne peut faire abstraction de l'exaspération croissante des riverains ; dans nos villes, des enfants peuvent être témoins de relations sexuelles dans des voitures garées le long du trottoir...

Mme Laurence Rossignol.  - Ils voient bien pire sur internet !

M. Michel Savin.  - Les élus sont régulièrement alertés par des populations qui ne comprennent pas l?absence de mobilisation des pouvoirs publics. Une action ciblée sur une commune ne ferait que déplacer le problème, me dit-on. Preuve que l'on renonce à lutter contre le problème...

On ne peut que regretter le manque de détermination du Gouvernement pour éradiquer la prostitution, comme il l'avait pourtant annoncé en juin 2012. Il est urgent de légiférer et plus encore d'agir. Ce n'est pas une abrogation sèche du racolage passif qui abolira la prostitution. Je refuse de penser qu'il ne s'agit que de tenir une promesse de campagne ou de donner satisfaction à une association féministe... Les législations européennes sont différentes mais toutes visent à lutter contre la prostitution subie qui gangrène leur société.

Je vais sans doute heurter mais je pense qu'il ne faut pas viser l'éradication de cette activité. Les clients recourent à la prostitution pour répondre à des besoins sexuels non satisfaits, ou que la détresse met dans l'incapacité de concevoir des relations non tarifées. C'est pourquoi je suis partisan de l'institution de lieux de rencontre clairement identifiés (exclamations à gauche) où l'exercice de la prostitution serait autorisé, règlementé et sécurisé, où les conditions sanitaires seraient contrôlées et un suivi social organisé. Parallèlement, la lutte contre les réseaux serait amplifiée.

Je ne voterai pas ce texte et je plaide pour l'adoption rapide d'une loi qui règlemente la prostitution à défaut de l'abolir. Une vision plus réaliste est possible.

Mme Laurence Rossignol .  - Je voterai cette proposition de loi sans atermoiement. La loi de 2003 est une mauvaise loi. Merci à M. Savin de nous en avoir rappelé la substantifique moelle : le racolage porterait atteinte à l'ordre public, il suffirait d'éloigner les filles de joie « d'la vue d'ces vaches de bourgeois » -je cite Georges Brassens- pour que la moralité soit sauve.

Pour moi, les personnes prostituées sont des victimes, victimes de la violence sociale, victimes de la violence d'une sexualité sans désir, victimes du mythe d'une sexualité masculine aux besoins irrépressibles, victimes de l'hypocrisie de sociétés qui assignent à une fraction de l'humanité la tâche d'exutoire de la sexualité d'une autre fraction de l'humanité. Comment admettre que des femmes seraient chargées de réguler les déviants et de protéger la sécurité des autres femmes ?

L'intervention de M. Savin est un concentré d'hypocrisie. Éloigner les prostituées pour protéger les petits enfants ? Si vous saviez ce qu'ils voient sur internet ! Puis vient le mal nécessaire : rouvrons les maisons closes... La prostitution heureuse, libre et choisie est un mythe, une extrapolation pervertie de la libération sexuelle. Je ne crois pas, comme a pu le dire Mme Badinter, que la liberté de se prostituer s'inscrive dans les luttes des femmes pour le droit à disposer de leur corps : la prostitution relève du droit des hommes à disposer du corps des femmes, droit de cuissage, devoir conjugal, repos du guerrier, dont les femmes n'ont pas fini de s'émanciper. Avec une espérance de vie proche de celle des SDF, les prostituées sont victimes d'une vraie violence, parce que la prostitution est une activité violente. Elles ne troublent pas l'ordre public mais notre confort moral. Nous éduquons nos enfants en leur apprenant le respect de l'autre, le respect du corps et du désir de l'autre. Nous ne voulons pas la prostitution pour eux et nous ne voulons pas que nos fils soient clients.

La complaisance à l'égard de l'achat de services sexuels nourrit des représentations incompatibles avec l'égalité entre les femmes et les hommes. Les clients sont à 99,9 % des hommes, les personnes prostituées à 90 % des femmes...

Théophile Gautier écrit : « la prostitution est l'état naturel des femmes » -c'est la version littéraire. « Toutes des putes » en est une autre version... C'est ce qui nourrit le harcèlement dans la rue, le droit pour les hommes de voir potentiellement en chacune des femmes une pute...

