SÉANCE

du mardi 28 juin 2016

119e séance de la session ordinaire 2015-2016

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Christian Cambon, M. Claude Haut.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.

Déclaration du Gouvernement sur les suites du référendum britannique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, portant sur les suites du référendum britannique et la préparation du Conseil européen, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

À l'issue de ce débat, je transmettrai à M. le président de la République et à M. le Premier ministre les rapports de nos commissions des affaires étrangères et des finances, ainsi que le compte rendu de nos débats de cet après-midi, afin qu'ils en disposent avant le Conseil européen.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, sur certains bancs du groupe RDSE et sur le banc de la commission)

Dans le cadre du débat en vertu de l'article 50-1 de la Constitution, j'ai l'honneur de lire devant vous l'intervention que le Premier ministre prononce actuellement à la tribune de l'Assemblée nationale.

Le choc est historique : pour la première fois depuis le début de la construction européenne, un peuple a décidé de quitter l'Union. On croit toujours les choses acquises, que ce qui a été fait ne peut être défait... Combien de fois avons-nous entendu parler de l'irréversibilité de la construction européenne !

Les Britanniques se sont exprimés. Il faut respecter ce choix démocratique. Il s'impose à nous tous. Dès lors, l'alternative est simple : soit on fait comme toujours, en évitant l'évidence, en essayant simplement de colmater les brèches, avec des petits arrangements ; soit nous prenons enfin notre courage à deux mains, nous allons au fond des choses, nous faisons de ce choc, un électrochoc !

Car l'erreur historique serait de croire que ce référendum ne regarde que les Britanniques. Non ! C'est de l'avenir de chacun des peuples de l'Union qu'il s'agit. Donc aussi, et avant tout, celui du peuple français. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité venir s'exprimer devant vous, en plein accord avec le président de votre assemblée.

Parce que je crois profondément à l'Europe, je refuse que ce grand dessein dérive. Je refuse qu'il chavire et sombre, entraîné par le poids grandissant des populismes. Je refuse que nous cédions au fatalisme, au pessimisme. Je refuse que nous subissions.

Pour cela, chacun doit réinterroger ses certitudes, se remettre en question.

Je sais bien que certains diront que le résultat de ce référendum n'est pas surprenant. Après tout, le Royaume-Uni a toujours eu une relation « particulière » à l'Europe. Un pied dedans, un pied dehors, comme on a coutume de dire. Le vote de jeudi dernier révèle quelque chose de beaucoup plus profond. Ce vote montre le malaise des peuples. Ils doutent de l'Europe. Ils ne comprennent pas ce qu'elle fait ; ne voient pas ce qu'elle leur apporte... Pour eux, l'Europe est envahissante sur l'accessoire et absente sur l'essentiel. Pire, ils ont le sentiment qu'elle impose ses choix et joue contre leurs intérêts. Le slogan des pro-Brexit, « reprendre le pouvoir », dit très clairement les choses. On ne peut pas l'ignorer. L'Europe se fera avec les peuples. Sinon elle se disloquera.

Une fois ce constat posé, que faut-il faire ? Ma conviction, c'est que cette crise, comme toutes les crises, est l'occasion d'une grande transformation. Comme au cours de ces dernières années, chaque fois que l'essentiel est en jeu sur l'Europe, la France se doit de répondre présente. C'était vrai il y a un an, lorsqu'il a fallu sauver la Grèce et convaincre nos partenaires qu'elle devait rester dans la zone euro. Je n'oublie pas que certains voulaient sceller le destin de ce grand pays d'un revers de main. Certains voulaient faire sortir un pays membre, oubliant le principe même de solidarité. La suite des événements leur a donné tort. Même si tout n'est pas réglé, ce pays, aujourd'hui, se porte mieux et en est reconnaissante à la France. Sauver la Grèce, c'était déjà sauver l'Europe.

Il y a un an, la France, par la voix du Chef de l'État, était dans son rôle. Elle le sera, une nouvelle fois aujourd'hui. Parce que nous sommes la France, un pays respecté, écouté, attendu ! Parce que nous sommes un pays fondateur ! Parce qu'avec l'Allemagne, conscients de nos responsabilités, nous voulons l'Europe, notre horizon commun. Le président de la République l'a rappelé hier soir avec la Chancelière allemande et le président du Conseil italien. Parce que nous savons que c'est l'Union qui nous renforce et la désunion qui nous affaiblit.

Je mets en garde ceux qui croient qu'on renforcera notre souveraineté nationale en tirant un trait sur l'Europe ; ceux qui pensent qu'on s'en sortira mieux dans la mondialisation, qu'on traitera mieux la crise migratoire, qu'on combattra mieux le terrorisme en agissant seuls, en se privant d'appuis, dans le seul cadre de nos frontières nationales. Rien n'est plus faux. Être européen, aujourd'hui et demain, c'est respecter le choix des peuples. C'est vouloir peser sur le cours des choses.

Chacun se rappelle de ces mots de François Mitterrand : « La France est notre patrie, l'Europe notre avenir ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain).

Être européen, ce n'est pas trahir la France ! C'est au contraire l'aimer et la protéger. Depuis plusieurs jours, le Président François Hollande est à l'initiative. Il a d'abord souhaité rencontrer les présidents des deux assemblées, puis les chefs de partis. Il s'est ensuite entretenu avec le président du Conseil européen, du Parlement européen. Il s'est entretenu avec la Chancelière allemande, le président du Conseil italien et nombre de ses homologues.

Dès le 24 juin, j'ai participé au Conseil des Affaires générales à Luxembourg. J'étais, le lendemain à Berlin, à la réunion des pays fondateurs et, hier, à Prague avec le groupe de Vi?egrad. Avec le secrétaire d'État aux affaires européennes, Harlem Désir, je multiplie les contacts. J'aurai eu ce soir au téléphone chacun des ministres des affaires étrangères des 27, et je me suis entretenu ce matin avec le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg.

Le chef de l'État sera, aujourd'hui et demain, au Conseil européen. Il y tiendra un discours de fermeté vis-à-vis des Britanniques. Non pas que nous voudrions les punir ! Ce serait absurde, irrespectueux envers un grand peuple, car le Royaume-Uni est et restera un grand pays ami à qui nous devons tant. Dans trois jours, nous célébrerons ensemble le centenaire de la bataille de la Somme. Et nous continuerons de coopérer en particulier en matière de défense, de gestion migratoire et sur le plan économique.

Mais l'Europe a besoin de clarté : soit on sort, soit on reste dans l'Union ! Je comprends que le Royaume-Uni veuille défendre ses intérêts, mais l'Europe doit aussi se battre pour les siens. Depuis janvier 2013, elle est suspendue à la décision britannique. Nous avons fait preuve de patience et de compréhension. Dorénavant, l'entre-deux, l'ambiguïté ne sont plus possibles, parce que nous avons besoin de stabilité, notamment sur les marchés financiers. Ce n'est pas le parti conservateur britannique qui doit imposer son agenda.

Soyons clairs : comme le Parlement européen l'a demandé ce matin, le Royaume-Uni doit activer le plus tôt possible la clause de retrait de l'Union européenne, prévue dans le Traité de Lisbonne, pour « éviter à chacun une incertitude qui serait préjudiciable et protéger l'intégrité de l'Union ». Il n'y a pas de temps à perdre. Il n'y aura pas de négociations tant que l'article 50 ne sera pas déclenché. Et si les Britanniques veulent garder un accès au marché unique, il faudra alors respecter l'intégralité des règles.

La France tiendra un langage de fermeté. Elle tiendra, aussi, un langage de vérité : il faut inventer une nouvelle Europe. Inventer, c'est-à-dire passer à une nouvelle grande étape. Il y a eu la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, puis, pendant la guerre froide, la consolidation et l'élargissement. Nous avons accueilli de jeunes démocraties : la Grèce, l'Espagne, le Portugal. Après la chute du mur, nous avons oeuvré à la réunification du continent. Les acquis historiques de la construction européenne à laquelle la France a toujours pris une part essentielle sont irremplaçables. Et la France est garante du maintien de ces acquis.

Malgré la paix, malgré les formidables échanges économiques et culturels, malgré la création d'une monnaie unique à laquelle les Français sont attachés, une fracture s'est ouverte. Elle n'a cessé de grandir. Cette fracture a des causes profondes. Ce n'est pas uniquement une question de normes tatillonnes... C'est aussi une question de souveraineté démocratique et d'identité.

