Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2016.

Orateurs inscrits

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Le Conseil européen des 28 et 29 juin prochain ne ressemblera à aucun autre : il sera le premier à se tenir après le résultat d'un référendum sur le maintien ou la sortie de l'Union européenne d'un État membre. Le peuple britannique est bien sûr souverain ; mais je veux dire que le Gouvernement souhaite que le Royaume-Uni fasse le choix de l'unité, de la cohésion et de nos valeurs communes, qu'il reste dans l'Union européenne. Parce que c'est sa place, son intérêt et celui de l'Europe. Je veux à mon tour rendre hommage à Jo Cox, qui a consacré toute sa vie au service des autres pour un monde plus solidaire, et sa passion au maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Son engagement lui survivra. La violence et la haine ne doivent pas l'emporter. Quel que soit le résultat du référendum, l'Europe devra continuer à avancer.

L'accord Union européenne-Turquie et la fermeture de la route des Balkans ont tari les flux de migrants en mer Égée, mais ils restent très importants en Méditerranée centrale ; 212 000 personnes ont traversé la Méditerranée depuis le début de l'année et 2 868 en sont mortes. En mai, en mer Égée, on a recensé 1 721 arrivées, soit moins que le nombre qu'on constatait chaque jour fin 2015. Conformément à l'accord signé avec la Turquie, 462 personnes ont été renvoyées en Turquie ; 511 Syriens ont été réinstallés de Turquie en Union européenne ; 54 000 migrants sont bloqués en Grèce ; 83 millions ont été versés à ce pays pour soutenir les dispositifs d'accueil.

En Méditerranée centrale, les flux sont comparables à ce qu'ils étaient en 2015 - 20 000 en mai. La priorité est la lutte contre les passeurs en Libye, État failli. Raison pour laquelle nous soutenons le gouvernement d'entente nationale. Le Conseil affaires étrangères, sur la base de la résolution 2292 des Nations unies, a élargi les missions de l'opération EUNAVFOR Med Sophia : renforcement de l'embargo sur les armes vers la Libye et formation de garde-côtes libyens. La France y prend toute sa part.

Il importe aussi de s'attaquer aux causes profondes des migrations. La communication du 7 juin dernier de la Commission vise, dans la lignée des décisions prises à La Valette en direction de l'Afrique, à une meilleure coordination des politiques commerciales, migratoires et d'aide au développement de l'Union. Des packs sur mesure sont possibles avec des priorités à court comme à plus long terme.

Les chefs d'État et de Gouvernement chargeront la commission d'élaborer un plan d'investissements pour les pays tiers inspiré des mécanismes du plan Juncker.

L'Europe doit continuer à mieux s'organiser pour lutter contre les trafics, contrôler ses frontières, respecter le droit d'asile, soutenir le développement et la stabilité des pays d'origine.

Deuxième grand sujet si l'on excepte le référendum britannique : le soutien à la croissance, à l'emploi et à l'investissement. Le Conseil européen doit adopter des conclusions sur le marché unique, notamment numérique. La Commission propose une prolongation du plan Juncker au-delà des trois ans prévus initialement ; nous la soutenons. Au 7 juin dernier, 266 décisions d'approbation de projets ont été prises par la BEI et le Fonds européen, soit 17,7 milliards de financement qui en mobiliseront plus de 100, soit le tiers de l'objectif. Pour la France, c'est 2,7 milliards pour 14,5 milliards.

Le Conseil traitera aussi de l'approfondissement de l'union économique et monétaire, de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Pour l'agriculture, l'accord passé entre les ministres de l'agriculture du triangle de Weimar pourra faire avancer les choses dans la situation tendue que connaissent les marchés du lait et du porc, notamment.

Quel que soit le résultat du référendum britannique, la relance du projet européen est nécessaire pour répondre aux priorités de l'heure : sécurité intérieure autant qu'extérieure, - ce sera l'objet de la stratégie globale que présentera la Haute représentante Mogherini  - , relance de la croissance, relations de voisinage, jeunesse. Nous y travaillons avec l'Allemagne et tous nos partenaires en souhaitant continuer à le faire à 28, avec le Royaume-Uni. Il n'y a en toute hypothèse, face aux défis auxquels nous sommes confrontés, aucun avenir dans le repli national. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; MM. Jacques Gautier et Jean Bizet applaudissent aussi)

M. Éric Bocquet .  - Après l'assassinat de notre collègue Jo Cox, j'ai exprimé nos condoléances à Sir Julian King, nouvel ambassadeur du Royaume-Uni, à sa famille et au peuple britannique.

La campagne sur le référendum se déroule dans un contexte propice à des instrumentalisations diverses... Boris Johnson veut empêcher les migrants de tirer les salaires vers le bas. Le camp du « Remain » défend malheureusement le statu quo et la majorité de ses électeurs, plutôt de gauche, ne sont guère enthousiasmés par la baisse des aides sociales aux migrants. M. Cameron prône le maintien au nom de l'accord du 19 février dernier : ce n'est guère très porteur... Il faudra de toute façon se poser la question d'un nouveau modèle, d'un projet européen fondé sur la coopération plutôt que sur une compétition dévastatrice. Nous en sommes encore loin.

