Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. La séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.

Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, ainsi que votre temps de parole : les auteurs de questions disposent chacun de deux minutes, y compris la réplique.

La même durée s'applique également à la réponse des membres du Gouvernement - à l'exception de M. le Premier ministre, qui bénéficie d'une « horloge » spéciale, dont il saura user, comme tous les Normands, avec mesure. (Sourires)

Union européenne et couple franco-allemand

M. Claude Malhuret .  - Notre groupe se définit comme libéral, social et européen. C'est pourquoi nous avons suivi avec attention le discours sur l'Europe du président de la République à la Sorbonne, qui fixe des objectifs ambitieux : convergence fiscale et sociale, force d'intervention rapide. Nous les approuvons, mais ils exigent que le couple franco-allemand soit fort, comme il l'a été depuis soixante années de construction européenne, et qu'il continue à parler d'une même voix, pour pouvoir entraîner nos partenaires européens.

Or les récentes élections au Bundestag qui contraignent la chancelière à former une nouvelle coalition, dont certaines composantes ont déjà annoncé leur opposition aux objectifs annoncés : les obstacles à la mise en oeuvre de la feuille de route présidentielle pourront-ils être levés et selon quelle feuille de route, afin de parvenir à ces objectifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RTLI)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Je répondrai à votre question, comme je le ferai à tous les présidents de groupe, selon l'usage en vigueur au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

Je saisis cette occasion pour féliciter tous les sénateurs élus ou réélus lors du scrutin du 24 septembre (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM). J'ajoute mes félicitations au président du Sénat. (Applaudissements sur de nombreux bancs, depuis ceux du groupe LaREM jusqu'à ceux du groupe Les Républicains)

Les résultats des législatives en Allemagne sont un fait : ils marquent une victoire de la CDU mais lui imposent de former une coalition pour gouverner, comme c'est souvent le cas en Allemagne.

Le président de la République, le 26 septembre dernier, a appelé en effet à la Sorbonne nos partenaires européens à retrouver le sens de notre mission et de nos objectifs communs au sein de la construction européenne. Lors du sommet informel de Tallinn, deux jours plus tard, tous les chefs d'État et de Gouvernement ont reconnu que l'Europe doit se transformer car son fonctionnement actuel ne la place pas à la hauteur des enjeux. Le chemin tracé par le président de la République et les ambitions de son projet ont été salués, singulièrement par Mme Merkel. Mais la discussion ne fait que commencer.

Elle mobilisera tous les États membres, ainsi que le Parlement européen. La feuille de route annoncée alimentera aussi les discussions des chefs d'État et de Gouvernement au sein des prochains Conseils européens, ainsi que les propositions qui seront formulées par le président Juncker. La dynamique est lancée : c'est peut-être une course contre la montre que nous entamons, afin que l'Europe se remette en mouvement. Ce n'est qu'un début, nous en débattrons ici, car j'espère que vous y participerez tous ici. (Applaudissements sur les bancs des groupes RTLI, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOCR et UC)

M. Claude Malhuret.  - Merci. Au cours de cette mandature, il nous arrivera de vous soutenir franchement, ainsi que d'exprimer tout aussi franchement des désaccords sans arrière-pensée tactique ou électorale. Sur le sujet européen, vous nous trouverez toujours à vos côtés pour que l'Europe soit plus forte, plus unie et plus influente dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe RTLI)

Attentat de Marseille

M. Bruno Gilles .  - Nous avons en mémoire les visages de Laura et Mauranne, l'une voulait être médecin, l'autre infirmière, sauvagement assassinées dimanche 1er octobre par un tueur radicalisé. Nous éprouvons de la tristesse, mais aussi de la colère : même si le risque zéro n'existe pas, en matière de terrorisme, la tragédie de Marseille n'aurait jamais dû se produire. Elle a été perpétrée par un clandestin délinquant multirécidiviste, arrêté à sept reprises sous sept noms différents, relâché la veille même de l'attentat et qui aurait dû se trouver en centre de rétention. Comment ne pas être indigné qu'il ait pu se promener librement sur le parvis de la gare Saint-Charles ?