D'identité, car les peuples ont l'impression que l'Europe veut diluer ce qu'ils sont et ce que des siècles d'histoire ont façonné. Or une Europe qui nierait les nations ferait simplement le lit des nationalismes. Ce modèle au-dessus des nations, niant les particularités de chacun, serait un échec, et certains ont laissé croire qu'il était le seul possible.

Question de souveraineté et de démocratie aussi. Nous avons cru pouvoir agrandir à marche forcée ; que les « non » seraient oubliés grâce à « plus d'Europe » ; que les référendums pouvaient être contournés, que le rejet croissant de l'Europe se « soignait » uniquement par de la « pédagogie ».

Avouons-le, depuis 2005, nous avons évité les vrais débats. Et nous avons laissé un boulevard aux populismes ! Nous avons laissé les populismes proférer leurs mensonges et installer l'idée que « construction européenne » et « souveraineté nationale » étaient incompatibles.

Nous devons reprendre la main. Retrouver les sources de l'adhésion au projet européen. Et surtout réinventer les causes de l'adhésion. En répondant à ces questions : Pourquoi sommes-nous Européens ? Quel est notre projet collectif ? Quel intérêt avons-nous à être ensemble ? Pour défendre quelles valeurs ?

L'Europe, c'est une culture. C'est une histoire commune. C'est la démocratie. C'est le continent de la conquête des libertés. Ce sont des valeurs partagées : l'égalité entre les femmes et les hommes, une exigence quant à la dignité de la personne. C'est l'aspiration à l'universalité, la défense de la nature et de la planète, un certain modèle de vivre ensemble et de cohésion sociale. Cette identité n'est pas monolithique. Chacun de nos pays a ses propres caractéristiques. Seule une Union peut les protéger face à la concurrence de pays continents.

L'Europe, c'est notre interface avec le monde. Elle doit être une protection quand nous en avons besoin. Elle doit aussi démultiplier nos forces, nous permettre de peser plus que si nous étions seuls. Tout cela, c'est le sens des initiatives que la France entend porter.

D'abord, en mettant les enjeux de sécurité au coeur de l'Union. La menace terroriste, la crise migratoire mettent l'espace Schengen à l'épreuve. Nous devons en reprendre le contrôle.

Dans un monde dangereux, si l'Europe ne protège pas, elle n'est rien. Grâce à la France, beaucoup a déjà été fait : PNR européen - enfin !, encadrement de la circulation des armes. Il faut aller plus loin et vraiment maîtriser nos frontières extérieures. Pas en sortant de Schengen, mais en agissant pour que les règles régissant cet espace soient appliquées fermement et pleinement. Oui, l'Europe a des frontières. Une frontière, ce n'est pas seulement une réalité matérielle, géographique. C'est aussi une réalité symbolique, qui nous définit, qui dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas, qui dit où l'Europe commence et où elle s'arrête. L'Europe n'est pas un ensemble indéfini.

L'Europe doit également assumer un effort de défense digne de ce nom et être capable d'intervenir à l'extérieur. Et ce d'autant plus que les États-Unis se désengagent de plus en plus. Il ne faut plus hésiter.

C'est d'abord cela que la France entend porter auprès de ses partenaires. L'Europe de demain doit être protectrice.

Et puis l'Europe doit mieux s'imposer, en protégeant l'intérêt des Européens. Cessons la naïveté ! Les États tiers, comme la Chine, l'Inde ou les États-Unis défendent bec et ongles leurs intérêts partout dans le monde. Et nous, nous ne le ferions pas ? Changeons d'état d'esprit ! Dans tous les domaines : économique, industriel, financier, commercial, agricole avec notamment la filière laitière, mais aussi culturel, environnemental et social. L'Europe ne doit plus être perçue comme le cheval de Troie de la mondialisation. Elle doit protéger ses intérêts, ses travailleurs, ses entreprises. Je pense notamment au secteur de l'acier, qui représente des milliers d'emplois en France.

Nous devons faire preuve de la même fermeté par la négociation du Tafta. Il faut dire les choses : ce texte, qui ne fait droit à aucune de nos demandes, que ce soit sur l'accès aux marchés publics ou sur les indications géographiques, n'est pas acceptable. Nous ne pouvons pas ouvrir plus grand les portes de notre marché aux entreprises américaines alors qu'elles continuent à barrer l'accès aux nôtres.

L'Europe, c'est 8 % de la population mondiale. Pour conserver son rang, faire entendre sa voix, peser face aux grands ensembles, bâtir une relation forte avec l'Afrique, ce continent d'avenir, défendre son exception culturelle, elle doit s'affirmer comme la puissance qu'elle est. En s'en donnant tous les moyens.

L'Europe, le président de la République l'a dit en des termes très forts dès vendredi, doit être une puissance qui décide souverainement de son destin. Pour cela, elle doit investir massivement pour la croissance et pour l'emploi, bâtir une stratégie industrielle dans les nouvelles technologies et la transition énergétique. Le plan Juncker est d'ores et déjà un succès. Rien qu'en France, il a permis de financer 14,5 milliards d'euros de projets.

Il faut encore poursuivre l'harmonisation fiscale et sociale - par le haut ! - pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties. Certains disent que c'est impossible... Mais enfin ! Ce que nous avons réussi pour le secret bancaire, pour un socle commun de droits sociaux, nous pouvons aussi le faire contre toutes les formes de dumping qui rongent le projet européen de l'intérieur. Avec la mise en place d'un salaire minimum, avec la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs. Cette fraude, c'est s'asseoir sur les règles les plus fondamentales des droits des salariés : rémunération, temps de travail, hébergement. Et l'Europe resterait impuissante ? Non ! Si on ne le fait pas, c'est un des piliers du traité de Rome - la libre circulation des travailleurs - qui sera balayé. C'est pourquoi il faut modifier en profondeur la directive de 1996. La Commission l'a proposé. À nous de l'adopter.

Enfin, nous devrons renforcer la zone euro et sa gouvernance démocratique. Dès mon discours de politique générale, en avril 2014, j'avais demandé une BCE plus active. Beaucoup a été fait, le plus souvent à notre initiative : la zone euro est plus puissante et résistante qu'en 2008. Mais il doit y avoir plus de convergence entre les États membres et plus de légitimité dans les décisions prises. C'est pourquoi il faut à la fois un budget et un Parlement de la zone euro.

Il faut donc réinventer l'Europe. Il faut aussi une nouvelle manière de faire l'Europe. En donnant le sentiment d'intervenir partout, tout le temps, l'Europe s'est affaiblie. L'Europe doit être offensive là où son efficacité est utile. Mais elle doit savoir s'effacer quand les compétences doivent rester au niveau national, voire régional. Le président Juncker en est convaincu mais cette nouvelle philosophie est loin d'avoir pénétré tous les esprits à Bruxelles.

Il est grand temps de dépasser les oppositions stériles. L'Europe, ce n'est pas la fin des États. Non, c'est l'exercice en commun des souverainetés nationales lorsque c'est plus efficace, lorsque les peuples le choisissent. C'est, comme l'avait déjà dit Jacques Delors, une fédération d'États-Nations.

Un exemple : si la France s'est battue pour une mise en oeuvre rapide des gardes-frontières, c'est parce que nous savons que la souveraineté de notre pays, que la maîtrise opérationnelle de nos frontières doit commencer à Lesbos ou à Lampedusa.

Il faut aussi une Europe qui décide vite. Elle sait le faire, comme l'ont montré les négociations en un temps record du plan Juncker. Et s'il faut mener à quelques-uns ce que les 27 ne sont pas prêts à faire, et bien faisons-le ! Sortons des dogmes. L'Europe, ce n'est pas l'uniformité. Il y a des différences.

Enfin le débat démocratique européen doit impérativement gagner en qualité. C'est aussi une leçon du scrutin britannique : à force de ne pas parler d'Europe, les populistes n'ont aucune difficulté à raconter n'importe quoi, à tromper. C'est grave pour l'Europe et c'est fatal pour la démocratie.

L'Europe, ce ne peut pas être simplement les États qui rendent des comptes sur la gestion de leurs budgets. Il faut bien sûr des règles ; la France les respecte. Mais attention à cette image d'une Europe punitive, acquise aux thèses ultralibérales et à l'austérité budgétaire. C'est cela que nos concitoyens rejettent. Et ils ne comprendraient pas que le seul message de la Commission dans les prochains jours soit de sanctionner l'Espagne et le Portugal.