La Grèce a pris de plein fouet des mesures austéritaires insoutenables : 7 000 pages de loi budgétaire, trois hausses de TVA, la privatisation d'aéroports à prix bradés, la retraite à 67 ans, la hausse des cotisations maladie, la fin de la protection des petits propriétaires - de sorte qu'Athènes obtienne un prêt... pour rembourser une dette que le FMI considère pourtant comme insoutenable et que l'Allemagne refuse d'amputer. Handelsblatt le dit, 95 % de l'aide à la Grèce a profité directement à ses créanciers... Le président de l'Eurogroup lui-même dit mal comprendre la signification du déficit structurel... Pourquoi continuer à appliquer de sacro-saints principes avec autant d'ardeur ? Et pourtant... Aucune sanction pour l'Espagne, dont le déficit dépasse les limites fixées par le pacte de stabilité. Serait-ce par crainte d'un résultat difficile pour les partis de Gouvernement ? Ciudadanos et Podemos ont eu 14 % des voix pour l'un et 20 % pour l'autre en décembre dernier...

L'accord Union européenne-Turquie... L'exécutif européen a ouvert la voie le 4 mai dernier à l'exemption de visas, dont Ankara a fait une condition à l'application de l'accord controversé de février. Bruxelles a assorti son avis favorable de réserves, estimant que la Turquie devait encore remplir cinq des 72 critères fixés, dont une révision de la loi antiterroriste, incompatible avec les standards européens. La Turquie mettra-t-elle de nouveau la pression à l'Union en laissant passer 7 000 réfugiés par jour ? Nous refusons d'entrer dans ce jeu inhumain et immoral. Monsieur le ministre, pouvez-vous faire le point ?

Imposer des sacrifices à des peuples au nom de règles comptables qu'on oublie aussitôt que des amis les transgressent, voilà qui fait le lit de la xénophobie et du repli sur soi. Il est temps que les gouvernements prennent une autre voie dans la construction du projet européen, quel que soit le résultat du référendum britannique. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Gisèle Jourda .  - Le prochain Conseil européen est une occasion d'écrire une nouvelle page de l'histoire européenne. Quelle que soit notre opinion sur les différents traités, nous souhaitons tous que l'Europe sorte de l'inaction. L'Europe visionnaire n'a pas su convaincre. La réorientation souhaitée par le président de la République est plus que jamais nécessaire. L'Europe doit parachever son développement. Le référendum britannique est une occasion unique de clarification.

Le parachèvement de la zone euro, d'abord, exige une harmonisation des prix et des salaires, des ajustements budgétaires, une harmonisation fiscale, une plus grande mobilité du travail ainsi que des mécanismes de transfert entre États. C'est la fiscalité et les salaires qui deviennent un élément de compétitivité et mettent les peuples en concurrence. Nous avons besoin de parachever l'union bancaire, constituer un marché du travail européen, créer un budget de la zone euro, avoir des institutions de contrôle démocratique de ces politiques.

Nous proposons un pacte de convergence économique et sociale, un socle commun de droits sociaux pour faire obstacle au dumping social et une harmonisation fiscale.

Nous plaidons ensuite pour une politique d'investissement massif. Le succès de la conférence de Paris doit faire du climat le fil conducteur d'une nouvelle croissance appuyée sur la transition énergétique, sans compter le comblement de notre retard dans le numérique pour créer des emplois de qualité. Pour favoriser l'investissement, l'Europe doit pouvoir emprunter, et les marchés financiers doivent être réorientés. Au nom du juste échange, le TTIP ne peut être conclu.

Troisième volet : le retour à la vocation humaniste de l'Union européenne. L'Europe doit retrouver ses valeurs de solidarité, qui ont été mises à mal par la crise des réfugiés. La responsabilité a été mise en partie sur un pays non-membre, la Turquie. La mission d'information sénatoriale s'est interrogée sur le sort des réfugiés, qu'on dit renvoyés vers un pays sûr... L'Europe est-elle encore l'Europe lorsqu'elle réduit, avec la règle du un pour un, les hommes à de l'arithmétique ?

Il faut aussi un système commun d'asile et un mécanisme permanent de relocalisation des réfugiés, équitable et objectif.

La Politique européenne de sécurité et de défense a pour base un document de 2003, actualisé en 2008. Yves Pozzo di Borgo et moi avons fait, dans notre proposition de résolution, un constat mitigé et fait des recommandations pour une stratégie globale intégrant le besoin de nouvelles capacités opérationnelles, le contrôle des frontières, le partage du renseignement, la coopération policière et judiciaire. Il faut renforcer le Centre européen contre le terrorisme, prendre en compte les problèmes de sécurité dans les transports pour répondre aux attentes de sécurité des citoyens, auxquelles les États isolés ne peuvent répondre efficacement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Yves Pozzo di Borgo applaudit aussi)

M. André Gattolin .  - Le Conseil européen a un ordre du jour chargé : migrants, Turquie, Grèce, autant de sujets qui montrent notre incapacité à répondre à des défis de plus en plus nombreux. La question la plus sensible sera la suite à donner au référendum britannique.

L'incertitude reste totale, même après le monstrueux assassinat de Jo Cox, qui symbolise toute une génération, née juste après l'entrée du Royaume-Uni dans le marché commun et qui souhaite en finir avec la vision passéiste d'une Angleterre toujours prompte à vouloir imposer ses règles au reste du monde.... Cet assassinat en dit long sur la dégradation du débat public sur l'Europe... La défiance actuelle n'est pas de la seule responsabilité des dirigeants du Royaume Uni. La croyance que l'élargissement à grande vitesse était compatible avec l'approfondissement est pour beaucoup dans l'impasse actuelle.