Le débat ne fait que commencer. La France devra choisir : soit banaliser le commerce du sexe et créer un statut de travailleur sexuel, soit l'éradiquer en tarissant la demande. Et ce n'est pas en ouvrant des maisons closes qu'on y parviendra.

M. Michel Savin.  - Je n'ai pas parlé de maisons closes !

Mme Laurence Rossignol.  - Voyez l'Allemagne : 400 000 personnes prostituées ! Résultat, une inflation du business du sexe...

Chez ceux et celles qui se sont exprimés, j'ai noté beaucoup de constats partagés et des convergences. Je souhaite que nous parvenions à un consensus large et, si nous n'y parvenons pas, chacun sera placé devant ses responsabilités.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Mme Claudine Lepage .  - L'abrogation du délit de racolage est nécessaire ; son instauration visait à répondre aux préoccupations des riverains et à lutter contre les réseaux de proxénétisme : c'est un échec. Les personnes prostituées ne sont pas des délinquantes mais des victimes. Après le vote de la loi, le Conseil constitutionnel avait émis une réserve d'interprétation, en invitant les juridictions à prendre en compte la contrainte ou la menace. C'est dire que les prostituées sont un peu délinquantes et un peu victimes...

L'abrogation ne saurait se suffire à elle-même. Le rapport Bousquet-Geoffroy et celui de l'Igas craignent un appel d'air si elle reste sèche. Il ne faut pas envoyer de message subliminal : notre position reste abolitionniste, la résolution de l'Assemblée nationale le rappelle.

La prostitution est un obstacle à l'égalité, elle s'inscrit dans la tradition patriarcale de mise à disposition du corps des femmes au service de besoins supposés irrépressibles des hommes. C'est une atteinte à la dignité humaine, qui aggrave la réification déjà extrême du corps des femmes. Je ne puis cautionner une telle exploitation des inégalités.

Pour aller vers l'abolition, il faut lutter contre l'achat de services sexuels par la responsabilisation du client et l'accompagnement approprié des prostituées. Le Parlement a engagé une réflexion générale, un texte d'ensemble est en préparation pour que notre civilisation n'admette plus cette forme d'esclavage pesant sur les femmes, comme l'a dit Victor Hugo. (Applaudissements à gauche)

M. Richard Yung .  - Je voterai ce texte. A plusieurs reprises, j'ai défendu un amendement de suppression de l'article 225-10-1 ; je vois aujourd'hui se lever un espoir...

J'ai entendu le très beau et émouvant plaidoyer de notre rapporteure et les arguments des ministres, ainsi que ceux du président de la commission des lois. Je n'y reviens pas. J'ai conscience que ce n'est là qu'une étape vers une grande loi sur la prostitution, qui n'escamote pas les enjeux sanitaires et permette d'avancer dans le débat difficile sur l'abolition et la pénalisation du client. En attendant, ce texte est une avancée, et je le soutiendrai.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Cet article a été adopté dans un contexte sécuritaire. Il est en contradiction avec la position abolitionniste de la France, dans la lignée de la loi Marthe Richard, et n'a fait que repousser la réflexion, tout en aggravant la situation des femmes concernées, éloignées des lieux d'accueil et de santé, loin d'associations, amputées de soutien public. Il a ajouté de la violence à la violence.

Dix ans de perdus, donc, pour lutter contre les réseaux mafieux et travailler à la réinsertion, mais dix ans d'aggravation de la précarité des personnes prostituées. Les associations le disent : il faut à la fois un effort de terrain global, transversal, et une législation nationale et internationale.

Bien des idées reçues restent à déconstruire. Des pistes, comme la pénalisation du client, ne font pas consensus. Reste que cette abrogation est une étape qui ne peut rester sans suite. Car la réponse doit être de portée plus large. L'abolitionnisme ne peut se concevoir comme un basculement, c'est un processus qui passe par la mobilisation de tous et la déconsidération de la tolérance sociale à la prostitution. (Applaudissements)

L'article premier est adopté.

Article additionnel

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Godefroy et Kaltenbach.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le fait, par tout moyen, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Cet amendement a une histoire. M'inquiétant de la disparition totale de la notion de racolage, j'avais proposé un amendement demandant au Gouvernement les mesures complémentaires qu'il entendait prendre. On m'a dit que je ne pouvais lui faire d'injonction. J'ai donc repris dans mon amendement ce qui était en vigueur avant 2003 pour ouvrir le débat. Certains ont mal interprété mon initiative, je le regrette.

