Loi de finances rectificative pour 2014 (Nouvelle lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour 2014.

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Nous nous retrouvons moins d'une semaine après l'adoption de ce projet de loi de finances rectificative par votre assemblée en première lecture. Vous l'avez donc en mémoire. Il comprend deux volets : le volet budgétaire, avec des ouvertures de crédits pour 276,9 milliards. La baisse des dépenses en valeur est sans précédent dans les années récentes. Ce texte comprend aussi un volet fiscal, avec des mesures contre la fraude, d'autres pour favoriser le logement en zone tendue - avec notamment une hausse de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et une hausse de la taxe foncière sur les terrains constructibles. Troisième objectif : l'amélioration des conditions de vie des travailleurs les plus modestes, avec le remplacement de la prime pour l'emploi (PPE) et du RSA actuel par une nouvelle aide au 1er janvier 2016.

Une gestion sérieuse du budget de l'État, tant sur les dépenses que sur les recettes, des mesures spécifiques pour améliorer l'accès au logement, la première étape d'une réforme en faveur des travailleurs modestes : voici un projet de loi qui s'inscrit clairement dans les orientations du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - La discussion de la loi de finances rectificative est en effet toute récente - je serai donc bref.

Les ajustements de crédits illustrent la réduction des dépenses d'avenir - éducation nationale ou défense - pour financer les dépenses obligatoires ou de guichet, charge de personnel ou AME...

Le format de ce projet de loi de finances rectificative a triplé lors de son examen à l'Assemblée nationale ; la qualité du travail législatif devrait s'en ressentir : nous avons dû nous prononcer sur des réformes fiscales importantes sans étude préalable, sans analyse approfondie.

Ce texte a été adopté par le Sénat avec une large majorité, 309 voix pour, ce qui témoigne de notre capacité à nous rassembler. Notre assemblée avait rendu facultative et modulable la majoration de la taxe foncière sur les terrains constructibles et la majoration de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et pour les valeurs locatives en zone tendue. L'Assemblée nationale a voté contre. Nous vous proposons de réintroduire cette mesure.

La majoration de 50 % de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), qui a un rendement budgétaire... et politique, a été repoussée par une très large majorité au Sénat. Cette augmentation brutale de la fiscalité nuit à la visibilité et multiplie les effets de seuil. Bref, elle cumule les inconvénients. Surtout, cette surtaxe favorise le développement du drive et du commerce en ligne, non redevables de la Tascom. Son unique vertu est son rendement...

D'où notre désaccord profond avec la majorité de l'Assemblée nationale, comme sur d'autres mesures de rendement. L'augmentation de la contribution des concessionnaires autoroutiers qui aurait eu des répercussions sur les consommateurs n'a heureusement pas été rétablie par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

L'article 14, qui supprime la déductibilité de certaines taxes, est un autre sujet de désaccord.

La commission des finances a adopté à nouveau en nouvelle lecture des amendements visant à revenir à la position du Sénat en première lecture. L'Assemblée nationale a toutefois adopté conforme de nombreux articles modifiés par le Sénat, comme l'article 24 sur les événements sportifs, ou l'article 25 ter sur la TVA sur les offres triple play.