Les arguments de David Cameron suscitent un certain malaise : pas de vision, pas de projet, seulement des craintes sur le coût financier d'une sortie et les conséquences de celle-ci pour la place financière de Londres. Même si le remain gagne, les concessions faites à M. Cameron en février dernier sont destructrices pour le projet européen. Une réforme des traités sera inévitable pour entériner d'autres concessions, le statut dérogatoire vis-à-vis d'une Union sans cesse plus étroite ou le « carton rouge » des parlements nationaux.

Si le leave gagne, la procédure de sortie est si floue que personne ne sait quel pilote fera atterrir l'avion britannique en perdition. Officiellement, ce serait la commission. Mais en pratique, que deviendront le commissaire britannique Jonathan Hill et les soixante-treize députés britanniques, les 1 200 fonctionnaires de la commission ?

Les partisans du Brexit veulent le beurre et l'argent du beurre : ils veulent un traité de libre-échange et conserver leurs prérogatives financières et bancaires... Laisser à la Commission européenne la négociation ne nous dit rien qui vaille, surtout quand on voit ce qu'elle fait pour le TTIP. Les arguments en faveur de la mansuétude ne manqueront pas... Oui, un Brexit coûtera cher. Mais le pire coût serait de regarder passer les trains. Il faut être ferme, avoir des projets forts... Nous ne pouvons pas continuer à 28 ou 27 sans autre projet d'intégration qu'économique.

Aucun pays, pas même l'Allemagne, ne peut renverser la table. Il faut une initiative commune des gouvernements et des parlements d'Allemagne, de France, d'Italie et d'Espagne, pour dresser une véritable feuille de route pour l'Europe de demain. Je pense à la sécurité commune, à l'industrie du futur, à l'harmonisation fiscale et à la solidarité économique. Certes tous les pays ne suivront pas ; mais si nous ne réagissons pas, le délitement européen nous emportera. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean Bizet applaudit aussi)

M. Jacques Mézard .  - Nous pensons tous ce soir à notre collègue britannique. Historiquement, l'assassinat de parlementaires a souvent annoncé des jours funestes. Sous ce rapport, comment ne pas s'inquiéter de la situation actuelle en Hongrie, en Pologne, en Autriche où pourtant l'emploi va bien et où les jeunes sont formés ? Comment ne pas penser aux mouvements citoyens qui progressent en Italie ou en Espagne ?

Les citoyens adressent ainsi un message de défiance à leurs dirigeants, aux instances de l'Union européenne bien plus qu'à l'idée européenne. La responsabilité est collective. Trop longtemps, les dirigeants ont dit : s'il y a des problèmes, c'est la faute de l'Europe.

Faire avancer au même rythme 28 États européens, c'est mission impossible : tirons-en les conséquences et faisons-la fonctionner à plusieurs vitesses. France, Allemagne, Italie, Espagne doivent assumer la relance de l'Europe.

La crise migratoire a éprouvé durablement la solidarité européenne. Notre groupe a souscrit à la décision du Gouvernement d'un accueil raisonnable des réfugiés, à la politique de relocalisation, aux hot spots, au renforcement des moyens de Frontex.

L'accord de février dernier avec la Turquie est un accord politique. Personne n'est sourd face aux critères pour l'exemption de visas. Il y a des dérives en Turquie, certes, mais que dire de l'Égypte ou de l'Arabie saoudite ? Ce qui n'excuse rien mais pose la question... L'accord a permis de diminuer fortement les flux de réfugiés et le nombre de drames humains, d'alléger la souffrance. Le reste n'est pas secondaire mais passe après. Sur le sol turc, il y a 2,7 millions de réfugiés et le pays y fait face. Il est difficile de lui donner des leçons. M. Valls l'a dit fin novembre ici, il faut respecter ce grand pays qu'est la Turquie, sans être dupe.

La décision sur le Brexit appartient au peuple britannique. Pour le RDSE, il a toute sa place dans l'Union, une place qu'il n'a jamais tout à fait occupée...

Croissance et investissement seront aussi à l'ordre du jour. Mais ce dont nous avons besoin, monsieur le ministre, c'est d'un cap politique. Quelle Europe voulons-nous ? Avec les Britanniques, cela a toujours été l'objet d'un malentendu : ils voient une Europe commerciale, celle du libre marché ; d'autres ont une vision plus romantique, humaniste - François Mitterrand disait : « L'Europe a trouvé sa raison d'être en devenant l'Europe de la liberté ».

Les crises ont toujours fait avancer le projet européen : nous n'aurions eu ni union bancaire ni directive sur l'évasion fiscale sans la crise de 2008 et le scandale Luxleaks. L'Europe n'a de sens que si elle pose des principes, dont la coordination des politiques économiques et la convergence des politiques fiscales.

Rappelons que l'Union européenne n'a rien à gagner dans la politique d'endiguement à l'Est que mène l'Otan. C'est au sud que les risques de conflit sont les plus importants, qui ne seront résolus sans la Russie, qui doit redevenir un partenaire précieux. Le RDSE regrette la prolongation des sanctions à son égard.

Il y a urgence que la France, dans la tradition des Pères de l'Europe, adresse un message fort à ses partenaires. C'est ce que nous attendons de vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UDI-UC)

M. Pascal Allizard .  - Le prochain conseil s'ouvrira dans une Europe qui va mal dans un monde en crise. Les incertitudes sur le Royaume-Uni se renforcent. Comme le dit le président du Conseil européen, il est difficile d'être optimiste.

Si certains voient dans le Brexit une victoire des peuples sur les technocrates, ce sera en réalité un résultat perdant-perdant. Le Royaume-Uni, qui est très bien traité, y perdra ; on peut craindre la contagion... Les Néerlandais, en refusant l'accord d'association avec l'Ukraine, ont ouvert une brèche ; et que dire de la situation en Hongrie ou en Autriche ?

