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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Débat sur la justice de première instance

M. Yves Détraigne, co-rapporteur de la commission des lois

Mme Virginie Klès, co-rapporteure de la commission des lois

M. Jacques Mézard

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Jacques Hyest

M. Christian Favier

M. Henri Tandonnet

M. Jean-Pierre Michel

M. André Reichardt

M. Simon Sutour

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Débat sur l'engagement des forces armées en République centrafricaine

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Mme Kalliopi Ango Ela

M. Jacques Legendre

M. Jean-Marie Bockel

Mme Michelle Demessine

M. André Vallini

M. Jean-Pierre Chevènement

M. Philippe Adnot

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Modification à l'ordre du jour

Transition énergétique

M. Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de résolution

M. Ronan Dantec

M. Jean-Claude Lenoir

M. Henri Tandonnet

Mme Mireille Schurch

M. Roland Courteau

M. Jean-Pierre Chevènement

M. Jean-Pierre Vial

Mme Delphine Bataille

M. François Fortassin

M. Jean Bizet

M. Jean-Jacques Mirassou

Mme Françoise Boog

M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Ordre du jour du mercredi 26 février 2014

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mardi 25 février 2014

78e séance de la session ordinaire 2013-2014

présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

Secrétaires : Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Mme Catherine Procaccia.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Débat sur la justice de première instance

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la justice de première instance.

M. Yves Détraigne, co-rapporteur de la commission des lois .  - En août 2012, le Sénat a débattu du rapport que j'ai rédigé avec Mme Borvo Cohen-Seat : La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée. Menée sans guère de concertation, cette réforme purement quantitative s'est soldée par la disparition de 37 % des tribunaux d'instance, de 23 % des conseils de prud'hommes, de 30 % des tribunaux de commerce, mais de 12 % seulement des tribunaux de grande instance. Elle ne s'est pas accompagnée d'une réflexion sur l'organisation de la justice de première instance.

Nous préconisions l'essai de tribunaux de première instance, conformément aux recommandations des organisations professionnelles. Mme Klès et moi-même avons réitéré cette proposition dans notre rapport Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance, présenté en octobre dernier à la commission des lois. Les débats organisés dernièrement par la Chancellerie en ont souligné l'intérêt.

Pour remédier à l'éloignement géographique des tribunaux dans certaines zones, on ne saurait procéder à une nouvelle refonte géographique. Il faut explorer d'autres voies.

En outre, les Français comprennent mal l'organisation de la justice, devenue très complexe : plus d'une vingtaine de juridictions différentes.

D'où notre proposition de tribunaux de première instance, dont les tribunaux actuels deviendraient des chambres détachées. Toutes les juridictions du ressort seraient soumises à ce tribunal de première instance et mutualiseraient ainsi leurs moyens.

Je laisse à Mme Klès le soin d'exposer comment nous envisageons cette évolution. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Belle organisation de la commission des lois !

Mme Virginie Klès, co-rapporteure de la commission des lois .  - Organisation, complémentarité, parité !

Nous nous sommes voulu pragmatiques et nous avons fondé notre réflexion sur l'accessibilité de la justice. Cela suppose la compréhension de l'argumentation judiciaire et du langage juridique. Cela suppose un maillage territorial serré. Cela suppose aussi que justice soit rendue rapidement et que le justiciable comprenne la raison des délais. Nous n'avons pas abordé la question, pourtant cruciale, de l'accessibilité financière, qui doit l'être dans le cadre d'un autre rapport, consacré à l'aide juridictionnelle.

Un tiers des Français ont affaire à la justice au cours de leur vie. Que tel ait ou non été le cas, 95 % d'entre eux lui reprochent sa lenteur, près de 80 % sa complexité. Attachés à la justice, reconnaissants du travail accompli dans les tribunaux, ils sont cependant exigeants. Tout le monde n'est pas au fait des différentes procédures, qui doivent être rendues plus lisibles. Tout le monde ne sait pas lesquelles sont écrites ou orales.

M. Jacques Mézard.  - Allons donc !

Mme Virginie Klès, co-rapporteure.  - La plupart des Français n'ont pas votre connaissance professionnelle de la justice, monsieur Mézard.

Voilà pourquoi nous avons envisagé un guichet universel des greffes et non un guichet unique. Il faut rassurer les greffiers : il ne s'agit pas de revoir encore la carte judiciaire, ni de supprimer des postes, ni de les déplacer au gré des responsables des juridictions. Un guichet universel des greffes nécessite une formation supplémentaire adaptée. Un lien doit être fait avec associations, conciliateurs, médiateurs de justice, afin d'éviter l'intervention de juges lorsque c'est possible.

Les services doivent être offerts au plus près des citoyens : tous les lieux d'accès à la justice subsistants doivent être maintenus. Trop peu de Français connaissent les maisons de la justice et le droit, qui devraient voir leurs usages accrus. Il faut au moins un lieu d'accès par département.

Les juges de proximité ne doivent pas être oubliés. Nous proposons qu'ils soient reversés au sein des tribunaux de première instance et que leur formation soit consolidée.

Les moyens matériels nécessaires sont d'abord de nature informatique ; l'application Portalis doit faire l'objet de moyens prioritaires pour le civil. Tous les magistrats et greffiers doivent avoir les moyens de travailler correctement et d'informer les justiciables.

La loi fixerait un bloc de compétences minimales aux chambres détachées des tribunaux de première instance, reprenant peu ou prou celles des tribunaux d'instance et tribunaux de grande instance. Progressivement, des juridictions pourraient être rapprochées : je pense aux tribunaux des affaires de sécurité sociale. Le Défenseur des droits a su regrouper efficacement des institutions diverses, pourquoi l'institution judiciaire ne saurait-elle pas faire de même ?

Cette réorganisation renforcera ce que j'ai appelé « l'accessibilité temporelle » de la justice, y compris en termes de ressenti, car les justiciables peuvent se renseigner plus facilement sur l'évolution des procédures.

La commission des lois examine demain le rapport de Mme Tasca et M. Mercier sur le tribunal des affaires familiales. Une réflexion est également en cours sur les cours d'appel, menée par MM. Richard et Saugey. Toutes les réformes devant être menées avec cohérence. Pour ce qui est de la justice administrative, je ne m'aventurerai pas sur ce terrain...

Merci à tout le personnel de la justice qui a déjà beaucoup fait pour améliorer le service rendu aux justiciables. (Applaudissements)

M. Jacques Mézard .  - Madame le ministre, vous avez engagé une réflexion sur la justice du XXIe siècle. Je résumerai brutalement le problème en disant que nous avons besoin de magistrats et de greffiers.

La justice de première instance en France est complexe : plus d'une vingtaine de juridictions, dont même les ressorts diffèrent. La nature des contentieux et la procédure ne s'accordent pas toujours...

D'où l'idée des tribunaux de première instance, résultant de la fusion du tribunal d'instance et du tribunal de grande instance au siège de celui-ci, préconisée par M. Marchal, comme par Mme Klès et M. Détraigne. Cette réforme attendue, véritable choc de compétences - formule que je préfère à celle de « choc de simplification » - ne doit pas nous dispenser de réformer les moyens de la justice. La refonte de la carte judiciaire a laissé des traces et le rétablissement du tribunal de grande instance de Tulle ne suffit pas.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.  - Oh que non, ce n'est pas le seul.

M. Jacques Mézard.  - Vous avez bien senti...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - La perfidie de l'observation, oui !

M. Jacques Mézard.  - L'humour que j'y mettais !

De multiples chantiers doivent être ouverts : informatisation, aide juridictionnelle qui concerne quelque 900 000 Français et, aux deux tiers, des contentieux civils.

L'accès à la justice est en cause pour tous les Français dont les revenus sont faibles. La suppression de certains tribunaux d'instance pose problème : pour faire face aux problèmes du quotidien, on a besoin d'une véritable justice de proximité. La déjudiciarisation est à la mode, car elle permettrait de faire des économies mais ce n'est pas de cela que l'on a besoin. N'oublions pas, la raison d'être du juge. En matière de divorce, par exemple, il lui revient de vérifier le consentement des parties. C'est pourquoi je suis hostile à un divorce sans magistrat. Il n'est pas de bonne justice sans juge.

Les tribunaux sont engorgés, les effectifs de magistrats sont restés à un niveau très faible par rapport aux autres pays européens. Portalis écrit dans le Discours préliminaire au code civil : « Les questions de divorce étaient attribuées à des conseils de famille ; nous les avons rendues aux tribunaux. L'intervention de la justice est indispensable, lorsqu'il s'agit d'objets de cette importance. » Oui, je crois au rôle du juge et du greffier ! C'est le rôle de conciliateur du juge, prévu par le code de procédure civile, qu'il faut renforcer. Hélas, il n'a plus le temps de le jouer.

« La justice est la première dette de la souveraineté » écrivait encore Portalis. La justice est, en effet, une si belle chose, qu'on ne saurait trop cher l'acheter. (Applaudissements sur de nombreux bancs, des bancs socialistes à la droite)

Mme Esther Benbassa .  - « Le constat de la complexité et de l'illisibilité de l'organisation judiciaire française n'est plus à faire », écrivent Mme Klès et M. Détraigne. Le tribunal de grande instance, concurrencé par de nombreuses juridictions spécialisées, n'est en outre compétent en matière civile que pour les litiges d'un certain montant. La réforme de la carte judiciaire a éloigné la justice des citoyens.

C'est toute notre justice de première instance qu'il faut revoir. À court terme, priorité doit être donnée à l'accessibilité de la justice. Les guichets universels des greffes permettraient aux justiciables d'être informés des modalités de saisine des juridictions, d'introduire les actions ne nécessitant pas d'avocat, et de suivre l'évolution des procédures.

Mme Borvo Cohen-Seat et M. Détraigne préconisaient aussi le développement des audiences foraines. Je suis du même avis.

Troisième chantier : la poursuite de la déjudiciarisation et de la réforme des procédures, afin que le juge puisse se concentrer sur son rôle principal : trancher les litiges. Pourquoi ne pas attribuer au greffier en chef des prérogatives juridictionnelles limitées ? Beaucoup le recommandent et il est suffisamment formé pour cela. Cela exigera le recrutement de nombreux greffiers.

« La justice mérite la confiance des Français. Chaque fois qu'elle s'affaiblit, c'est le pacte républicain qui s'affaiblit. », disait le Premier ministre. Le groupe écologiste veillera à ce que cela ne se produise pas et à ce qu'elle dispose des moyens dont elle a besoin. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest .  - La principale richesse de notre justice, c'est le nombre de rapports qui lui sont consacrés depuis quelques années. Certains ont tranché à la hache : c'est la réforme de la carte judiciaire. Cela faisait 25 ans que nous en parlions ici et que rien ne se faisait. Toutes les majorités s'y sont intéressées, peu l'ont risquée et beaucoup de rapports ont été publiés pour dresser le bilan de la dernière réforme.

Mme Klès et M. Détraigne préconisent une réforme de la justice de première instance. Jadis, le tribunal de grande instance se différenciait du tribunal d'instance par sa collégialité ; mais le Conseil constitutionnel admet un juge unique, à condition qu'il y ait des moyens d'appel.

Le guichet unique des greffes est une idée plus qu'intéressante. Les Français s'y retrouveraient mieux ainsi, dans le maquis des juridictions. Cela dit, un chef d'entreprise sait parfaitement ce qu'est un tribunal de commerce. Faut-il vraiment différencier tribunal d'instance et tribunal de grande instance en fonction du montant des litiges ? Je ne suis pas convaincu.

Le Sénat avait considéré que les juridictions de proximité n'étaient pas une bonne chose. Le président de la République d'alors voulait leur création, il avait parlé. On aurait pu essayer de le convaincre, ce n'était, après tout, qu'une phrase dans un discours...

M. Jean-Pierre Michel.  -  Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest.  - En revanche, mieux utilisés, les juges de proximité sont précieux. Ils pourraient être un renfort pour les juridictions, surtout dans le cadre d'un tribunal de première instance.

On parle beaucoup de déjudiciarisation. Mieux vaudrait éviter de créer de nouveaux contentieux, comme s'y ingénient la loi Alur et les textes sur la consommation. On ne cesse de les multiplier. On judiciarise, on déjudiciarise, on rejudiciarise.

Les tribunaux de première instance ne se heurteraient à aucun obstacle constitutionnel réel. En attendant, il conviendrait de fusionner les tribunaux d'instance et les tribunaux de grande instance. Un tribunal départemental ? Cela ne veut rien dire, car la situation n'est pas la même partout. Certains tribunaux de grande instance, ceux autour de Paris par exemple, sont des monstres, des usines à justice, pas des tribunaux à taille humaine.

Nos magistrats spécialisés sont un atout. N'allons pas faire éclater le pôle famille ni la justice pour enfants. Toute réforme des tribunaux de commerce ou de prud'hommes réclame de la prudence. Cette justice est presque gratuite, ce n'est pas le cas dans d'autres pays.

Il est vrai que la justice manque de moyens mais ne rêvons pas. On préservera peut-être le budget de la justice, mais on n'ira sans doute guère au-delà. Il faut donc mieux utiliser les moyens disponibles.

Les auxiliaires de justice contribuent autant que les magistrats à la réussite de la justice. Une réforme de l'aide juridictionnelle est urgente. La suppression de la taxe n'a pas été compensée.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Oh que si ! Soixante millions d'euros !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Certes, mais le déficit est structurel, et va encore s'accroître avec le texte dont vous avez débattu hier.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Trente millions...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Continuons donc à réfléchir à une réforme de nos juridictions. Il faudra prendre garde, bien sûr, à l'aménagement du territoire, à l'accessibilité... Mais la plupart des Français sont heureux de n'avoir jamais affaire à la justice ! (Applaudissements)

M. Christian Favier .  - La réforme de la carte judiciaire a désorganisé notre justice. Madame la garde des sceaux, vous avez affiché votre souci de simplification et de modernisation. La création d'un guichet unique des greffes serait un gage de proximité.

Le rapport Détraigne-Borvo-Cohen-Séat préconisait en outre la création de tribunaux de première instance, idée approfondie par le rapport Klès-Détraigne. Les objectifs poursuivis sont louables, mais gare aux hyperstructures privilégiant la flexibilité.

Comment intégrer des juridictions dont les procédures dont les compositions diffèrent ? La réforme ne doit pas servir à diminuer le budget de la justice, ni à fermer des sites. Certaines fonctions spécialisées, comme celle de juge d'instance, sont menacées. La spécialisation des juges aux affaires familiales l'est également.

Les logiques gestionnaires ne doivent pas l'emporter sur le service rendu. À Créteil, les magistrats se plaignent du nombre de postes vacants. La réforme ne doit pas nuire à l'autonomie ni à la qualité de l'exercice judiciaire. Je sais que vous y veillerez, madame la ministre. (Applaudissements à gauche)

M. Henri Tandonnet .  - La justice est l'un des piliers de la démocratie. Parlementaires, nous devons veiller à lui attribuer les moyens nécessaires. Pour le citoyen de base, elle demeure étrangère à ses préoccupations quotidiennes. Distinguons ce qui relève de la justice pénale dans les contentieux civils. Le rapport Klès-Détraigne fait progresser l'idée d'une réforme en faveur d'une justice de première instance plus accessible. Je partage les convictions du rapport sur la nécessité de créer un tribunal de première instance qui apporterait plus de simplicité, en évitant les exceptions d'incompétences ; une meilleure organisation des moyens et des audiences ; un contentieux de proximité répondant aux besoins des populations. La chambre délocalisée du tribunal de grande instance d'Agen, que vous avez créée pour pallier la suppression du tribunal d'instance de Marmande dans mon département, ouvre la voie.