Tous les pays européens, hors la Suède, ont pris des mesures contre le racolage. On me dit que l'on peut s'en remettre aux arrêtés municipaux. Mais les maires ont les mains liées par la jurisprudence de la Cour de cassation : sauf racolage actif, la prostitution sur la voie publique ne peut être considérée comme un trouble à l'ordre public. Voilà qui laisse les maires désarmés.

Rien ne m'interdit d'interroger, dans le débat, les ministres : quelles mesures sont envisagées ? Si je suis rassuré, je retirerai l'amendement ; sinon, je serai dans l'embarras...

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - La commission a longuement débattu de cet amendement. Il ne prévient pas le racolage sur internet. A été évoquée la proximité des prostituées d'un collège. Mais l'égalité s'apprend à l'école. L'irrespect n'est pas le fait des prostituées. La question est celle de l'éducation que nous donnons à nos enfants. On a aussi évoqué le harcèlement ; mais faut-il contraventionnaliser les prostituées parce que les hommes se croient autorisés à aborder des jeunes filles dans la rue ? Aller dans votre sens, c'est rétablir la confusion. Je rappelle que l'acte sexuel sur la voie publique n'est pas autorisé en France.

J'ajoute que votre amendement est d'ordre réglementaire. La commission des lois a donc souhaité entendre l'avis du Gouvernement, qui pourra s'engager à aller de l'avant.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Je comprends votre inquiétude et, à dire vrai, je la partage. Mais où est la cohérence de votre amendement avec notre souci partagé de ne plus voir les prostitués comme des coupables mais comme des victimes ? Je ne puis donc y être favorable.

Soutenir l'abrogation, monsieur le sénateur, nous oblige à aboutir au plus vite à un projet de loi global. Je sais que vous travaillez sur le sujet dans le cadre d'une mission avec Mme Jouanno. Nous serons à l'écoute et espérons aboutir à l'automne.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - La ministre m'a donné des assurances et partage mes inquiétudes. Il ne s'agissait pas, cependant, dans mon amendement, de culpabiliser les victimes mais la verbalisation du racolage est chose ancienne, qui n'avait pas été remise en cause.

L'amendement n°1 rectifié est retiré.

Article 2

L'amendement n°10 n'est pas défendu.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Je le reprends.

Mme la présidente.  - Ce sera l'amendement n°11.

Amendement n°11, présenté par Mme Klès, au nom de la commission.

Avant l'alinéa 1

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

... -  A la première phrase du 2° du I de l'article 225-20 du code pénal, la référence : « 225-10-1, » est supprimée.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Il s'agit d'un amendement de coordination.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je salue la réactivité de Mme Klès. C'est un amendement fort utile : avis favorable.

L'amendement n°11 est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Articles additionnels

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mmes Jouanno et Dini.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifiée :

1° L'intitulé est ainsi rédigé : « Du recours à la prostitution » ;

2° L'article 225-12-1 est ainsi rédigé :

« Art. 225-12-1. - Le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération ou d'un avantage ou d'une promesse de rémunération, de la part d'autrui des contacts physiques ou  des relations de nature sexuelle, de quelque nature qu'ils soient, est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende.

« Les peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 € d'amende lorsque les contacts physiques ou les relations sexuelles, de quelque nature qu'ils soient, sont sollicitées, acceptées ou obtenues de la part d'un mineur ou d'une personne présentant une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse. » ;

3° A l'article 225-12-3, les mots : « par les articles 225-12-1 et » sont remplacés par les mots : « au second alinéa de l'article 225-12-1 et à l'article ».

II. - Au sixième alinéa de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les mots : « au second alinéa de l'article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».

III. - Les dispositions du I et II entrent en vigueur six mois après promulgation de la présente loi.

Mme Chantal Jouanno.  - C'est un plagiat revendiqué de la proposition de loi Geoffroy-Bousquet et qui reprend la proposition n°6 de la résolution votée à l'Assemblée nationale.

Il s'agit d'un dispositif de pénalisation du client. L'objectif est bien de rappeler le principe de non-patrimonialité du corps. Des dispositions analogues ont été adoptées au Royaume-Uni. Je doute d'être suivie mais je réitère ma question : ira-t-on jusqu'au bout sur ce sujet ?