La crise migratoire... Plusieurs centaines de milliers de personnes attendent dans des camps libyens. Les premiers effets de l'accord avec la Turquie sont visibles, mais les contreparties donnent l'impression d'un accord déséquilibré. Le respect des 72 critères doit rester une condition sine qua non.

La coopération entre l'Union européenne et l'Otan est liée à la situation en Ukraine et aux relations avec la Russie. Nombre de pays d'Europe centrale et orientale ont adhéré à l'Otan pour assurer leur sécurité et troqué leur vieux matériel soviétique contre de l'équipement américain. Ce que certains ont vu comme la fin de l'Histoire n'était que le début d'une nouvelle histoire, sur fond de crise en Europe le face-à-face Otan-Russie. Le sommet de Varsovie entérinera un renforcement sans précédent de l'Otan à l'est. Je ne crois pas que cette politique de démonstrations réciproques de virilité qui s'étend dans le cyberespace ait un sens. Attention aux dérapages, comme le montre l'incident aérien russo-turc.

La vision russe des relations internationales reste fondée sur les rapports de force. Le Sénat a été sage dans sa proposition de résolution relative aux sanctions à l'égard de la Russie, liant allégement des sanctions à des progrès significatifs dans l'application des accords de Minsk.

L'Union a payé le prix fort des mesures de rétorsion russe. Mais cela ne l'exonère pas d'avoir commis des erreurs : partenariat oriental ambigu, exemplarité demandée à la Russie mais pas à d'autres. Il y a deux Europe : celle qui vit dans l'angoisse permanente de la Russie et s'en remet à l'Otan ; celle qui est mobilisée contre le terrorisme et sait que sans coopération, point de salut. Nous devons nous entendre.

Les pays d'Europe centrale et orientale sont en plein doute. Il faut redonner du sens à la construction européenne, et avant tout dessiner des frontières en cohérence avec notre héritage culturel et civilisationnel commun. Il faut recentrer l'Union sur quelques politiques d'envergure continentale et alléger la production de normes.

Enfin, le temps nous est compté pour bâtir l'Europe-puissance, capable de faire pièce aux autres puissances du XXIe siècle. Les Européens doivent collectivement protéger leur économie et leurs emplois face à une concurrence dérégulée. La conséquence n'en sera pas l'effacement de la France, mais la réaffirmation de sa vision et de son rôle moteur en Europe. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Le Conseil européen du 28 juin présente un ordre du jour chargé, seront discutés des enjeux centraux pour l'avenir de l'Europe à court et moyen termes. Le Sénat a toujours une voix à porter sur ces sujets, je souhaite que vous l'entendiez, monsieur le ministre.

Le référendum sur le Brexit sera décisif. Il a malheureusement fallu attendre l'insoutenable meurtre de Jo Cox pour que la France s'intéresse à la question posée aux Britanniques.

Peut-on laisser les Britanniques décider du sort de l'Europe ? Je ne le crois pas. D'autant que, depuis de nombreuses années, le désamour des peuples vis-à-vis de l'Europe est profond. Chaque fois qu'il faut trouver un bouc-émissaire, Bruxelles est dénoncé. Le manque de démocratie, régulièrement dénoncé, doit être entendu. L'Union européenne ne fait plus envie à tel point que la Suisse a retiré une demande d'adhésion vieille de 24 ans.

Le temps est venu d'écrire une nouvelle page de l'histoire de l'Europe. Centristes, nous sommes prêts à y mettre toute notre énergie. Nous comptons sur la France et l'Allemagne, qui ont fourni tant de tandems à la construction européenne.

En somme, si les Britanniques sortent de l'Union, et ce serait un coup dur, l'essentiel est que les pays qui y restent veuillent une Europe plus intégrée et plus fédéraliste - osons ce mot. Nous ne voulons pas d'une Europe à la carte.

Un mot sur la Russie. Le Sénat a adopté par 301 voix contre 16 une résolution européenne équilibrée sur les sanctions à l'encontre de la Russie. La position du Sénat ne saurait être balayée d'un revers de main : nous sommes le premier parlement d'un Etat membre à nous prononcer sur ce sujet. Les sanctions coûtent autant que le plan Juncker devrait nous rapporter : 0,4 % du PIB en 2015... Certains ambassadeurs seraient prêts à jeter notre résolution à la poubelle. Je vous rappelle, monsieur le ministre, que nous sommes le peuple, nous le représentons ! Quand on se moque du peuple, arrive le Brexit ! Comment peut-on accepter que Bruno Le Roux soit interdit d'entrer en Russie parce que nous refusons d'accueillir la présidente du Conseil de la fédération en Europe ! Que M. Hollande, laissant les ambassadeurs, se fasse entendre au Conseil européen. On lui donnera raison sur les sanctions à l'égard des parlementaires ! (Marques d'encouragement sur les bancs centristes)

Alors que le vingt-cinquième sommet de l'Otan se tient en juillet prochain, ayons à l'esprit que la sécurité et la lutte contre le terrorisme restent l'un des défis majeurs posés au continent. D'où la proposition de résolution adoptée à l'unanimité moins une voix à la commission des affaires européennes et à la majorité absolue à la commission des affaires étrangères. Après les attentats de novembre 2015, le recours à la clause de défense mutuelle a relancé la dynamique de l'Europe de la défense. La nécessité d'une coopération accrue en matière de défense justifierait un débat dédié, annuel au sein du Conseil européen, pour stimuler la recherche concertée de solutions politiques.

