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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Éloge funèbre de Michel Houel

M. Gérard Larcher, président du Sénat

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Démission et remplacement d'un sénateur

Demande d'avis sur une nomination

Modification à l'ordre du jour

Engagement de la procédure accélérée

CMP (Demande de réunion)

Commissions (Candidatures)

Conseil constitutionnel (Décisions et saisines)

Dépôt de rapports

Composition de la cour d'assises de l'article 698-6 du code de procédure pénale

Discussion générale

M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Pierre Sueur

M. André Reichardt

Mme Cécile Cukierman

Hommage à une délégation japonaise

Composition de la cour d'assises de l'article 698-6 du code de procédure pénale (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Jacques Mézard

M. Yves Détraigne

Discussion de l'article unique

Autorités indépendantes (Troisième lecture)

Discussion générale commune

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois

M. André Gattolin

M. Didier Marie

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx

Mme Cécile Cukierman

Mme Nathalie Goulet

M. Jean-Claude Requier

M. François Bonhomme

M. Marc Laménie

Discussion des articles de la proposition de loi

ARTICLE 25

Intervention sur l'ensemble de la proposition de loi

M. Philippe Bonnecarrère

Discussion des articles de la proposition de loi organique

Commissions (Nominations)

« Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités »

M. Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

M. Éric Doligé, rapporteur de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

M. René Vandierendonck

Mme Caroline Cayeux

Mme Éliane Assassi

M. Pierre-Yves Collombat

M. Hervé Poher

M. Bernard Fournier

M. Jean-François Husson

M. Dominique de Legge

M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur

Ordre du jour du mercredi 11 janvier 2017

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mardi 10 janvier 2017

41e séance de la session ordinaire 2016-2017

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Valérie Létard, Mme Catherine Tasca.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté.

Éloge funèbre de Michel Houel

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement) Michel Houel nous a quittés le 30 novembre dernier.

Le 10 décembre, nous étions rassemblés en la Collégiale de Notre-Dame-de-l'Assomption, pour une cérémonie émouvante devant une assistance nombreuse. Le temps était gris comme nos coeurs.

Michel Houel était un sénateur chaleureux et estimé de chacun d'entre nous, comme il avait été durant des décennies un maire et un élu local apprécié et toujours réélu par ses concitoyens.

Au milieu de ses proches et de ceux qui lui étaient chers, j'ai alors exprimé en votre nom à tous notre profonde et commune tristesse, devant plusieurs d'entre vous, le président du groupe Les Républicains Bruno Retailleau, nos collègues et anciens collègues sénateurs de la Seine-et-Marne et d'autres départements, et Pierre Cuypers à qui reviendra désormais la charge de lui succéder dans notre hémicycle.

Il m'appartient en ce début d'après-midi de prolonger cet adieu au Palais du Luxembourg, dans notre salle des séances, en présence de sa famille et de ses amis.

Michel Houel était né le 8 novembre 1942 dans le village de Condé-Sainte-Libiaire dont il fut le premier magistrat de 1977 à 2001. Il connut une enfance heureuse dans ce bourg où il venait en aide à ses parents qui tenaient le restaurant du village.

Il aimait à rappeler, quelques années plus tard, ses débuts professionnels dans de grands restaurants parisiens où il servit de nombreuses célébrités, avant de reprendre lui-même le restaurant familial en 1981 et de créer ensuite son entreprise à Paris.

Cette belle carrière professionnelle n'allait toutefois pas tarder à aller de pair avec un engagement public et politique. À qui l'interrogeait sur ceux qui l'avaient guidé en politique, Michel Houel citait le général de Gaulle et... sa mère.

Marie-Louise Houel, en effet, avait été élue conseillère municipale dès que les femmes avaient obtenu le droit de vote et c'est presque naturellement que, suivant ses traces, Michel devint à son tour conseiller municipal de Condé-Sainte-Libiaire en 1971, avant d'en être élu maire six ans plus tard.

Quant au général de Gaulle, Michel Houel était très lié aux gaullistes sociaux et plaidait inlassablement pour l'idée forte de la participation à laquelle il était très attaché.

Michel Houel, dont l'ambition véritable était d'aider ses concitoyens, était d'abord un élu de proximité. Il estimait que le mandat de maire est, je le cite, « le mandat qui permet de rester ancré dans la réalité et de toucher du doigt les difficultés rencontrées par les gens ».

Il fut ainsi, pendant vingt-quatre ans, maire de son village natal, avant de devenir, pendant quatorze ans, de 2001 à 2015, maire de la belle ville médiévale de Crécy-la-Chapelle, où lui a été rendu cet hommage si particulier, il y a tout juste un mois, au milieu des siens.

Maire passionné, efficace et pragmatique, Michel Houel ne mésestimait pas les difficultés de la tâche. En tant que président de l'Union départementale des maires de Seine-et-Marne, fonction qu'il occupa de 2001 à 2014, Michel Houel exprimait ainsi ce qui constituait à ses yeux les grandeurs et les servitudes de la fonction de maire : « La difficulté de la fonction est d'être l'homme à tout faire de la République. Les maires doivent être à la fois gestionnaires, bâtisseurs, imaginatifs, sociaux et éducateurs. Mais ce qui est gratifiant et ce que j'apprécie personnellement est de pouvoir redonner de l'espoir à certains. Comme pour les parlementaires, un des rôles du maire est d'être la relation de celui qui n'en a pas ».

Cette proximité que nos compatriotes attendent, Michel Houel considérait qu'elle était l'essence du mandat de maire.

Élu local complet, il fut aussi membre du conseil général de la Seine-et-Marne dès 1992, avant de devenir vice-président de l'assemblée départementale de 1994 à 2004. Il fut également, de 1993 à 1995, membre du Conseil économique et social où il siégea avec beaucoup d'intérêt et de compétence à la section des relations économiques extérieures.

C'est naturellement que l'élu local qu'était Michel Houel se tourna bientôt vers le Parlement. Il en fit une première approche dans le sillage de Guy Drut, député de la Seine-et-Marne, dont il fut le suppléant de 1997 à 2002. C'est le 26 septembre 2004 qu'il nous rejoignit au palais du Luxembourg, étant élu, puis réélu sénateur de la Seine-et-Marne, aux côtés de Colette Mélot, sur la liste alors conduite par notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, auquel Anne Chain-Larché a succédé lors de son entrée au Conseil constitutionnel.

L'élu local pragmatique et réaliste chercha aussitôt à se transformer en un sénateur ayant le sens du concret chevillé au corps.

Michel Houel, il l'avouait, eut un certain temps d'adaptation lors de son arrivée au Sénat. Puis, disait-il, « je me suis aperçu qu'on pouvait faire des lois pour aider les gens. J'ai créé un groupe Artisanat et services avec quarante sénateurs et je suis retombé dans le concret. J'ai ainsi pu aider les photographes, les taxis, etc... ».

Oui, le concret, l'efficace, le vrai : voilà la marque de ce qu'était la manière d'agir de Michel Houel. Il fut, mes chers collègues, durant plus de douze ans un collègue très actif et estimé.

Participant à de nombreux groupes d'études, il fut un membre fidèle et assidu de notre commission des affaires économiques, à laquelle - je peux en porter témoignage - il apportait sa connaissance du terrain, son sens du concret et son pragmatisme.

Ses avis budgétaires annuels sur la recherche et l'enseignement supérieur étaient attendus et appréciés, comme le furent plusieurs de ses travaux de contrôle. Il élabora ainsi en 2009, avec notre collègue Marc Daunis, un rapport d'information sur les « pôles de compétitivité », dressant des perspectives toujours d'actualité pour mettre ces pôles au service d'une politique industrielle définissant des secteurs stratégiques pour notre pays.

Il rédigea plus récemment un document d'information sur la TVA à taux réduit dans la restauration - domaine qu'il connaissait parfaitement - pour démontrer que cette disposition n'avait pas été vaine et constituait une avancée significative dans ce secteur professionnel.

Michel Houel fut, cette année encore, le rapporteur convaincu et efficace du projet de loi destiné à rationaliser le maillage territorial des chambres de commerce et d'industrie, ainsi que des chambres des métiers et de l'artisanat.

Ce sens de l'action concrète, qui ne quittait jamais son esprit et qui lui donnait une vision juste des problèmes du pays, était avant tout celui d'un humaniste.

Michel Houel, qui souhaitait chaque jour oeuvrer au service de ses concitoyens, a consacré à ses mandats d'élu local et de parlementaire l'essentiel de sa vie.

Pour cet homme de terrain, l'action politique ne pouvait se concevoir qu'à partir d'un enracinement dans cette « Venise briarde » à laquelle il était tant attaché.

Michel Houel était un élu de référence, une personnalité attachante.

Je souhaite redire ici au groupe Les Républicains du Sénat, une nouvelle fois endeuillé, et à ses collègues de la commission des affaires économiques, notre émotion. En cet instant de mémoire, j'exprime aussi à son épouse, à son fils qui a porté le 10 décembre un remarquable témoignage sur son père, à toute sa famille et à leurs proches, l'émotion du Sénat de la République, ainsi que ma profonde tristesse personnelle.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - C'est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le 30 novembre que Michel Houel nous avait brutalement quittés, à 74 ans.

Né à Condé-Sainte-Libiaire, dont il a été maire pendant vingt ans, il eut un parcours riche et diversifié. Formé aux métiers du tourisme, il débuta sa carrière en reprenant et en développant le restaurant familial des bords de Marne, dont il fit un établissement réputé et chaleureux. Cette activité professionnelle exigeante ne l'empêcha pas de s'engager pour le développement économique de son territoire, en devenant dès 1967 membre du conseil d'administration de la Fédération hôtelière de la Brie et en cofondant la chambre économique du Nord Seine-et-Marne. Devenu conseiller municipal puis maire de Condé-Sainte-Libiaire puis de Crécy-la-Chapelle, il fut un précurseur des politiques locales d'aménagement du territoire, élaborant l'un des tout premiers plans d'occupation des sols du département, présidant le comité départemental d'habitat et d'aménagement rural, la commission de l'environnement, le conseil d'administration du centre de ressources, d'expertise et de performance sportive.

Cet engagement dans la vie locale lui valut d'être élu conseiller général du canton de Crécy-la-Chapelle en 1992. Il deviendra par la suite vice-président du conseil général de Seine-et-Marne, en charge de l'aménagement du territoire et de l'action économique, puis membre du Conseil économique et social. Michel Houel a ainsi beaucoup oeuvré pour l'attractivité de son territoire, par une politique d'accompagnement et d'incitation à l'implantation et au développement des entreprises.

Élu sénateur de Seine-et-Marne en 2004, il poursuivit son action au service du développement et du maintien de l'activité économique sur tous les territoires, soutenant en particulier l'activité des artisans et commerçants, et notamment des photographes et chauffeurs de taxis. Fervent défenseur de l'apprentissage, dont il connaissait par expérience toutes les vertus, il témoigna toujours un grand intérêt à l'artisanat d'art, jusqu'à lui consacrer un salon permanent dans sa commune de Crécy-la-Chapelle. Grand amateur d'art, il fit de cette commune un lieu d'ouverture culturelle, par l'organisation de nombreuses manifestations.

Le parcours de Michel Houel démontre une force d'engagement et une personnalité qu'il faut saluer. Humaniste et toujours à la recherche du meilleur consensus, il était unanimement apprécié, par ses concitoyens qui le décrivent comme un homme chaleureux, simple, accessible et à l'écoute, mais également par ses collègues élus : il fut pendant près de quinze ans président de l'union des maires de Seine-et-Marne, qui regroupait la quasi-totalité des plus de cinq cents maires de ce grand département francilien. Il a profondément marqué son territoire et admirablement servi notre pays comme son département.