Qu'allez-vous faire, monsieur le Premier ministre, pour que les lois votées ici au Parlement soient simplement appliquées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UC)

M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Ce dimanche 1er octobre a été pour moi un dimanche d'horreur. Je venais de déjeuner avec mes deux filles de 13 et 9 ans quand j'ai appris la nouvelle de cet horrible attentat. Puis je me suis immédiatement rendu sur place. J'ai appris le vol à Lyon, la garde à vue, la libération.

J'ai aussitôt diligenté une enquête de l'inspection générale de l'administration dont je donnerai les conclusions dans une heure. Je les aurais auparavant adressées aux familles. Nos services restent pleinement engagés pour que la lumière soit faite et elle le sera.

M. Bruno Gilles.  - L'efficacité de la lutte contre le terrorisme comporte évidemment une dimension policière et judiciaire, mais la guerre que nous livrent les terroristes vise à conquérir les esprits. Or le déni de réalité face à l'islamisme est flagrant et cela paralyse notre État. Le combat est aussi culturel. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Transferts obligatoires, compétence en matière d'eau et d'assainissement

M. Jean-François Longeot .  - Le 23 décembre, le Sénat a adopté une proposition de loi prévoyant le maintien des compétences eau et assainissement dans les compétences optionnelles des communes. Or la commission des lois de l'Assemblée nationale vient de rejeter ce texte le 4 octobre, et le Gouvernement a opposé une fin de non-recevoir.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Quel mépris envers les élus !

Plusieurs voix sur les bancs du groupe Les Républicains. - Eh oui !

M. Jean-François Longeot.  - C'est particulièrement inopportun car cela revient à déposséder les élus de nos territoires ruraux de toute possibilité de choix alors qu'ils font preuve depuis des décennies d'inventivité pour mettre en oeuvre des solutions adaptées à la géographie et aux contraintes de leurs territoires. Grâce à eux, ces compétences ont été gérées au prix le plus juste et au plus près des habitants. Pourquoi briser ce qui fonctionne ? (On renchérit sur les bancs du groupe Les Républicains.) Pour construire des édifices incertains ? (Même mouvement)

Cette proposition de loi est une marque de confiance et d'attention envers les élus. Pourquoi ne pas la voter ? Cela leur redonnerait, outre la confiance, une liberté d'action (Applaudissements prolongés sur de nombreux bancs des groupes UC et Les Républicains, sur plusieurs bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Je connais bien ce sujet, les compétences eau et assainissement ont été transférées par la loi NOTRe, comme d'autres.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Sans compensation !

M. Jacques Grosperrin.  - Eh oui !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Certains ont appelé à une pause législative. Cessons de changer les lois sans arrêt ! La loi NOTRe ne fait pas exception. (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Cécile Cukierman s'exclame)

Mais le Gouvernement est conscient des problèmes des élus. Je suis sensible en particulier aux inquiétudes des élus de montagne vis-à-vis de la ressource en eau, ou aux préoccupations des communes rurales quant aux services de proximité. Aussi, je vous propose de travailler sur ces questions dans le cadre de la Conférence des territoires... (La ministre est interrompue par les vives protestations du groupe Les Républicains, d'où fusent des huées) et, s'il le faut, nous légiférerons.

Pacte financier avec les collectivités territoriales

M. Julien Bargeton .  - Le Gouvernement a engagé sans tarder, dès cet été, plusieurs réformes, dont certaines ont suscité des interrogations des élus locaux, parfois compréhensibles, parfois caricaturales. Il a voulu jouer carte sur table lors de la Conférence des territoires en mettant tous les sujets sur la table : notamment la taxe d'habitation, le financement de l'économie des territoires par l'investissement...