Ce n'est pas à l'Otan d'imposer sa stratégie de défense à l'Union européenne. Au Conseil européen de fixer ses propres objectifs. L'indépendance dans la complémentarité, en quelque sorte ; et nous y gagnerons en lisibilité et en crédibilité.

Vous connaissez l'attachement du groupe UDI-UC à l'idée européenne. La défendre suppose une volonté politique et un engagement sans faille que nous aimerions plus prégnants dans le débat national. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Jacques Gautier, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Veuillez excuser l'absence de Jean-Pierre Raffarin, retenu.

Notre commission des affaires étrangères a adopté trois résolutions en vue du prochain Conseil européen.

Première préoccupation : la menace du Brexit. Pour nous être rendus récemment à Londres et y avoir mené des entretiens de haut niveau, nous mesurons le risque. L'assassinat de Jo Cox a dramatisé des enjeux qui concernent tous les Européens. Si le Royaume-Uni quitte l'Union, il faudra acter la séparation, enrayer la contagion et prendre des initiatives. Dans le cas contraire, nous devrons mettre en oeuvre le paquet négocié par David Cameron en février.

Après une réunion à l'ambassade britannique le 29 juin, nous rencontrerons au Sénat nos homologues de la chambre des Communes et de la chambre des Lords le 12 juillet. Le message est clair : quel que soit le résultat du référendum, la coopération de défense doit se poursuivre dans le cadre des accords de Lancaster House.

Deuxième inquiétude : la crise migratoire. L'accord du 18 mars avec la Turquie et la fermeture de la route des Balkans a freiné les flux de migrants : on compte désormais une cinquantaine d'arrivées par jour contre 2 000 l'hiver dernier. Toutefois, de nombreux migrants attendent dans les hot spots et 50 000, arrivés avant l'accord, sont bloqués en Grèce. Si la situation se stabilise, nous sommes à la merci d'un revirement de la Turquie qui sait monnayer sa coopération. Il n'y aura pas de solution pérenne sans règlement de la crise syrienne ni aide fournie aux États voisins, comme le Liban ou la Jordanie. Au-delà de la crise syrienne, plusieurs milliers de réfugiés subsahariens et de la corne de l'Afrique s'apprêtent à prendre la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. L'opération Sophia apportait paradoxalement une aide aux passeurs, je me réjouis que les Nations unies l'aient autorisée à lutter contre le trafic d'armes en attendant la phase III.

Il faut soutenir la reconnaissance internationale du Gouvernement du président Fayez el-Sarraj avec pour priorité la mise sur pied d'une armée et la formation de garde-côtes libyens.

La position du Sénat sur la Russie est bien connue. Nous avons lié la levée des sanctions au respect de l'accord de Minsk. Dialoguer reste notre première et permanente exigence - ce que nous avons fait en nous entretenant avec des parlementaires russes au Sénat, à qui nous avons redit notre condamnation de l'annexion de la Crimée.

La sécurité est la première demande des Européens avec l'emploi ; on l'oublie trop souvent.

M. Jean Bizet.  - Exact !

M. Jacques Gautier, vice-président de la commission.  - Il est anormal que nous découvrions un document européen sur la défense dans la presse. La composante défense doit être déclinée dans un document de type livre blanc pour adapter les moyens à une menace identifiée. La stratégie de défense prendrait tout son sens avec une relance franco-allemande élargie aux pays qui le veulent. Nous plaidons pour un Conseil européen annuel dédié à la défense et un conseil défense enfin institutionnalisé qui serait utile pour peser sur les perspectives financières.

Sans la France, l'Europe n'avancera pas sur la défense. Qu'elle soit entendue ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et au centre)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - Le Conseil européen ouvrira une nouvelle période, après le référendum britannique et la fin du premier semestre européen 2016.

Les sondages relatifs aux Brexit ne laissent rien deviner, il faut parer à toute éventualité. Le Brexit coûterait au Royaume-Uni entre 1,6 et 4,1 points de PIB, soit au moins 1 050 euros par tête et par an... La France pourrait connaître une croissance de l'activité minorée de 0,2 à 0,4 point chaque année, ce qui réduirait les recettes fiscales de notre pays de 10 à 20 milliards d'euros en 2020 par rapport à leur niveau prévisionnel. Dans cette perspective, la France doit renégocier le rabais britannique. Est-elle prête à demander une réforme de tous les rabais, ristournes et chèques ?

Un mot sur le semestre européen 2016 : la Commission européenne recommande à la France l'adoption de la retenue à la source d'ici à la fin de l'année. Que pensez-vous, monsieur le ministre, d'une telle proposition, sur une question relevant de votre souveraineté ?

Le bilan de la première année du plan Junker est bon : 2,2 milliards d'euros pour la France pour un effet levier de 8,2 milliards. En outre, nos PME bénéficieront de 518 millions d'euros sous forme de prêts garantis ou de capital risque. Quelle position prendra la France sur la poursuite de ce plan ? Quelles modalités de financement entend-elle privilégier ? Une révision du cadre financier pluriannuel est-elle indispensable ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - À l'approche du référendum britannique, l'Europe retient son souffle. Nous souhaitons que le Royaume-Uni demeure dans l'Union européenne mais la décision appartient au peuple britannique. Nous rendons hommage à notre tour à la mémoire de Jo Cox, sauvagement assassinée.

L'Europe ne fonctionne plus. La France ne s'exprime plus quand des forces centrifuges se font entendre. Nous plaidons pour une Europe recentrée sur l'essentiel, soucieuse de subsidiarité et de simplification, qui affirme sa puissance dans un monde en turbulence.

