Répression des abus de marché (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché.

Discussion générale

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP est parvenue à un accord le 17 mai sur ce texte qu'avaient largement anticipé les travaux conduits par Claude Raynal et moi-même - nous avions déposé deux propositions de loi identiques en novembre dernier.

L'enjeu est de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015, en créant une procédure d'aiguillage de la répression des abus de marché, entre voie pénale et voie administrative. Le texte de la CMP, sur les onze articles qui restaient en discussion, a pris en compte de nombreux apports de notre assemblée : l'article premier A reprend la rédaction du Sénat qui renforce et sécurise les incriminations pénales ; une circonstance aggravante de bande organisée a été créée ; le parquet pourra dans ce cas mettre en oeuvre des moyens renforcés au stade de l'enquête préliminaire ; l'amende pour les personnes morales pourra être de 500 millions d'euros ou dix fois le montant de l'avantage retiré, soit le quintuple de l'amende applicable aux personnes physiques.

Le dispositif d'amélioration des poursuites a été adopté dans une rédaction enrichie par le Sénat, à l'article premier. Il s'agissait d'encadrer les étapes de la concertation entre l'Autorité des marchés financiers et le parquet national financier, et de poser des délais pour chaque étape, afin de rendre les procédures plus rapides et plus efficaces. La compétence de l'autorité administrative s'applique désormais aux abus de marché, et non plus seulement aux manquements professionnels - nous y reviendrons dans le cadre de la loi Sapin 2.

Autre apport du Sénat, l'AMF, même si elle n'est pas partie civile, pourra assister à l'audience pour éclairer le tribunal correctionnel.

Nous regrettons de ne pas avoir convaincu nos collègues députés de renforcer la coopération entre le parquet et l'AMF, par des obligations d'information réciproques. Il est regrettable que persistent des réticences sur ce point.

La dualité de juridiction continue de poser question en matière financière. Pour une même affaire, le recours, selon que la personne poursuivie est un professionnel ou un non-professionnel, se fera devant le Conseil d'État ou devant la Cour d'appel de Paris... Nous proposions, avec la commission des lois, d'unifier le contentieux. Les députés ne nous ont pas suivis.

Quant à l'accès de l'AMF aux données de connexion, que nous soumettions à l'autorisation du juge de la détention et des libertés, on nous dit qu'une rédaction est en cours : il faudra aboutir rapidement.

Le Gouvernement a déposé un amendement à l'article 5 assurant des coordinations techniques pour l'outre-mer. J'y serai favorable et vous propose donc d'adopter ces conclusions. (Applaudissements)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Le texte, sur lequel la CMP s'est accordée le 17 mai dernier, participe pleinement à la modernisation de la vie économique. C'est aussi l'objet du projet de loi transparence, lutte contre la corruption et pour la modernisation de la vie économique, examiné en ce moment même à l'Assemblée nationale. La proposition de loi adapte notre système répressif au développement des marchés financiers. Il met la France en conformité avec le paquet européen sur les abus de marché.

Cette proposition de loi est également une réponse pragmatique à la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015, qui a invalidé la double sanction des abus. La réponse réside dans une concertation entre l'AMF et le parquet national financier, pour déterminer quelle voie de poursuites et de sanction est la meilleure. En cas de désaccord, c'est le procureur général près la Cour d'appel de Paris qui tranche.

Aujourd'hui, c'est le plus souvent l'AMF qui détecte les abus de marché, grâce aux moyens techniques très sophistiqués dont elle dispose. La plupart des affaires devraient continuer à être traitées par la voie administrative, qui permet d'infliger rapidement des sanctions pécuniaires importantes.

Et il faut agir vite pour bloquer l'essor d'innovations technologiques autorisant des fraudes, et envoyer un message clair aux investisseurs comme aux épargnants. Dans les cas les plus graves, une peine privative de liberté peut sembler justifiée, ce qui conduira à choisir la voie pénale.

Fruit d'un travail parlementaire approfondi, cette proposition de loi réforme de manière ambitieuse et pragmatique notre système de poursuite des abus de marché, qui était en passe de devenir obsolète. Je vous présenterai un amendement du Gouvernement, procédant à des coordinations pour l'outre-mer, que l'Assemblée nationale a déjà intégré à la rédaction. (Applaudissements)

M. Yvon Collin .  - Nous examinons les conclusions de la CMP, réunie sur un sujet technique mais passionnant. Ce travail était nécessaire, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015, qui avait jugé notre droit non conforme au principe non bis in idem.