La proximité du tribunal de première instance sera adaptée à la spécificité et à l'évolution des contentieux. Les tribunaux spécialisés compliquent les procédures. Je me félicite que l'ensemble des tribunaux de grande instance, grâce à un amendement que j'ai introduit dans la loi consommation, puissent traiter des actions de groupe.

Quelle représentation du justiciable devant le tribunal de première instance ? Il faut le rendre capable de comprendre son affaire, mais ne laissons pas croire qu'il pourrait se défendre seul. Le tribunal de grande instance doit entraîner la représentation du justiciable par un avocat, qui aura pour mission de déterminer l'objet du litige, son fondement juridique, les preuves à apporter. Le justiciable n'a pas les compétences qu'exige la présentation de son litige devant le juge. Le magistrat a besoin d'un dossier bien constitué, le justiciable de la garantie de la compétence d'un professionnel. Le justiciable pourrait être représenté par les avocats au sein des assemblées générales des tribunaux et cours, réservées aux seuls magistrats et greffiers.

L'accessibilité dépend aussi de l'organisation des greffes. Le guichet universel paraît, à l'heure du numérique, une évidence. La France a pris du retard. Certaines expériences malheureuses ont été tentées. Il faudra établir un système sécurisé, adapté à la procédure et garant d'une bonne justice.

Le juge civil n'a pas vocation à suppléer la carence des parties. N'attendez pas des sondages le satisfecit des justiciables ! L'indépendance du juge et la pertinence de ses décisions sont les seuls moyens de garder ou de rétablir la confiance des citoyens. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et de l'UDI-UC)

M. Jean-Pierre Michel .  - Notre organisation judiciaire doit répondre à des impératifs contradictoires. Ceux du justiciable, d'abord. Elle doit donc être accessible et lisible, sans qu'il doive recourir à des conseils payants. Les magistrats, paraît-il trop peu nombreux, les greffiers, les avocats ont bien sûr leur rôle à jouer. Il faut réformer totalement l'aide judiciaire. Ici même fut proposé il y a plusieurs dizaines d'années par le sénateur de Grailly un système de sécurité sociale judiciaire. On ne peut plus laisser les avocats libres de fixer leurs honoraires selon qu'ils sont célèbres ou non, installés à Paris ou en province... Aucune annonce en ce sens n'a été faite, hélas !

L'organisation judiciaire doit tenir compte de l'aménagement du territoire, des transports, notamment dans les départements ruraux, où la suppression des tribunaux d'instance s'est soldée par une catastrophe. Des audiences ont lieu sans justiciable, y compris pour le juge des tutelles, faute de transports publics adaptés pour y venir.

De multiples rapports ont été publiés. La réforme à la hache de la carte judiciaire par Mme Dati a envenimé les choses, qui a agi sans concertation ni consultation véritable. Les chefs de cour n'ont pas pris la peine de consulter les parlementaires de leur ressort. On ne m'a jamais rien demandé. Ce que j'avais à dire n'intéressait sans doute pas Mme Dati, je m'en honore !

M. Jean-François Husson.  - Restez courtois !

M. Jean-Pierre Michel.  - Je dis ce que je veux !

M. Jean-François Husson.  - Moi aussi !

M. Jean-Pierre Michel.  - Les chefs de cour eux-mêmes n'ont guère été entendus.

Le rapport présent apporte quelques solutions. Pour ma part, comme le président Hyest, je suis pour la suppression pure et simple du tribunal d'instance et son unification avec le tribunal de grande instance : un seul tribunal compétent.

Il faut régler le conflit entre juridictions : le tribunal de grande instance a en fait une compétence d'exception, au regard de la kyrielle de juridictions spécialisées, aux compétences enchevêtrées... Les syndicats veillent à celles des prud'hommes, entre autres. Trions, unifions tout cela !

Ainsi le juge sera placé au centre du dispositif pour exercer sa fonction de juge. Tout le monde n'a pas à le voir. Mais il doit juger de problèmes importants, difficiles. Oui, le greffier en chef doit être doté de compétences juridictionnelles, que les juges acceptent de se défaire de leur imperium. Faisons en sorte que le juge exerce dans la collégialité. Le juge unique est souvent inique. La collégialité concilie les points de vue, parfois diamétralement opposés, pour faire consensus. Le justiciable a plus confiance dans ces décisions que dans celles d'un juge, dont il suspecte les motivations.

M. Christian Bourquin.  - Totalement !

M. Jean-Pierre Michel.  - La justice est rendue par le juge : rendons-lui ce rôle, dévoyé aujourd'hui par toute une série d'institutions médiateurs, etc. rendant une justice molle, que le Conseil d'État a appelé le droit mou.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Le droit souple !

M. Jean-Pierre Michel.  - Quelles sont les conséquences d'un rappel à la loi ? Tout cela doit être nettoyé.

M. Christian Bourquin.  - Bravo.

M. Jean-Pierre Michel.  - Il faut regrouper les choses en pôles : affaires familiales, état civil... Pourquoi faut-il que les tutelles soient jugées par le juge d'instance et les divorces par le juge de grande instance ?

Répartissons ces pôles dans différents endroits du département pour l'aménagement du territoire ...et pour ne pas indisposer les élus locaux !

Il y a des décennies que l'on évoque des cours d'appel au volume d'affaires peu important.

M. Henri Tandonnet.  - Où donc ?

M. Jean-Pierre Michel.  - Une cour d'appel par région ? Il faudrait d'abord savoir si les régions vont être regroupées.

M. Christian Bourquin.  - Oh non !

M. Jean-Pierre Michel.  - La vôtre est énorme !

Quid des trois ordres de contentieux ? L'ordre judiciaire, l'ordre administratif créé par Napoléon pour protéger l'administration...

M.Alain Richard  - Créé par la Révolution !

M. René Garrec.  - Tout de même, les choses ont évolué depuis.

M. Jean-Pierre Michel.  - En effet, d'où la création de blocs de compétence, du tribunal des conflits, etc.

Enfin, les juridictions financières, qui contrôlent les actes des collectivités.

M. Alain Richard.  - Ce sont des juridictions administratives !

M. Jean-Pierre Michel.  - À leur tête, il y a des instances qui ne se privent pas de donner des conseils, parfois incongrus, surtout quand ils critiquent ce qu'ils ont eux-mêmes proposés un ou deux ans auparavant.

M. Jean-Pierre Michel.  - Toutes ces questions méritent d'être posées. Madame la garde des sceaux, vous avez fait des annonces, à l'Unesco, lors du colloque pour la justice du XXIe siècle. Vous avez demandé des rapports, ils vous ont été remis. Il faut agir maintenant, comme dans le domaine économique. Nos concitoyens attendent des actes, des faits, des solutions. L'intérêt de ce rapport qui nous réunit gentiment est double : il nous montre une voie pragmatique, celle du guichet unique des greffes, avant d'avancer vers la justice de demain. En outre, il montre que le Sénat et sa commission des lois produisent régulièrement des rapports présentés par des sénateurs de bords politiques différents, consensuels, qui répondent aux questions d'aujourd'hui. Non, nous ne sommes pas là seulement pour amender un peu bêtement les lois, mais pour présenter des solutions innovantes.

M. Christian Bourquin.  - Bravo ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. André Reichardt .  - « Gouverner, c'est maintenir les balances de la justice égales pour tous », disait F.D. Roosevelt. Cela passe par un équilibre entre proximité et rationalisation, efficacité et économie, spécialité et lisibilité.

Il nous faut rationaliser notre organisation judiciaire pour lui rendre un peu de la clarté qu'elle a perdue. L'accessibilité n'est pas que physique, elle peut avoir lieu à distance. Ayons conscience des difficultés à dépasser. Il convient de rassurer le personnel de la justice. Notre action doit s'inscrire dans le long terme, pour rapprocher progressivement les juridictions de première instance avant d'envisager leur unification. L'expérience doit nous incliner à la modestie. La réforme des tribunaux de commerce et des conseils de prud'hommes doit elle aussi être appréhendée avec prudence.

Je salue le travail de Virginie Klès et d'Yves Détraigne. Madame la ministre, il est stimulant de réformer. À chaque ministre, sa réforme. Mais on doit aussi reconnaître les actions plus modestes, à l'épreuve du temps. Il n'y aura pas de grand soir de la justice de première instance.

Développons les outils d'accès à la justice : le guichet unique, le logiciel Portalis ; rationnalisons les contentieux de proximité ; la justice a également besoin d'un engagement budgétaire, M. Mézard l'a éloquemment soutenu.

En Alsace, ma région, la justice de première instance subit d'importants problèmes liés aux transferts de compétences entre le tribunal de grande instance de Nancy et celui de Strasbourg, au détriment de la proximité et de la rationalisation, voire de la raison. Lors d'une réunion en votre présence, madame la ministre, plusieurs parlementaires vous ont présenté les différents contentieux transférés à Nancy : le centre de protection judiciaire de la jeunesse, la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) en matière de délinquance et criminalité organisée, d'infractions économiques et financières, les pôles de compétence relatifs à la concurrence, à la propriété industrielle - domaine d'excellence de l'université de Strasbourg - aux contrats de droit privé relevant du code des marchés publics... La juridiction spécialisée du tribunal de grande instance de Strasbourg a suivi, il y a peu, après la loi de programmation militaire.

Seule une volonté politique forte stoppera cette hémorragie. Je compte sur vous, madame la ministre. Il y va d'une forme d'équilibre à trouver entre proximité et rationalisation, qui est au coeur de ce rapport. (Applaudissements à droite)

M. Simon Sutour .  - Je suis heureux de m'exprimer sur ce sujet qui nous tient tous à coeur. Européen, membre de la commission des lois, j'agis comme président de commission des affaires européennes en faveur du rapprochement entre l'Europe et les citoyens. Ainsi, j'oeuvre pour que le parquet européen soit collégial.

Madame la garde des sceaux, certains de vos prédécesseurs souhaitaient imprimer leur marque. Leurs réformes n'ont pas toutes réussi, dans la mesure où elles visaient à faire d'abord des économies budgétaires. Au lieu d'une réflexion d'ensemble nous fut présentée une carte de France constellée de points noirs, les juridictions à supprimer.

Il faut améliorer, nous le voulons tous, l'efficacité de notre système judiciaire. Votre réforme sera, j'en suis convaincu, ambitieuse. Je suis conscient des contraintes budgétaires, mais aussi des vertus des efforts de long terme.

Comme le préconise ce rapport, qui fait déjà référence, rapprocher la justice et les citoyens, à travers la justice de première instance, en maintenant une présence judiciaire proche, est de nature à enrayer les conséquences d'une réforme de la carte judiciaire qui a aussi sévi dans mon département, notamment au Vigan ((M. Roland Courteau le confirme) Le rapport Klès-Détraigne est bien accueilli, parce qu'il est pragmatique, fondé sur la concertation, à la différence des polémiques hélas légitimes suscitées par le rapport de Didier Marchal.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

M. Simon Sutour.  - Comment ne pas s'émouvoir de la proposition de suppression de sept cours d'appel et soixante juridictions de première instance ? Cette mesure simple et simpliste est la mort annoncée de nombreuses cours d'appel, notamment celle de Nîmes.

Eh oui, le premier président de la cour d'appel de Montpellier veut supprimer celle de Nîmes !

Conservons ce qui fonctionne très bien !

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - Très bien !

M. Simon Sutour.  - Pourquoi supprimer une cour d'appel qui figure dans le premier tiers des cours d'appel du territoire en termes d'activité et d'efficacité ?

Les délais de traitement des dossiers sont parmi les plus brefs du pays. Elle devrait être prise en exemple. La disparition de cette cour d'appel aurait des conséquences sur les professions du droit mais surtout pour les justiciables, et les plus démunis d'entre eux tout particulièrement. Que l'on ne dise pas que l'on se contenterait de supprimer les deux chefs de cour...

Je sais le président de la région très attentif à la question.

M. Christian Bourquin.  - Tout à fait.

M. Simon Sutour.  - Il faut cesser de vouloir tout concentrer à tout prix.

M. André Reichardt.  - D'accord.

M. Simon Sutour.  - Ce pays a besoin d'un aménagement équilibré du territoire, source de bien-être pour nos citoyens, mais aussi de développement économique. Madame la garde des sceaux, nous ne voulons pas revivre le cauchemar que nous avons vécu avec Mme Dati.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

M. Simon Sutour.  - Vous avez le pouvoir, dès à présent, de dire que la cour d'appel de Nîmes vivra ! Ce serait, comme le chanterait Stromae, « formidable » ! (Applaudissements)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Nous avons déjà débattu de la carte judiciaire, de l'application de la loi pénitentiaire, de questions cribles. Nous nous retrouvons à nouveau, autour d'un rapport de grande qualité et de sujets qui préoccupent les acteurs de la justice. Je vous remercie d'avoir participé aux groupes de travail que j'avais réunis à la Chancellerie en séance plénière, ainsi qu'au débat national tenu à l'Unesco.

J'ai le souci à la fois de vous présenter l'esprit de la réforme que j'ai préparée et de répondre à vos questions et interpellations.

Pourquoi cette réforme ? Notre organisation judiciaire remonte à 1958, dans sa construction globale, dans sa pensée. Depuis, des choses ont été faites, des initiatives prises, des modifications apportées à notre organisation judiciaire. Ainsi, Robert Badinter a permis au justiciable de saisir la CEDH et supprimé les juridictions d'exception, comme la Cour de sûreté de l'État. Henri Nallet a mis en place la politique publique de l'aide juridictionnelle, Élisabeth Guigou a fait adopter en 2000 la loi sur la présomption d'innocence et créé les juges de la liberté et de la détention.

La pensée globale de l'organisation judiciaire doit maintenant être revue ; notre société a changé ; il ne s'agit pas de créer des contentieux, monsieur Hyest, mais d'apporter des réponses inexistantes jusqu'à présent à des contentieux, des préjudices qui existaient...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Il faut des moyens !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - J'y viendrai. Au Sénat, après le rapport Guinchard, vous avez pris une initiative heureuse en décembre 2012, sur les juridictions de proximité, dont vous avez reporté de deux ans la suppression. Lorsque je suis arrivée place Vendôme, toute une série de mesures d'accompagnement restaient à prendre. Il n'est pas question de supprimer les juges de proximité, utiles, mais de réfléchir à leur mode d'intervention, à la nature des contentieux qui leur sont confiés. Quant à la justice de première instance, votre rapport la traite avec pragmatisme.

Des fermetures des tribunaux d'instance, étalées jusqu'en 2015, nous avons déjà débattu : je crois souhaitable de maintenir ces fermetures d'ores et déjà prévues.

La collégialité de l'instruction décidée par la loi du 5 mars 2007 votée à l'unanimité a un effet direct sur l'organisation judiciaire.

Il était prévu de supprimer 74 - comment dit-on déjà - « infrapôles ». Pour l'application de la loi il fallait créer 324 postes de magistrats... Nous avons travaillé sur un projet de loi qui aménage la collégialité de l'instruction. Je l'ai présenté au conseil des ministres en avril-mai 2013. Malheureusement, il n'a pas trouvé place dans le calendrier parlementaire. Souhaitant éviter un nouveau report, j'ai pris sur moi d'introduire un amendement dans la loi de finances 2014, qui diffère d'un an l'application de la collégialité. Je veux croire qu'en un an nous réussirons à préparer sa mise en oeuvre.

Monsieur Reichardt, d'autres effets sont attendus de la demande de spécialisation, sur les accidents collectifs, les affaires militaires, la cybercriminalité... Il doit être répondu à cette demande sans que cela nuise à la proximité ; les nouvelles technologies offrent à cet égard des moyens utiles.