Face à la crise migratoire, le rétablissement prolongé des frontières intérieures, qui mettrait à mal le principe de libre circulation, aurait un coût économique considérable ; il faut plutôt partager l'exercice de la souveraineté pour contrôler les frontières extérieures en appuyant la création d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes européen. Est-il normal que Frontex n'ait pas accès au système d'informations Schengen et ne puisse pas intervenir dans des pays candidats à l'adhésion ? Un contrôle systématique des entrées et des sorties aux frontières extérieures est indispensable, de même qu'un combat résolu contre les passeurs.

Une mission d'information du Sénat travaille sur les conséquences de l'accord avec la Turquie, a-t-on bien mesuré l'impact de révision du régime des visas ? La Turquie écarterait une révision de la loi antiterroriste qui figure parmi les 72 critères, l'Europe doit rester ferme sur ses valeurs.

S'agissant du semestre européen, l'endettement de l'Espagne et du Portugal restent préoccupants. Pour sa part, la Grèce bénéficiera de 10,3 milliards d'euros débloqués par le mécanisme européen de stabilité. La route des réformes est toutefois longue encore et nos amis grecs ne doivent pas s'arrêter en si bon chemin.

Harmonisation fiscale et sociale, assouplissement du marché du travail... les défis de convergence interne sont encore nombreux.

L'Union européenne s'apprête à prolonger les sanctions contre la Russie ; le Sénat a pourtant appelé à leur levée progressive en fonction du respect des accords de Minsk. Nous appelons à nouveau le Gouvernement à écouter la voix de la Haute Assemblée.

Lors du prochain Conseil, M. Juncker demandera le renouvellement du mandat de la Commission européenne dans la négociation du traité transatlantique. Ce traité sera bénéfique à condition qu'il soit équilibré, notamment sur l'ouverture des marchés publics et la protection des indications géographiques, c'est-à-dire bien négocié. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - Le souhait de voir rester le Royaume-Uni dans l'Europe est largement partagé ; cela tient à l'amitié que nous portons au peuple britannique et à l'idée que nous nous faisons de l'unité européenne, de la liberté et de la démocratie.

M. Bocquet voit dans ce référendum un symptôme de la crise de l'idée européenne ; d'autres intervenants ont pointé la montée des mouvements populistes en Europe, y compris dans des pays peu touchés par la crise économique. Le Gouvernement se bat pour relancer l'idée européenne.

Une nouvelle tranche d'aide à la Grèce de 7,5 milliards sera décaissée très bientôt. Les ministres des finances se sont accordés sur des mesures de lissage des remboursements des lignes MES et FESF. A long terme, un mécanisme de gestion de la dette grecque, voire son reprofilage, pourra être envisagé. Il a été décidé que la Grèce resterait dans la zone euro ; dès lors, nous faisons tout pour l'aider à sortir de la crise.

La France aide également la Grèce dans la gestion de la crise des migrants, dans l'accueil des réfugiés, le traitement des demandes d'asile et l'application de l'accord Union européenne-Turquie.

La libéralisation des visas turcs est liée à l'application des 72 critères, dont beaucoup ne sont toujours pas remplis. Nous avons ajouté une autre condition : la réforme de la clause de sauvegarde.

Mme Jourda fait une intéressante proposition de refondation du pacte européen : soutien à l'économie réelle, droits sociaux et j'en passe... Ce sont en effet pour nous les priorités de la relance du projet européen.

André Gattolin insiste lui aussi sur la nécessité d'une feuille de route, quel que soit le résultat du référendum. Il a raison, mais la France et l'Allemagne ne peuvent être seules à la manoeuvre - même si elles ont joué un rôle historique indéniable dans la construction européenne.

C'est aussi l'honneur de l'Europe que de faire une place aux petits États. Certains font partie des fondateurs : le Benelux. D'autres encore, comme l'Espagne, ont montré leur attachement à la liberté et à la démocratie. À tous, nous devons proposer de nouvelles percées en matière d'harmonisation fiscale, sociale ou de défense.

Cela dit, les récalcitrants ne sauraient empêcher les plus ardents de faire progresser l'intégration européenne.

M. Mézard a eu raison d'insister sur la responsabilité propre à la France, en insistant sur la Turquie et la Russie. La Turquie est un grand partenaire, qui assume de très lourdes charges dans la crise des réfugiés.

Monsieur Pozzo di Borgo, le Gouvernement a émis un avis de sagesse sur la résolution proposée par la commission des affaires européennes. Les sanctions, prolongées par la Commission européenne pour six mois, peuvent servir d'outil de pression pour le respect des accords de Minsk.

Nous dialoguons avec la Russie sur la Syrie, sur l'Ukraine mais sur aussi sur le conflit du Haut-Karabakh.

Monsieur Allizard, il ne saurait y avoir de contradiction entre la politique de défense européenne que nous appelons de nos voeux et notre engagement au sein de l'Otan. Mais personne ne viendra régler à notre place le conflit entre l'Ukraine et la Russie, les crises en Méditerranée, en Libye et en Syrie... L'Union européenne doit exercer ses propres responsabilités et se doter d'outils de paix. D'où la nouvelle stratégie globale de sécurité qui sera présentée par Federica Mogherini. En matière industrielle, de financement de la recherche, de projection rapide, des propositions concrètes seront faites. Ce faisant, monsieur Gautier, j'ai répondu à vos interrogations.

