Questions cribles thématiques sur la forêt française

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la forêt française à Mme Delga, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Cette séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.

M. Alain Houpert .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) La forêt est obscure, j'espère que nos interventions jetteront des rais de lumière sur elle. (On apprécie à droite) Dans notre récent rapport au nom de la commission des finances, Faire de la filière bois un atout pour la France, M. Yannick Botrel et moi avons souligné que notre pays n'est pas la grande puissance forestière qu'il pourrait être. La Cour des comptes estime également que notre politique forestière, partagée entre pas moins de cinq ministères, manque de pilotage stratégique. À quand un vrai lieu de concertation et une prise de décision interministérielle ?

La France, comme un pays en développement, exporte le bois brut et importe des produits transformés. Elle accuse un déficit de la balance commerciale qui, pour 10 %, soit 6 milliards d'euros par an, est dû aux importations de bois ! Comment le Gouvernement entend-il faire enfin de la filière bois un atout pour la France ? Que pense-t-il de nos recommandations, en particulier celle de réorienter les aides en aval, vers le bois neuf et l'ameublement ? (Applaudissements à droite)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire .  - M. Le Foll aurait aimé répondre à vos questions mais il participe au G 20 agricole à Istanbul. La Cour des comptes a souligné les avancées de la politique forestière depuis 2012. La loi d'avenir de l'agriculture du 13 octobre 2014 a permis bien des progrès : je songe en particulier à la rénovation des structures de gouvernance autour du Conseil supérieur de la forêt et du bois, qui réunit tous les acteurs publics et privés et a une compétence sur l'ensemble des fonctions, économique, sociale, environnementale, de la forêt. La stratégie de la filière sera définie dans le programme national en cours d'élaboration. Le contrat de filière, de nature interministérielle, a été signé le 16 décembre dernier par quatre ministres ; la stratégie sera déclinée en région. Le Gouvernement, bien entendu, reste ouvert à toutes les suggestions et il examinera vos propositions. Il me faudrait plus de deux minutes pour y répondre ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Houpert.  - Nous souhaitons un choc de simplification sur la gouvernance et un contrat de filière plus orienté sur l'aval, pour des produits bois transformés made in France. (Applaudissements à droite)

M. Alain Bertrand .  - Des rapports en pagaille le disent : la filière bois est une filière d'avenir. La forêt lozérienne recèle des cèpes, des bécasses ; elle représente également 2 000 emplois. Notre filière locale est assez bien structurée, la majorité des coupes sont transformées sur place. Mais il reste des progrès à faire : à la fin des années 1990, 8 % des bois étaient utilisés pour le chauffage, 67 % pour la première transformation, 16 % seulement pour la seconde transformation. Aujourd'hui, ce pourcentage est monté à 20 % et devrait atteindre 30 % en 2030. Tant mieux car c'est là qu'est le gisement d'emplois pour nos territoires forestiers et hyper-ruraux.

Hélas, le fonds forestier national n'existe plus. Quelles aides le Gouvernement va-t-il apporter à la filière seconde transformation ? Le bois de construction se raréfie, faute de replanter suffisamment. Quelle est la stratégie du Gouvernement pour nos départements ? (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État.  - Outre le contrat de filière stratégique, signé par quatre ministres, il existe une large gamme d'actions. Nous nous penchons sur les outils de pilotage, la structuration du segment industriel, la compétitivité par l'innovation, le marketing, le design, l'offre de première transformation, la sécurité d'approvisionnement. Le Fonds bois II est en cours de constitution. La participation de la BPI, de 25 millions d'euros, est déjà acquise. Un nouveau fonds stratégique pour la forêt sera doté de 30 millions à terme, à quoi s'ajoute l'extension du Fonds chaleur au bois énergie, avec 30 millions en 2015.

M. Alain Bertrand.  - Merci de ces précisions. J'aimerais que les préfets soient les chefs d'orchestre de cette stratégie sur notre territoire et organisent pour nos entrepreneurs, qui sont un peu perdus, une sorte de guichet unique. Nous disposerions enfin de toutes les cordes à notre arc pour développer la forêt. (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)

M. Joël Labbé .  - La forêt représente un gisement de biodiversité. Le rapport de nos collègues pose les bons diagnostics mais s'en tient à une approche comptable. Or il est grand temps de considérer à nouveau la forêt comme un bien vivant, dans tous ses aspects, y compris environnemental. Cessons-en avec les coupes à blanc qui aboutissent à une destruction des sols. La forêt et ses sols, s'ils sont gérés durablement, peuvent compenser les émissions de carbone. L'objectif 4 pour 1 000 vise précisément à améliorer les stocks de matières organiques dans le sol pour absorber la totalité des émissions mondiales.

