Service public de l'éducation

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission d'enquête .  - Le 1er juillet, la commission d'enquête m'a fait l'honneur d'adopter mon rapport. Les problèmes et difficultés sont connus depuis longtemps, mais se heurtent à un déni.

Les événements de janvier ont révélé l'ampleur des problèmes : le nombre des contestations de la minute de silence a été sous-évalué quand on a parlé d'une ou deux centaines. On était sans doute plus proche de l'ordre de grandeur quand, le 2 juin, la ministre de l'Éducation nationale a parlé de 816 signalements de radicalisation. Ces contestations étaient sans doute révélatrices d'une profonde incompréhension ; la compassion ne se décrète pas. Il aurait été bon que cette minute de silence fût précédée d'une heure de parole ! Ces événements ainsi que les faits de radicalisation recensés, témoignent d'un malaise profond dont parlait déjà le rapport Obin il y a dix ans.

Le sentiment d'appartenance se délite. De quelles valeurs doit-on parler ? J'ai retenu les termes de valeurs républicaines, laïcité, neutralité du service public de l'éducation, égalité de tous sans considération religieuse ou d'origine, et en particulier des sexes, valorisation du savoir, importance de la communauté éducative, respect des enseignants. La laïcité est la première de ces valeurs.

Il nous faut reconnaître que certains peinent à se reconnaître comme membres de la communauté nationale. Ils s'identifient d'abord à leur quartier, leur groupe ethnique ou religieux, leur nation d'origine. Il est vrai que la précarité des conditions de vie dans les quartiers ne facilite pas le sentiment d'appartenance, tandis que la contestation de l'autorité et la généralisation du relativisme vont de pair avec la circulation des théories du complot.

Cette perte de repères est due à un certain nombre de fragilités structurelles. Un pourcentage considérable d'élèves ne maîtrisent pas les fondamentaux en classe de sixième. Comment imaginer transmettre des valeurs si les élèves ne comprennent pas convenablement la langue ?

Il faudrait pour le moins que l'élève maîtrise suffisamment le français au CM2 pour pouvoir être admis en sixième. L'école de la République doit pouvoir pratiquer tranquillement ses valeurs, notamment par des rites républicains propres à favoriser le sentiment d'adhésion. La formation continue des enseignants, en totale déshérence, est à renforcer. Il ne s'agit pas d'inculquer un catéchisme laïque, mais de donner des repères, en associant les parents car l'éducation ne s'arrête pas à la porte de l'école.

Nous n'avons pas proposé de revenir sur la loi du 8 juillet 2013, qui doit d'abord trouver à mieux s'appliquer. Mais sur un sujet aussi important, le débat doit se poursuivre, en particulier au Parlement - nous aurions d'ailleurs aimé en discuter ce soir avec la ministre elle-même.

Mes propositions s'articulent autour de quatre axes : favoriser l'adhésion de tous aux valeurs de citoyenneté, restaurer l'autorité des enseignants, responsabiliser les acteurs, renforcer la maîtrise du français.

J'ai déposé une proposition de loi, cosignée par trente collègues, tendant à renforcer les signes républicains. Il s'agit en particulier d'interdire le port de vêtements indiquant une appartenance religieuse, y compris aux parents lorsque les circonstances les amènent à participer à la tâche éducative, par exemple en encadrant une sortie scolaire. Nous souhaitons également moduler les allocations familiales pour lutter contre l'absentéisme scolaire.

Comme l'a dit Régis Debray, l'école doit être caractérisée par une enceinte et par un règlement. (Applaudissements à droite)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture .  - Je remercie le rapporteur pour son travail. Mme Laborde, qui présidait cette commission d'enquête, ne peut être des nôtres ce soir, retenue qu'elle est par un engagement impératif pris avant l'inscription à l'ordre du jour de ce débat auquel elle aurait aimé participer. Je sais gré à la commission d'enquête d'avoir présenté le résultat de ses travaux à la commission de la culture. Je serai attentive, en tant que présidente, au débat qui va suivre, qui orientera à n'en pas douter nos travaux des prochaines semaines.