Les collectivités ont besoin de visibilité à long terme. Les baisses de dotation globale de fonctionnement de ces dernières années, unilatérales et uniformes, ont été mal vécues et ont laissé des traces. La logique partenariale exige de la justice, entre les 319 collectivités les plus importantes et d'autres qui connaissent aussi des difficultés. Il faut donc de la péréquation.

Alors que le projet de loi de finances met enfin un terme aux baisses de dotation aux collectivités territoriales... (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur ceux du groupe CRCE) Pourrez-vous nous garantir, madame la ministre, que cela perdurera ?

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Elle ne le peut pas ! (On approuve sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Oui, la DGF sera stable dans le budget de 2018, et les dotations telles que la DETR, ou dans le cadre de la politique de la ville, augmenteront significativement, pour atteindre 1,8 milliard d'euros. C'est donc la fin du rabot unilatéral. (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

Les collectivités territoriales ont été incitées à passer un pacte financier avec l'État lors de la Conférence nationale des territoires. (Même mouvement) Cet engagement vaut pour un an. La Conférence des territoires sera précisément le lieu pour faire les ajustements éventuellement nécessaires, si la maitrise des dépenses n'a pas été respectée. Il s'agit bien de maîtrise et non de diminution !

Je vous invite donc à participer à cette conférence, (Vigoureuses protestations sur la plupart des bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques autres bancs) lieu privilégié du dialogue des collectivités territoriales avec l'État que le Gouvernement veut rétablir (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; protestations croissantes sur les bancs du groupe Les Républicains)

Reconstruction de Saint-Martin

M. le président.  - Cette question est l'occasion d'exprimer notre solidarité avec Saint-Martin et Saint-Barthélemy. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Guillaume Arnell .  - Le 6 septembre, mon territoire, Saint-Martin, comme Saint-Barthélemy, a été frappé par l'ouragan Irma. Je remercie l'ensemble des forces de secours mobilisées et je condamne les reproches dont elles ont eu à souffrir, quant à leur supposé manque de préparation et d'anticipation.

Peu importe leur pré positionnement, cela n'aurait rien changé à l'ampleur du phénomène et aux dégâts qu'il a causés.

Lors de sa venue, le président de la République a déclaré qu'il fallait faire vite, quitte à bousculer les règles. Il n'empêche que le temps semble toujours trop long lorsque le travail est colossal...

Nous attendons des gestes forts, notamment pour la réhabilitation des bâtiments publics, pour l'aide à un tissu économique et à des populations fragilisées. J'espère en outre, comme les autres représentants du territoire, être associé au comité interministériel à la reconstruction. Monsieur le Premier ministre, la réponse de la France sera-t-elle rapide, et surtout proportionnée à l'ampleur des dégâts ? (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Les dégâts laissés par l'ouragan Irma, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sont matériels tout autant qu'économiques et psychologiques. La phase d'urgence est en partie derrière nous. Elle a mobilisé de nombreux agents, des gendarmes, médecins, militaires...

Mme Cécile Cukierman.  - Remercions les fonctionnaires !

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Ils ont apporté leur soutien à la population et je vous remercie d'avoir souligné que la réponse d'urgence a été à la hauteur des enjeux.

Il faut maintenant, autant que possible, revenir à la normale. Les commerces ont rouvert, les liaisons aériennes, maritimes et commerciales ont repris, plus lentement qu'imaginé initialement ; les réseaux électrique et de communication se rétablissent plus vite que prévu ; un grand nombre d'enfants ont repris les cours.

Je me rendrai, comme je l'ai annoncé, à Saint-Martin pour la rentrée de la Toussaint, avec le ministre de l'éducation nationale, pour dresser un état des lieux.

Mais la production et la distribution d'eau restent insuffisantes. L'activité économique, notamment le tourisme, est perturbé. Plus de 4 000 salariés bénéficient d'un régime de chômage partiel adapté. Un fonds d'urgence a été créé, le réseau bancaire est soutenu pour alléger le problème de trésorerie des entreprises et un moratoire fiscal et social a été déclaré.