Le cumul des poursuites judiciaires et administratives était dans les faits rarement appliqué, la voie administrative étant généralement privilégiée. Les plafonds des sanctions sont sensiblement relevés - jusqu'à 100 millions d'euros d'amende et cinq ans d'emprisonnement. C'est une bonne chose : encourageons les louables efforts du nouveau parquet national financier.

L'article 2 bis élargit le champ de la composition administrative, c'est une autre avancée positive. Nous reviendrons sur tous ces sujets dans le cadre de la loi Sapin 2 très prochainement. Les membres du RDSE voteront ce texte. (Applaudissements)

M. Vincent Capo-Canellas .  - La décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 ayant abrogé les dispositions relatives à ces infractions avec effet à compter du 1er septembre prochain, ce texte a été examiné dans une certaine urgence. L'enjeu était de trouver une bonne articulation entre les voies judiciaire et administrative. La proposition de loi met le droit en conformité avec les jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle, sans affaiblir notre politique de répression.

Le texte atteint ses objectifs et porte largement la patte du Sénat. Le groupe UDI-UC le votera. (Applaudissements)

Mme Marie-France Beaufils .  - C'est à la suite du dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre de l'affaire EADS que ce texte a été élaboré. Il y avait urgence : le vide juridique laissé bientôt par la décision du Conseil constitutionnel aurait en effet encouragé d'habiles boursicoteurs...

Nous soutenons la proposition car il faut bien que nous nous dotions d'outils pour lutter contre cette forme de délinquance particulièrement coûteuse. Précision du rôle du parquet financier, procédure clarifiée : l'objectif est atteint. Reste à doter le parquet national financier des moyens correspondants. Mme Houlette, procureur national financier, nous le disait récemment : quinze magistrats pour trois cent cinquante-trois procédures, c'est peu... Or, si l'on ne poursuit pas les délinquants financiers, c'est notre pacte démocratique et le bon fonctionnement de notre économie qui sont menacés.

L'Office central de lutte contre la corruption et les infractions fiscales et financières n'a pas non plus, nous disait-elle, les moyens de remplir ses missions : ses effectifs baissent.

Il est temps de nous doter d'outils efficaces pour réprimer les délits d'initiés, commis par ceux qui utilisent les informations qu'ils recueillent au bon moment pour accroître encore leur puissance financière jusqu'à des sommets indécents. Le délit d'initié engendre un enrichissement facile et rapide : il suffit d'être proche de la direction d'une grande société.

Certains croient à l'autorégulation, à la « main invisible » du marché. Nous estimons, pour notre part, que la puissance politique doit agir d'une main bien ferme contre de tels comportements.

Nous voterons ce texte, même s'il ne règle pas, par exemple, les problèmes du trading à haute fréquence. J'espère que nous aurons l'occasion d'y revenir. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Raynal .  - La CMP est parvenue à un accord le 17 mai dernier ; notre droit sera donc rénové, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015. Ce texte comble un potentiel vide juridique et adapte notre législation au droit européen. De nombreux apports du Sénat ont été préservés : procédure d'aiguillage - nous avons réécrit l'article premier, sans modifier sur le fond la concertation entre l'AMF et le parquet national financier ni le principe de l'arbitrage par le procureur général près la Cour d'appel de Paris. L'article 2 bis est une avancée majeure, étendant la composition administrative aux abus de marché.

Le texte s'inscrit dans un ensemble de mesures plus larges, rassemblées dans le projet de loi Sapin 2 : statut des lanceurs d'alerte, capacité de poursuivre et condamner en France des dirigeants d'entreprises pour des faits de corruption à l'étranger, transaction pénale encadrée pour les entreprises, transparence contre l'évasion fiscale des entreprises... Ces textes concrétisent l'engagement du Gouvernement de lutter contre la corruption et pour la transparence des marchés financiers. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. André Gattolin .  - Sans surprise, la CMP est parvenue à trancher les derniers points restant en discussion. À l'article premier, relatif à l'aiguillage des dossiers, la position du Sénat l'a emporté et je m'en félicite : c'est le point crucial et il fallait être assez précis dans la loi plutôt que de renvoyer au décret.