À son épouse, à son fils, à ses amis, à ses collaborateurs, à l'ensemble de ses concitoyens, j'adresse, au nom du Gouvernement, mes condoléances les plus attristées. (Mmes et MM. les sénateurs observent un moment de recueillement)

M. le président.  - Par respect pour la mémoire de Michel Houel, je suspens la séance pour quelques minutes.

La séance est suspendue à 14 h 50.

présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président

La séance reprend à 15 heures.

Démission et remplacement d'un sénateur

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu une lettre de M. Jacques Gautier par laquelle il se démet de son mandat de sénateur des Hauts-de-Seine, à compter du samedi 31 décembre à minuit.

En application de l'article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par Mme Marie-France de Rose, dont le mandat de sénateur des Hauts-de-Seine a commencé le dimanche 1er janvier 2017, à zéro heure. Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

Demande d'avis sur une nomination

M. le président.  - Conformément aux dispositions de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et en application de l'article L. 161-42 du code de la sécurité sociale, M. le Premier ministre, par lettre en date du 23 décembre 2016, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l'avis de la commission du Sénat compétente en matière de santé publique sur le projet de renouvellement du mandat de Mme Agnès Buzin aux fonctions de présidente de la Haute Autorité de santé.

Cette demande d'avis a été transmise à la commission des affaires sociales.

Modification à l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettres en date du 20 décembre 2016, M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste et républicain et M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, ont fait connaitre les sujets qu'ils souhaitaient voir inscrits à l'ordre du jour réservé à leurs groupes du mercredi 1er février 2017.

Acte est donné de ces demandes.

En conséquence, l'ordre du jour du mercredi 1er février 2017 s'établit comme suit :

Mercredi 1er février 2017

De 14 h 30 à 18 h 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain :

- Proposition de loi tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques

- Nouvelle lecture de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre

De 18 h 30 à 20 heures et de 21 h 30 à minuit :

Ordre du jour réservé au groupe RDSE :

- Proposition de loi visant à mettre en place une stratégie nationale d'utilisation du transport sanitaire héliporté

- Débat sur le thème : « Faut-il supprimer l'École nationale d'administration ? »

M. Alain Bertrand.  - Oui !

M. le président.  - Nous sommes un certain nombre à n'y être jamais allés...

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Engagement de la procédure accélérée

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour d'une part, l'examen de la proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 21 décembre 2016 ; d'autre part, l'examen du projet de loi ratifiant l'ordonnance du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes, déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 4 janvier 2017.

CMP (Demande de réunion)

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d'une commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d'habitation et simplifiant le dispositif de mise en oeuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l'article 12 du Règlement.

Commissions (Candidatures)

M. le président.  - J'informe le Sénat que le groupe Les Républicains a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu'il propose pour siéger à la commission des affaires étrangères, en remplacement de M. Jacques Gautier, dont le mandat a cessé ; et à la commission de la culture, en remplacement de M. Pascal Allizard, démissionnaire.

Ces candidatures ont été publiées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

Conseil constitutionnel (Décisions et saisines)

M. le président.  - Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date des 22 et 29 décembre 2016, les textes de décisions statuant sur la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, de la loi de finances rectificative pour 2016 et de la loi de finances pour 2017.

Le Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, les lundi 26 et vendredi 29 décembre 2016, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil d'État lui a adressé cinq décisions de renvoi de questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l'article 1736 du code général des impôts (amende en cas de non-respect des obligations de déclaration des constitutions, modifications ou extinctions de trusts) ; sur l'article L. 6362-7-1 du code du travail (procédure applicable aux employeurs ne pouvant justifier de la réalité d'actions de formation) ; sur les termes « ou aux régisseurs de messages publicitaires » figurant au II de l'article 302 bis KG du code général des impôts (inclusion dans l'assiette de la taxe due par les éditeurs de services de télévision des sommes reçues par leurs régisseurs de messages publicitaires) ; sur l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 (cumul de la contribution spéciale et de sanctions pénales en cas d'emploi d'étrangers non autorisés à travailler) ; et portant sur le I de l'article L. 2333-70 du code général des collectivités territoriales (remboursement du versement transport). Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la Séance.

Enfin, le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu'il a été saisi le 27 décembre 2016, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés, de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté. Le texte de la saisine est disponible au bureau de la distribution.

Dépôt de rapports

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport portant sur l'évaluation des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens ; le rapport de contre-expertise de l'évaluation socio-économique du projet d'augmentation de puissance du supercalculateur de Météo-France, accompagné de l'avis du commissariat général à l'investissement ; l'avenant n° 5 à la convention du 29 juillet 2010 entre l'État et l'Agence nationale de la recherche, relative au programme d'investissements d'avenir, action « Valorisation - Instituts Carnot » ; le rapport d'évaluation de la contribution au titre des médicaments destinés au traitement de l'hépatite C (dispositif W) ; le rapport relatif à l'application de la loi du 28 décembre 2015 relative à la gratuité et aux modalités de réutilisation des informations du secteur public ; le rapport recensant au 31 décembre de l'année précédente le volume des emprunts structurés souscrits par les collectivités territoriales et les organismes publics ; l'avenant au contrat d'objectifs et de moyens de Radio-France pour la période 2015-2019 ; le tableau de programmation des mesures d'application de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ; le projet de contrat d'objectifs et de moyens 2017-2019 de l'Institut français.

Acte est donné du dépôt de ces rapports qui ont été transmis aux commissions permanentes compétentes.

Composition de la cour d'assises de l'article 698-6 du code de procédure pénale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la composition de la cour d'assises de l'article 698-6 du code de procédure pénale, présentée par M. Philippe Bas et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Les Républicains et de la commission des lois.

Discussion générale

M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi .  - Pourquoi cette proposition de loi ? En 1982, quand fut supprimée la Cour de sûreté de l'État, il a fallu créer une autre juridiction habilitée à juger les crimes contre la sûreté de l'État, le législateur ne souhaitant pas exposer les citoyens membres de jurys d'assises aux risques de pressions souvent graves dans de telles affaires. La cour d'assises spéciale ainsi créée, composée exclusivement de magistrats, s'est d'abord surtout occupée de juger les crimes terroristes. Le contentieux s'est concentré à Paris, où le parquet voyait ses responsabilités étendues.

Depuis deux ans, les tragiques attentats que nous avons connus font peser des contraintes sur le fonctionnement de la justice. Nous avons dû modifier la loi pénale, augmenter les moyens de l'enquête et de l'instruction. Reste le jugement des terroristes. La composition actuelle de la cour d'assises spéciale rend difficile de répondre efficacement et rapidement à l'exigence de juger de nombreux criminels. Nous vous proposons donc de la modifier.

Actuellement, la cour d'assises spéciale comporte six membres en première instance, huit en appel, prélevés parmi les juges du tribunal de grande instance (TGI) - y compris par exemple les juges aux affaires familiales - tout le temps que durent les procès. Afin d'éviter de perturber plus encore le fonctionnement du TGI de Paris, et d'être en mesure de juger davantage d'affaires dès 2017, nous proposons de diminuer le nombre des magistrats composant la cour d'assises spéciale.

En 2015, 342 jours d'audience ont été consacrés aux affaires terroristes aux assises, 132 en 2016, mais on évalue leur nombre à 1 244 en 2017, soit une augmentation de... 842 % ! Le besoin en magistrats augmentera de 950 % entre 2016 et 2017 au sein de la cour d'appel de Paris. Cela résulte du fait que le nombre d'informations judiciaires en la matière a augmenté de 96 % en 2016, celui des d'enquêtes préliminaires de 70 %. Le risque de saturation est évident.

En réduisant de deux le nombre d'assesseurs de la cour d'assises, nous n'affaiblirons pas les garanties apportée aux justiciables mais resterons fidèles à nos traditions. Vous vous rappelez que la loi du 10 août 2011 a diminué le nombre de jurés de la cour d'assises pour les crimes ordinaires. On doit donc pouvoir aussi diminuer le nombre d'assesseurs de la cour d'assises spéciale sans mettre à mal sa collégialité, à condition de ne pas passer en deçà d'un certain seuil.

Fermement convaincu que ma proposition ne contrevient à aucune règle d'indépendance et d'impartialité de la justice, je serais heureux que vous l'adoptiez. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également)

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - Cette proposition de loi poursuit deux objectifs. Le premier est celui d'une bonne administration de la justice - objectif de valeur constitutionnelle consacré par la Déclaration de 1789 - pour faire face à l'augmentation du nombre d'affaires terroristes, conséquence des succès rencontrés par nos services policiers et judiciaires dans la lutte antiterroriste. Le TGI de Paris risque aujourd'hui l'embolie. En 2017, il y aura 1 244 jours d'audience consacrés au jugement d'affaires terroristes, soit une hausse de 842 % ! Deux procès importants sont attendus l'an prochain, l'affaire Cannes-Torcy occupera la cour pendant huit semaines, et pour parer au risque de maladie, il faudra mobiliser sept juges tout ce temps-là.

À cela s'ajoute la nouvelle politique pénale du parquet de Paris, validée l'an dernier par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, consistant à poursuivre en tant que crime l'association de malfaiteurs en vue de porter atteinte à la vie. Cela contribue à augmenter l'activité de la cour d'assises.

Quelque 200 magistrats du TGI de Paris peuvent être mobilisés en tant qu'assesseurs. Vingt-quatre le sont à la fois, vu le nombre d'affaires à juger. Si l'on veut respecter le délai d'un an pour juger les affaires, il est indispensable de lancer une réforme.

J'en viens au deuxième objectif de cette proposition de loi. Depuis dix ou quinze ans, tous les gouvernements ont construit un droit du terrorisme dérogatoire par bien des aspects, de l'enquête préliminaire à l'exécution des peines, mais appliqué par une juridiction de droit commun, même spécialement composée. Encore faut-il qu'elle puisse fonctionner, à défaut de quoi il faudra créer une juridiction d'exception. Si nous voulons rester fidèles à ce choix important, conserver le principe d'une juridiction de droit commun, il faut lui apporter des aménagements en réduisant de six à quatre en premier ressort, de huit à six en appel le nombre d'assesseurs qui la composent. Cela remet-il en cause la collégialité de la cour ? Non, puisque beaucoup d'affaires d'association de malfaiteurs sont aujourd'hui jugées par le tribunal correctionnel composé de trois magistrats...

Pour armer la République et donner à notre justice les moyens de fonctionner, la commission des lois a adopté cette proposition de loi à l'unanimité, et je vous invite à faire de même. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je salue le travail des magistrats qui mènent une mission exigeante au sein du tribunal de grande instance de Paris. Son président, Jean-Michel Hayat parlait à propos de la présente proposition de loi d'une évolution normale face à la « déferlante terroriste ». En 2016, 114 informations judiciaires ont été ouvertes en matière terroriste, contre 67 en 2015, concernant des candidats au djihad qui tentent de partir dans des zones de guerre, qui s'y rendent ou en reviennent, des personnes poursuivies pour apologie du terrorisme ou consultation habituelle de sites djihadistes. Les incarcérations s'accélèrent : depuis le 1er septembre, 94 détenus ont été incarcérés sous le chef d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, dont les trois quarts en région parisienne. Pour le reste, 50 établissements sont concernés par l'accueil de ce type de détenus.

Face à cette massification, et pour prendre en compte la dangerosité des personnes concernées, le parquet de Paris a décidé de poursuivre plus systématiquement les personnes parties combattre ou rejoindre un théâtre de guerre sous le chef de l'association de malfaiteurs criminelle.

La cour d'assises spéciale de Paris risque alors l'engorgement. En 2017, 22 dossiers devraient être jugés, 55 en 2018. Tous les magistrats du TGI de Paris sont appelés à y siéger, mis à part les juges pour enfants - qui ont eux-mêmes à connaître d'affaires terroristes impliquant des mineurs - et les juges d'instance.

