Dialogue social et emploi (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au dialogue social et à l'emploi.

Explications de vote

M. Jean Desessard .  - (Mouvements divers à droite) Après une semaine de débats, que reste-t-il de ce projet de loi ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Plus d'ambition !

M. Jean Desessard.  - Le Gouvernement proposait un équilibre, mais la majorité sénatoriale en a revendiqué un autre. En matière de dialogue social, y a-t-il un équilibre de droite et un autre de gauche ? (Marques d'approbation à droite) Je me demande alors où est l'équilibre pour les communistes et pour les écologistes...

Nous n'étions pas d'accord avec toutes les dispositions du texte initial, en particulier avec le regroupement du comité d'entreprise et du CHSCT, dont les missions diffèrent, qui risque de mettre en danger le rôle du lanceur d'alerte du CHSCT.

Mais la majorité sénatoriale a dévoilé sa vision du dialogue social, limité aux employés des grandes entreprises.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Plus de souplesse !

M. Jean Desessard.  - Même le timide article premier, qui créait les commissions paritaires régionales interprofessionnelles, la majorité sénatoriale n'en a pas voulu.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Il est inefficace !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - C'est la gauche qui l'a supprimé !

M. Jean Desessard.  - Le dialogue social pour la droite, c'est nier les évolutions du monde du travail. Elle a également supprimé la reconnaissance des pathologies psychiques comme le burn-out en maladie professionnelle.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est de la com !

M. Jean Desessard.  - Pour vous, le stress au travail est lié à l'hygiène de vie de l'individu, non aux conditions de travail : c'est un choix idéologique et rétrograde.

Vous avez supprimé le compte personnel d'activité, alors que le texte du Gouvernement prévoyait seulement des négociations entre patronat et syndicats. Nous déplorons votre opposition de principe aux droits rechargeables.

Quelques petites avancées doivent être reconnues (Exclamations à droite), par exemple l'élargissement du renouvellement des contrats aidés pour les séniors ou les dispositions facilitant l'insertion des personnes sous main de justice. Dans le dossier des intermittents du spectacle et à l'initiative de Mmes Blandin et Bouchoux, le cadre financier des négociations imposé par le niveau interprofessionnel a été clarifié et le rapport sur la situation des matermittentes rétabli.

Mais le compte n'y est pas. Votre texte penche nettement en faveur des employeurs, oubliant les salariés. Le groupe écologiste votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste ; on feint la déception à droite)

Mme Annie David .  - Vous avez avancé, monsieur le ministre, que votre projet de loi comportait de nombreuses avancées en faveur des salariés. Pourquoi donc la majorité des syndicats le refusent-ils ? Pourquoi les négociations entre partenaires sociaux ont-elles échoué ? Sans doute parce que le texte n'est pas favorable au dialogue social au sens où l'entendent les salariés...

Outre l'extension de la délégation unique du personnel (DUP), la fusion du CHSCT avec le comité d'entreprise fait fi de l'expertise des CHSCT et de chacune des instances représentatives du personnel (IRP). Sans doute voulez-vous éloigner les représentants de leurs collègues, pour mieux dire ensuite qu'ils ne sont pas représentatifs... Les CHSCT, depuis 1982 et par la volonté de M. Auroux, sont chargés des conditions de travail, pour que les usines ne soient plus « le lieu du bruit des machines et du silence des hommes ». L'avez-vous oublié ? Vous avez aussi reculé sur le compte pénibilité et vous vous êtes attaqué à la médecine du travail. Le regroupement des négociations en trois moments réduira le temps et l'attention accordés à chaque sujet, au premier rang desquels l'égalité professionnelle.

En ces temps de chômage, il faudrait au contraire renforcer les IRP, pour favoriser un dialogue social à la hauteur des enjeux actuels. Vous autorisez deux renouvellements des CDD, qui plus est par amendement déposé au Sénat - les députés ne pourront en débattre.