La Nation, c'est aussi sa représentation nationale. Elle doit avoir son mot à dire. Je souhaite donc que les instances européennes rendent beaucoup plus compte de leur action devant les parlementaires nationaux, que les commissaires viennent davantage devant vous. Je sais que le président Larcher souhaite que le Sénat se saisisse pleinement des instruments de contrôle que l'Europe met à votre disposition. Le Gouvernement souhaite bien évidemment associer au maximum le Parlement à ces questions et se tient à disposition du Sénat.

Il faut un changement de culture : les affaires européennes sont des affaires intérieures !

Beaucoup de propositions sont sur la table. Certains suggèrent une convention, une commission, un travail avec des sages. Certains n'ont que le mot de référendum à la bouche. Bien sûr qu'il faut donner la parole au peuple - il l'aura dans quelques mois. Mais soyons clairs : un référendum ne peut pas être le moyen de se débarrasser d'un problème, encore moins un moyen détourné de régler des problèmes de politique interne. On a vu en Grande-Bretagne ce que cela donne de jouer aux apprentis sorciers...

Je veux être encore plus clair : par le referendum, le Front national ne poursuit au fond qu'un seul objectif, qui est désormais dévoilé : faire sortir la France de l'Union européenne...

M. Stéphane Ravier.  - Absolument !

M. David Rachline.  - Tout à fait !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre.  - ... et donc de l'Histoire. Quelle étrange ambition pour notre pays. Et quelle vision dévoyée du patriotisme !

Notre rôle de responsables politiques n'est pas de suivre mais d'éclairer, de montrer le chemin. La question qui se pose à la France n'est pas de sortir de l'Europe mais de refonder le projet européen. L'élection présidentielle sera aussi l'occasion de trancher ces débats.

Dans ce moment, il faut inventer également des solutions nouvelles pour une coconstruction avec les peuples autour de projets et de propositions. Je pense à l'exemple de la COP21 qui a été enrichissant, sur le plan de la méthode. (Exclamations narquoises sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Didier Guillaume.  - Quand ça marche, reconnaissez-le !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre.  - Ce succès, c'est la preuve que nous sommes plus forts à 28 que si la France avait négocié seule !

Il faut savoir associer les citoyens de manière régulière. Les parlements européens et nationaux ont bien sûr leur rôle à jouer. Vous allez ainsi avoir à vous prononcer sur le Traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada : la France a insisté pour que les parlements nationaux soient consultés au même titre que le Parlement européen. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

L'urgence, aujourd'hui, c'est de créer les conditions les meilleures pour négocier, dans le cadre de l'article 50, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne - mais c'est aussi de préparer l'avenir. C'est notre responsabilité commune de savoir nous en saisir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RDSE et écologiste)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères .  - (Applaudissements à droite et au centre) Pour un Européen, le Brexit a d'abord été un motif d'immense tristesse, de profonde inquiétude, qui nous impose une nécessaire détermination.

C'est une profonde tristesse de voir l'actualité bouleverser l'Histoire, de mesurer le rejet du bilan européen. Combien de marathons, de sommets, de négociations bilatérales, de tout petits pas faits par de très grands hommes ont été rejetés !

Les erreurs ont condamné les acquis. La déconstruction de l'Europe est-elle engagée ? Ce n'est pas le moment, alors que les pays-continents comme la Chine, l'Inde, les États-Unis, le Brésil et d'autres pays émergents sont en train de s'organiser pour influer sur la gouvernance du monde. Et croyez-vous que notre ennemi n°1, le terrorisme, ne se réjouisse pas de nous voir ainsi divisés, affaiblis, fragilisés ? La force passe par le rassemblement. Si l'Europe est mortelle, alors la guerre n'est plus impossible, méditons-le.

N'accusons pas le peuple anglais. Les pro-Européens, dont je suis, n'ont su ni réformer ni convaincre : pour les peuples, Lisbonne n'a pas changé Maastricht. On a décidé que le président de la Commission serait élu par le Parlement européen, cela n'a pas suffi à convaincre que la construction européenne reposait sur un fondement démocratique.

La refondation est urgente. Pour cela, il faut tenir un langage de vérité. Il y a trop de mensonges. L'Europe, c'est nous, ce n'est pas les autres ! (Applaudissements à droite et au centre)

Quand un ministre de l'agriculture perd un arbitrage, ce n'est pas la faute de l'arbitre : la faute lui en incombe ! N'allons pas chercher la « technocratie » : la « bureaucratie » n'est que l'expression de la faiblesse du politique ! (Vifs applaudissements à droite et au centre)

Dans la situation actuelle, l'élargissement nous est interdit. Cessons de faire rêver la Turquie ! (Vifs applaudissements et « Bravo ! » à droite, au centre et sur quelques bancs du groupe RDSE)

L'Europe n'est pas une fédération, c'est une coopérative, dans laquelle le pouvoir appartient à celui qui sait faire partager ses positions. Le pouvoir n'est pas déclaratif, il est d'influence. Là où est le talent, on rassemble. Qu'avons-nous fait pour convaincre les Allemands, les Italiens, les autres ?

Quelle est notre vision pour l'Europe ? Je crois en l'Europe des cercles : celui des fondateurs, celui de l'euro, celui de l'Union et, à l'extérieur, celui des partenaires privilégiés. Tout ce qui n'est pas prioritaire doit être renvoyé à l'État-nation. C'est cela, la subsidiarité.

La relation franco-allemande ne doit pas être faite de vacuité, mais d'imagination.

Jean Monnet, le plus européen des Picto-Charentais, disait : « Ce qui est important, aujourd'hui, ce n'est, ni d'être optimiste, ni d'être pessimiste, mais d'être déterminé !» (Vifs applaudissements à droite, au centre, ainsi que sur quelques bancs du RDSE et du groupe socialiste et républicain)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Le peuple britannique a donc choisi la sortie de l'Union européenne. Ce résultat est un choc, qui démontre cruellement le manque d'un leadership européen et la faiblesse du couple franco-allemand. Le Royaume-Uni devra maintenir sa cohésion en surmontant la fracture générationnelle et territoriale que révèle le scrutin. Il devra négocier les termes d'un partenariat avec l'Union européenne, sous le statut de pays tiers. L'Union doit engager rapidement cette négociation, dont le commencement dépend de la Grande-Bretagne ; elle ne doit pas être l'otage des débats politiques internes à un pays qui a choisi de la quitter. Elle doit travailler à un partenariat nouveau à partir d'intérêts communs bien identifiés.

Il faut refonder l'Union européenne sur de nouvelles bases. Il est désormais urgent d'adresser quatre messages essentiels aux peuples européens.

Premièrement, mettre un frein à l'élargissement et sécuriser les frontières. Nous voulons un Schengen de nouvelle génération qui n'hésite pas à suspendre les États défaillants. Nous devons construire des partenariats efficaces, au Sud avec la Turquie sur la question migratoire, à l'Est avec la Russie en valorisant nos intérêts économiques réciproques.

Deuxième message : recentrer l'Europe autour d'un noyau dur ouvert. Le couple franco-allemand doit en être le moteur ; il est en panne ; il est impératif de le relancer. Nos deux pays doivent montrer la voie, en construisant l'union de l'énergie par la mutualisation des coûts et le partage des réseaux, en bâtissant le marché unique du numérique avec une Europe productrice et pas seulement consommatrice, en affirmant l'ingénierie financière européenne - la City étant désormais hors de l'Union - à partir de l'excellence des places de Paris et Francfort.

Troisième message : mettre en oeuvre les priorités stratégiques innovantes du président Juncker : l'industrie, créatrice de richesses et d'emplois ; l'énergie, composante fondamentale pour notre compétitivité ; le numérique, au coeur de toute activité du XXIe siècle. C'est d'une Union centrée sur l'essentiel que nous avons besoin. La relance de l'investissement doit être une priorité. Nous avons besoin d'un fonds souverain européen, un fonds Juncker de deuxième génération ! Nous devons bâtir une nouvelle politique agricole commune en intégrant la nouvelle géopolitique alimentaire.

Quatrième message : redonner aux parlements nationaux toute latitude pour décider des normes relatives à la vie quotidienne de leurs concitoyens, en affirmant le principe de subsidiarité, et en faisant de la simplification le fil directeur de notre action commune.

Dans un monde globalisé, face à des États continents, le repli national n'est pas la bonne réponse. Nous voulons une Europe puissante, dotée d'une capacité de défense aux sens propre et figuré, qui négocie des accords commerciaux sur la base d'un cahier des charges précis. Les parlements nationaux doivent pouvoir en débattre et fixer des lignes rouges. Ne restons pas, enfin, sans réagir face à l'extraterritorialité des lois américaines, contraire au droit international. Opposons un Buy European Act au Buy American Act ! Si nos partenaires commerciaux ne respectent pas leurs engagements, appliquons rapidement des clauses de sauvegarde pour préserver nos intérêts.