Autres effets, ceux des lois de mai 2013 qui conduisent à la suppression de la moitié des cantons... (M. Jean-Claude Lenoir s'exclame). Ce travail a été mené publiquement. Le redécoupage a une incidence sur la carte judiciaire, car la référence pour le tribunal d'instance, aujourd'hui, c'est le canton. Il ne serait pas logique que la carte judiciaire s'adapte à une modification de la carte administrative.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Modification qui n'était pas plus logique !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Aucun site judiciaire ne fermera donc. Si cela est techniquement possible, ce que je crois, référence pourra être faite aux communes, c'est plus acceptable du point de vue de la doctrine. Nous envisageons aussi de geler la carte actuelle sur la base des cantons existants au 1er janvier 2014, comme pour les circonscriptions législatives, mais cette solution me gêne un peu plus dans son esprit, puisqu'elle se fonde sur une référence administrative qui sera bientôt obsolète. Songeons aussi aux conséquences de la loi relative à la fonction publique ou de celle relative à l'administration territoriale et aux métropoles - je pense notamment à celle de Lyon.

Cette réflexion, j'ai voulu que nous la menions ensemble, dans le cadre de groupes de travail. Deux cent soixante-huit préconisations ont été formulées, en plus des vingt de votre rapport. Trois axes ont été soumis aux juridictions : la part que les citoyens peuvent prendre à la construction de solutions à leurs litiges, le développement de la conciliation et de la médiation, et l'évolution des missions des professionnels de justice. Les parlementaires seront évidemment associés. Il importe qu'ils le soient.

Le président de la République s'est engagé à créer une juridiction unique de première instance, où l'accueil des justiciables soit amélioré. Cette question, qui est celle du territoire, doit être articulée avec celle de la répartition des contentieux. Vous avez fait de propositions, nous avançons.

J'entends votre souci de procéder progressivement et je maintiens mes engagements. Aucun site judicaire ne fermera : Nîmes vivra !

M. Christian Bourquin.  - Bravo !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je remercie les collectivités territoriales qui ont affecté des agents au sein des Maisons de justice et du droit (MJD). Des greffiers y seront affectés, car ce sont des sites judiciaires au regard du code de l'organisation judiciaire.

M. Claude Dilain et M. René Vandierendonck.  - Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Nous avons même rouvert trois TGI et quatre chambres détachées - une cinquième est en procédure de consultation - ainsi que des points d'accès au droit pour les jeunes.

Le sujet des effectifs est récurrent... Mais ce n'est pas un sujet en soi... Cela dit, 500 emplois sont désormais créés tous les ans, 590 cette année.

M. Christian Bourquin.  - Bravo !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Mille quatre cents départs à la retraite sont attendus au cours du quinquennat. Trois cents postes auraient dû être ouverts chaque année pendant le précédent quinquennat, il n'y en eut que 85...

J'ai ouvert de nouveaux postes à concours de l'ENM. Bien que certains n'aient pas été pourvus l'an dernier, je me suis refusé à baisser le niveau du concours, comme on me le suggérait. Le concours de l'ENM est un des plus beaux de la République. Nous avons lancé une campagne de sensibilisation pour sensibiliser les meilleurs et ces efforts ont été récompensés -  384 postes ont trouvé preneurs. Il n'y a jamais eu autant de lauréats depuis dix ans... La profession se féminise - à 72 % dans la dernière promotion. Je tiens à réaffirmer que les femmes ne sont ni plus sévères, ni plus clémentes que les hommes. Le taux actuel de féminisation est de 82 %.

À cela s'ajoutent 64 auditeurs de justice dits « de l'article 18-1 » et 13 issus de classes préparatoires, qui contribuent à la mixité sociale. Ces candidats ont le même niveau et passent les mêmes épreuves. D'ici 2023, 40 % des greffiers partiront à la retraite. J'ai donc fait en sorte que 1 084 greffiers rejoignent nos juridictions d'ici septembre.

Le Gouvernement n'a donc pas désarmé, loin de là. Mais les effectifs ne sont pas tout. J'ai été longue...

M. Christian Bourquin.  - Non, intéressante !

M. Simon Sutour.  - Et porteuse d'excellentes nouvelles ! (Sourires)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Au nom de la justice sociale, nous avons supprimé le droit de timbre de 35 euros. Voilà dix ans que l'on débat de l'aide juridictionnelle - ouverte, je le rappelle au-dessous de 929 euros de revenus mensuels, soit moins que le seuil de pauvreté. Les rapports se sont succédé, dont l'un, du Sénat, titrant, en 2006, sur « la nécessité de réformer un système à bout de souffle ». Il faut trouver des ressources nouvelles, pour une grande politique de solidarité nationale. Comme le soulignait le président Hyest, la transposition de la directive B - la présence de l'avocat lors des auditions libres - coûtera 30 millions d'euros de plus... J'y travaille avec les professionnels et un rapport a été demandé à un avocat général honoraire près la Cour de cassation.

L'informatique... Rien n'avait été fait... Le développement de l'application nationale Portalis est urgent, les premières études sont lancées ; l'expérimentation durera trois ans.

Les citoyens, sans qu'il faille les associer à la gestion des juridictions, ont le droit d'être informés du fonctionnement de celles-ci. La publication du décret a été retardée à la demande des organisations syndicales, sans qu'elles en demandent d'ailleurs des modifications substantielles, mais les discussions se poursuivent.

Je vous ai confirmé par courrier, monsieur Reichardt, la teneur de la réunion qui s'est tenue avec les élus alsaciens. Le tribunal de grande instance de Strasbourg reste spécialisé en matière de propriété intellectuelle et de contentieux médicaux. Quant aux conséquences de la loi de programmation militaire, rien n'est fait, aucun transfert n'a eu lieu entre Strasbourg et Nancy.

Le Gouvernement agit. Il n'y aura pas de grand soir de la justice, vous l'avez dit, mais des évolutions utiles et réfléchies, comme la généralisation des communications électroniques, grâce à vous, ou encore l'application de la réforme des tutelles, les nouvelles règles d'administration légale, la création d'un parquet financier. Au quotidien, les lois votées par le Parlement améliorent et amélioreront le fonctionnement de nos juridictions. (Applaudissement à gauche ; M. Henri Tandonnet applaudit aussi)

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 heures.

Débat sur l'engagement des forces armées en République centrafricaine

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat et un vote sur la demande du Gouvernement d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en République centrafricaine en application du troisième alinéa de l'article 35 de la Constitution.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères .  - Le 5 décembre, le président de la République décidait d'envoyer nos soldats en République centrafricaine, afin d'éviter à ce pays de sombrer dans le chaos. Le pays était en proie à des violences généralisées et à une dérive confessionnelle - et le mot est faible. Les Seleka, milices à dominante musulmane, qui avaient déposé l'ancien président Bozizé, multipliaient les exactions et les pillages. Les anti-Balaka, recrutés essentiellement dans la population chrétienne, commençaient à s'en prendre aux civils musulmans par esprit de vengeance et pour des motifs crapuleux.

L'opération Sangaris, sous mandat de l'ONU et en appui des forces de l'Union africaine, poursuivait deux objectifs : rétablir la sécurité et favoriser la montée en puissance de la Misca. Elle répondait à une urgence. Il n'y avait plus en RCA ni armée, ni police, ni justice. À la tête d'un État failli, l'équipe de transition avait perdu tout contrôle de la situation et la veille même de notre intervention, les massacres avaient fait 1 000 morts dans la capitale, Bangui.

La France avait mis en garde la communauté internationale dès septembre 2013, par la voix du président de la République à la tribune des Nations unies. En vain. Fallait-il que la France, seul pays en mesure d'intervenir sans tarder, laisse se perpétrer des atrocités que certains à l'ONU qualifiaient de pré-génocidaires ? Fallait-il qu'elle abandonne ce pays au coeur d'une région déjà fragilisée par les conflits ? Fallait-il laisser se créer une zone de non-droit à la merci de tous les trafics et de tous les terrorismes ? Fallait-il rester sourds à l'appel au secours désespéré des Centrafricains et à la demande unanime des Africains ?

À l'évidence, non. Ce n'aurait pas été conforme à l'idée que nous nous faisons du rôle de la France, comme votre vote l'a exprimé. Parce que nous avons agui, des massacres ont été évités. Chaque jour des vies sont sauvées. La RCA a une chance de reprendre en main son destin.

Nous avons su rallier nos partenaires. La Misca, passée de 2 500 à 6 000 hommes, agit en bonne coordination avec l'opération Sangaris. L'Union européenne apporte un soutien financier de 50 millions, et a décidé d'envoyer des troupes sur le terrain : les premières devraient arriver dans les prochains jours. Cette force européenne, aux dires de Mme Ashton, comptera jusqu'à 1 000 hommes. Encore faut-il qu'ils soient là... Ils auront pour mission de sécuriser l'aéroport et certains quartiers de Bangui et de permettre à la Misca de continuer à se déployer en province. Une dizaine d'États ont fait part de leur intention d'y contribuer ; l'Allemagne devrait participer par des moyens logistiques.

L'ONU doit faire davantage et plus vite ; c'est le souhait de son Secrétaire général : coordonner l'aide humanitaire, préparer le désarmement et la réinsertion des combattants, aider le gouvernement centrafricain à préparer les élections, lutter contre l'impunité grâce à une commission d'enquête internationale. La préparation de l'opération de maintien de la paix doit être accélérée. J'aurai le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon, ce soir au téléphone à ce sujet.

Grâce à notre intervention, les violences à Bangui sont désormais circonscrites à certains quartiers ; la plupart des combattants Seleka y ont été désarmés et sont cantonnés. Elles se poursuivent en revanche à l'ouest. Nos forces font le maximum pour protéger les populations, dans une impartialité totale. Nous veillons aussi à ce que l'est ne se coupe pas du reste du pays du fait du regroupement d'ex-Seleka. Le Tchad et le Cameroun, qui ont montré leur solidarité en accueillant de nombreux réfugiés, doivent pouvoir compter sur le soutien de la communauté internationale.

La situation humanitaire est critique : un habitant sur deux a besoin de soins médicaux, un sur cinq au moins d'une aide alimentaire. Les ONG sont actives sur le terrain.

La présidente de transition, Mme Samba-Panza est une femme remarquable, la première à diriger un pays d'Afrique francophone ; elle a su créer une dynamique. Je lui renouvelle le soutien de la France. Il faut maintenant que cette dynamique se concrétise pour la population ; les fonctionnaires doivent être payés afin que les institutions puissent recommencer à fonctionner.

J'ai décrit la situation sans fard, sans chercher à minimiser les difficultés, qui sont considérables ; la France ne les sous-estime pas. Pour autant, les progrès sont réels. Un calendrier a été établi en vue des prochaines élections. En janvier, à Bruxelles, une aide d'un demi-milliard de dollars a été promise par la communauté internationale pour faire face au défi humanitaire, la France y contribuera. L'assistance technique redémarre, l'État se remet en marche. Quant à la sécurité, seule une opération de maintien de la paix sous casque bleu nous paraît à même de répondre aux besoins. Le secrétaire général de l'ONU doit remettre dans les prochains jours un rapport en ce sens, nous souhaitons que le Conseil de sécurité l'examine début mars, pour un déploiement le plus rapide possible. D'ici là, Sangaris jouera un rôle de relais auprès de la Misca. À l'appel du Secrétaire général, le président de la République a décidé de porter nos effectifs à 2 000 hommes, en anticipation de notre participation à la force européenne. La France n'a pas vocation à se substituer aux forces internationales.

Nos soldats ont trouvé en Centrafrique un pays dévasté. Partout, ils ont agi avec un courage et un professionnalisme qui est l'honneur de la France. Je salue leur engagement, et rends hommage aux caporaux Nicolas Vokaer, Antoine Le Quinio et Damien Dolet, qui ont perdu la vie, ainsi qu'à leurs compagnons d'armes de la Misca tombés en opération.

Dans l'épreuve, la Nation a su se rassembler dès le début de l'opération. Soyez-en tous remerciés. Une délégation de députés conduite par la présidente de la commission des affaires étrangères est allée à Bangui la semaine dernière ; le Gouvernement continuera à informer le Parlement.

Notre action n'est pas terminée, raison pour laquelle le Gouvernement, sur le fondement de l'article 35 alinéa 3 de la Constitution, vous demande d'autoriser la prolongation de notre intervention. Les conditions sont aujourd'hui réunies pour un accompagnement international robuste, militaire et politique, qui permette à la Centrafrique de retrouver le chemin de la paix. D'ici là il nous faut assumer nos responsabilités. C'est un défi, c'est aussi l'honneur de la France. ((Applaudissements)

Mme Kalliopi Ango Ela .  - Aux termes de notre Constitution, la prolongation d'une intervention armée française au-delà de quatre mois doit être autorisée par le Parlement. Le précédent débat date d'octobre 2012 ; avons-nous aujourd'hui le recul suffisant ? Les écologistes estiment qu'un vote est nécessaire et plaident même pour que les interventions soient d'emblée soumises à l'approbation de la représentation nationale. N'eût--il pas mieux valu qu'il ait lieu dans un mois et demi, afin d'être fondé sur quatre mois de bilan ?

Le Conseil de sécurité unanime a autorisé début décembre le déploiement d'une mission internationale de soutien à la Misca. C'est dans ce cadre que la France est intervenue. Les écologistes considèrent que l'objectif de la communauté internationale doit être d'aider les pays africains à assurer eux-mêmes leur sécurité. Ainsi s'éloignera le spectre de la Françafrique. Nous prenons acte de l'annonce du renforcement des effectifs européens, conformément à la demande de l'Union africaine, qui s'ajoutera au soutien financier et logistique déjà mis en oeuvre. Les troubles qui secouent cette zone alimentent les trafics. Une réaction multilatérale est nécessaire. Le 20 février, M. Ban Ki-Moon a présenté un rapport qui va en ce sens.

La présidente Samba-Panza a demandé à la France de prolonger son intervention jusqu'aux élections de début 2015. Le Secrétaire général de l'ONU estime nécessaire de déployer de nouvelles forces pour sécuriser le pays ; le Tchad y est favorable. Mais la mise en place d'une force internationale prendra des mois, alors que c'est maintenant qu'il faut agir.

Amnesty International nous a alertés, dans son rapport du 12 février, sur les exactions commises dans les villes de Bouali, Boyali, Bossembélé, Bossemptélé et Baoro, où les forces internationales n'ont pas été déployées. La France doit être attentive à la situation des musulmans de Centrafrique. La prolongation de son intervention est une solution nécessaire et transitoire jusqu'à l'opération de l'ONU.

Les écologistes estiment toutefois que notre doctrine d'intervention doit être réévaluée. Pouvez-vous nous apporter des précisions, monsieur le ministre ? Faisons preuve de modestie et de prudence et veillons à associer les acteurs régionaux au processus de paix en RCA.

La sécurisation est un enjeu immédiat. Le désarmement doit se poursuivre de manière impartiale, et une aide humanitaire rapide et efficace doit être apportée à la population. Le défi humanitaire est en effet considérable - plus d'un million de personnes ont fui leur domicile.

Le défi politique ne doit pas être sous-estimé. L'État centrafricain devra entièrement se reconstruire. Les pays africains voisins, comme la communauté internationale, auront leur rôle à jouer pour assurer la sécurité des élections de 2015.

L'ultime étape, chère aux écologistes, sera évidemment celle de l'aide au développement de la Centrafrique, seul facteur propre à maintenir durablement le pays en paix.