M. David Rachline .  - Mme le président, je veux saluer le travail de la commission d'enquête tout en m'interrogeant : pourquoi la droite n'a-t-elle pas mis en oeuvre ces belles préconisations lorsqu'elle était au Gouvernement. Elles vont en effet dans le bon sens, c'est-à-dire à rebours de cet esprit libertaire soixante-huitard dont je vois ici des représentants patentés.

Comme le dit François-Xavier Bellamy, jeune professeur de philosophie, l'école a un rôle de transmetteur, de passeur. Transmettre la culture, c'est-à-dire aussi notre histoire qui n'a pas commencé en 1789, voire en 1793 comme le voudrait la gauche.

Vous faites le constat que la société va mal et que la décadence de l'école depuis des décennies y porte une large responsabilité, vous constatez que de jeunes Français, convertis, partent faire la guerre en Syrie contre nos valeurs, alors même qu'ils ont été formés, pour ne pas dire déformés par nos écoles. (Exclamations à gauche) Vous ne leur avez jamais proposé de s'inscrire dans le roman national, vous ne leur avez jamais proposé de héros, vous ne leur avez jamais proposé d'idéal, le dépassement de soi, bref vous ne leur avez jamais proposé de transcendance !

Le débat de ce jour est révélateur d'une vraie prise de conscience dont je me réjouis. Les dernières réformes se sont concentrées sur la forme, sur les rythmes scolaires, insuffisamment sur le fond, c'est regrettable. J'espère que vos préconisations trouveront un écho en pratique.

M. François Fortassin .  - Mon intervention aura une tonalité légèrement différente. (On s'en félicite à gauche)

M. David Rachline.  - Je n'en doute pas !

M. François Fortassin.  - Je suis un enfant de l'école publique. Les valeurs sont essentielles, je crois, pour former des citoyens - ce qui ne veut pas dire que l'école ne doit pas évoluer.

Je regrette l'absence de Mme Laborde, retenue de longue date dans son département. Elle me charge de vous dire sa satisfaction de voir ce débat se tenir. La commission d'enquête a rencontré de nombreux acteurs et a tiré parti d'une certaine libération de la parole.

Un ancien ministre auditionné nous a dit l'importance qu'il attachait à la simplicité des programmes ; or il a préfacé un ouvrage pédagogique dans lequel la description d'enfants jouant au rugby dans une cour de récréation évoque un objet au « rebond aléatoire dans un espace interstitiel de liberté ». (Sourires)

M. Jacques Grosperrin.  - Vive les pédagogues !

M. François Fortassin.  - Laïque jusqu'au bout des ongles, et ancien professeur d'histoire-géographie, je reste convaincu des bénéfices d'un enseignement conforme au principe de laïcité.

L'école ne peut résoudre tous les problèmes de notre société. Mais elle doit respecter les particularités de chacun, tout en contribuant à réduire les inégalités : chaque établissement même a ses spécificités.

Le groupe RDSE estime que la citoyenneté doit être l'axe majeur de toute réforme de notre système éducatif.

Mme Françoise Férat .  - Madame la ministre, je suis ravie de vous voir à ce banc ; en d'autres temps, nous aurions pu discuter d'artisanat, de petits commerces - sujets que je connais assez bien... Je regrette, vous l'avez compris, l'absence de la ministre.

Saluons le travail de nos collègues de la commission d'enquête, qui ont résisté aux attaques et aux critiques. Certains ont trouvé l'occasion de polémiquer. Des journalistes nous ont qualifiés de vieux sénateurs réactionnaires, éloignés du terrain : je le regrette (M. David Assouline ironise) car les attentats de janvier ont ravivé l'urgence de ces questions. On nous a accusés de faire de la récupération politique.

M. David Assouline.  - C'est juste. Et maintenant, le FN fait de la récupération à son tour...

Mme Françoise Férat.  - Allons ! La politique de l'autruche serait donc préférable ? J'ai beaucoup de mal avec la politique politicienne. Les évènements récents devraient pourtant accélérer la nécessaire prise de conscience. La compréhension de la laïcité est au coeur du sujet. Tous les établissements ne sont certes pas concernés.