Dans la perspective de la reconstruction, un délégué et un comité interministériels ont été mis en place. Il se réunit demain pour la troisième fois. On ne peut pas reconstruire comme si rien ne s'était passé, à l'égard des normes et des zones de construction en particulier, mais nous devons anticiper une intensification, annoncée par les experts, de ces phénomènes climatiques à l'avenir. La France, l'État dans son ensemble, doivent être à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Les Républicains, RDSE et UC, ainsi que sur les bancs du groupe LaREM)

M. Guillaume Arnell.  - Il est toujours difficile de rassurer et de dissiper les inquiétudes légitimes, celles des plus touchés. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOCR)

Alstom (I)

M. Pierre Laurent .  - Le ministre Bruno Le Maire a annoncé l'intention du Gouvernement de ne pas lever l'option d'achat des parts de Bouygues dans Alstom au motif désolant et irrecevable que l'État n'aurait pas vocation à occuper un « strapontin »...

En effet, en rachetant les actions détenues par Bouygues, l'État deviendrait le premier actionnaire d'Alstom avant son absorption par Siemens et pourrait peser sur les choix stratégiques.

M. Le Maire prétend que l'État serait plus efficace dans un comité de suivi... Or nous constatons qu'à Belfort, où a été créé un tel organe, les engagements sont loin d'être tenus.

Le groupe américain General Electric avait promis à M. Macron, alors ministre de l'économie, 1 000 emplois en France : ce furent autant de supprimés, comme à Grenoble récemment...

Certes, la coopération entre les grands groupes industriels est nécessaire mais mettons fin au dogme « naïf » de la coopération-fusion. C'est l'Agefi qui parle ainsi des intentions françaises !

L'absorption d'Alstom par Siemens n'est en fait européenne qu'en façade. Ce sont 2 milliards d'euros - soit huit ans de budget de recherche et développement d'Alstom -. En réalité, elle favorise les actionnaires, au détriment de l'intérêt national, et Bouygues en particulier, qui touchera 800 millions de dividendes.

Nous vous demandons d'exercer l'option d'achat de l'État sur les titres Alstom détenus par le groupe Bouygues, de suspendre l'opération et d'ouvrir un large débat démocratique sur les conditions d'une alliance entre égaux. N'excluez pas a priori, pour des raisons idéologiques, l'idée d'un contrôle public de dimension européenne sur la nouvelle entité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement .  - Vous avez raison : l'idéologie n'a pas sa place dans cette opération. La fusion a pour objectif de créer un champion industriel européen.

Ce Gouvernement a toujours visé à garantir la stabilité du capital, pour accompagner un projet structuré, afin de garantir et pérenniser l'emploi et l'économie. Ce sera chose faite avec le rapprochement d'Alstom et de Siemens Mobility.

L'État actionnaire, sans aucune visée idéologique, a ici joué tout son rôle. Le nouveau groupe aura un actionnariat stable, un ancrage franco-allemand solide, un partenariat articulé autour d'un projet stratégique clair. L'État continuera à jouer un rôle, notamment grâce à la commande publique. Ce sera plus efficace, pour garantir la pérennité de l'emploi et l'équilibre des pouvoirs qu'une simple prise de participation.

Grâce à cela, l'État pourra continuer à jouer son rôle de stratège. Le siège de l'entreprise restera en France, ainsi que les lieux de production. Telle est bien la vocation de l'État, et non pas de spéculer sur les titres de Bouygues. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Budget 2018

M. Vincent Éblé .  - La commission des finances se met en ordre pour examiner le projet de loi de finances et le projet de loi de programmation des finances publiques. Les discussions s'annoncent animées : des modifications de la fiscalité immobilière sont déjà annoncées dès avant les débats à l'Assemblée nationale...