Nous demandons qu'un débat soit organisé au Parlement d'ici six mois, afin d'évaluer l'avancement du processus de désarmement et de sécurisation du pays. Je voterai avec la majorité du groupe écologiste pour la prolongation de la présence de nos forces armées en République centrafricaine, trois de nos collègues ayant choisi de s'abstenir. (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC, ainsi que sur quelques autres bancs)

M. Jacques Legendre .  - (Vifs applaudissements à droite) En décembre, nous étions réunis ici même pour un débat d'information. Quatre mois plus tard, avant l'interruption de la session parlementaire et conformément au troisième alinéa de l'article 35 de la Constitution, tel qu'il résulte de la révision de 2008 que notre groupe a votée, nous sommes réunis à nouveau. Nous rendons hommage aux soldats morts en opérations. La mission dévolue à la force Sangaris n'apparaît pas toujours clairement.

Le régime Bozizé est tombé sous le coup d'une rébellion qui se baptisait Séléka, c'est-à-dire  « l'alliance » mais dont la force militaire est constituée de combattants venus du Nord-Est du pays à dominante musulmane. Le président auto-proclamé Djotodja, incapable de rétablir l'ordre à Bangui a démissionné, laissant la place à une présidente par intérim, Mme Samba-Panza, jusqu'ici maire de Bangui,

Il est réducteur de faire des anti-balaka une milice chrétienne. Ils pensent qu'il faut se protéger des balles des AK47 des milices Seleka. D'où leur nom. Je rends hommage aux autorités religieuses de Bangui, l'archevêque Nzapalainga, l'iman Kobine Layama, le pasteur Guerekoyame Gbangou, qui ont agi avec courage pour essayer ensemble de rétablir le calme. Il n'y a pas là un conflit religieux.

Nos forces ne sont pas là pour soutenir un camp contre un autre mais pour désarmer tous les violents. Ceux-ci ont sans doute des inspirateurs. Ceux qui utilisent abusivement la religion, comme ils ont utilisé des enfants soldats pour poursuivre leurs buts politiques, doivent savoir qu'ils relèvent d'un tribunal pénal international. Les inspirateurs de ces violences ont-il été identifiés ?

Le groupe UMP se prononcera en faveur de la prolongation de l'opération Sangaris. Cela ne nous dispense pas de poser des questions. Ces violences généralisées étaient-elle insurmontables ? Les pillards venus du Nord, comme précédemment, ont mis à sac Bangui. Quelles sont nos capacités de prévision et d'analyse ? Quid de la fonction « anticipation stratégique » évoquée par le rapport del Picchia sur le Livre blanc ? Les avertissements n'ont pas manqué. En avril 2013, la conférence épiscopale centrafricaine appelait à l'aide.

Si la France et son gouvernement ont été bien plus courageux que d'autres pays, cette initiative n'en a pas moins été tardive et a minima ; elle ne suffit pas pour arrêter les violences en brousse, où nous ne savons pas ce qui se passe. Quel objectif, avec quels moyens, pour la France en Afrique ? Rien ne serait pire que d'exprimer une volonté politique sans les moyens de la rendre efficace.

L'avenir sera entre les mains du peuple centrafricain, qui doit, dans des délais raisonnables, pouvoir choisir ses dirigeants. Tenons une logique de vérité : la France et la communauté internationale n'accepteront pas longtemps de risquer la vie de leurs soldats pour un pays dont la classe politique serait déchirée par des querelles dérisoires. L'ensemble du pays doit retrouver le calme. Déchiré entre les seigneurs de la guerre, ne risque-t-il pas la partition ? L'Agence française de développement reprendra-t-elle son travail à Bangui ? Le Génie français ne peut-il se rendre visible, en montrant à la population, au moins à Bangui, que la France et d'autres pays la protègent, la sécurisent, car sécurité et communications vont de pair.

Il est à la mode de déclarer que l'Afrique est l'avenir de la francophonie. Le territoire de la République centrafricaine était maillé d'écoles, de collèges, de lycées. Ce système éducatif sera-t-il réhabilité ? Mme Benguigui a annoncé une grande opération de formation de professeurs pour l'Afrique ? Est-elle destinée en priorité à la République centrafricaine ? Ne pouvons-nous nous mobiliser après un tel effondrement ? Dix années seront nécessaires pour reconstruire ce pays.

Plutôt qu'une succession d'interventions partielles, nous devons être capables d'agir dans la durée, en profondeur. Nous y réfléchissons, au Sénat, où s'est tenu un colloque la semaine dernière, avec le groupe d'amitié France-Afrique de l'ouest et l'AFD, qui a connu un beau succès. Oui, l'Afrique est une part de notre avenir, à court terme. De nombreux pays d'Afrique connaissent une belle croissance. Nous devons vouloir que la République centrafricaine se relève. C'est notre intérêt et notre honneur. (Applaudissements)

M. Jean-Marie Bockel .  - Face à la spirale de l'affrontement et de la violence, la communauté internationale devait réagir. C'est pourquoi la France a lancé l'opération Sangaris. Je salue l'engagement des soldats français qui oeuvrent sur le terrain avec courage et ténacité. Force est cependant de constater que la conduite de l'opération est malaisée : comment désarmer des rebelles dont les atrocités sont commises à la machette ? Alors que le président de la République avait initialement évoqué une intervention rapide, le ministre de la défense a annoncé qu'elle serait plus longue que prévu.

La très grande majorité du groupe UDI-UC soutient la prolongation de l'intervention. Oui, mais des interrogations subsistent. Sur les moyens d'abord. Il semble évident que les forces françaises et la Misca sont sous-dimensionnées par rapport à leurs objectifs.

On considère qu'un rapport d'un soldat pour 60 civils est nécessaire pour les missions de désarmement, démobilisation, réintégration. Cela signifie 20 000 pour Bangui... Le Secrétaire général de l'Onu réclame le déploiement rapide d'au moins 3 000 soldats supplémentaires. Le président de la République a décidé d'envoyer 400 soldats en renfort, portant notre contingent à 2 000 hommes, quel est votre sentiment sur ce rapport de force ? Les soldats français seront-ils en mesure de se déployer progressivement en province ?

Saluons l'envoi annoncé d'une force européenne de 10 000 hommes pour sécuriser Bangui. Quid du soutien européen au système judiciaire et pénitentiaire centrafricain ? Nous appelons les États membres à assumer leurs responsabilités lors de la conférence de génération des forces.

La République centrafricaine est au carrefour de l'Afrique, de sa stabilité dépend celle du coeur du continent. La Misca devrait atteindre 6 000 hommes sous la bannière de l'Union africaine. C'est surtout de moyens logistiques et de transports qu'elle a besoin. L'Union africaine a annoncé la création d'une Capacité africaine de réponse immédiate aux crises, soutenue par la France lors du dernier sommet de l'Élysée. Il s'agit d'améliorer la réactivité des forces africaines. Une dizaine de pays africains sont prêts à y participer.

Néanmoins, seule l'ONU peut proposer une réponse globale à ces conflits complexes. À l'instar du Mali, une opération de maintien de la paix s'impose. Le déplacement de casques bleus conduirait-il à une diminution des effectifs militaires français ?

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.  - Bien sûr.

M. Jean-Marie Bockel.  - Il appartient à la présidente Samba-Panza de créer les conditions de la réconciliation. Chacun doit prendre conscience des exactions commises de part et d'autre, comme l'a souligné l'archevêque de Bangui. La médiation de la Communauté de Sant'Egidio, sous l'égide de laquelle a été signé en novembre dernier un Pacte républicain, pourrait favoriser la mise en place des mécanismes concrets de réconciliation.

L'économie centrafricaine est en recul. Ce qui en reste doit être reconstruit, avec les ONG et les associations locales. Pourquoi ne pas renforcer progressivement la présence de l'AFD ? Plus de la moitié de la population requiert une assistance humanitaire. Le plan stratégique de l'ONU, de 550 millions de dollars, n'est financé qu'à 15 % Quelles initiatives pourrait prendre la France pour acheminer l'aide humanitaire jusqu'aux camps de réfugiés ? Sans le soutien des populations africaines, de la communauté internationale, la France ne pourra stabiliser seule ce pays.

Le groupe UDI-UC votera, dans sa très grande majorité, la prolongation de notre présence militaire en République centrafricaine. (Applaudissements, hormis sur les bancs CRC)

Mme Michelle Demessine .  - Ce débat se fonde sur l'article 35-3 de notre Constitution. On peut regretter que la révision constitutionnelle se soit arrêtée au milieu du gué et n'ait pas prévu une autorisation parlementaire a priori, comme dans d'autres pays.

Je rends hommage à Daniel Bonnet, jeune caporal du 8e régiment de de chars de marine mort dans l'accomplissement de sa mission. Je salue le courage, le sang-froid et le professionnalisme dont font preuve nos soldats au nom de la France.

La décision qu'il nous est demandé de prendre ce soir est difficile. Notre groupe a beaucoup consulté et réfléchi. En décembre, lorsque nos forces sont intervenues, le basculement de la Centrafrique dans l'anarchie et la violence durait depuis de nombreuses années. Les raisons de cet effondrement sont connues : extrême pauvreté et instabilité politique chronique résultent d'une situation économique catastrophique. La France y a trop longtemps joué un rôle négatif, soutenant des gouvernements peu recommandables.

Grâce aux ONG, puis à l'action diplomatique de notre pays, une résolution de l'ONU a été prise en décembre 2013. Déjà, notre groupe avait émis des réserves. Pourquoi, comment, avec qui, avec quels moyens intervenir ? Nous soulignions l'absence de solidarité européenne. Où en est-on désormais ? La crise est entrée dans une nouvelle phase. Après avoir partiellement neutralisé et repoussé les miliciens de la Seleka hors de Bangui, les forces françaises et africaines ont beaucoup de mal à empêcher les représailles des anti-balaka, en particulier hors de Bangui. Les massacres ont été tels que le Secrétaire général de l'ONU et Amnesty International les ont qualifiés de nettoyage ethnique. Le programme alimentaire mondial (PAM) a dû établir un pont aérien. Sangaris a permis d'éviter une tuerie peut-être pire encore, mais n'a pu empêcher un nettoyage ethnique qui laissera des traces profondes et pourrait mener à la partition du pays.

La première urgence est sécuritaire, militaire et humanitaire. En intervenant militairement, la France n'entend peut-être pas seulement défendre de grands principes, comme l'écrit le colonel Goya, mais aussi ses intérêts propres : une quarantaine de votes africains automatiques aux Nations unies, la zone monétaire CFA, ses intérêts économiques.

Avec les évolutions récentes, nous entrons dans une phase de gestion de la crise sans connaître les objectifs d'une opération qui change de nature : mission d'accompagnement jusqu'aux prochaines élections, soit, mais pour quels objectifs précis et dans quels délais ?

Il faut accélérer la transformation de Sangaris en mission onusienne de maintien de la paix, beaucoup plus efficace et légitime. C'est la réponse indispensable pour offrir enfin à ce pays des perspectives de réconciliation nationale et de développement. Elle doit avoir une forte composante civile et des financements propres et pérennes.

Le tout militaire n'est pas la solution. Une approche globale doit agir sur plusieurs leviers. Il est heureux que vous l'ayez précisé, monsieur le ministre. Il faut rompre définitivement avec les mauvaises pratiques ayant cours depuis la décolonisation, qui ont plongé ce pays dans la misère. Redéfinissons la politique française d'aide au développement, fondée sur de véritables partenariats, débarrassés d'arrière-pensées. Rendons publics tous les contrats dans le secteur minier, dans l'extraction du pétrole et de l'uranium.

M. Roger Karoutchi.  - Vous avez épuisé votre temps de parole.

Mme Michelle Demessine.  - En conclusion, (« Enfin ! » à droite) il faut le dire haut et fort, (exclamations sur plusieurs bancs à droite) il faut changer de politique en Afrique.

M. le président.  - Veuillez conclure !

Mme Michelle Demessine.  - L'annonce d'un retrait serait un mauvais signe... Nous sommes convenus de laisser aux membres du groupe CRC la liberté de vote, lequel sera majoritairement positif. (Applaudissements sur les bancs CRC et quelques bancs socialistes)

M. André Vallini .  - L'opération Sangaris, décidée par le président de la République, était urgente et nécessaire. Les pillages, les viols, les mutilations, les exécutions sommaires se multipliaient. Dès septembre dernier, le président Hollande avait lancé un cri d'alarme à l'assemblée générale de l'ONU « pour éviter le pire en République centrafricaine ». La France est le seul pays extérieur à l'Afrique à avoir des forces militaires stationnées aux frontières de la République centrafricaine. Combien de milliers de morts supplémentaires si nous n'avions pas agi ? Souvenons-nous de la tragédie du Rwanda !

À l'appel de Ban Ki-moon, le président de la République a décidé le 24 février, de porter nos effectifs à 2 000 soldats, afin de sécuriser les sites les plus sensibles, de désarmer les milices et de favoriser la réconciliation. Certes, il y a encore des exactions, mais le nombre de massacres a diminué et la population tout entière n'a pas basculé dans la guerre civile, comme cela eût été le cas, si nous n'étions pas intervenus.

Les ONG peuvent désormais couvrir les besoins les plus urgents d'une population dont le tiers demeure cependant sous-alimenté. Le nombre de personnes déplacées se montant quant à lui à 700 000. La République centrafricaine est entrée dans une nouvelle séquence politique. L'opération Sangaris a précipité la chute du président Djotodia. Mme Sanba-Panza a nommé un premier ministre ; ils sont l'un et l'autre pleinement investis dans leurs fonctions. Sangaris a commencé à réussir, mais rien n'est acquis. La communauté internationale s'apprête à venir en renfort. L'Europe d'abord : 360 millions d'euros d'aide humanitaire et de soutien à la Misca ont été mobilisés, avant même que le conseil des affaires étrangères décide de lancer le dispositif Eufor, qui sera opérationnel début mars et montera progressivement en puissance, venant de France, de Roumanie, du Portugal, mais aussi d'Estonie, de Lettonie et de Géorgie. La Finlande, l'Espagne pourraient annoncer prochainement leur participation. Londres et Berlin, en revanche, n'ont annoncé qu'un soutien... financier. Leurs réticences à s'engager au sol sont regrettables. Si le développement de l'Afrique est porteur d'avenir pour l'Europe, c'est à condition que celle-ci ne se désintéresse pas de sa situation présente. La porosité des frontières et les trafics favorisent la multiplication des conflits latents.

L'ONU s'engage, elle aussi. Il faut reconstruire l'État, protéger les populations, garantir les droits de l'homme, acheminer l'aide humanitaire. La France a le sens de ses responsabilités. Elle est membre du Conseil de sécurité. Elle a une histoire. Il y a un an, la charia régnait au nord du Mali, la population était prise en otage, on coupait les mains. Le Mali est sécurisé. Il a un président et une assemblée élus au suffrage universel, un gouvernement. Serval a réussi.

L'objectif est le même en République centrafricaine : qu'une population amie ne sombre point dans le chaos. Si la France aujourd'hui, l'Union européenne bientôt, l'ONU demain s'engagent en République centrafricaine, c'est au peuple lui-même de se prendre en main. Félicitons-nous de ce que le sommet de l'Élysée ait décidé la mise en place d'une force panafricaine de réaction rapide.

Sangaris doit-elle continuer ? Certes, il y a des difficultés. Devrait-on renoncer, abandonner la Centrafrique à la guerre civile ? J'entends les critiques, je vois les doutes. Quitter la Centrafrique ? Personne n'y songe sérieusement. Restons aux côtés des forces africaines pour renforcer notre armée : nos soldats doivent compter sur le soutien de la représentation nationale. C'est l'honneur de la France d'assumer son rôle en Afrique.

