Littoral et changement climatique

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique.

Discussion générale

Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable .  - Cette proposition de loi propose des solutions concrètes à l'érosion du trait de côte, liée aux effets du changement climatique. La France compte 7 500 kilomètres de littoral, dont 1 650 outre-mer ; 303 communes métropolitaines ont été identifiées comme prioritaires pour prévenir les risques analogues à ceux révélés par la tempête Xynthia.

La Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte a amélioré l'identification des aléas et du fonctionnement des écosystèmes côtiers dans leur état actuel ainsi qu'une vision prospective de leur évolution à 10, 40 et 90 ans. Les travaux menés par le comité national de gestion du trait de côte, que co-président les députées Pascale Got et Chantal Berthelot, ont conduit à cette proposition de loi, adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale en décembre.

Grâce à elles, les communes concernées par l'érosion des côtes seront dotées d'outils propres à maintenir leur dynamisme social et économique tout en assurant une prévention efficace des risques. Les amendements introduits en commission au Sénat n'en ont guère modifié l'équilibre. Les communes pourront maintenir des activités humaines ; le préfet peut utiliser les stratégies locales de gestion du trait de côte.

Les communes peuvent mettre en place le Bail réel immobilier littoral pour laisser aux habitants la possibilité de maintenir leurs activités et les indemniser le cas échéant. Je pense aux propriétaires de l'immeuble « Le Signal » à Soulac-sur-Mer.

Le Conseil constitutionnel a précisé que la protection des biens par l'action publique ne constitue pas un droit et que l'atteinte à l'intégrité physique de la propriété individuelle par les éléments naturels ne peut relever d'une responsabilité directe de l'État. Puisque l'évolution du trait de côte est un phénomène anticipable, les dispositifs de financement ne peuvent avoir pour seule origine les prélèvements sur les cotisations « habitation » des assurés, qui couvrent des phénomènes non prévisibles. On peut donc envisager d'autres sources que le seul fonds Barnier pour le rachat de biens par la collectivité. Je pense aux contrats de plan État-région, à l'Afitf ou à la redevance Gemapi.

Vous avez également voulu modifier quelques dispositions de la loi Littoral. J'ai reçu des parlementaires pour discuter de l'interprétation de la loi au sujet des dents creuses, l'objectif étant de sécuriser les politiques d'aménagement. Un atelier s'est tenu le 3 novembre dernier à Rennes pour trouver des clarifications utiles. Je suis disposée à soutenir de telles initiatives dès lors que l'esprit de la loi Littoral sera préservé. Le principe de continuité pourra être assoupli, mais les remises en cause trop larges n'auront pas la faveur du Gouvernement.

Avec l'entrée en vigueur de l'accord de Paris, nul ne peut plus ignorer le problème de l'érosion du littoral. Cette proposition de loi va dans le bon sens.

M. Michel Vaspart, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - L'océan qui recouvre près de 70 % de la surface du globe est fortement affecté par le réchauffement climatique. Le niveau des mers pourrait augmenter de 25 à 82 centimètres d'ici 2 100 et 80 % de la population mondiale vivra sur la frange littorale en 2050.

Certes, la France n'est pas dans la situation des Pays-Bas, qui risquent la submersion, mais nous n'en devons pas moins anticiper l'évolution du trait de côte.

Les ouvrages construits à ce jour le long du trait de côte ont parfois aggravé le phénomène. Depuis les années quatre-vingt-dix, la logique a changé et le Grenelle de la mer de 2009 a donné lieu à l'élaboration d'une stratégie nationale. Celle-ci, établie en 2012, fait l'objet, depuis 2015, d'un suivi parlementaire, assuré par Pascale Got, auteur de cette proposition de loi.

Des actions prioritaires ont abouti à la première cartographie nationale du trait de côte. Sur cette base, des stratégies territoriales doivent être élaborées et mises en cohérence avec la stratégie nationale.

Dans cette optique, cette proposition de loi crée un zonage entre les zones rouges et vertes. Les activités pourront y être implantées et déplacées sous certaines conditions ; des conditions de préemption sont également précisées. Un nouveau type de bail permettra la démolition des constructions et l'indemnisation des propriétaires menacés par la modification du trait de côte.

Si ces deux mécanismes sont complexes, ils sont attendus par les élus. Aussi notre commission n'a-t-elle adopté que des amendements techniques. Notre réticence porte sur le volet financier, les modalités de constitution du fonds spécifique que le Gouvernement veut créer sont fort peu précis. Et ce, à quelques mois des prochaines élections.

M. Charles Revet.  - Tout à fait !

M. Michel Vaspart, rapporteur.  - Il est impensable que les collectivités territoriales y participent.

M. Charles Revet.  - Absolument !

M. Michel Vaspart, rapporteur.  - Bref, le législateur est amené à se prononcer sur un dispositif dont il ignore le fonctionnement en détail. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) estime que 800 bâtiments seront touchés en 2040, 40 000 à l'horizon 2100... D'autres expertises sont en cours. Outre-mer, plusieurs milliers de construction restent occupées sans titre, dans la zone géométrique des 50 pas, parfois depuis plus d'un siècle. Qu'envisagez-vous, madame la ministre ?

Enfin, quelle suite donner à la loi Littoral ? Celle-ci a plus de trente ans... En résulte un paradoxe : les collectivités territoriales qui ont répondu aux appels d'offres publics pour la relocalisation de certaines activités sont désormais pénalisées !