M. David Assouline.  - Dans le XVIe arrondissement, il n'y a pas de problème !

Mme Françoise Férat.  - Les incidents relatifs à la minute de silence sont une réalité qu'on ne peut occulter. Les enseignants n'ont pas toujours su comment réagir. Après les attaques du 11 septembre 2001 et les attentats de Mohammed Merah, ce type d'incidents s'étaient déjà produits. Il nous faut trouver pourquoi ces jeunes ne se sentent pas membres de notre société. Pour cela, travaillons ensemble. Il était donc opportun de créer cette commission.

Le Gouvernement lui-même a pris le problème au sérieux, lançant des initiatives utiles, y compris au sein de l'enseignement agricole - auquel je suis très attachée.

Premier axe de nos réflexions : favoriser le sentiment d'appartenance et l'adhésion à la citoyenneté. Deuxième axe : renforcer l'autorité des enseignants. Troisième axe : mettre l'accent sur la maîtrise du français. Enfin, responsabiliser les acteurs qui tous ont vocation à renforcer le lien social autour de l'école.

Des initiatives de terrain vont déjà dans ce sens. Ainsi, dans la Marne, nous avons ouvert dans les écoles des espaces numériques de travail, lieux d'échanges entre les enseignants et les familles.

Nous ne sommes pas tous d'accord sur les solutions à adopter et le débat reste utile. Notre commission d'enquête n'a voulu stigmatiser personne. Il nous faudra agir autrement, mais ensemble.

M. Patrick Abate .  - La commission d'enquête voulue par la droite heurtait d'emblée un écueil : définir son objectif. Sur 65 000 établissements scolaires, quelques centaines de contestations de la minute de silence seulement ont eu lieu.

La commission d'enquête s'est ainsi lancée dans la défense d'une laïcité exclusive, en profitant pour faire des préconisations hors sujet, comme la modulation des allocations familiales. Certaines de ses propositions sont de bon sens, et ne nécessitent pas de légiférer en grande pompe ; d'autres risquent de nous mener à une guerre de tranchées.

Le rejet de ce rapport n'est pas une manifestation supplémentaire du mammouth scolaire, incapable de se réformer. Car l'école peut se réformer, si elle conforte ses bienfaits. L'instauration de rites républicains par exemple, semble parfaitement contre-productive, de même que le rétablissement factice de l'autorité. Les coups de règle sur les doigts en font rêver certains, semble-t-il...

Les attaques de la droite n'ont cessé de mettre à mal l'égalité républicaine - mise en concurrence des établissements, RGPP, réforme de la carte scolaire - et ont vidé l'école de sa valeur émancipatrice. La politique actuelle va dans le bon sens, sans pour autant aller assez loin puisqu'elle ne remédie pas au manque de moyens criant de notre école.

Le présent rapport est tout aussi insuffisant, qui s'inspire d'un modèle hérité de la IIIe République et refuse de comprendre le comportement de nos jeunes.

Camille Peugny écrit dans Le destin au berceau que sept enfants de cadres sur dix obtiennent un emploi d'encadrement, et sept enfants d'ouvriers sur dix, un emploi d'exécution.

Plutôt qu'une minute de silence, il aurait fallu instaurer une journée de parole ! Qui peut dire en effet, si une minute de silence est respectée parce qu'elle est comprise ou, au contraire, imposée ?

L'école devra permettre à tous ses enfants de prendre racine, de se nourrir et de grandir en puisant dans le sel de son histoire. Nous en sommes loin ; le groupe CRC ne soutient pas le rapport de la commission d'enquête. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques-Bernard Magner .  - Nous nous sommes opposés à la création à chaud, après les attentats, de cette commission d'enquête. Nous y avons vu un facteur de méfiance et une tentative d'instrumentalisation. Certaines personnes ont refusé d'être auditionnées : une première ! Françoise Laborde a d'ailleurs reconnu qu'elle n'actionnerait pas les pouvoirs que lui donnait la commission d'enquête. Le Gouvernement, lui, a lancé des initiatives visant à remédier à la confusion des esprits.