Le groupe socialiste, en toute lucidité, votera résolument pour la prolongation de l'opération Sangaris. (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Jean-Pierre Chevènement .  - L'intervention Sangaris a été tardive, mais le groupe RDSE comprend qu'elle ne pouvait avoir lieu en dehors d'un mandat des Nations unies. On pouvait espérer un effet de sidération. C'était compter sans la violence de la haine déchaînée. L'Afrique n'est plus ce qu'elle était ; les autorités traditionnelles se sont effondrées, aucun État digne de ce nom ne les a remplacées. L'usage des armes à feu s'est banalisé.

En 1962, Louis Brustier voyait la République Centrafricaine en Cendrillon africaine ; en 1964, Georges Conchon s'en inspirait dans L'État sauvage, roman qui lui valut le prix Goncourt. Les choses depuis lors ne se sont pas arrangées : ce pays a toujours été sous-administré et mal gouverné.

Pour faire cesser les massacres, la France a envoyé 1 600 hommes, puis 400 supplémentaires pour répondre à l'appel de M. Ban-Ki-Moon. À quoi, il faut bien sûr ajouter les contingents de la Micsa, 6 000 hommes provenant des États proches : Tchad, Cameroun, Congo-Brazzaville, République démocratique du Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Burundi, Rwanda. Le 20 janvier 2014, il a été décidé d'envoyer une force européenne de 500 hommes composée de soldats estoniens, lettons, géorgiens, polonais, portugais, roumains qui permettait au moins de relayer sur Bangui la force Sangaris. L'effectif total des forces engagées ne suffira pas à ramener la sécurité sur toute l'étendue d'un pays plus étendu que la France. La première priorité est de sécuriser la route qui rejoint Bangui à Douala, pour pouvoir acheminer des vivres.

Nos forces armées ont été conçues pour des missions d'intervention, limitées dans le temps, non d'interposition, forcément longues, voire très longues. Je me souviens d'avoir trouvé au Liban une force d'interposition française qui y était depuis 1978.

M. Alain Richard.  - Elle y est toujours !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Qu'attendre de la défense européenne ? Ni la Grande-Bretagne, ni l'Allemagne, ni l'Espagne, ni l'Italie ne se sentent concernées. Il n'y aura pas de développement, pas d'essor économique, sans sécurité. Il est curieux que vos voisins européens ne prennent pas en compte les conséquences de l'absence de développement. C'est l'honneur de la France, au Mali, comme en Centrafrique, d'avoir anticipé. C'est pourquoi je vous apporte le soutien du groupe RDSE.

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L'Histoire a existé, elle nous a liés avec l'Oubangui-Chari. Nous n'oublions pas que les territoires de l'Afrique équatoriale française ont rallié la France Libre, dès le mois d'août 1940, sous l'impulsion du gouverneur Éboué et des colonels Leclerc et Larminat. L'histoire a existé et par-delà l'époque révolue de l'Union française et de la Communauté, elle nous crée encore des devoirs. Si la France n'avait pas envoyé ses soldats en avant-garde d'une mission d'interposition, quelle autre nation l'aurait fait ?

Nous voyons bien les risques de l'engrenage mais nous devons aussi sous-peser les inconvénients de l'inaction. Dès lors qu'existait un mandat de l'ONU, nous vous donnons raison d'avoir fait prévaloir les considérations d'humanité. Non que celles-ci ne soient pas quelquefois le paravent de desseins moins avouables. Mais, en l'occurrence, nous n'en voyons pas, madame Demessine. Certes la RCA occupe en Afrique une position stratégique à la frontière de pays instables comme le Nigéria et le Nord du Cameroun menacés par Boka-Haram, ou bien à la frontière du Sud-Soudan dont la sécession d'avec le Soudan n'a pas eu que des résultats heureux.

Les mécanismes de l'aide internationale doivent tenir compte de l'hétérogénéité du pays. Il reste à rétablir les fonctions régaliennes de l'État. Où en est le projet de former 20 000 soldats africains par an, annoncé par le président Hollande, dans le cadre de l'Union africaine, j'imagine ?

Que faire, une fois les brigands arrêtés et jugés, s'il n'y a pas de prisons pour les enfermer ? Seul un gouvernement d'union nationale peut assurer la coexistence des populations chrétiennes et musulmanes. Pourquoi ne pas envisager des commissions « vérité et réconciliation » ? Des regroupements régionaux peuvent également être envisagés, sous l'égide des Nations unies et avec l'aval des populations.

L'opération Sangaris a un coût. Veillons à ce que la loi de programmation militaire soit pleinement appliquée, et ne subisse pas de coupe budgétaire intempestive.

En dépit de quelques réserves que j'ai exprimées et qui relèvent du devoir de vigilance, le RDSE, qui approuvera la prolongation de l'intervention Sangaris, tient à assurer nos soldats de l'affectueuse sollicitude de la Nation envers ceux qui en ont la charge et de l'hommage dû aux soldats qui sont tombés. (Applaudissements)

M. Philippe Adnot .  - Je rends moi aussi hommage à nos troupes. La France s'est honorée en intervenant en Centrafrique pour éviter un bain de sang. Doit-elle rester ? Peut-être, mais certainement pas seule. L'Europe doit jouer son rôle. Je me réjouis des décisions annoncées, sans quoi les deux camps auraient fini par se retourner contre nous. Si l'Europe ne s'était pas engagée, même modestement, je me serais abstenu pour ne pas cautionner un engagement solitaire. Le temps est à l'action concertée : avec mes collègues non-inscrits, je voterai la prolongation de l'intervention. (Applaudissements)

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères .  - Je commencerai par rendre un hommage appuyé à notre diplomatie et à son chef, Laurent Fabius. (Murmures à droite) Votre engagement personnel, monsieur le ministre, avec celui de vos homologues allemand et polonais, fut décisif pour accompagner le peuple ukrainien dans sa lutte pour la liberté. Bel exemple de ce que peut faire l'Europe, lorsqu'elle prend son destin en main ! C'est aussi l'espoir que la France a ramené en Centrafrique. On ne peut que regretter que l'appel lancé par notre pays devant les Nations unies en septembre 2013 n'ait pas été entendu plus tôt !

La République centrafricaine était un pays oublié par la communauté internationale. Pays charnière, pourtant. Qui pourrait dire les conséquences de son effondrement ?

Je rends hommage à nos soldats, dont trois sont décédés. Sang-froid, détermination, courage : autant de qualités dont nos armées ne manquent pas. J'irai, avec quelques collègues, sur place, leur manifester le soutien du Sénat tout entier.

Le Conseil de défense a décidé d'envoyer en République centrafricaine 400 soldats de plus, portant l'effectif à 2 000. La situation reste fragile, j'en conviens. Des succès ont cependant été enregistrés, à Bangui notamment. Partout où est Sangaris, le niveau de violence diminue.

Je voterai la prolongation de l'intervention. Certains disent craindre l'enlisement. Rappelons-nous qu'en décembre, la folie meurtrière avait provoqué la mort de 1 000 personnes en 48 heures. La violence, heureusement, a changé d'échelle depuis lors.

Il faut sécuriser la province et éviter la partition, désarmer les milices et les réintégrer à l'armée centrafricaine, faire cesser l'impunité pour condamner les pillards et les criminels et appuyer le faible État de Centreafrique dans sa marche vers la transition politique.

Nous pouvons compter sur l'aide de la communauté internationale. Nous pouvons nous appuyer sur les trois piliers de notre politique africaine redéfinie par le président de la République : l'Union africaine, l'Union européenne et l'Onu. Le sommet de l'Élysée avec les chefs d'États africains a convenu qu'à terme la sécurité de l'Afrique sera assumée par les Africains.

Sangaris ne vient qu'en appui de la Misca, dotée de 6 000 hommes. Mille huit cents soldats africains oeuvrent en dehors de Bangui.

Le Tchad et le Congo ont su gérer de manière exemplaire le volet politique de la crise. Oui, l'Afrique est au rendez-vous de la République centrafricaine. Nous entrons dans une ère nouvelle, de relations plus mûres avec le continent.

Que n'a-t-on-dit de l'impuissance de l'Europe, de l'égoïsme des États membres ? C'est parfois justifié. Mais la France, au lieu de se plaindre, doit se faire entendre. La génération de forces en cours n'est pas à la hauteur. Il faut aller au-delà des contingents polonais, estoniens, lettons, portugais, de la Géorgie - État associé -, voire, demain, de la participation espagnole, finlandaise, suédoise. Ici, il s'agit bien de troupes combattantes : mais elles ne s'élèvent qu'à 400 soldats, il en faudrait au moins 1 000 ! L'Union européenne ne peut se contenter du rôle facile de « super-ONG » ! Sur le modèle du Mali, elle participera à la formation de l'armée centrafricaine, de même qu'à la reconstruction du pays. C'est un premier pas vers une défense commune. Il vient d'être annoncé que la brigade franco-allemande serait déployée au Mali, beau symbole, cher Jean-Marie Bockel. Les États-Unis nous soutiennent eux aussi, comme on l'a constaté lors de la visite d'État du président de la République à Washington. Pour reconstruire ce pays en lambeaux, il faut lutter contre l'impunité, rétablir une chaîne de réponse pénale aux exactions : c'est le rôle de l'ONU. Un rapport doit être remis dans les prochains jours, nos discussions s'ouvriront le 5 mars. Une opération de maintien de la paix sous casques bleus pourrait s'accompagner d'un volet civil. Si les conditions sont remplies, la réussite de la transition d'ici 2015 est à portée de main.

Quelles leçons tirer de cette crise ? Elle confirme d'abord la pertinence des décisions prises au sommet de l'État, et l'efficacité de notre système institutionnel. Je salue la décision courageuse du président de la République. C'est la France qui a attiré l'attention de la communauté internationale sur le drame, qui a été la cheville ouvrière des résolutions de l'Onu. Il eût été facile de faire l'autruche mais quelles auraient été les conséquences ?

Le second enseignement, c'est la nécessité de rester vigilants face aux menaces, et de ne pas nourrir l'espoir sans pouvoir y répondre, comme l'a indiqué M. Legendre. Le président de la République a rappelé son arbitrage très ferme en faveur de la stabilité du budget de la défense. L'effort de redressement des comptes, que je soutiens car c'est aussi une question de souveraineté, pourrait susciter bien des tentations chez certains ministres. Il faudra compter sur notre vigilance.

M. Charles Revet.  - Il en faudra !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.  - Notre vote aujourd'hui ne donnera pas un quitus ad vitam aeternam. La loi de programmation militaire prévoit un débat annuel sur les opérations extérieures : de quoi lutter contre la tentation de la sédimentation. Je vous invite donc à voter cette autorisation, dont nous serons en mesure d'évaluer périodiquement tous les effets. (Applaudissements)

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères .  - Je veux tous vous remercier de votre vote, qui s'annonce en faveur de la prolongation de l'intervention, et de l'élévation du débat. En cette période de crise économique et de tensions sociales, il est facile de se faire l'écho de certains discours : « Que va faire la France en Afrique ? » ; « Cela coûtera cher », etc. Vous l'avez tous souligné : la France doit assumer ses responsabilités vis-à-vis du continent africain, un continent d'avenir, auquel elle est unie par des liens anciens et étroits, historiques et géographiques.

Mme Ango-Ela, au nom des écologistes, a parlé à propos de cette prolongation d'une « décision nécessaire, et transitoire ». Elle a raison. La présidente Samba-Panza, à la tête de la République centrafricaine, et le Secrétaire général des Nations unies, la plus haute autorité internationale, nous le demandent. À juste titre, vous considérez que les Africains doivent à moyen terme se doter de la capacité d'assurer leur sécurité.

M. Legendre, au nom du groupe UMP, a retracé la complexité de la situation centrafricaine et rendu un hommage mérité aux autorités religieuses que j'ai rencontrées à plusieurs reprises. Non seulement elles refusent l'entraînement des passions, mais elles agissent ensemble et montrent l'exemple. Le chef des musulmans vit chez le chef des chrétiens et ils entreprennent ensemble leurs démarches. Quel symbole fort au moment où les affrontements religieux gagnent du terrain, hélas !, dans de nombreux pays comme le Cameroun et l'Angola. Avons-nous agi assez vite ? Le président de la République a été le premier, fin septembre, à saisir, au sens presque physique, l'Assemblée générale des Nations unies de la question de la République centrafricaine, comme il l'avait auparavant pour la question du Mali. Nous sommes intervenus au lendemain même du vote du Conseil de sécurité en décembre. Il n'était pas en notre pouvoir d'aller plus vite, sauf à agir en dehors du cadre international.

Des instructions ont été données pour que l'Agence française de développement retourne en République centrafricaine, je l'ai moi-même confirmé à sa directrice, cet après-midi, avant de vous rejoindre.

Oui, le commerce, qui était tenu en grande partie par les musulmans, est désorganisé en Centrafrique. L'urgence est de dégager la route entre Bangui et le Cameroun, ce que nous pourrons faire avec les renforts européens.

Les collectivités locales peuvent se mobiliser : le ministère des affaires étrangères a créé un fonds spécial que les collectivités peuvent alimenter ; il est bien sûr rendu compte de l'utilisation des fonds.

Monsieur Bockel, une opération de maintien de la paix n'entraînera pas le retrait pur et simple des forces françaises, qui étaient stationnées en Centrafrique dès avant la crise, mais leur diminution. Comme au Mali après un accroissement de nos troupes, nous procèderons à leur réduction.

Mme Demessine, dont j'ai apprécié le verdict final et ses nuances, estime nécessaire de transformer l'opération Sangaris en opération de maintien de la paix : nous y travaillons et ce n'est pas facile. Nous avons besoin d'une composante civile et humanitaire, dont seules les Nations unies ont les moyens.

Merci à M. Vallini d'avoir rappelé les objectifs de l'opération. Oui, l'Europe s'est engagée. Mais si Mme Ashton a parlé de 1 000 soldats, nous n'y sommes pas encore ! Vous avez eu raison de souligner - diplomatiquement - que les grands pays doivent jouer leur rôle : à nous de convaincre l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie - dont je vais rencontrer la nouvelle ministre - que, de même qu'il n'y a pas d'amour mais seulement des preuves d'amour, il n'y a pas d'attachement à la défense européenne sans preuves de cet attachement.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre.  - M. Chevènement a souligné à quel point l'intervention de l'ONU est nécessaire et m'a interrogé malicieusement sur l'attitude des États-Unis. S'ils ne sont pas enclins à voter ce type de résolution, pour des raisons financières, j'ai bon espoir de les convaincre qu'il faut que leur leadership s'applique.

Nous ne sommes pas dans l'empyrée : comme l'a dit M. Chevènement, une opération a un coût, et c'est en fonction de son coût, mais aussi du coût de la non-décision, qu'il faut en évaluer l'opportunité. C'est ainsi que se posent les choix politiques de premier rang.

M. Adnot nous a dit que sans participation européenne il n'aurait pas autorisé la prolongation de cette intervention.

Merci au président Carrère pour ses mots sur notre engagement en Ukraine. Le matin, nos homologues allemand, polonais et moi-même sommes arrivés à Kiev, dans une ville en proie aux snipers, qui ont fait des dizaines de morts. À notre départ un accord avait été conclu, même s'il a été modifié par la dynamique révolutionnaire : le président Ianoukovitch, dit localement « Ianoucescu », est parti. Rien n'est encore définitivement réglé.

Oui, monsieur le président Carrère, en Centrafrique, tout repose sur le triptyque : Union africaine, Union européenne, ONU.

L'Union africaine a convenu de mettre en place d'ici 2015 une force d'intervention africaine. Encore faut-il qu'elle soit bien équipée : la communauté internationale devra y contribuer. Il n'est pas facile de convaincre l'Union africaine du bien-fondé d'une opération de maintien de la paix : ce ne serait nullement désavouer la Misca. J'ai bon espoir que les choses évoluent dans le bon sens.