Conscient de l'importance du sujet, j'ai déjà renforcé les moyens du tribunal de grande instance de Paris. Le président Hayat a indiqué en novembre que certaines affaires pourraient être jugées en comparution immédiate : désormais, les magistrats spécialisés de la seizième chambre peuvent juger en procédure accélérée, en fixant une date de jugement à cinq mois au maximum, des cas de consultation habituelle de sites terroristes et d'apologie du terrorisme.

C'est dans cet esprit que vous proposez de réduire le nombre de magistrats assesseurs dans la cour d'assises spéciale en les ramenant de six à quatre en première instance et de huit à six en appel. Cette proposition n'est pas nouvelle : elle a été émise par le président Hayat. J'avais choisi de ne pas y donner suite, car la direction des services judiciaires évalue le gain en équivalents temps plein à 2,25 % seulement. En outre, il ne me paraissait pas souhaitable de réduire la collégialité de la formation de jugement sur des affaires aussi graves.

Je ne suis cependant pas hostile à votre proposition de loi, mais songeons bien que ses effets seront limités. Je compte sur votre soutien pour la politique que nous menons par ailleurs, et qui poursuit le même objectif.

Je rappelle certaines mesures que nous avons prises : renforcement de la section antiterroriste du parquet de Paris avec treize magistrats, du pôle d'instruction antiterroriste du tribunal de grande instance, avec dix et bientôt onze juges d'instruction. Des crédits ont été dégagés pour recruter quinze assistants spécialisés ; 25 sont en cours de recrutement. Le parquet a vu ses dotations augmenter de 50 000 euros, dont 8 000 euros pour l'achat de gilets pare-balles. Comme M. Mercier, je crois qu'il faut conserver le primat des juridictions de droit commun qui ont démontré leur pertinence.

Je ne comprends pas la proposition récurrente de créer un parquet national antiterroriste dédié : cela ne répond à aucun besoin et figerait nos capacités d'action. Notre système, qui mobilise tous les magistrats de la cour d'assises de Paris en fonction des besoins, n'a montré aucune faille depuis sa création, en 1986 ; nous avons encore éprouvé son efficacité à Nice. Bref, c'est une fausse solution, et ce serait un vrai bouleversement... Évitons les propositions simplistes.

Nous avons au reste renforcé les moyens : 1 175 emplois ont été créés dans les services judiciaires. L'administration pénitentiaire a été renforcée de cent postes pour lutter contre le terrorisme, la protection judiciaire de la jeunesse de 75 équivalents temps plein. S'ajoutent le plan de sécurisation des établissements pénitentiaires annoncé le 25 octobre qui anticipe l'augmentation du nombre d'affaires, ou encore la loi Justice du XXIe siècle qui simplifie les procédures et recentre les magistrats sur leur coeur de métier.

Bref, cette proposition n'apporterait qu'un gain marginal, mais toutes les bonnes idées sont bonnes à prendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Esther Benbassa .  - La cour d'assises spéciale, créée par la loi du 9 septembre 1986, est composée uniquement de magistrats professionnels : un président et six assesseurs en première instance, huit en appel, ce afin de prévenir toute tentative d'intimidation des jurés. Outre les actes de terrorisme, elle est aussi compétente pour les crimes militaires commis en temps de paix, pour les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, le trafic de stupéfiants et les crimes de prolifération d'armes de destruction massive.

Cette proposition de loi réduit de deux le nombre d'assesseurs en première instance comme en appel. Cette mesure est-elle à même de désengorger le TGI de Paris tout en garantissant une justice de qualité ? La majorité du groupe écologiste en doute.

Avec 195 enquêtes préliminaires et 160 informations judiciaires en cours, il est vrai que la cour d'assises spéciale doit fournir un travail titanesque. Pas moins de sept dossiers vont être audiencés en ce début d'année, dont l'affaire Merah, prévu pour durer un mois, et celui de la cellule Cannes-Torcy, qui en durera trois.

Faut-il pour autant réduire le nombre d'assesseurs ? La collégialité est une garantie. La pénurie de magistrats, le manque de moyens des tribunaux ne sont pas nouveaux. Vous-même, monsieur le ministre, disiez que la justice est à « bout de souffle », évoquant une « situation de sinistre ». Elle manque de tout : de magistrats, de greffiers, de fonctionnaires, même de papier et d'encre...

La proposition de la majorité sénatoriale, qui a refusé d'examiner le projet de loi de finances et donc le budget de la justice, est bien légère...

Est-elle annonciatrice des temps qui viennent ? En 2015, le nombre de magistrats nommés sera supérieur à celui des départs en retraite. C'est une première, qui ne se reproduira pas si le candidat de la droite que certains soutiennent ici est élu, puisqu'il veut supprimer 500 000 emplois publics... (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Pierre Sueur .  - C'est l'honneur des démocraties de tenir à ce que les crimes terroristes soient jugés dans le cadre d'une justice de droit commun et non d'exception.

Cette proposition de loi réduit de deux le nombre d'assesseurs de la cour d'assises spéciale, en première instance comme en appel.

La loi de septembre 1986 avait prévu que la cour d'assises spéciale compétente pour juger les crimes terroristes était composée uniquement de magistrats pour éviter toute manoeuvre d'intimidation à l'encontre des jurés populaires. Il en va de même pour les crimes relatifs au trafic de stupéfiants et à la prolifération des armes de destruction massive.

Cette loi avait été déférée devant le Conseil constitutionnel, qui n'y a pas vu de discrimination injustifiée, estimant que l'indépendance et l'impartialité étaient garanties et les droits de la défense sauvegardés. Par cette décision, il a clairement établi la légalité et la constitutionnalité de cette procédure. La chambre criminelle de la Cour de cassation a également considéré qu'elle était justifiée et conforme à nos règles de droit.

Rappelons que le contentieux du terrorisme est en hausse de 93 % : au 1er décembre 2016, 288 informations judiciaires et 287 enquêtes préliminaires avaient été ouvertes, dont respectivement 160 et 95 liées au conflit syro-irakien.

L'effet de cette mesure sera limité, dit le ministre ? L'intention de la commission des lois est bien de parer à toute velléité d'instaurer une juridiction d'exception. En prévoyant une composition réaliste eu égard à l'ampleur du contentieux à traiter dans les années à venir, ce texte va dans le sens d'une meilleure administration de la justice, objectif à valeur constitutionnelle. Le groupe socialiste le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs bancs au centre et à droite)

M. André Reichardt .  - Comme 2015, 2016 a été marquée par le terrorisme. Le nombre d'informations judiciaires a augmenté de 93 %, le nombre d'enquêtes préliminaires de 70 %, et la menace persiste. Il devient dès lors urgent de réformer la cour d'assises spéciale de Paris pour lui donner les moyens de faire face à une charge qui va doubler cette année. En 2017, elle devra notamment statuer sur l'affaire Merah et celle de la cellule Cannes-Torcy qui requièrent chacune douze semaines d'audiences. D'autres dossiers lourds sont pendants - avec l'obligation de respecter un délai d'un an d'audiencement.

Ce texte va dans le sens d'une justice raisonnée, conformément au principe de célérité de la justice, droit fondamental reconnu par le droit européen, pour la victime comme pour la personne en détention provisoire. Un délai non raisonnable de jugement engage la responsabilité de l'État et oblige à réparation du préjudice en cas de non-lieu ou d'acquittement. Ainsi M. Farouk Ben Abbes, soupçonné d'avoir fomenté un attentat contre le Bataclan en 2010 et ayant bénéficié d'un non-lieu faute de charges suffisantes, malgré les faits révélés par l'État égyptien, a ainsi été indemnisé pour avoir été placé en détention préventive trop longtemps. Ce qui a fait dire à Philippe Bilger dans Le Figaro que nous offrions aveuglément les privilèges de l'État de droit à ceux-là mêmes qui veulent le détruire...

La France a été plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme à ce titre : ainsi de l'arrêt Sagarzazu contre France, en 2012, qui concernait des membres de l'ETA. La Cour de Strasbourg a en effet considéré que l'encombrement de la cour d'assises spéciale ne saurait exonérer l'État de sa responsabilité et justifier une détention préventive excessive. La Cour de cassation s'est alignée sur cette jurisprudence.

Bref, faute d'effectifs, le système est sous pression : difficile de mobiliser 25 magistrats sur un vivier de 200 à peine. Il est donc urgent de donner à la cour d'assises spéciale les moyens nécessaires pour minimiser l'engorgement de toutes les procédures par effet de cascade.

Ce texte lui permettra de traiter treize dossiers supplémentaires en première instance et six en appel. Un gain modeste, peut-être, mais toujours bon à prendre ! Sur le plan moral, l'indemnisation symbolique des victimes sera aussi accélérée, nonobstant à réparation pécuniaire. C'est pourquoi le groupe Les Républicains soutient ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Merci !

Mme Cécile Cukierman .  - Depuis vingt ans, les procédures pénales dérogatoires au droit commun se sont multipliées.

La composition de la cour d'assises spéciale, qui vise à renforcer l'efficacité répressive et à éviter toute intimidation sur les jurés populaires, pose la question de la conciliation entre sécurité et liberté.

Invoquant l'arrivée en 2017 de deux grands procès, la hausse des affaires de terrorisme et du nombre d'audiences nécessaires, ce texte vise à réduire le nombre d'assesseurs en première instance comme en appel. Le tribunal de grande instance de Paris, dont le garde des sceaux évoque l'embolie, serait ainsi moins mobilisé pour composer la cour d'assises.

Avec l'augmentation du contentieux du terrorisme, il faut des moyens supplémentaires. Nous dénonçons depuis longtemps la baisse du budget de la justice et des effectifs dans le cadre de la refonte de la carte judiciaire, l'asphyxie des tribunaux -  je pense aux agents du tribunal de Nancy, qui travaillent dans des conditions climatiques difficiles... - l'inflation carcérale... Le retard accumulé ces dix dernières années est gigantesque. En termes budgétaires, nous sommes au niveau de la Moldavie ! Avec 10,7 juges professionnels pour 100 000 habitants, nous sommes très loin de la moyenne des pays du Conseil de l'Europe, qui est de 21. Cette proposition de loi adapte le droit à la pénurie installée par les gouvernements précédents, à commencer par le gouvernement Fillon...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Excellent Gouvernement !

Mme Cécile Cukierman.  - ... qui a réduit les moyens humains et matériels de la justice. Malgré les efforts du gouvernement actuel, les effectifs manquent toujours.

Réduire le nombre d'assesseurs, c'est porter une atteinte indirecte au principe de collégialité qui garantit les droits de la défense. Devons-nous adapter notre droit aux conséquences des choix de politique pénale ? Ce qu'il faut, c'est plus de magistrats, pas moins de droits pour les justiciables, d'autant que la modification proposée concerne aussi les crimes militaires, les stupéfiants, les infractions commises dans le service du maintien de l'ordre, etc. De nombreux syndicats de magistrats ou d'avocats y sont opposés. S'agissant de crimes lourds, la collégialité est d'autant plus essentielle. Comme l'a dit le président de l'association des avocats pénalistes, une décision de justice a d'autant plus de force qu'elle est rendue par un nombre plus grand de personnes. Nous ne voterons pas cette proposition de loi.

Hommage à une délégation japonaise

M. le président.  - J'ai le plaisir de saluer, à la tribune d'honneur du Sénat, une délégation de cinq sénateurs japonais, conduite par M. Takuya Yanagimoto, président de la commission sur la Constitution de la Chambre des conseillers du Japon. Cette délégation est actuellement en Europe pour étudier trois sujets : le bicaméralisme, la promotion de la participation des jeunes et des femmes à la vie politique, ainsi que les moyens de démocratie participative.

La France est la deuxième étape de son déplacement sur notre continent, après l'Italie où elle s'est rendue hier et la Suède où elle sera demain.

La délégation s'est entretenue notamment avec M. Jean-Pierre Sueur, vice-président de la commission des lois et membre du groupe d'amitié France-Japon présidé par notre collègue David Assouline.