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Amendement intéressant sur le fond mais cette question n'a pas été abordée lors de l'examen sur cette proposition de loi : elle aurait mieux sa place dans le texte à venir. Pour des raisons de calendrier, donc, retrait.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Même avis. Le client tombe déjà sous le coup de la loi pénale quand il s'adresse à une prostituée mineure ou vulnérable. La vulnérabilité gagnerait, au reste, à être mieux définie ; le Sénat pourrait s'y atteler. L'indifférence aux conditions de la prostitution est inacceptable car on est face à une véritable traite.

L'Igas a émis des préconisations utiles. La mission que vous diligentez comme le travail des députés devraient nous faire avancer.

Mme Chantal Jouanno.  - Je comprends votre gêne mais je maintiens l'amendement.

M. Philippe Kaltenbach.  - Nous ne sommes nullement hostiles à cet amendement sur le fond, bien au contraire, mais le débat doit être mené à l'automne, dans de bonnes conditions. Nous ne pouvons donc, pour l'heure, vous suivre.

Mme Laurence Cohen.  - On marche sur la tête en pénalisant ces victimes, n'a-t-on cessé de répéter. C'est pourquoi beaucoup d'entre nous se sont interrogés sur la pénalisation des clients, et notre groupe avait d'ailleurs déposé une proposition de loi. Nous ne pourrons cependant vous suivre parce que le débat mérite d'être mené globalement à l'automne et parce que nous nous interrogeons sur l'échelle des peines retenue. Nous ne pensons pas qu'il faille recourir à la prison dans cette affaire.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Au Royaume-Uni, le client est pénalisé, mais seulement s'il y a contrainte par un tiers. Cela mérite examen. Transférer le délit sur le client sera-t-il plus efficace ? A quoi bon placer le client en garde à vue, sinon pour l'obliger à s'expliquer quand il rentre chez lui ? (Sourires)

Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi.  - Les rapports montrent que la pénalisation du client n'a guère donné de résultats, sinon négatifs. A Stockholm, nous avons entendu moult satisfecit sur la disposition de la prostitution de rue. Or on a vu fleurir des bordels flottants pour contourner la loi. On y achète aussi de l'alcool hors taxe, et la prostitution va bon train. Elle a aussi basculé sur Internet, comme chez nous à la suite de la création de délit de racolage.

Qui plus est, une haine de la femme est en train de monter en Norvège, suscitée par cette pénalisation du client. Notre réflexion en vue d'une loi à venir devra bien sûr intégrer cette question mais je ne suis pas sur ce point Mme Jouanno, même si je partage certaines de ses idées. En Suède, une radio locale a lancé l'intermédiation par téléphone, pour mettre en relation ses auditeurs avec des prostitués. Plus de mille clients ont répondu. C'est le comble. Et l'interdiction, demande-t-on ? Réponse : comme celle de rouler à 180 sur l'autoroute ! On le fait et c'est tout. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Chantal Jouanno.  - Je maintiens mon amendement, quitte à être seule à le voter. Je suis clairement abolitionniste. Ma position est à l'opposé de celle de Mme Benbassa. Je veux inverser la logique de culpabilisation. Les pays réglementaristes ont vu fleurir la prostitution : même le maire d'Amsterdam reconnaît une erreur nationale. Quand au départ vers internet, c'est impossible à contrôler, cela vaut partout, et un peu plus en France avec le délit de racolage.

La violence n'a pas lieu dans la rue mais dans les rapports intimes, entre les quatre murs d'une chambre. C'est là que les prostitués sont sans recours ; mon amendement leur en donne un.

L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°4 rectifié, présenté par Mmes Jouanno et Dini.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l'article 131-35-1, après le mot : « stupéfiants », sont insérés les mots : « , un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution » ;

2° Après l'article 225-20, il est inséré un article 225-20-1 ainsi rédigé :

« Art. 225-20-1. - Les personnes physiques coupables des infractions prévues à la section 2 bis du présent chapitre encourent également l'obligation d'accomplir un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution, selon les modalités prévues à l'article 131-35-1. »

II. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au 2° de l'article 41-1, après le mot : « parentale », sont insérés les mots : « , d'un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution ».