Je terminerai en citant deux mots lourds de sens, employés par beaucoup d'entre vous, et qu'il ne faut nullement galvauder : responsabilité et honneur.

M. Robert del Picchia.  - Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre.  - La France prend ses responsabilités, parce c'est son honneur : merci de l'avoir si clairement démontré. (Applaudissements)

Le scrutin public est de droit.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°158 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 327
Contre 3

Le Sénat a autorisé la prolongation de l'intervention.

(Applaudissements)

M. le président.  - L'Assemblée nationale ayant elle-même émis un vote favorable, je constate, en vertu de l'article 35, alinéa 3 de la Constitution, que le Parlement a autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées en République centrafricaine.

La séance est suspendue à 19 h 20.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

Modification à l'ordre du jour

M. le président.  - Par courrier en date de ce jour, M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP, a demandé de compléter l'ordre du jour réservé à son groupe du mercredi 30 avril 2014 par l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à permettre le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade.

Acte est donné de cette demande. Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait être fixé au lundi 28 avril, à 11 heures, et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d'une heure.

Il en est ainsi décidé.

Transition énergétique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen d'une proposition de résolution relative à la transition énergétique, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.

La Conférence des présidents a considéré que les interventions dans la discussion générale valaient explications de vote.

M. Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de résolution .  - Cette proposition de résolution est l'occasion pour le groupe UMP de préciser sa vision de l'ensemble des enjeux à caractère énergétique. Il complète le débat sur l'avenir de la filière nucléaire et des nouvelles filières de production d'énergie, tenu récemment ici-même à l'initiative du groupe RDSE.

Le groupe UMP rappelle avec force que notre pays ne peut ignorer aucune filière. La nouvelle politique publique de l'énergie doit partir d'un constat : 80 % des énergies produites dans le monde sont d'origine fossile, ce qui crée un phénomène de dépendance, entraîne des dommages pour l'environnement, dont l'émission de gaz à effet de serre. Or ces sources s'épuisent. Si, depuis vingt ans, nos réserves se maintiennent à un niveau voisin de 40 ans de consommation courante, c'est seulement grâce à l'exploitation de réserves non conventionnelles. Cela durera tant que notre sous-sol et notre porte-monnaie le supporteront... Le pic de production sera-t-il atteint avant ou après 2020 ? Les experts divergent, nous devons rester prudents.

La raréfaction des matières premières pose des difficultés qui se nourrissent les unes des autres. Moins de réserves, c'est une hausse des prix ; une hausse des prix, c'est une viabilité économique nouvelle pour les énergies non conventionnelles au rendement mécaniquement plus faible, offshore profonds, pétrole lourd, bitume - dont l'exploitation n'est pas neutre écologiquement, qui plus est dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes. (M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, approuve)

Le basculement de ces productions d'énergies fossiles vers la production d'énergie électrique constitue la première étape de la transition énergétique. Le groupe UMP appelle à la vigilance : certains mettent en avant une baisse significative à terme de la consommation électrique pour accréditer l'idée que le nucléaire ne serait plus indispensable ; mais qui peut assurer que les économies d'énergie pourront accompagner ce basculement ? Personne.

C'est dire que le cahier des charges en la matière est particulièrement contraignant. La France doit tenir ses engagements en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais aussi éviter de devenir l'otage des tensions géopolitiques qui accompagnent l'extraction de matières premières. Elle doit aussi rendre son appareil de production d'électricité apte à absorber la hausse de celle-ci.

Il n'y a aucune solution miracle. Le pétrole et le gaz représentent 50 % de la consommation énergétique dans les bâtiments résidentiels et tertiaires. Si on souhaite que les ménages français diminuent leur consommation de fuel, il n'y a pas de meilleur moyen que de les aider à renouveler leur chaudière, ce qui permet d'économiser 100 kWh par mètre carré et par an, autant que les travaux d'isolation.

Les transports et l'automobile sont pour les deux tiers dans la consommation des produits pétroliers. Les progrès du véhicule électrique, grâce aux batteries au lithium, ne sont pas une solution parfaite, le lithium est une terre rare, dont l'extraction n'est pas neutre en CO2 ; comme les oxydes de manganèse ou de nickel, il est de plus extrait dans des régions peu stables politiquement. Qui peut savoir si cette solution est viable à long terme ?

Comment optimiser notre production et notre consommation électriques ? Quel volume d'électricité produire ? J'espère que notre consommation d'électricité baissera, mais elle ne chutera pas brutalement. La puissance publique devra recourir aux niches fiscales pour aider à la rénovation thermique. Il nous faut conserver et simplifier les aides existantes plutôt que de faire de l'écologie préventive. Il existe huit interlocuteurs possibles, l'État, les collectivités locales, l'Anah, la Cnav, Procivis, la MSA, les CAF et les banques, chacun ayant ses aides propres attribuées selon des modalités propres. La puissance publique se tire une balle dans le pied ! Les gouvernements de droite et du centre ont leur part de responsabilité avec ceux de la gauche. J'espère, monsieur le ministre, que votre futur projet de loi simplifiera toutes ces aides à la rénovation thermique, qui excluent trop souvent les jeunes et les classes moyennes, parce qu'ils ne remplissent pas les conditions de ressources.

Certains avancent des chiffres de 50 % d'économie d'énergie d'ici à 2030. Cela paraît irréaliste. La consommation moyenne annuelle des ménages et du tertiaire n'a guère baissé depuis 2008... L'engouement pour le véhicule électrique entraînera une consommation supplémentaire équivalente à la production d'un réacteur nucléaire. Ne fermons aucune porte par optimisme ou dogmatisme.

Nous produisons environ 550 TWh d'électricité, dont environ 420 par le nucléaire. Nos capacités hydrauliques sont à 90 % de leur potentiel. Le biogaz remplace la production des centrales thermiques, qui utilisent actuellement des combustibles fossiles. Bref, notre potentiel de croissance repose essentiellement sur la production des énergies renouvelables, éolien et solaire...

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de résolution.  - Comment imaginer, dans ces conditions, satisfaire nos engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et fermer un tiers de notre parc nucléaire, comme le président de la République l'a annoncé ?

M. Jean Desessard.  - Il n'a pas annoncé grand-chose...

M. Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de résolution.  - Il faudra mobiliser toutes les ressources ; et aucun secteur ne pourra s'exonérer de lourds investissements. Dans les énergies renouvelables, la France est en retard sur son voisin allemand. Et dans le nucléaire, de grands progrès peuvent encore être faits. Bien que très attaché au contrôle de l'État sur les opérateurs, je souscris à l'idée qu'en échange du financement de l'extension de la durée de vie des réacteurs, les fournisseurs alternatifs puissent obtenir une participation à leur capital. Nous connaissons les difficultés de financement d'EDF....

Mon intervention n'a pas pour objet de révéler une quelconque recette miracle. (On feint de le regretter sur les bancs écologistes et socialistes) Notre devoir est de dire quelle est la réalité : nous n'avons pas les moyens de nous priver d'un type d'énergie. Chacun est indispensable à un moment donné. Notre mix énergétique devra à la fois garantir le même niveau de production qu'aujourd'hui et apporter une réponse fiable aux pics de consommation, de plus en plus difficiles à traiter au fur et à mesure de la progression des énergies renouvelables. Le nucléaire aura toute sa place dans ce mix, et tous les leviers devront être activés.

La transition énergétique ne s'accommode d'aucune réponse toute faite. Les promesses électorales, les incantations candides butent sur la réalité : l'énergie ne tombe pas du ciel...

M. Roland Courteau.  - Si, en partie !

M. Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de résolution.  - ... elle a toujours un coût, financier, écologique, géopolitique. La transition énergétique ne doit pas compromettre l'indépendance énergétique de notre pays. (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite).

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques.  - On enfile des perles !

M. Ronan Dantec .  - Nous nous félicitons de ce deuxième débat de l'année sur la politique énergétique. Il est bon d'alimenter le débat sur le futur projet de loi sur la transition énergétique.

La lecture du rapport du groupe UMP m'a plutôt amusé...

M. Jean-Claude Lenoir.  - La réciproque est vraie...

M. Ronan Dantec.  - Cela commençait bien, pourtant : on y voit affichés les objectifs de réduction de notre dépendance aux énergies fossiles et de nos émissions de gaz à effet de serre, « notamment en ce qui concerne la déperdition d'hydrocarbures dans les écosystèmes », en accord avec les exigences environnementales... Bravo ! Juste une question : et les déperditions liées à l'exploitation des gaz de schiste dans le sous-sol, qui rendent l'eau inflammable aux États-Unis ?

M. Jean Bizet.  - Miracle !

M. Ronan Dantec.  - Jusque-là, rien à dire. Mais après... Je pose la question : les caisses de l'État sont-elles à ce point pleines qu'on puisse se permettre à la fois de prolonger le parc nucléaire, de construire des EPR, de développer la recherche sur les réacteurs de quatrième génération et les énergies renouvelables ? Gouverner, c'est choisir...

Le nucléaire, filière scientifique et industrielle d'excellence ? Les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur le coût réel de l'électricité nous ont éclairés... Pourtant, quelques dogmes anciens perdurent dans la proposition de résolution... La prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de 40 ans n'est pas acquise au regard des objectifs de sûreté, selon le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Le prix de revient du MWh « EPR » ne sera jamais compétitif -  100 euros en Grande-Bretagne, contre 80 pour le MWh d'origine éolienne. Vous allez remplacer du cher par du plus cher. La fée électricité, bon marché ? Voire... Rangez le livre des contes pour sortir le livre de comptes : il est indispensable de réorienter les investissements vers le renouvelable. Le nucléaire se marginalise en Europe.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques.  - C'est faux !

M. Ronan Dantec.  - Ces chiffres nous ont été fournis à Bruxelles, et pas par des écolos barbus... L'éolien terrestre est moins cher que l'EPR et le photovoltaïque est en train de le devenir...

M. Roland Courteau.  - C'est vrai !

M. Ronan Dantec.  - La compatibilité des énergies renouvelables sera augmentée par le développement du stockage. Ne réinventons pas le surgénérateur façon Creys-Malville, véritable Moloch engloutissant les travailleurs comme dans Metropolis, chers collègues communistes ! (Mme Évelyne Didier s'exclame) Ne sacrifions pas nos troupes dans une dernière charge, monsieur l'ancien ministre de la défense... (M. Jean-Pierre Chevènement apprécie) alors que repli puis redéploiement peuvent assurer la victoire...

La réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique, le groupe écologiste y croit, c'est un engagement du président de la République.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Vous êtes bien les seuls !

M. Ronan Dantec.  - Ne rêvons pas ! La fée électricité n'a plus de baguette magique, mais un crayon pour faire des additions ! Pour revenir au monde réel, le groupe écologistes votera contre cette proposition de résolution. (M. Jean Desessard applaudit)

M. Jean-Claude Lenoir .  - Mon intervention devait prendre la forme d'une philippique mais celle de M. Dantec m'oblige à la revoir. Monsieur le ministre, sortez de l'ambiguïté !

M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.  - Quelqu'un disait que l'on n'en sort qu'à son détriment...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Oui, mais sortez-en ! On enrobe le débat de considérations diverses, mais quel est le calendrier du Gouvernement ? Un point nous rassemble tous, y compris les écologistes : quand vous parlez des énergies renouvelables, monsieur Dantec, vous croyez au développement de l'électricité...

M. Jean Desessard.  - Nous sommes d'accord !

M. Jean-Claude Lenoir.  - ... laquelle assure notre indépendance, notre efficacité économique, nos performances écologiques. En France, l'électricité produite crée cinq fois moins d'émission de CO2 qu'en Allemagne.

Monsieur le ministre, sortez de l'ambiguïté ! Vous entretenez la confusion entre puissance installée et énergie produite. Sur les 128 000 MWh produits en France, la moitié vient des réacteurs nucléaires - qui produisent 73 % de l'électricité. Les centrales thermiques, 20 % de la puissance installée, ne produisent que 9 % de l'électricité ; l'hydraulique, pour 20 %, 14 % ; l'éolien, pour 12 %, 3 % ; le solaire, pour 6 %, 0,9 % seulement. Cessez de mettre en avant les chiffres qui mettent en valeur le développement de l'éolien et du photovoltaïque, qui ne représentent qu'une petite partie de notre production et de notre consommation d'électricité.

Sortez de l'ambiguïté et ne faites pas croire que les régions pourraient être autonomes... En Bretagne, par exemple, l'électricité doit venir du reste du territoire, de pays étrangers notamment. Ne faites pas miroiter des gains pour les économies régionales. Sortez de l'ambiguïté encore quant à la comparaison avec l'Allemagne. Fin 2012, le Conseil d'analyse économique (CAE), placé auprès du Premier ministre...

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques.  - Des professeurs Tournesol, disait Mme Lienemann !

M. Jean-Claude Lenoir.  - ... a montré que l'éolien en Allemagne produit 40 TWh pour un investissement de 20 milliards d'euros ; le photovoltaïque a coûté 112 milliards d'euros pour 12 TWh ! Les Allemands ont de plus fait le choix du charbon.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques.  - Et quel charbon !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Comment peut-on ici vanter cette démarche...

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques.  - C'est un scandale !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Voyez comment on y retourne la surface du sol, comment on y déplace des maisons et des villages entiers pour exploiter charbon et lignite ! Les choix allemands provoquent des déséquilibres en Europe. Le lignite, bon marché, explique le bas coût de l'électricité produite. Celle que font les éoliennes doit être consommée, d'où les prix de cession négatifs de l'électricité allemande - on nous paie pour l'accepter sur notre réseau...

M. Ronan Dantec.  - Voyez !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le prix de l'électricité en Allemagne à la consommation est le double de ce qu'il est en France. Ne nous privons pas d'un facteur de compétitivité de notre industrie.

Monsieur le ministre, ne restez pas prisonnier des chaînes qui entravent votre liberté de manoeuvre à cause d'un accord électoral signé sur un coin de table...

M. Jean Desessard.  - Vous les signez où, vos accords ?

M. Jean-Claude Lenoir.  - Mettez votre intelligence et votre bon sens au service du pays. Le cardinal de Retz disait certes que l'on ne sort de l'ambigüité qu'à ses dépens ; il disait aussi que ceux qui sont dans les grandes affaires ont souvent plus de difficulté avec leur propre parti qu'avec celui de leurs adversaires. Nous serons, monsieur le ministre, à vos côtés dans la voie du bon sens. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et à droite)

M. Henri Tandonnet .  - La transition énergétique est un immense chantier. Ce débat est néanmoins nécessaire. Abordons-le avec mesure et sincérité. Le Grenelle de l'environnement et les deux lois qui ont suivi justifient un hommage à Jean-Louis Borloo ; les Français ont désormais conscience des enjeux.

Des évolutions législatives sont encore nécessaires. Nous attendons la loi sur la transition énergétique depuis deux ans. Votre prédécesseur est partie, dans les conditions que l'on sait, en plein débat sur la transition énergétique. Où en êtes-vous, monsieur le ministre ? Quel calendrier ? Quelles pistes de réforme ?

Oui, la France, l'Union européenne et le monde doivent résoudre un ensemble de difficultés en matière énergétique ; oui, l'approvisionnement pose problème ; oui, la facture augmentera, qui mettra des familles en difficulté ; oui, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre est une priorité. Des chances sont à saisir, la France a un rôle majeur à jouer dans la compétition mondiale. Nous sommes à mi-chemin par rapports aux engagements dits des trois vingt pour 2020, pas à mi-chemin cependant de leur réalisation...