Les rares avancées - statut des intermittents, prime d'activité - mais avec quel budget ? - , évolution de carrière des représentants syndicaux - ont été remises en cause par la majorité sénatoriale, à commencer par les commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l'article premier. Les entreprises pourront supprimer le comité d'entreprise dès que le nombre de leurs salariés passera sous la barre de cinquante, mais pourront attendre plusieurs années pour en mettre un en place si cette barre est franchie.

La majorité sénatoriale a aussi relevé la durée maximale des CDD, remis en cause la désignation par les syndicats des candidats au premier tour des élections des délégués du personnel et au comité d'entreprise, qui est pourtant un gage d'indépendance.

Nos amendements sur l'égalité professionnelle ont été rejetés, alors que le texte marque un recul dans ce domaine, de même que celui demandant la création de commissions paritaires départementales. Seuls deux de nos propositions ont été retenues : sur la qualification de l'agissement sexiste et sur le statut des intermittents du spectacle.

En cette période terrible de chômage et de chantage à l'emploi, le Gouvernement et la droite continuent de penser que ce qui bloque l'économie, ce sont les protections accordées aux salariés. Cela me désole. D'aucuns considèrent encore que le code du travail est obèse. (Eh oui ! à droite) Seul le dialogue social peut enrayer la logique court-termiste du marché. Je pourrais vous citer de multiples exemples de propositions constructives faites par les organisations syndicales, comme chez Fralib ou encre chez Ecopla et Arjo Wiggins, deux entreprises en lutte en Isère contre des projets de délocalisation de leurs directions, plus avides de dividende que de maintien de l'emploi.

Le groupe CRC votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste)

Mme Françoise Laborde .  - Le 25 février, le Premier ministre déclarait que le dialogue social était vital pour les salariés et les entreprises, donc pour l'économie française. Les relations sociales sont un facteur de réussite à tous les niveaux de l'entreprise, elles ont un impact sur la performance des entreprises comme sur les conditions de travail. C'est un levier de régulation et d'adhésion au projet collectif de l'entreprise.

Vous l'avez dit, monsieur le ministre, ce projet de loi ambitieux vise à renforcer la démocratie sociale et à créer un cadre favorable à l'emploi. Il contient de vrais progrès sociaux pour les salariés comme pour les employeurs. Je pense aux commissions régionales interprofessionnelles, qui permettront aux entreprises de moins de onze salariés de disposer d'une représentation adaptée à leur taille.

Ces commissions ont fait leur preuve dans l'artisanat. Salariés et employeurs des petites entreprises pourront ainsi faire entendre leur voix, conformément au préambule de la Constitution de 1946. Hélas, la grande majorité du RDSE a dû voter contre parce que la commission a ramené cette obligation a une simple faculté, subordonnée à un accord interprofessionnel. Le Sénat a aussi rejeté le rôle de médiation des CPRI.

Le Gouvernement voulait sécuriser les parcours professionnels par la création d'un compte personnel d'activité. Je m'étonne que la majorité sénatoriale refuse cet outil simple et lisible, par lequel les salariés auraient conservé leurs droits tout au long de leur vie professionnelle ; c'était un outil adapté à l'évolution de carrières qui ne se déroulent plus majoritairement dans une seule entreprise.

Les commissions paritaires de branche ne fonctionnent pas toujours très bien, mais certaines expériences sont très positives, dans le bâtiment par exemple. Les partenaires sociaux y sont attachés. Nous les avons rétablies.

Nous ne pouvions plus ignorer la situation des matermittentes, privées de tout revenu pendant leur congé de maternité ; je me réjouis donc que la demande d'un rapport sur le phénomène ait été accueillie favorablement. La nouvelle prime d'activité est aussi une avancée.

Je regrette que nous n'ayons pas su nous rassembler autour d'un texte porteur de progrès social. L'ensemble du groupe RDSE s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Marc Gabouty .  - Le dialogue social n'est pas un exercice de style ni une fin en soi, mais le moyen d'organiser les conditions de travail dans le respect des salariés comme de l'impératif de performance de l'entreprise.