La délégation vient par ailleurs d'échanger avec MM. Henri Cabanel et Philippe Bonnecarrère, président et rapporteur de la mission d'information sur la « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 ».

Le Sénat français entretient d'excellentes relations d'amitié avec la Chambre des conseillers du Japon et se réjouit de recevoir cette délégation.

Mes chers collègues, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Parlement japonais, en votre nom à tous et en mon nom personnel, une cordiale bienvenue. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent)

Composition de la cour d'assises de l'article 698-6 du code de procédure pénale (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Jacques Mézard .  - Au nom du principe de réalité, notre groupe, dans sa majorité, votera ce texte. Notre pays souffre d'un manque de prospective...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Nous n'avions pas prévu les attentats...

M. Jacques Mézard.  - Certes, mais l'accumulation de textes visant à adapter l'institution judiciaire à la demande immédiate rend notre système pénal cacophonique et incohérent, complexifiant la tâche des magistrats.

Cela étant, il y a aussi un principe de réalité, qui impose de constater que les affaires de terrorisme se multiplient : plus 93 % entre 2015 et 2016, avec un stock qui atteint désormais 288 informations judiciaires et 287 enquêtes préliminaires - soit une hausse de celles-ci de 70 %.

La bonne solution, le bon sens, serait de disposer du nombre de magistrats nécessaires au bon fonctionnement de la justice. Or, depuis des années, chaque fois que le nombre de dossiers augmente, nous diminuons le nombre de magistrats ou sortons un domaine entier de la compétence judiciaire ! Convenez que c'est n'est pas le meilleur moyen de faire avancer la justice, d'autant que l'on prône la collégialité...

De plus, les affaires de terrorisme ne seront pas les seules concernées par cette loi, et la juridiction parisienne ne sera donc pas seule concernée.

Le Sénat réfléchit beaucoup à l'amélioration de notre justice, mais ce n'est pas en multipliant les textes sécuritaires que nous résoudrons les problèmes. Cette mesure permettra, au moins, de réduire le stock, ou d'éviter qu'il ne s'accroisse trop...

Reste la question du bon exercice de la collégialité. Clemenceau disait que « pour prendre une décision, il faut un nombre impair de personnes, et trois c'est déjà trop ! » (Sourires) Tout est dit ! Je ne crois pas, pour ma part, que le recours systématique au juge unique soit la panacée. Nous voterons ce texte au nom du principe de réalité, c'est-à-dire sans enthousiasme... (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Merci.

M. Yves Détraigne .  - Ce texte modifie la composition de la cour d'assises spéciale en diminuant le nombre d'assesseurs en première instance comme en appel. Cette instance, qui a fait ses preuves depuis 1986, est mise à l'épreuve par la forte hausse des procédures ouvertes pour terrorisme : au 1er décembre 2016, on comptait 288 informations judiciaires et 287 enquêtes préliminaires.

Le dispositif antiterroriste français se caractérise par la centralisation parisienne et la spécialisation des magistrats permanents, dont un spécialement consacré aux affaires essentiellement terroristes. La hausse des dossiers de terrorisme aura un effet chronophage, avec le délai d'un an d'audiencement et une durée d'audience qui va de six jours à plusieurs semaines par affaire.

Réduire le nombre d'assesseurs est donc une nécessité pour l'efficacité de la cour d'assises spéciale pénale. Le texte s'applique à toutes les matières de sa compétence. Ce faisant, il diminuera les délais de traitement des dossiers, pour assurer un jugement dans un délai raisonnable. Cela aura un impact sur l'activité des juridictions parisiennes, qui seront moins sollicitées.

Comme rapporteur spécial du budget de la justice, j'aurais préféré que l'on augmente les crédits et le nombre de magistrats. Mais - si j'ose dire dans une assemblée législative - nécessité fait loi !

La grande majorité des magistrats entendus par le rapporteur approuvent cette modification dont ils espèrent une entrée en vigueur prochaine. En revanche, certains représentants des avocats se sont inquiétés d'une atteinte à la solennité, voire à la qualité des décisions rendues. Notre rapporteur juge que ces inquiétudes n'ont pas lieu d'être. Le fonctionnement de la cour d'assises spéciale sera sensiblement amélioré, les conditions de travail des juridictions susceptibles d'être sollicitées aussi. Cela traduit une exigence de bonne administration de la justice, objectif à valeur constitutionnelle qui découle des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

M. le président.  - Il n'y a pas d'amendement. Le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

L'article unique est adopté.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

Autorités indépendantes (Troisième lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en troisième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes et en troisième lecture de la proposition de loi organique, modifiée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes.

Discussion générale commune

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification .  - Nous abordons la troisième lecture de la proposition de loi organique et de la proposition de loi sénatoriale instaurant un statut unique pour les Autorités administratives indépendantes (AAI) et les Autorités publiques indépendantes (API).

Nous avons fait un long chemin depuis le dépôt de ce texte ; au terme de longs et passionnants débats sur les propositions sénatoriales, nous avons concilié les positions et trouvé des points d'entente.

Selon les conclusions de la commission d'enquête du Sénat, la prolifération des autorités administratives indépendantes contribue à l'illisibilité de l'action publique, aboutissant à des dysfonctionnements de notre système institutionnel. Or la simplification administrative est une ardente obligation. L'initiative du Sénat suscite donc l'intérêt.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a été en 1978 la première autorité administrative indépendante. Depuis, bon nombre ont été créées, souvent pour répondre à des problématiques d'intérêt général et réguler certains secteurs d'activité. Difficile d'imposer un statut unique à des autorités fort différentes...

Le texte aborde de nombreux sujets : déontologie, indépendance, rationalisation du fonctionnement. Le Gouvernement a déjà avancé sur ces sujets, en rationalisant notamment les formations supports communes à certaines AAI et aux services du Premier ministre.

Ces propositions de loi vont au-delà en fixant une liste limitative des AAI en précisant les procédures de nomination, les modes de fonctionnement, les modalités de contrôle et en unifiant le statut de leurs membres.

Beaucoup de chemin a été parcouru depuis le début de l'examen du texte au Parlement et le texte a évolué. Je salue le travail des rapporteurs qui ont oeuvré pour trouver des points d'entente. La position du Gouvernement a évolué également : la première version posait certains problèmes constitutionnels. Je me réjouis que les remarques du Gouvernement aient été prises en compte et des compromis trouvés.

Je regrette toutefois les règles d'incompatibilité avec les fonctions professionnelles, dans des secteurs où une haute expertise est nécessaire : cela ne facilitera pas le recrutement. De même, certains organismes auraient pu légitimement être intégrés dans la liste des AAI...

Mais le compromis est un signe de bonne santé d'une démocratie et le Gouvernement soutient celui qui a été trouvé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois .  - Ce fut une longue marche ! Je me réjouis de l'évolution de la position du Gouvernement. Le changement est à la mode : tant mieux, en l'occurrence !

Le groupe RDSE avait voulu une commission d'enquête sénatoriale sur les autorités administratives indépendantes. Présidée par Mme des Esgaulx, elle a auditionné les 42 présidents d'AAI. Nous ne voulions pas supprimer les autorités administratives indépendantes mais les doter d'un statut et en réduire le nombre. Il s'agissait aussi de s'assurer que les AAI soient effectivement des autorités administratives et indépendantes, ce qui n'est pas toujours le cas...

« Circulez, il n'y a rien à voir », nous avait initialement fait comprendre le Secrétaire général du Gouvernement. Heureusement, la position du Gouvernement a évolué. Ce fut un combat !

Nous avons une haute fonction publique de haut niveau, fort compétente - mais dans une démocratie, il est bon que celle-ci exerce ses missions sous l'autorité des élus, et non l'inverse !

Nous voici appelés à dresser le bilan de ce marathon législatif. Les deux missions du Parlement, légiférer et contrôler, ont parfaitement fonctionné : preuve que laisser le Parlement faire son travail peut porter des fruits...

Nous nous sommes appuyés, je dois le dire, sur les travaux du doyen Gélard. Je veux, en outre, remercier Marie-Hélène des Esgaulx qui a présidé nos travaux avec talent, le questeur Jean-Léonce Dupont, Alain Richard pour son expertise, ainsi que le rapporteur à l'Assemblée nationale, Jean-Luc Warsmann, pour son travail constructif.

Fixer un régime unique des autorités administratives indépendantes n'avait rien d'évident. Il en existe 42 à ce jour, ce qui justifie qu'on parle de « prolifération » même si elles sont validées par le Parlement, dans la volonté non dissimulée des gouvernements successifs de transférer leurs responsabilités à ces autorités.

Il fallait rationaliser tout en laissant certaines compétences à de tels organes. Nous proposons de ramener leur nombre à 26. C'est encore trop mais nous devions faire des concessions... Et il faut saluer la capacité de lobbying de certaines d'entre elles, comme le Médiateur national de l'énergie. De l'énergie, il en a fallu pour aller au bout de notre logique ! Être indépendant, ce n'est pas se mettre au-dessus de tout contrôle !

M. Didier Marie.  - Des noms ! (Sourires)

M. Jacques Mézard.  - Ils sont dans le rapport.

Nous avons trouvé avec l'Assemblée nationale de nombreux accords sur les règles de fonctionnement et d'indépendance de leurs membres. Leurs mandats seront irrévocables, non renouvelables sauf exception et le cumul de fonctions en leur sein encadré. Notez à ce propos que les deux tiers des autorités administratives indépendantes sont présidées par des membres du Conseil d'État restés en exercice !

Les membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique devront publier, eux aussi, une déclaration de patrimoine, mesure à laquelle s'opposait non le président Nadal, mais le Gouvernement lui-même, il faut le rappeler !

Bref, ces autorités verront leur indépendance plus clairement reconnue et leur contrôle amélioré : un jaune budgétaire dédié retracera notamment les montants en jeu, donnant au Parlement une vision d'ensemble.

Enfin, nous élargissons la procédure de nomination du dirigeant prévue à l'article 13 de la Constitution - c'est le cas par exemple de la Commission nationale des comptes de campagne et de la Commission nationale du débat public.

Je remercie enfin le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale d'avoir inscrit ce texte dans son espace réservé. J'y vois une occasion de faire avancer la démocratie dans notre pays. Il en a besoin ! (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - Ces textes traitent d'une question majeure mais trop souvent éludée : le fonctionnement des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, qui n'ont cessé de se multiplier ces dernières décennies. Je veux d'abord saluer leur caractère transpartisan, ainsi que la richesse des travaux préparatoires de Jacques Mézard, Marie-Hélène des Esgaulx et Jean-Léonce Dupont.

Depuis la création de la Cnil en 1978, les dérives n'ont pas manqué : création anarchique, contrôle faible en dépit de l'étendue de leurs pouvoirs, composition endogamique, à la limite parfois du conflit d'intérêts. Résultat : une forme d'État dans l'État, ainsi que l'écrit le rapporteur.

Le groupe écologiste a tâché de contribuer à ce travail de lutte contre la défiance à l'égard de nos institutions et de promotion d'une plus grande transparence.

Nous saluons en conséquence le statut comme les principes de fonctionnement et de déontologie harmonisés, de même que l'obligation de déclaration des membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique - 102 des 571 membres des autorités n'avaient pas satisfait à de telles obligations au 1er octobre 2015, malgré une double relance. Nous nous félicitons du maintien du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Nous nous félicitons qu'ait été exaucé notre souhait de voir le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, la Commission nationale du débat public et le Médiateur national de l'énergie dans la liste exhaustive et réduite des autorités administratives ou publiques indépendantes.

Des regrets toutefois, sur l'extension, insuffisante selon nous, du régime de l'article 13 de la Constitution, ou en matière de diversification des profils : deux tiers des présidents d'autorités administratives indépendantes sont des conseillers d'État ou des magistrats du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, comme s'il n'existait pas dans notre pays d'autres compétences que dans ces deux grands corps de l'État.