Nous voulons un mix énergétique plus équilibré. L'énergie d'origine nucléaire est la moins polluante, elle est peu coûteuse et très compétitive ; elle emploie des dizaines de milliers de personnes. C'est une filière solide. L'abandon du nucléaire en Allemagne a certes entraîné le développement des énergies renouvelables mais aussi une augmentation des sources carbonées et des difficultés de transport de l'énergie, faute de réseaux adaptés, l'éolien produit dans le nord du pays devant être transporté vers le sud. Il faut conserver le nucléaire et cesser de le dévaloriser. Le projet Iter à Cadarache est un laboratoire de recherche internationale unique au monde, grâce au soutien de l'Europe.

Ne soyons pas, pour autant, béats devant le nucléaire. La consommation énergétique globale augmentera. Les énergies renouvelables devront répondre à ces besoins croissants. C'est une chance pour nos territoires, notamment ruraux, et leur économie.

Selon la Cour des comptes, la France consacre 37 milliards d'euros aux énergies nouvelles ; il en faudrait deux ou trois fois plus. Il faut inciter à la rénovation thermique des bâtiments, qui a un impact économique et écologique fort. La loi Brottes n'a pas réglé toutes les difficultés.

Je remercie le groupe UMP d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour. Sur le fond, nous la soutiendrons, même si nous n'en approuvons pas toutes les priorités. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)

Mme Mireille Schurch .  - Une transition énergétique est inéluctable pour répondre à l'augmentation continue du prix du pétrole et au réchauffement climatique. Ce deuxième débat de l'année sur la politique énergétique est donc bienvenu.

Aussitôt des questions se posent : quelles énergies au service de qui ? Décidées par qui et comment ? Selon quels critères ? Avec quel calendrier ? Il nous faut trouver de nouveaux modes de développement, de vie et de déplacements, de nouvelles sources d'énergie, sans fragiliser notre tissu économique et social ni renoncer à notre confort, tout en nourrissant la croissance économique et en surveillant nos factures : que d'impératifs et de contradictions, alors que croît la précarité énergétique en France - l'expression est à peine employée dans la proposition de résolution.... Le risque existe toujours que soit remis en cause le droit de chacun à accéder à l'énergie. Le débat est en réalité politique et social plus que technique. Attention à ne pas transformer le droit du citoyen en question de solvabilité du client...

La concurrence, la libéralisation n'est pas la solution. Seule l'existence d'un grand service public garantit le droit du citoyen à accéder à l'énergie, notion absente de cette proposition de résolution. Le débat national si complexe de l'an dernier n'a pas évoqué les questions des externalités et des hausses tarifaires. Quel est le bilan carbone des énergies renouvelables ? Quelles perspectives d'emploi, de filière industrielle ? Certes, la filière nucléaire assure une énergie peu chère, mais l'accident de Fukushima a changé la donne. Il faut abandonner la sous-traitance et rendre un rôle majeur à l'opérateur historique en le dégageant des contraintes de rentabilité.

L'hydroélectricité est la première source d'énergie renouvelable et stockable en France. Son coût est faible. Pourtant, on veut offrir au marché nos torrents, nos rivières et nos fleuves...

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

M. Jean Desessard.  - Ce n'est pas tranché...

Mme Mireille Schurch.  - Nous n'y sommes évidemment pas favorables. Seul un système public, piloté par RTE, ERDF et l'État, est viable.

Monsieur le ministre, où en est l'appel d'offres qui intéresse une entreprise de Montluçon, experte en fabrication de compteurs intelligents ?

L'effacement doit reposer sur le volontariat et entraîner une baisse de la facture ; le gain pour la collectivité doit aller à des investissements dans les économies d'énergie, non alimenter un marché des capacités contraire à l'intérêt général.

L'État stratège doit rester le garant de la cohérence nationale de la politique énergétique. Nous ne pensons pas, même si l'idée peut paraître séduisante, que la transition énergétique se fera par le biais d'une organisation régionale de l'énergie. Gare aux disparités de prix ! La péréquation doit guider toute politique énergétique. Seul l'État peut structurer et pérenniser une filière de la rénovation thermique. Notre vision est aux antipodes de cette proposition de résolution, que nous ne voterons pas. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Jean Bizet.  - Quel dommage !

M. Roland Courteau .  - Cette proposition de résolution relative à la transition énergétique manque d'ambition, son titre même en témoigne : pourquoi ne pas s'engager plutôt « en faveur » de la transition énergétique ?

C'est une chose de produire plus, c'en est une autre de produire mieux, en émettant moins de gaz à effet de serre et en consommant moins de sources d'énergie - tout particulièrement quand l'uranium est extrait dans des pays instables.

Je plaide pour un rééquilibrage de notre mix énergétique, pour la réduction de la part du nucléaire, pour le développement des énergies renouvelables, pour les économies d'énergie. Le coût du soutien aux nouvelles installations photovoltaïques n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a quelques années. Il en va de même de l'éolien.

La France a un grand potentiel : nous avons du vent, du soleil, des forêts, des ressources pour produire de l'énergie en mer. Nous avons la possibilité de devenir un des leaders mondiaux si la volonté politique est là.

Produire mieux, c'est aussi mieux s'adapter aux besoins. Ceux-ci varient sans cesse au cours de la journée, alors que la production nucléaire est très peu flexible. De nouvelles centrales n'y changeront rien. Il en va de même des énergies renouvelables. La solution sera la même, le stockage, que la proposition de résolution ne fait qu'effleurer. (M. Roland Dantec renchérit) L'hydrogène n'est même pas mentionné, pas plus que les gaz de schiste ! Qu'en pensent les sénateurs qui sont favorables à ces derniers ?

Il est bon de réaffirmer l'objectif de lutte contre la précarité. C'est encore mieux d'agir, et c'est ce que fait le Gouvernement, avec de nombreuses mesures pour la rénovation thermique, le taux de TVA réduit, l'extension des tarifs sociaux et de la trêve hivernale.

Le choix du nucléaire fut d'abord politique. Si on l'avait fondé sur un calcul financier de court terme, aucun des 58 réacteurs n'aurait été construit... Ayons la même audace pour les énergies renouvelables !

Pourquoi la France devrait-elle, seule, ouvrir l'hydraulique à la concurrence ? Cela s'apparente à un bradage de notre patrimoine, les barrages sont des biens publics. Et pour quelle efficacité ? Qu'en sera-t-il de la gestion nationale en cas d'événements météorologiques extrêmes ? Qu'adviendra-t-il du personnel ? Mme Bataille et M. Mirassou y reviendront.

Quant aux autres énergies renouvelables, la proposition de résolution ne fait que critiquer le coût du soutien qui leur est apporté et ne propose d'aider que les filières compétitives ; ce sont celles qui ne le sont pas encore qui doivent être soutenues...

Les contrats de filière ont pour objectif de créer 125 000 emplois et de faciliter l'exportation. L'autoconsommation a fait l'objet d'un colloque au Sénat cet automne. Pour favoriser la production locale d'énergie, il faudra commencer par les bâtiments tertiaires.

Ce texte privilégie le statu quo et n'offre aucune vision de l'avenir. Nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)

M. Jean-Pierre Chevènement .  - Dans Le dictionnaire des idées reçues, Flaubert écrivait au mot « époque » : « La nôtre est une époque de transition ». Mais transition vers quoi ?

La politique énergétique doit être volontariste, mais éclairée. Elle ne saurait être remplacée par un acte de foi, non plus que la rationalité par la chasse aux coquecigrues. (Sourires) M. Dantec ostracise le nucléaire...

M. Jean Bizet.  - Il a peur de tout !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Deux précautions valent mieux qu'une, disaient nos grands-mères ; et pourquoi pas 347 plutôt que 346 ? Après le rapport Gallois, repris par le président de la République et le Gouvernement, la France peut-elle négliger les 66 milliards que lui coûtent ses importations d'hydrocarbures et l'avantage comparatif de son électricité bon marché pour son industrie ?

M. Jean Bizet.  - C'est le seul !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Le coût du MWh nucléaire est de 50 euros, 55 si on inclut les travaux préconisés par l'Autorité de sécurité nucléaire après Fukushima.

M. Jean Desessard.  - 59 euros...

M. Ronan Dantec.  - 75 !

M. Jean Bizet.  - Allons !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Celui du gaz, 70 à 80 ; de l'éolien 80 à 85 ; du photovoltaïque au sol 120 à 150 ; de l'éolien offshore entre 150 et 250 euros...

M. Ronan Dantec.  - Et l'EPR, 120 euros !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - La CSPE atteint déjà 15 % du prix payé par le consommateur. En Allemagne, le nouveau ministre Sigmar Gabriel a mis un coup de frein au développement des énergies renouvelables. La part des énergies fossiles va demeurer stable, au-dessus de 60 %, au cours des dix prochaines années ; la teneur en CO2 du KWh y est dix fois supérieure à la nôtre ; de nouvelles centrales au charbon ou au lignite vont être mises en service. Comment les Allemands respecteront-ils leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

Le coût pour le contribuable sera deux fois plus élevé qu'en France. Au moins, dans ce domaine, l'Allemagne n'est pas un modèle à suivre !

Qui paiera l'acheminement des flux au sein d'un système européen ? Rien ne remplacera les centrales nucléaires. J'approuve la prolongation de leur durée de vie, ainsi que la construction de nouveaux réacteurs : on ne peut se résoudre à la stagnation économique.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Au moment où l'on cherche 50 milliards d'euros d'économie, la fermeture de Fessenheim serait désastreuse.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Je serai donc bref sur l'énergie climatique. Ne gaspillons pas notre argent dans des expérimentations non rentables !

M. Jean Desessard.  - Lesquelles ?

M. Ronan Dantec.  - Les centrales de quatrième génération.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - J'appelle à la cohérence gouvernementale et à la rigueur intellectuelle.

Rien dans cette proposition de résolution ne me choque. Leur axe central devrait nous réunir. Il y va de notre compétitivité et de la souveraineté de la République. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et à droite)

M. Jean Bizet.  - Quelle vision !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Très bien ! La parole du RDSE porte !

M. Jean-Pierre Vial .  - Les enjeux de la transition énergétique sont énormes. Le prochain projet de loi devra soutenir la filière solaire, dont les capacités progressent continument. Dans le monde, la filière solaire progresse de 20 % par an pour une capacité de 35 GW et les experts conviennent qu'en 2020, la capacité de production annuelle sera entre 70 et 100 GW avec une énergie au prix du marché dans tous les pays. Alors que la qualité des équipementiers européens est déjà reconnue au niveau mondial, une alliance autour de la France et de l'Allemagne doit permettre à l'Europe de placer notre technologie au plus haut niveau du marché solaire mondial. L'Europe ne doit pas déclarer forfait : Total est déjà un fleuron de cette filière.

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La région Rhône-Alpes, liée à l'histoire de l'hydroélectricité, regroupe plus de 50 % des industries électro-intensives. Vous comprendrez que, élu de cette région, je sois préoccupé par la reprise récente du site d'aluminium de Rio Tinto Alcan de Saint-Jean-de-Maurienne par l'allemand Trimet. Le rapport Gallois a rappelé la place des énergies dans l'industrie ; je ne vous cacherai pas ma déception que l'industrie n'ait pas trouvé sa place dans le débat de la transition énergétique.

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Alors que tous les pays industriels mobilisent leurs capacités énergétiques pour leur industrie, la France serait bien inspirée de valoriser ses capacités de production plus vertueuses que beaucoup d'autres. Notre voisin allemand a délibérément construit un modèle en faveur de son industrie : il a posé le principe d'un prix attractif pour les gros consommateurs, quitte à faire supporter par les consommateurs la charge fiscale et l'effort de la politique des énergies renouvelables. Grâce à quoi les industries allemandes grosses consommatrices bénéficient de l'allégement du coût du transport contrairement à notre principe dit du timbre-poste.

Je vais m'en tenir à la proposition 18 de la résolution, concernant l'effacement qui répond directement aux préoccupations des industriels gros consommateurs et permettait une baisse de leur facture d'électricité de 10 à 15 % par an répondant également aux enjeux de la transition énergétique. Il y a un peu plus de dix ans, EDF procédait à plus de 6 GW d'effacement par an. On en est à moins de la moitié. Les États-Unis, que l'on a tendance à ne voir qu'à travers le gaz de schiste, ont depuis plusieurs années mis en place une politique d'effacement qui dépasse les 10 % de leur production d'électricité soit plus de 20 fois la pratique de l'effacement en France.

Péchiney a fait part de son intérêt pour le modèle énergétique français, il y a quelques années. Or cette semaine, le groupe a reçu une offre du Québec, bien plus attractive. L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne mobilisent chacun 300 millions d'euros pour l'effacement. Et nous ne faisons rien. Les lois Nome et Brottes, après le rapport Sido, offrent cependant des possibilités. Mais EDF répond que la question est politique. Permettons donc à notre industrie de bénéficier de cette capacité d'effacement, qui bénéficierait à l'environnement comme aux consommateurs. N'est-ce pas une belle perspective que d'offrir à notre industrie l'occasion de participer à la transition énergétique ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean Bizet.  - Très bien !

Mme Delphine Bataille .  - Dans l'attente du dépôt du projet de loi sur la transition énergétique, le groupe UMP veut-il fermer la porte à tout débat ? Espérons que non et que son intention était seulement de saisir cette occasion pour mettre en avant ses positions. Ce projet de loi a donné lieu à de nombreux travaux préalables, au sein de la Conférence environnementale et des groupes de travail ad hoc.

La réduction de notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles et de l'émission des gaz à effet de serre sont des objectifs que nous pouvons partager. La réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique d'ici 2025 sera difficile à atteindre ; il faut soutenir le développement des énergies renouvelables, comme le fait le Gouvernement.

La Commission européenne veut limiter le financement public à ces énergies renouvelables. Le Gouvernement a ouvert une large concertation à ce sujet. Il faut aussi tenir compte du rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, très critique vis-à-vis des politiques énergétiques européennes. L'Allemagne a fait le choix de sources d'énergies sales, le charbon et le lignite - dont elle a 300 ans de réserves. Les industriels ne se sont pas vu offrir un cadre propice aux investissements de long terme.

Malgré les efforts des Allemands, les énergies renouvelables n'occupent qu'une faible part dans leur production d'énergie. La politique européenne est vouée à l'échec si elle ne fait que s'appuyer sur le marché. La France et l'Allemagne ont décidé de coordonner leurs transitions énergétiques afin d'assurer leur compétitivité en même temps que leur sécurité d'approvisionnement.

Notre dépendance reste grande : nos importations de pétrole ont battu des records en 2013. Réduire la consommation finale d'énergie, comme le recommande cette proposition de résolution, est nécessaire. À cet effet, le Gouvernement a engagé un plan de rénovation énergétique de l'habitat. La transition énergétique ne répond pas qu'à des objectifs écologiques : on ne peut ignorer les dimensions économiques et sociales. On ne saurait non plus agir au seul échelon national : commençons par renforcer la coopération européenne en la matière. (Applaudissements à gauche)

M. François Fortassin .  - M. Chevènement ayant été percutant, je me limiterai à la question de l'énergie hydraulique, qui représente 10 % de notre production d'électricité et 80 % de la production d'énergie renouvelable, la plus mûre et la plus compétitive de nos énergies renouvelables, qui joue un rôle capital dans la gestion des pics de consommation et stockable.

Le renouvellement des concessions est à l'ordre du jour. Elles font pourtant perdre de l'argent à l'État et aux collectivités territoriales.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques.  - Mais pas à tout le monde !

M. François Fortassin.  - L'État serait bien inspiré de renouveler ces concessions, faute de quoi les collectivités territoriales seraient fondées à l'attaquer pour manquement à la loi. EDF est un fleuron de notre industrie, le groupe qui dégage le plus de bénéfices. Le droit doit être appliqué ! (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. Jean Bizet .  - Je salue l'initiative de M. Poniatowski et voterai évidemment sa proposition de résolution. Le débat sur la transition énergétique nous place au coeur de deux chantiers ouverts par le président de la République pour 2013 : la compétitivité et l'emploi.