Les maux de notre société seraient entrés dans l'école, déplore le rapport. Mais qui a mis sous le boisseau le rapport Obin de 2004 ? Qui a fermé les yeux ? C'est au contraire Vincent Peillon qui a décidé la publication de tous les rapports antérieurs. La casse de la formation des enseignants a été catastrophique, et la suppression de 80 000 postes lourde de conséquences... Toutes mesures sur lesquelles le Gouvernement actuel est revenu, avec aussi une réforme des rythmes scolaires, une charte de la laïcité, la refonte des programmes par le Conseil supérieur des programmes (CSP), soucieux de bâtir une école bienveillante et exigeante.

Le rapport propose de vieilles recettes, autour du triptyque répression, sanction, coercition ; le vouvoiement, l'uniforme, l'instauration d'un rituel matinal, la modulation des allocations familiales.

Les conclusions du rapport sont en contradiction totale avec les mesures prises par la droite au pouvoir, qui s'est opposée à la scolarité obligatoire à 3 ans quand nous l'avons proposée, qui a réduit la préscolarisation en maternelle que nous avons réactivée depuis 2012. Vous prônez une instruction morale et civique « transversale », donc interdisciplinaire, mais dénoncez depuis des mois l'interdisciplinarité portée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem.

Nous condamnons l'instrumentalisation de cette commission d'enquête, qui vise à légitimer le programme éducatif de la droite pour 2017 : évaluation et prestation de serment des enseignants, modulation des allocations familiales... Nous avions des doutes sur la sincérité des objectifs annoncés ; les conclusions les ont confirmés. Le travail de contrôle du Parlement vaut mieux que cela. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Christine Blandin .  - Sans revenir sur les vifs débats initiaux, je déplore l'occasion manquée par ce rapport. Un siècle après l'invention de la stéréophonie, monsieur le rapporteur, vous n'entendez toujours que de l'oreille droite ! Certes je partage vos propositions sur le français ou l'affectation des débutants. Mais renforcer la formation continue dont la droite a baissé les crédits, la belle affaire ! D'autres propositions sont risquées - comme le sermon civique - ou mal ciblées - comme celle relative aux tablettes : ce n'est pas le numérique en classe qui est source de déconcentration mais plutôt la télévision nocturne. Accompagnement des sorties, modulation des allocations familiales, sont réservés aux perturbateurs, tout cela est vu et revu et vous ressortez les vieilles propositions de la droite.

Les contrevérités sont nombreuses, sur la méthode Montessori par exemple, confondue avec la méthode Freinet, ainsi que le détournement des propos de personnes auditionnées, elles soumises à serment.

Cette commission d'enquête a pris du temps ; elle a envisagé l'audition d'Éric Zemmour et entendu effectivement Natacha Polony le jour où nous devions recevoir M. Gauchet !

« Pourquoi avoir invité le 11 janvier des chefs d'État ne respectant pas les droits de l'homme ? Un parti xénophobe peut-il être républicain ? » Voilà certaines des questions que posent les jeunes. Y répondre demande du temps. Or votre regard soupçonneux a fait obstacle à une tentative de désintrication des enjeux civiques et religieux.

La raison ne se construit pas dans l'arbitraire de la règle non expliquée - au pire, dans sa méconnaissance. Les écologistes ne sont ni naïfs ni angélistes mais, contrairement aux prophètes de malheur, ils se reconnaissent dans l'école de la République et dans la France métissée. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Marc .  - Connus de l'opinion et parfaitement recensés dans le rapport Faire revenir la République à l'école, les actes de rejet des valeurs républicaines à l'école se multiplient et découragent les enseignants : refus de suivre certains cours, revendications identitaires, tenues vestimentaires, contestation des professeurs, propos racistes, sexistes, ou antifrançais, refus de la mixité, refus de l'histoire des religions, prosélytisme, etc.

Le non-respect de la minute de silence et les propos tenus à cette occasion en janvier ont porté à son paroxysme ce phénomène de rejet.

Pourtant, la France, depuis les années quatre-vingt-dix, est en pointe en matière d'enseignement de la citoyenneté, grâce à trois outils : cours d'éducation civique spécifique, participation des élèves aux instances de gouvernance des établissements et aux affaires intéressant l'école et la classe, conduite de projets d'action éducative. Ce modèle français d'éducation à la citoyenneté présente toutes les apparences d'un modèle pédagogique solide.