Parce que ce texte constitue cependant une avancée, le groupe écologiste le votera.

M. Didier Marie .  - Nous voici arrivés au terme d'un long processus parlementaire entamé en avril 2015 avec la création d'une commission d'enquête dont le rapport, signé par Jacques Mézard, a été remis quelques mois plus tard.

Le groupe socialiste considère que les objectifs initiaux de clarification, de mise en cohérence et de stabilisation ont été atteints. Le nombre d'AAI est ramené de 42 à 26, et le législateur conforté dans son pouvoir de les créer. Les règles de nomination, d'incompatibilité, de cumul des mandats, de déontologie, sont clarifiées, ce qui va dans le bon sens.

Reste qu'il s'agit d'un texte de compromis. L'Assemblée nationale a souhaité garder à certaines autorités leur statut d'autorité administrative indépendante, bien qu'elles ne prennent pas formellement de décisions. Retirer un tel statut à une institution ne lui retire pourtant ni légitimité ni indépendance ! Pour éviter tout malentendu, nous avons maintenu à la Commission nationale du débat public son statut d'autorité administrative indépendante.

Le deuxième regret porte sur le principe de non-renouvellement des nominations, car une base de l'indépendance est de n'être candidat à aucune fonction. Cela commanderait de limiter les possibilités de renouvellement des mandats. Sans doute la continuité de l'action plaidait-elle en sens contraire. Reste que la possibilité de faire la tournée des autorités de nomination pour solliciter un nouveau mandat ne peut pas nous satisfaire.

Sous ces réserves, nous voterons ces textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx .  - Nous achevons ici un processus législatif qui honore le Parlement. Ces textes, déposés en décembre 2015, ont été adoptés en un peu plus d'un an par les deux chambres. Trajectoire quasi parfaite, grâce au travail approfondi de tous les groupes et malgré la réserve du Gouvernement...

Je remercie le rapporteur Mézard, cheville ouvrière de cette belle entreprise, qui a su trouver des compromis intelligents avec l'Assemblée nationale ; quel bonheur de travailler à son côté ! Il faut aussi saluer le travail de Jean-Luc Warsmann à l'Assemblée nationale.

En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté sans modification l'article premier, qui fait de la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante la compétence exclusive du législateur. C'était une première pierre solide.

Les 42 autorités administratives indépendantes sont devenues 26, en s'appuyant sur l'identification de pouvoirs de décision ou de sanction effectifs. Le critère d'indépendance est toutefois plus lâche - je pense à la Commission nationale du débat public ou au Médiateur de l'énergie. Le doyen Gélard avait alerté, dans son rapport publié en juin 2016, sur le risque de délitement de l'État que fait courir la prolifération de ces objets juridiques non identifiés. Ce risque est désormais prévenu.

Deuxième apport : des règles nouvelles renforcent la déontologie des membres des autorités administratives indépendantes et diversifient la composition de ces organes tout en les prévenant des conflits d'intérêts.

Troisième avancée : un contrôle parlementaire amélioré, par l'extension du champ d'application de l'article 13 de la Constitution. Le Sénat souhaitait que l'ensemble des autorités administratives indépendantes relèvent de cette procédure. Il s'est rallié à l'Assemblée nationale et les présidents de six autorités administratives indépendantes n'y seront pas soumis. L'Assemblée nationale, quant à elle, s'est ralliée au Sénat sur le contrôle parlementaire de la Commission nationale des comptes de campagne et de la Cnil.

Voilà qui illustre la volonté du Parlement de mieux suivre et contrôler l'action de ces organes indispensables au fonctionnement de notre démocratie.

Il était nécessaire d'encadrer plus strictement ces autorités qui forment un État dans l'État. À nous, à présent, de faire vivre ce contrôle en utilisant la boîte à outils que constituent ces deux textes. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Cécile Cukierman .  - Nous partageons les préoccupations des auteurs de ces textes : diminuer le nombre d'autorités administratives indépendantes, améliorer leur transparence, encadrer leur fonctionnement.

Leurs crédits n'ont cessé d'augmenter, leur nombre de croître, de même que les rémunérations de leurs dirigeants... Renforcer le contrôle qui pèse sur elles étaient par conséquent une nécessité. Or les conditions de leur responsabilité devant le Parlement étaient à ce jour fort légères, voire inexistantes !

Les problèmes de déontologie et de conflits d'intérêts ont déjà été soulevés - je n'y reviens pas, sauf pour regretter une forme d'entre-soi. Je regrette les difficultés rencontrées entre l'Assemblée nationale et le Sénat pour définir ces autorités administratives indépendantes ou préciser les règles de cumul.

Nous n'avons pas d'opposition de principe aux autorités administratives indépendantes, mais il reste qu'elles manquent de légitimité démocratique. Ce déficit n'est pas comblé par leur expertise.

Nous voterons ces propositions qui valident le constat partagé d'une perte des repères et des compétences des administrations centrales, d'une dilution des responsabilités étatiques et de la concentration des pouvoirs de décision par une élite déconnectée des réalités. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Nathalie Goulet .  - Une commission d'enquête suivie d'une proposition de loi solide, qui fait l'objet d'une vraie navette, c'est devenu exceptionnel. Nous pouvons nous féliciter que la réforme constitutionnelle de 2008 nous permette de promouvoir ainsi un texte parlementaire dans un ordre du jour rempli par le Gouvernement.

C'est dire l'attention qu'il faut accorder à ces textes. On dit que le président Mézard est persévérant. La même persévérance devrait animer le Parlement s'agissant des textes budgétaires. Déontologie, non-cumul et non-renouvellement des mandats, tout cela va dans le bon sens - attention toutefois à l'effet boomerang sur les parlementaires dans ce dernier cas.

Un an, c'est un temps de gestation remarquable pour un tel texte, qui procède - je le dis à mon tour - d'une initiative menée de main de maître par Jacques Mézard. Peu sujet au baby blues, il s'emparera bientôt d'un autre sujet. Félicitations à lui, donc ; le groupe UDI-UC votera ces textes. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Claude Requier .  - Le texte, issu de la commission d'enquête, rapporté par Jacques Mézard, vise à remédier à la situation des autorités administratives indépendantes, véritable État dans l'État. Pierre Rosanvallon l'a bien expliqué : pour jouir d'une légitimité d'impartialité, il faut ne pas être irresponsable et satisfaire des exigences procédurales fortes.

En effet, ni les nominations ni le fonctionnement de ces autorités n'étaient jusqu'alors suffisamment contrôlées. L'équilibre de pouvoirs est rompu dès lors que le Parlement est dépossédé du pouvoir de contrôler les pans de l'action publique dévolus à ces organes. Il en résulte nécessairement un sentiment d'appauvrissement démocratique.

Le rapport d'activité annuel des autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes représente un premier pas important dans le contrôle démocratique.

Deuxième point : l'entre-soi des membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes qui peuplent les collèges des autorités administratives indépendantes. Les nouvelles règles de non-cumul visent à y remédier, ainsi que le recommandait déjà le doyen Gélard dans son rapport de 2006. En complément, ces propositions de loi rendent les mandats irrévocables et non renouvelables, sauf exception.

Enfin, ces nouvelles dispositions fixent un cadre harmonisé pour toutes ces autorités, dont une liste est dressée. En 2015, 1 244 agences de l'État étaient répertoriées par l'Inspection générale des finances ; le Conseil d'État a souligné depuis que ces créations n'étaient pas neutres budgétairement et conseillait de se doter d'un cadre général...

C'est dans un esprit constructif et une volonté de convergence que ce texte a été élaboré. Je salue le remarquable et valeureux travail préparatoire de Marie-Hélène des Esgaulx, Jacques Mézard et Jean-Léonce Dupont.

M. François Bonhomme .  - On mesure le chemin parcouru depuis la création de la Cnil en 1978. Les autorités administratives indépendantes régissent des pans entiers de l'activité publique : marchés numériques, logiciels... Nul ne conteste leur légitimité et leur intérêt pour protéger des droits fondamentaux ou réguler des secteurs de la vie économique.

Toutefois, il convenait d'éviter d'en faire un quatrième pouvoir, en renforçant leur contrôle en amont et en aval, afin d'asseoir davantage leur légitimité. Ces propositions de loi comblent ainsi opportunément un vide juridique, en clarifiant les règles de nomination des présidents et des membres d'autorités administratives indépendantes, en encadrant leur fonctionnement et leur gestion et en fixant une liste de ces institutions - dont le nombre est ramené à 26. Le non renouvellement des mandats de président, la diversification des profils des membres, la transparence de fonctionnement sont autant de mesures utiles pour lesquelles l'action de ces autorités sera renforcée, concomitamment à leur contrôle démocratique. (Applaudissements à droite)

M. Marc Laménie .  - Je salue à mon tour le travail qui a présidé à la rédaction de ces propositions de loi : celui de M. Gélard, de M. Mézard et des membres de la commission d'enquête du Sénat.

Ces autorités sont réduites à 26 unités, preuve du compromis trouvé entre les deux Chambres : 19 autorités administratives indépendantes et 7 autorités publiques indépendantes.

Les organes ne sont pas toujours connus. Ils jouent pourtant un rôle essentiel. Ainsi, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ou encore l'Autorité de sûreté nucléaire dont j'ai vu l'action à la centrale de Chooz.

Transparence renforcée, obligation de déclaration, non-cumul et non-renouvellement des mandats, tout cela favorise la confiance en ces autorités, ce qui est très positif. Je voterai naturellement ces textes. (Applaudissements à droite)

La discussion générale commune est close.

Discussion des articles de la proposition de loi

L'article premier est adopté.

Les articles 4, 8, 9, 11 et 17 sont adoptés.

ARTICLE 25

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Courteau.

Alinéas 3 à 6

Supprimer ces alinéas.

M. Roland Courteau.  - La proposition de loi supprime la qualité d'autorité indépendante du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) pour lui conférer le statut d'institution indépendante.

Pourtant le Comité consultatif national d'éthique a l'essentiel des caractéristiques des autorités administratives indépendantes : autonomie dans la gestion budgétaire ou obligations en matière de prévention des conflits d'intérêts et de patrimoine et ses membres se conforment aux obligations de dépôt des déclarations prévues par la loi relative à la transparence de la vie publique.

Le législateur lui a confié une responsabilité éminente dans l'élaboration des normes en matière bioéthique, qui touchent à des droits fondamentaux de la personne et aux libertés publiques, si besoin en recourant à l'aide de la Commission nationale du débat public, qui, elle, se voit reconnaitre le statut d'autorité administrative indépendante.

Il convient de maintenir à cet organisme son statut d'autorité administrative indépendante. Mme Meunier partage cette préoccupation.

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Je salue votre persévérance, mais je me suis entretenu il y a quelques jours avec le président du CCNE qui a entre autres qualités celle d'être originaire du Cantal (sourires), et il a parfaitement compris notre objectif.

Nous précisons, du reste, que le CCNE exerce sa mission « en toute indépendance » : que voulez-vous de plus ?

Avis défavorable.

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État.  - Belle persévérance en effet, mais un compromis a été trouvé. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article 25 est adopté.

Les articles 26, 27, 28, 29, 30, 31, 31 bis, 32, 33, 34, 34 bis, 34 ter, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 43, 46, 47, 49 et 49 bis sont successivement adoptés.

Intervention sur l'ensemble de la proposition de loi

M. Philippe Bonnecarrère .  - La présidente de la commission de la culture attire votre attention sur le délai de remise des rapports. Le CSA devait déposer son rapport au Gouvernement et au Parlement dans un délai de trois mois. Vous l'avez normalisé à six mois. Cela nous fait perdre une actualité.

La proposition de loi est adoptée.

Discussion des articles de la proposition de loi organique

M. le président.  - Nous passons maintenant à l'examen de la proposition de loi organique. Seuls les articles 3 et 4 restent en discussion en troisième lecture.