L'Histoire, avec le Brexit, donne une nouvelle chance à l'Europe. Réinventons l'Europe, réenchantons-la, sinon elle sortira de l'Histoire, et la France avec. (Applaudissements à droite, au centre et sur quelques bancs du RDSE)

M. Didier Guillaume .  - C'est la quatrième fois en un an que nous nous retrouvons pour un débat après une déclaration du Gouvernement sur l'Europe.

On pourrait s'en réjouir et y voir le signe d'un intérêt nouveau, j'y vois surtout celui de l'accélération des crises. Je salue l'action du président de la République, qui a toujours été à l'initiative. Quand certains parlaient d'un Grexit, il a insisté : la place de la Grèce est dans l'Union. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Après la crise de l'euro, après la crise des réfugiés, voici pour la première fois un divorce entre notre communauté européenne et un de ses membres. Cette rupture ne vient pas de nulle part. Peu la formulaient avant la convocation du référendum britannique mais beaucoup la craignaient. Nous y sommes. La crise économique a entraîné dans son sillage celle des dettes souveraines. Mais, dès les années 1990, les signes de défiance des peuples envers l'Europe étaient nombreux. Nous sommes tous comptables de cette situation. Les rivalités politiciennes nationales prenant souvent le pas sur le reste. Pendant ce temps, les eurosceptiques et les nationalistes ont pris confiance.

Au-delà des champs économiques et monétaires, nous avons échoué à construire une véritable société européenne.

Vendredi matin, David Cameron a qualifié les Britanniques de « nation de marchands ». Ironie de l'histoire, ce sont les marchands qui quittent les premiers une communauté tournée vers le marché...

Le peuple britannique a décidé. Après un divorce, il faut se tourner vers la famille : l'Europe. Quand on divorce, on ne reste pas sous le même toit. La priorité doit désormais être d'organiser cette sortie. Il y va du respect de la démocratie, mais aussi de la nécessité de sortir d'une zone d'incertitude qui pénaliserait Européens et Britanniques. Ceux qui veulent retarder la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sont parfois ceux qui l'ont demandée. Soyons clairs : quand on n'est plus un pays européen, on n'a plus de députés européens, plus de commissaire européen, plus d'aides de la PAC.

Le chef de l'État a depuis plusieurs semaines esquissé un projet européen ; il en a précisé le contenu vendredi dernier. Il a fixé comme priorité l'établissement de politiques européennes : pour la sécurité et la défense, pour l'investissement dans les nouvelles technologies et la transition énergétique, pour la jeunesse, pour l'harmonisation fiscale et sociale, pour le renforcement de la gouvernance démocratique de la zone euro.

Nous devons dire clairement que, pour que l'Europe soit mieux comprise des peuples, il est temps qu'elle leur parle et les écoute. L'Europe doit se simplifier, porter des projets qui aient un sens pour tous. Nos concitoyens aimeront l'Europe, j'en suis persuadé ; ils savent ce qu'elle leur a apporté. Mais ils ne comprennent plus l'Europe telle qu'elle existe.

Soixante ans de construction européenne ne doivent pas être effacés par la décision d'un seul État membre. L'Europe a connu deux évènements de première importance. En novembre 1989, Helmut Kohl a pris la décision historique de la réunification allemande, comprenant que l'Allemagne serait ainsi plus forte, même si cela lui coûterait d'abord. En juin 2016, David Cameron, lui, a organisé un référendum pour des raisons politiciennes : il en portera une lourde responsabilité dans la division du continent et, peut-être, de son grand pays.

Redonnons du souffle à l'Europe par un projet porteur d'espoir. Pour que les peuples reprennent confiance, l'Europe doit redevenir un grand espace de paix et de prospérité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. André Gattolin .  - Jeudi, après une campagne instrumentalisée à des fins de politique interne, 52 % des Britanniques ont pris la lourde décision de quitter l'Union européenne. C'est un choix démocratique que nous respectons, et qui doit être mis en oeuvre à travers une activation sans délai de l'article 50 du TUE.

Il ne faudrait pas que de longues et tortueuses négociations sur les modalités de cette sortie viennent accaparer nos diplomaties et paralyser les institutions européennes pendant plus de deux ans, à un moment où il est vital d'engager un véritable débat de fond sur le renouveau du projet européen.

L'heure est grave, pour les Britanniques comme pour l'ensemble de l'Union et de ses citoyens. Cependant, et s'il y a un aspect salutaire dans cette affaire, c'est que tous nos responsables politiques nationaux parlent enfin d'Europe.

Il est plus que jamais urgent de nous interroger sur notre responsabilité collective en tant qu'États membres dans cette lente mais constante dérive de l'idée européenne.

Nous avons préparé le rejet citoyen du projet européen, en nous orientant tête baissée vers un grand marché unique et vers une austérité accrue qui a accentué les inégalités sociales en Europe et en refusant de doter l'Union d'un budget ambitieux.

Alors que nous demandons chaque jour à l'Europe, ses ressources sont limitées à 1 % du PIB de l'Union et désormais presque exclusivement alimentées par des contributions nationales qui font l'objet d'un marchandage toujours plus âpre !

M. Jean Desessard.  - Très bien !

M. André Gattolin.  - L'abaissement continu des droits de douanes à l'entrée de l'Union au cours des vingt dernières années a drastiquement diminué ses ressources propres. Comment construire une Europe solidaire, qui protège et qui investit avec aussi peu de moyens ?

Lorsqu'une crise surgit et que nous ne parvenons pas à la résoudre à l'échelle nationale, nous nous tournons en urgence vers l'Europe. Mais comme dans le cas récent de la crise des réfugiés, à défaut de prévention et de solidarité, la réponse est chaotique et désordonnée. Or le sens fondamental du projet européen, c'est précisément d'anticiper ensemble les défis à affronter.

N'oublions pas non plus la responsabilité de la France. Quelle proposition forte avons-nous défendue ces dix dernières années ? Que reste-t-il de notre influence au sein des institutions européennes ? Nous avons laissé se déliter la relation franco-allemande.

Comme les Britanniques, nous nous drapons volontiers dans la grandeur de notre passé national sans reconnaître notre profonde dépendance aux autres.

« France, 5e puissance mondiale », c'est par cette ritournelle illusoire que presque tous les prétendants à l'élection présidentielle stimulent l'imaginaire politique des électeurs, sans oser dire que nous ne devons notre maintien à ce rang qu'à notre appartenance à l'Union.

Ritournelle illusoire, aussi, parce que la réalité que nous cachons pudiquement à nos concitoyens, c'est qu'en 2050 au plus tard, plus aucun pays européen, pas même l'Allemagne, ne figurera parmi les vingt premières puissances de la planète.

À l'heure de la montée en puissance de pays qui n'ont plus d'émergents que le nom, comment pouvons-nous penser l'avenir de notre pays sans penser l'échelle européenne, la seule susceptible d'imposer une véritable régulation dans un processus de mondialisation effrénée ?

Les fondements de la crise actuelle remontent à une vingtaine d'années, lorsqu'à défaut de nous doter d'une vision politique commune, appuyée sur une véritable gouvernance démocratique, nous avons choisi de nous limiter à la construction d'un grand marché unique, que nous avons largement déléguée à une commission européenne empreinte d'un dogmatisme néo-libéral suranné.

Elle s'est érigée en négociatrice exclusive d'une multitude de traités commerciaux bilatéraux et, à défaut de favoriser l'émergence d'une vigoureuse politique industrielle européenne, elle a développé une insensée politique de la concurrence, y compris dans les secteurs les plus stratégiques pour nos économies.

Avec les règles qui ont cours aujourd'hui, Airbus n'aurait jamais pu voir le jour ! Ce sont ces règles qui entravent l'émergence d'une véritable industrie européenne du numérique et d'un grand plan d'investissement en faveur de la transition énergétique.

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Très bien !

M. André Gattolin.  - Nos concurrents nord-américains et asiatiques sont loin d'avoir la même retenue : ils n'hésitent pas à recourir de manière massive à l'aide publique pour stimuler leur économie.

Le vice-chancelier Sigmar Gabriel et le président du Parlement européen Martin Schulz ont proposé vendredi dernier de transformer la Commission européenne en un véritable gouvernement et de la placer sous le contrôle démocratique de deux chambres, à savoir le Parlement européen et une assemblée représentant les États membres. Comment le Gouvernement français accueille-t-il cette proposition ?