La France est le seul pays européen où les cours d'éducation civique sont clairement identifiés, doté d'horaires spécifiques et obligatoires depuis l'école primaire jusqu'au bac. Mais l'enseignement doit évoluer pour faire face au repli identitaire, communautaire, opposé au projet émancipateur des Lumières.

L'école doit enseigner le respect des valeurs de notre pays. Elle doit aussi enseigner l'histoire, non réduite à la portion congrue de la repentance et des cérémonies mémorielles. Non, ce n'est pas au juge d'écrire notre histoire !

Rien de possible en tout cas sans une bonne maîtrise du français. Or cela commence, à l'évidence, dès la maternelle. Plutôt qu'une réforme des rythmes scolaires, inutile et coûteuse, il faudrait mettre les moyens dès ce niveau car l'apprentissage précoce du langage et du civisme réduit le recours à la violence.

Le mathématicien Laurent Lafforgue, lauréat de la médaille Fields, nous appelait déjà à rétablir des enseignements qui nourrissent : la lecture, l'écriture, la grammaire, et tout ce qui touche à la maîtrise de la langue. Je salue le travail de notre commission d'enquête, qui est sortie du déni. Ayons la simplicité du bon sens : revenons aux fondamentaux, et nous rendrons l'école républicaine et ses valeurs dignes de respect ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Nicole Duranton .  - Je regrette l'absence de la ministre de l'éducation nationale...

M. Guy-Dominique Kennel.  - Nous aussi !

Mme Nicole Duranton.  - Je salue l'excellent travail mené en profondeur par M. Grosperrin et Mme Laborde.

Des propos inadmissibles ont été tenus lors de la minute de silence du 8 janvier 2015. Certains élèves ont même poussé la provocation jusqu'à prétendre que les victimes de l'attentat auraient « mérité » ce qui leur est arrivé ! Constat bien connu, signe d'un malaise identifié, il y a dix ans déjà, par le rapport Obin.

Nous payons le prix d'un délaissement du primaire. C'est là que se situe le noeud du problème, plus qu'au collège ou au lycée où beaucoup a été fait ces dernières années. Les décrochages sont précoces et ne font ensuite que s'amplifier. Or Mme la ministre propose l'apprentissage d'une seconde langue vivante dès la cinquième. N'est-ce pas prendre le problème à revers ?

M. Jacques-Bernard Magner.  - Pas du tout, mais quel rapport ?

Mme Nicole Duranton.  - Mettons plutôt l'accent sur le français ! Avec votre réforme, vous allez ajouter 54 heures de travail aux élèves de 5e. Nos élèves suivent 1 000 heures de cours par an, contre 900 à l'étranger : les performances n'ont donc rien à voir avec le volume horaire.

De même, ce n'est pas en supprimant l'enseignement du grec et du latin qu'on améliorera les choses. C'est pourquoi j'ai cosigné la proposition de loi de M. Grosperrin, dont l'article 3 propose de réserver l'accès du collège aux élèves justifiant d'une maîtrise suffisante de notre langue.

Il n'est en effet pas concevable d'accéder au collège sans un niveau suffisant de français. Aucun apprentissage des autres savoirs n'est possible autrement. Les performances de la France dans les classements internationaux ne cessent de se dégrader : moins de bons élèves, 20 % de décrocheurs à 15 ans. Je réitère tout mon soutien à la proposition de loi de M. Grosperrin. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Guy-Dominique Kennel.  - Très bien !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont .  - Lorsqu'en janvier 2015, certains élèves ont refusé de respecter la minute de silence, une commission d'enquête sénatoriale a été créée ; nous fûmes plusieurs à nous interroger sur ses motivations réelles, étant donné son intitulé.

Refusant les procès d'intention a priori, avec les sénateurs socialistes, j'ai voulu participer à sa réflexion, afin de consolider la dynamique restaurée ces deux dernières années pour faire de l'éducation, la première, la deuxième et la troisième priorité, pour paraphraser Michelet.

Or les conclusions de la commission d'enquête, comme le titre de son rapport, loin de correspondre à nos attentes, justifient les soupçons de certains d'entre nous quant à son instrumentalisation.