2° Après le 17° de l'article 41-2, il est inséré un 18° ainsi rédigé :

« 18° Accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution. »

3° Après le premier alinéa du II de l'article 495, il est inséré un 1° A ainsi rédigé :

« 1° A Le délit de recours à la prostitution prévu au premier alinéa de l'article 225-12-1 du code pénal ; ».

III. - les dispositions du I et II entrent en vigueur six mois après la promulgation de la présente loi.

Mme Chantal Jouanno.  - Dans le même état d'esprit que pour l'amendement précédent, je m'inspire ici des stages de sensibilisation à la sécurité routière, en complément ou à la place de la peine.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Idée intéressante, dont pourront s'inspirer les associations, mais avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Belle idée, que je vous invite à creuser car elle le mérite. Mais cela est prématurée.

L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°5 rectifié, présenté par Mme Jouanno et M. Guerriau.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. » ;

2° Le second alinéa est ainsi modifié :

a) Le mot : « définitive » est supprimé ;

b) Les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est » ;

3° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention ?vie privée et familiale? peut être délivrée, après avis d'une commission départementale, à l'étranger pour qui il existe des motifs raisonnables de croire qu'il pourrait avoir été victime de traite des êtres humains ou de proxénétisme. La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle.

« Sauf si leur présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention ?vie privée et familiale? peut également être délivrée aux membres de la famille des personnes mentionnées au premier alinéa, lorsque leur plainte ou leur témoignage est susceptible d'entraîner des menaces graves pour leur sécurité. »

II. - A la dernière phrase de l'article L. 316-2 du même code, le mot : « alinéa » est remplacé par les mots : « , troisième et quatrième alinéas ».

Mme Chantal Jouanno.  - Je souhaite faciliter l'accès à un titre de séjour pour les personnes étrangères victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme.

Mme la présidente.  - Amendement n°7 rectifié, présenté par Mmes Jouanno et Dini et M. Guerriau.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au dernier alinéa du 2° de l'article 706-3 du code de procédure pénale, après la référence : « 225-4-5 », sont insérées les références : « , 225-5 à 225-10 ».

Mme Chantal Jouanno.  - Cet amendement ouvre aux victimes de proxénétisme un droit à la réparation intégrale des dommages subis du fait de cette infraction, sans que soit nécessaire la preuve d'une incapacité permanente ou d'une incapacité totale de travail, comme cela existe pour la traite des êtres humains.

Mme la présidente.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par Mmes Jouanno et Dini et M. Guerriau.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Après l'article 2-21, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Toute association reconnue d'utilité publique ayant pour objet statutaire la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains et l'action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou des personnes prostituées peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues aux articles 225-4-1 à 225-4-9 et aux articles 225-5 à 225-12-2 du code pénal, lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. » ;

2° Au troisième alinéa de l'article 306, après le mot : « viol », sont insérés les mots : « , de traite aggravée des êtres humains, de proxénétisme aggravé » ;

3° Le deuxième alinéa de l'article 400 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Lorsque les poursuites sont exercées du chef de traite des êtres humains ou de proxénétisme, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande. »

II. - La loi n°75-229 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer l'action civile est abrogée.

Mme Chantal Jouanno.  - Je tiens à ce que les associations puissent se porter partie civile.

Mme la présidente.  - Amendement n°9 rectifié, présenté par Mmes Jouanno et Dini.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l'application de la présente loi dix-huit mois après sa promulgation.

Mme Chantal Jouanno.  - Souhaitons que nous ayons voté une grande loi d'ici là...

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - La commission est défavorable à l'amendement n°5 rectifié, non dans son principe mais parce que la réflexion doit être approfondie : on risque d'ouvrir une véritable porte aux réseaux en leur permettant de régulariser leurs victimes via la dénonciation d'un concurrent.

Même avis sur l'amendement n°7 rectifié : l'idée est intéressante mais la mission Kaltenbach-Béchu est en cours et elle intègre cette préoccupation.

La commission partage votre souci de permettre aux associations de se porter partie civile mais il faudrait d'abord évaluer les bienfaits et les méfaits du huis clos. Favorable à l'amendement n°8 rectifié s'il est rectifié pour en ôter ce qui concerne le huis clos.