Compte tenu des griefs croissants des citoyens européens à l'encontre des accords commerciaux bilatéraux, négociés dans l'opacité par la commission, il est urgent de réclamer un moratoire, le temps au moins d'en repenser les finalités et les modalités ?

La relance du projet européen doit passer par d'autres initiatives, afin de rendre l'Union plus solidaire et plus proche des préoccupations des citoyens. Il faut avancer rapidement vers une harmonisation des règles fiscales et sociales, afin que certains États membres cessent de capter indûment une partie de la richesse produite sur le territoire de l'Union.

Il est paradoxal qu'une partie des pays jugés parmi les plus budgétairement vertueux s'adonnent à des pratiques fiscales qui n'ont rien de respectable au regard de l'intérêt général européen.

D'aucuns proposent un renforcement de la politique de sécurité et de défense commune. Pourquoi pas ? Mais à condition de ne pas sombrer dans une politique répressive, sans respect pour nos principes d'accueil et, surtout, sans la mise en oeuvre, d'une véritable politique d'aide au développement et de prévention des conflits dans les zones à risque.

Toutefois, le problème majeur de toutes ces belles propositions, c'est qu'elles supposent de passer outre la fameuse règle de l'unanimité des États membres qui, à 27 comme à 28, constitue un véritable verrou.

La grande difficulté de l'Union européenne c'est que l'essentiel de ses institutions et de ses modes de fonctionnement a été conçu à une époque de prospérité, pour six ou dix.

Le saut en avant de l'Europe est inévitable. Si nous ne voulons pas périr dans le processus de décomposition qui s'est amorcé, il faut agir vite et fort. Mais ce saut ne pourra s'opérer qu'avec l'agrément de nos concitoyens, quitte à devoir entériner au passage le principe d'une Europe à plusieurs vitesses. Pour autant, un référendum n'aurait aucun sens, sans qu'un projet européen renouvelé n'ait été sérieusement discuté et élaboré au préalable...

M. le président. - Veuillez conclure...

M. André Gattolin.  - Nous espérons que le Gouvernement de la France saura prendre toutes ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur les bancs des commissions)

M. Philippe Adnot .  - Le Royaume-Uni va peut-être demander à sortir de l'Union européenne dans la foulée du référendum. Je dis peut-être car un chef d'entreprise irlandais m'indiquait hier soir à quelles difficultés se préparaient les doubles passeports...

Empruntons à nos amis britanniques leur flegme. Pour une fois, arrêtons de penser que tout est noir ou blanc. L'Europe ne peut pas tout : certains pays n'y sont pas et ne sont pas pour autant en faillite ; nous commerçons avec eux, leur monnaie n'est pas nécessairement dévaluée.

Regardons les conséquences du Brexit objectivement : nous verrions enfin, par exemple, si les Britanniques recevaient plus qu'ils ne versaient à l'Union...

Pourquoi n'en profiterions-nous pas pour en finir avec l'Europe tatillonne qui réglemente jusqu'à la fessée et le menu des cantines, sans prévenir la concurrence déloyale ?

L'Europe doit se concentrer sur l'essentiel. On promettait une défense commune. Où est-elle ? L'harmonisation fiscale et des règles sociales communes devaient accompagner le marché unique : on n'en voit pas le commencement... Moins d'Europe et mieux d'Europe, voilà ce qui doit nous mobiliser.

Au fait, si la Grande-Bretagne sort, le français va-t-il redevenir la langue de l'Union ? (Sourires). Après ce trait d'humour britannique, que le Brexit provoque un réveil des consciences. (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite)

M. Jacques Mézard .  - Albion une fois encore a choisi le grand large (sourires), comme au temps où le soleil ne se couchait jamais sur son empire, en se tournant vers l'océan, elle a sans doute déclenché une tempête tant sur ses côtes que sur celles du continent. Mais la tempête se calme toujours.

Respectons le vote des Anglais, c'est un peuple qui n'a pas de leçon de démocratie à recevoir, disons leur bon vent !

Nos décisions consécutives à ce Brexit doivent être fermes, conformes aux intérêts de notre Nation et de la sauvegarde de l'Europe, mais non vexatoires à l'égard d'un peuple ami dont nous n'oublions pas que voici cent ans des centaines de milliers de jeunes soldats tombaient sur la Somme pour la liberté, cette liberté qu'a si magnifiquement incarnée Winston Churchill, vingt-cinq ans après. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, sur quelques bancs du groupe écologiste, à droite et au centre)

Loin de sombrer encore davantage dans le catastrophisme, analysons les raisons de ce choc, puis n'hésitons pas à rechercher les aspects éventuellement positifs de cette rupture. Attaché à la construction européenne, le groupe RDSE l'est, viscéralement : comment oublierons nous que Maurice Faure a signé au nom de la France le traité de Rome ?

Cet électrochoc présente un côté positif en ce qu'il met l'Union Européenne au pied du mur : ou elle modifie drastiquement son fonctionnement ou elle sombrera. Ne donnons pas aux Anglais en plus la satisfaction de penser qu'ils ont eu la sagesse de quitter le navire avant son naufrage.

La sortie de l'Angleterre modifiera le centre de gravité européen : moins d'atlantisme, moins de culte de la concurrence. La situation impose des mesures rapides et, en premier lieu, par rapport à l'Angleterre : elle ne saurait imposer son calendrier et jouer la montre. L'Angleterre est entrée à reculons dans l'Europe, elle doit en sortir avec fair play ! L'Angleterre ne peut avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière. (On apprécie l'image sur de nombreux bancs) L'article 50 doit être appliqué avec comme objectif de conclure dans les deux ans et dans ce laps de temps il parait opportun de régler la question des rabais sur rabais défavorables à la France, et de ramener la langue anglaise à son nouveau poids dans l'Europe, celui de l'Irlande et de Malte.

Les concessions faites à l'Angleterre pour qu'elle adhère et qu'elle reste ont été inutiles, voire néfastes. Cependant, ne jetons pas la pierre aux Anglais, c'est une responsabilité collective et rien ne dit qu'un référendum en France n'aurait pas la même issue ! (Murmures sur divers bancs)

L'Union européenne s'est coupée des citoyens européens, par l'absence de responsabilité politique suffisante. La belle idée européenne pour construire une paix durable et le développement économique a été dévastée par ce qui est chaque jour vécu comme un pouvoir technocratique, une machine à fabriquer des directives, le temple de la concurrence et de la finance à la sauce anglo-saxonne, une technostructure faisant du Conseil européen le secrétariat général de la Commission européenne. La nature a horreur du vide, encore plus en politique.

Nier l'immense déficit démocratique serait irresponsable, les rejets populaires du traité constitutionnel de 2005, le non irlandais au Traité de Lisbonne étaient des alertes rouges. Mais le déni a perduré et nous le payons aujourd'hui. Nous avons laissé se mettre en place une Europe technocratique trop occupée à réglementer la taille des cages à palmipèdes gras (M. Jean-Louis Carrère le confirme), mais incapable de régler la dette autrement que par l'austérité ou encore incapable de s'entendre rapidement sur les moyens de gérer les migrants. Nous avons laissé s'installer une Europe qui se passe de l'avis des Parlements nationaux sur des dossiers aussi fondamentaux, que celui de la négociation du traité transatlantique.

Avant de donner des leçons aux autres, commençons par balayer devant notre porte et, si j'ose dire, en procédure accélérée... (Sourires) Ce n'est pas un message subliminal ! L'élection des députés européens en France est une aberration, une machine à recycler les surplus des partis dominants (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur plusieurs bancs à droite) et une tribune pour les anti-européens.

Notre Parlement, avec le concours du Gouvernement, doit donner toute sa place aux affaires européennes, avec une vraie information systématique des députés et sénateurs et de vrais débats préalables aux conseils européens. (Mme Chantal Jouanno approuve)

Que le Gouvernement par le canal des préfectures fasse passer chaque mois dans toutes les mairies une information systématique, synthétique, pratique sur les dossiers européens avec des interlocuteurs dédiés dans chaque département.

Je pourrais décliner d'autres propositions mais j'insisterai sur l'impérieuse nécessité de rendre pour nos collectivités, nos agriculteurs, nos entreprises, les procédures de dossiers européens simples : pour tous ceux qui y ont recours c'est le comble de la bureaucratie aggravée par la nôtre qui est un modèle en la matière.