L'article 3 est adopté ainsi que l'article 4.

Le texte de la proposition de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°85 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption 338

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements)

Commissions (Nominations)

M. le président.  - Je rappelle au Sénat que le groupe Les Républicains a présenté des candidatures pour la commission des affaires étrangères et la commission de la culture. Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame : M. Pascal Allizard, membre de la commission des affaires étrangères, en remplacement de M. Jacques Gautier, dont le mandat a cessé ; Mme Marie-France de Rose, membre de la commission de la culture, en remplacement de M. Pascal Allizard, démissionnaire.

La séance est suspendue à 17 h 35.

présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

« Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information « Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités », à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

M. Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation .  - L'administration territoriale de l'État est touchée depuis plusieurs années par une succession de réformes touchant à son organisation, ses missions, ses moyens et les conditions de travail de ses agents, qui ont affecté l'exercice par les collectivités territoriales de leurs compétences. C'est pourquoi la délégation aux collectivités territoriales a confié à M. Doligé et Mme Perol-Dumont un rapport sur le point de vue des collectivités territoriales sur ce phénomène.

Le reflux de l'État déconcentré n'est pas, par lui-même, à regretter : c'est la conséquence naturelle de la décentralisation. Mais l'État, aujourd'hui encore, se considère trop souvent comme une instance surplombante, qui délègue des compétences tout en conservant son droit de regard, use de son pouvoir normatif ou de carottes financières. Je reconnais forcer un peu le trait... Il en résulte des initiatives dispersées, des doublons, des tentatives d'empiètement. Si l'État, garant légitime de l'intérêt public national, doit rester présent sur le territoire en tant que stratège, il est de moins en moins acceptable qu'il continue d'aligner des troupes plus ou moins clairsemées dans des domaines tels que la partie du champ social transférée aux départements, la culture ou le sport. Nous proposons d'identifier et de supprimer ces doublons, en partenariat avec les associations d'élus et avec le concours actif du Sénat.

Deuxième sujet : la complexité de l'administration déconcentrée. Le rapporteur démontre la difficulté des élus locaux à se repérer dans le maquis des normes, des procédures et des interlocuteurs étatiques. Tous dénoncent en outre la faiblesse du préfet, qui ne joue pas assez son rôle facilitateur.

L'État a réformé son organisation territoriale sans concertation. Il pourrait être tenté de réformer de même le fonctionnement de cette organisation. Les élus locaux veulent être entendus. Le Sénat et sa délégation aux collectivités territoriales sont prêts à jouer leur rôle dans ce travail partenarial, comme ils l'ont fait à propos de la simplification des normes.

M. Éric Doligé, rapporteur de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation .  - Notre rapport d'information porte sur les relations entre l'État déconcentré et les collectivités territoriales. Des études existaient, mais du point de vue de l'État, non des territoires.

Notre délégation a souhaité combler cette lacune, en coordination avec la commission des lois et son rapporteur Pierre-Yves Collombat. Nous avons interrogé les élus locaux, 57 % des 4 500 contributions reçues provenaient de maires. Deux tiers des répondants jugent inefficace ou non pertinente la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) lancée en 2008, la réorganisation des services régionaux engagée en 2014 ou le plan préfectures nouvelle génération dévoilé en 2015. Deux tiers aussi déclarent que leur commune ou groupement a été touché par au moins une réforme de l'implantation des services de l'État : services régionaux, gendarmeries, hôpitaux, sous-préfectures, écoles... Ils sont une majorité à juger négatif l'impact des réformes sur les collectivités et les usagers. Pour beaucoup, elles ont été motivées par des raisons strictement budgétaires, et leur méthode a été peu participative.

L'État territorial, désorganisé, privé de moyens, ne répond pas toujours aux attentes des collectivités territoriales. Trois obstacles stratégiques privent notre organisation d'efficacité : le manque de cohérence et la complexité des circuits administratifs ; les doublons et l'immixtion de l'État dans l'exercice de compétences décentralisées ; l'éloignement et le désengagement de l'État qui isole toujours plus certains territoires. Nous avons formulé des préconisations, que je laisse à Mme Perol-Dumont le soin d'exposer. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs du groupe RDSE ; M. René Vandierendonck applaudit aussi)

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation .  - Les nombreux élus ayant répondu à notre questionnaire ont dressé un bilan critique et assez convergent des réformes de l'État territorial. Certes, l'État n'est pas hermétique à leurs doléances, de même que les collectivités ne sont pas rétives à toute évolution. Des inflexions ont été annoncées l'an dernier en faveur du maintien de services de proximité, pour la réévaluation de certaines missions de l'État comme le contrôle de légalité et l'ingénierie territoriale, et pour la simplification des relations entre les acteurs locaux et les services déconcentrés. Nous serons vigilants.

Les élus attendent un État facilitateur et un État conseil. Ils appellent de leurs voeux, par ordre de priorité, des services déconcentrés plus proches, plus disponibles et mieux identifiés. Plus largement, l'État doit être capable de remédier à la complexité de son organisation, de son droit et de ses procédures ; de maintenir une présence proche et partagée ; et de mieux s'inscrire dans une logique de co-construction.

Dans cette perspective, notre rapport formule trente-cinq préconisations, réunies en cinq axes. Pour renforcer d'abord la cohérence de l'État territorial, nous croyons nécessaire de réaffirmer l'autorité du préfet sur les services territoriaux de l'État et notamment sur les agences, en les affectant pour une durée minimale, en leur adressant une lettre de mission et en les entourant d'un état-major. Deuxième axe : le maintien de la proximité, surtout dans les départements peu peuplés ou dont la géographie est spécifique. À titre personnel, j'ajouterai que la RéATE a laissé un sentiment de déshérence. Il faut compléter les ressources en ingénierie de l'État territorial, notamment dans les régions fusionnées, améliorer l'organisation multi-sites de l'État, favoriser la création de maisons de services au public.

Troisièmement, l'État doit aider les collectivités à surmonter la complexité administrative, en leur offrant un référent généraliste pour le montage de leurs projets, en mettant en place des procédures intégrées, des engagements qualitatifs et des outils contractuels.

Ensuite, les services déconcentrés doivent se concentrer sur les politiques étatiques et éviter les doublons avec les politiques mises en oeuvre par les collectivités. Les transferts de charges doivent, eux, être intégralement compensés. Nous appelons aussi à achever la décentralisation de certaines compétences et du personnel correspondant : s'agissant des gestionnaires de lycées et de collèges, on est resté au milieu du gué.

Enfin, nous prônons une démarche plus facilitatrice de la part de l'État, un contrôle de légalité exercé en amont, prenant la forme d'avis et de conseils sur le droit applicable. Le préfet pourrait aussi disposer d'un pouvoir d'adaptation de certains éléments non cruciaux du droit pour faciliter la réalisation de projets, comme c'est le cas à propos de l'accessibilité des bâtiments.

Telles sont nos recommandations pour des relations partenariales et adultes entre l'État territorial et les collectivités. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et UDI-UC ; M. Éric Doligé, rapporteur, applaudit aussi)

M. René Vandierendonck .  - L'État territorial, c'est peu de le dire, a connu dix ans de réorganisations, depuis la RéATE lancée en 2008. Dans leur rapport de 2012, les inspections générales des finances, des affaires sociales et de l'administration ont montré que celle-ci, menée avec le concours de prestations de conseil pour un montant de 21 millions d'euros, a surtout consisté à rechercher des économies budgétaires rapides, la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux prenant le pas sur les autres objectifs de la réforme. Quelque 3 200 postes en préfecture et sous-préfecture ont ainsi été supprimés.

Dans le cadre de la modernisation de l'action publique, plusieurs chantiers prioritaires ont été annoncés en 2014, touchant les services déconcentrés : revue des missions de l'administration territoriale, rénovation de la carte de la déconcentration, déconcentration de la gestion des ressources humaines et des crédits budgétaires, nouvelle carte des sous-préfectures, renforcement de la tutelle des préfets sur les opérateurs de l'État au niveau territorial, poursuite de la mutualisation des fonctions supports, simplification du fonctionnement des instances consultatives. Tout cela dans l'objectif d'un État plus moderne et plus facilitateur.

Au sein de la commission des lois, la mission de suivi et de contrôle des lois de réforme territoriale a pu constater à quel point les préfectures de département ont payé le prix fort. Dans le Cantal, département de 147 000 habitants, les effectifs de l'État sont passés en dix ans de 164 à 100 personnes ; dans le Nord, 2,6 millions d'habitants, les équipes des directions départementales de l'équipement, des affaires maritimes et de l'agriculture et de la forêt regroupaient quelques 2 040 agents, aujourd'hui la nouvelle direction départementale des territoires et de la mer en rassemble 485.

Le niveau régional a été beaucoup moins touché. Il convient de saluer le renforcement de l'autorité des préfets de région sur l'ensemble des directions régionales ainsi que son pouvoir de coordination à l'égard des services non placés sous sa hiérarchie comme le rectorat, l'ARS, l'Ademe, l'Anah, l'Anru... Saluons également son pouvoir de négociation avec les administrations centrales des moyens budgétaires et humains des services déconcentrés.

Tout le monde ici est d'accord pour dire que le département doit être la circonscription de l'État où se mettent en oeuvre l'ingénierie territoriale et les politiques publiques. C'est cet objectif de rééquilibrage territorial qui a guidé l'action gouvernementale dès 2015, dans la perspective des fusions de régions de 2016. Or les ressources humaines de nombreuses préfectures départementales étaient à ce point dans le rouge qu'il y avait lieu de se poser la question d'un socle minimal d'effectifs pour que les services de l'État puissent mener à bien leurs missions. C'est l'origine du plan Préfectures nouvelle génération lancé à l'été 2015 : revenir aux fondamentaux, à savoir les missions régaliennes de l'État, et apporter du conseil - et non plus uniquement du contrôle - aux collectivités, notamment aux communes rurales et périurbaines. D'autant plus que les départements peu denses peuvent avoir des besoins stratégiques.

Le débat sur l'ingénierie territoriale semble parfois mettre en concurrence l'État et le département doté d'une nouvelle compétence de solidarité territoriale. Ce débat doit être dépassé grâce aux schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services publics, créés par la loi NOTRe, cadre partenarial naturel pour la mise en place des maisons de services au public : 700 ont été créées, dont 225 en partenariat avec La Poste. L'amélioration de l'accès aux services et de la qualité de vie des populations sont des priorités, si l'on veut éviter la relégation de ce que Christophe Guilluy appelle la France périphérique.

M. Jean-François Husson.  - C'est déjà fait, hélas !

M. René Vandierendonck.  - Peut-être...

Le sous-préfet doit être l'interlocuteur naturel et le facilitateur des projets des communes, les orienter vers les ressources en ingénierie et les financements. Dans l'espace rural, il est indispensable qu'il noue des relations de partenariat avec les collectivités concernées, sous la forme chaque fois que possible de contrats de ruralité, sur le modèle des contrats de ville. On pourra ainsi mieux articuler les procédures d'attribution de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) avec les procédures analogues du département ou de la région.

Quant aux métropoles, qu'elles prennent exemple sur Nancy, qui partage les ressources de son agence de développement et d'urbanisme avec les collectivités environnantes : c'est ainsi que l'on reconnaît une métropole solidaire et inclusive.

Le contrôle de légalité n'est plus que l'ombre de lui-même, puisqu'un acte sur cinq seulement est désormais contrôlé, les effectifs des préfectures affectés à cette tâche ayant été ramenés de 1 200 à 800 entre 2008 et 2016. L'État facilitateur, l'État conseil est pourtant au premier rang des préoccupations des élus. Il faut développer la fonction de conseil, mettre à disposition des collectivités un répertoire de bonnes pratiques.