M. de Montgolfier a eu raison de rappeler les études relatives au coût d'un éventuel Brexit pour le Royaume-Uni... À nouveau, nous souhaitons ardemment qu'il reste dans l'Union.

La première phase du plan Juncker ayant eu des effets positifs, nous souhaitons sa prolongation. La révision du cadre financier pluriannuel n'est pas indispensable.

Le Gouvernement entend aller rapidement vers la retenue à la source en l'inscrivant dans la loi de finances pour 2017 pour une application en 2018. Que la commission européenne en fasse la recommandation nous conforte dans cette idée. Les projets d'articles, soumis au Conseil d'État, seront transmis au Parlement avant la césure estivale.

L'Europe doit préserver la liberté de circulation, les acquis de Schengen tout en renforçant sa sécurité intérieure : c'est en effet la condition de la confiance des citoyens. Le repli sur soi, en toute hypothèse, n'est pas la solution.

La convergence franco-allemande est en marche et les initiatives peuvent être prises pour rapprocher nos systèmes de prélèvements sociaux et fiscaux ; au demeurant, assez proches. Ce serait une façon pour nos deux pays de jouer un rôle moteur dans l'Union européenne.

Le temps semble suspendre son vol en attendant le vote du peuple britannique... Nous restons persuadés que l'Union européenne avancera mieux à 28. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Débat interactif et spontané

M. Roland Courteau .  - L'Union européenne envisage une coopération plus étroite avec le Gouvernement libyen. L'opération Sofia a été renforcée, les garde-côtes libyens seront formés, c'est entendu. Mais la France est-elle au courant des conditions de détention indignes des prisonniers libyens dénoncées par Amnesty international ?

Les États européens, parties à l'accord de Paris, ne semblent pas tous pressés de le ratifier. Le sujet pourra-t-il être abordé à l'occasion d'un prochain Conseil européen, afin de trouver une position commune ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - L'opération Sophia entre dans une nouvelle phase : les garde-côtes libyens seront formés afin de renforcer la lutte contre le trafic d'armes et d'êtres humains.

Les conditions de traitement des réfugiés par les trafiquants, que ce soit dans le désert ou sur les côtes libyennes, sont en effet indignes. C'est pourquoi, nous aidons le Gouvernement de transition libyen à se structurer pour assurer sa souveraineté sur l'ensemble du territoire.

M. Joël Guerriau .  - Malgré l'augmentation des moyens décidés au sommet de L'Otan Pays de Galles en 2014, ils demeurent insuffisants alors que les crises se multiplient. Il est temps de construire l'Europe de la défense.

L'Europe doit renforcer sa coopération avec l'Otan, et mettre au point une position stratégique commune. La réconciliation avec la Russie est-elle en bonne voie ?

On ne peut nier que la crise migratoire soit une des causes du Brexit. La France est très loin de tenir ses engagements : 283 réfugiés relocalisés en mars sur les 30 000 promis à fin 2017. À l'heure où l'Europe a besoin d'un second souffle, un projet de renfort aux frontières est-il en cours ? Où en sont les interventions en mer et la lutte contre les passeurs ? Quels moyens entendez-vous y consacrer ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Cela fait beaucoup de questions...

Depuis la crise, 554 réfugiés ont été relocalisés en France, depuis la Grèce, et plus de 180 depuis l'Italie. Nous sommes de loin au premier rang. Cela prend du temps car il faut aider les services d'asile en Grèce et effectuer des contrôles de sécurité, mais la France vient montrer que c'est possible.

Des réinstallations ont aussi lieu depuis le Liban, la Jordanie et la Turquie : toutes les grandes démocraties s'y sont engagées.

Le ministre de la défense a veillé à ce que la politique de défense soit abordée dans le cadre d'une stratégie globale de sécurité.

M. Michel Billout .  - L'accord commercial Union européenne-Canada devrait être signé fin octobre, malgré les questions qui demeurent. S'agit-il bien d'un accord mixte, comme le Gouvernement le soutient, contre le service juridique de la commission européenne ?

Nous réclamons la transparence sur les transactions qui sont toujours en cours. On ne saurait prendre, loin du regard des citoyens, des décisions qui auront un impact direct sur leur vie.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Un débat a lieu sur le caractère de l'accord : mixte, il devra être ratifié par les parlements nationaux ; sinon, par le seul parlement européen. La France considère que c'est un accord mixte - un bon accord, où nous avons obtenu la protection des indications géographiques, un autre mode de règlement des différends que l'arbitrage privé, etc..., mais qui doit être soumis aux parlements nationaux.

M. Didier Marie .  - L'investissement n'a cessé de décliner en Europe depuis 2007, d'où le lancement du plan Juncker. Le verre est à moitié plein, ou vide, c'est selon. Ce plan, ambitieux, ne comblera pas notre retard. L'Ouest de l'Europe en bénéficie largement - 17 projets retenus en France et 7 milliards d'euros d'investissement -, l'Est beaucoup moins : il faut y veiller.

Ce plan peut-il, et doit-il être prorogé ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Nous restons en-deçà d'un niveau d'investissement d'avant-crise. Grâce aux réformes menées, l'investissement repart en France, mais il faut aussi l'encourager au niveau européen, dans des secteurs créateurs de croissance à l'avenir - numérique, transition écologique... - et des infrastructures - très haute définition en Alsace, Charles de Gaulle-express...