Nous veillerons en particulier à la fiscalité du patrimoine car la justice contributive doit guider l'action de l'État. Nous examinerons si les moyens supplémentaires sont bien là où il faut et si la qualité du service public n'est pas sacrifiée sur l'autel des réformes.

Nous serons particulièrement vigilants quant au financement des collectivités territoriales, aux modalités de la contractualisation, au fonctionnement du dispositif de bonus-malus et bien sûr à la réforme de la taxe d'habitation.

Nous devons pour cela disposer de toutes les simulations - je les demanderai, en tant que président de la commission des finances.

Vous proposez au nom de la croissance un ajustement structurel inférieur à ce qu'exige le droit européen. L'Union européenne et nos partenaires approuvent-ils cette lecture extensive des textes relatifs à la politique budgétaire ? Sommes-nous soutenus dans notre proposition de renforcer la gouvernance de la zone euro ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Vous serez bien naturellement associé à la discussion du budget, qu'il est de la responsabilité du Gouvernement de présenter au Parlement, la mission fondamentale de celui-ci étant d'en débattre. Vous aurez en conséquence l'occasion d'approuver, de corriger ou - ce que je ne souhaite évidemment pas  - de rejeter le budget lors de son examen...

Nous tenons nos engagements à l'égard de nos partenaires européens, c'est notre priorité, dès 2017. Vous avez omis de dire en effet que la Cour des comptes a estimé que le budget voté par la précédente majorité nous plaçait sur une trajectoire aboutissant en fait à 3,4 % du PIB de déficit. (MM. Claude Raynal et Jean-Marc Todeschini protestent.)

Or, dès cette année, nous respectons nos engagements européens, puisque le déficit sera inférieur à 3 %.

Pour 2018, le budget est conforme aux engagements du président de la République. Il innove sur plusieurs points.

S'agissant de la maîtrise (et non de la diminution) des dépenses locales, le mécanisme retenu consiste en une contractualisation concertée. Il serait plus facile de diminuer brutalement la DGF au rabot ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Discutons-en, mesdames et messieurs les sénateurs !

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Il serait temps !

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Sans discussion, la chose ne peut se faire que brutalement. Faisons donc le pari de la Conférence des territoires pour faire évoluer nos dépenses publiques et notre fiscalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Allocations familiales

Mme Corinne Imbert .  - Le principe même de l'universalité des allocations familiales est remis en cause. Après que le quinquennat précédent ait fortement modulé les allocations perçues selon les revenus perçus, les ménages les plus aisés pourraient s'en voir privés selon une proposition qui vient d'entrer dans le débat public. Évitons les caricatures grossières opposant les plus aisés aux plus modestes. La politique familiale est un pilier de notre modèle social.

Mme Catherine Troendlé.  - Très bien !

Mme Corinne Imbert.  - Quelles sont, madame la ministre, les intentions du Gouvernement en la matière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UC)

Mme Agnès Buzyn, ministre .  - Notre politique familiale est généreuse : 60 milliards de dépenses en 2015, soit 2,7 % du PIB. Les modes de soutien, dont la fiscalité, sont variés, cumulables, qui permettent de maintenir le niveau de vie des familles comme de concilier vies familiale et professionnelle. J'y suis très attachée, comme je le suis à l'universalité de la sécurité sociale en général.

Mais notre politique a évolué comme la famille a elle-même changé : elle est désormais plus ciblée sur les familles les plus fragiles et monoparentales en particulier. Le plafond du complément de libre choix du mode de garde sera augmenté en conséquence de 30 % ; le complément familial majoré et l'allocation de soutien familial, à destination des parents isolés, seront également revalorisés.

Les choix du PLFSS seront poursuivis dans le cadre de la renégociation de la convention avec la branche famille de la sécurité sociale qui s'ouvre ce mois-ci. Plusieurs mesures concourent à préserver l'universalité : nous maintenons les allocations permettant de choisir le mode de garde et nous créons des places en crèche ; en particulier dans les territoires sous-dotés. Nous ciblons aussi certaines familles et parents en difficulté.