Tous les élus appellent aussi de leurs voeux un allègement des normes, auquel Rémy Pointereau consacre beaucoup d'énergie. Chaque fois que l'État, sur le modèle des directives « Crédit foncier de France », laisse au préfet un pouvoir d'adaptation des normes, il apporte de la souplesse et ouvre la voie au contrat.

L'État stratège au plan régional doit encore parfaire, c'est un euphémisme, ses relations avec les nouvelles directions régionales.

Décentralisation et déconcentration vont de pair, comme un couple en mécanique. Quelques idées-forces s'imposent : rééquilibrer les compétences et les moyens humains pour conforter l'État départemental ; mieux articuler l'offre d'ingénierie territoriale de l'État avec la compétence de solidarité territoriale des départements ; grâce à l'ingénierie territoriale - on en parle plus qu'on n'en voit - fédérer les nouvelles intercommunalités autour de projets ; préférer enfin le contrat qui garantit l'adaptation des politiques publiques aux réalités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et au centre)

Mme Caroline Cayeux .  - Je salue le travail des rapporteurs et leur écoute. Ce rapport reprend beaucoup des propositions que j'avais émises au nom de l'association Villes de France. Comme les rapporteurs, j'estime nécessaire de pérenniser l'organisation multi-sites des services déconcentrés de l'État, et d'éviter la fermeture simultanée de plusieurs services dans une même collectivité, qui peut avoir déjà été touchée par la fermeture d'une usine, d'un service public de proximité, d'une gare... Il faudrait même offrir une compensation aux territoires ayant déjà vécu plusieurs départs successifs.

Une durée minimale d'affectation des préfets serait également opportune, tant la stabilité est essentielle.

Quant au contrôle de légalité, pourquoi ne pas étudier sérieusement sa suppression au bénéfice d'un système de rescrits, comme le propose Alain Lambert ? Les préfectures n'ont plus les moyens de contrôler 5 millions d'actes. Le rescrit présenterait, pour les collectivités, l'avantage de valider préalablement la solution trouvée à une question complexe de droit, et de leur apporter ainsi de la sécurité juridique. Le préfet deviendrait ainsi un accélérateur des initiatives locales, et le contrôle de légalité serait réorienté vers l'avis et le conseil en amont.

Je déplore moi aussi le manque de concertation avec les élus, et souscris sans réserve à l'idée d'une consultation nationale impérative de leurs associations avant tout lancement d'une politique ministérielle touchant aux compétences décentralisées comme à l'administration déconcentrée.

Enfin, le Parlement doit être mieux informé des conséquences des réformes sur la répartition géographique des effectifs de l'État. La dernière synthèse dont on dispose remonte à la loi de finances pour 2013... Ces données devraient figurer obligatoirement chaque année dans le « jaune » budgétaire.

Le rapport de nos collègues est opérationnel et novateur, par ses propositions pratiques et réalistes. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Éric Doligé et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteurs, applaudissent aussi, ainsi que M. René Vandierendonck)

Mme Éliane Assassi .  - Je salue l'initiative de la délégation aux collectivités territoriales. Que 4 500 élus aient répondu à son questionnaire montre à quel point ils ont besoin d'être entendus et respectés, eux qui jouent un rôle déterminant pour faire vivre la République sur tout le territoire. Depuis 2012, le groupe communiste républicain et citoyen plaide pour des débats participatifs, pour que les élus locaux soient au coeur de chaque réforme de l'administration et de chaque réforme territoriale. C'est l'inverse qui a été fait. Pas étonnant, dès lors, que 93 % d'entre eux estiment n'avoir pas été assez aux réformes, 52 % pas du tout.

Hélas, les gouvernements ont fait le choix de suivre les injonctions de Bruxelles plutôt que les attentes des élus, sentinelles de la démocratie. Le rapport parle de mesures incessantes et mal articulées, sur lesquelles les acteurs de terrain n'ont pas été assez sollicités ; nous irions même plus loin. La RGPP déjà était guidée non par le souci d'améliorer la qualité du service public, mais par l'idéologie néolibérale du moins d'État. L'autre erreur fut de suivre le dogme de la réduction budgétaire et de la baisse de l'investissement, quand l'OFCE explique que seule la relance de l'investissement public nous fera sortir de la crise.

Bien sûr, il peut être nécessaire de réformer l'action publique quand elle est devenue trop complexe. Mais jamais le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux ou la fermeture de services n'améliorera les choses : les réformes n'ont fait que compliquer les choses et affaiblir l'action publique.

L'État ne joue plus son rôle d'accompagnateur et de conseil auprès des élus ruraux. Ce sont aujourd'hui les départements qui assument la fonction d'ingénierie territoriale pour le bloc communal.

On observe un glissement préoccupant de certaines politiques, naguère exercées par l'État, vers les collectivités territoriales. Comment celles-ci, privées de la clause de compétence générale, épuisées par les 10 milliards d'euros de baisse de la dotation globale de fonctionnement, pourraient-elles suppléer à la fermeture d'une gendarmerie, d'une sous-préfecture, d'une classe, d'un bureau de poste ? Un tiers des bureaux sont appelés à disparaître dans certains départements, et 61 % des élus disent que leur commune a été touchée par la suppression de services déconcentrés... Cet effacement de l'action publique est cause de fractures sociales et territoriales.

Pourtant, il n'y a pas de fatalité. Tout est affaire de volonté politique ! Nulle fatalité à l'évasion fiscale - 80 milliards par an - ou aux cadeaux au patronat -  30 milliards - qui pèsent sur les classes moyennes et populaires. Citoyens et élus attendent un État fort, capable d'agir pour le développement économique, la démocratie et l'égalité, et c'est à cela que travaille le groupe CRC en vue des prochaines échéances : construire un nouveau pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Où va l'État territorial ? Quel élu confronté à l'avalanche de réformes ne s'est pas posé la question ? Merci, donc, aux auteurs de ce rapport d'avoir donné la parole aux élus et de nous donner l'occasion d'en débattre.

Mon sentiment, pourtant, est que les incohérences d'exécution bien réelles qu'ils épinglent dans leur rapport masquent une logique : la dissolution du modèle républicain français d'organisation territoriale dans tout autre chose. Ce modèle, on le dit jacobin mais il s'agit en fait de l'alliage d'un jacobinisme théorique, centralisateur, et d'un girondinisme de fait. Depuis la Grande Révolution, la citoyenneté a deux faces, l'une locale et l'autre nationale. La République est au village en même temps qu'à Paris. Contrairement à ce qu'on croit souvent, la commune française est la cellule de base de gestion territoriale la plus autonome des grandes démocraties.

Si la démocratie locale est autant jacobine que girondine, l'État s'est fait de moins en moins jacobin, au fil d'un processus de décentralisation séculaire et, ce qu'on oublie trop, par son rôle d'acteur local et pas seulement de surveillant général. Pierre Grémion l'a bien montré : dans le schéma classique d'administration territoriale française, il n'y a pas d'un côté l'administration de l'État et de l'autre les représentants de la population : l'administration préfectorale est autant porte-parole de l'État auprès du terrain que l'inverse. Sur la plus grande partie du territoire, il est d'abord présent par ses ingénieurs des ponts et chaussées ou des eaux et forêts : une présence bénéfique très appréciée, qui faisait oublier les tracasseries de la bureaucratie régalienne. À travers ses ingénieurs, l'État était partenaire et parfois acteur du développement local. Son désengagement pour laisser place au marché sera ressenti comme un abandon.

Pour Pierre Grémion, cette symbiose entre fonctionnaires d'État et élus locaux constituait un véritable « pouvoir périphérique ». Les réformes de ces dix dernières années touchant les collectivités comme les services de l'État, sans le dire ou plutôt en disant le contraire, visent à faire disparaître ce modèle.

Fini l'État acteur et conseiller. Place aux intercommunalités les plus grandes possible chargées d'apporter à leurs frais les services que l'État n'assure plus. Place aux cabinets d'expertise privés et au marché. Place aux départements services extérieurs de l'État social. Place aux grandes régions planificatrices de ce que d'autres, notamment les métropoles, voudront bien faire.

Étant bien entendu que RGPP, MAP, RéATE et autres plans préfectures nouvelle génération déclinent en fait un seul plan : le PRPTE, plan de réduction de la présence territoriale de l'État, chapitre du grand plan de rigueur budgétaire.

Cette disparition du territoire de l'État acteur n'est en rien une nouvelle étape de la décentralisation, contrairement à ce que dit le discours officiel. C'est une tutelle du marché encore plus forte - voyez le délabrement du service public sur la plus grande partie du territoire - assortie d'une nouvelle manière pour l'État d'exercer le pouvoir, ce qu'on a pu appeler : gouverner à distance. Sans renoncer à la contrainte par la loi et la norme, de plus en plus nombreuses et détaillées, cela signifie utiliser des leviers de pouvoir plus libéraux, apparemment non contraignants : appels à projets dont l'État sélectionnera les bénéficiaires mis en concurrence, fonds plus ou moins exceptionnels, bonifications pour inciter par exemple aux fusions de communes, contractualisation, affichage des bonnes pratiques, benchmarking...

Condition nécessaire pour que cela fonctionne : réduire l'autonomie financière des collectivités et organiser leur dépendance vis-à-vis de l'État. C'est fait.

Finalement, on a simplement remplacé l'État local acteur de terrain par l'État central bureaucratique, au nom de l'autonomie de collectivités ainsi mises en concurrence et d'une saine gestion des finances publiques. Tout bénéfice pour la haute bureaucratie, dont les effectifs, eux, n'ont pas faibli : elle n'aura plus à se colleter avec les manants d'en bas, désormais totalement libres de prendre ou de laisser, à leurs risques et périls.

Du moins tant qu'ils accepteront de se tenir tranquilles. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et communiste républicain et citoyen ; MJean-Marc Gabouty applaudit aussi)

M. Hervé Poher .  - Difficile de trouver l'objectivité sur un sujet pareil, quand on a été élu local. Choisissant mon thème, j'ai hésité entre « Us et coutumes du peuple des élus locaux » et « Les aléas de la vie de couple »... La relation entre l'État et les élus est complexe, l'État s'est parfois ingénié à la compliquer, et les élus ont horreur de ne pas y voir clair. Mais je ne tomberai pas dans la critique facile. On tape sur l'État, c'est bien pratique : nous avons tous usé et abusé de cette façon de faire. C'est que les élus doivent passer régulièrement sous la toise électorale, et quand le temps est à l'orage, on cherche un coupable...

Heureusement, nous avons bien souvent en face de nous des préfets et des sous-préfets qui ont le sens du devoir et le sens de l'État, mâtinés d'un peu de diplomatie, ce qui ne gâte rien...

Il faut d'abord savoir ce que l'on attend de l'État dans un pays de plus en plus décentralisé comme le nôtre. Les Français ont le cerveau « anar » mais le coeur jacobin, et le rôle de l'État déconcentré est triple : commandeur, parce qu'il est le gardien de la loi, il est aussi conseiller parce que nul n'est plus adapté pour aider à l'application de cette loi, et complice, car bien souvent l'alliance entre les représentants de l'État et ceux des collectivités permet de trouver une intelligence pratique ou une pratique intelligente de cette loi.

L'exercice est difficile quand on se heurte à l'obsession budgétaire.

En matière d'effectifs, on remplacerait la quantité par la qualité ? Soit, mais l'être humain a quand même ses limites. Entre le trop plein et la disette, il y a un juste milieu.

Oui au transfert de compétences, s'il est accompagné d'un transfert de moyens. Les collectivités auraient trop embauché ? Elles ne le font pas pour le plaisir de dépenser ! (Mme Cécile Cukierman renchérit)

Un bémol toutefois : le transfert de compétences a ses limites financières, administratives, politiques, et le poujadisme local peut parfois nuire à la finalité de la loi...

C'est pourquoi le rôle de l'État est d'être neutre, indépendant, garant des principes essentiels.