La France s'est très bien organisée pour bénéficier du plan Juncker, grâce au commissariat général à l'investissement, à la Caisse des Dépôts et à BPI France. Nous sommes prêts à partager cette expertise, et nous sommes sûrs que tous les pays européens bénéficieront à l'avenir du plan Juncker.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - La France vient encore, en mars, de se voir reprocher son endettement public, alors que sa compétitivité ne se redresse pas. L'Allemagne, elle, voit l'excédent de sa balance des paiements avoisiner 8 %, bien au-delà des 6 % prévus par le pacte de stabilité et de croissance ! D'un côté, une procédure pour déficits excessifs est envisagée, pas de l'autre. Comment l'expliquer ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Pour lutter contre les déséquilibres au sein de la zone euro, la commission a bien invité l'Allemagne à investir sur son marché intérieur et à relancer sa consommation intérieure. Pourtant, des réformes sont nécessaires ; elles ont été menées en France, avec le pacte de compétitivité, le soutien aux investissements et le redressement des finances publiques, à un rythme soutenable. L'enjeu est bien de bâtir la croissance de demain sur le continent.

M. Jean-Pierre Bosino .  - Certains anticancéreux ou médicaments contre l'hépatite C atteignent des prix exorbitants, comme l'a montré une récente campagne de Médecins du Monde. Les citoyens, avec l'austérité, paient de plus en plus souvent eux-mêmes leurs médicaments : les Espagnols les paient 58 % plus cher qu'en 2010, tandis que 38 % des Portugais n'ont plus accès aux mêmes médicaments qu'en 2014. La Commission européenne entend réagir. Quelle est la position de la France ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Il existe, s'agissant du prix des médicaments, une coordination mais non une régulation européenne. Chaque pays est libre d'organiser sa sécurité sociale à sa manière : en France, nous avons fait le choix d'un haut niveau de remboursement qui suppose des négociations serrées avec les laboratoires. La France soutient la convergence, dans le respect de la subsidiarité.

M. Jean-Yves Leconte .  - N'en déplaise aux eurosceptiques, certains défendent l'Europe comme zone de droit et de bonne gouvernance : je pense aux pays candidats des Balkans. Leurs perspectives d'adhésion seront-elles précisées ? Allons-nous parler concrètement en juillet prochain de justice et de liberté d'expression ?

Nous savons que 5 des 72 critères conditionnant la libéralisation des visas imposés aux Turcs ne sont pas respectés ; il n'en va pas de même en ce qui concerne l'Ukraine. Où en est-on ? Il ne peut y avoir deux poids deux mesures.

M le président. - À Marseille, en ce moment, l'Ukraine est devancée par la Pologne...(Sourires)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Nous soutenons l'Ukraine ! La France est attendue, pour aider les pays des Balkans à réussir leur transition économique et politique vers l'Union européenne. La région a toujours joué un rôle important en Europe, dans le déclenchement des conflits, mais aussi par sa richesse et sa diversité. Un office régional pour la jeunesse va être créé, inspiré de l'office franco-allemand. Nous travaillons avec eux sur la justice et le respect des droits fondamentaux.

La libéralisation des visas est en bonne voie avec l'Ukraine ; ce pays mérite d'être soutenu dans sa libéralisation, et pas seulement pour son football...

M. Michel Canevet .  - Il faut souhaiter que les Britanniques restent en Europe. Dans le cas contraire, les conséquences économiques pourraient être rudes : en Bretagne, les pêcheurs craignent la remise en cause des espaces de pêche, et notre première compagnie de transport maritime de passagers s'inquiète.

Quel que soit le résultat, l'étroitesse du score entraînera un séisme politique et des initiatives doivent être prises pour relancer l'Europe. La France y est-elle prête, avec l'Allemagne ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Oui, les aspirations économiques d'un Brexit seraient importantes pour le Royaume-Uni, qui devrait négocier les nouvelles formes de nos échanges. Dans le cas contraire sera mis en oeuvre l'accord de février qui n'accorde aucun droit de véto aux Britanniques sur l'intégration de la zone euro. Les États membres qui le souhaitent pourront aussi renforcer leur coopération dans tous les domaines. Nous prendrons des initiatives avec l'Allemagne.

M. Éric Bocquet .  - Les accords de partenariat économique, accords entre les pays Afrique Caraïbe Pacifique et l'Union européenne, sont entourés d'un certain flou.

Dans un courrier à Paul Vergès, vous annoncez monsieur le ministre que l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pourrait être invoqué, est-il suffisant ? Certaines lignes tarifaires concernant les produits sensibles pourraient n'être pas libéralisées immédiatement. De quels produits s'agit-il ?

Quel avenir pour l'économie réunionnaise confrontée à l'importation de produits européens et de pays voisins beaucoup moins coûteux ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Paul Vergès le sait, la France a toujours défendu le statut des régions ultrapériphériques qui comporte des règles commerciales protectrices spécifiques. Nous veillerons donc à ce que les accords de partenariat économique n'aient aucun effet négatif sur l'économie de nos outremers, ligne tarifaire par ligne tarifaire. Ces accords peuvent leur être bénéfiques, ils pourraient exporter une partie de leur production, notamment de canne et de banane, vers les pays Afrique Caraïbe Pacifique.

M. Jean Bizet, président de la commission .  - Quand la France se tait, elle inquiète ; quand elle parle, elle interpelle. À quelques jours du référendum britannique, nous avons besoin d'entendre les voix de la France et de l'Allemagne. Il nous faut une Europe recentrée sur l'essentiel, y compris la sécurité. Le Sénat s'y emploiera. Il faut ne pas hésiter à sortir du cercle des pays fondateurs : un pays comme la Pologne, d'où nous revenons, est lui aussi profondément européen.

La séance est suspendue à 20 h 5.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.