Dans ce cadre, je souhaite ouvrir avec le Parlement un débat sur la politique familiale en général. Il faudra en prendre le temps.

La politique familiale, pilier de notre modèle social, ne se décide pas dans l'urgence, mais doit être concertée. C'est la méthode que j'ai choisie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Corinne Imbert.  - À quelques jours de l'ouverture de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, gardez-vous, madame la ministre, d'une vision exclusivement comptable. Nous devons notre taux de natalité à notre politique familiale, qui a vu ses principes d'universalité fixés en 1946. N'allons pas au-delà de la modulation des allocations familiales décidées en 2015, elle suffit. Les enfants sont l'avenir de notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Maisons de l'emploi

Mme Nathalie Delattre .  - Madame la ministre du travail, vous vous apprêtez, dans le projet de loi de finances, à prendre une mesure préjudiciable pour les 126 maisons de l'emploi. Créées par Jean-Louis Borloo dans la loi de cohésion sociale en 2005, elles ont fait la preuve de leur pertinence en matière de plan de formation, d'analyse des besoins des entreprises et, évidemment, de gestion prévisionnelle territorialisée des emplois et compétences.

Alors que leur financement était à l'origine partagé entre l'État et les collectivités, les collectivités territoriales assument aujourd'hui leur financement à hauteur de 65 %. La contribution de l'État est passée de 82 millions en 2007 à 21 millions en 2017 ; vous prévoyez 10,5 millions pour 2018 puis zéro euro en 2019.

Persévérer dans cette décision empêchera Bordeaux de porter les 215 000 heures d'insertion ouvertes auprès des jeunes de nos quartiers. Elle obligera Strasbourg à renoncer à ses dispositifs de mobilité des jeunes en insertion vers l'Allemagne. Et je pourrais vous citer bien d'autres exemples. Est-ce vraiment le signal, madame la ministre, que vous comptez envoyer aux jeunes et aux chômeurs de longue durée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Lorsque les maisons de l'emploi ont été créées en 2005, l'idée était d'installer un guichet unique. Beaucoup de choses se sont passées depuis cette date, notamment la création en 2008 de Pôle Emploi. Comme vous l'avez rappelé, les gouvernements successifs, considérant qu'il y avait des doublons, ont petit à petit réduit leur aide. (Murmures sur les bancs du groupe SOCR) J'entends murmurer des élus qui ont soutenu ces réductions ! (Exclamations sur les bancs du groupe SOCR)

Les 116 maisons de l'emploi ont évolué vers la gestion prévisionnelle territorialisée des emplois et des compétences. Elles pourront toujours bénéficier des crédits à ce titre ainsi que des fonds européens.

Mon ministère a rencontré il y a quelques jours le réseau Alliance Villes Emploi qui coordonne ces maisons et continuera de le faire. Plus important pour moi, il sera aux côtés des élus locaux et des structures pour travailler sur l'insertion. Compte tenu de la croissance qui repart, nous devons faire tous les efforts pour permettre aux jeunes décrocheurs, aux jeunes demandeurs d'emploi et aux chômeurs de longue durée de saisir ces opportunités. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Nathalie Delattre.  - À un moment, nos collectivités territoriales ne pourront plus endosser vos responsabilités en finançant les maisons d'emploi. Elles sont à genoux. La balle est dans votre camp. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Alstom (II)

M. Martial Bourquin .  - Le rapprochement de Siemens et d'Alstom pour faire l'Airbus du ferroviaire face à la concurrence asiatique interroge. La vente de la branche énergie d'Alstom n'a pas été un succès - et c'est un euphémisme. Pourquoi refusez-vous d'acheter les actions de Bouygues avant le 17 octobre pour que nous ayons un droit de regard sur cette fusion ? On connaît pourtant la volonté de l'Allemagne que son industrie reste la plus forte. Pierre Moscovici, lui, avait pris la décision d'intervenir pour sauver PSA. Arrêtons de brader nos joyaux industriels ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement .  - Nous, nous croyons à la construction européenne. (On se récrie sur les bancs du groupe SOCR.) Le nationalisme économique n'est pas une mesure. L'exemple de Peugeot ? Il est parlant : l'entreprise a racheté Opel, sans opposition des Allemands...