Le rapport de M. Doligé et de Mme Pérol-Dumont parle de l'incertitude, de la frustration, de l'exaspération même des élus locaux. Ses propositions sont basées sur le bon sens, l'écoute et l'expérience de terrain. Je nuancerai toutefois la proposition sur la durée d'affectation des préfets : dans le Pas-de-Calais, ils sont mis à rude épreuve ; tous les départements n'ont pas le même potentiel d'adrénaline.

Assurer la libre administration de la collectivité en étant partenaire d'un État qui fait partie de notre environnement et de nos réflexes, voilà la dualité qui taraude les élus.

Attention aussi au tout numérique : Big Data a beaucoup de mémoire, d'intelligence, de réactivité, mais manque de sentiment et d'humanité...

Le rapport rappelle en tout cas opportunément que l'État et les collectivités territoriales ont le même objectif : le service public et le développement dans une certaine idée de la République. (Applaudissements à gauche)

M. Bernard Fournier .  - Je félicite les auteurs de ce rapport considérable. Ils ont pris la peine de consulter les élus locaux, ce qui n'est pas si courant.

Les services déconcentrés sont soumis à des réformes continuelles, sans stratégie de long terme ni concertation entre les ministères. Sur le terrain, elles épuisent les personnels et désorientent les élus, qui ne ressentent souvent que leurs conséquences négatives. Les communes les plus rurales ont subi une concentration inédite de fermetures symboliques - caserne de gendarmerie, école, urgences - qui entrainent à leur tour la fermeture du bureau de poste ou de la boulangerie... D'où un sentiment d'abandon, car qui voudrait s'installer dans un territoire déserté ?

Les élus de terrains estiment être insuffisamment consultés et trop fréquemment mis devant le fait accompli, par exemple lors de la suppression de l'aide territoriale de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat).

L'État et ses services apparaissent de plus en plus lointains, de plus en plus concentrés dans les grandes métropoles ; les procédures sont de plus en plus complexes et les contrôles tatillons, alors que la fonction de conseil ou d'expertise se réduit ; les spécificités des territoires sont ignorées.

La simplification de normes m'apparaît en conséquence indispensable, car la complexité et la multiplication des services et des interlocuteurs contribuent au sentiment d'incompréhension des élus locaux. Les associer à l'élaboration des réformes est une proposition importante ; de même que celles visant à renforcer l'importance du sous-préfet, à éviter les fermetures concomitantes dans une même collectivité, ou à renforcer le contrôle de légalité et l'ingénierie territoriale. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-François Husson .  - La France, État déconcentré, République décentralisée, a été bousculée ces dernières années par plusieurs réformes territoriales qui ont donné aux collectivités territoriales le sentiment d'être la variable d'ajustement d'une vision politique mal définie et peu lisible.

Je salue ce travail approfondi, appuyé par des contributions venant du terrain, dont 60 % de maires. Les propositions des rapporteurs résument parfaitement les attentes des élus. L'État doit être à la hauteur de ses missions régaliennes, tout en veillant à la cohérence des moyens mis à disposition des collectivités territoriales. Celles-ci ont besoin d'un cadre d'action clair qui leur offre une sécurité juridique.

Or l'État a privilégié la loi du nombre pour définir la taille et le périmètre des collectivités, donnant lieu à une forme d'obésité territoriale. Certaines collectivités en ont été déstabilisées par des réformes conduites au fil de l'eau et sans cohérence.

L'État territorial se désengage de certaines de ses missions au profit des collectivités territoriales sans les retirer pleinement à ses services ni accorder les moyens nécessaires aux dites collectivités, d'où une forme de méfiance réciproque des acteurs publics. Restaurer la confiance essentielle au pacte républicain suppose équilibre et justice. Il faut assurer l'égalité d'accès aux services publics, avec une attention particulière pour les services privés - services postaux, bancaires, téléphonie mobile et haut débit.

Les parlementaires ont leur rôle à jouer, à la veille de l'application du non-cumul. Nous pourrions apporter un éclairage aux représentants de l'État dans nos territoires, co-construire davantage l'action publique territorialisée. Garantir aux collectivités locales la liberté, les accompagner dans leurs projets de développement, sans créer de fractures entre elles : beau défi, qu'il nous faudra relever ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit aussi)

M. Dominique de Legge .  - Félicitations pour le rapport dans lequel je me retrouve totalement. J'avais fait le même constat en 2011, à propos de la RGPP...

La grande réforme de 1982 a modifié l'esprit de la relation entre l'État et les collectivités territoriales : l'État contrôle a posteriori, plus qu'il n'accompagne les projets en amont. Il faut faire évoluer cette mentalité.

Deuxième constat : il manque une parole unique de l'État.

Éducation nationale, finances publiques, santé, Dreal : de plus en plus de services échappent au préfet. Est-il encore le patron de l'action publique sur le terrain, le porteur de la parole de l'État ? Il faudra restaurer son autorité sur ses propres services, afin qu'il puisse, par exemple, déplacer des agents d'un service à un autre en fonction des besoins, sans être prisonnier de la logique des silos.

Proximité et efficacité vont de pair. Je me suis vu reprocher il y a peu de n'avoir pas saisi les services de l'État avant de réviser mon PLU, or j'avais écrit au sous-préfet. Et ce dernier de m'indiquer qu'il est préférable de saisir directement la préfecture, et de lui transmettre le dossier complet, quitte à adresser, pour information, une copie de la délibération au sous-préfet... Quel est notre interlocuteur ?

Il ne peut y avoir deux actions publiques, l'une de l'État, l'autre des collectivités. Elles ont vocation à se rencontrer dès lors qu'elles sont au service d'une même population. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également)

M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur .  - Je trouve l'angle d'approche retenu par votre rapport d'information particulièrement intéressant.

S'interroger sur les conséquences des choix politiques sur les collectivités territoriales est désormais un réflexe de bonne administration, formalisé d'ailleurs par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et intégré aux études d'impact qui accompagnent les projets de loi. Pour le ministère de l'Intérieur, il est normal de considérer l'administration territoriale de la République dans son ensemble : chaque décision est pesée au double trébuchet de la déconcentration et de la décentralisation, sans opposer l'une à l'autre. Votre rapport présente d'ailleurs les choses de manière plus antagoniste qu'elles ne le sont en réalité ! J'en note toutefois la qualité, et en partage l'essentiel des conclusions.

Le Gouvernement ne peut endosser que ses propres décisions, pas celles des gouvernements précédents... Oui, la RGPP de 2007, qui sabrait dans les effectifs sans logique d'ensemble, a laissé des cicatrices. Oui, la réforme de 2008 aurait pu être mieux concertée avec les élus. Oui, la succession des réformes sans vision d'ensemble nuit à la cohérence de l'action publique...

Depuis 2013 et le Comité interministériel de modernisation de l'action publique, le Gouvernement s'est engagé dans la stabilisation des organisations existantes. L'objectif a été atteint, dans la concertation avec les collectivités. La MAP, en 2013, puis les chantiers de l'administration territoriale menés en 2014-2015, ont redessiné les lignes de force d'un État territorial plus cohérent, mieux armé et plus proche des citoyens.

Les préfets de région sont désormais responsables des budgets opérationnels de programme (BOP) ; le décret du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration et le plan « Préfectures nouvelle génération » ont renforcé la cohérence des services déconcentrés. Les collectivités territoriales ont besoin, vous avez raison, de ne voir qu'un seul visage de l'État, et c'est celui du préfet.

Le Gouvernement a mis un terme à l'effondrement des effectifs départementaux, porté à son paroxysme par la RGPP. Le département est en effet l'échelon où les politiques publiques sont mises en oeuvre. L'échelon départemental, c'est l'État tout entier ! C'est là que sont prises les décisions qui font le quotidien des Français : gestion des événements graves, de la cohésion sociale, de la sécurité...

La réforme régionale a relégitimé l'échelon départemental. C'est aussi la logique du Plan préfectures nouvelle génération (PPNG). Certes, la contrainte budgétaire n'épargne pas l'administration territoriale de l'État, mais le ministère de l'Intérieur, sous Bernard Cazeneuve, a fait le pari de s'y adapter plutôt que de la subir. Ainsi, 136 ETP sont redéployés pour la coordination territoriale des politiques publiques et le contrôle de légalité. Sans doute ce n'est pas assez... mais c'est un plus, et je préfère les petits plus aux grands moins ! (Protestations à droite)

Alors que les effectifs de nombreuses petites préfectures ne cessaient de baisser, au point qu'elles envisageaient de fusionner, le nombre d'ETP minimum permet désormais d'assurer partout la présence de l'État, quelle que soit la taille des préfectures. C'est nouveau !

M. François Bonhomme.  - Et l'Atesat ?

M. Bruno Le Roux, ministre.  - Troisième axe de notre action : la proximité. Mille maisons de services au public et 65 maisons de l'État ont été créées ; autant sont en projet. Schémas départementaux d'accessibilité, droit d'alerte, directive nationale d'orientation sur l'ingénierie territoriale et réforme de la coopération intercommunale, tout cela se fait dans la concertation la plus riche avec les élus locaux.

Bref, l'État territorial sait désormais où il va. (Exclamations à droite) Après une phase de régionalisation assumée, visant à permettre à nos régions de rivaliser avec leurs homologues européennes et de dynamiser le développement économique, il sort de l'actuelle mandature à la fois unitaire et décentralisé. C'est ce qui fait sa force. Nous avons besoin d'une organisation territoriale concertée et ambitieuse. C'est la volonté du Gouvernement, à rebours des mandatures précédentes, et il s'efforcera de continuer sur cette voie tant qu'il lui en sera donné la possibilité de le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. François Bonhomme.  - Amen.

Prochaine séance, demain, mercredi 11 janvier 2017, à 14 h 30.

La séance est levée à 23 h 5.

Marc Lebiez

Direction des comptes rendus

Ordre du jour du mercredi 11 janvier 2017

Séance publique

De 14 h 30 à 18 h 30

Présidence : Mme Isabelle Debré, vice-présidente

Secrétaires : Mme Corinne Bouchoux - M. Christian Cambon

Ordre du jour réservé au groupe communiste républicain et citoyen

1. Proposition de loi visant à abroger la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « Loi Travail » (n° 155, 2016-2017).

Rapport de M. Dominique Watrin, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 259, 2016-2017).

Résultat des travaux de la commission (n° 260, 2016-2017).

2. Proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l'enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l'avenir, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement (n° 104, 2016-2017).

Rapport de Mmes Colette Mélot et Patricia Schillinger, fait au nom de la commission des affaires européennes (n° 179, 2016-2017).

Rapport de M. Jacques Grosperrin, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n° 258, 2016-2017).

De 18 h 30 à 19 h 30 et de 21 heures à minuit

Présidence : Mme Isabelle Debré, vice-présidente Mme Françoise Cartron, vice-présidente

Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique (n° 176, 2016-2017).

Rapport de M. Michel Vaspart, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (n° 266, 2016-2017).

Texte de la commission (n° 267, 2016-2017).

Avis de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois (n° 246, 2016-2017).

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°85 sur l'ensemble de la proposition de loi organique, modifiée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes.

Résultat du scrutin

Nombre de votants : 338

Suffrages exprimés : 338

Pour : 338

Contre : 0

Le Sénat a adopté.

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (144)

Pour : 141

N'ont pas pris part au vote : 3 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, M. Jean-Claude Gaudin, Président de séance, M. Michel Bouvard

Groupe socialiste et républicain (108)

Pour : 108

Groupe UDI-UC (42)

Pour : 42

Groupe communiste républicain et citoyen (21)

Pour : 20

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Évelyne Rivollier

Groupe du RDSE (17)

Pour : 17

Groupe écologiste (10)

Pour : 10

Sénateurs non inscrits (6)

N'ont pas pris part au vote : 6 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, Robert Navarro, David Rachline, Stéphane Ravier, Alex Türk.