Toutefois, le bilan reste mitigé, c'est pourquoi nous réaffirmons avec force un certain nombre de points chers à notre commission des finances. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Éric Bocquet .  - Pour une raison qui nous échappe, ce projet de loi de finances rectificative a été largement adopté la semaine dernière, malgré des évolutions notables du texte, comme la suppression de la non-déductibilité de la taxe sur les banques... La gauche du passé a voté avec la droite. Ceux qui dénonçaient bruyamment hier la partie de la gauche qui, votait avec la droite sont aujourd'hui bien discrets... La fiscalité n'est pas la pierre philosophale qui permettra de transformer le plomb de la crise en croissance. La gauche de l'avenir est celle qui s'appuie sur les couches populaires pour préparer des changements. Les mêmes qui rejetaient le CICE il y a deux ans en acceptent aujourd'hui l'augure. Pourtant, quand on baisse les charges, on baisse la rémunération des salariés... Et le nombre de ceux qui sont privés d'emplois continue d'augmenter. Pourtant, les belles âmes réclament encore des réformes structurelles - qui n'ont jamais de contours précis. S'agit-il de lutter contre les rigidités du code du travail ? Relisez le livre de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, sur le sort des travailleurs précaires, comme l'avait fait avant elle, pour l'Allemagne, Günther Wallraff avec Tête de turc ! Trente ans après la loi sur la flexibilité, les conditions de travail dans le secteur marchand ne cessent de se dégrader. Sur 1,7 million d'offres d'emplois en 2014, 700 000 portaient sur des contrats saisonniers. Pour les autres il ne s'agissait que de besoins d'emplois ponctuels. C'est pourquoi désormais les CDD l'emportent, avec une durée médiane de dix jours ! Veut-on en revenir au contrat de travail journalier, payé de la main à la main ?

Que dire de la hausse du versement transport ? 35 à 40 % du versement transport sont acquittés par les employeurs publics. Les entreprises ne contribuent qu'à hauteur de 2 milliards d'euros en Île-de-France, soit 0,3 % de leur chiffre d'affaires. Une hausse de 0,03 % ne risque pas de ruiner l'économie de la région...

Un projet de loi de finances rectificative doit dépasser la seule comptabilité. Ce n'est pas le cas de ce texte, que nous ne voterons pas.

M. Yvon Collin .  - Quand, dans la nuit de vendredi à samedi dernier, nous quittâmes l'hémicycle, dans un enthousiasme partagé, nous exprimâmes le souhait que la CMP aboutisse. Las, la CMP échoua lundi. Or les députés, on le sait, quand le ping-pong législatif reprend, ont le dernier coup de raquette... Ils ont expédié ce texte cette nuit en une paire d'heures. Nous travaillons à un rythme si effréné que la maire de Paris se réjouit déjà de la hausse de la taxe de séjour - alors que nous ne nous sommes pas encore prononcés !

M. Philippe Dallier.  - Elle a besoin d'argent pour son budget !

M. Yvon Collin.  - C'est mépriser le Parlement. (M. André Gattolin applaudit) Le dérapage des dépenses, de 4,4 % contre 3,6 % en loi de finances initiale, est dû à la faible croissance et à l'absence d'inflation. L'État poursuit ses efforts de baisse des dépenses. La moins-value attendue des recettes de l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés inquiète. Néanmoins, nous approuvons les principales mesures de ce texte, comme la fusion de la PPE et du RSA. En revanche, il conviendrait de laisser à l'appréciation des collectivités territoriales la hausse éventuelle de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et de la taxe foncière sur les terrains constructibles en zones tendues.

Nous regrettons qu'une partie de nos amendements aient disparu après le passage à l'Assemblée nationale... Heureusement, ce n'est pas le cas des mesures sur le PTZ ou l'urbanisme. Nous reviendrons sur la création d'une surtaxe de la Tascom, décidée dans la précipitation. Comme en première lecture, nous en demanderons la suppression.

Aucune motion n'a été déposée, c'est heureux : nous allons pouvoir améliorer le texte. Notre groupe le votera alors très majoritairement. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et quelques bancs socialistes)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Avec cette nouvelle lecture, nous arrivons à la fin d'un long parcours budgétaire. Dans un esprit de responsabilité, le Sénat a adopté un texte, en supprimant les mesures les plus défavorables à notre économie. Pourtant, les conditions de travail n'étaient pas idéales - temps très court, nombre pléthorique d'articles... La majorité sénatoriale n'a pas voulu défaire le texte du Gouvernement, se contentant de le modifier dans un sens plus favorable aux entreprises - suppression de la majoration de la Tascom, de la non-déductibilité de certaines taxes... Le texte a été adopté à une très large majorité. Le Sénat a joué son rôle en ouvrant la voie d'un dialogue constructif avec l'Assemblée nationale en CMP. Malgré son échec, la rapporteure générale de l'Assemblée nationale a salué certaines avancées du Sénat, dont plusieurs ont été adoptées conformes.