Je remercie le président Bas d'avoir accepté de rédiger des amendements susceptibles de porter remède au problème des dents creuses. Notre commission a adopté 31 amendements, dont 15 issus de la commission des lois, et ce dans des délais très contraints. Merci à tous. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Philippe Bas, rapporteur pour avis de la commission des lois .  - Je veux d'abord féliciter le rapporteur M. Vaspart, avec qui nous avons travaillé en parfaite intelligence, pour son remarquable travail.

La commission des lois s'est saisie de dix des seize articles de cette proposition de loi. Des incertitudes juridiques devaient être levées ; quatorze des quinze amendements déposés ont été adoptés. Nous nous sommes notamment attachés à renforcer le rôle des élus locaux.

Le Sénat a déjà voté à plusieurs reprises un assouplissement des règles d'urbanisation limitée, et défend la rédaction d'une charte d'application de la loi Littoral, dont le respect serait assuré par une instance nationale.

Cette proposition de loi est moins ambitieuse. Il s'agit de rendre constructibles les dents creuses si le respect du PLU est assuré. Cela répondrait aux souhaits des propriétaires et des élus locaux ; puisse la majorité de l'Assemblée nationale nous suivre, cette fois-ci... Nous ne légiférons pas pour nous faire plaisir mais pour résoudre des problèmes concrets, et l'attachement à la loi Littoral de 1986 n'empêche pas de l'adapter aux nouveaux enjeux !

M. Charles Revet.  - ... à la réalité.

M. Philippe Bas, rapporteur pour avis.  - Le texte règle par ailleurs de nombreuses questions intéressant les territoires littoraux qui risquent d'être privés d'activités. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Évelyne Didier .  - Nous regrettons l'absence d'avis du Conseil d'État et d'étude d'impact sur un texte aussi important. Non par dogmatisme, mais parce qu'une étude d'impact aurait guidé utilement notre réflexion...

Sur le fond, l'objectif de cette proposition de loi est légitime : faire face à l'évolution du trait de côte. La stratégie nationale nous semble cohérente et la traduire dans la loi une bonne méthode. Cette proposition de loi ne vise pas à empêcher la construction ou le maintien de bâtiments mais à sécuriser l'aménagement des territoires littoraux, dans l'intérêt de tous.

Nous approuvons la meilleure information des habitants et regrettons d'ailleurs la suppression de l'article 8 bis relatif à l'information par les professionnels de l'immobilier.

Mais les objectifs ne seront atteints que si les collectivités territoriales s'engagent en préemptant les terrains. Or leurs moyens fondent année après année. La gestion de la compétence Gemapi, comme le recours au fonds Barnier, nous laissent sceptiques... Entre 2012 et 2015, le budget de l'État consacré aux risques hydrauliques et naturels a été réduit !

Nous regrettons aussi que la commission ait ouvert la boite de Pandore de la révision de la loi Littoral.

M. Philippe Bas, rapporteur pour avis.  - Mais non !

Mme Évelyne Didier.  - Le principe de l'urbanisation continue est un bon principe. Ne relâchons pas notre vigilance sur les atteintes au littoral - irréversibles une fois commises !

Cette proposition de loi est utile et attendue, mais les incertitudes relatives au financement et à la modification de la loi Littoral devront être levées. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste ainsi que du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Hermeline Malherbe .  - Je me réjouis que le Sénat débatte d'un tel texte. La hausse du nombre de Français souhaitant vivre en bord de mer se heurte à l'évolution du trait de côte... Notre littoral est en effet très long et très divers.

L'outre-mer est particulièrement exposé au risque cyclonique, comme l'a rappelé Guillaume Arnell en commission. La France dispose de 5 800 kilomètres de côtes en métropole, 4 500 en Polynésie française, 3 000 en Nouvelle-Calédonie, 1 800 aux Antilles et en Guyane, 460 à La Réunion. À nous d'agir mais sans excès.

Dans les Pyrénées-Orientales, qui sont soumises à des aléas climatiques plus nombreux et plus intenses ces dernières années, les acteurs locaux ont pris la mesure des enjeux : réserve marine de Banyuls-Cerbère, parc marin du golfe du Lion, parlement de la mer créé à l'initiative de Christian Bourquin.

Cette proposition de loi entend faire évoluer la loi Littoral de 1986. D'abord, par la reconnaissance juridique du trait de côte ; ensuite par l'anticipation du repli stratégique des territoires, et par l'articulation des stratégies locales avec les plans de prévention des risques naturels et les documents d'urbanisme. Elle crée un nouveau type de bail et aménage la procédure de préemption au profit du Conservatoire du littoral. Elle crée aussi un financement spécifique et organise l'indemnisation des victimes.

Les membres du groupe RDSE s'interrogent toutefois sur l'article 9, relatif aux dents creuses - un meilleur équilibre devra être trouvé - et sur le financement de ces dispositifs. Il serait bon de réfléchir à un mécanisme pérenne, appuyé sur des études d'impact.

Le groupe RDSE a un priori positif sur ce texte, mais son vote dépendra de nos débats.

M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission du développement durable.  - La commission se réunira à 20 h 45 pour examiner les amendements du Gouvernement.

La séance est suspendue à 19 h 30.

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 5.