Je dois vous signifier, monsieur le ministre, ma totale incompréhension devant vos récentes déclarations à l'occasion de la nomination du nouveau délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire et à la reconversion du site de Fessenheim. Notre filière nucléaire crée des emplois pérennes et de la valeur ajoutée : elle représente 129 000 emplois directs, 4 % de l'emploi industriel en France. De grands groupes s'installent en France parce que l'électricité y est bon marché.

Que dire de notre fleuron EDF, qui vient de conclure un accord historique pour construire deux EPR en Grande-Bretagne ?

Ne fragilisons pas cette filière sous couvert d'une fausse modernité ou pour maintenir la concorde au sein de la coalition gouvernementale. Notre indépendance énergétique est liée au nucléaire. Pourquoi se priver d'une source d'énergie qui réalise 6 milliards d'euros de chiffres d'affaires annuel, augmente mécaniquement les exportations françaises, limite les importations d'hydrocarbures et contribue au maintien de nos industries électro-intensives ?

L'excellence française est reconnue dans le domaine de la sûreté nucléaire, autant que pour les EPR : voyez le projet de Cadarache.

M. Lenoir vous a invité à « sortir de l'ambigüité », monsieur le ministre. Je finirai donc par quelques questions précises. Soutenez-vous la position du ministre du redressement productif, selon laquelle le nucléaire est une filière d'avenir ? Approuvez-vous la fermeture de Fessenheim pour 2016, selon le président de la République ? Quelle cohérence dans la politique gouvernementale ? La transition énergétique ne doit-elle pas être pensée au niveau européen ? S'accompagne-t-elle de la création d'une banque du carbone au niveau européen ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Jacques Mirassou .  - Sans revenir sur les arguments de M. Courteau et Mme Bataille, je me concentrerai sur le renouvellement des concessions hydroélectriques. Le gouvernement précédent avait fait le choix d'une libéralisation sans contrepartie, à contre-courant de notre histoire et au détriment des consommateurs. Les grands barrages, d'ailleurs, font partie du patrimoine national.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Certes, la Cour des comptes a préconisé une mise en concurrence. Comment lui reprocher de ne voir les choses que sous l'angle purement comptable ? Seule la France a pris une telle décision, qui équivaut à une perte de souveraineté.

Mme Évelyne Didier.  - Et les autoroutes ?

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Des concessionnaires étrangers pourraient exploiter les barrages et revendre avantageusement l'électricité produite...

D'autres pistes méritent d'être étudiées. Nous avons besoin d'une vraie politique hydroélectrique, conforme à l'intérêt général. La vraie solution serait de prolonger les concessions de 24 ans, en contrepartie de travaux de modernisation et de nouvelles exigences de production. On lèverait ainsi les incertitudes sur le sort du personnel, sans risquer un nouvel imbroglio juridique. Même la Cour des comptes y trouverait... son compte !

Je ne doute pas que votre réforme, monsieur le ministre, permettra aux ménages et aux entreprises de bénéficier de la rente hydraulique.

Je ne voterai pas cette proposition de résolution qui tourne le dos à l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Françoise Boog .  - L'examen du projet de loi pour la transition énergétique a été plusieurs fois reporté. Le sujet est pourtant d'importance.

Je rejoins les propos de M. Poniatowski. Sénatrice alsacienne, je m'attarderai sur le sort de la centrale de Fessenheim. Sa fermeture ne saurait être motivée par des raisons politiciennes.

M. Roland Courteau.  - Politiques !

Mme Françoise Boog.  - Le Gouvernement est prêt à tout pour maintenir l'unité de sa majorité...

M. Ronan Dantec.  - C'est nul !

Mme Françoise Boog.  - L'ASN a souligné que la centrale de Fessenheim est l'une des plus sûres de France. On y a investi 280 millions d'euros ces dernières années. Et pourtant, le Gouvernement continue à jouer avec les peurs... Les Alsaciens ne sont pas dupes. Ma commune est à une quinzaine de kilomètres de la centrale ; si celle-ci présentait un risque avéré, nous serions les premiers à nous en inquiéter. Pourquoi fermer une centrale sûre et rentable ? Pourquoi celle-là ? L'énergie nucléaire bon marché pourrait compenser le développement des énergies renouvelables, plus coûteuses...

La filière nucléaire crée de nombreux emplois. Comment restera-t-elle compétitive si, par calcul politicien, nous en doutons ?

Les salariés de Fessenheim seront déracinés, le territoire déstabilisé. Qu'en sera-t-il des sous-traitants ? Et des industries électro-intensives attirées en Alsaces par la présence de cette centrale ? Elles devront se délocaliser. Prenons le temps de réfléchir à la transition énergétique dans son ensemble. Attendons les résultats de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, avant de mettre sur les rails la grande loi de transition énergétique qui nous attend à l'automne. (« Très bien ! » et applaudissements à droite et au centre)

M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie .  - Merci au groupe UMP et au sénateur Poniatowski de nous offrir cet échange sur la transition énergétique.

L'exposé des motifs de votre rapport mentionne à raison d'emblée « la raréfaction des énergies fossiles, l'insécurité dans l'approvisionnement de ces sources d'énergie, la hausse de la facture énergétique, la détérioration de l'environnement dont l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre est l'une des principales manifestations ». Je suis bien d'accord pour dire avec vous que « tous ces phénomènes impliquent que la France conduise une politique de l'énergie emprunte de vision et de responsabilité ».

M. Chevènement a ironisé sur le fait que notre époque serait à la « transition ». J'ai le souvenir d'une autre époque où le mot qui comptait aux yeux de M. Chevènement était « projet ». Je dirai donc que la « transition » énergétique est un « projet », qui doit devenir un atout pour la compétitivité de nos entreprises.

Les estimations du Giec sont plus inquiétantes que prévu. La loi de transition énergétique est un projet social, comme le disait Mme Schurch. Comment accompagner les Français à améliorer l'efficacité énergétique et lutter contre la précarité énergétique des plus modestes ? M. Poniatowski dénonce la pluralité des interlocuteurs qu'il faut rencontrer ; avec Cécile Duflot, nous avons lancé un guichet unique.

La transition énergétique est un projet industriel. De nos choix dépendra la capacité de se doter de filières robustes. C'est un projet de santé publique, d'amélioration de l'air que nous respirons.

Le cap a été fixé par le président de la République et le Premier ministre lors de la Conférence environnementale : il s'agit de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre. Notre pays accueillera en 2015 la Conférence des Nations unies sur le changement climatique. Ce cap est celui de la réduction de 50 % de la consommation finale d'énergies en 2050.

M. Poniatowski a évalué à 420 TWh notre production d'énergie nucléaire ; M. Lenoir a parlé de 400. C'est son chiffre qui est le bon. EDF ne va pas au-delà mais pourrait aller jusqu'à 420 s'il trouvait à exporter ces 20 TWh supplémentaires - la production de quatre ou cinq réacteurs.

Notre cap, c'est aussi celui de l'Europe qui est le cadre de notre vision. Un rapprochement franco-allemand sera utile.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Philippe Martin, ministre.  - Le sommet franco-allemand du 19 février a marqué ce rapprochement. Nous connaissons les objectifs dits des 3 % en 2020. Depuis plusieurs mois, la France soutient avec l'Allemagne un objectif de 25 % de la part des énergies renouvelables en Europe. Je serai à Berlin demain, pour inciter les acteurs européens à travailler ensemble afin que nous soyons plus forts face à la concurrence internationale.

Les objectifs européens du premier « paquet climat-énergie », à l'horizon 2020, acceptés par la précédente majorité, nous les connaissons : 20 % d'énergies renouvelables, 20 % d'amélioration de l'efficacité énergétique et 20 % de réduction des gaz à effet de serre. Une nouvelle échéance est en discussion. Depuis plusieurs mois, la France défend un objectif ambitieux de réduction des gaz à effet de serre d'au moins 40 %. Et nous soutenons, avec l'Allemagne, un objectif d'au moins 27 % au niveau européen pour la part des énergies renouvelables en 2030.

La réflexion s'est focalisée sur le nucléaire. À une époque de notre histoire, des ingénieurs exceptionnels, des techniciens motivés, des ouvriers patriotes ont fait la renommée de notre filière nucléaire, en particulier en matière de sécurité. Passer, d'un peu plus de 75 % d'énergie électrique d'origine nucléaire à 50 % n'est en rien une marque de défiance à l'égard de ces ingénieurs, de ces techniciens et de ces ouvriers.

Fessenheim est jumelée avec une ville de mon département, le Gers. Ma commune est jumelée avec Rixheim. C'est que, pendant la guerre, de nombreux Alsaciens se sont réfugiés sur nos terres. Je suis donc particulièrement sensible à votre région, madame Boog, et j'en recevrai les élus. La fermeture de Fessenheim est une décision industrielle, économique et énergétique, à la fois rationnelle et responsable. Elle n'a rien de « politicien » comme il a été dit.

Il serait irrationnel et irresponsable de laisser aux générations futures un mur d'investissement. Nous faisons le choix de la responsabilité économique et de la sécurité d'approvisionnement ; ce n'est nullement contradictoire avec l'excellence de notre filière nucléaire, que nous soutenons à l'export. L'excellence d'EDF dans le stockage des déchets et le démantèlement des centrales sera un plus pour l'exportation. Nous progressons en termes de sûreté, on l'a vu avec les stress tests et le retour d'expérience de Fukushima.

Les énergies thermiques perdant à terme une place prépondérante dans le mix d'énergies renouvelables, alors que la politique erratique de la majorité précédente avait nui à nos filières photovoltaïque et éolienne, nous avons retrouvé fin 2013 un rythme d'installation équivalant à 1 000 MW par an. Un appel d'offres sera lancé fin mars pour des installations photovoltaïques de plus de 250 MW. Nous constatons un prix du photovoltaïque de 100 euros du MWh, il pourrait baisser à moins de 80 % ; le nucléaire en est à 109 euros ! Soyons prudents quand nous comparons des chiffres de compétitivité.

Nous avons lancé un second appel d'offres pour l'éolien offshore en 2013. Il s'agit de placer les industriels français en leaders européens et internationaux. La communauté européenne s'intéresse beaucoup au soutien de l'Allemagne aux énergies renouvelables.

La procédure de consultation que j'ai lancée sur l'autoconsommation vise à éviter des décisions hâtives. Il faut aussi rationaliser les procédures...

M. Roland Courteau.  - En effet.

M. Philippe Martin, ministre. - C'est pourquoi mon ministère a lancé des expérimentations dans le cadre de la loi du 2 janvier 2014, pour des procédures ICPE sur des équipements hydrauliques. M. Courteau a évoqué l'autoconsommation. Sur les compteurs intelligents, madame Schurch, nous sommes en phase de sélection. Je sais que plus de 1 000 emplois se profilent derrière ces appels d'offres.

Le projet de loi comprendra six titres. L'un d'entre eux traitera des collectivités locales. Monsieur Lenoir, il n'est jamais question d'autonomie des régions en matière énergétique. Colbert vous fait face, surplombant cet hémicycle. Je lui préfère Defferre. Faisons confiance aux collectivités locales.

M. Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de résolution.  - À condition de ne pas remettre en cause la péréquation.

M. Philippe Martin, ministre.  - Tout à fait d'accord. C'est une question centrale face à la Commission européenne et au dogme de la « concurrence libre et non faussée ». Grâce aux tarifs sociaux, quatre millions de foyers ont accès à l'énergie.

Un titre traitera de maîtrise de la demande et de l'efficacité énergétique, un autre des énergies renouvelables, un autre enfin de la sûreté nucléaire. Cette loi sera l'une des plus importantes du quinquennat, aux yeux du président de la République.

MM. Mirassou et Fortassin ont soulevé la question du renouvellement des concessions des barrages. Les solutions proposées seront moins brutales que celles du précédent gouvernement : tout en respectant le droit européen de la concurrence, elles préserveront l'intégration de nos moyens de production et la compétitivité de nos industries. Je suis conscient de l'enjeu patrimonial.

Ce débat aura été utile. Je ne souhaite pas que cette proposition de résolution soit adoptée, non parce qu'elle manquerait d'intérêt, mais parce que nous débattrons prochainement du projet de loi de transition énergétique. J'ai été sensible à la belle démonstration de M. Lenoir, même s'il réfléchit au mix énergétique en regardant un peu trop dans le rétroviseur. Notre débat sur la transition énergétique nous fait choisir entre un monde ancien et un monde nouveau. J'ai la fierté et le plaisir de militer pour un monde nouveau. (Applaudissements à gauche)

À la demande du groupe UMP, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°159 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 179
Contre 162

Le Sénat a adopté.

(« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs UMP)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 26 février 2014, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du mercredi 26 février 2014

Séance publique

À 14 heures 30

Présidence : M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président

M. Jean-Claude Carle, vice-président

Secrétaires : M. Marc Daunis - Mme Michelle Demessine

1. Désignation des trente-trois membres de la mission d'information sur la réalité de l'impact sur l'emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises

2. Débat sur la situation des outre-mer

À 17 heures

Présidence : M. Jean-Claude Carle, vice-président

3. Débat sur l'épargne populaire

À 21 heures 30

Présidence : M. Charles Guené, vice-président

4. Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon (n° 335, 2013-2014)

Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission des lois (n° 382, 2013-2014)

Texte de la commission (n° 383, 2013-2014)

Analyse des scrutins publics

Scrutin n° 158 sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces armées en République centrafricaine

Résultat du scrutin

Nombre de votants :345

Suffrages exprimés :330

Pour :327

Contre :3

Le Sénat a adopté.

Analyse par groupes politiques

Groupe UMP (131)

Pour : 130

Abstention : 1 - M. Philippe Marini

Groupe socialiste (127)

Pour : 127

Groupe UDI-UC (32)

Pour : 23

Contre : 3 - M. Jean Arthuis, Mmes Françoise Férat, Chantal Jouanno

Abstentions : 5 - MM. Jean-Paul Amoudry, Yves Détraigne, Mme Muguette Dini, MM. Jean-Léonce Dupont, Hervé Maurey

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Vincent Delahaye

Groupe CRC (20)

Pour : 14

Abstentions : 6 - Mme Éliane Assassi, M. Éric Bocquet, Mme Laurence Cohen, MM. Pierre Laurent, Paul Vergès, Dominique Watrin

Groupe du RDSE (19)

Pour : 19

Groupe écologiste (12)

Pour : 9

Abstentions : 3 - Mmes Aline Archimbaud, Marie-Christine Blandin, Hélène Lipietz

Sénateurs non inscrits (6)

Pour : 5

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gaston Flosse

Scrutin n° 159 sur l'ensemble de la proposition de résolution relative à la transition énergétique, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution

Résultat du scrutin

Nombre de votants :346

Suffrages exprimés :341

Pour :179

Contre :162

Le Sénat a adopté.

Analyse par groupes politiques

Groupe UMP (131)

Pour : 131

Groupe socialiste (127)

Contre : 127

Groupe UDI-UC (32)

Pour : 30

Abstention : 1 - Mme Valérie Létard

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Chantal Jouanno

Groupe CRC (20)

Contre : 20

Groupe du RDSE (19)

Pour : 12

Contre : 3 - MM. Alain Bertrand, Christian Bourquin, Raymond Vall

Abstentions : 4 - MM Jean-Michel Baylet, Yvon Collin, Mme Françoise Laborde, M. Jean-Pierre Plancade

Groupe écologiste (12)

Contre : 12

Sénateurs non inscrits (6)

Pour : 6