Il est plus que temps de donner la main au Parlement, que des commissions spéciales soient créées en lien avec le Gouvernement pour mettre à plat tous ces problèmes et tenter de les résoudre.

Sur la question européenne, c'est en concertation avec le Parlement que l'exécutif doit élaborer une politique car l'Europe se reformera, réformera ou se disloquera, et la campagne présidentielle ne va pas faciliter les choses pour résoudre l'équation. Oui à l'expression du peuple, mais non au populisme.

Notre commission des finances et son rapporteur Albéric de Montgolfier ont rédigé un excellent rapport sur les conséquences du Brexit, les impacts financiers et économiques sont réels mais ne justifient pas une dramatisation excessive.

Le risque et le débat sont d'abord politiques. Comment supporter le carcan d'une commission hyper technocratique qui ne devra être que le secrétariat général du Conseil des ministres ?

Comment recentrer les directives européennes sur les grands sujets et ne plus accabler nos territoires de directives sur la couleur des oranges, les remorques des tracteurs ? J'en passe et de pires. (Sourires) Comment cibler l'action européenne sur un « noyau dur » plus large que les six pays fondateurs ? Une Europe à vitesse variable existe déjà, avec l'euro.

Comment poursuivre une harmonisation fiscale et sociale absolument indispensable ?

Débattons aussi de la définition de la stratégie économique. On a laissé la porte ouverte à tous vents aux marchés sans même protéger la frontière européenne tout en appliquant à nos entreprises des contraintes bureaucratiques absurdes.

Comment introduire une plus grande solidarité du noyau dur en matière d'immigration et de défense ? La France peut-elle et doit-elle continuer à assumer quasiment seule les missions extérieures ?

Pour avancer sur tout cela, il faut une vraie volonté politique dénuée de visions électoralistes, une volonté d'homme d'État.

Sous la IVe République, si injustement décriée, après l'échec de la CED, nos gouvernements ont provoqué la Conférence de Messine au cours de laquelle les épures du Traité de Rome furent posées. Oui il faut une nouvelle conférence de Messine avec des propositions fortes.

À l'ère des grands empires qui se constituent ou se reconstituent de la Chine aux États-Unis, en passant par l'Inde ou encore la Russie, le choix ne peut être au lâche délitement de l'Europe qui entraînera inexorablement le délitement des Nations autour de régionalismes indépendantistes. C'est avec les Nations que doit poursuivre et réussir l'Europe que nous voulons, celle d'un espace de liberté d'expression et de pensée, de création, de libertés de circuler, d'entreprendre sans diktat de la finance ou de la bureaucratie. L'Europe ne doit pas être celle de la souffrance sociale mais celle de la recherche, de l'innovation et des grands travaux.

Cela, c'est une belle aventure, c'est le beau projet pour les générations qui viennent. Y renoncer serait indigne de notre Histoire. Pour tout cela, il nous faut de la volonté et de la confiance dans notre peuple. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, sur quelques bancs des groupes écologiste, socialiste et républicain et communiste républicain et citoyen et sur de nombreux bancs au centre et à droite)

M. François Zocchetto .  - Le peuple britannique a décidé de quitter l'Union européenne 43 ans après l'avoir rejointe. Puisque les peuples nous enjoignent de parler de l'Europe sans langue de bois, disons-le : c'est un choc.

Nous pourrions nous rassurer en constatant que le Royaume-Uni s'est toujours perçu comme un pays à part, doté d'un quasi-droit de veto sur les aspirations majoritaires de ses partenaires. Nous pourrions également nous demander si ces accommodements successifs n'ont pas nourri chez les Britanniques le sentiment qu'ils seraient en droit de sortir de l'Europe, le jour où ils estimeraient qu'ils n'en tiraient plus suffisamment d'avantages, portés par une logique utilitariste sans idéal.

Mais l'heure n'est pas aux regrets, elle est au sursaut. L'histoire peut nous inciter à l'optimisme : depuis soixante-dix ans, l'Europe avance en surmontant des crises successives. Nous pouvons faire du vote de jeudi dernier un électrochoc dont nous nous dirons dans dix ans qu'il a servi à quelque chose.

Là est notre responsabilité. Celle des États-membres et de la France en particulier.

La sortie du Royaume-Uni doit être rapide et sans ambiguïté. Elle doit être menée sans ressentiment, car les électeurs britanniques ont exprimé ce que beaucoup de citoyens européens pensent. Ils s'interrogent sur l'utilité de l'Union européenne, ils considèrent souvent qu'elle est la cause de nombre de leurs difficultés ou ne sert à rien.

Sans ressentiment, car les dirigeants britanniques ne sont pas les seuls et les premiers à avoir instrumentalisé l'Europe. Souvenons-nous de 2005. Ne négligeons pas notre capacité à incriminer l'Europe au quotidien en lieu et place de nos lâchetés répétées.

Sans ressentiment, car souvenons-nous du lâche assassinat de Joe Cox, il y a quelques jours. (Applaudissements au centre)

Sans ressentiment, mais sans complaisance. Les Britanniques doivent assumer leur choix sans entraîner les 450 millions d'habitants des 27 autres pays dans la spirale de la dislocation.

Les négociations de sortie doivent s'engager sans délai, dès ce mois de juillet. Les Britanniques doivent désigner maintenant un Premier ministre qui aura la légitimité de conduire les négociations. Et celles-ci doivent être rapides : deux ans paraissent un délai maximum.

Cela signifie également qu'il ne peut y avoir d'ambigüité sur l'issue des négociations. L'objectif n'est plus de ménager la chèvre et le chou pour que les Britanniques conservent l'essentiel des avantages d'un pays membre tout en échappant aux obligations et aux contraintes d'une démarche collective.

Nous paierons un prix à ne plus être ensemble. Cela ne nous empêchera pas d'être intelligents et de trouver des formules conciliables avec nos intérêts respectifs mais, disons-le, ce sont les intérêts des 27 qui doivent être défendus corps et âme dans cette négociation !

Si nous ne sommes pas clairs et fermes, nous courons le risque d'un délitement de l'Union européenne. Tous les populistes vont s'engouffrer dans la brèche en affirmant à des opinions abusées que les dommages d'une sortie de l'Europe sont minimes. Il nous faut tuer dans l'oeuf cette perspective qui n'est pas seulement théorique et qui s'approche dans de nombreux pays.

Après le Brexit, aucun doute ne doit être possible : la sortie du Royaume-Uni ne doit pas être un précédent. Pour nous, centristes, la construction européenne n'est pas réversible. L'Union n'est pas un aimable club auquel où l'on pourrait entrer et sortir à sa guise.

Face à l'immensité de la tâche, il faut associer les parlementaires français nationaux et européens aux travaux du Gouvernement. Il serait pertinent de créer très vite un comité de suivi transpartisan avec lequel le Gouvernement pourra dialoguer. Plus vous serez transparents et à l'écoute, plus nous pourrons soutenir la position française. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

La relance de l'idéal européen, sa renaissance, doit être menée simultanément. Désormais privée de soutien populaire, elle ne sait plus démontrer que nos situations individuelles seraient bien plus fragiles sans elle. La famille centriste a la chance d'être unie sur la question de la construction européenne. Nous avons la conviction que les citoyens seront mieux protégés dans l'Union européenne à condition qu'elle soit plus forte, plus intégrée et plus tournée vers ses habitants.

Malheureusement, l'option d'une sortie de crise par le haut, vers plus de fédéralisme, n'est aujourd'hui pas audible tant la défiance envers le projet européen s'est installée. Nous devons en passer par une étape intermédiaire qui constitue à recréer ce que j'appellerai « une envie d'Europe », qui n'existe plus, aujourd'hui, chez un bon nombre de nos concitoyens.

Le politique doit à nouveau primer dans le processus de décision européen, en supplantant la technostructure, quand bien même elle est la mieux intentionnée, mais il n'est que le reflet de nous-mêmes. Les députés que nous envoyons à Strasbourg doivent être les meilleurs. (Exclamations d'encouragement sur plusieurs bancs au centre et à droite) Nos ministres doivent être à Bruxelles (Même mouvement)

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Les meilleurs !