Toutefois, la majorité de l'Assemblée nationale a rétabli la non-déductibilité de la taxe sur les bureaux et de la taxe systémique, la surtaxe à la Tascom et a supprimé les mesures en faveur de l'investissement des PME. Ce sont les points de désaccord majeurs entre les deux chambres.

Le Sénat dégrade le solde budgétaire, dit le ministre. Certes, mais pour nous, l'amélioration du solde passe par la baisse des dépenses, pas par la création de nouvelle recettes ! Nous prônons les économies, vous, les taxes...

Deuxième désaccord : nous estimons que les mesures du Gouvernement en faveur des entreprises sont mal calibrées et ne produisent pas les effets attendus. Il faut revoir la copie. Je regrette que vous n'ayez pas retenu la mesure sur l'amortissement des investissements des PME industrielles. La principale faiblesse de notre économie comme l'a illustré le rapport Gallois, est notre retard en matière de production industrielle ; il aurait été bienvenu de faciliter les investissements productifs. C'est une dépense, mais une dépense utile !

Nous soutenons donc les amendements de la commission des finances qui visent à revenir à la position quasi unanime du Sénat en première lecture. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean Germain .  - Nous abordons cette nouvelle lecture dans les mêmes dispositions d'esprit qu'en première lecture. Nous sommes d'accord, très majoritairement, avec ce projet de loi de finances rectificative. Dans les circonstances actuelles, vous ne pouviez nous en présenter un autre. Nous approuvons la lutte contre la fraude fiscale, contre la fraude à la TVA, la refonte de la PPE, les outils fiscaux en faveur du logement, la non-déductibilité de la taxe systémique qui deviendra la contribution des banques au fonds de résolution européen, les conditions du versement transport, la remise à plat de la fiscalité des casinos et du tabac. S'agissant de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires en zone tendue, l'Assemblée nationale a autorisé les conseils municipaux à moduler la hausse de 0 à 20 % : nous y sommes favorables. Idem pour la taxe foncière sur les terrains non bâtis et les grands ports maritimes.

S'agissant de l'amortissement dégressif des investissements de PME, en revanche, nous regrettons que cette mesure ait été écartée. La désindustrialisation est un vrai danger.

Autre point de désaccord : la majoration de la Tascom. De partout remontent des protestations. On ne peut pas écarter d'un revers de main les propositions du Sénat !

Monsieur Bocquet, nous n'avons de leçons de droite ou de gauche à recevoir : nous ne prenons nos décisions qu'au sein de notre groupe. (On le confirme sur les bancs socialistes) Pour que le Sénat soit entendu, il faut accepter certains compromis. C'est pourquoi nous voterons à nouveau ce texte, amendé. Assez de réflexes politiciens ! Le Parlement doit jouer son rôle. En votant ce texte, nous restaurons l'image du Sénat, et un peu aussi par la même occasion, de la politique. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE, et sur quelques bancs à droite et au centre)

M. André Gattolin .  - En première lecture, nous nous plaignions du calendrier qui nous était imposé. Les choses ne se sont pas améliorées en nouvelle lecture : nous avons découvert cette nuit le texte de l'Assemblée nationale... À quoi sert notre assemblée ? J'ajoute que ce projet de loi de finances rectificative pléthorique ressemble de plus en plus à un projet de loi de finances. Seuls neuf articles concernent l'année en cours ! J'espère que les conditions d'examen seront plus satisfaisantes l'année prochaine.

Je me félicite que l'Assemblée nationale ait repris, à l'article 24, le dispositif introduit par le Sénat sur les événements sportifs organisés en France. La transparence en sera améliorée loin des accords secrets passés par la précédente majorité pour l'organisation de l'Euro 2016...