Alors, je souhaite remettre ici les faits en perspective.

Oui, l'école va mal : nos principes y sont malmenés, le mal-être enseignant est réel, nos performances, telles qu'évaluées par le programme Pisa, sont médiocres. Mais Pisa ne mesure nos résultats que jusqu'en 2011 et depuis 2003 !

Depuis 2012, le Gouvernement s'efforce de redresser la barre, de redonner un cap : il le fallait ! Ainsi, 35 000 postes ont été créés - ils seront 60 000 fin 2017 - lorsque 80 000 avaient été supprimés entre 2002 et 2012...

Mme Maryvonne Blondin.  - Eh oui !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.  - L'accent a été mis à nouveau sur la formation initiale et continue, que la droite avait saccagée. Comment penser qu'un diplôme de niveau master 1, si exigeant soit-il, est suffisant pour devenir enseignant ? Enseigner, ce n'est pas seulement transmettre un savoir académique, mais des valeurs et un savoir-être, aider les élèves à s'émanciper. Ceux qui pensent le contraire confondent l'éducation nationale de 2015 avec l'instruction publique de 1932. (Exclamations à droite)

Je ne parle pas des propos d'un ancien président de la République qui affirmait la prépondérance du prêtre sur l'enseignant pour transmettre des valeurs ! Triste vision de notre école ! Triste discours de Latran, qui témoigne du mépris dans lequel certains tiennent notre système éducatif et la conception laïque de la République. (On le déplore sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Je salue l'action du Gouvernement qui a rendu obligatoire, dès le 8 juillet 2013, grâce à la loi de refondation de l'école, l'affichage de la charte de la laïcité, a formé les enseignants à son sujet et a prévu un enseignement moral et civique du primaire à la terminale.

Il y aurait encore tant de faits à remettre en perspective...

Contre les déclinistes de tous bords, nous soutenons le Gouvernement qui entend remettre l'école au coeur de notre pacte républicain, en refusant de la stigmatiser pour lui faire porter l'ensemble des maux de notre société.

C'est pourquoi nous n'adhérons ni aux conclusions du rapport de cette commission d'enquête ni à nombre de ses préconisations. (Applaudissements à gauche)

Mme la présidente.  - La parole est à Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire...

Mme Françoise Férat.  - Voilà qui va nous aider !

M. David Rachline.  - Et l'éducation ?

Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire .  - Je vous prie d'excuser l'absence de la ministre de l'éducation nationale, retenue dans les Alpes-Maritimes, où elle se tient auprès du personnel de l'éducation nationale éprouvé par les conséquences des inondations récentes.

Oui, l'école forme les citoyens de demain. Elle est au coeur de la République, c'est pourquoi la loi de refondation du 8 juillet 2013 a mis l'accent sur les valeurs républicaines.

Les attentats de janvier ont été un traumatisme ; mais dès le lendemain, la ministre a rencontré l'ensemble des acteurs et, le 22 janvier, elle annonçait onze mesures innovantes.

Quelque 200 incidents - il y en a eu d'autres - ont été recensés lors de la minute de silence, ils sont graves, révèlent quelque chose des fractures de notre société ; les équipes pédagogiques y ont répondu avec fermeté et pédagogie, conformément à la volonté de la ministre de ne laisser aucun incident sans suite.

L'école, c'est le rempart des valeurs de la République, le creuset de la citoyenneté. Les rencontres conduites au lendemain des attentats l'ont montré : la laïcité est la condition d'appropriation des autres valeurs.

La loi de 2013 a mis en oeuvre un parcours citoyen : 300 heures d'enseignement moral et civique de la primaire à la terminale, destiné à développer l'esprit critique, apprendre à trier les informations et utiliser les outils numériques. Les parents doivent signer la charte de la laïcité depuis cette rentrée. L'accent a été mis aussi sur l'enseignement laïque du fait religieux. Le parcours citoyen doit faciliter en outre l'apprentissage du pluralisme, la participation des jeunes à la vie de l'école, l'éducation aux médias.