Mme Chantal Jouanno.  - Soit.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Défavorable à l'amendement n°9 rectifié : n'allons pas multiplier les rapports. Nous avons suffisamment de moyens de contrôle.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - L'amendement n°5 rectifié pose de bonnes questions mais sa rédaction est trop large et laisse la voie ouverte à des effets d'aubaine pour l'immigration irrégulière. La circulaire du ministre de l'intérieur sur les naturalisations met l'accent sur la traite. Et le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit international, évoqué tout à l'heure, comporte aussi des dispositions en ce sens. Retrait ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le Gouvernement est attentif à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes. A l'Assemblée nationale, j'ai rappelé ce qu'était notre action, peu connue. Je viendrai devant le Sénat exposer nos grandes orientations. D'accord donc, sur le principe, avec l'amendement n°7 rectifié.

Le code de procédure pénale prévoit déjà des possibilités d''indemnisation pour la victime de la traite et du viol. Vous y ajoutez toutes les victimes de proxénétisme, et pas seulement celles qui sont victimes de violences. Votre amendement est passible de l'article 40, mais passons, J'ai toujours considéré que les parlementaires devaient pouvoir défendre leurs amendements.

Mme Laurence Cohen.  - Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le risque, avec cet amendement, c'est qu'il crée une rupture d'égalité.

Votre amendement n°8 rectifié, enfin, dès lors que vous acceptez de le modifier dans le sens souhaité par Mme Klès, est tout à fait recevable.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Un mot sur l'article 40 : l'amendement n'en a pas subi les foudres parce que le fonds en cause est alimenté par une taxe sur les contrats d'assurance.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Le Gouvernement ne voit pas d'inconvénient au rapport demandé à l'amendement n°9 rectifié. Est-il toutefois indispensable ? Sagesse.

L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté.

M. Philippe Kaltenbach.  - Nous avons commencé à travailler avec M. Béchu sur l'indemnisation des victimes. Les victimes du proxénétisme comme celles de la traite font partie de notre réflexion. Attendons le fruit de notre travail sur ce sujet.

Mme Laurence Cohen.  - Nous nous abstenons.

L'amendement n°7 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement n°8 rectifié bis est adopté et devient un article additionnel.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Je m'étonne que le Gouvernement soit favorable à l'amendement n°9 rectifié car la ministre s'est engagée à proposer rapidement une loi globale. Cet amendement devrait être retiré...

M. Michel Savin.  - Tout à fait !

Mme Chantal Jouanno.  - Je le retire si le Gouvernement s'engage à présenter sa loi avant la fin de l'année.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Très fort !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - J'avais émis un avis de sagesse. Mais puisque Mme Jouanno retire son amendement... Sur notre volonté d'avancer rapidement, je crois avoir été claire. Il s'agira sans doute d'une proposition de loi qui sera déposée d'ici à l'automne.

L'amendement n°9 rectifié est retiré.

L'article 3 est adopté.

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

(Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Jean-Vincent Placé.  - Nous aurions pu poursuivre jusqu'à 20 h 30, mais nous voulons nous aussi écouter le président de la République à 20 h 15. Je compte bien que les vingt minutes restantes seront ajoutées au temps imparti lors du prochain espace réservé à notre groupe.

Mme la présidente.  - La question orale avec débat sur les droits sanitaires et sociaux des détenus est donc retirée de l'ordre du jour, à la demande du président Placé. Ces vingt minutes seront ajoutées au temps imparti lors du prochain espace réservé au groupe écologiste, le 3 avril prochain, à titre tout à fait exceptionnel. Cela ne saurait valoir précédent.

Prochaine séance mardi 2 avril 2013 à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 10.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 2 avril 2013

Séance publique

A 14 heures 30

1. Débat sur l'action des collectivités locales dans le domaine de la couverture numérique du territoire

A 21 heures 30

2. Texte de la commission des affaires sociales (n°450, 2012-2013) sur les propositions de loi :

- présentée par M. Paul Vergès, relative aux bas salaires outre-mer (Procédure accélérée) (n°414, 2012-2013)

- présentée par M. Michel Vergoz, visant à proroger le dispositif ouvrant la possibilité du versement d'un bonus exceptionnel aux salariés d'une entreprise implantée dans une région ou un département d'outre-mer (à l'exception de Mayotte), à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy (Procédure accélérée) (n°421, 2012-2013)