Le texte du Gouvernement avait été rigidifié à l'Assemblée nationale. Grâce aux améliorations apportées par la commission et le Sénat, il va dans un sens plus favorable. Nous avons privilégié la simplification et la souplesse nécessaires au bon fonctionnement des entreprises, notamment des plus petites.

Le compte personnel d'activité, dont le principe est intéressant, méritait une concertation et une expérimentation préalable.

Les causes du burn-out sont multiples ; tous les maux de notre société ne peuvent être attribués aux entreprises...

La prime d'activité est une initiative heureuse, malgré l'enveloppe constante à hauteur de 4,1 milliards. Saluons aussi la souplesse mise à la création de la DUP.

Le groupe UDI-UC, notamment à l'initiative de Mmes Jouanno et Gatel, de MM. Kern et Cadic, a permis des améliorations. Nous avons rejeté la proposition confuse du Gouvernement de déterminer la représentativité des organisations professionnelles en fonction du nombre de salariés exclusivement, sans aucune pondération.

Les commissions paritaires régionales interprofessionnelles resteront possibles, mais non obligatoires, et elles n'auront pas de rôle de médiation. La majorité sénatoriale pourrait accepter le rétablissement de l'article premier dans sa rédaction.

Globalement favorables à ce texte, nous le voterons. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Pascale Gruny .  - Le groupe Les Républicains votera le projet de loi issu de nos débats, qui a d'abord évité certains excès. Notre rapporteur s'est ainsi attaché à retrouver l'équilibre entre les droits des salariés et les impératifs économiques des entreprises. Ont été retoqués l'élargissement du champ des administrateurs salariés, la présence des suppléants aux réunions des délégués du personnel, les vingt heures de formation obligatoires et la parité sur les listes électorales.

Notre groupe se félicite de la suppression du pouvoir de médiation et d'intrusion des CPRI. Les entreprises auraient également été obligées d'accorder cinq heures de délégation, pour un coût non négligeable et un résultat incertain. Dans les petites entreprises, des échanges directs sont possibles entre employeurs et employés. La création de ces commissions serait la porte ouverte à tous les excès.

Le texte n'est pas exempt de contradictions. Pourquoi par exemple toutes ces nouvelles contraintes pour les entreprises, alors que le Gouvernement reconnait les difficultés de celles-ci ? Il a offert des gages à sa majorité chancelante, avec la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle ou l'accroissement des contrats aidés pour les seniors.

Malgré le souhait du président de la République désireux de lever certains verrous et de réduire les effets de seuil, le Gouvernement a vite écarté la question. Réduire la fréquence des réunions des partenaires sociaux ne suffira pas... Nous avons voté un lissage adapté à la taille des entreprises, que nous proposerons à nouveau dans le cadre du projet de loi Macron.

Alors que le taux de chômage a encore augmenté de 0,5 % en mai, il faut agir, engager des réformes de fond. Nous souhaitons que chacun prenne ses responsabilités en CMP, ce soir. Dans cet esprit constructif, nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Patricia Schillinger .  - Je salue le travail accompli par M. le ministre qui a toujours recherché l'équilibre entre les souhaits exprimés par les employeurs, les salariés et cette assemblée.

Hélas, le Sénat a rejeté la création des CPRI par la loi, ce qui était une avancée pour les salariés des TPE, mais aussi pour les entreprises. Ces commissions paritaires sont un succès dans l'artisanat ou encore dans l'agriculture. Les amendements adoptés ont abouti à un véritable recul.

Le groupe socialiste ne peut donc que s'abstenir. La majorité sénatoriale a une vision négative du dialogue social, qui est pourtant un gage d'efficacité : depuis la loi de 2013, les plans sociaux conflictuels sont passés de 30 % à 8 %.