Quelle est la position du Gouvernement pour garantir les aménités environnementales en termes de biodiversité et de stockage de carbone dans les sols ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État.  - Rassurez-vous, les fonctions environnementales et récréatives de la forêt ne sont pas perdues de vue. Je vous renvoie au programme national de la forêt et du bois. La gestion durable, comme le reboisement, est au coeur de nos préoccupations. Cependant, seules la chasse et la coupe de bois fournissent aujourd'hui des recettes qui permettent aux propriétaires d'entretenir et faire vivre la forêt. Je signale à ce propos que la coupe rase ou à blanc ne détruit pas la biodiversité, si elle est faite correctement.

Vous avez mentionné le programme de recherche-action international que M. Le Foll a lancé, « 4 pour 1 000 », dans l'optique de la COP 21, afin de développer le stockage de carbone dans les sols grâce à une meilleure teneur en matières organiques. Nous sommes soucieux à la fois d'une valorisation d'un patrimoine sous-exploité et de la préservation de la biodiversité.

M. Joël Labbé.  - On aurait pu aussi évoquer l'entretien des haies, l'agroforesterie et les forêts primaires. La forêt, dans son silence et son immense mystère, nous rappelle ce que sont patience et longueur de temps. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - C'est du Baudelaire !

Mme Françoise Cartron .  - Le Gouvernement n'a pas attendu pour agir. La loi d'avenir a renouvelé la gouvernance forestière. Le programme national de la forêt et du bois redynamisera la gestion de la forêt privé, il sera finalisé prochainement.

Toutefois, j'ai été interpellée hier sur le sort des petites scieries en Gironde et dans les Landes. Leurs capacités sont limitées face aux grands papetiers internationaux. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État.  - Depuis trente ans, la scierie française a perdu 3 500 unités, surtout pour les feuillus. Absence de repreneurs, contraintes administratives... Les scieries artisanales restent majoritaires mais seulement pour 6 % de la production. Les artisans tirent leur épingle du jeu en proposant du sur-mesure aux artisans, aux particuliers, aux négoces de ville. Soutenons-le avec des allégements de charges -c'est le but du CICE- et l'incitation à la contractualisation avec des entreprises de transformation. Le contrat de filière promeut les médiateurs pour faciliter ces rapprochements.

Oui, le Gouvernement est mobilisé pour soutenir les scieries françaises. C'est une nécessité pour nos territoires et notre économie de proximité.

Mme Françoise Cartron.  - La fin de l'exploitation des bois de tempête entraîne un déséquilibre entre l'offre et la demande, avec un renchérissement du coût du bois qui déstabilise les petites scieries. Oui, il faut soutenir les scieries artisanales, indispensables à nos territoires. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Le Scouarnec .  - Ces dernières années, la forêt est devenue une valeur refuge, un objet de spéculation, même, suscitant les appétits des investisseurs privés -fonds de pension américains, chinois. Les résineux sont particulièrement recherchés, par exemple les Douglas, à forte rentabilité. Une nomenclature des résineux se développe au détriment de la biodiversité. Le droit de préemption ne s'applique qu'à partir de quatre hectares. Résultat, notre forêt privée continue de se morceler. L'État doit cesser de se désengager de l'ONF. Quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour éviter que cette richesse nationale soit accaparée par le grand commerce international et pour assurer la multifonctionnalité de notre forêt ? (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État.  - La gestion durable de la forêt est le socle de notre politique. Les prélèvements sont seulement de 40 à 50 %, de 20 à 30 % pour la forêt privée. C'est dire l'importance de notre capital forestier. Cependant, la forêt est un patrimoine commun qu'il faut préserver de la spéculation.

M. Michel Le Scouarnec.  - Un des premiers éléments de réponse à la spéculation est de renforcer l'information des communes, le droit de préemption des riverains, des communes et des Safer, ainsi que les contrôles.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - En août dernier, l'État a unilatéralement remis en cause le contrat d'objectifs et de performance (COP) le liant à l'ONF, renchérissant la participation pesant sur les communes forestières, de 2 à 4 euros, et les frais de garderie, de 12 à 18 %. Les discussions sont dans l'impasse. Le Gouvernement a désigné un intérimaire à la tête de l'Office, pour gérer les discussions... Trop, c'est trop. Les communes sont prêtes à fournir des efforts, mais l'ONF doit revoir ses dépenses de fonctionnement, comme l'y invite la Cour des comptes - sa masse salariale explose de 10 millions d'euros alors que 475 ETP ont été supprimés ces dernières années.

À la veille de la COP 21, faisons de l'ONF un outil moderne, garant d'une gestion durable et multifonctionnelle de la forêt. À quand un nouveau contrat respectueux des moyens financiers des collectivités ? (Applaudissements au centre.)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État.  - Je réaffirme l'attachement du Gouvernement à notre régime forestier. La forêt publique représente un quart de la forêt française, mais l'ONF commercialise 40 % du volume de bois. Les communes forestières participaient à son financement à hauteur de 15 % en 2013, via les frais de garderie, et la contribution de 2 euros par hectare. L'objectif de réduction du déficit public a entraîné une augmentation de la contribution ; la forte opposition des communes forestières a conduit à anticiper la fin du COP. En 2015, l'ONF intègrera la baisse de 15 millions d'euros prévue. L'Office a déjà fourni beaucoup d'efforts, je veux le souligner. Les travaux sur le COP 2016-2020 sont engagés, les communes forestières y participent.