M. François Zocchetto.  - La subsidiarité, dont on parle tant, doit être redéfinie et prévaloir.

À ce stade, l'Europe doit se mobiliser sur la sécurité, intérieure et extérieure, la politique migratoire, l'harmonisation des politiques fiscales, sociales et environnementales, l'identification de projets industriels cruciaux prévalant sur le dogme du libre-échange absolu et de la finance. Le départ des Britanniques constitue à cet égard une réelle opportunité. Pour le reste, laissons vivre nos spécificités et prospérer les initiatives sans immédiatement les traduire en normes. (Vifs applaudissements au centre) L'Europe doit incarner des réalisations fortes, utiles et parlantes à ses citoyens. (Applaudissements au centre, à droite et sur quelques bancs du groupe RDSE)

M. Pierre Laurent .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Avec le résultat du référendum britannique, un grand peuple européen a décidé de quitter l'Union européenne. Ce terrible échec intervient au terme d'une année de surenchères libérales et xénophobes orchestrées par les classes dirigeantes de la droite britannique (Murmures à droite) qui ont voulu ce référendum...

Mme Françoise Férat.  - C'est la lutte des classes !

M. Pierre Laurent.  - Ce résultat signe la faillite du projet libéral et austéritaire européen, entièrement tourné vers la mise en concurrence. Ce projet, que vous avez soutenu, oui, monsieur Raffarin, est incapable d'unir les peuples européens vers un destin commun fait de paix, de justice et de progrès social partagé.

Ce vote est un désaveu cinglant pour tous ceux qui, depuis des années, ont poussé les feux d'une construction libérale de l'Union européenne sans jamais écouter les peuples européens, à commencer par le nôtre. Une décennie de dénis démocratiques, depuis le sort fait au référendum de 2005 en France, jusqu'aux votes des Grecs en 2015, qui voulaient rester dans l'Union mais refusaient l'austérité qui leur était et leur est toujours imposée...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Exactement !

M. Pierre Laurent.  - Respecter les peuples est la seule méthode pour construire une Union de solidarité. Il est grand temps de les entendre si nous ne voulons pas voir l'Europe sombrer dans le fracas des guerres économiques - où les morts s'appellent chômeurs et précaires (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Le projet austéritaire imposé aux peuples depuis le traité de Lisbonne et la crise du capitalisme financier de 2008 doit être stoppé. Le temps est venu d'une refondation progressiste de l'Europe tournée vers le progrès social. Poursuivre serait folie, ce serait laisser place à toutes les dérives racistes et xénophobes qui défigurent l'Europe, à toutes les rivalités nationalistes et leur cortège de conflits, de tensions et de guerres.

Les premières déclarations ne nous rassurent pas. Le choix souverain du peuple britannique doit être respecté sans chantage, sans menaces de représailles. Les négociations du Brexit doivent être menées avec responsabilité. D'autant que manifestement, soit dit entre nous, personne, pas plus les dirigeants britanniques que les autres, n'y semble préparé. Il ne suffira pas d'invoquer l'article 50 pour régler tous les problèmes. Ce n'est pas la finance qui doit une nouvelle fois être protégée mais tous ceux qui font la richesse des nations, les travailleurs, les citoyens, les migrants. Le Royaume-Uni est un de nos grands voisins. Anglais, Gallois, Écossais, tous doivent être écoutés, comme doivent l'être les Irlandais dont l'avenir commun est à nouveau interpellé par cette situation inédite. Nous vous proposons la création d'une commission spéciale parlementaire, commune aux deux assemblées, où seraient représentés tous les groupes, sur le suivi du Brexit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

L'essentiel, c'est l'engagement déterminé de la France dans la bataille de la refondation progressiste de l'Europe, une Union de peuples et de nations libres, souverains et associés, tournée vers le progrès humain et la justice sociale, débarrassée de l'emprise prédatrice de la finance. Cette nouvelle Union solidaire et coopérative impliquera par étapes des nouveaux traités. Ils doivent être construits sous le contrôle des peuples européens avec de nouvelles procédures démocratiques, en respectant la souveraineté de tous. L'Europe autoritaire, c'est fini, il serait temps de le comprendre !

Mme Nathalie Goulet.  - Vous parlez d'expérience...

M. Pierre Laurent.  - La France doit être à l'initiative d'un immense débat public national et européen d'une ampleur inédite.

Première proposition, la France doit proposer à l'échelle européenne le lancement d'états généraux pour une refondation progressiste européenne (Marques d'ironie à droite) en commençant par mobiliser les gouvernements, les forces politiques, sociales et citoyennes disponibles.

M. Alain Vasselle.  - Et les casseurs !

M. Pierre Laurent.  - Deuxième proposition, nous pourrions mettre en place une instance inédite, une conférence citoyenne permanente. (Rires à droite)

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Nuit debout !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Cela ne peut pas fonctionner...

M. Pierre Laurent.  - Elle serait chargée de construire ce nouveau projet européen. Elle pourrait associer des représentants de toutes les forces politiques, des parlementaires et des élus locaux de tous niveaux et de toutes les sensibilités, tous les syndicats, les ONG et le monde associatif.

M. Christian Cambon.  - Ben voyons...

M. Jacques Gautier.  - Les zadistes ?

M. Pierre Laurent.  - Toutes les décisions qui engagent la France au plan européen doivent être soumises au Parlement et associer cette conférence citoyenne. Les propositions pour un nouveau traité pourraient être soumises à référendum le moment venu.

Sans attendre, des décisions doivent être prises pour stopper le train fou de l'Europe libérale et du dumping social, l'Europe des traités autoritaires et imposés qui jette peuples et travailleurs les uns contre les autres.

Trois mesures immédiates contre le dumping social. D'abord, la France ne doit pas ratifier les traités de libre-échange Tafta, Ceta et Tisa. Elle doit exiger la reconnaissance du caractère mixte de ces accords, donc l'obligation d'un vote conjoint au Parlement européen et dans chaque Parlement national. Cela vaut tout de suite pour le Ceta, au moment où la Commission européenne envisage la non-reconnaissance du caractère mixte du traité...

Ensuite, la France doit suspendre l'adoption et la mise en oeuvre dans notre législation des recommandations européennes de déréglementation sociale, à commencer par la loi Travail. (Marques d'ironie à droite et au centre) Après avoir versé des larmes de crocodile sur le Brexit, allez-vous adopter cette loi...

M. Jean-Claude Frécon.  - Oui ! (On renchérit au centre et à droite)

M. Pierre Laurent.  - ...qui généralisera le dumping social ? Ce serait socialement irresponsable et, politiquement, ce serait un nouvel acte de mépris à l'égard de notre peuple. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Ici comme au Royaume-Uni la fracture n'est pas seulement sociale, elle est politique et démocratique.

Mme Éliane Assassi.  - Eh oui !

M. Pierre Laurent.  - Enfin la France doit exiger une renégociation immédiate de la directive sur le travail détaché et adopter les mesures pour stopper ces atteintes scandaleuses au droit du travail.

Nous vous proposons aussi des décisions fortes pour sortir de l'austérité. Au moment où nous allons entrer dans la discussion budgétaire, la France doit demander la renégociation du traité budgétaire et déclarer qu'elle ne veut plus encadrer son soutien aux services publics, à l'investissement public, et aux collectivités locales par les critères idiots et contre-productifs du pacte de stabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Pour financer ces dépenses, la France propose la création d'un fonds européen alimenté par les 80 milliards d'euros qu'injectent chaque mois la BCE à fonds perdus dans les marchés financiers. L'argent doit aller à l'emploi, et non plus aux banques et aux dividendes.

Enfin, la France doit agir sans tarder pour une conférence européenne sur la dette et un plan de lutte drastique contre l'évasion fiscale et le dumping fiscal.

Face à la faillite de votre projet européen, passons de la parole aux actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Les Anglais ont dit non. Le Brexit représente une amputation. D'abord pour l'Europe car le Royaume-Uni est un grand pays, celui de la Magna Carta et de la naissance du parlementarisme, un pays aussi qui a versé son sang pour le nôtre, qui est le seul à avoir comme le nôtre un regard global sur le monde, une armée et une défense.

M. Charles Revet.  - Cela mérite d'être rappelé !

M. Bruno Retailleau.  - Ensuite, une amputation sans doute pour les Anglais, avec le risque d'un royaume désuni.

Mais le ministre des affaires étrangères l'a dit, le Brexit doit être un électrochoc. Il ne s'agit pas de punir les Britanniques. On ne punit pas un pays parce que l'on aurait voulu qu'il vote autrement. (Applaudissements sur les bancs Les Républicains ; M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également) Il faut respecter le résultat des consultations politiques. M. Ayrault le sait... (Applaudissements et rires à droite)

Cet électrochoc doit être une deuxième chance pour l'Europe. Nous n'en aurons pas de troisième. Ce sera la refondation ou la dislocation. L'euroscepticisme gagne du terrain, en particulier en France. Les résultats doivent nous interroger, ils ne traduisent pas un particularisme insulaire et doivent nous conduire à redonner du sens au projet européen. Il faut rendre à l'Europe son histoire, sa géographie, son ambition.