A contrario, je regrette que la position du Sénat sur la Tascom ait été écartée. J'approuve la non-déductibilité de la taxe systémique - mais le rapporteur général souhaite la supprimer...

La fiscalité du tabac est incompréhensible, et nourrit des effets pervers, affirment les industriels soutenus sur ce point au moins par le Gouvernement. Pour autant sa réforme peut-elle être expédiée avec un amendement ? Vous avez dit à l'Assemblée que cet amendement d'origine parlementaire reflétait la position du Gouvernement : pourquoi ne l'avez-vous déposé vous-mêmes ? Le rapporteur général du Sénat avait initialement proposé de supprimer les articles en question - avant de se raviser... C'est assez rare pour être souligné. On connaît pourtant les turpitudes des industriels du tabac ! Compte tenu des enjeux sanitaires, la question aurait mérité plus de transparence. La politique n'en sort pas grandie.

L'État se retrouve, de fait, assureur en dernier ressort du risque nucléaire. La responsabilité des exploitants est limitée à 700 millions d'euros, pour le coût d'un accident grave évalué à 700 milliards par l'IRSN. Cette garantie ne devrait-elle pas figurer en loi de finances ?

Nous déterminerons notre vote à l'issue du débat. (Applaudissements sur les bancs écologistes et socialistes)

M. Francis Delattre .  - Le collectif de fin d'année est un moment de vérité. Les résultats chiffrés nous rappellent aux réalités. De quoi doucher l'euphorie de Noël... 2014 fut catastrophique : aggravation du déficit public, effondrement des recettes fiscales, de près de 12 milliards, la France est distancée par ses partenaires européens qui ont fait des réformes structurelles. À ce rythme, nous serons en 2016 le plus mauvais élève de la zone euro. Notre croissance est de 0,4 contre 1,2 en moyenne dans la zone euro. Nos voisins, eux, profitent des conditions exceptionnelles : baisse de l'euro, du prix du baril, etc. En France, les faillites explosent, le taux de marge des entreprises baisse à 22,4 %, l'effet CICE reste virtuel. En 2014, la dépense publique progresse de 0,9 % en volume et de 0,4 % en valeur : c'est plus 16 milliards d'euros par rapport à 2013. Les chiffres sont têtus... Le taux de prélèvements obligatoires augmente de 44,7 à 44,8 % du PIB : nous sommes médaille d'argent dans le monde, derrière le Danemark.

Le président de la République nous promet la pause fiscale - mais ce n'est pas gravé dans le marbre, dites-vous, monsieur le ministre. De fait, ce collectif compte pas moins d'une dizaine de nouvelles taxes ! Je ne les énumère pas...

M. Jean-François Husson.  - Merci les taxes !

M. Francis Delattre.  - Dans sa première version, ce projet de loi de finances rectificative comprenait surtout des mesures d'ajustement. Nous étions tombés d'accord pour supprimer la majoration de la Tascom, qui frappait encore les collectivités territoriales. Nous regrettons que les députés ne nous aient pas suivis.

Notre rapporteur général présentera à nouveau nos principaux amendements, pour marquer notre différence. Ce n'est toutefois qu'une amélioration à la marge de votre politique. Cette politique a un coût : l'explosion du chômage. La réponse passe par les réformes de structures, on le sait.

M. François Marc.  - Lesquelles ?

M. Francis Delattre.  - Les retraites, par exemple ! Mais les ministres préfèrent pérorer sur les feux de cheminée ou la théorie du genre. La loi Duflot ? Un fiasco ! Le pacte de responsabilité ? Invisible ! La loi Macron ? Maxi-communication pour une mini-loi... Je doute, monsieur le ministre, que vous trouviez beaucoup de Père Noël au groupe UMP pour voter votre texte ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Henri de Raincourt.  - C'est sûr !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances.  - Je demande une brève suspension de séance afin que la commission des finances examine les amendements extérieurs.

La discussion générale est close.

La séance, suspendue à 15 h 30, reprend à 15 h 50.