Mme Anne-Catherine Loisier.  - Cette réponse est encourageante. L'Office et les communes ont tout intérêt à trouver un accord pour optimiser l'exploitation de cette formidable richesse qu'est la forêt française, quatrième forêt européenne en surface, troisième en volume de bois sur pied. (Applaudissements au centre)

M. Jean-Claude Leroy .  - Je salue l'excellent rapport de la commission des finances et celui de la Cour des comptes, établi à la demande de notre groupe d'études « forêt et filière bois ». Notre forêt est déficitaire en résineux ; on accuse à tort la filière bois alors que c'est une constante.

Autre évidence, la forêt française ne coûte pas cher. On lui donne à peine 900 millions et non les milliards que certains évoquent ! Allez-vous doter le fonds stratégique de la forêt et du bois des 100 à 120 millions d'euros par an qui lui sont indispensables ? Actuellement, vous mobilisez péniblement 30 millions dans le budget actuel, pour les 5 millions d'hectares de la forêt française. (Applaudissements à droite)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement a pris pleinement conscience des enjeux de la forêt français, son action le prouve : une gouvernance améliorée, l'interministérialité et des crédits budgétaires pour le soutien stratégique. Le fonds bois II est déjà assuré de disposer d'une enveloppe de 25 millions. Le fonds stratégique sera doté de 30 millions, auxquels s'ajouteront 30 millions de fonds chaleur pour le bois énergie. Le compte d'investissement forestier comprend des incitations fiscales, sans oublier le FEDEAR.

M. Jean-Claude Leroy.  - Je reconnais la bonne volonté du Gouvernement. Mais c'est du bricolage. Il nous faut l'assurance, pour les dix prochaines années, de disposer de 100 à 150 millions d'euros par an. Nous demandons un financement pérenne pour la forêt. (Applaudissements)

M. Yannick Botrel .  - La commission des finances a remis un rapport après l'enquête qu'elle avait demandé à la Cour des comptes sur les financements publics de soutien à la forêt française. Comment en terminer avec le saupoudrage ? Comment redresser notre balance commerciale ?

Certains de nos développements sur le bois énergie ont été mal compris ; nous avons simplement dénoncé les tensions à l'oeuvre dans d'autres segments de la filière, du fait de ce soutien au bois énergie. L'État entend-il mieux répartir son soutien à la filière ? Comment améliorer la gouvernance ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État.  - La loi de modernisation et d'avenir de l'agriculture et de la forêt répond à vos attentes. Le programme national de la forêt et du bois se déclinera en région.

L'initiative conjointe avec l'Ademe sur le bois énergie connaît un franc succès : l'AMI a suscité 60 millions d'euros de projets identifiés. Les commissions régionales forêt-bois seront redéfinies, pour élargir leurs compétences aux acteurs aval de la filière. L'investissement d'un gouvernement n'a jamais été aussi intense depuis dix ans. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Yannick Botrel.  - Le rapport portait sur la période avant 2013. Cependant, il faut agir. La filière bois et emballage léger, depuis quinze ans, est en recul. Sur la gouvernance, un chef d'orchestre s'impose pour éviter la cacophonie. Cinq ministères, c'est trop ! Le Gouvernement est attendu sur ce point.

M. Henri Cabanel .  - Le 22 avril dernier, le ministre Le Foll a réuni pour la cinquième fois le Comité national forestier, pour co-rédiger le programme national.

À mi-parcours, l'initiative « 100 constructions par bois » connaît un grand succès. Je l'ai vu dans l'Hérault. La filière bois figure parmi les filières d'avenir. Comment encourager l'utilisation du bois pour construire du logement social ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Carole Delga, secrétaire d'État.  - La construction en bois est essentielle. Le secteur privé nous y aide avec un label « bois français ». Cependant, le Gouvernement ne peut l'aider directement. Le décret de 2010 sur les seuils minimum d'incorporation du bois dans la construction a été censuré par le Conseil constitutionnel. La solution est plutôt d'organiser l'offre. C'est ce que nous faisons à travers le contrôle stratégique et le plan de Nouvelle France industrielle. L'enjeu est aussi d'éviter que le développement des constructions en bois ne favorise le bois de construction importé.

Chateaubriand affirmait que « les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent ». Nous voulons, nous, que la forêt et les peuples puissent cohabiter. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Henri Cabanel.  - Le coût de la construction bois a diminué, la puissance publique doit donner l'exemple. Les bailleurs sociaux demeurent trop frileux.