Selon l'un des principaux théoriciens du djihad, l'Europe est le ventre mou du monde occidental. Nos concitoyens attendent la reconnaissance de notre identité : Rome, Jérusalem, la Renaissance, les Lumières. De nos valeurs aussi, L'Épître aux Galates, une certaine conception de l'égale dignité des êtres humains et de l'être au monde.

On a tenté de construire l'Europe par le commerce, par le marché, par le droit -  Habermas parlait de patriotisme constitutionnel  - mais cela ne suffit pas. Il faut faire l'Europe avec son histoire, avec sa géographie. Pas de communauté politique sans frontières, sans territoire. Les frontières disent ce que nous sommes, et ce que nous ne sommes pas. « La carte et le territoire », comme aurait pu l'écrire Michel Houellebecq... Nous devons cette clarification aux Européens comme aux Turcs : la Turquie n'est pas un pays européen (Applaudissements à droite ; MM. Jean-Léonce Dupont et Alain Bertrand applaudissent aussi) Au-delà de la Baltique à la mer Égée, les frontières ne peuvent plus évoluer. Il est temps de mettre fin aux incertitudes, aux indéfinitions du projet politique.

Et il faut rendre son ambition à l'Europe. Pour cela, d'abord, accepter le diagnostic. C'est un paradoxe : jamais de leur histoire nos peuples n'ont partagé une telle proximité. Et jamais l'Union européenne n'a été aussi proche du délitement. Pourquoi ?

Une cause à cette situation : on a ignoré les nations, on a tenté de leur substituer aux États-nations une construction sophistiquée, avec un État hyper-centralisé, supranational. Et cela n'est possible qu'avec une discipline de fer, avec toujours plus de normes et de contraintes, et en tenant à l'écart les peuples. Ceux-ci ont eu le sentiment d'une dépossession. L'Europe ne peut pas faire disparaître les États-nations, je fais miens les mots du Premier ministre dimanche.

Remettons au centre les souverainetés nationales, les démocraties nationales. Le droit européen ne peut être supérieur à la règle suprême de chacun des peuples : leurs Constitutions. La Cour de justice de l'Union européenne ne doit pas se prendre pour la Cour suprême. Donnons aux parlements nationaux un carton jaune sur les décisions européennes (applaudissements à droite), voire un carton rouge.

Il nous reste à nous réapproprier l'Europe que nous voulons, que nous construirons. L'Union fut construite à l'origine pour mettre fin aux luttes fratricides ; aujourd'hui les défis viennent de l'extérieur. Nous devons protéger nos emplois avec une stratégie offensive en investissant dans la recherche et l'innovation mais aussi une stratégie offensive car on a coupablement laissé faire, au nom de la concurrence non faussée, une concurrence débridée. (Marques d'ironie sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Ce n'est pas la première fois que je le dis ! Souvenez-vous de Péchiney ! Je suis pour un principe de réciprocité, de préférence européenne. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il faut approfondir les coopérations industrielles, budgétaires ; il n'est pas normal que la France porte seule le fardeau de la défense européenne ; Schengen a échoué,  il faut un Schengen refondé, un Frontex transformé en véritable agence responsable des contrôles aux frontières ; une gouvernance renforcée pour l'euro, oui, mais l'avenir de la zone euro dépend d'abord du respect par chaque pays, la France comme les autres, de ses engagements.

Paul Valéry, au soir de la première Guerre Mondiale, avait prédit que la civilisation était mortelle. Nous le savons désormais, l'Europe peut être mortelle. Ce monde dangereux exige une Europe forte. Le cadre naturel de notre action, c'est l'Europe des peuples et des nations. C'est par elle que nous retrouverons la confiance de nos peuples et l'idéal européen brillera de nouveau de tout son éclat sur notre continent ! (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

M. Jean-Marc Ayrault, ministre .  - Merci pour vos fortes interventions. J'en retiens, quelles que soient les nuances ou les divergences, votre attachement à l'Europe, votre volonté légitime d'être associés au projet européen et à sa redéfinition.

Il n'appartient pas au Gouvernement de trancher entre une commission sénatoriale ou une commission commune aux deux assemblées sur le suivi du Brexit ; en revanche, le Gouvernement souhaite une plus grande association du Parlement. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes)

Mais il faut aussi souligner que ce dernier n'exerce pas toujours les prérogatives qu'il détient ? Le carton jaune, monsieur Retailleau ? Le Parlement peut déjà se saisir des projets de directive qui lui paraîtraient contraires au principe de subsidiarité et dire ce qu'il en pense.

L'Europe est souvent prise en bouc-émissaire. Monsieur Pierre Laurent, ce n'est pas l'Europe qui impose des réformes. Si la France réforme par exemple son droit du travail, c'est qu'elle le veut. À chacun d'assumer ses responsabilités. Attention à ne pas alimenter l'euroscepticisme. (MMAlain Bertrand et Jean-Pierre Sueur applaudissent)

Plus l'incertitude s'installera, plus les conséquences du Brexit seront lourdes et plus l'euroscepticisme augmentera. (M. Philippe Bonnecarrère applaudit) Pour l'heure, la question la plus urgente est : comment gérons-nous cette crise ? Les conséquences financières apparaissent, les conséquences économiques suivront. Certains évoquent déjà des effets d'aubaine... Les 27 doivent rester unis pour ne pas laisser l'incertitude s'installer après le résultat du référendum.

Le vote - ceux qui l'ont organisé pour un problème interne à Union européenne formation politique en portent la lourde responsabilité  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) doit être respecté par les Britanniques mais aussi par les Européens. Plus tôt l'article 50 du Traité aura été mis en oeuvre, mieux ce sera. Ce n'est pas une punition, monsieur Pierre Laurent, mais le respect du choix des électeurs britanniques. Après la sortie de l'Union européenne, la Grande-Bretagne deviendra un pays tiers mais un pays tiers avec lequel on construit des relations.

Les partisans du Brexit n'avaient rien prévu, rien anticipé. Le responsable d'un parti nationaliste et populiste dont nous avons le pendant en France, Nigel Farage, a avoué au lendemain du Brexit qu'il avait menti en assurant que la participation de la Grande-Bretagne à l'Union européenne servirait à financer les hôpitaux. Oui, certains ont menti mais le résultat est là. Il doit être respecté.

Quel avenir pour l'Europe dans un monde où la mondialisation menace nos modes de vie, notre jeunesse, notre culture ? Dans le même temps, de grandes puissances s'affirment : la Chine, l'Inde et l'Afrique demain. Qui peut assurer sécurité et protection de leur mode de vie à nos peuples sinon l'Union européenne ? Revenons à l'esprit des pères fondateurs pour retrouver la force du projet européen. Cela ne s'improvise pas, cela ne tient pas en quelques slogans. Il faut travailler.

J'ai rencontré hier les ministres des affaires étrangères des pays du groupe de Visegrad. Mon homologue slovaque, dont le pays va assurer dans quelques jours la présidence de l'Union européenne, parlait avec gravité, car il sent le poids qui pèse sur ses épaules. Malgré nos divergences, nous nous souvenons tous l'appel de Schuman. Nous savons tous que la création de la Ceca, de la CED, la Conférence de Messine, le Traité de Rome furent de grands événements historiques, qui ont ramené la paix sur le continent. C'est l'Europe aussi qui a accueilli l'Espagne sortant du franquisme, le Portugal revenu de Salazar et la Grèce après la dictature des colonels. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE et au centre)

Après la chute du Mur de Berlin et la réunification allemande, les pays d'Europe de l'Est, qui ont si longtemps vécu sous le joug soviétique, nous ont rejoints. (« Bravo ! » à droite) Nous devons continuer à construire l'Europe avec eux, même si certains adoptent des positions critiquables. Car ils voient en l'Europe une chance de paix et de démocratie.

Nous le devons aussi à nous-mêmes, et à notre jeunesse. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste, RDSE et sur plusieurs bancs au centre et à droite)

M. le président.  - Notre débat s'achève, j'en adresse immédiatement le compte rendu au président de la République et au Premier ministre, ainsi que le rapport de notre commission des finances. Le Sénat prendra toutes les initiatives qui lui paraîtront nécessaires pour mettre en oeuvre sans délai la décision du peuple britannique.

La séance est suspendue à 17 heures.

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Corinne Bouchoux, M. Christian Cambon, M. Claude Haut.

La séance est reprise à 17 h 5.