M. Gérard Longuet.  - Opel appartenait déjà aux Américains !

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - La condition pour qu'émerge un grand leader européen dans le ferroviaire est de ne pas lever l'option. (On le nie sur les bancs du groupe CRCE.) Oui, nous pourrions faire une opération spéculative mais, sans vouloir vous donner un cours d'économie, si nous levions cette option, le cours de l'action baisserait.

Nous sommes dans une économie mondialisée. Face au géant chinois CRRC, il suffirait que nous nous repliions sur nous-mêmes avec nos petits bras musclés ? Faisons plutôt le pari audacieux d'un rapprochement de deux fleurons industriels aux complémentarités évidentes pour contribuer à l'émergence de l'Airbus ferroviaire européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Martial Bourquin.  - Monsieur le ministre, votre angélisme me sidère. General Electric à Grenoble, c'est 345 emplois supprimés sur 800 ! L'entrée d'un fonds de pension américain dans le capital de General Electric ne fera qu'aggraver les choses. Nous avons déjà perdu la branche énergie d'Alstom ! Je propose la création d'un EADS ferroviaire avec un accord entre États garantissant les sites et les emplois. Prenez vos responsabilités, arrêtez de botter en touche ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Ressources des collectivités

Mme Christine Lavarde .  - Le projet de loi de finances pour 2018 concentre le paiement de la taxe d'habitation sur 20 % des Français d'ici à trois ans. Ce que vous présentez comme une grande mesure de générosité, censée contrebalancer la suppression de l'ISF sur les valeurs mobilières, pose de réelles questions de fond. Si la taxe d'habitation est, comme vous le dites, un mauvais impôt, pourquoi la maintenir pour une partie de la population ? Cette mesure accroîtra l'hyperconcentration fiscale sur les classes moyennes puisque les ménages gagnant plus de 20 000 euros par an seront les seuls à la payer.

Une fois de plus, les collectivités territoriales feront les frais de la réforme. Vous leur ôtez une partie de leur autonomie fiscale en diminuant leur pouvoir de taux. Comment comptez-vous préserver cette autonomie qui est garantie par la Constitution ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RTLI)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Annoncée par le président de la République, (On se gausse sur les bancs du groupe Les Républicains.) la réforme redonnera du pouvoir d'achat à un certain nombre de nos concitoyens. Elle prendra la forme d'un dégrèvement, comme cela existe déjà pour les communes. L'État se substituera aux citoyens exonérés.

Mme Sophie Primas.  - C'est faux !

M. Marc-Philippe Daubresse.  - À quel taux ? Avec quelle année de référence ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - C'est une opération blanche pour les collectivités territoriales. (On le récuse sur les bancs du groupe Les Républicains.) Oui, il faut repenser la fiscalité locale. Depuis des années, nous parlons d'une révision des bases cadastrales sans le faire. Reconnaissons-le, et les élus mettent la pédale douce dès qu'ils voient les conséquences que cela aurait. Pour revenir à la taxe d'habitation, la réforme sera sans effet sur les finances et la liberté de taux des collectivités. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Christine Lavarde.  - Votre réponse ne me rassure pas ! Compensation la première année mais après ? C'est une mesure typique de votre Gouvernement : boucs émissaires et hyperconcentration fiscale sur la classe moyenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

La séance, suspendue à 17 h 45, reprend à 17 h 55.

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président