En Europe du Nord, comme en Allemagne, la participation des salariés au conseil d'administration des entreprises est vue comme une plus-value, non une contrainte. Faites preuve de modernité, chers collègues de la majorité... (M. Éric Doligé s'exclame) dans le droit fil des objectifs de la Commission européenne.

Les initiatives de la majorité ont dénaturé le texte, par exemple sur le regroupement des IRP dès 50 salariés - le Gouvernement avait choisi 300, ce qui permettait de distinguer petites et moyennes entreprises. La suppression du monopole syndical pour la désignation des candidats au premier tour est un recul, comme l'est la limitation du recours aux expertises par le comité d'entreprise. Le report au 1er janvier 2018 de la mise en oeuvre du compte pénibilité ne s'imposait pas. Le refus de la parité sur les listes aux élections professionnelles, celui de la reconnaissance du burn-out témoignent de votre hostilité au progrès social.

M. Éric Doligé.  - Occupez-vous plutôt d'obtenir des résultats sur le front de l'emploi !

Mme Patricia Schillinger.  - Une partie de la droite s'est obstinée à détricoter le texte. Les élus suppléants ne pourront plus siéger aux réunions ; la création de la DUP a été assouplie ; des candidats non désignés par les syndicats pourront se présenter aux élections professionnelles. Vous ne vous êtes pas souciés de préserver l'équilibre politique trouvé.

M. Philippe Bas.  - Quel équilibre ?

Mme Patricia Schillinger.  - Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Scrutin public solennel

M. le président.  - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi.

Ce scrutin aura lieu en salle des conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l'Instruction générale du Bureau. Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert.

La séance, suspendue à 15 h 15, reprend à 15 h 50.

M. le président.  - Je remercie nos collègues, Mmes Colette Mélot, Catherine Tasca et M. Philippe Nachbar, secrétaires du Sénat, qui ont supervisé le scrutin. (Applaudissements)

Voici le résultat du scrutin n°221 sur l'ensemble du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 217
Pour l'adoption 181
Contre    36

Le Sénat a adopté le projet de loi.

Intervention du Gouvernement

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social .  - Je remercie l'ensemble des sénateurs pour leur implication, et tout particulièrement Mme la rapporteure avec qui, malgré des divergences de fond que nous n'avons d'ailleurs pas niées, nous avons eu un dialogue constructif - ce qui s'impose pour un projet de loi qui porte précisément sur le dialogue social.

Il est inutile, dépassé et stérile d'opposer les intérêts des salariés et des entreprises. Les deux se complètent pour construire la France de demain. Le débat a fait avancer le texte et l'a enrichi sur l'apprentissage et le CDD ainsi que par des mesures qui déclinent le plan pour les TPE-PME présenté par le Premier ministre le 9 juin. Vous avez également soulevé des questions sur l'accès aux locaux des TPE, la présence des salariés suppléants dans les instances et le CDI pour les intérimaires. Je souhaite les retravailler au cours de la navette.

Restent quatre points de divergence.

D'abord, la suppression de l'article premier : les commissions paritaires régionales ne sont pas un moyen d'ingérence dans l'entreprise quoi qu'en disent certains. Sans cela, l'UPA n'en aurait pas créé. La parité aux élections professionnelles ensuite. Puis la place des organisations professionnelles dans la négociation ; nous voulons renforcer les syndicats pour en faire l'acteur légitime et incontournable du dialogue social. Enfin, la suppression du compte pénibilité. Je regrette également les reculs incontestables sur la présence des salariés au sein des conseils d'administration, la reconnaissance du burn-out et la pénibilité. Nous reviendrons là-dessus.

Je retiens l'esprit de dialogue qui a présidé à nos échanges. Le texte fera progresser la démocratie dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certains bancs du centre et de la droite)

La séance est suspendue à 15 h 55.

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

Secrétaires : M. Philippe Nachbar, Mme Catherine Tasca.

La séance reprend à 16 heures.