L'apprentissage du français est fondamental. Dans les nouveaux programmes qui entreront en vigueur à la rentrée prochaine, la maîtrise du langage est prioritaire et une évaluation interviendra au cours du premier trimestre de CE2 afin de vérifier les acquis et adapter l'enseignement. Au collège aussi, l'acquisition des fondamentaux et notamment du français sera mise en valeur. Le développement du travail en petits groupes prévu par la réforme du collège, ainsi que les enseignements pratiques interdisciplinaires renforceront la maîtrise de notre langue, la capacité à débattre et à devenir citoyen à part entière.

Afin d'accompagner les enseignants dans la mise en place de ce parcours citoyen, 1 200 cadres de l'éducation nationale ont été formés en avril et mai, qui formeront à leur tour les enseignants.

Le Conseil d'État a précisé que les parents accompagnateurs de sorties scolaires n'étaient pas des collaborateurs du service public, et n'étaient donc pas soumis au principe de neutralité religieuse.

Le refus de principe opposé à des parents accompagnateurs de sorties scolaires au motif de signes d'appartenance religieuse n'étant pas fondé en droit, l'acceptation de leur présence doit être la règle. Toutefois, les équipes éducatives doivent interdire leur présence en cas de provocation ou de prosélytisme.

Si la laïcité doit être protégée avec la plus grande fermeté, la bonne volonté de parents qui, en encadrant une sortie scolaire, manifestent leur intérêt pour la scolarité de leur enfant et leur désir de coopération avec l'école doit rencontrer le dialogue et non la fermeture.

Ce sont les enseignants qui incarnent ce dialogue au sein de l'école. C'est à travers eux que la plupart des élèves rencontrent pour la première fois la République. C'est pourquoi nous entendons rétablir l'autorité des enseignants, et pour cela, d'abord renforcer leur formation. C'est ce que fait le Gouvernement.

Il importe, dans le même esprit, de ne faire preuve d'aucune faiblesse à l'égard des entorses aux règles : celles-ci seront affichées dans tous les établissements.

Pour améliorer le sentiment d'appartenance des élèves à la République, qui a ses rites et ses symboles, la ministre a souhaité par ailleurs rétablir des rituels au sein des établissements scolaires. Ainsi, une journée de la laïcité sera célébrée chaque 9 décembre.

Les projets d'écoles et d'établissements scolaires définiront précisément les modalités de participation active des élèves aux commémorations patriotiques ainsi qu'aux semaines de l'engagement et de lutte contre le racisme. La ministre a souhaité que l'organisation solennisée d'un temps annuel d'échanges avec l'ensemble de la communauté éducative, la valorisation des réussites des élèves, les spectacles de fin d'année soient systématisés.

Premier examen et premier diplôme, le diplôme national du brevet sera d'ailleurs remis lors d'une cérémonie officielle et républicaine à chaque élève par son établissement dès la fin de cette année scolaire, comme l'a annoncé récemment la ministre.

L'école est au coeur de la société, mais toute la société doit l'aider. Un service civique a été créé : 37 000 volontaires pourront faire bénéficier l'école de leur expérience. 5 000 y interviennent déjà. Le témoignage de ces réservistes aide à lutter contre la radicalisation en montrant comment s'insérer dans la vie active. Contre la radicalisation, l'interdiction n'est pas suffisante : mieux vaut développer le sens critique et de l'analyse ; favoriser le repérage précoce. Un livret spécifique a été édité à cette fin. La circulaire du 23 juillet 2013 renforce en outre le contrôle opéré sur les établissements d'enseignement privé.

Simultanément, la mission de prévention des phénomènes sectaires a vu son rôle élargi à la lutte contre le radicalisme religieux.

L'action de l'école s'inscrit dans le temps.

Nous recrutons 60 000 enseignants, réformons l'éducation prioritaire avec le dispositif « plus de maîtres que de classes » ; nous facilitons la scolarisation des moins de trois ans. Le Gouvernement soutient les enseignants en étoffant les ressources éducatives à leur disposition. L'école, au coeur de notre société, devrait nous rassembler, au-delà de toute polémique politicienne : c'est la nation toute entière qui doit se mobiliser pour une école plus forte et plus juste, au climat apaisé. (Applaudissements sur la plupart des bancs à gauche)