Le succès ou l'échec des nouvelles dispositions tiendra à la façon dont l'AMF et le parquet national financier s'en saisiront. Ce dernier sera-t-il toujours en mesure de répondre dans un délai de deux mois ? Cette jeune institution traite un nombre croissant de dossiers, certains d'une extrême complexité - Google, attribution de la coupe du monde au Qatar, par exemple. L'étude d'impact du projet de loi portant sa création, en 2013, prévoyait un ratio de huit dossiers par magistrat ; nous sommes plus proches de vingt-sept... Il faudra adapter les moyens alloués à l'évolution de l'activité.

Entre AMF et parquet national financier, l'on pourrait craindre une forme de concurrence. La proposition de loi a trouvé un mécanisme efficace de coopération.

Sur ce sujet, le bicamérisme, attaqué encore tout récemment au plus haut niveau, a montré une nouvelle fois son utilité : en confrontant les points de vue, il est à l'origine d'une véritable dialectique législative.

Le groupe écologiste votera ce texte. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - En vertu de l'article 42 alinéa 12 de notre Règlement, le Sénat examinant les conclusions de la CMP après l'Assemblée nationale, il se prononcera par un vote unique sur l'ensemble du texte, en ne retenant que l'amendement présenté par le Gouvernement.

ARTICLE 5

Mme la présidente.  - Amendement n°1 présenté par le Gouvernement.

Alinéas 23 à 51

Remplacer ces alinéas par vingt-cinq alinéas ainsi rédigés :

5° Les articles L. 746-5 et L. 756-5 sont ainsi modifiés :

a) Au premier alinéa du I, la référence : « à L. 621-18-4 » est remplacée par les références : « à L. 621-17-1-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5 à L. 621-18-3 » ;

b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les articles L. 621-1, L. 621-7, L. 621-9, L. 621-9-2, L. 621-12, L. 621-14, L. 621-14-1, L. 621-15, L. 621-16, L. 621-16-1, L. 621-17-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7 et L. 621-18-2 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° du réformant le système de répression des abus de marché. » ;

c) Après le sixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l'application du premier alinéa du I du présent article, les références aux unités mentionnées à l'article L. 229-7 du code de l'environnement ne sont pas applicables. » ;

d) Au début du septième alinéa, la mention : « II. -  » est remplacée par la mention : « III. -  » ;

6° L'article L. 766-5 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa du I, la référence : « à L. 621-18-4 » est remplacée par les références : « à L. 621-17-1 1, L. 621-17-3, L. 621-17-5 à L. 621-18-3 » ;

b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les articles L. 621-1, L. 621-7, L. 621-9, L. 621-9-2, L. 621-12, L. 621-14, L.621-14-1, L. 621-15, L. 621-16, L. 621-16-1, L. 621-17-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7 et L. 621-18-2 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° du réformant le système de répression des abus de marché. » ;

c) Le même I est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l'application du premier alinéa du présent I, les références aux unités mentionnées à l'article L. 229-7 du code de l'environnement ne sont pas applicables. » ;

7° Le quatorzième alinéa des articles L. 746-5 et L. 756-5 et le second alinéa du b du 2° du II de l'article L. 766-5 sont ainsi modifiés :

a) Au début, il est ajouté le signe : « ? » ;

b) Après le mot : « France », la fin est ainsi rédigée : « ? ; »

8° Les articles L. 746-8, L. 756-8 et L. 766-8 sont ainsi modifiés :

a) Au I, après la référence : « L. 632-7 », sont insérés les mots : « à l'exception des g et h du II ainsi que du II bis » ;

b) Le I est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'article L. 632-7 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° du réformant le système de répression des abus de marché. » ;

c) Le 4° du II est ainsi modifié :

-  au début, les mots : « Au III de » sont remplacés par le mot : « À » ;

-  sont ajoutés les mots : « et les références aux unités mentionnées à l'article L. 229-7 du code de l'environnement ne sont pas applicables ».

III.  -  L'article 7 de l'ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse est complété par un 16° ainsi rédigé :

« 16° Au deuxième alinéa du I des articles L. 746-5, L. 756-5 et L. 766-5 les références : « L. 621-9, » et « L. 621-15, » sont supprimées. »

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Cet amendement est de pure coordination.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Avis favorable.

Les conclusions de la CMP, modifiées, sont définitivement adoptées.

Prochaine séance demain, jeudi 9 juin 2016, à 11 heures.

La séance est levée à 22 h 30.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus